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mardi, 28 avril 2015

La splendeur des fossés

Je n'étais pas loin de croire qu'il y avait dans ces lisières quelque chose d'insolite, pas une légende inventée, mais un renversement de tout éclairage connu, un regard qu'il suffit de porter selon un angle qui révèle une autre vision, j'entends bien à jamais autre. Une divergence essentielle.

ANDRE DHÔTEL extr. "Lointaines Ardennes", éditions Arthaud, 1979.

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Quand on s'arrête d'écrire, apparaissent les merveilles.

Un chemin aux limites, où il n'est plus besoin de mener en bateau, ses flots d'encre asséchée, contre un jour sans clavier, ni ces petits carnets où gratter les balades, j'aborde un paysage avec mes mains palmées, soudain happée des charmes de toutes ces fluidités.

Quand les eaux se séparent, c'est juste à la lisière et sur la pointe des pieds qu'on s'approprie des mondes...

Photo : un chemin pour cueillir le corail jusqu'à la grande barrière. Il n'y a rien de plus certain. C'est au parc, certains jours, alors qu'on s'attendait à trouver une tête d'or, qu'on voit des bras de mer. L'aura de sainteté en pavane ("il faut croire" like St Thomas), nous aura réservé un passage divergent sans le moindre trucage. Dieu (?) un peu joueur, qui sait ? (Gros buveur de liqueur de Ginseng, panacée aussi bleue qu'une orange), nous laisserait marcher, mes galops amusés creusant un peu des flots semblables au banc de neige.

Nota : Comme je n'ai plus de courrier qui pourrait étoiler les chemins, la barque de mon postier, voguant vraiment de travers, qui peut tout accueillir mais n'achemine plus rien, ce billet est dédié à quelques amis proches et lointains, oeuvrant à la lisière, en opus parallèles ici, là-bas, hors champ, via des rives singulières, et rien qu'à la lisière... 

 

Lyon, Parc de la Tête d'Or, © Frb 2015

mercredi, 22 avril 2015

Fluidités (II)

Un voyageur peut toujours revenir sur ses pas. Mais sur l'axe du temps, il n'y a pas de retour en arrière. Ce qui est perdu l'est à tout jamais.

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Le voyageur revient à son point de départ, mais il a vieilli entre-temps ! [...] S'il était agi d'un simple voyage dans l'espace, Ulysse n'aurait pas été déçu ; l'irrémédiable, ce n'est pas que l'exilé ait quitté la terre natale: l'irrémédiable, c'est que l'exilé ait quitté cette terre natale il y a vingt ans. L'exilé voudrait retrouver non seulement le lieu natal, mais le jeune homme qu'il était lui-même autrefois quand il l'habitait. [...] Ulysse est maintenant un autre Ulysse, qui retrouve une autre Pénélope... Et Ithaque aussi est une autre île, à la même place, mais non pas à la même date ; c'est une patrie d'un autre temps. L'exilé courait à la recherche de lui-même, à la poursuite de sa propre image et de sa propre jeunesse, et il ne se retrouve pas. Et l'exilé courait aussi à la recherche de sa patrie, et maintenant qu'elle est retrouvée il ne la reconnaît plus.

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Ulysse, Pénélope, Ithaque : chaque être, à chaque instant, devient par altération un autre que lui-même, et un autre que cet autre. Infinie est l'altérité de tout être, universel le flux insaisissable de la temporalité. C'est cette ouverture temporelle dans la clôture spatiale qui passionne et pathétise l'inquiétude nostalgique. Car le retour, de par sa durée même, a toujours quelque chose d'inachevé : si le Revenir renverse l'aller, le "dédevenir", lui, est une manière de devenir; ou mieux: le retour neutralise l'aller dans l'espace, et le prolonge dans le temps ; et quant au circuit fermé, il prend rang à la suite des expériences antérieures dans une futurition ouverte qui jamais ne s'interrompt: Ulysse, comme le Fils prodigue, revient à la maison transformé par les aventures, mûri par les épreuves et enrichi par l'expérience d'un long voyage. [...] Mais à un autre point de vue le voyageur revient appauvri, ayant laissé sur son chemin ce que nulle force au monde ne peut lui rendre : la jeunesse, les années perdues, les printemps perdus, les rencontres sans lendemain et toutes les premières-dernières fois perdues dont notre route est semée.

