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mercredi, 01 décembre 2010

Sur le banc de neige

Viens
allons voir la neige
jusqu’à nous ensevelir !

BASHÔ, extr: "Haïku. Anthologie du poème court japonais",
Gallimard, 2002.

Si ce banc vous déplaît en cliquant sur l'image, vous gagnerez sûrement un autre banc. banc de neige647 b.jpg

 Sur le banc de neige je me suis allongée ce matin pour y dormir jusqu'au lendemain. Le banc avait des airs d'ermitage alcestien, quand je m'y suis réveillée, le froid m'engourdissait les mains alors j'ai pris la position du penseur (de Rodin), pour penser à des tas de trucs, à tout un tas de machins. Sur le banc de neige j'ai pensé...

Aux journées à la mer, au bord des lacs et des rivières, aux trouées du vieux Blaise sur des feuilles luisantes et caoutchoutées, j'ai pensé qu'on pourrait monter la route en lacets sur des bottes luisantes et caoutchoutées, j'ai pensé aux tours carrées des villes qui vues de loin paraissent rondes, j'ai pensé que nous regardons les jours diminuer tandis que les nuits deviennent longues, j'ai pensé à ces hommes célèbres qui ne sont pas encore nés, à ces talents ignorés, cette multitude d'artistes pourtant doués qui mourront sans avoir connu un quart d'heure de célébrité, j'ai pensé aux ateliers culinaires de Jean Luc Rabanel, sur le banc de neige, j'ai pensé aux îles flottantes, aux dé-collages d'Asger Jorn, à la taille prodigieuse d'une force dépassant tout ce qu'on peut imaginer, j'ai pensé à Ariane dans l'île de Naxos, gémissant sur l'abandon et l'ingratitude de Thésée, j'ai pensé à la vérité du monde qui n'est pas notre vérité, sur le banc de neige j'ai pensé...

Aux rochers suspendus au dessus de la mer éternellement rongés par le sel de ses eaux, aux corps qui ne semblent pas connaître l'érosion, aux âmes sans agitations, aux esprits qui renversent tout à la moindre contrariété, sur le banc de neige j'ai pensé à la porte de Saint Ouen, au prince de Monaco, et au Panathénées. J'ai pensé aux machines à polir et culotter les grains de cafés, au grallator, au térébinthe, sur le banc de neige j'ai pensé au visage de ce nègre qu'on crût longtemps barbouillé d'encre et aux joues gonflées du père Louis faisant corps avec sa trompette. J'ai pensé aux amants qui n'auront le droit de s'épouser qu'en 2797, au tracé rectiligne qui coupe la forêt Morand jusqu'à ces feuilles géantes qu'on espérait de bananier mais qui portent un nom trop savant pour un effet assez médiocre,  j'ai pensé au lac de Saint Point envahi par les crustacés, au grallator fuyant le térébinthe. Sur le banc de neige j'ai pensé que l'on fondrait peut être à la place de la neige si on avait la certitude qu'elle ne fonde plus jamais, j'ai pensé aux amis malheureux qui cherchent à tout se dire, et ne trouvent pas moyen. J'ai pensé à "l'heure bleue", à "la petite robe noire" de Delphine Jelk, à ces notes de coeur citronnées, de tête au macaron framboise, à cette note de fond au thé fumé, j'ai pensé  à des volets qui s'ouvrent, dans une auberge de Méditerranée avec vue imprenable sur un verger d'agrumes,  j'ai pensé aux formules poétiques courtes mais de grande densité, à l'interminable haiku d'ISSA :

Être là,
tout simplement,
au milieu de la neige qui tombe.

Aux questions imprudentes de SHIKI (Masaoka)

Il y a bien longtemps,
je l'interrogeais sur
la profondeur sans fond de la neige.

