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mercredi, 28 mars 2012

Qui sont les poètes ? (re)belote

L'influence du poète ressemble souvent à celle de Chantecler dont le chant fait lever le soleil, à condition d'être chanté juste avant l'aurore.

Albert GUERARD, in "Les primaires',1937, cité dans "Le dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugements § le livre des bizarres" de Guy BECHTEL et J.-C. CARRIERE aux éditions R.Laffont, 1991.

Pour découvrir ce que racontent les poètes, vous pouvez cliquer sur l'image.pink floyd.JPG  

Le poète (ancienne orthographe : "le poëte") est celui qui dit ou écrit de la poésie. C'est donc celui qui possède l'art de combiner les mots.

Exemple :

Ogan labessé son danbo
Séban déboidur édobuie
Essé glondue débroidérie
Gonsollié rian clarido [...]

Le fin connaisseur en poètes aura bien sûr reconnu une parodie d'un poème bien connu que voilà  :

L'hiver a laissé son manteau / De vent, de froidure et de pluie / Et s'est vêtu de broderie / De soleil riant, clair et beau.

- Le poète maîtrise également l'art de combiner les sonorités

Exemple :

Damned Canuck de damned Canuck de pea soup
sainte bénite de sainte bénite de batèche
sainte bénite de vie maganée de batèche
belle grégousse de vieille réguine de batèche

[...]

Cré bataclan des misères batèche
cré maudit raque de destine batèche
raque des amanchures des parlures et des sacrures
moi le raqué de partout batèche
nous les raqués de l'histoire batèche

(extr. GASTON MIRON in "l'Homme rapaillé", Montréal, L'Hexagone, 1994)

 - Quand les sonorités se font clairement entendre le poète peut se mettre en scène il dira alors qu'il fait de la "Poésie Sonore"

Exemple  (visionnage vivement recommandé, à nous autres, les indifférents)

  - le poète a aussi le don de combiner les rythmes , 

Il connaît l'ARYTHMIE.

Exemple : Mes pieds. Merde. Quel système. Attendre l'arrêt. Ah !

Ne lâche pas son classique enfantin :  ÂNONNEMENT.

Un jjourrr surrr la pppl-a-tee-fforrmmm a-a-arri-ière dd'un a-au-autobusss...

Il sait pratiquer la RHINOLALIE OUVERTE c'est à dire que le voile de son palais (et ce n'est pas une métaphore, quoique...) est rabaissé quand il devrait être levé. Chapeau haut de forme, pour qui l'observe le poéte jauge la chose à la mesure de son esprit :

Exemple : "Guel chabeau ridigule !"

Il peut autant pratiquer la RHINOLALIE FERMEE

 Quelle heure est-il?
--- Bidi et debie.

- Le poète sait pour notre plaisir également évoquer des images:

Exemple :

Sur une branche morte
Repose un corbeau:
Soir d'automne!

BASHÔ : Haïku (traduction Karl Petit)

 - Le poète est aussi formidablement doué pour suggérer des sensations, des émotions.

A noter que notre exemple ici présente un cas particulier de poète en jupon (ou jupette), dans ce cas afin de bien marquer la différence entre le poète en pantalon bouffant ou en string moule-machins, ou pouêt pitre, en salopette, bien que souvent un poète qui se respecte honnira le port de la salopette, trop peu solennelle en cas de lecture publique, le poète peut-être en robe de bure grave christique, pour le poète ecclésiastique ou en robe de chambre pour amuser les pommes de terre, pourquoi pas en robe du soir nouveau le poète transgenre ? Hé oui, tout est permis au poète sinon c'est pas un "vrai" poète  enfin, pour désigner le poète en jupon on utilisera le terme très émouvant de poétasse poétesse.

Exemple :

Tu es, tout seul, tout mon mal et mon bien;
Avec toi tout, et sans toi je n'ai rien;
Et, n'ayant rien qui plaise à ma pensée,
De tout plaisir me trouve délaissée,
Et, pour plaisir, ennui saisir me vient,
Le regretter et pleurer me convient,
Et sur ce point entre en tel déconfort
Que mille fois je souhaite la mort.
Ainsi, ami, ton absence lointaine
Depuis deux mois me tient en cette peine,
Ne vivant pas, mais mourant d'un amour
Lequel m'occit dix mille fois le jour.
Reviens donc tôt, si tu as quelque envie
De me revoir encore un coup en vie.

Extr. LOUISE LABE  in "Élégie II" dans Anthologie poétique française, XVIe siècle 1, Paris, Garnier-Flammarion, 1965.

