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vendredi, 05 août 2011

Affinités

A quoi bon les poètes en temps de manque ?

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"Pour moi la poésie, puisqu'il est question de cela, n'est ni une question, ni une réponse. C'est impertinent sans doute de parler de sa propre expérience dans ce domaine. C'est un moment que je célèbre, moi gourmand et insignifiant. Quelle sorte de moment est-ce ? C'est le seul moment qui représente la totalité du temps, l'un qui n'a pas de second. L'important n'est pas que je sois ou non de conséquence - ce serait ridicule de présenter la chose de cette façon  prétentieuse - mais l'important c'est le moment lui-même et le fait que par la médiation d'un tiers, moi ou un autre, tous deux aussi anonymes l'un que l'autre, ce moment se célèbre lui même.

Je reviens donc à mon acte. Oui je le célèbre, dans la souffrance et l'extase. Mais limité comme je suis, je ne peux le célèbrer éternellement mais seulement en instants, clignotements de mon temps terriblement morcelé, alors que je suis à bout et priant toujours pour une prolongation".

LOKENATH BHATTACHARYA (1927-2001).

Extr. "Eaux troubles, du Gange à l'Aveyron", ("A propos de la parole poétique"), paru chez Fata Morgana en 1995, recueilli dans l'ouvrage excellent (que je vous recommande vivement) :"Lokenath Bhattacharya par Marc Blanchet" (lui même poète, essayiste, photographe), éditions Jean-Michel Place en 2001.

Nous reviendrons un (certain) jour sur les textes et poèmes de Lokenath Bhattacharya écrivain bengali remarquable, érudit, traducteur d'auteurs français (Rimbaud, Descartes, Romain Rolland, Molière, Sartre, Char) et grand mélomane, sans doute le plus traduit en France depuis Tagore, que Henri Michaux fit découvrir aux lecteurs européens dès 1976. L'écriture lumineuse, mystérieuse de L.Bhattacharya, n'est pas sans profondes affinités avec celle d'Henri Michaux, directe, simple, émerveillée, Bhattacharya se définissait lui même comme "Le cousin bengali d'Henri Michaux". En lisant les deux auteurs parallèlement, les ramifications, les témoignages de leur pudique correspondance, on est assez troublé par l'évidence de cette rencontre. L'écriture de Bhattacharya est violente, charnelle, évoluant toujours dans un univers aussi craintif que fervent, lui même a défini les écrivains comme les enfants gâtés du langage. Extrait choisi :

Si la langue n'existait pas, ces écrivains, qu'est-ce qu'ils auraient pu faire ?  Rien du tout ! Moi aussi, je suis un enfant gâté du langage : je parle beaucoup trop du silence - qui est une chose essentielle pour moi. Mais le silence, on ne peut pas l'expliquer.

"Créer un chemin dans le vide" est une chose qui existe autant pour Lokenath Bhattacharya que pour Henri Michaux, tous deux ont des sources d'inspiration communes, entre autres, la chambre, les chemins (le vide bien sûr), les débris, une curiosité sans limite, et les dessins de Michaux inspireront à L. Bhattacharya un étonnant ouvrage "Sur le champ de bataille des dessins de Michaux" où le texte écrit en Bengali (traduit par France Bhattacharya) fait subir une transformation aux formes proposées par Michaux, donnant à chaque tache un nom, engendrant un dialogue à distance entre deux artistes issus de cultures différentes, les textes dépassent la simple interprétation en roue libre, ils puisent très au delà dans les mythes indiens, la danse, les musiques, les prières toute leur inspiration pour peser les enjeux de la vie et de la mort, (le champ de bataille, donc) lutter contre ces rythmes que tout semble opposer jusqu'à trouver un apaisement progressif jusqu'à l'union ou la révélation d'une parole devenue fertile. (champ de désir ? Peut-être). Autre affinité que nous partageons ici avec Bhattacharya, un certain parti pris artistique, ses paroles ne sont ni une posture, ni un effet de style : le goût de sa quête insatiable, sa recherche jamais satisfaite l'a toujours confronté à la limitation de l'humain, qu'une vie entière n'aura pas suffi à instruire. Autre extrait choisi :

Moi, j'écris ainsi, parce que je suis ignorant [...] On a finalement des visions qui ne sont pas si spontanées. Elles sont dictées. À quoi bon essayer ensuite de se présenter comme un intellectuel, un grand monsieur quand on est rien !

