mercredi, 10 juillet 2013
Hors-saison
Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d’une richesse sombre, vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent.
CHARLES BAUDELAIRE : extr. "L'invitation au voyage", in "Les fleurs du mal" (1857), éditions Gallimard, 2007.
Parfois, nous brûlons notre terre découvrant la chimère lassée de nos récits. Ca ne tient plus beaucoup. Nous encombrons l'espace, nous ferons quelques rimes pour la foire et c'est tout. Puis nous irons guincher sur les embarcadères.
Déjà, nous regardons peu à peu l'horizon annexer le rivage, nous le laissons à ceux qui voient plus loin que nous. Nous vivrons dans les arbres, avec une foule d'oiseaux, nous serons petits singes, sajous / callimico puis nous re-deviendrons inintelligibles.
Partout, le ciel est pourpre, la saison capitonne. Nous défilons en rythme d’un jour à l’autre, mais tristes, abordons l'avenir sur un point d'immersion qui se perdra sans doute dans une ligne droite bordée en profondeur d'une chute en carrés d'art.
Peu importe que le grand manitou nous dégorge, quand sa lame nous tranchait nous étions presque morts, nos contours sont plus vagues, nous dérivons encore. Nous cherchons les jardins d'autrefois où les folles balançoires esquissées à la gouache absorbaient nos coquilles dans le pli d'un buvard. Nos mains ont déchiré tant de pages et de pages.
On retourne à la source, on ne s'y abreuve pas, l'eau noircie par mégarde, ouvre un sillon de bave. On traque les empreintes, lichens / fossiles / galets / et le pas se veloute sur des mousses poreuses. On reprend les balades.
Ces marches agrémentaient, on s'en souvient, des foules vivant en nous de mots ouvrant aux bruits infâmes, il y eût des tavernes assemblées en nuages, qui racontent la suite. On oubliera demain, ces voleurs de miroirs qui goûtaient en eaux troubles les diodons délicieux, et nos barques à présent bercent des sons captieux, les voix ne portent plus.
Dans la chaleur des bars, certains jours on s'attable avec des globe-trotters qui nous racontent leur vie : l'Egypte / l'empire syldave / ils ont des petites lianes enroulées dans la tête, on dirait des girouettes tournant sur des momies, ils sont galants mauresques / fauves étrusques / nécropole engloutie / marins du Kon Tiki / après des heures à boire, à gober leur histoire, on devine au final qu'ils ne sont jamais partis, ils troquent leurs faux voyages contre un peu de compagnie, et nous bradons le virelai pour des romans de gare.
Peu de chance que le chant nous revienne ou s'évase, nous l'avions rêvé flou. Des phrases ont renversé le splendide équipage, une masse enjouée mesure les équilibres, nous restons attentifs aux mouvements de ces gens qui se cachent ou s'étoilent en causeries sur des bancs, nous visons les Nagra de ces genres d'acousmates qui font de grands voyages dans la rue d'à côté, le reste liquidé, se fondra dans les glaces de ces absences-présences qui se croisent et puis cessent.
On rejoint les clochers, tout semble à l'abandon, moins qu'au coeur de ces villes dont les passages fermés ne nous égarent plus. Nous ne pouvons plus choisir entre le plein, le vide, guettant un évènement, traversons des ruelles et des jardins publics jusqu'aux grands toboggans.
Tout près sous les lumières des chiffres sont tombés d'on ne sait quelle statistique, et des publicités passent de plus en plus vite, des homme gris tapent en choeur sur des mini-claviers, notant les résultats d'on ne sait quelle expertise.
Par de fines craquelures entre ces oubliettes on reconnaît l'enfant vaguement phagocyté, allant pieds nus, toujours, courant à la conquête d'un souvenir futur sans trouver la notice qui aide à parvenir à la maturité. La flemme est botte secrète, on aura dans la tête le calcaire/ le granit/ les rochers mystérieux / un paysage d'hiver / une mémoire d'art brut ...
Cela devait entrer en ce rêve animal, rien d'exquis, ni barbare, nous ne sommes plus concernés par ce qui cogne ou jase et s'agite sans égards / ces engouements de cible / nos sentiers éboulés / des pensées pleines de trous / nous figent en pétroglyphes.
Le Cv sous le bras illustrant un grand livre sans lecteur ni auteur, nous trottons par les berges jusqu'aux embarcadères, là, les flots sont plus clairs, les vents nous rafraîchissent. Nous gardons les yeux clos, nous croisons des artistes qui ne savent plus quoi faire de leur vie, de leur art, nous les suivons biffés dans la cité-passoire qui se construit sur nous, rejette les uns les autres à la périphérie. Plus d'atelier plus rien où caler nos paperasses, les cartons à dessin retournent au recyclable, nous aimons l'inutile, c'est plutôt rassurant.
Puis des pieds à la tête, ça flottera de partout, il nous manquera seulement le moral nécessaire mais nous pouvons poursuivre le voyage hors-saison ou en hors-lieu peut-être, tisser les passerelles s'il nous manque des ponts. Nous ramperons comme des bêtes jusqu'en terre de bruyère puis au delà, enfin, nous quitterons nos mémoires en jetant des cailloux pour faire des ronds dans l'eau, nous longerons les rivières (un jour nous y reviendrons).
Les vêtures sinueuses d'écorces nous protègent. Nous serons étendus, nonchalants à poursuivre, enlacés dans les ombres sous les arbres et les herbes, un brin de pâquerette fera bouche à oreille, le reste imprononçable. Ou bien, c'est un silence, un flot qui se retire : le secret de la source près d'un vieil escalier qui descend jusqu'au ciel, nous serons pour ce peu, si près...
Photo : Une île, qui ne fleurit jamais.
Là bas © Frb 2013.
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