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lundi, 12 décembre 2011

Le son comme un parfum

Le son, qui dans les églises romanes et gothiques entoure l'assemblée, renforce le lien entre l'individu et la communauté. La perte des hautes fréquences et l'impossibilité qui en résulte de localisation du son intègrent chaque fidèle à un univers sonore. Celui-ci ne fait pas face au son dans la "jouissance", il en est tout entier enveloppé.

KURT BLAUKOPF : "Problèmes de l'acoustique architecturale en sociologie musicale", Gravesaner Blätter, vol V, N°19/20/ 1960.

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Un type d'écoute, existe, qui a lieu dans un espace clos précisément où la distance et la direction sont absentes : c'est en général le cas des concerts de musique contemporaine, populaire ou de la chaîne stéréo, un type d'écoute que nous pratiquons parfois dans nos appartements. L'auditeur se trouve alors au centre même du son qui le touche ou l'imprègne. Ce mode d'écoute est celui d'une société sans classes à la recherche d'unification et de plénitude.

De là, on pourrait croire que ce type d'espace sonore (1) est une invention moderne, pas du tout, il a connu ses heures de gloire au Moyen-Âge avec le chant grégorien. La pierre des murs et du sol des cathédrales romanes et gothiques, non seulement avait un temps de réverbération (2) anormalement long, (jusqu'à six secondes et plus), mais renvoyait également les sons de fréquences moyennes et basses, tandis qu'elle absorbait les fréquences supérieures à 2000 hertz. Ceux qui ont eu la chance d'écouter des moines chanter le plain-chant dans un de ces lieux, n'ont pu oublier l'impression produite : les voix semblent ne provenir d'aucun point précis mais justement emplir le lieu comme un parfum. 

C'est une expérience d'immersion, par opposition à la concentration, et cette écoute particulière génère encore un lien puissant entre l'homme moderne et l'homme médiéval. Ce rendu serait difficile à transcrire  avec des mots, le vocabulaire touchant là des limites après quoi ce qui ne peut se dire avec des mots pourra peut-être mieux être appréhendé par les sons, et l'on remontera encore plus loin dans le passé, afin de rejoindre cette origine commune, cet espace à la fois fluide et sombre d'où émerge un souvenir commun, une formule qui en dit encore peu par rapport à l'expérience sensitive où se retrouverait l'océan matriciel d'ancêtres plus lointains...

L'écho amplifié et la rétroaction électronique de la musique moderne ou populaire est venue recréer pour nous ces voûtes résonnantes, ces sombres profondeurs de l'océan. Aussi nous pourrions honorer la bonne fée qui livra à tous l'électricité, par laquelle les anciens effets des pierres romanes et gothiques ont été retrouvés afin de pouvoir rassembler à nouveau les hommes.

 

 

Nota (1) : La documentation ayant inspiré ce billet est extraite de l'ouvrage "Le paysage sonore" de R. Murray Schafer paru chez JC Lattès en 1979.

(2) : La réverbération est la persistance du son dans un lieu alors que la source originale n'existe plus. La réverbération est le mélange d'une quantité de réflexions directes et indirectes donnant un son confus qui décroit progressivement. voir ICI

Photo : Abbaye bénédictine de Charlieu fondée vers 872-75 (?) et sa pierre dorée, un fragment de colonnades séparant le cloître de la salle capitulaire, ces deux sites datant du XVem siècle, la pierre a été photographiée de la salle capitulaire à la suite d'un concert d'été.

© frasby 2011.

lundi, 14 mars 2011

Dans l'épaisseur des images, on ne sait où. (part 1)

 Si l'on ne trouve pas surnaturel l'ordinaire, à quoi bon poursuivre ?

CHARLES ALBERT CINGRIA

image_0271.JPGCes derniers jours sont ralentis par des évènements incompréhensibles. Pour  tenter de m'en dessaisir, je traîne dans une bibliothèque qui ressemble à une salle de bain avec des serviettes en papiers impeccables, toutes reliées, rangées par ordre alphabétique de "Crime et Châtiment" à "l'Ombilic des limbes", pas une page de travers, pas même une trace de doigt, nul dépôt d'encre, ni bavure, ni poussière, ne troubleront ce papier blanc, jauni parfois, à peine, aux polices raffinées dissimulant par la grâce d'un travail consciencieux, la sueur ou les drames personnels des auteurs tous pareils alignés.