A noter, un autre ouvrage admirable, qui se parcourt avec délectation, fruit d'un lien artistique entre Lokenath Bhattacharya et Pierre Alechinsky, l'oeuvre s'appelle "Fleur de cendres" :"Une encre de chine au pinceau parée de cendre", vraiment beau. Hélas, je crains que cet ouvrage soit difficile à trouver, quoique en cherchant bien... Sinon vous pouvez ouvrir (les yeux fermés et grands ouverts) les autres livres de Lokenath Bhattacharya, tous éblouissants.

Vous trouverez une piste bibliographique, en lien ci-dessous :

http://www.librairiedialogues.fr/personne/lokenath-bhatta...

Ici, encore une passerelle d'Orient à Occident :

http://www.wmaker.net/shanti/Un-poete-Indien-amoureux-de-...

Photo : Acacias vus sur la route boscomarienne. Des formes végétales musicales, légèrement orientales, (du moins ai-je dû un instant les imaginer telles... Ou bien c'est peut-être que j'aimerais contempler l'acacia versifié en poème bengali ?). J'ai choisi l'acacia parce qu'il en existe 1 500 espèces à travers le monde, alors qui sait si elles ne pourraient pas un jour, elles aussi, se croiser ?

Photo : © Frb 2011.

mercredi, 11 mars 2009

Comme un mercredi qui te dit cent fois...

"Cette intelligence qui rôde dans les chemins du Ciel
Te dit cent fois par jour :
"A cette minute même, comprends donc
Que tu n'es point
Comme ces herbes qui reverdissent après
avoir été cueillies."

OMAR KHAYYAM  extr. "Quatrains". XLIX. Editions Mille et une nuits. 1995.

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OMAR KHAYYAM (avec un accent sur le deuxième A, que mon clavier occidental n'a pas ;-) est né à Nichapour en Perse en 1048, on ne connaît qu'approximativement les dates et évènements de sa vie. Le nom complet du poète est OMAR IBEN IBRAHIM EL-KHAIAMI qui signifie OMAR fils d'ABRAHAM, fabricant (vendeur) de tentes. La coutume en Orient voulant que les poètes se donnent un surnom, OMAR opta pour celui qui indiquait la profession de son père et la sienne: KHAYYAM. Si l'Occident l'aborde en tant que poète, l'Orient pendant longtemps le découvrît comme savant. Dès 1074, il se fît connaître comme mathématicien, auteur d'un traité d'algèbre qui fût publié et traduit en français en 1851. Il fût également géométre, auteur d'un traité de physique sur le poids spécifique des métaux précieux; et astronome appelé par le sultan qui le chargea de la réforme du calendrier persan. Enfin, il laissa deux ouvrages de métaphysiques sur "L'existence" et sur "L'être et la capacité légale" avec des thèmes de réflexion que l'on retrouve dans les "quatrains". Plus tard, sa renommée poétique s'imposa dans tout l'Orient, ses poèmes, pessimistes, sceptiques et souvent blasphématoires circulèrent mais discrètement dans tout l'Orient car les autorités islamiques réprimaient la libre pensée. Les "Quatrains" pour bon nombre d'entre eux, furent inventés dans des moments privilégiés, où KHAYYAM (entourés d'amis qui cherchaient l'extase dans la contemplation avec lui); organisait sur la terrasse de sa maison, des soirées amicales agrémentées de vin à volonté de musiques et de danses pendant lesquelles il proclamait à ses convives ses derniers vers. Préférant les plaisirs de l'éphémère aux dogmes dictés "vérités suprêmes", OMAR KHAYYAM symbolise la liberté absolue honnie tant par le religieux que par le politique. Il fascina beaucoup d'artistes dont Marguerite YOURCENAR qui finalement choisit (entre lui et Hadrien), d'écrire une biographie d'Hadrien, manquant de temps pour se consacrer à KHAYYAM. Le poète est aussi évoqué  par AMIN MAALOUF dans le roman "Samarcande"; mais ce sont surtout les artistes du XIXem siècle (versés dans l'orientalisme) qui contribuèrent à mieux le faire connaître en le citant comme référence. Théophile GAUTIER dans un article paru dans "le moniteur universel" en 1867  écrivit : "On est étonné de cette liberté absolue d'esprit, que les plus hauts penseurs modernes égalent à peine, à une époque où la crédulité la plus superstitieuse régnait en Europe... "

