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lundi, 25 octobre 2010

Gai désespoir (ou presque)

La tristesse est l’indéfinissable qui s’interpose entre moi et la vie. Et comme l’indéfinissable est une approximation fragile de l’infini…

CIORAN : "Précis de décomposition", éditions Gallimard 1977

gai desesp12.JPGCIORAN avait forgé la notion de "gai désespoir" dans une lettre à son frère Aurel à propos de son ami le professeur de philosophie Mircea Zapratan, (1908-1963). Le "gai désespoir" est, à première vue, une association, en forme d'oxymore empruntée au "Traité du désespoir" de KIERKEGAARD" et au "Gai savoir" de NIETZSCHE, mais il est aussi un croisement de deux pensées complémentaires, en dépit des différences qui existent entre elles. Et "désespoir" ne veut pas dire la tristesse ou la déception, on peut même croire que c'est exactement le contraire. On peut l'entendre plutôt tel "dés-espoir", ainsi le terme utilisé dans cette conception précise, consisterait à ne rien espérer. SPINOZA l'énonçait déjà l'auteur est souvent cité dans le "Traité du désespoir et de la béatitude" d'A. COMTE-SPONVILLE dont la lecture est loin d'être superflue :

"Chaque nouvel espoir n'est là que pour rendre supportable la non-réalisation des espoirs précédents, et cette fuite perpétuelle vers l'avenir est la seule chose qui nous console du présent."

"Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ..."

Cette dernière phrase est de PASCAL, A. COMTE-SPONVILLE dit encore:

"Rien à espérer de rien. Mais aussi, rien à craindre. Tout se tient : espérer, c'est craindre d'être déçu ; craindre, c'est espérer d'être rassuré".

Celui qui souffre espère ne plus souffrir et celui qui se suicide ou fait une tentative attribue à la mort, sa plus grande espérance. Selon COMTE-SPONVILLE, (d'autres l'avaient, bien sûr, pensé avant lui): "Le bonheur commence quand on n'attend pas", c'est là, l'efficacité du désespoir et du vide. Pourquoi attendre ? Puisque attendre c'est toujours espérer ce que l'on n'a pas. Le bonheur en question est à contre-courant du christianisme, il préconise l'ataraxie (du grec ἀταραξία / ataraxía signifiant "absence de troubles"), une idée que l'on trouve également dans le Bouddhisme Zen, religion qui désigne la sérénité, la vacuité comme le seul état qui puisse être rempli. Cela dit je ne crois pas que cette philosophie soit stricto-sensu celle du bonheur, même si quelques uns, ça et là, font de l'ataraxie un produit dérivé du bonheur, je n'adhérerai pas à cette panacée aussi illusoire qu'un espoir optimiste immodéré, et tout en invoquant à coeur, le "gai désespoir", pour tant de choses insatisfaites, peu capable de deviner au delà de mon trouble, quelle issue me sera réservée, je me surprends souvent en flagrant délit d'attente éperdue. Aspirant à une vie calme en apparence, plus heureuse, plus unie, je sais, que si j'obtenais cette vie là, j'en espérerais davantage ou même, j'aurais plus d'enthousiasme à son opposé, et je n'ai pas de peine à à imaginer que mille formes éclatées, mille sursauts convulsifs, perturbateurs imprévisibles, m'enchanteraient plus encore. Je songe par détours et digression (improbables comme souvent ici), à ce beau roman que Natsume SÔSEKI, très malade, pût achever avant sa mort "Les herbes du chemin", où l'auteur montre des lignes d'ombre enchevêtrant les traces du passé, celles du présent, qui prennent leurs racines estompées dans l'enfance tandis que lentement, sous nos yeux se construit l'histoire entière d'une existence et que le narrateur pénètre sans préméditation dans un monde entièrement nouveau, peut-être inespéré ...

Je ne suis pas mort
Mon coeur est poétique
Je me repose

Natsume SOSEKI ("Choses dont je me souviens")

Photo : Ni triste, ni gaie, même pas désespérante, (pas plus que désespérée) juste un peu angélique qui sait ? La statue au jardin du Musée des Beaux Arts converse avec les ombres, dans ce coin à la fois exposé et caché, au milieu de la ville mais à l'abri des flux. Un bel endroit pour laisser advenir ce qui doit... Photographié l'hiver dernier à Lyon. © Frb 2009.

dimanche, 24 octobre 2010

Prélude à un gai désespoir

L'avenir ne mesure rien que ma faiblesse présente

ANDRE COMTE-SPONVILLE

gai desesp782.JPGQuand nous serons sortis de terre, nous irons dépenser nos deniers pour flotter dans des jonques. Nous prendrons conseil auprès des demoiselles du syndicat d'initiative, nous visiterons les jardins des châteaux ornant les calendriers de l'automne. Nous y séjournerons longtemps et nos nuits seront idylliques. Le temps s'allégera nous retrouverons ces enfances qui ne cessent de grandir en nous à mesure que nous vieillissons. Et la peur du temps passera. Notre mémoire deviendra  floue.

Nous serons assis sur les marches d'escalier de l'église d'Augustin rue Denfer, nous regarderons les damnés, traîner de lourdes chaînes et juste en dessous, un beau Christ en élévation sera (comme toujours) adoré par nos anges. Nous maudirons cet espoir qui nous met à genoux, nous entretue pour une louange si minuscule, par rapport à ce qu'elle promet. Nous cesserons d'y croire. Nous n'aurons plus un seul argument vérifiable pour aborder la terre promise. Nous n'aurons pas d'autre maison, pas même une petite arche ne saura fournir l'évasion nécessaire à nos échappées. Peu importe. Sans maison plus besoin d'échapper. Nos mondes nous fondront dans la main, s'amolliront dans nos chairs tendres à la manière des éponges  ou des étoiles de mer cela nous délivrera bien à la longue.

ll y aura des signes importants, des dilemmes contre lesquels nous lutterons encore, on ne sait quand s'amorceront les lendemains nouveaux. S'il y a de quoi espérer. Peut être, irons-nous à l'idée lumineuse de désespérer enfin totalement et gaiement de toutes choses ? Ou de ces espèces de choses soit-disant épatantes qui nous viennent d'on ne sait où...

(A suivre)

Photo : Le répit. Photographié à la croisée de Zola et Barbusse en plein coeur du très beau quartier des gratte-ciel à Villeurbanne.© Frb 2010