samedi, 30 juillet 2011
Petits voyages
Donc, si après mille efforts pénibles, le lecteur décrète qu'on n'a pas atteint le port, cependant il vaut mieux sombrer dans les profondeurs en cherchant avec ardeur, que flotter sur un banc de sable.
HERMAN MELVILLE, extr. "Mardi" (traduit par Charles Cestre, introduction D. Fernandez), éditions Flammarion 1990.
Le mouvement nous sort du danger des aveuglements de nous mêmes, les voyages portent autant conseil qu'ils nous remuent longtemps après, comme la nuit où nos songes font revivre les lieux oubliés, travaillent les esprits et nous allons à leur rencontre. J'ai mon billet, c'est plié en petit dans la poche, à chaque instant il me faut vérifier si je ne l'ai pas perdu. Oui, je l'ai. C'est pour l'heure un petit livre blanc, un fragment d'atlas, une cible. Je relis plusieurs fois le résumé recto-verso, avec le numéro du train, juste un "aller" au poinçon qui délivre le droit de s'éloigner, et là, pendant des minutes que j'aimerais encore ralentir, je regarde les locomotives jouer dans la pénombre. C'est un peu comme un mot d'absence, qui ira tout à l'heure glisser entre les mains d'un contrôleur, un billet simple que j'imagine quelquefois sans retour, quand je m'en vais, c'est dans l'idée que je pourrais partir toujours, ou revenir illico par le train qui suivrait, ou encore bifurquer dans la minute, s'il est possible (ah ! les correspondances !). J'ai le billet d'une loterie topographique, tant de bourgades à traverser entre ici et là bas, des forêts inconnues, hameaux sans habitant, vus d'un viaduc, on revit dans la miniature des petits toits, des petits murs, pareils aux bouts de toits, bouts de murs, du jeu de construction pour enfant. J'aime les trains lents, les anciennes Michelines, un jour je goûterai au Cevenol...
En attendant je fais les cent pas hors du hall, je m'égare un peu dans cet espèce de no man's land, le même autour de toutes les gares, je vois au loin des hôtels malheureux, des entrepôts en ruines, des magasins aux enseignes borgnes et puis les lignes bleues qui vont dans la montagne, du côté de Ste Foy-Lès-Lyon plus loin, jusqu'aux Monts d'Or, une illusion d'optique, la musique de "La vie de Cocagne", (merci Zoë !), la ligne bleue des Vosges, une cabane où des gars scient du bois, où des filles font des tartes aux pommes. C'est l'heure indescriptible de l'entretemps à n'être plus qu'un interlude entre deux voies. Sentiment agréable d'honorer la vie sur un banc, le compromis accepterait de céder tout aux mondes flottants, quand fatigué des profondeurs, on déciderait d'un errement en surface afin d'oublier, (un instant), la belle citation de Melville (sorry, Herman, on a dit "un instant") ; un banc de bois sous une rangée métronomique d'horloges hautes perchées, nids de coucous soudés comme des lampes aux plafonds, on fixerait l'incessant clignotement des diodes on serait à l'affût d'autres cliquetis métalliques de source invisible.
Il est 17H44, il me reste quinze minutes avant le départ sur quai A. Ces quinze minutes dureront le temps qu'on les désire, elles paresseront parallèlement dans cette vague perception atemporelle qui tient la page de tous les autres livres. J'ai mon billet, c'est d'un contentement bête. Assise sur un banc, à coté de nombreux voyageurs qui lisent, fouillent dans leurs sacs, ou picorent des Smarties, je dessine machinalement des rectangles sur le modèle d'un wagon de marchandises arrêté juste en bas, j'attache les rectangles avec quelques trombones (tombés d'une boîte trouvée hier, dans le funiculaire), je bricole machinalement des petits bonhommes en tiquets de métro pliés, que je déchire, pour leur fabriquer (grosso-modo) des jambes et des bras. Machinalement, je tue le temps, sans vraiment savoir que je bricole. Mais en gribouillant mon bonhomme, le corps ici, la tête ailleurs, j'imagine en même temps, que j'entre en rotation sur le manège de Petit Pierre dans cette fabuloserie ignorée des grands voyageurs : un joyau en orbite absorbe l'univers, dans la lune, sur la terre, révèlant la huitième merveille d'un monde aux enchantements-rois. Le cercle magique des ferrailles flotte dans l'air qui va loco loco nimber de valses folles les débris reconstruits pour faire tourner la terre sur des boîtes de conserve et le plus étonnant c'est qu'elle tourne merveilleusement...
