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mercredi, 22 avril 2015

Fluidités (II)

Un voyageur peut toujours revenir sur ses pas. Mais sur l'axe du temps, il n'y a pas de retour en arrière. Ce qui est perdu l'est à tout jamais.

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Le voyageur revient à son point de départ, mais il a vieilli entre-temps ! [...] S'il était agi d'un simple voyage dans l'espace, Ulysse n'aurait pas été déçu ; l'irrémédiable, ce n'est pas que l'exilé ait quitté la terre natale: l'irrémédiable, c'est que l'exilé ait quitté cette terre natale il y a vingt ans. L'exilé voudrait retrouver non seulement le lieu natal, mais le jeune homme qu'il était lui-même autrefois quand il l'habitait. [...] Ulysse est maintenant un autre Ulysse, qui retrouve une autre Pénélope... Et Ithaque aussi est une autre île, à la même place, mais non pas à la même date ; c'est une patrie d'un autre temps. L'exilé courait à la recherche de lui-même, à la poursuite de sa propre image et de sa propre jeunesse, et il ne se retrouve pas. Et l'exilé courait aussi à la recherche de sa patrie, et maintenant qu'elle est retrouvée il ne la reconnaît plus.

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Ulysse, Pénélope, Ithaque : chaque être, à chaque instant, devient par altération un autre que lui-même, et un autre que cet autre. Infinie est l'altérité de tout être, universel le flux insaisissable de la temporalité. C'est cette ouverture temporelle dans la clôture spatiale qui passionne et pathétise l'inquiétude nostalgique. Car le retour, de par sa durée même, a toujours quelque chose d'inachevé : si le Revenir renverse l'aller, le "dédevenir", lui, est une manière de devenir; ou mieux: le retour neutralise l'aller dans l'espace, et le prolonge dans le temps ; et quant au circuit fermé, il prend rang à la suite des expériences antérieures dans une futurition ouverte qui jamais ne s'interrompt: Ulysse, comme le Fils prodigue, revient à la maison transformé par les aventures, mûri par les épreuves et enrichi par l'expérience d'un long voyage. [...] Mais à un autre point de vue le voyageur revient appauvri, ayant laissé sur son chemin ce que nulle force au monde ne peut lui rendre : la jeunesse, les années perdues, les printemps perdus, les rencontres sans lendemain et toutes les premières-dernières fois perdues dont notre route est semée.

VLADIMIR JANKELEVITCH, extr. "L'Irréversible et la Nostalgie", éditions Flammarion, 1983.

 

Photo : de l'eau qui coule sans cesse, de l'eau qui fertilise, de l'eau qui dort, de l'eau qui porte. Un jour entre deux rives, jusqu'au fleuve, jusqu'au lac, sans jamais oublier la source. Là, un fragile passage entre deux courts voyages, qui ouvrent à la question fermant un autre livre: "La presqu'île" de Julien Gracq, une question difficile, humaine, fondamentale, (reste à lire), via des correspondances, qui pourraient (si on cherche) entrer en résonance avec le voyageur du texte de Jankélevitch. 

Il avait parfois le sentiment vif de ces joints mal étanches de sa vie où la coulée du temps un moment semblait fuir et où, rameutées l’une à l’autre par un même éclairage sans âge, le va-et vient des seules images revenait battre comme une porte.

 

Passés/ présent © Frb 2015

lundi, 12 mai 2014

Secret life

Au-delà de ce qui arrive ou n'arrive pas, l'attente est magnifique. 

ANDRE BRETON

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On trouve un silence très troublant dans le Rivage des Syrtes de Julien Gracq où une antique lagune baigne dans l'attente à la lisière des mondes, dans le silence, une forme d'énonciation plus évidente:

 

 

Le silence est témoin absolu.

 

 

 

Photo: A la lisière des mondes (et des merveilles...).

 

 

Très loin d'ici.© Frb 2014

vendredi, 14 septembre 2012

La naissance du modèle (II)

Je lui disais "regarde comme on peut bien marcher sur deux jambes. N'est ce pas merveilleux ?"
Un équilibre parfait. Je déplaçais le poids de mon corps d'un pied sur l'autre, faisant brusquement demi-tour sans perdre l'équilibre. C'est quand même quelque chose d'extraordinaire.

