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samedi, 16 janvier 2010

Mes nuits sans Georges

"Nous avions trop bu de bourgogne nous bûmes du champagne nature"

ROBERT DESNOS "Voyage en Bourgogne". Editions Roblot 1975

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Georges passait toutes ses nuits auprès de mes amies.
C’était au prix de telles frayeurs qu'on pouvait se sentir en vie. Tout cela semblait peu de chose. Une saveur sur un faisan bleu. Un peu de mercure sur la langue. Et, moi avec tous les amis de Georges, je glissais dans les mauvais lieux, pour commander des vins d’Alsace ou de Bourgogne. Les bonnes compagnies usurpaient ce que l’être (parfaitement spongieux), absorbait d’empathie. Il nous venait sans y songer, un brin de vague à l’âme. Libres, enfin sans soucis, nous picorions jusqu’à l’aurore, des moitiés de glaçons dans de grands verres aux reflets sombres et des vitraux vermeils tombaient sur la rigole. Nous plongions là, nos lèvres entre les flammes d’une bougie pour humer sur les terres du hameau de Brouilly tout le fruit du vignoble.

Georges passait toutes ses nuits à jouer au frisbee.
Et moi, avec tous les amis de Georges, je glissais dans les mauvais lieux pour casser le frisbee de Georges, le transformer en confettis.
Il y avait là, des musiciens qui nous tapaient dans l’oeil et des machines affreuses soudain reprenaient vie. Des Nagras, des poulies, et des marteaux piqueurs nous broyaient gentiment en déterrant nos morts quoique depuis longtemps ils fussent portés au loin. Il nous venait encore sous ces moulures d’or, l’idée qu’il n’était pas vain de jeter, une fois, un dernier dé, avant demain.

Georges passait toutes ses nuits à lire Maïakovski.
Et moi, avec tous les amis de Georges, je jouais à la coinche sous la frisette ornée de décalcomanies dans un pub irlandais à trois villes de chez Georges. Les regards d’autrefois qui nous accompagnaient n’aimaient plus la splendeur du monde, et les penchants secrets, suppliaient sous la lune : "que la brume de Janvier nous transforme en toupies !". Nous étions mécontents des bonnes compagnies, et l’arcane manquant au jeu de l’imagier, nous l’avions remplacé sans la moindre vergogne. Titubant sur les planches et entre les tapis, je tombais dans les bras de Lancelot et D’Hector en rêvant d’Alexandre et pour l’amour de Georges.

Georges passait toutes ses nuit à prendre des taxis.
Et moi avec tous les amis de Georges, je croquais des olives et puis des cornichons affalée sur une sorte de lit à tête d'ange. La télé diffusait des extraits d'explosion. Par terre, la vie s'empressait sur les coeurs, les yeux fermés dans la bouclette, nous embrassions des nus idiots, des têtes de chats, des rouflaquettes, et en relief, les épais croisillons des revêtements de sol tatouaient notre peau. Ces douceurs me semblaient d’autant plus éprouvantes qu’elles m’étaient infligées par Georges. Dans la cuisine, sans electricité, valsaient des casseroles qui ressemblaient, on aurait dit, à des petits bateaux .

Georges passait toutes ses nuits à écouter Claude Debussy.
Et moi, avec tous les amis de Georges, j’allais finir aux caves de l'Opéra Mundi ou à la Scala de Vaise. Les estampes, les danseuses de Delphes hantaient les touches du piano. Les cornes de brumes des caravelles qui revenaient de l’île barbe sonnaient aigues comme des crécelles. Pour dix euros on avait mis la liqueur en bonbonne, qu’on blottissait dans les bras des vieux beaux, qui payaient tout et nous emmenaient en auto, jusqu’au bord de la mer. Nous donnions dans le sable des petits coups de pelles, qui faisaient rire les mouettes, et les vagues moussaient sur nous comme du champagne chanté par des baleines.

Photo : La valise à remonter le temps. Photographiée dans une vitrine de la rue Terme, très exactement. Lyon. Janvier 2010.© Frb.

mardi, 12 janvier 2010

Dans la nuit mince et blanche

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Dans la nuit mince et blanche, dorment les grands connaisseurs de la réalité, qui forment en rêve à leur image le derniers fils de la famille, pour mieux le noyer au matin.

Dans la nuit mince et blanche, je me lie à Vitrac au dessus d’un bordel de fringues
 ou le corps pris sur l’étendage, un hamac laid comme une filoche pendu sur un bec de mésange.