 - Il faut savoir que les poètes si nombreux soient ils, ont bien chacun leur genre.

Bien sûr, nous ne pourrons pas aborder tous ces genres en un seul billet mais nous y reviendrons, un certain joursans doute peut-être. (Je n'ai plus de connexion, le courrier est en rade, mes excuses aux lecteurs si je ne peux plus tenir mes promesses) donc pour patience abordons parmi ces genres classiques, le genre poème lyrique :

Exemple :

Je compose en esprit, sous les myrtes, Orphée
L'admirable!... Le feu, des cirques purs descend;
Il change le mont chauve en auguste trophée
D'où s'exhale d'un dieu l'acte retentissant.

Extr. PAUL VALERY in Album.

 - D'autres sont de style courtois (attention, digression !)
Qui dit courtois dit bien souvent que le poète cherche sa muse, ou son chat, (mais quand c'est son chat le poète sait alors redevenir comme vous et moi, un homme entre tous d'une prodigieuse simplicité et on le remerciera de rendre cela mémorable) mais un poète qui cherche son chat n'étant pas forcément un poète courtois il faudra préciser que celui qui cherche sa muse l'est toujours, qu'il la possède ou ne la trouve jamais au moins se différencie-t-il de l'homme ordinaire par ses super-pouvoirs imaginaire, tant et si bien qu'il finira par l'engendrer, sa muse, (c'est une image, bien sûr) à ce propos, prudence ! j'ouvre une innocente parenthèse pour ceux qui ne s'y connaissent pas plus en poètes que je m'y connais en moteur de voitures. warning ! le poète, peut à tout moment prendre ses aises et vous mentir en ayant l'air de dire la vérité, lisez plutôt:

J'aime Gala plus que ma mère, plus que mon père, plus que Picasso et même plus que l'argent

(S. DALI)

Dans ce cas, c'est peut-être vrai, ou faux, équivalent qu'importe, sachons que le poète a été mis au monde pour dire haut et fort et dénoncer avec éloquence toute les médiocrités humaines, rendons grâce au poète dont l'éloquence (ce qu'il faut retenir) a goût de rendre justice, dénoncera tous nos bas instincts, on le croira mais croire Dali "plus que l'argent", ça inspire certaines "méditations poétiques", pourquoi pas ? Et on serait bien bête de ne pas se laisser charmer par les mondes flottants de ce cher Phonce de Lam, (j'emprunte le sobriquet à au seul pouête grosnien connu ici, toujours ami, merci à lui !) car par les temps qui courent, une ombre de vieux chêne ça ne se refuse pas. (Un diable d'enchaînement) :

 

Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.

Cependant, s’élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs ;
Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante :
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m’attend.

 

Après ce trop court moment de grâce, pour en revenir à nos oiseaux je précise pour les moins de vingt ans qui liraient ce blog que "Gala" n'est pas ce magazine des princes et des princesse mais la brune dame que Salvador Dali (alias Avida Dollars) avait piqué à Paul Eluard, (alias Eugène Emile Paul Grindel) et là ce n'est pas un anagramme mais nous constatons contre toute attente, que le poète peut être un brin goujat comme les gens ordinaires, or, qu'il soit menteur ou goujat, contrairement aux gens ordinaires il faut savoir tout pardonner au poète car s'il mène parfois une vie de barreaux de chaise, (pas tous, il existe des poètes aux moeurs très convenables), ce sera toujours pour vous céder le testament, (non pas celui des barreaux de chaise), regardez !

 http://www.youtube.com/watch?v=-Vlkypk36qQ

A propos de la dame, Paul Eluard épousa Gala en 1917 comme chacun sait, mais le remariage de Gala avec Dali et de Eluard avec Nusch, ne dégrada pas la ferveur d'une belle correspondance entre Gala et Paul Eluard, qui dura au delà de leur séparation (en 1929 jusqu'en 1948) quatre ans avant la mort d'Eluard. Le témoignage de cette relation épistolaire se retrouve encore dans un livre étonnant qui s'intitule "Lettres à Gala".

Tout ça pour se retrouver (on ne sait pas trop comment) au Moyen-Âge et vous citer un exemple de poésie courtoise ce qui n'a strictement rien à voir avec les surréalistes mais les poètes forment une grande famille, ils n'ont qu'une terre de reconnaissance - par delà les frontières du temps qu'ils savent abolir (et hop ! voyez comme on danse !).