GIACOMETTI parlant à son modèle, extr. du livre de Anne MORTAL "Le chemin de personne - Yves Bonnefoy Julien Gracq ", éditions l'Harmattan, 2000.

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Il marchera dix heures par jour pour parcourir une moyenne quotidienne de 35 km entre sa cabane et son île, il rêvera de partir en sandales sur les chemins de Compostelle.

Il marchera sur un manège par des tapis roulants à travers des clôtures incassables, il n'aura pour ami qu'un tricycle à bagages, une trousse de premiers soins, une tente, peut-être un sac, il achètera tout à la boutique du "campeur" de la rue des écoles.

 

Lien  : http://youtu.be/F72jPxRCR7c

Nota : Augurant le thème de la marche et des forces motrices dont aucune n'est à suivre, strictement, (quoique)... parmi des propositions multiples et les vagues à venir, vous trouverez un fragment des dérives du modèle en cliquant dans l'image.

 

Photo : La naissance du modèle sur les chemins de la vie, (pas encore buissonniers), pas encore Homme qui marche, filliforme et précaire, dépouillé de ses accessoires, tel que l'avait imaginé Giacometti, occupé à le faire, le défaire en multiples versions jamais achevées selon l'artiste, foulant l'équilibre de l'homme et de son vide. Le modèle 2012 aura coûté moins cher, (détail mesquin, le cartable coûte un bras, car aujourd'hui hélas, on ne peut plus naître sans rien), le modèle 2012 trace humblement son rêve en habits de gala, il chemine pas à pas, patience ! laissons-le naître... Photographié loin des écoles entre deux rives, sur la Presqu'île exactement.

 

Lyon. © Frb 2012.

mercredi, 28 janvier 2009

Et doux rossignol et merle moqueur...

Comme un mercredi ... Précédant un jeudi noir

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Quelquechose se prépare, comme dans un roman de Julien Gracq : on ne sait pas encore trop quoi. Le ciel est sombre, des signes viennent...

http://www.youtube.com/watch?v=I_6TRfu8Nxg&feature=re...

Photo: Merle moqueur, retrouvé guettant le jour à venir, sur les brindilles montées en barricades, non loin de la place Flammarion dans un quartier de la Croix-Rousse à Lyon. © Frb

lundi, 18 août 2008

L'heure qu'il est m'efface

l'heure-des-gares-3.jpgOn dit que l'exactitude est la politesse des rois. Et si l'on a pas raté son train au départ d'un quelconque pays d'origine, on arrive précisément à 17H33 sur le quai 1 bis de la gare Lyon-Perrache voie A. Jusque là tout est bien. Mais malheur à cet autre qui, parti trop tard pour ce train dont le départ de Lyon Perrache, en direction de je ne sais quelle ville, était prévu à 17H32 sur le quai 1 de la voie A. Voyageur mal pourvu, il se retrouve à courir seul sur le quai, juste pour vérifier si par hasard, il ne pourrait pas rattraper son retard... Stupide. Un retard est toujours stupide. Honni soit celui qui, par mégarde, devra trouver l'excuse tandis qu'au fond de lui il se dira dix fois, cent fois qu'il est inexcusable. Et tout ce temps à tuer, âme en peine, ce désarroi coupable, qui s'empêtre, se résigne jusqu'à s'en retrouver bizarrement grâcié, en état de gaieté, consolé. Le roi déchu, retardataire, feuillettera au point presse "Gala" et "Marie-Claire", s'achètera des allumettes, lira les horoscopes, rentrera sans raison dans la cabine de photomaton, puis sortira dehors, jusqu'à l'heure de ce prochain train. Au café, dans un square, il lira dans les rues les enseignes et les graffs , il se prendra pour un héros, une sorte de  KEROUAC, un personnage flou dans un livre à la GRACQ. Il deviendra le roi de tout, sans politesse, un empereur des éléments règnant en sa presqu'île où tout évènement, même celui de l'attente, se délite; fil à fil, hors lieu, hors temps, le précipite; et dans le flux d'un monde suspendu, découd les intérieurs inexorablement...

Je dédie ce billet à tous les retardataires et à tous ceux qui les attendent après l'heure. (C'est à dire même quand ce n'est plus l'heure ;-) ...