Petit Pierre en gardant ses vaches fabriquait des cyclistes, des avions, des charrettes, des petits trains et puis il ajouta des boulons aux petits voyages extraordinaires qu'il faisait dans sa tête...
Regardez, c'est divin.
Lien divin : http://www.fabuloserie.com/#
Nota 1 : la réfutation d'une citation de H. Melville ne durera que le temps d'un petit voyage (réfutation it is not a répudiation, j'ai précisé, j'insiste).
Nota 2 : pour ceux qui aiment les images, (bonus d'été) il y a un Delvaux-garissime à cliquer sous notre photo (voir plus haut ↑).
Photo : Gare de Perrache (Lyon) et ses alentours, vus de la grande allée de la gare, fin Juillet, cette année.
© Frb 2011
03:13 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, De visu, Impromptus, Le nouveau Monde, Le vieux Monde, Mémoire collective, Transports | Lien permanent
Commentaires
un grand merci d nous avoir fait découvrir la farfuloserie c'est plus que divin ce travail titanesque de Pierre dont j'aurai regretté de ne pas avoir vu cet esprit de poete créateur
Écrit par : alex | mercredi, 03 août 2011
@Alex : J'ai découvert le formidable manège de Petit Pierre par hasard à cause d'une faute d'orthographe qui m'aura amenée là, il n'y a peut être pas de hasards ? Ou celui là est vraiment merveilleux. Quand j'ai vu le travail titanesque (c'est vrai !) l'univers extraordinaire, de petit Pierre, un poète doublé d'un génie créateur (vu sur la toile seulement) j'ai été tellement éblouie que je n'ai plus qu'une idée en tête à ce jour c'est d'aller la voir pour de vrai cette farfuloserie/ fabuloserie, j'espère que je pourrais (peut être bientôt ?) parce qu'en regardant vite fait sur la carte; de là où je suis cet été je crois que je n'en suis pas loin... On a classé Petit Pierre dans l'art brut et dans l'art modeste, ça en est bien évidemment, mais je crois que ça reste inclassable tellement c'est génial, "plus que divin" je te cite, mais oui ! tu as raison ! si un "bon dieu" existe il doit valser sur ce manège et on comprend qu'il reste là bas ou bien il c'est Petit Pierre lui même ;-) en tout cas je suis ravie que ça te plaise, merci Alex, (à suivre, peut être ...)
En attendant, je te souhaite une belle et bonne journée.
Écrit par : frasby | mercredi, 03 août 2011
Ce qu'il a mû m'émeut. Merci.
Écrit par : Marc | mercredi, 03 août 2011
@Marc : Le Mini monde est mouvant, il amuse les émus (mœnumentalement :)
Merci à vous.
Écrit par : frasby | mercredi, 03 août 2011
Je viens de mettre sur on blog un artcle sur Petit Pierre que tu m'a permis de découvrir
bonne soirée
amitié
Écrit par : alex | mercredi, 03 août 2011
j'ai l'impression que mon additif s'est perdu; je recommence donc en espérant que ça ne fera pas doublon
"J'ai mis sur mon blog un article sur la fabuloserie de petit Pierre que j'ai découvert grâce à toi"
Amitié
Écrit par : alex | mercredi, 03 août 2011
@Alex : Je peux bien te remercier deux fois, ça ne sera pas de trop :) Il y'a un problème technique irrésolu depuis des mois, avec ces commentaires, et je n'ai aucun moyen de remédier à cela, les commentateurs n'ont pas d'autre choix que se retrouver (trop souvent) devant ce "vide" technique de commentaires où l'envoi n'est pas confirmé, j'ai fait les essais, c'est confus, j'en suis tout à fait désolée, il y a aussi pas mal de coms qui se perdent dans les tuyaux, certains intervenants croient que je ne les diffuse pas, par souci de tri sélectif, je ne me permettrais pas une telle chose, alors dans l'état de dysfonctionnement des flux, qui m'a même l'air de pire en pire il vaut mieux qu'un commentaire arrive deux fois que pas tout, (je crois), Merci d'avoir insisté, une occasion pour nous d'aller redécouvrir ton (tes)- blogs. Re-belle journée à toi .