Ici, je traine encore des heures à l'entresol pas loin, dans une cafeteria qui ressemble encore à une salle de bain, conçue pour tous, d'un goût moyen, au décor sans  aspérité. Des familles, des collègues de bureau, ou des couples, du genre illégitimes s'y retrouvent et déjeunent ensemble. "Ensemble" est un mot impossible. Juste un éclat. Je poursuis mon vol à l'étal dans cet espace climatisé qui m'offre toutes sortes de livres, dont certains à jamais prisonniers du silo. "Les oiseaux" pas très loin des "Métamorphoses", au rayon étranger, près d'Ovide en exil, je suis enfin chez moi. Je pille et je repille les modernes, les classiques. L'image inspire autant les sons, les couleurs apocalyptiques des bruits de Russolo, et les troupeaux Dada qui vont jouer pas loin du rayon "bonne cuisine", les revers d'un naufrage passé à la postérité :

Buvez du lait d'oiseaux
Lavez vos chocolats 
Mangez du veau 

Cette chose finira bien par nous anéantir, comme Dada, au nez des artistes, n'avait cessé de l'espérer. Ailleurs, parodiant le décompte des passions impossibles, une trame lourde tient ces mondes à la botte de la correction. L'amour et le désert qui l'accompagne, les secrets bafoués et les exhibitions ; cette normalisation qui suit l'extase, c'est cela le désastre. Il n'effleure pas l'esprit des naufragés déclinés au carré, anguleux comme des tombes, où la poésie ne crache plus. Un minimum vital de poison, survit un peu, détaché des abus, une sève diluée dans une solution tiéde, étouffée de soupirs aux semblants soulagés comme nous pleurons l'absence, bercés sur des jonques colorées de flonflons qui plaisent à peu près à tout le monde. Ensuite vient aux index, un ajoût sérieux de notes appliquées, des numérotations interminables. L'abondance suffirait-elle à conjurer un manque qui en cache d'autres ?

Nous sommes nombreux, penchés religieusement sur les pages, dans les allées sournoises de ces caissons d'isolation. On entend un bruissement, un son rassurant d'effeuillage. Que cherchons nous ? Le processus s'enclenche, le domaine écope l'eau ; jaune et noir comme le Rhône qui draîne ses corps sous des bateaux où chaque soir on danse dans les reflets des ponts jusqu'au lever du jour. Chacun chorégraphié en dépit des mouvements de son être, happé par l'obsession d'une partie qui expliquerait le tout. Ce qu'il reste à savoir est un grand poème fleuve, assiégé de vers fous voués à l'irrévérence. On plongerait dans ce flux, la saleté des remous, un déferlement de phrases qui ne diront jamais assez tout le mal d'être au monde, l'oubli, et  les reflux, le déni, le re-flou. Là, des couleurs sépias au souvenir du Valois :

 Il parlait de celles de ce temps-là sans doute !  mais il m'avait raconté tant d'histoires de ses illusions, de ses déceptions, et montré tant de portraits sur ivoire, médaillons charmants qu'il utilisait depuis à parer des tabatières, tant de billets jaunis, tant de faveurs fanées, en m'en faisant l'histoire et le compte définitif, que je m'étais habitué à penser mal de toutes sans tenir compte de l'ordre des temps.

