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samedi, 22 octobre 2011

Remuer encore

le montreur de singes
repasse la petite veste
avec la mailloche de foulage

MATSUO BASHÔ

sanglots longs.JPG

Plus ennuyeux que la feuille morte, il y a la feuille de route, déclinant des sonnets plus ennuyeux que les  jours sur la fin, plus avides que le vieux vieillissant, mordu de ses collectionnites, fourbu d'excommunions au nom du merveilleux.

Plus ennuyeux que la feuille morte, il y a l'expression morne de Joachim et son regard d'antan qui pèse sur le mur d'un salon éteignant celui des ancêtres, et fidèle au démon qui parle avec son guide il y a la tête d'un chien sur un calendrier de cuisine, ou devant des chaises de jardin dans une roseraie privée de roses, ce désabusement, un peu de mépris à sa suite, des nouvelles images de l'Egypte à l'index des magazines, l'enfant de Champollion, qui voulant découvrir l'origine de la pépinière retrouve un palimpseste en caressant sans y penser des bourrelets sur une rampe d'escalier.

Plus ennuyeuse que la feuille morte il y a la parole assurée qui s'en va dans le monde, le bon sens, votre guide, qui s'accorde, on le dit, avec les thèmes astraux, toutes ces choses qu'on lit dans le ciel, tôt dévorées, plus mortes que la veille, pour les durs de la feuille, la joie bue par les pluies, des nervures craquant sous nos pas l'écrin fauve d'une châtaigne, il y a une girouette dans ce vide, roulant sur le toit des églises, une crête de coq...

Plus rituelle que la feuille morte, cette girouette qui tourne de plus en plus vite, nous parle sans un son, ce silence nous rentre dans la tête juste à l'heure des infos, nous écouterons comme autrefois, l'unique glas de cette cloche appelée la Marie Charlotte, harcelant le souvenir d'une marquise qui s'ennuyait sec au château rêvant de soupirs dans les bras d'un Marquis du genre "de Carabas", il y a aussi les yeux du chat du café des artistes, les paniers de pommes dégorgeant le poison de la sorcière, une goule dans la forêt de Zil empaillant des effraies pour les clouer contre ta porte.

 

 

 

Plus ennuyeuse que la feuille morte, il y a les facéties du singe grignotant un clavier en forme de poires, le dernier sarment de la vigne, la première gorgée de Bronchokod (au caramel pour nos crèves ventriloques) et toute la nausée qui nous vient de ce qui colle, se décolle, nous précède, ainsi, jusqu'à la fin, on croira, à la traversée : des citadelles reprises, l'inquiétude, les regrets de celui qui se plaint, et ses débris s'en vont sous les brouillards un peu le reconstruire, il y a cette main qui cueille dans un gant de crin la crasse d'un corps revenu de l'été  et l'autre qui frotte ses pieds sur la coupe en brosse écrasée, par les pieds écrasés d'un paillasson retors et ça fait "scrtchhh scrtchhh scrttchhh" comme les hérissons qui se noient dans l'alcool, comme les paillassons tout imbibés de gnôle à l'auberge triste d'Apo, où pas très loin, encore dans les jardins du Luxembourg des jeunes mères promèneront toujours les bébés autour du même bassin, elles écoutent déjà le dernier chant d'oiseaux, bercé des caravelles...

Aussi doux que la feuille morte balayée par les flots, les glouglous d'une fontaine, tirant une langue de vipère au milieu d'une gueule de lion rampant armé, lampassé d'argent au chef d'azur chargé de trois fleurs de lys d'or massif. (C'est peut être un peu trop ? Mais non ! il en faut de l'abondance avant les privations, et tremper dans les flammes son Larousse, "en temps de crise et d'hibernation c'est la moindre des choses" (m'a dit, l'hermine, on est copine) en attendant la Saint Martin, (11 Novembre). Le retour de l'été, (sourire du lecteur adoré) vous rigolez ? A moins de s'accrocher au brin,  je cite un proverbe berrichon :

L'été de la saint-Martin, dure trois jours et un brin.

Aussi douce, il y a cette pluie qui reprend aujourd'hui ce qu'on nous a donné la veille, les courses folles jusqu'à la bétaillère, les cailloux d'un ciel gris, plus gris que le fog de John Donne, par ce vent qui retient la vigueur et rentre par les terres gifler les bouquets des fleuristes, renverse les rangées, alignées, des glaiëuls, mornes fleurs, il y a le chien qui pisse sur ton vieux réverbère, le vent entre les chrysanthèmes, florilèges de la mort, ou prestige des défunts, il y a ce vieux qui rit entre les tombes, fin Octobre plus tranquille et...