Écrit par : frasby | jeudi, 04 août 2011
Quelles superbes ambiances, la vôtre et celle de Petit Pierre, unies pour nous faire plaisir des sens et de la lecture !
Les gares sont des endroits où j'aime promener mon appareil photographique, parfois je m'arrête auprès des gens, je les isole du décor et je leur demande de me servir de modèle.
Dans les gares, les trains, les gens sont disponibles, ils attendent que le gros monstre de métal vienne les prendre ou les dépose.
Écrit par : saravati | mercredi, 03 août 2011
@saravati : Merci, toujours ravie de vous lire Petit Pierre fait l'ambiance sans moi mais ça me plaît que d'autres lecteurs et lectrices partagent le plaisir que Petit Pierre transmet. Pour les gares, je vous rejoins, c'est extra d'aller prendre des photos dans ces lieux si propices à tout 'imprévu, y aller sans forcément avoir un train à prendre, je le fais souvent, j'adore les gares, ou tous les "points" de halte des gares, comme le mouvement autour des des brasseries (celle du train bleu à Paris par exemple) j'admire que vous puissiez aborder les gens, afin qu'ils vous servent de modèles, c'est une belle idée, très souvent j'ai désiré de le faire je suivais des gens dans ce but ou les regardais longtemps mais je n'ose jamais les aborder, alors que la disponibilité des voyageurs est incroyable, vous avez raison de le dire, souvent je fais des "filatures" j'essaie de ne pas "serrer" trop près, mais ceux qui parfois l'ont vu s'en sont toujours amusés, certains ont même joué le jeu de poser sans que j'ai à leur demander, j'adore ça, alors qu'en ville c'est un peu plus "tendu", disons plus rare... Il n'y a qu'avec les gares et les trains que "tout devient possible" (:O!)...
Bonne journée à vous , je vous souhaite plein de gares et plein de nouveaux modèles pour vos futures photos) à bientôt !
ps : (je ne peux hélas, toujours pas accéder aux commentaires chez vous, même en anonyme, ça résiste, mais je réessayerai...)
Écrit par : frasby | jeudi, 04 août 2011
Au nombre des "remembrances" ce petit train interlude. Comme ça semble appartenir à un monde complètement révolu! presque aussi révolu que le Moyen Age. De même le manège de Petit Pierre. j'ai vu que les fabuloseries sont exposées à Sète, ville qui m'est familière. J'y ferais sans doute un tour avant octobre.
Merci de cette foison de liens :-) et ravie de vous avoir fait découvrir "La vie de cocagne", dont l'auteur Serge Rezvani est un écrivain que j'ai beaucoup aimé "Les années lumière""Les années Lula", Mille aujourd'hui, la belle vie d'un couple heureux à La béate leur maison de La garde Freinet. Lula est morte (en 2004) et Rezvani remarié avec Marie José Nat, une femme lumineuse elle aussi. Peintre et écrivain, Rezvani est un homme étonnant.
Vous êtes à destination ?