Eléments d'une biographie d'Omar KHAYYAM ICI : http://www.bibmath.net/bios/index.php3?action=affiche&...

+ un retour sur les "Quatrains" à découvrir chez "VASTE BLOGUE" (le bien nommé) dans une traduction( ô combien !) différente toute en subtilités. Retour et détours (pour l'Amour de KHAYYAM ;-) infiniment recommandés par la maison :

http://tangleding.hautetfort.com/archive/2008/11/20/omar-...

http://tangleding.hautetfort.com/archive/2008/11/20/omar-...

http://tangleding.hautetfort.com/archive/2008/11/20/omar-...

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Photo 1 : La Dame n'est point comme ces herbes qui reverdissent après. Elle qui se meurt encore et toujours sous son cadre au palais, avec son bout de nez cassé et sa petite couette rebelle dont se moque bien l'Eternité autant que les buveurs de vin du "Moulin" d'à côté...

(pour voir sous une autre lumière cliquez sur cette image )

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Photo 2 : Vivre ou mourir sous les arcades ? Deux temps. Deux mouvements. Ou peut-être un instant pour vivre et mourir en même temps. Aperçu d'une promenade au Musée St Pierre, place des Terreaux à Lyon en février 2009. © Frb.

jeudi, 13 novembre 2008

Un léger différé...

"Un matin, le vizir de Bagdad heurte dans un marché une femme au visage blafard. Ils ont tous deux un mou­vement de surprise. Le vizir sait qu’il a rencontré la Mort. Affolé, il accourt au palais et supplie le grand calife :" Puisque la mort me cherche ici, lui dit-il, permets-moi, Seigneur, de me cacher à Samarcande. En me hâtant, j’y serai à la tombée de la nuit !" Sur quoi, il selle son cheval et file au grand galop.

Plus tard dans la journée, le calife rencontre lui aussi la Mort. "Pourquoi, lui demande-t-il, as-tu effrayé mon vizir, qui est si jeune et bien portant ?" "Je n’ai pas voulu lui faire peur, répond-elle. J’étais juste surprise de le voir ce matin à Bagdad, car j’ai rendez-vous avec lui, ce soir, à Samarcande."

Fable orientale rapportée par Clément ROSSET in psychologies " Rencontre avec le philosophe Clément ROSSET". Lien utile  ICI

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"C'est écrit dans le ciel "comme le chantait le philosophe Bob Azzam DEMO ICI.

Photo : Ciel du 13/11/ 2008 vu d'une fenêtre, de trois étages au plus tôt du petit matin ©.

vendredi, 05 septembre 2008

Les contes de pluie et de lune

" Les Contes de pluie et de lune" sont le chef-d'œuvre de l'écrivain japonais Ueda AKINARI (1734-1809). Les neuf contes qui le composent suivent la tradition du récit, le MONOGATARI, en puisant dans une veine fantastique, celle d'histoires de revenants.