Ici la paysanne et la vierge "Aurélia" :

Puis les monstres changeaient de forme, dépouillant leurs premières peaux, se dressaient puissants sur des pattes gigantesques ; l'énorme de leurs corps brisait les branches et les herbages, dans le désordre de la nature, ils se livraient combats auxquels je prenais part moi-même, j'avais un corps aussi étrange que les leurs. Tout à coup une singulière harmonie résonna dans nos solitudes, et il semblait que les cris, les rugissements, les sifflements confus des êtres primitifs se modulassent désormais sur cet air divin. Les variations se succédaient à l'infini, la planète s'éclairait peu à peu, formes divines se dessinaient sur la verdure et sur les profondeurs des bocages, et, désormais domptés, les monstres que j'avais vus dépouillaient leurs formes bizarres et devenaient hommes et femmes ; d'autres revêtaient, dans leurs transformations, la figure des bêtes sauvages, des poissons et des oiseaux.

Ailleurs, des figures doubles dépourvues d'ombre, des femmes assoupies, des muses grimées en vouivre, traverseraient nos villes sur un nuages de cendre. Il se peut qu'on rêvasse et la nuit en pillant les archives glissées entre les pierres des monuments, il se peut que reviennent des pans de vies anciennes miraculeusement préservées, hâtant la joie sereine des affinités mystérieuses qui exigent l'anéantissement, peut-être... On se jetterait à distance vous et moi, d'un balcon à un autre en saluant les princes qui passent lentement dans des fiacres sous de vieux luminaires, vous et moi aspirant à cueillir quelques bourgeons de roses, dans la beauté du leurre, à confondre, les locataires qui vivent là où jadis habitaient les Dieux, avec les Dieux eux mêmes. On nouerait au passage, le souvenir d'un songe à des formes plus lointaines. Les monstres des bestiaires monteraient jusqu'à nos fronts y coller l'escarboucle, un troisième oeil étincelant légué par des visionnaires revenus déposer le ciel à nos pieds. La lumière se fait rare, nous resterons au piège d'un débit de conversation qui n'est plus à nous mêmes et qui revient sans cesse, déformé par l'image animant un rocher, sorti du ventre de la terre : une carcasse d'archéoptéryx qu'on n'aura même pas le droit de caresser.

"Je marchais péniblement à travers les ronces, comme pour saisir l’ombre agrandie qui m’échappait : mais je me heurtai à un pan de mur dégradé, au pied duquel gisait un buste de femme. En le relevant, j’eus la persuasion que c’était le sien... Je reconnus des traits chéris, et, portant les yeux autour de moi, je vis que le jardin avait pris l’aspect d’un cimetière. Des voix disaient : “L’Univers est dans la nuit !"

   CLAUDE LE JEUNE : "Que je porte d'envie" (pour 4 voix, 4 violes) 

podcast  

Lien : "dans l'épaisseur des images on ne sait où" (2) Lire ICI

Photo : Géante rouge traversant la Tupin en aveugle, dans l'apparente tranquillité d'un jour de Mars.

© Frb 2010.

lundi, 02 août 2010

Monts et merveilles

Nous promettons selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes.

LA ROCHEFOUCAULT, Max. 38

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A la fin du XIIIe siècle, les "monts" symbolisaient une grande quantité de choses, au Moyen-Âge, on disait, "promettre les monts et les vaux" (c'est-à-dire les vallées), à ne surtout pas confondre avec les "démons", même si les légendes du Moyen-Âge évoquent souvent "les démons et merveilles". Dès le XVe siècle on utilisait l'expression "conter maux et merveilles" pour raconter des histoires fabuleuses". L'expression s'est ensuite transformée au XVIe siècle en "promettre monts et merveilles". Il s'agit donc de promettre des choses précieuses en grande quantité, choses mirifiques et dans un sens plus figuré : promettre plus qu'on ne peut tenir. Au cours du temps, on a dit aussi "promettre la lune", "chiens et oiseaux", "plus de beurre que de pain"... Mais revenons à cette expression "monts et merveilles" dont l'origine n'est pas anecdotique ; aucun conquérant n'a jamais promis à ses troupes de merveilleux royaumes au-delà des monts, comme le fit le général carthaginois Hannibal, qui fit espérer à ses soldats, du haut des Alpes, la possession de Rome. Un peu plus tard, François Rabelais utilisera "conter monts et merveilles", tandis qu'au XVIIIe siècle, on parlera de "monts d'or" pour évoquer soit des avantages très importants soit des richesses considérables. Dans la suite des temps, par un goût pour la répétition, typique de l'ancien français, l'image a été oubliée et les merveilles ont pris la place des vaux, renforçant ainsi le sens du mot mont, au lieu de le compléter comme précédemment. L'ancien français adorait ces couples de mots, de sonorités voisines et de sens proches. Curieusement, beaucoup nous sont parvenus: bel et bien, sain et sauf, sans foi ni loi, sans feu ni lieu, tout feu tout flamme... On retrouve chez J.J. Rousseau des "merveilles" plus fidèles à la panse rabelaisienne (ça c'est moi qui rajoute). Les "merveilles" sont des rubans de pâte cuits dans le beurre : "La collation fut composée d'échaudés, de merveilles", (cf La nouvelle Héloïse). Ainsi pourrions nous glisser doucement et pour appâter le gourmand lui promettre bien finement "Veaux et merveilles"... Mais cela est une autre histoire cachée entre les terres du Nabirosina et les monts de Genève et je n'en risquerais pas la publication sans m'en aller goûter moi même les merveilles décrites par Rousseau. Quant aux veaux je vous les promets, selon la formule consacrée du poète Auguste Vermeault : "Promettre veaux émerveille". Enfin bon...

