Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 01 août 2012

Volets vers...

CHAMELET : département : Rhône, code postal : 69620, population : 690 Habitants,  Altitude : 337 mètres,  superficie : 14.77 km2 ou 14, 50 (tout dépend les sources)...


chamelet gare.jpg

Chamelet-Village, ce nom résonne comme un bon cru. Les habitants y sont nommés  les Chamelois et Chameloises. C'est un lieu fortifié aux charmes qu'aucun adjectif ne saurait décrire, ce qui tombe bien parce que je n'ai rien vu et comme toujours je dirai tout, pour quelque fantaisie qui hante l'esprit du pérégrin dans ses égarements, à ce passage rapide de la correspondance en ces villes ou bourgades dont on ne parle jamais dans les livres, quand deux minutes suffisent  à rallonger le temps, pour glisser des images et un tas d'impressions plus ou moins pédagogiques. On peut lire à son rythme... je remercie vivement Michèle Pambrun d'avoir inspiré cette exploration, (certes, approximative), en m'invitant via une récente correspondance ici même, à retrouver l'oeuvre de Pierre Bayard dont un livre particulier s'accorde semble-t-il au thème de cette page ; à cette question qui obnubile également certains jours, une tentation de déplacements légèrement improbables : "Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ?".

chamelet.jpg

Ainsi, sans bouger du train bleu aux banquettes confortables, j'ai pu visiter à travers l'espace-temps, par les reflets d'une fenêtre passée dans une autre fenêtre, l'ancienne place forte des sires de Beaujeu, jadis un centre de tissage et de blanchisseries de toiles. J'ai remarqué les halles en bois du XVIème siècle et un donjon carré également du XVIem, tout cela admirable. Ensuite, je me suis dirigée jusqu'à l'ancien relais de poste puis, croisant là, le Marquis de Chalosset, il m'invita à boire un cruchon de beaujolais au Château (de Chalosset évidemment). Son cousin Gervais de Vaurion jouait là au tric-trac, comme cela est courant à Chamelet en été, (j'en profite pour vous montrer le tableau de Le Nain où le Comte Gervais de Vaurion figure avec son chapeau à plumes qu'il ne quitte jamais, bref, Monsieur le Comte me montra les vestiges du château de Vaurion, ce fût un moment agréable. Ensuite nous allâmes à l'église contempler des vitraux d'une finesse remarquable datant du XVème siècle, et dans le foin nous nous roulâmes, bénis par les ombrages d'une petite chapelle arborée. Profitant ardemment de quelques secondes encore vastes, après avoir vu la maison natale de l'illustre ingénieur hydrolicien, le Baron Gaspard de Prony, dont le nom est inscrit sur la tour Eiffel,  et dans une rue du 17 em arrondissement de Paris, je batifolais un instant avec un ou deux chamelois, chameloises entre la vigne, les pâturages et la forêt. Mais il ne fallait pas traîner, comme on dit "le train n'attend pas le nombre des années" bien que le temps échappât et que j'y fus installée, (dans le train et ce temps étrangement envolés), douillettement calée et galopant par des forces cosmiques assez inexplicables, impatiente de visiter les pierres dorées des édifices, de battre la campagne jusqu'aux coins les plus reculés de Chamelet, tout en savourant la mollesse de somnoler au frais, vautrée comme tout  passager qui se respecte les pieds posés sur la banquette d'en face. Ceux qui ont fréquenté ce genre d'expérience, sauront que deux minutes suffisent à s'abstraire totalement, pour toucher l'insoucieuse déréalité insufflée par le bruit d'une locomotive à l'arrêt. On se retrouve alors comme rien, étranger à soi-même, hors temps si loin du monde et des êtres continuent à courir dans les villes vers toutes sortes d'objectifs dont la quadrature obstinée nous paraît soudain incompréhensible. Ce n'est qu'une impression, produit trompeur de l'oisiveté qui peut parfois revêtir, (gare ! gare ! c'est un piège !) les mêmes certitudes que la vérité la plus sûre. Moralité: Méfions nous de nos impressions...