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Le MONOGATARI est une spécificité littéraire japonaise dont la traduction la plus proche pourrait être « récit » (littéralement : choses racontées) Cependant, limiter cet emploi aux seuls récits est réducteur. En effet, le terme MONOGATARI s'applique d'une manière générale à tout ce qui n'est pas de la poésie pure (la plupart des monogatari contiennent souvent des passages de poésie). La forme est donc en prose.  L'utilisation du terme monogatari pour qualifier une œuvre littéraire est souvent abusive.  Les ouvrages correspondant le plus au roman ou au conte occidental, sont tels le Genji monogatari, « Le Dit du Genji », le Ise monogatari, « Contes d'Ise » ou le Heike monogatari, « Le Dit des Heike » pour ne citer que les plus célèbres.
L'auteur du Genji Monogatari (japonais : Heike Monogatari, c’est-à-dire « le Dit des Heike ») est une épopée qui raconte la lutte entre les clans Minamoto et Taira au XIIe siècle pour le contrôle du Japon. Recueillis de la tradition orale en 1371 et considérée comme l'un des grands classiques de la littérature japonaise médiévale, elle est un produit de la tradition des Biwa hōshi, des bonzes aveugles qui sillonnaient le pays et gagnaient leur vie en récitant des poèmes épiques tout en s'accompagnant au biwa (luth).

Genji monogatari est une œuvre considérée comme majeure de la littérature japonaise du XIe siècle, attribué à Murasaki SHIKIBU. L'intrigue du livre se déroule pendant L'époque de Heian.Le Genji est un fils d'empereur qui ne peut prétendre au trône. Il est donc à l'origine d'une nouvelle branche impériale.
Le Dit du Genji, qui se présente comme un récit véridique (物語, monogatari), raconte la vie d'un de ces princes impériaux, d'une beauté extraordinaire, poète accompli et charmeur de femmes. Toutefois, bien que le roman soit présenté comme une histoire vraie, on pense généralement que Murasaki Shikibu s'est inspirée de Fujiwara no Michinaga (966 - 1028) un homme d'état réputé.

Il s'agit pour beaucoup du premier roman psychologique du monde. La caractère intemporel des relations humaines y est décrit  et si les us et coutumes de la cour peuvent nous être étrangers, les vicissitudes que rencontrent les personnages sont universelles. Par bien des aspects l'œuvre est une critique incisive et complète des mœurs décadentes de la cour de Heian mais avec un regard plus introspectif  car l'auteur est elle-même un membre de la cour. Si on prend en compte la date de l'œuvre, les sujets  choisis sont très en avance sur leur temps. Il y a la femme bafouée, le mari jaloux, la courtisane, le séducteur impénitent, la fascination du pouvoir, les différentes classes sociales, l'argent.

Pour revenir à nos "Contes de pluie et de lune", Ueda AKINARI commença la rédaction de son ouvrage en 1768 et celui ci ne fut édité qu'en 1776. L'auteur peaufina à l'extrême ces contes fantastiques, ceux du recueil ne sont pas originaux. Ils appartiennent à un  thème culturel fréquent dans la littérature du XVIIIe siècle, puisant leur source parfois en Chine, connus également pour avoir été adaptés au théâtre. Si chaque récit relate la rencontre d'un homme avec le monde des spectres, chaque conte est empreint d'une atmosphère propre, où intervient aussi bien la poésie du haiku que la réflexion sur les valeurs philosophiques, humaines de l'existence. Dans le premier conte, « Shiramine », le moine Saigyo rencontre le spectre du « Second Empereur retiré », et c'est l'occasion d'un débat entre pouvoir et éthique bouddhiste. « Le Rendez-Vous aux chrysanthèmes » met en scène une expérience limite de fidélité à la parole donnée : empêché par des ennemis de se rendre à un rendez-vous avec un jeune homme qui lui a sauvé la vie, un guerrier se donne la mort afin de revenir, en fantôme, honorer le rendez-vous pris.(...) .

" Les conte de pluie et de lune" ont été adaptés au cinéma en 1953 par Kenji MIZOGUCHI (1898-1956) sous le titre "Les contes de la lune vague après la pluie".

Reférence :"Les Contes de pluie et de lune" de Ueda AKINARI  (Ugetsu-monogatari) / 1990, Gallimard/Unesco, Connaissance de l'orient, série japon. Un ouvrage fortement recommandé par la maison.