Photo : Promenade au bord de l'étang des clefs, (merveille !) et, plus loin, St cyr (mont !) culminant à 771 mètres d'altitude, ce qui nous donne le plus haut sommet de la Bourgogne du sud, où par temps clair, on peut voir les cimes des neiges du blanc (mont) et des Alpes, le Forez, l'Autunois, le Morvan, le Beaujolais et le Mâconnais (Monts), et l'entrée de la cave en croisée d'ogive (Monts et Merveilles !) du poète, (poite ? pouêt ?) Hozan Kebo. Nabirosina. Août 2010.© Frb

jeudi, 10 juin 2010

Une semaine de catas (thema part II)

Pourquoi chercher le bout de la chaîne qui nous relie à la chaîne ?

TRISTAN TZARA  extr. "L'homme approximatif". Editions Gallimard 2007.

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MARDI.

Louis pouvait maintenant rester des heures dans la même position, qu'on lui plie le bras ou le soulève, son bras restait plié ou soulevé, qu'on le pique avec une aiguille, plus rien désormais ne le faisait réagir. Il ressemblait au cadavre, qu'il avait lui-même découvert, à l'aube dans ce fenier, un visage redevenu mémorable qu'il avait cru voir un instant lui sourire, au bout d'une corde. Son frère repensait à tout cela en regardant le savon mousser entre ses mains. Il avait tout compris, et il s'était promis qu'il ne piperait jamais mot à personne, même s'il y avait encore quelque chose à sauver. On ne badinait pas avec la justice immanente, le Seigneur faisait son boulot, il réparait les infamies, et cela était juste et bon. Il faudrait laisser en état ce décret qui venait d'en haut, il marmonna "dans la vie, tout se paye" en approchant ses mains d'un immense torchon blanc.

Il songea que son pauvre frère avait dû reconnaitre le visage de Jeanine, cette fille née de travers, avec une petite case en moins, à qui il avait dû promettre pour rire, monts et merveilles, un jour de foire, il y a plus de 40 ans, suite à un pari bête avec des copains de régiment. Il avait dit à Jeanine, des choses très émouvantes, avec l'air d'y croire tant lui même, qu'elle avait tout gobé mot pour mot. Pour épater les copains, dissiper l'ennui de ses permissions, faire briller un pari contre quelques fillettes de côte de Beaune, il lui avait dit qu'il l'aimait, plus que cela, qu'elle était la femme de sa vie, il l'avait toujours su et quand il aurait fini son armée, qu'il reprendrait la ferme de son père, alors, il l'épouserait, elle, pas une autre.