Pareille à la feuille, il y a l'affliction qu'on jurerait fondue au blanc par Bolos de Mendès (pourquoi pas ?) qui remue comme avant, ciel et terre s'inspirant D'Ostanès (on le dit), au temps des grands colloques, une tonalité générale qui n'est pas tombée de la dernière pluie, datée disons d'environ cinq mille ans avant la chute de Troie, et nous vient (Bioman l'ignore), de la virilité des mages :

"La nature se plaît dans la nature, la nature triomphe de la nature, la nature domine la nature". 

Toutes ces certitudes en commun, si solitaires, solidaires par chagrin, on le sait, désormais, c'est la fin, le début des feuilles c'est la fin, sous ce pas qui les foule, il y a la rigueur, il y aura la levée des corps jetant les vivants hors des lieux, le présent hors du monde, et des hommes et des femmes qui pleurent devant des lits défaits, par la peur que l'hiver les sépare et vite ! il y aura l'amour, les mots d'amour, toujours encore, qui nous sauvent puis se perdent à nouveau, ça nous vient de si loin ces fadaises sous les arbres, dans les fusées qui montent, par quels déréglements ? Continuent de monter plus haut, demain on les verra distinctement tomber sur le marbre piqueté de grains roses, ce souffle qu'on déporte et des jours et des jours à se remémorrer, comme les étés heureux, jamais aussi heureux, qu'on le raconte, en vérité.

Plus ennuyeuse, il y la mémoire qui déforme à mesure le récit de nos aventures et d'étranges marelles épuisant dans un rêve les émois et la chair - au foyer, on s'assèche - il y a la porte en bois qui gonfle avec l'humidité, ne se referme pas et cette crécerelle qui hante chaque matin troublant la sérénité nécessaire au petit déjeûner :

-  Mais quand donc appeleras tu enfin le menuisier ? Attends-tu qu'il gèle ou qu'il neige ?

Plus ennuyeuses que la feuille morte, il y a les traditions toujours les mêmes, des rites ou des fictions, les courges imbéciles qui s'en vont à la fête, moins ennuyeux, on trouvera des traités sur les animaux, l'araignée au plafond et des frelons discrets dans la robe de St Emilion ; chaque jour l'indécis se replie sur la veille, et le mal en patience etc... Poursuivons.

Plus ennuyeux que la feuille morte, il y a le poéte accablé du regret de n'avoir pas planté un arbre devant la librairie, il y a la providence qui meurt dans un boulet, rond comme ces lunes siphonnant la rivière, chaque année, elles reviennent grossir le fleuve, déposent la lumière sur des ponts, en dessous de l'eau,  la liqueur de guigne à tes pieds, aux derniers points de vie quand la source est tarie, que la feuille d'automne, dit et redit qu'il n'y aura plus de fruits, pas avant des mois et des mois, après quoi l'animal plus triste, imagine les positions de la petite, de la grande mort et nous voilà...

Plus versatiles que la feuille morte, hébétés devant la facticité de notre art, déployant des panaches qui flambloient (purs trésors) sous les branches, juste là où l'image de la satiété s'arrête, juste une image entre les pierres, ou le visage strié d'éclairs d'un soldat inconnu en habit vert, nous toiserait comme à la guerre, les mains tremblantes, le regard fier, sous sa tenue de camouflage, tout un paquet de nerfs à vif, luttant contre le froid qui bientôt heurtera la pression mise à l'heure d'hiver.

Moins monotone que la feuille d'automne, un brin d'été en demi manteau de laine vierge, avec un demi col en poils de demi-ragondin annonçant l'été de la St Martin, chuchoterait à ton oreille : "ne meurs pas, pas encore, pas avant de connaître la suite"...

Photo : De quoi donner envie de remuer toujours et encore (en attendant la suite). Ici, les facéties des feuilles mortes n'en sont qu'à leurs balbutiements. Photographiées dans une rue, j'ai oublié son nom, quelque part (à la Croix Rousse ! bien sûr !) à Lyon, fin Octobre, de cette année là.

© Frb 2011

Commentaires

je me fais des journées entières de momiji avant qu'elles ne tombent ou ne soient aspirées quelle horreur!!! par un engin monstrueux piloté par ceux qu'on appelle chez moi la" brigade des feuilles "....
que j'aime cette saison !!ah j'oubliais j'ai succombé à halloween mais on ne voit pas que des horreurs un soir comme celui là!!!