chamelet gare poème visuel.jpg

La locomotive toussotant un peu au démarrage, j'y gagnais trente secondes de vitesse hyper lente (qui n'est plus de la vitesse mais une lenteur peut-être plus rapide que la lenteur ordinaire, tout cela difficile à mesurer précisément) puis après avoir exploré de fond en comble, Chamelet, ses alentours, (sans jamais bouger de mon fauteuil, là, j'insiste) je me suis aperçue (avec stupéfaction) que ce qu'on ne mentionne jamais quand on évoque le village de Chamelet c'est le lieu fou de la maisonnette laquelle, très curieusement a pris le nom de gare. A cet endroit qui devient aussi un instant magique, on peut, durant deux minutes s'égarer et le reste s'évase. Ainsi, en contemplant ces discrets joyaux villageois par les fenêtres de la maison du chef de gare, là où s'arrête la modernité, je dus encore me réjouir d'un léger réenchantement des lieux, dans la briéveté du temps qui passe et ne passe pas, devant ces beaux lettrages rouges qu'on croyait disparus, et je vanterai en passant, les bienfaits visuels et spirituels des volets verts, ainsi que la bonté intrinséque des rideaux dits "bonne femme", que l'on glane à des prix imbattables à Lyon, chaque mardi au marché de la colline (qui travaille), on n'exaltera jamais assez l'esthétique de la bonne franquette qui adoucit les moeurs autant que les vins de l'Azergue mettent le palais en sympathie avec la terre... Malgré l'annonce des deux minutes, d'arrêt, (en fait, d'annonce il n'y a pas, c'est au voyageur de faire le calcul et comme le temps moderne est arrêté ce n'est pas mince affaire, à cette heure du départ), il faut être matheux pour demeurer d'équerre sur les rails enfumescents "que nos rêves enfumaient", c'est de L'Emile...  Paisible, je suis restée, à Chamelet, deux minutes égales à longtemps, admettons que ce soit une imitation fort bien faite de l'éternité que je pris pour la vraie, collée à toutes les fenêtres, (ubiquité oblige), sans m'y pencher bien qu'étant fort tentée comme au temps de la lison où l'on pouvait ouvrir à volonté autant que refermer ou tomber de l'autre côté, pour un instant d'inattention,  et mourir dans une cotonnade anthracite, (à lire absolument "les périls colossaux" du philosophe cascadeur, Italien E.P. Sporgersi). Ne pouvant pas entrer le corps dans Chamelet entier (certains détracteurs de Sporgersi ayant cher payé de provoquer l'auteur sur ses mouvants territoires), près de ce quai à trente secondes de ce coup de sifflet d'un chef de gare du genre homme invisible, je voyageais encore dans l'air conditionné d'un wagon de deuxième aussi frais que le petit train des gentianes et après réflexion, je décidais de vous glisser quelques images de l'atmosphère inimitable de Chamelet-gare: une fenêtre par minute...  déjà le train nous presse, mais rien ne sert de courir, en soufflant sur une plume par le vent mythomane, l'oiseau vogueur pourra conduire, éconduire le lecteur de Chamelet à Kharbine en tirant légèrement sur les rails avec ses ailes comme sur un élastique jusqu'à l'oubli certain de nos destinations.

 

 

 

 

 

Nota : Pour voir toujours plus grand, il est recommandé de cliquer sur les images. Pour le titre assez lacunaire vous pouvez complèter ...

Photos : Dans l'ombre d'un train, des fenêtres, les derniers volets vers... peut être. Quelques vues. Tout est là ou plus sûrement ailleurs...

 

Chamelet © Frb 2012

jeudi, 02 septembre 2010

September (Part II)

Si on ne cherche pas à exprimer l'inexprimable, alors rien n'est perdu. L'inexprimable est plutôt inexprimablement dans l'exprimé.

LUDWIG WITTGENSTEIN

Sept II cl.jpgIl y a des locos, des saxos, des pandas sur le parking aux alentours de la gare du Bois d'Oingt, il y a des gens âgés avec des grosses valises qui semblent attendre au bout du quai, on se demande ce qu'ils font là. Depuis que la ligne est changée, le train ne s'arrêtera désormais plus jamais au Bois d'Oingt. On voit des paraboles sur le toit des maisons, une jeune fille en jupe longue qui promène un bébé dans un landau à pois. J'apprends par une voyageuse, que le Bois d'Oingt est jumelé avec la Wallonie depuis 1968, qu'on le surnomme "village de roses" et que les habitants s'appellent les buisantins tout simplement parce qu'autrefois l'ensemble du territoire était couvert de buis, qu'il y a là bas, les vestiges d'un château construit au XIIIem siècle avec des passages voûtés, des fenêtres à meneaux. Le Bois d'Oingt sonne à mes oreilles autant que la Marie-Charlotte, une cloche comme une autre, obsolète et fêlée. La voyageuse lit à voix haute, le document qu'elle veut me montrer, je me demande à quoi ça pourrait m'avancer d'en savoir un peu plus sur les cloches obsolètes, mais j'écoute parce j'aime que des voix me bercent:

"Ce jourd’huy 31 mai 1751 a été faitte avec les cérémonies solennelles prescrites dans le rituel la bénédiction de la 4ème cloche du Bois d’Oingt pesant 8 quintaux. Cette bénédiction a été faite par moy soussigné accompagné de messires les curés de Frontenas, vicaires de Bagnols et du Bois d’Oingt."