Jeanine avait l'âge mental d'une enfant de 10 ans. Elle rêvait de robe blanche et de trenne, tout son imaginaire s'offrait aux balancelles, aux cornets de dragées bleues et roses, au prince charmant. Et, le prince charmant était venu, revenu exprès pour elle, elle en était persuadée. Il y a juste quarante ans, Louis était reparti finir son régiment, deux ans à l'étranger, elle l'avait attendu chaque jour, en comptant les minutes, les secondes, courant au moindre bruit d'auto, de son lit à la fenêtre, le coeur battant au moindre grincement de porte. Aucun objet n'avait pu la distraire, ni tricotin, ni chapelet, pas même les ouvrages au crochet, encore moins les napperons, pourtant brodés amoureusement, avec ses initiales à elles, ses initiales à lui, bleues et roses, côte à côte et toujours enlacées. Elle avait attendu ses lettres, quelque signe de lui. Elle n'obtînt rien. Il n'était jamais revenu au pays, pas avant la semaine dernière, et bien qu'il n'eût guère envie de retrouver ces paysans qui trahissaient une origine qu'il abhorrait plus que tout, il avait bien été bien forcé par devoir, peut-être par superstition, de sacrifier un peu de son temps, pour venir enterrer son père. Il n'avait pas tenu à s'installer sur le banc avec la famille. Cette cérémonie était l'opportunité parfaite et symbolique pour bien leur signifier qu'il n'avait plus rien à voir avec eux, un frère qui ne parlait pas ou qui parlait si bas qu'on le comprenait à peine, des cousins, des cousines plus ou moins attardés. Quant à ses anciens copains, d'école ou de régiment, la plupart étaient devenus crétins, abêtis par l'alcool. C'est ainsi qu'il les voyaient tous, des humains aussi bruts que leurs bêtes, dénués du moindre désir de transcender quoi que ce soit, avec leur petite vie foutue d'avance, et des conversations trop terre à terre.

Après l'armée, Louis avait rencontré sa future épouse, une élégante, très raffinée, professeur de philosophie, qui le trouvant bel homme mais pas trop dégrossi, l'avait aidé à passer des diplômes et des équivalences. Il n'avait pas voulu que ce soit dit, il en avait bavé plus que les autres, mais il était devenu à son tour, après des efforts insensés, professeur de philosophie, versé dans toutes sciences humaines: sociologie psychologie et surtout dans la poésie. Il enseignait maintenant à la Sorbonne et fréquentait un cercle de bels gens trié sur le volet, tous érudits. Il était devenu de surcroit, le principal maître à penser d'un cénacle de parnassiens. Il avait oublié le village, et aussi que son frère avait dû reprendre la ferme à sa place au lieu de poursuivre des études pour lesquelles on le disait doué. Cela était un autre sac de noeuds, mais il avait tourné cette page. Ces gens étaient trop petits pour lui. C'est ainsi que depuis quarante ans  il s'appliquait à jouir du temps présent et à se cultiver, parmi ceux d'une société formidable à laquelle il appartenait.

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C'était sorti comme une voix hors de lui, un grossier personnage reniant aux plis les surfaces arrondies du monsieur délicat qu'il était devenu. Il ne s'était pas montré très aimable, en lui criant "Vas te faire pendre !". Il n'avait pas reconnu Jeanine, en cette souillon qui trainait autour de sa chambre, soir et matin à la même heure, en gémissant, et qui semblait l'épier, importunait jusqu'à Madame son épouse, en lui jetant des cailloux au visage. Louis avait cru à une mendiante de celles dont on ne peut se débarrasser qu'en leur donnant quelques gri-gris, des porte-clefs ou des médailles. "Ces femmes ont quelque chose d'ensorcellant, tant qu'elles n'obtiennent pas ce qu'elles désirent...". Il lui avait donné un mousqueton, pour la calmer, cela n'avait pas suffi. Il n'aurait pas pu dire combien de fois il avait croisé cette folle depuis son arrivée. Dix fois par jour, peut être ? Ca devenait trop harcelant. Elle le hantait. Son frère le regardait de loin chasser Jeanine comme on chasse la vérole et restait stupéfait qu'on puisse à ce point oublier.