Ainsi, par l'exemple à venir nous n'hésiterons pas à enfourcher  chevaucher la machine à remonter le temps, (en poésie, l'impossible n'est plus un problème) pour vous proposer une poésie qui est un roman en fait, mais en vers, sacreblou ! ça ressemble à s'y méprendre à de la poésie courtoise)

Ele fu longue et gresle et droite.
De moi desarmer fu adroite;
Qu'ele le fist et bien et bel.
Puis m'afubla un cort mantel,
Ver d'escarlate peonace,
Et tuit nos guerpirent la place,
Que avuec moi ne avuec li
Ne remest nus, ce m'abeli;
Que plus n'i queroie veoir.
Et ele me mena seoir
El plus bel praelet del monde
Clos de bas mur a la reonde.
La la trovai si afeitiee,
Si bien parlant et anseigniee,
De tel sanblant et de tel estre,
Que mout m'i delitoit a estre,
245 Ne ja mes por nul estovoir
Ne m'an queïsse removoir.
Mes tant me fist la nuit de guerre
Li vavassors, qu'il me vint querre,
Quant de soper fu tans et ore.
N'i poi plus feire de demore,
Si fis lues son comandemant.
Del soper vos dirai briemant,
Qu'il fu del tot a ma devise,
Des que devant moi fu assise
La pucele qui s'i assist.

IVAIN (ou yvain) cité dans Auerbach 

 - Autre style du poète sorti d'une trempe vieille comme le monde : Le poète courageux qui n'hésitera pas à se lancer dans la poésie épique,  évoquant des événements historiques mêlés généralement à des légendes ou des héros sont magnifiés. Il s’agit en réalité d’accorder à un fait ou à un héros une grandeur, une dimension quasi surnaturelle. Sur ce coup du poème épique, entre nous, j'ai la flemme, mais je vous renverrai à ce qu'en dit Melle Chardon, poétesse au club-poésie de la Scala de Vaise, je cite :

Il ne faut pas confondre la poésie épique avec la poésie qui pique [...]

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/03/29/menage-de-printemps.html

[...] Ni avec le Merlin du picnik" :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/10/29/30...

Bon. C'est pas bien malin. J'en suis presque gênée pour cette pauvre Melle Chardon et moi-même. Enfin, pour terminer par delà soucis et controverses. Il y a tout de même une petite ombre au tableau, le destin du poète ne figurant dans aucun programme d'aucun candidat pour cette présidentielle, les arts en général paraissant de tous bords ignorés (sans jouer les martyrs), on est en droit de se demander avec quoi le poète il va pouvoir becqueter, surtout quand on voit le nombre de poètes obligés de vendre de la barbapapa à la vogue, bien qu'il n'y ait pas de sots métiers, il est grand temps d'anticiper : qu'est ce qu'on va faire de nos poètes ? Est ce qu'on les garde ? (Pour s'occuper des femmes en cas de guerre). Est ce qu'on les recycle ? (Pour animer des soirées dans des chateaux par exemple... ). Là, j'interroge nos politiques, "c'est une question de vie". (Sûr qu'ils vont prendre en compte !). Et je joins au lecteur adoré deux liens facultatifs. Rien que dans l'objectif.

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/10/30/po...

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/10/30/co...

La prochaine fois, je ne sais quand, je vous parlerai du poète dramatique, du poète spatialiste, du poète maudit, des oulipiens, des poètes lettristes, puis, si on a le temps de l'héritage des peintres... ?

Photo : Parortit sed topètes ua bani uo toiser ud trempins des opètes, sènec rera, gratiophophée nu sori à l'erheu ed l'épifitra, au Parc de la tête d'Or à Lyon.

© Frb 2012.

jeudi, 06 janvier 2011

Comme des fourmis qui n'ont rien à faire...

 Pour tout être humain, quelles que soient sa force et sa résistance, il existe ici-bas une chose unique à lui seul destinée, qui est plus forte que lui et toujours le domine, qu’il est incapable de supporter !