VLADIMIR JANKELEVITCH, extr. "L'Irréversible et la Nostalgie", éditions Flammarion, 1983.

 

Photo : de l'eau qui coule sans cesse, de l'eau qui fertilise, de l'eau qui dort, de l'eau qui porte. Un jour entre deux rives, jusqu'au fleuve, jusqu'au lac, sans jamais oublier la source. Là, un fragile passage entre deux courts voyages, qui ouvrent à la question fermant un autre livre: "La presqu'île" de Julien Gracq, une question difficile, humaine, fondamentale, (reste à lire), via des correspondances, qui pourraient (si on cherche) entrer en résonance avec le voyageur du texte de Jankélevitch. 

Il avait parfois le sentiment vif de ces joints mal étanches de sa vie où la coulée du temps un moment semblait fuir et où, rameutées l’une à l’autre par un même éclairage sans âge, le va-et vient des seules images revenait battre comme une porte.

 

Passés/ présent © Frb 2015

mardi, 14 avril 2015

Rondeur des jours

Que d'années à se défaire du pli, à se délester des chimères, à se décrasser des niaiseries, à rompre le cercle étouffant de la faute et du rachat, à prendre le large loin de ces tenaces mais si touchantes impostures auxquelles butent les furieux élans de l'enfance façonnée dans la cruelle chasteté et le miel du respect, et qui doit tenir sa langue en attendant que vienne l'heure où la rebellion fusera au grand jour comme germe une plante après un long hiver.

LOUIS-RENE DES FORÊTS  in "Ostinato", éditions Gallimard 2000,

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Pour ne plus avoir peur des questions de  Samuel Wood:

 

Comment chanter sur un registre moins pauvre ? 

 

Tout cela qui fut, qui est l’éclat du moment

Étrange sans doute comme les métaphores des rêves

Offre une vision meilleure du temps

Malgré tant de figures réfractaires

Qu’en dépit de plus d’un détour

La langue échoue à prendre dans ses pièges,

Mais bien loin de se tenir à distance

Elles rayonnent assez fort pour que s’exerce

Au-delà des mots leur hégémonie souveraine

Sur l’esprit qui, grâce à elles, y voit plus clair

Quand il ne se laisse pas dévoyer par la phrase

Avec ses trop beaux accords, son rituel trompeur

Auxquels s’oppose en tout la communion silencieuse,

Ce feu profond sans médiation impure.

 

Ici: Rondeau pour une basse continue et des petits tambours. Un aperçu de rude hiver, où les instruments artisanaux dits "en forme de lune" tiennent encore au domaine, (Dieu sait comment !), on appelle ici Dieu, tout ce qu'on ne sait plus nommer.

Demain: de frêles bourgeonnements juste un balbutiement, rien ne se perd, etc, etc...

promesses: la naissance du printemps, Cupidon caresse la Tulipia Grachinea aux jardins engloutis, Rémi et Colette ramassent toutes les violettes dans le pré pour faire une surprise à maman.

En douce: l'effraie au guet des petits animaux de l'aube et de la nuit, redevenus farouches, aucun d'eux désormais n'oseront faire un mouvement.

Ailleurs: les dimanches en famille, sur l'air de "ils cueillent des jonquilles"

De nos refuges, pas un mot pour le dire, rien que du fragmentaire, pas de printemps officiel, un prélude, en hommage aux amis disparus et réapparus, avec récital de bruissements devant une société de colibris-pêcheurs et mésanges d'Amérique, de hérissons très doux, d'écureuils pas très clairs (le panache cache les taches de rousseurs + un soupçon de hold up dans les noisetiers de l'amicale écologiste) et les autres: oryx, algazelles aux abois, "la fée" et sa demeure, fidèle itinérante, lutins bleutés, anachorètes, à pieds ou rossinante, qui vont par les chemins en guêtres de pollen, créatures à l'âme singulière qui ont toutes appris le linta à l'ocèle de l'édoubrille et pourraient réciter par coeur les poèmes de Samuel Wood en charmillon, ils se reconnaîtront.