Écrit par : Zoë Lucider | mercredi, 03 août 2011
@Zoë Lucider : Je suis à destination :) J'apprécie votre commentaire pour diverses raisons. Mondes révolus, certes, mais pas trop régressifs, (il me semble), en général je déteste la nostalgie qui bêtifie parfois jusqu'à la régression et surtout elle est devenue un fond de commerce affreux jusqu'à vider les oeuvres de leur originalité, la "bad récup" est aux antipodes du noble, (et preux) "moyen âge". Ce manège de Petit Pierre, porte en lui je crois, une intemporalité ou quelque enfance que j'imagine inépuisable, le bricolage avec des bouts de ficelle (et des boulons) même à l'ère des microprocesseurs aura plus que jamais quelque chose à nous enseigner, ça dépasse la "conservation du passé, certes préserver cela comme souvenir d'une"époque" n'est pas rien mais je le vois davantage comme une source d'inspiration transposable à l'infini, (ces "vieilles" choses d'où revient toujours la modernité) on est dans la folie douce dingue, Jacques Tati aurait pu piquer des idées chez petit Pierre, à des moments le manège m'a rappellé une scène de"trafic", "Grand Pierre" Etaix aussi aurait pu s'y plonger, quant au petit train d'interlude, oui, d'accord, ça c'est le vrai Moyen âge, (mais moins que "36 chandelles" quand même !:O) -savez-vous qu'à mes yeux de retardataire le moyen âge est quelque chose de jamais révolu ? :) j'entrevois parfois dans certains modillons romans, une sorte de futurisme (bon, ok, c'est contestable :) cela dit, je n'ai pas connu le petit train rébus, mais cette idée de rébus est d'une vraie poétique télévisuelle comme les shadoks, c'est médiévalissime et je suis prête à parier que ça nous enterrera tous. Les fabuloseries, j'ai lu, dans leur programme qu'elles étaient à Sète, grosse année sétoise, je crois qu'on y fête aussi cette année, l'anniversaire de l'ami Georges, Vous me confirmez ? :) cette ville m'est également très chère, j'avais prévu d'y retourner ce printemps et j'ai remis ça à l'automne, peut être qu'on s'y croisera ? Autre affinité. A propos de "La vie de Cocagne (encore merci), C'est de Rezvani je m'en doutais, il y avait comme une "signature", Rezvani, grand artiste (multidoué), homme émouvant, son amour avec Lula m'a longtemps fascinée (toujours, d'ailleurs), j'ai relu il y a peu, des textes bouleversants de lui, décrivant Lula perdant la mémoire, Rezvani, seul, dans sa tour, dépossédé de son adorée décrivant combien tout perdait son sens tandis qu'elle s'éloignait. Rezvani évoque la musique qu'il avait cessé d'écouter, puisqu' avec Lula avant sa maladie la "béate" était remplie des musiques que tous deux aimaient, dans ce texte difficile Rezvani écrivait : "De toute façon, sans elle, je ne peux plus sentir", avez vous lu "Les voluptés de la déveine" ? Ensuite, j'ai vu par hasard, une photo de Marie José Nat (aussi lumineuse agée que jeune) aux côtés d'un Rezvani, apaisé, dans un jardin de Bonifacio, et je trouvais que la rencontre de ces deux là pouvait encore nous dire que la vie ne faisait pas trop mal les choses... Rezvani est un homme étonnant, ah oui, vraiment, j'aimerais bien le rencontrer, pas vous ? ...
Écrit par : frasby | jeudi, 04 août 2011
j'ai pas réussi 2 fois dans l'envoi de mon additif, j'espère que ça sera la bonne? " j'ai mis sur mon blog un article sur la friloserie de petit Pierre que j'ai découvert grâce à toi"
amitié
Écrit par : alex | jeudi, 04 août 2011
@Alex : je te remercie, c'est vraiment adorable. On va aller voir ça. Il est incroyable le pouvoir d'enchantement que communique ce petit "très grand" Pierre...
Bonne journée toi, avec mes amitiés, bien sûr.
Écrit par : frasby | jeudi, 04 août 2011
@Alex (re-re-re) : Tout est bien arrivé. Jamais deux sans trois ! je peux bien te remercier trois fois, les triplons c'est marrant, ça fait des variations sur thème. Les Oulipos sauraient imaginer à partir de ce genre d'idée là. (Un truc style "La marquise sortit à cinq heures") Re-désolée, ça devient compliqué de venir commenter ici, disons, aléatoire, ça dépend de quelque chose que j'ignore, pour réparer il me faudrait un bricolo genre "Petit Pierre". Mais pour l'heure on n'a pas...
Merci à toi, et bonne journée, trois fois :)
Écrit par : frasby | jeudi, 04 août 2011
« Que fais-tu Petit Père ? » - « Je bricole ma vie. »
Écrit par : Marc | mardi, 09 août 2011
@Marc : En vrai, c'est exactement "ça" !
(Une vie infinie... :)
Écrit par : frasby | mercredi, 10 août 2011
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