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jeudi, 08 novembre 2012

Portrait du poète en chasseur de perdrix et autres fariboles

Suis-moi. sous ces ormeaux ; viens de grâce écouter
Les sons harmonieux que ma flûte respire :
J'ai fait pour toi des airs, je te les veux chanter ;
Déjà tout le vallon aime à les répéter.


ANDRE CHENIER extr. "L'oaristysDaphnis in "Bucoliques. Idylles et fragments d'idylles", (le poème est disponible intégralement ICI)

bouquet.JPG

Ayant tout dit, tout lu, il croyait en avoir soupé des feuilles mortes et le vent de Verlaine tamisait ces farines sous la plume refroidie d'un oiseau. Pendant que l'homme ordinaire roulait à la taverne, le poète à pipe et chapeau découpait les saveurs de la vigne avec de la Volvic puis miroitant ainsi sur ces monts et merveilles promettait de suer sang et eau pour écrire un sonnet à sa poule qui aimait la liqueur de griottes, l'eau de vie des figues et de nos damassons.

Les fruits mûrs grands ouverts glissaient dans ses corbeilles. Cela appartenait au grand monde à présent, le pays privé de soleil en cherchait un nouveau, troussant les rondes saisonnières comme les jupons des rousses qui flottaient sur la terre, on ne sût pas comment cet écrin d'amour éphémère fut dépouillé de son velours, on fît mine de ne pas connaitre l'endroit où la pluie croisa la tempête, une forêt poussée sous la brume miraculeusement épargnée cacha tout: douce gemme, mucus fragile louant hier les saponaires et les longs calices tubulés. Le poète soupçonnait le diable de vivre dans une noisette il la mènerait à la casse avant de la croquer.

A la saison d'automne plus tendre que les autres saisons, on croiserait des poèmes en petits en tas serrés posés sur un bureau bien à l'abri des courants d'air. On parlerait d'une voix grave un stylo d'argent sur l'oreille du "voeu" et de l'oaristys puis les mots muteraient en touffes de poils de martre, ce pinceau barbouilllerait les jaquettes qui vous bradent des couchers de soleil, du clair obscur, l'extase portant cette écume à vos lèvres chuchoterait : "l'automne est là" en nous, profond comme le ciel faisait valser hier, des lingots d'or qui voltigeaient sur la clairière pour se rouler dans la rosée, nulle chasse, nulle pêche d'alors, juste une cueillette histoire de dorer quelques verbes en rougir jusqu'à la consomption.

Le poète dût réapparaître, souriant pipe au vent, avec son braque Sultan seul compagnon fidèle et facile à aimer, il sonna à grand cor l'ouverture de la chasse, et promit qu'il nous ramènerait une étole en fourrure de petit lièvre, un pagne en plumes du faisan vénéré, des porte-manteaux en pied de biche, une bague en genêt d'or. Prêt à tout embraser, le poète sortait de la campagne cachant dans sa veste de chasse sa couronne de laurier, les couleurs incendiaires affolant son plumier, il tira en premier sur les pattes en corail d'Yvette, une jolie perdrix aux yeux rouges, qu'il blessa mais ne pût achever.

Nous ne reçûmes pas l'étole en fourrure, ni le pagne, pas le moindre petit morceau d'un porte manteau en pied de biche et la bague en genêt (pour la beauté du geste) arriva si fanée qu'il n'osa pas l'offrir. Yvette ayant troublé follement le coeur du poète, il lui construisit un nid de broussailles dans un petit bois rouge et or, y fit mettre tout le confort, délaissa sa vieille poule pour s'installer dans l'arbre avec la perdrix.  Ils vécurent heureux d'amour et d'eau fraîche coupée d'une quantité épatante de liqueur de griottes, figues et bons damassons. Ca pourrait finir là.

Epilogue:

En automne les histoires d'amour commençent bien, mais c'est sans parler du coucou, l'affreux coucou à poitrine rousse qui de loin avec ses yeux ocres épiait le petit nid d'amour. Le coucou lui aussi un jour partirait à la chasse - la chasse au nid d'amour - mais par respect pour la ronde des saisons, je vous raconterai la fin de cette tragique histoire au printemps. Si j'y pense.

 

Photo : Dans l'image toujours la même question. Sinon, c'est l'automne au jardin, tardif, plus sûrement à venir (et à suivre) ...

 

 

 Là bas © Frb 2012

Commentaires

un véritable enchantement merci Frasby pour ce souffle poétique qui va éclairer ma journée, Chénier j'y retourne....