Laissant courir ailleurs le temps, les mots, le murmure des forêts, demeurera inchangé, même après les travaux, pendant que le bûcheron finira de boire sa bière en jetant les canettes dans la clairière, (à cette nouvelle décharge la beauté, à la serpe) hommage à "Serpe d'or", une bouteille à Nestor, trouvée dans la rivière par les lierres et les algues, "nous sommes liés quelque part", c'est là une évidence même quand la boîte retarde sur un mode unplugged, mes excuses ajournées et des remerciements à ceux qui ont écrit, avec mes voeux de Mai, à ce train là, ils glisseront sur la vasonnette de Juillet, mince indice, les courriers ne partent plus, et je laisse en état, un malin musicien qui ne manquait pas d'humour (enfantin même potache) aurait pris quelques ronces frottées sur un vieux tronc pour écrire "j'ai été coupé", ainsi sortir des bruits, un beau son, et sourire du reste, il l'a peut-être fait... 

Avec des si : du murmure au cri des forêts, il manquerait peut-être un pont qu'on ne sait plus franchir, pas de cri, rien que le souffle du vent qui tient lieu de parole et de souffle, simplement.

Nota : Si vous le souhaitez vous pouvez effleurer les images, pour ceux qui aiment voir les saccages en plus grand ce qui n'est pas mon parti-pris, moi, je ne dis rien de précis, ni vrai, ni édifiant, je montre ce qui existe, des espaces aux limites qui, peut-être nous regardent...

 

Là bas , Frb 2014-2015

jeudi, 02 avril 2015

Antidotum Tarantulae

Rêve, ma fleur et repose toi, 

ferme ta bouche de rose.

Rêve et ferme tes yeux tout ronds 

car lorsque tu rêves, le monde rêve.

Ferme les yeux et ne parle pas, 

Rêve des fonds de la mer. 

 

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Rêve d'un monde fait de musiciens. 

Ferme les yeux et n'aies pas peur 

Rêve du vent rêve de la tempête, 

Rêve de la mer et rêve de la forêt

La musique de cet orgue de barbarie

Remplit ton coeur et creuse ta poitrine.

Et, ma jolie, ne parle pas,

Ce n'est plus le moment de soupirer.

Aujourd'hui, tu as fini de désespérer,

Après-demain nous allons travailler.

Nous allons faire un grand château,

Rempli de belles choses.

Nous le ferons en or et en argent.

Tout le monde doit y habiter.

 

Song, extr."Sogna fiore mio" (Ninna nanna sopra la Tarentella), musique et texte d'Ambrogio Sparagna arrangements de Christine Pluhar in La Tarentella "Antidotum Tarantulae", CD paru aux Chants de la terre, (Alpha 910). En écoute ci dessous.

 

Définition d'Antoine Furetière, in le Dictionnaire universel 1690:

"Tarentole (voir tarentule) : petit insecte venimeux ou araignée qui se trouve au royaume de Naples dont la piqûre rend les hommes fort assoupis et souvent insensez et les fait aussi mourir. La tarentole est ainsi nommée à cause de Tarante, ville de la Pouille où il s'en trouve beaucoup. Plusieurs croyent que le venin de la tarentole change de qualité de jour en jour, ou d'heure en heure, parce qu'elle cause une grande diversité des passions, à ceux qui sont picqués : les uns chantent, les autres rient, les autres crient incessamment ; les uns dorment ; les autres ne peuvent dormir, les uns vomissent ou souent, ou tremblent ; d'autres tombent en de continuelles frayeurs ou frenesies rages § furies. Il dfonne des passions pour diverses couleurs, § fait qu'aux uns le rouge plait, aux autres le verd, aux autres le jaune. Il y en a qui sont incommodez 40 ou 50 ans. On a dit de tout temps, que la musique guerissoit du venin de la tarentole, parce qu'elle reveille les esprits des malades, qui ont besoin d'agitation." 

"Comme Pénélope je tisse une toile nouvelle", chantait notre tarentule homérique au début du printemps. Pour mémoire, la Tarentule était supposée plonger sa victime dans un état profond de léthargie qui conduisait à la mort, ce mal insidieux (ou diablement païen) était nommé tarentisme ou tarentulisme. La victime se trouvait soudain agitée de convulsions ; couchée sur le dos, elle bougeait sur ses mains en se balançant comme sur une toile. Ces symptômes vus de notre époque évoqueraient plus sûrement une forme de catharsis. Alors, "La pizzica tarantata", musique stridente, (tambourin et violon), permettait de guérir par la transe les femmes affectées, dites les "tarentulées", ("tarantate" en italien) et selon l’espèce de tarentule, les musiciens dits "Capi attarantati" recouraient à des rubans de l’une ou l’autre couleur censée agir sur le psychisme du (de la) possédé(e). Cette dernière danse sur la musique pouvait durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines, à ce remède participait tout le village de la victime. Une illustration de Gustave Doré pour le chant XII du "Purgatoire" de Dante Alighieri semble figurer ce mal : voir ICI.