WITOLD GOMBROWICZ extr. "Le rat" (écrit en 1939) publié en 1933, dans la revue littéraire de Varsovie "Skamander". Publié dans le recueil de contes "Bakakaï" (1957), disponible aux éditions Gallimard (Folio) 1990.

co des fourmis.JPGNotre cercle parait sans histoire. Nous parlons grosso modo de nous et de nos sous. C'est comme un disque rayé. Nous espérions dépasser la limite, préserver la part innocente mais c'est toujours l'idiotie qui gagne. Nous voici affalés la plupart du temps, dans des bars. Les plus doués d'entre nous, écrivent encore sur les nappes, des poèmes à la noix de coco et nous, en général, on cause de nous, et de nos sous. Nous avons continué d'engranger tout en disséminant aux quatre vents nos plus somptueux avantages. Nous pourrions au moins nous coucher sur le goudron pour contempler la voie lactée. Nous restons agités, les yeux sur terre, comme des fourmis qui n'ont rien à faire. Ce qui se cache dans nos silences nous rendrait presque fous. Tous ces fils déliés d'étoiles, ça devient inhumain d'y repenser. Pour oublier, nous citons des auteurs, quelques vers de poèmes épiques, des flux de poésie apportés par les Dieux, nous en connaissons un paquet. Ca pourra durer des années. Le pire c'est la nuit, à se souvenir de ces vies que nous aurions pu vivre. Ce qu'il en reste.

Notre cercle est bancal. Nous obtenons un grand nombre de directions et nous sommes arrivés presque à destination dans ce hors-lieu entravé de calcul mental. Des divisions, des soustractions. A pinailler sur des virgules. Nous nous privons c'est ça, notre habitude. Quand nous croyons renaître, il se trouvera toujours une phrase pour gâcher tout. Notre réponse vient par réflexe mais sans ferveur. Les dits s'agrémentent de modifications mais ça dépend encore de nous : "les prix augmentent chaque jour". Ou bien : "le but c'est de joindre les deux bouts.", ou encore, "Oui, mais l'essence coûte cher, la carte grise et la vignette sans compter l'assurance... quand même !". Pour changer la conversation, desfois j'évoque des sujets différents, comme "la cuisine à l'huile de noisette" ou "le retour des pantalons à franges", histoire de détendre l'atmosphère. Au lieu d'en rire, vous pleurnichez, vous sortez vos "quand même", vous dites "C'est quand même malheureux ! avec les femmes on ne peut jamais avoir une vraie conversation intelligente", vous dites : "Les gens ne savent pas combien ils sont superficiels, ils faudrait qu'on leur dise un jour, quand même !". Pour vous, tout est superficiel. Votre lucidité monte au ciel jette sur nous le tonnerre, qui nous éclaire de "vérités", votre lucidité engloutit l'univers pour faire advenir en nous la conscience, ces menaces qui grouillent alentour et nous poussent aux regrets. Vous en voulez au monde entier comme si le monde entier se devait de souffrir à votre place. Avec vos airs tout pétris de "quand même !" qui voudraient nous apprendre à vivre. Sans chercher à savoir quelles vies nous avons traversées. Vous dites : "ce n'est pas le moment de plaisanter, nous parlons de coût de la vie, faudrait pas tout confondre, quand même !". Et vous comptez encore combien nous serons chez vous à table. Toutes ces bouches à nourrir pour une simple soirée. Dieu sait combien cela va encore vous coûter !

Notre vie est progressivement réglée par vos "quand même" qui s'offusquent à propos de tout. Nos facéties, nos jeux, vous paraissent encore trop légers au regard de ce que vous appelez "les choses essentielles", le prix de vos efforts. Votre sens du principe de réalité qui foule aux pieds nos rêves avec l'insolence d'un banquier qui considérerait ses semblables comme des produits dérivés de sa  succursale, rassemblés en petits paquets sous le terme générique de "partenaires". Vous parlez d'argent sans arrêt. Vous déplorez, l'ingratitude, l'indifférence des "gens" cette entité sournoise à laquelle il vous déplairait au plus haut point d'appartenir.

Quelquefois, je me balade avec d'autres dans mon genre au milieu de villes-champignons, on est de plus en plus nombreux, à avoir des toupies dans la tête, on erre, on se perd, on tourne comme des fourmis qui n'ont rien à faire. On contemple les nids déserts, ça procure un léger malaise que le vent d'hiver atténue. Si une ou deux fourmis osent exprimer la volonté de se remettre au travail, on les tue. La bombe anti-fourmis diffuse une senteur de violette, d'après un procédé que j'ai mis au point avec des corolles de violettes et quelques savants paresseux. Tout le monde croit que les fourmis se désintègrent, c'est faux. En réalité elles meurent petit à petit d'intoxication. C'est ni vu ni connu.