Jeanine après de longues années d'attente, s'était lentement affaissée, dans un monde bien à elle, entre ses rêves de pureté et une saleté réelle. Elle était devenue méchante, à force d'implorer le ciel. Sa vie n'avait été qu'une douloureuse attente, agrémentée par des rituels quotidiens, incompréhensibles, pour le retour de son aimé. Et elle savait qu'un jour il reviendrait. Que tous deux, ils se marieraient. Il lui avait promis. Cela ne pouvait être autrement.

Il y avait eu une altercation très violente, juste en bas du fenier. Jeanine, s'était jetée sur lui, pour l'embrasser, enfin comblée ! le frère avait vu ça de loin, assis sur le muret des cabanes à lapins, avec sa pipe en coin et son béret sur le côté. Il avait entendu les injures proférées, hurlées et répétées. Ca allait loin ! Le frère songea qu'aucun homme, même le plus grossier, n'avait le droit de dire des choses pareilles à un autre être humain. Après avoir déversé les pires mots sur la femme, Louis était parti sans se retourner, il s'était  adressé à son frère juste pour pester encore, de ne pas être à cette heure, à son cercle privé de poésie, qu'il animait tous les mardis à St Germain des près. Il ne cachait plus son irritation à devoir encore rester un jour au pays. C'était le jour de trop. Le frère ne comprit pas d'emblée, pourquoi Jeanine avait trainé la grande échelle.

L'après midi fût plus tranquille, une belle journée d'été. Le lendemain à l'aube, le frère s'aperçût que la corde qui tenait la cloche du portail, avait été volée. La cloche gisait dans l'herbe. Comme ce matin, si tôt, il n'avait pas encore vu Jeanine dans les parages, le frère eût une intuition un peu sombre. Il se dit que cette histoire avait assez duré. Il était temps que le Seigneur intervienne. Il courût dans la chambre d'amis chercher Louis, à peine éveillé, prétexta qu'il fallait à tout prix monter dans le fenier pour l'aider à descendre un outil dont il avait besoin tout de suite, et comme lui, avec sa sciatique etc, etc... En échange de l'hospitalité, "pour une fois un petit coup de main"... Louis accepta, c'était son dernier jour ici, "après tout rendre petit service" il pensa que :"ça ne mangeait pas de pain !". C'est là haut, dans un coin du fenier, en voyant de près le visage de la créature, un visage rajeuni de 40 ans qui, au bout d'une corde, encore, lui souriait comme en adoration, avec cette drôle d'expression qu'on eût dit de béatitude, qu'il dût se passer quelquechose. Après quoi tout devient mystérieux.

Le médecin appelé d'urgence par le frère devant les deux corps immobiles dont un seul respirait, plia le bras, piqua un peu l'homme partout avec une aiguille. Plus rien de ce corps ne réagissait. C'est ainsi, désormais que le malade vivrait, figé dans une posture horrible, comme celle d'une statue hantée, ou d'un cadavre dont l'âme s'épuisait aux enfers. Avant de repartir tout en saluant le fermier, le médecin crût très utile de rajouter: "Pour guérir votre frère, cher monsieur, il suffirait que je connaisse la cause profonde du choc terrible qu'il vient d'endurer, si vous avez quelque élément, n'hésitez pas à m'en parler, ce serait l'unique moyen de le guérir". Le frère prit un air désolé "vous savez moi, je ne sais rien, j'suis jamais au courant de rien !". Dans le foin, le visage de Jeanine était devenu sublime, près d'elle un homme mort respirait, la bouche déformée, fixée dans une grimace affreuse. Quand le medecin fût reparti, le frère alla avec un petit sourire en coin jusqu'au robinet de la cuisine, il vit par la fenêtre, passer l'épouse de Louis dans sa nuisette en tulle. C'est vrai qu'elle avait belle allure ! il remonta sa grosse culotte de velours d'un air très satisfait, fît un clin d'oeil complice au portrait du Seigneur qui trônait dans un cadre au dessus du buffet puis se lava les mains longtemps.

CATALEPSIE.

Photo 1 : Judas bois polychromé, détail art lorrain du XVem siècle.

