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mercredi, 20 février 2013

Déboussoler

Ce n'est pas aux battements de son coeur que l'on juge de l'état d'une société, mais à son pas.

R. MURRAY SCHAFER in "Le paysage sonore", éditions J.C. Lattès, 1979, réédité en 2010 aux éditions Wildproject - collection "Domaines sauvages", préfacé par L.Dandrel et J.C. Risset.

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L'hiver trainait encore baladant ses ombrages, dans les salons chauffés. La foule s'exposait à la foule, la foule sortait du froid. Tout encore plus compact passait entre des portes. Tirer, pousser, monter, payer, descendre, remonter, rentrer. Nous avons fait mine de ne pas retenir ce que racontaient les journaux, ces titres dont nous parlions: la dèche et de toutes parts la dépression :

MARSEILLE. Une bouteille de gaz explose devant un restaurant

LISIEUX. Une élève de 15 ans accouche dans les toilettes du lycée

METZ. La policière avait équipé le commissariat avec une TV volée

NANTES. Il s'immole devant pôle-Emploi

Nous sommes devenus plus légers à force d'être assiégés, portés par l'affluence, et pour des histoires à venir autant d'oublis passés, à ces lueurs présentes encore l'oubli partout:

PERIGUEUX. Il vole des bonbons : 1 an de prison

LYON. Pour ne pas dormir dans la rue, une quinquagénaire handicapée, se fait condamner

ALES. le professeur volait ses élèves

etc... etc... etc...

Nous avons jeté les journaux par dessus bord, nous avons fait escale près du parc, nous avons laissé les voix dérouler quantité de paroles dont chaque émission semblait se dissoudre aussi vite, entrer dans un tissu de bruits, au passage des camions, crépitement des places, musiques électro-pop, batteries de guerres, faits divers, tranchées, oppressions, brèves saillies, mauvaises langues... Tant de bruit, raz de marées, ruts, et fuites, tant de claques, et si peu de nous préservé, nos enthousiasmes s'épuisent sur l'information scandaleuse, écrasant à mesure le peu de connaissances, et cette intimité dévoyée dans les pages, harassant un instant le vide sur les beats hypnotiques, le temps mène des troupeaux fragiles, la neige urbaine se transforme vite en boue, et cette crasse, cette drôle de crasse en nous, baladée devant les instituts de beauté. Tous les coeurs semblent à bout.

Le paysage Lo-fi qui nous entoure n'ayant jamais connu la perspective, sans doute, avons-nous depuis longtemps cédé la partition à cette musique de fond compressant les courbes dynamiques, nos pas flanchent derrière nous. La cible a calibré d'avance notre goût, nous l'avions ressenti bien avant que la rue nous pare de thermostats d'ambiance. Un défilement calme et logique prévoit l'imprévisible, nous pourrions adapter nos esprits à la dèche et à la dépression, les murs agrémentés de caméras "vidéo-surveillance", d'écrans plasma, de la musique partout, des musak nostalgiques veloutent le présent, tout allant dans le bon sens, nous admettons que cela peut servir un certain équilibre. Nul ne pourrait saisir à ce jour, le point de mire, le prix réel, les conséquences. Nos singularités peu à peu se réduisent à ces paysages uniformes. Nous avons l'air d'être là, nous formons peut-être un amas comme ces étoiles jeunes nées dans un même nuage moléculaire, qui commencent à s'éloigner progressivement les unes des autres.

Nous abordons des pistes indéchiffrables, l'esprit dans l'espace, le corps sans territoire nous goûtons simplement aux plaisirs de dilapider, la crise dans la nappe musicale peu à peu s'apprivoise, L'inanité creuse en nous docilement le manque et le besoin d'aimer. Nous tuons le temps. Nous posons nos paquets, puis ces corps qui ne semblent plus à nous et le plus tranquillement du monde, nous écoutons sous nos pieds, les tapis roulants ronronner jusqu'aux prochaines gares.

  

Photo : Fin d'hiver à pas frileux, dans une rue presque atonale au nom classique dite: "rue de la République" réduite à cet inexorable fait, la compression (ou peut-être, une idée mutilée), le ton restera atonal, un nom plus cool s'ajustera à la modernité nous dirons simplement (ou homophoniquement la ferons ouliper) mais abréger à l'ordinaire, nous dirons : "rue de la Ré".

 

Lyon © Frb 2012/13

04:09 | Lien permanent

lundi, 29 juin 2009

La pantoufle d'été

"On ne peut poser les pieds sur le sol tant qu'on n'a pas touché le ciel"

PAUL AUSTER. Extr. "Moon Palace". Editions: le livre de poche. 1995.

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Et pourtant y'en a qui se gênent pas, je veux dire que le souci du ciel en été, pour nous, humains pas surdoués, s'arrête à la question : "est ce qu'il fera beau demain ?". Et la pythie, Evelyne DHELIA, (adorable!), arrive avec son rouge à lèvres nacré et son sourire qui ne vieillit pas, +  50 soleils numériques étalés sur la carte de France, parfois dotés eux mêmes d'un autre grand sourire comme ceux des smiles de nos machines à bredins. Alors on peut suivre le bras d'Evelyne qui va et vient d'Est en Ouest, du Sud au Nord, sur cet hexagone animé par de gros ronds jaunes pétants d'une santé exubérante et de promesses (affreuses), de bonheur ! (quelle horreur), qu'on nous annonce pour toute la semaine. Du soleil mes amis ! 31° à  Paris, (Evelyne sourit un brin), 35° à Nîmes ! (Evelyne en vacille pudiquement avant de nous livrer la cerise, l'inattendu, "notre" cadeau) : 37° à Lyon !!! (Evelyne radieuse, minaude, expose sa conclusion en un savant déhanché rythmé avec la jupe, dont elle seule a le secret). Et c'est ainsi qu'on nous invite à toucher le ciel.