Après on rentre chez soi dans ce décor hybridé de mandalas et de nappes provençales. On reçoit des amis qui viennent chaque mercredi jouer aux dominos à la maison, et c'est à peu près tout. Parfois nous revient le goût des belles conversations. Nous répétons généralement des choses que nous pêchons dans les internettes, nous n'avons pas grande difficulté à faire croire qu'elles sont de nous. Ce qui est à nous on le précipite dans la clairette de Die Monge-Granon, les crémants dorés de la veuve Ambal. On ne fait même plus la différence entre la Clairette et le Champagne. On en est même venus à se persuader qu'entre les deux il n'y a pas de différence du tout, à part le prix. Le guacamole, on le fait soi même et vous nous offrez les sushis, on dirait pas à voir, vous dites que les sushis "quand même ! c'est très cher pour ce que c'est", vous dites que "les traiteurs se font pas mal de pognon," ça nous fait partir au Japon, ceux qui ont vu les films d'Ozu, en parlent, ceux qui ne les ont pas vus, se sentent un peu idiots. C'est toujours l'idiotie qui gagne, pas de quoi en faire un drame.

A force de faire briller toutes nos vies tous nos sous, nous sommes devenus teigneux par ce péché d'envie, de jalousie, et ces compétitions que nous apprenions dès l'école dans les classes ou pendant la récréation. Nous voudrions engranger plus de choses encore et nous manquons d'espace. Nous défendons le cercle, un lieu irrespirable. La cause est entendue, le dépassement de la vie les limites et nous même, on est dans la boîte à photos caché tout au fond d'un placard. Le passé nous prendrait dans ses flammes si nous nous souvenions un peu, de cette grande espèce de tendresse qui nous mettait du vague à l'âme, mais au prix d'une si grande faiblesse... On en parlera plus. On promet "plus jamais". Ca devient tellement sinistre toutes ces choses dont on parle sur tous ces convertibles montés en kit, qui viennent tous de la même boutique. Ces additions, ces multiplications. Comme si cette obsession de vouloir changer tout, trainait aujourd'hui un poids mort, la dépouille des grands fauves, ces doux parfums d'hier dont on ne peut plus se détacher, ce feu qui brûle sans nous dans les caves et dans les greniers.

On s'y laissera tenter. Peut être un jour, l'idée de jeter au loin ce vieux don de taxidermiste nous trouvera métamorphosés, mais ce serait une chose trop vaste, sûrement insupportable. Il faut bien constater que nous sommes devenus étriqués. Cette idée de tout dépasser pouvait déplacer les montagnes, nous en étions persuadés, on traversait la chaîne des évènements vécus ou crées sans apercevoir les obstacles. On décuplait les songes et tout devenait vrai. Une géante rouge tombait du ciel nous offrait les constellations qui amplifiaient nos chances : lueurs, parfums, messages... Nous ne pouvons pas admettre, que l'écho s'en retrouve aujourd'hui enfermé dans les cavités les plus sombres de notre mémoire telle une pâte refroidie, un trésor qu'on dilapidait sans savoir, à force de l'ignorer, qu'il faudrait finalement, un jour ou l'autre, se mettre au travail jusqu'à cotoyer l'idiotie qui gagne tout.

On repense à cela par hasard et la chose pèse plus ou moins lourd. On radoterait à la répandre. Toute cette nostalgie est déjà si prégnante qu'elle finira par nous faire honte. Il se peut qu'on en sorte de plus en plus bavards, ces milliers de conversations nous mettrons la tête dans le sable. Nous serons de plus en plus sourds. Desfois quand vous semblez navré de si mal nous comprendre, vous évoquez votre sentiment de solitudes, vous dites "mes solitudes", telles des propriétés, chacune a sa nuance que nous ne pourrions pas discerner... Et quand, enfin vous vous interessez à nous, c'est comme si vous lanciez des cailloux dans une mare, moi, j'aime bien "la mare à cailloux", dont parle souvent Marcelle Sand à moins que ce soit encore La Pinturault qui ait lu ça dans "Miroir du monde". Ca ricoche. Tout devient du pareil au même. Et puis il reste les questions que je vous pose, quand nous nous retrouvons tous les deux à faire comme si on était plus nombreux, jamais nous ne tombons d'accord pour savoir qui, de cette somme incalculable de personnes, est la plus réelle d'entre nous.  

 

 

Nota : Le titre de ce billet est inspiré par une phrase tirée du livre de John Cage "Silence" paru chez Denoël en 1970 puis 2004, dans la collection "Lettres nouvelles" (traduit par Monique Fong), un ouvrage vivement recommandé par la maison.

Photo : La marche des fourmis qui n'ont rien à faire, tag au pochoir saisi à l'arrache sur un mur la place Colbert, inspiré par Marcel Darwin et ses héritiers spirituels. Photographié à Lyon, au mois de December. © Frb 2010.