Photo 2 :  Reproduction d'un Christ couronné d'épines. Art lorrain, début du XVI em siècle tiré d'un catalogue ancien sur le "Nouveau musée de Metz". Archives personnelles. ©Frb.

mardi, 21 juillet 2009

Nabirosina.

"Un point où le réel et l'imaginaire deviendraient indiscernables..."

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Au commencement était... le Nabirosina.

Sengs et Lufers parlaient le même langage. L'humus (1) délivrait patiemment, l'azote, le phosphore et tous les éléments. Puis vint un jour l'inévitable...

Ainsi naquirent, les brésars.

Nota: Le mot latin "humus" désignant "la terre", est cité par Curtius (1er siècle ap. J.C.) comme provenant d'un mot grec signifiant "à terre". (locatif d'un substantif hors d'usage). En réalité, le mot latin "humus", comme d'ailleurs le mot "homo" = "homme" », provient de la racine indo-européenne *ghyom- qui signifiait "terre" (cf. J. Picoche 1994, p. 287).

Photo: Esquisse du Nabirosina originel. Vu au plus près, en juillet 2009 (avant J.C.). © Frb

mardi, 14 avril 2009

L'origine s'oublie...

"Dire le nom c'est commencer une histoire"

SAMUEL MAKIDEMEWABE cité in "Partition rouge". "Poèmes et chants des indiens d'Amérique du Nord". Florence DELAY / Jacques ROUBAUD. Editions du Seuil 1988.

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" 1872 : Dans la grande vision où Elan-Noir trouve son nom il y a le Grand-père de l'Ouest, le Grand-père du Nord, Le Grand-père de l'Est, le Grand-père du Sud, le Grand-père du Ciel, le Grand-Père de la Terre, douze chevaux noirs avec des colliers de sabots de bison, douze chevaux blancs entourés d'une troupe d'oies sauvages, douze chevaux alezans, avec des colliers de dents d'élan, douze chevaux fauves, un aigle tacheté, une coupe d'eau, un arc ,une baguette fleurie, une pipe sacrée ou calumet etc ...

1919: Dans la vision où Cerf-Boiteux trouve son nom il n'y a plus qu'un arrière Grand-père : le sien. Après quatre jours et quatre nuits passés seul sur la colline, sans eau, sans nourriture, dans la fosse de voyance, il entend certes la voix du peuple des Oiseaux mais il ne voit rien... Jusqu'à ce que, dans le brouillard tourbillonnant, une forme se dresse devant lui : "Je reconnus mon arrière Grand-père, Tahca Ushte, Cerf-Boiteux le vieux chef des Minniconjous. Je pouvais voir le sang s'écouler de sa poitrine, là où un soldat blanc l'avait tué. Je compris que mon arrière Grand-père souhaitait que je prenne son nom. J'en conçus une joie indicible."

Source : extr. de "dire le Nom" in "partition rouge".

Photo : Il y a un trésor dans la forêt d'à coté mais qui ne se voit pas. On le devine parfois juste après la pluie, quand au moment de l'éclaircie, on se trouve là, sur le petit chemin bordant le grand lac romantique où le canard colvert nargue son promeneur d'un mystérieux cancanement...

Parc de la tête d'Or. Lyon. Avril 2009. Frb ©

jeudi, 25 décembre 2008

D'où viens-tu Père Noël ?

Comme un Jeudi...

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Tout le monde ou presque le sait, le Père Noël, ne vient pas du Père Noël même mais de Saint Nicolas dont il s'est largement inspiré. La barbe blanche, la mitre (devenue un bonnet de fourrure) et le long manteau rouge... St Nicolas voyageait sur le dos d'un âne, le Père Noël, lui, va sur un traineau tiré par des rennes. Dans certaines régions de France, (une coutume qui se perd), les enfants déposaient sous le sapin un verre de vin pour le père Noël et une carotte pour son âne. Chaque région donna au père Noël un nom bien différent: il est appelé "chalande" en Savoie, "père Janvier" en bourgogne et dans le Nivernais, "Olentzaro" dans le pays basque ou encore "Barbassionné" en Normandie.