Tu manges en vitesse une cochonnerie au Quick du coin. A 15H00, tu as rendez vous avec ton psychanalyste qui se prénomme Guillaume comme ton père. Tu auras honte de raconter à ton psychanalyste que tu n'aimes ni ta femme, ni Evelyne, que souvent tu hésites entre Ghislaine et Martine mais qu'au fond tu sais bien que la femme de ta vie sera toujours une autre que tu vénéres d'un amour impossible et qui habite Jinchang dans le Gansu au nord ouest de la Chine avec un acteur brun, ténébreux, qui te dépasse d'au moins 20 centimètres, tu sais qu'il est plus intelligent que toi, surtout, beaucoup plus drôle. Tu sais bien qu'en parler ne servira à rien, mais tu en parleras quand même parce qu'il faut bien que tu en parles à quelqu'un même si tu dois payer pour ça. Tu fumeras une cigarette juste en face d'une église, tu verras un clochard danser comme un indien autour d'un magnéto à cassettes qui diffusera tout dans l'aigu une chanson de Lucienne Delylle, tu croiseras des gamines de 15 ans fardées comme des putains, tu les suivrais volontiers jusqu'au pays des Bisounours, si tu ne craignais pas une fois de plus, de paraître ridicule, à cause de la différence d'âge. Tu penseras un peu à Evelyne qui serait plus jolie dans les robes de ta femme, tu maudiras Ghislaine de ne pas avoir les cheveux de Martine. Tu téléphoneras à Jouvenot avec ton adaptateur kit piéton que ton beau frère t'a offert, le jour de tes 45 ans. Des passants croiront que tu parles seul. Tu parles seul. Tu reliras dans le métro le rapport du vulcanologue. Tu te souviendras de ce matin du 24 Août 79, tu étais à Pompeï avec ta secrétaire, à tirer sur un joint devant des flamands roses, vous vous prépariez à fêter les Vulcanalia, organisées par le comité des fêtes de ta boîte. Mais toi, tu savais bien que le Vésuve grondait déjà depuis des mois. Et tu n'as pas osé leur dire... C'est depuis ce temps là que ton corps brûle. Tu auras mal à l'estomac à l'idée que demain, Jouvenot changera la place des bureaux du personnel désormais tu travailleras aux côtés de Chantal que tu détestes parce qu'elle a des varices et fait trop de bruit avec sa bouche quand elle mange des caramels. Tu te retrouveras à Paris, sans trop savoir pourquoi, tu croiseras Sophie K. chargée de sacs courant en direction de la gare, tu lui offriras d'aller boire un verre au bistro du Festival le Balmoral à Montréal, elle te répondra qu'elle n'a pas le temps. Elle te dira "on nous avale" avant de disparaître dans une bouche de métro.

Ici c'est presque la même chose, pas tout à fait quand même, les nuages abondants m'apportent une licorne, j'ai le Bois d'Oingt en mandala embué sur un pictogramme, le chef de gare a les yeux roux, c'est très rare et très beau. Je m'interesse à tout, à lui, à toi, aux autres. Et je suis ce que le Bois d'Oingt veut bien me montrer de lui, je le suivrai jusqu'à Poule, Poule qui est dedans ce que je veux de Poule quand je ne pense qu'à Poule. Quand je suis mal à Poule je suis bien au Bois d'Oingt. Au Bois D'Oingt je ne suis qu'un point pas plus gros qu'un mammouth. Et je prends la place qui m'appartient et je prends la parole et je prends la main d'un autre, et quand je lui dis, à lui, qu'il n'est pas plus gros qu'un mammouth, il sourit et il doute, quand il doute, je doute aussi, plus on est de points et plus on retrécit, puis à la fin, ce sont les jours, les mois, c'est tout qui rétrécit. Des montagnes accouchent ma souris. Septembre vient, Novembre demain... Ce train s'arrêtera définitivement à Tours. Nous sommes 24 mammouths à descendre avant Tours, avec nos cils fragiles, nos paupières qui bougent, et nos groins cuits par le plein soleil des Issambres, 24 mammouths avec un grain qui descendent en riant d'un train. Septembre vient. On me le dit à Poule. Après des mois d'absence, je suis devenue, rien. Si je me tais, personne ne le remarquera. Septembre vient, je ne suis pas rien. Pas peu rien, ni moins bien que personne. Si j'essaie de le dire, on ne l'entendra pas. En Septembre tous se rentrent, et chacun voudrait devenir mieux que ce qu'il était en Aôut. Rien ne tient. Jamais, personne ne saura désirer se donner les moyens d'éprouver je ne sais quoi...

Des mécaniques t'enjôlent, tu marches à côté de la route qui semble plus enchantée quand tu t'allonges à l'ombre de tes arbres préférés, les feuilles volent, te recouvrent, les serpents muent, les papillons, les champignons, sont tout ce qui reste à présent. Tu as sous la peau une géante bleue de type spectral O ou B invisible à l'oeil nu, et tu t'émeus de la fierté mélancolique qu'il y aurait à s'extraire de la superficie des mondes, à s'ouvrager dans les sonnets d'un élégiaque assourdi par le son des rails.

Sois - et sache à la fois la condition qu'est le non-être,
l'infini fondement qu'il est de ta ferveur vibrante,
et donne à celle-ci, unique fois, pleine existence.

A la nature, utilisée ou bien dormante et muette,
à cette ample réserve, à cette inexprimable somme,
ajoute-toi en joie et ne fais qu'un néant du nombre.

(A SUIVRE... ICI...)

Photo: Wagon abandonné (de la célèbre "Agence-engins" qui eût son heure de gloire dans les années 60). photographié dans une prairie bordant les rails, quelquepart (ou peut-être justement nulle part ?) entre la gare du Bois d'Oingt et celle de Poule les Echarmeaux. Par la vitre du toujours même, indémodable 16846 en provenance de Lyon. Septembre 2010.© Frb.