C'est là aussi, en filature rapprochée (de la tong), toujours rue de la République à Lyon, que je croisai Paul AUSTER avec sa belle gueule d'enterrement, (dans ma bouche c'est un compliment). "Toucher le ciel" qu'il écrivait...

Je trottais donc, derrière les souliers hors saison de l'écrivain, une paire sombre, en cuir noir, aux contreforts doublés vachette. (Puisse le lecteur me pardonner cette digression, d'un court instant, je sais qu'Evelyne DHELIAT c'est très interessant mais Paul AUSTER, il a sorti un livre quand même... !). Donc Paul AUSTER laissa tomber (incidemment), non, pas Evelyne DHELIAT ! (suivez un peu !), mais ce fameux livre que je ramassais aussitôt, à cause du titre très beau, un vrai titre d'hiver. Rien qu'à le lire, on grelottait : "Seul dans le noir" que ça s'appellait. On pourrait croire à première vue, que ce serait l'histoire d'un petit garçon qui va se coucher la nuit avec un couteau de cuisine caché dans sa culotte de pyjama... Mais pas du tout. Du no tong certes, tout en no bermuda. De quoi s'extraire discrètement des flots palavassiens pour aller boire un bouillon substantiel, là bas, en Amérique :

"Owen Brick se réveille un matin dans un trou, un cercle parfait profond de trois mètres environ. Des parois lisses, dures comme la pierre... Une tombe ouverte dont on ne peut s'extraire"...

Voilà qui nous rapproche un peu de la vie sur terre et son pralin d'humanité, (jamais très loin du ciel en vérité)... Du coup on ne sait plus trop où est le vrai ciel. Mais ce n'est pas ce que vous croyez, pas tout à fait... Je veux dire que le livre de Paul AUSTER, ce n'est pas "la Métamorphose, le retour II", bien que KAFKA ne soit pas si étranger à AUSTER, (nous reviendrons peut-être sur ce sujet, un certain jour) :

"En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un dos aussi dur qu'une carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé, brun, cloisonné par des arceaux plus rigides, son abdomen sur le haut duquel la couverture, prête à glisser tout à fait, ne tenait plus qu'à peine."

Vous voilà donc bien renseignés quant à "seul dans le noir". (Je ne peux pas vous en dire plus, vu que je n'ai lu que le titre ah ! ah !), "j'ai parcouru ce livre" comme ils disent à la télé, et l'on imagine bien d'ici le bon lecteur sur ses deux radeaux plastifiés marcher entre les lignes, enjamber les chapitres, et vaciller dans le courant en cherchant à tâtons la poire de la lampe de chevet). Si ce grand vide, cet aveu d'ignorance vous chagrinait vraiment, je peux être intarissable comme tout le monde, (disons, pas mal de gens), voire dindonner, en veux-tu, en-voilà, sur tout un tas de sujets dont je n'ai entendu parler qu'une fois à la télé ... Mais "Seul dans le noir", comme toute oeuvre de Paul AUSTER, même lue, relue, analysée, me paraîtrait de toute façon bien impossible à résumer.

Comme le dit courtoisement Monsieur AUSTER, au cours d'un entretien à propos de son livre :

"Mais le livre lui même (...) y'a beaucoup de choses là dedans".

Allez donc ouïr cet entretien, au lieu de me lire bêtement. (Avertissement, soyez patient, il faut subir une indigeste pub avant, mais c'est le prix à payer hélas ! pour entendre par la suite des choses graves et intelligentes) :

http://www.dailymotion.com/video/x82mgl_paul-auster-sur-r...

Pendant ce temps là, à quelques heures de mon pays, je vois près du bar "Les flots bleus", des vacanciers assis dans leurs serviettes éponge, chauds comme des bonobos. Ils ont déballé fébrilement, sur 2m² de sable fin, le tupperware, la glacière, l'huile solaire, les mots flêchés.

Plus loin sous le parasol, un oxymore : un peu de sang humain s'enfonce doucement dans le sable. C'est comme ça, qu'on touche le ciel, ici bas.

Le soleil brille. Un frisbie vole au dessus de nos têtes. Le sable est couleur chair. Quelqu'un me dit que ça pourrait ne pas être un frisbie... Qui croire ?

Ici, à Lyon les rêvetements de sol s'épuisent sous des petits pas spongieux (schplock schplock schplock), l'orteil gros, bien à l'aise, un pied pose une large semelle en osmose avec l'univers. Monsieur Paul m'a semée rue Terme exactement. Je me glisse dans le pas japonais d'une tong ambidextre. Devant moi la personne dont je ne connaitrais jamais le visage, semble soudain n'avoir ni pied gauche ni pied droit. Et c'est comme si, imperceptiblement l'univers tout entier penchait. Jusqu'à en perdre l'équilibre.

Photo : Filature rapprochée rue de la République. Les pantoufles d'été (dites encore "strings d'été"), étendent leur règne de plastique et de pvc. En attendant demain, l'été prochain, on voudra tous avoir les CROCS ! (Merci la Bacchante !). Comme quoi ! Le monde peut encore être mille fois plus laid. Il suffit d'un peu d'imagination... Enfin, déjà, des tongs rue la Ré, c'est bien laid. Mais on dirait que plus c'est laid, plus ça marche (si j'ose dire). Vu à Lyon, au début de l'été 2009. © Frb.