Écrit par : catherine L | mardi, 13 novembre 2012

@catherine L : ah ! merci, vous êtes adorable à vrai dire je n'étais pas sûre de laisser ce billet, (il y en a des éphémères), avec tous ces lingots, je me demandais si ce n'était pas un peu bling bling :) mais bon, si ça vous enchante, je vais laisser le lecteur est roi (si j'ose dire :) et puis ça me fait plaisir car André Chénier, est un auteur que j'avais découvert enfant, grâce à une leçon d'histoire donnée par un professeur passionné par l'histoire du poète, le professeur était si exalté qu'il n'hésitait à bouleverser le programme pour nous lire des poèmes d'André Chénier à la moindre occasion, il nous avait lu un jour mémorable "L'ode à la jeune captive" que le poète, écrivit de sa prison, peu avant d'être guillotiné...
je vous livre le début du poème, qui est une splendeur :

"L’épi naissant mûrit de la faux respecté;
Sans crainte du pressoir, le pampre, tout l’été
Boit les doux présents de l’aurore;
Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
Quoi que l’heure présente ait de trouble et d’ennui,
Je ne veux pas mourir encore"

Écrit par : frasby | mardi, 13 novembre 2012

André Chénier est-il de la famille de Clifton Chénier, célèbre auteur de "tu peux cogner (mais tu peux pas rentrer)", "laissez les bons temps rouler" et "tu le ton son ton (mais pas toujours)" ?

http://www.youtube.com/watch?v=GzYCtiF9cR0

J'en profite pour réhabiliter le coucou à poitrine rousse qui, s'il abuse un peu des prestations sociales, permet quand même à certaines personnes de s'enrichir quand elles ont la chance d'avoir une pièce de dix centimes dans la poche quand il chante.

Écrit par : Fernand Chocapic | mercredi, 14 novembre 2012

@ Fernand Chocapic : c'est très gentil de votre part de rappeler à notre souvenir, les oeuvres de Clifton Chénier qui est probablement aussi cousin avec André Chénier que François Coppée l'est avec Jean François Copé, ceci dit je n'ai pas encore vérifié dans mes "tout l'univers" où j'ai toutefois déniché cette phrase abstruse de René Char :
"Chénier a la fermeté du désastre", sans autre précision pour savoir de quel Chénier il parle,mais on s'en fout puisque "tout est dans tout" et que René Char savait par coeur son Maître Eckhart (je cite)
"tout est dans tout, tout est un, et tout est à nous"
par conséquent il est probable que Char poète de l'absolu évoquait les Chénier dans un ensemble, cette thèse se confirme si on écoute le très controversé "tu peux cogner (mais tu peux pas rentrer)" le "tu le ton son ton" et "Ti nana" en essayant de lire en même temps "La jeune Tarentine... et je ne vous parle pas du "choo choo ch'boogie":
http://www.youtube.com/watch?v=-gis7oZjXH0
traduit en français par : "le boogie du coucou",
insidieusement remplacé par André Chénier à son époque par le mot "rossignol" pour des raisons politiques le coucou ayant toujours pris ses aises avec les prestations sociales...
Cela dit, il ne faut pas être ingrat, le coucou à poitrine rousse reste un placement très fiable et par les temps qui courent, gageons que l'écureuil ait dix centimes en poche, ce printemps
(euh... il se peut que je confonde avec Skippy le kangourou)
corrigez moi si je me trompe :)

Écrit par : frasby | mercredi, 14 novembre 2012

j'adore, la photo est superbe et je ne connaissis pas cette chanson de BB l'ensemble comme dirait J.M REY "l'image poétique, par sa généralité et pas sa nouveauté, nous met à l'origine de l'être parlant""

Écrit par : alex | mercredi, 14 novembre 2012

@ alex : merci d'apprécier la photo,
et rebondir de André Chénier à JM Rey, je dois dire que c'est pas banal :) bon grain à méditer...
je me pose juste une petite question parce que nous tapons vite parfois sur ces rectangles minuscules, et surtout parce que ne connaissant pas du tout la citation je me demandais si c'était
"pas" sa nouveauté ou "par" sa nouveauté" ... Les deux étant concevables, mais le sens à une lettre près, tellement différent...

Écrit par : frasby | mercredi, 14 novembre 2012

tu as raison c'est Par

Écrit par : alex | jeudi, 15 novembre 2012

@ alex : pardon ma question était (presque) inutile "par"
semble logique au niveau du sens, d'ailleurs on lit "par" tant ça semble évident mais parfois ce qui semble évident ne l'est pas, donc si on se met à douter ...
C'était on va dire par souci de "véracité :)
Merci d'être venu confirmer et surtout d'avoir convoqué JM Rey.
bonne soirée à toi ...

Écrit par : frasby | jeudi, 15 novembre 2012

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