Écrit par : catherine L | lundi, 31 octobre 2011

@catherine L : Momiji c'est extra, (j'espère juste que ce mot magnifique préservera quelques secrets, qu'on n'ira pas trop le "tatamiser" comme ces feuilles aspirées, ici, on les entasse et on les enferme dans un sac écolo aux nom prestigieux du Grand Lyon), "la brigade des feuilles" ! je ne sais pas si on a, mais c'est moche, encore une invention de l'autre (ou de ses ministres ?), alors qu'on (enfin, moi :) rêverait d'une ville où les habitants ralentis par les feuilles, se déplaceraient comme dans la neige. Vous aimez donc l'été et l'automne, si j'ai bien compris,mais je tiens à bien préciser que quand j'écris "les courges vont à la fête", je parle des vraies courges, des citrouilles et sûrement pas des gens (ni des femmes) qui célèbrent Halloween, c'est une fête que je n'aime pas parce que je trouve qu'elle est partie d'un prétexte commercial, cette popularité a aussi grossi grâce à France télécom (lançant orange et son modèle de phone baptisé "Olaween") tout ce mercantilisme (Eurodisney, Mc Do etc) ont un peu zappé le lien de Halloween avec notre propre histoire, en France on l'appelerait et ce serait plus joli (sans faire mon anti-saxonne primaire) "La nuit des betteraves grimaçantes" et ça reviendrait de Lorraine, (du pays de Nied) sinon j'aime beaucoup l'histoire de "Jack of the lantern" et aussi cette idée de sculpter une tête effrayante à partir d'un légume tout ce qu'il y a d'inoffensif :)

Écrit par : frasby | lundi, 31 octobre 2011

oui vive Arcimboldo !!!!

Écrit par : catherine L | mardi, 01 novembre 2011

@catherine L : A donf Arcimboldo ! de toutes les fêtes, immortel parmi les immortels remue encore et bigrement.
Ca ferait aussi une très belle ligne de vêtements (do it yourself:) de survêtements, de revêtements, de sous vêtements :O!
voire un délicieux mouvement d'architecture en plein dans le move du bio, maison inoffensives en potirons arcimboldiens sculptés à l'opinel par son résident même, faudrait en parler à Fernand, virtuose en petit artisanat de proximité...

Écrit par : frasby | mardi, 01 novembre 2011

M'enfin ! Ce n'est pas parce qu'on a plus rien à se mettre pour se rendre à la nuit des betteraves grimaçantes qu'il faut repasser sa veste avec la mailloche de foulage ! "On apprend pas à nager à un type qui a les bras cassés" (séquence hommage à Robert Lamoureux avec cette réplique tirée de la 7ème compagnie, un 'vaudeville militaire' où il est finalement plus question de la quincaillerie Chaudard que de la guerre, rendant ainsi impossible tout remake hollywoodien).

Écrit par : Fernand | mardi, 01 novembre 2011

@Fernand : Comment j'ai rien à me mettre ? Ah mais je proteste! j'ai un petit fournisseur de potiron au village, ça va me faire une petite robe tout à fait de circonstance, pour la mailloche de foulage, je préfère repasser mon potiron (et même ma veste) avec mon vapomatic 76, ce qui nous rajeunit pas mais enfin c'est de la science fiction ,que de voir débouler Robert Lamoureux ici, un artiste très sympathique et je lui dois beaucoup c'est grâce à lui que j'ai appris l'allemand (la quincaillerie CHaudard pendant la guerre, ça reste de l'histoire de France), souvenez vous: "groupir il faut rester groupir",
rendant impossible tout remake hollywoodien, certes ! (même avec Jerry lee Lewis) et toute rediffusion sur Arte extrêmement délicate.

Écrit par : frasby | mardi, 01 novembre 2011

jolie photo de feuilles réveuses et bel exploit d'écrire pareil texte sur ce parterre de feuilles
La certitude en général est limitée et étroite dans la mesure ou elle échoue sur la réalité du monde extérieur. D'où le fait qu'elle est accueillie comme une connaissance sans rationalité de conduite dans la manière de sentir.

Écrit par : alex | mercredi, 02 novembre 2011

@Alex : Merci, pour les feuilles rêveuses, NOvembre va nous en offrir de plus flambloyantes, ça s'annonce pas mal du tout / (je vais relire plein de fois ta dernière phrase, qui est un autre exploit, elle est "terrible" cette phrase au petit matin, (l'aube est vers 11H00 par ici) je te rassure "terrible" au sens de "bath" comme le chantait Ferré, encore plus un exploit que le mien, qui n'en n'est pas un, puisque je me suis imposée plein de contraintes pour voir si en les respectant ça pourrait faire genre un fatras, tel un tas de feuilles qui tombent, à mesure, et après c'est fini, on n'en parle plus. Trouver disons une forme de dispersion à travers les contraintes qu'on s'impose (donc amusantes, évidemment) c'est une expérience, peut être pas très confort (pour le lecteur) mais le dessein étant à peu près le même que celui de la feuille morte, je me suis laissée tenter... Pour en revenir à ta phrase, elle me fait penser à Deleuze, (certains cours, par jour de grande forme)... Construction impeccable d'un langage, qui vient subrepticement déconstruire nos petites habitudes de lecture. Bravo ! ;-)

Écrit par : frasby | mercredi, 02 novembre 2011

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