En ce qui concerne la danse il en existe plusieurs : une tarentelle apulienne, une napolitaine, une sorrentine, une calabraise, une sicilienne. Ces tarentelles dites "nobles" se sont imposées dès le 18ème siècle et elle font partie, encore aujourd'hui du folklore méditerranéen. Nobles ou pas, toutes les tarentelles sont basées sur deux accords et quatre temps, avec tous les 4 temps retour de la même harmonie, ce qui permet des variations infinies. La tarentelle thérapeutique ne s’arrête d’ailleurs qu’à la guérison. Quant à la source du tarentisme en tant que rite, il semble qu’il remonte ’à l’Antiquité. "Tarentule", "Tarente" et "Tarentelle" pourraient avoir comme étymologie commune "tarantinula" (mot latin) ou "tarantinidion" (mot grec) qui désigne le vêtement léger porté par les danseurs des bacchanales. Dionysos-Bacchus fût le dieu le plus honoré dans la région de Tarente et lors des jours célébrant le retour au printemps, les habitants étaient tous en état d’ébriété. Le tarentisme serait probablement une réminiscence de ce culte orgiaque.

(Source, Isabelle Pierdomenico)

Photo : Le malin tarentulophile allant fureter, hurlerait au blasphème déjà piqué (ou mordu, enragé) devant ma représentation abusive de la vilaine tarentule d'antan, j'avoue n'avoir trouvé au jardin qu'une piétre figurante (à défaut de vilaine tarentule poilute), le lecteur adoré n'est pas dupe, ceci n'est pas une tarentule". J'admets que les petits moyens de certains jours n'ont pu s'offrir un safari à Tarente pour vous ramener Dame tarentule à l'ancienne en chair et os -si j'ose dire pour pavane- puisque la tarentule étant une araignée chacun sait que la tarentule n'a pas de squelette à l'intérieur du corps mais ce qu'on appelle un exosquelette, la bête possède huit pattes et deux supplémentaires qui lui servent de fourchette à tenir sa nourriture, elle a deux yeux sur sa tête qui n'ont fonction que de l'aider à percevoir la clarté et la noirceur, comme elle n'a pas de nez ni d'oreilles, elle détecte des vibrations reliées à son système nerveux, elle a plein de poils sur le corps pas mal de poil aux pattes, qui servent de détecteurs et certaines d'entre-elles beaucoup plus chics (garanties sans truquage) sont nées naturellement turquoises (ou bleu de cobalt). Notre tarentule à nous, d'un genre grossier de Xysticus Audax est bien aussi candide que l'immense nébuleuse de la Tarentule située dans la galaxie du "Grand Nuage de Magellan" (à plus de 160 000 années-lumière, d'ici, seulement) il y aurait donc, selon mes calculs, exactement la même distance qui séparerait notre araignée (Xysticus Audax Approximativus) d'une vraie Tarentule de Tarente à moins que la notre soit une vraie tarentule du XXIem siècle, donc une post-tarentule qui aurait été standardisée, liftée, épilée pour la photo, afin de ne pas effrayer les arachnophobes, ce qui ne veut pas dire que le poison expulsé par cette innocente ne provoque pas des altérations morales et des affections du seul ordre de la contrariété. Il est vrai qu'au printemps, il aurait été plus heureux de vous montrer des fleurs (ce que je ferai courant Avril, après ces pluies de Mars, le jardin est un enchantement). Quant à ce disque peut-être pas évident à la première écoute, il est finalement, merveilleux, et envoûtant à mesure qu'on le redécouvre, arrangé par Christine Pluhar, il mériterait sans doute d'autres précisions, en un autre chapitre. En attendant, l'écoute de cet album, peut s'avérer une excellente alternative à la musak FM qui s'étend sournoisement dans nos villes, contre laquelle il n'existe pas de contre-poison digne d'une tarentelle pour l'éradiquer totalement. A suivre, peut-être s'il est possible, ...

 

Au jardin, © Frb, 2015