Dans la nuit mince et blanche, j'effeuille un almanach, datant de la fin des années 30, "la maison du papier gommé", un article documenté sur la vie du scaphandrier. Plus loin, en d'autres pages, (une revue de 1960), il y a des cathédrales vivantes, le détail d’une voûte romane, l’énoncé d’un paquet de chocos. Des palets d’or rampent sur les plinthes, l’engagement (Lu) du "sachet-fraîcheur" avec une pointe de sucre roux et 3,0 gr. d’amidon. Tout ça court sur la croûte terrestre en brulant longtemps les étapes: la Perse, l ’Assyrie et Byzance, jusqu’aux formes octogonales qui se combinent dans les absides désordonnées d'un pur style hybride ogival du genre pré-Nabirosinais.

Dans la nuit mince et blanche de gigues et de pavanes, j’accepte la place offerte.
 Par la voix tonnante de l’ancêtre qui illumine à coups de bêche, ce coeur qui se trouve sous ton pied.

Dans la nuit mince, je mange. Et goûte aux vins d'Etienne, à la faveur des jours qui passent, quand d’un paradis entrevu de l’autre côté du vitrail, nous ne glissons plus que des neiges fondues sous un coin d'oreiller. (Or la petite souris qui n’est pas dupe, ni plus folle que la guêpe, continue de nous tarauder), et nous trinquons à sa santé :

"A la tienne Etienne, à la tienne mon vieux !" .

Dans la nuit blanche, j’en pince pour les boiseries poncées mais je hais la frisette à teindre. J’y décloue ta mèche obsolète, tôt remplacée par l’accroche coeur d’un joli moniteur de luge.

Dans la nuit mince et blanche, le lis amer réinjecte son trac, naît ou meurt selon. Pénètrant le sillon, un tourne-disque carossé tombe dans la SPX. Il ne restera plus qu'à tirer les cordes du piano, à les frotter longtemps, au papier à musique. J’aime l'art acousmatique : John Cage dévoré des limaces, la flêche de Denis l'endrômé, Michel, qui n'arrête plus le regret et les doigts du grand Luc caressant les étoiles. Plus tard, les autres viendraient, (des bons copains aussi), avec d'étranges boîtes...

Dans la nuit mince et blanche, une masse de bouc a siphoné ma plume de paon ou de dindon, et je ne m’en porte pas plus mal. "Mieux vaut dindons que paons" a dit le Duxo Yaka Charmillon. Et nous revoilà une fois encore sur "le chemin des poneys !" mon talon d'archimidinette, se tort un peu sur les cailloux mais s'il retombe dans les fougères, il sait s'en contenter. "Un rien, Madame, vous rend si belle". (Giroflées, trèfles doux, émouvantes noisettes). Dix balles de billes à faire rouler sur le toit d'une chapelle, l’éclat doré du solitaire comme une chiure de coucher de soleil épousant les tonalités des grands yeux fendus en amandes de l'élandin.

Dans la nuit mince et blanche, Lord Jim erre de port en port. Et je me demande si je ne préfère pas les braves types aux grands seigneurs. Si je ne préfère pas le sanglier au porc, si je ne préfère pas le modillon au Sacré Coeur. Et s'il fallait vraiment choisir (quelle connerie, cette supposition), pourquoi choisir "entre les choses", pourquoi ne pas choisir "un peu de tout" ?

Dans la nuit blanche, pyramidale, je ris seule parmi des objets d'une stupidité qui m'agrée et de nombreuses soucoupes volantes portent plus loin les présomptions. Orné de trois pépins d'orange et d'une bonne quinzaine de mégots, l'oeil-bouton de l'ours Pitou tiendra bien jusqu'à demain soir. Un grain perdu au centre d'un pot (dont je n’arriverai jamais à calculer la circonférence avant l’aube). Soudain, j'ai  besoin de vacance, (se pourrait-il d'absence ?), ou de disparitio...

Dans la nuit mince et blanche, j’entends les perroquets et la belle de Croisset qui écarte les jambes. Le voyou qui fuyait son petit chien me relance. tout ce que j'ai à lui dire tient sur un tas de cendres au fond d'une boîte à thé.

Dans la nuit mince et blanche, je me surprends à aimer Jack Palance. Et Brigitte qui s’envole dans les bras d’un idiot, de Capri vers la mort, après, quand c’est fini, on retrouve le silence. Puis à 6 h00, reviennent les camions des poubelles, la nuit qu'on cambriole, la fin des haricots. Les dés sont rejetés. Alors naît l'envie folle de construire une pirogue. Ou de partir en catastrophe dans une petite auto.

Du genre Rolls Royce.

IMG_0262.JPGPhoto 1 : La neige blanche et mince photographiée la nuit entre la route qui mène au Mont St Cyr, et le "Chemin des Poneys"...

Photo 2 : Un drôle d'être humain dans une drôle de petite auto. Vu au petit jour, sur le chemin  dit de la "Grande Terre" ou de la "Belle Neige". Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.