Sur le banc de neige, j'ai pensé aux diverses déformations de la volonté jusqu'à l'exaltation ou l'excentricité puis à toutes les craintes qu'elles inspirent, j'ai pensé aux éternels hivers d'hyperborée, à l'humidité qui attaque le bas des murs, aux moisissures qui se glissent entre les poils d'un col de ragondin, et aux paupières tristes comme des pétales fanés de ceux qui ne savent pas où aller. Sur le banc de neige j'ai pensé qu'au lieu de penser sur un banc on pourrait tout autant penser la même chose sur une luge, qu'il suffirait peut être de décoller le banc et puis le bricoler de façon à le rendre plus mobile. J'ai pensé que ce banc ne serait beau que blanc, qu'il nous le faudrait blanc tout le temps mais que ce serait absurde de peindre la neige en blanc du fait qu'on aurait peine à trouver le même blanc et qu'il serait d'ores et déjà vain de s'évertuer à chercher un rendu plus fondant. Sur le banc de neige j'ai pensé qu'on penserait peut être différemment si l'on était bercé par les jeux vocaux des inuits, qui battraient la mesure en tapant sur le banc, mais ça n'empêcherait pas de penser aux mêmes trucs, et aux mêmes tas de machins, et que, moralité:  il n'est pas possible de battre le banc sans abîmer la neige. Sur le banc de neige j'ai pensé.

 

INUIT- Throat-Singing

 



podcast

 

Photo : Le banc de neige, longeant les berges du Rhône quelquepart entre le pont De Lattre de Tassigny et le Parc de la Tête d'Or à Lyon. Photographié dans les premières et volumineuses neiges du premier jour de December.© Frb 2010.

Commentaires

Nous avons un peu près les mêmes en ce moment dans nôtre parc... Belle journée;

Écrit par : patriarch | dimanche, 05 décembre 2010

Très alcestien, ces "amis malheureux qui cherchent à tout se dire, et ne trouvent pas moyen". Contrairement au banc de Saint-Germain au Mt d'Or, qui, lui, ne garde pas trace du passage des gens, celui-ci, enneigé, a gardé trace de l'extrême légèreté de votre passage. C'est fort joli.

Écrit par : solko | dimanche, 05 décembre 2010

@Patriarch : "Votre parc" ...Ces deux mots c'est déjà comme une chanson de Gabriel Fauré. C'est beau, toute cette neige d'un coup, non ? Excellente journée à vous, soyez prudent, tout de même ! ;-)

Écrit par : Frasby | dimanche, 05 décembre 2010

@Solko : Vos pas,ici, laissent une empreinte précieuse comme le très léger passage du chat "qui s'en va tout seul" ... Croyez bien qu'il n'est pas dans mes projets de mettre ce
bel Alceste à contribution de tous les bellits de geine, mais en vrai, les pays de neige ont des silences si alcestiens, et des déserts consentis ou involontaires, aussi précieux qui lui vont tellement bien ! des airs de paradis anciens qui nous égarent un peu... Dans la vivraie, l'endroit immaculé comme au premier jour d'un pays perdu et ce petit banc (ce petit blanc) mis au secret m'ont fait penser à Alceste, evidemment ! et au chat qui s'en va tout seul, à ce(s) ("nos") cher(s) Cendrars, et à quelques uns de leurs amis offrant sans petits calculs des convivialités aussi profondes, que pourraient être leurs secrets. La neige est blanche, légère, d'un blanc "inavouable", ( li n'ay sap uqe le sigr:), rien à voir avec la poudreuse qui, on l'ignore est assez noire dedans. Merci pour cette jolie visite...

Écrit par : Frasby | dimanche, 05 décembre 2010

Sur le banc de neige j'ai pensé.

et la neige n'a pas fondu ? faut-il en conclure que "penser" ne dégage aucune énergie calorifique ? alors pourquoi dit on "t'as la tête qui fume!" quand quelqu'un pense trop ? ou p'têtre bien que "penser" ne dégage pas de chaleur ni de CO2 dans l'espace extérieur ? "penser" ne réchauffe donc pas la Blanète ! pensons donc ! pensons ! (sans payer de taxe carbone )