Quant à Saint Nicolas, il a été  importé aux Etats-Unis au XVIIe siècle par les immigrés allemands ou hollandais où il aurait pris l'ampleur commerciale que nous connaissons actuellement, puis il y eût quelques transformations vestimentaires et culturelles pour le transformer en un Père Noël plus convivial et serait ensuite revenu en Europe. Pour les américains, Saint Nicolas est Sinter Klaas qui devint Santa Claus.

En 1821 : un pasteur américain, Clément Clarke Moore écrivit un conte de Noël pour ses enfants dans lequel un personnage sympathique apparaît, le Père Noël, dans son traîneau tiré par huit rennes.
Il le fit dodu, jovial et souriant. Il remplaça la mitre du Saint Nicolas par un bonnet, sa crosse par un sucre d'orge et le débarrassa du Père Fouettard. L'âne fut remplacé par 8 rennes fringuants.Mais c'est à la presse américaine que revient le mérite d'avoir réuni en un seul et même personnage les diverses personnifications dispensatrices de cadeaux.

En 1823 : L'événement qui contribua certainement le plus à l'unification de ces personnages fut sans aucun doute la publication du fameux poème de Clement Clarke Moore. Intitulé "A Visit From St. Nicholas", ce poème fut publié pour la première fois dans le journal "Sentinel", de New York, le 23 décembre 1823. Repris les années suivantes par plusieurs grands quotidiens américains, ce récit fut ensuite traduit en plusieurs langues et diffusé dans le monde entier.

En 1860, Thomas Nast, illustrateur et caricaturiste au journal new-yorkais Harper's Illustrated Weekly, revêtit Santa-Claus d'un costume rouge, garni de fourrure blanche et rehaussé d'un large ceinturon de cuir. En 1885, Nast établissait la résidence officielle du père Noël au pôle Nord par un dessin représentant deux enfants regardant, sur une carte du monde, le tracé de son parcours depuis le pôle Nord jusqu'aux États-Unis.
L'année suivante, l'écrivain américain George P. Webster reprenait cette idée et précisait que sa manufacture de jouets et sa demeure, pendant les longs mois d'été, était cachée dans la glace et la neige du pôle Nord.

En 1931, le père Noël prit finalement une toute nouvelle allure dans une image publicitaire, diffusée par la compagnie Coca-Cola. Grâce au talent artistique de Haddon Sundblom, le père Noël eût désormais une stature humaine (le rendant ainsi plus convaincant et nettement plus accessible), un ventre rebondissant, une figurine sympathique, un air jovial. La longue robe rouge fût remplacée par un pantalon et une tunique. Ceci est plus marqué aux Etats Unis, car en France, le père Noël a conservé une longue robe rouge.
Coca Cola souhaitait ainsi inciter les consommateurs à boire du Coca Cola en plein hiver. (eh oui! Coca Cola c'est ça!)
Ainsi, pendant près de 35 ans, Coca-Cola diffusa ce portrait du père Noël dans la presse écrite et, ensuite, à la télévision, partout dans le monde.

Une autre hypothèse existe, quasi estompée aujourd'hui des mémoires : Le Père Noël était Roi mage.

Une légende russe raconte qu'il existe un 4e Roi mage, qui conduisit sur la steppe un traineau tiré par des rennes et rempli de cadeaux pour les enfants. Depuis 2000 ans il a renoncé à trouver l'enfant Jésus, alors, depuis, il comble de cadeaux les enfants qu'il rencontre en cours de route.

Un Quatrième roi Mage, un peu cossard qui n'en ferait qu'à sa tête, l'hypothèse est plaisante, reste une question de taille: après Gaspard, Melchior et Balthazar, quel pouvait être le prénom du roi mage "Père Noël" ? Oscar ? Nestor ?  Isidore ? Dieu seul le sait...

Photo: Les Pères Noël du marché de Noël, situé place de la Croix- Rousse à Lyon, tout autour de la Statue JACQUARD. Décembre 2008. Frb©