Écrit par : hozan kebo | dimanche, 05 décembre 2010

@Hozan Kebo : eh non, la neige n'a pas fondu. Peut être que c'était une pensée froide ? Allez donc savoir ... Et puis il faut être plusieurs pour que se dégage une énergie dite calorifique, sinon la tête ne fume pas assez et le penseur fume trop et les cigarettes ça réchauffe pas une ville quoique... Ca pouvait chauffer des bistroquets des bistroquettes, mais tout ça c'est fini ! terminé l'énergie calorifique, fini ! plus de CO2 dans les espaces, interdit ! mais c'est bon pour la blanète, le réchauffement climatique est stabilisé, tant qu'on sera raisonnable, et qu'on ne chauffera pas les esprits avec des pensées explosives, avec la pensée explosive autant vous dire que ça va chauffer, surchauffer même la taxe carbone boum ! elle volera en éclats, c'est quoi la taxe carbone ? Qui a inventé ça ? :) Est ce encore un bignouf du grelan de l'environelle ?

Écrit par : Frasby | dimanche, 05 décembre 2010

Merci pour ce billet et pour ces beaux bancs. J'ai beaucoup aimé les commentaires de Solko et Hozan Kebo. J'aime les salutations fidèles de Patriarch. Ce sont les quelques mots que j'avais à dire ici. Cela ne valait pas une trace sur la neige. Mais la tendresse, pas plus que la pensée, ne pollue pas je pense.

Écrit par : Marc | lundi, 06 décembre 2010

@Marc : Une intervention qui vaut plus que des traces sur la neige à mon sens, je douterai de beaucoup de choses encore mais pas de cela, et une douceur rare sur le web (rare et chère)
c'est étrange, j'ai répondu à ce message hier et il s'est perdu quelque part comme se sont perdus récemment, les interventions douces de notre ami Jean. J'aime bien evidemment beaucoup les commentaires de Solko et d'Hozan, ici la belle présence de Patriarch, tout au fait des saisons et la votre, votre attention, plus que cela : une écoute...
Qui pourrait parler à propos de "polluer", ah ça, non ! (ou comme dirait Solko et ses amis : "Non de non !":)

Écrit par : Frasby | lundi, 06 décembre 2010

Ouf ! Ces deux négations... Je voulais simplement dire que je pense que la tendresse ne pollue pas plus que la pensée. Clair pour qui a lu le commentaire de H.K. Ici, la neige en décembre est rarement un événement.

Écrit par : Marc | lundi, 06 décembre 2010

@Marc : Je rêve d'un pays où la neige serait rarement un évènement alors peut être que cette notion de chaleur humaine, nous viendrait tout comme à vous et à HK , si évidente ...
(On devrait pouvoir le dire plus élégamment mais bon, je suis sûre que vous me comprendrez... :)

Écrit par : Frasby | lundi, 06 décembre 2010

J'ai passé tout le temps de ce billet à lire et relire votre poème, à regarder le banc de neige, et à me répéter ces mots : "sur le banc de neige".

Rien d'autre, et c'est Pessoa (lu aujourd'hui sur le billet suivant) qui vient de me dire comment je devais vous dire ça.

Écrit par : Michèle | mardi, 07 décembre 2010

@Michèle : Mais je crois qu'il n'y a "rien d'autre" que le banc de neige et des contrastes qui ont encore des liens serrés (les uns contre les autres) d'un billet à un autre, mine de rien. Décidément votre façon de regarder la neige m'épate assez :)
(mes patassées dans la neige, par vos pensées, c'est agréable :)

Écrit par : Frasby | mardi, 07 décembre 2010

je me sens un peu lyonnaise ce soir, en tout cas en phase !!vous verrez...

Écrit par : catherine L | mercredi, 08 décembre 2010

@catherine L : J'ai vu ! c'est magnifique ! (je cache ma joie !), et j' encourage vivement le visiteur qui passerait par ici de faire un petit tour par chez vous, bravo ! votre balade est belle !
Ce soir à lyon c'est plus la même histoire: "fête des lumières" les gens sont presque en maillots de bains sous les feux d'artifice et les néons bobos. Bon... En maillots de bain , j'exagère ! tout a fondu si vite. tristesse ! il n'y a que neige qui m'aille, il
va falloir que je déménage au plus vite par chez vous :)

Écrit par : Frasby | jeudi, 09 décembre 2010

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