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vendredi, 04 janvier 2013

Ne t'efface pas

Il semble que la vie restera toujours inachevée. Mais on demande une chance supplémentaire.

André DHOTEL : extr. "Le pays où l'on n'arrive jamais" éditions Pierre Horay, 1995.

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C'est entre deux temps, l'un volontairement ralenti que je trouvais dans une valise, quelques fragments d'un livre de André Dhôtel, un auteur magistral, dont l'esprit merveilleux à chaque lecture semble nous restituer un pan secret de l'univers. En ouvrant quelques pages du livre à l'aveuglette, je tombais pile sur cet extrait, il semblait que cela pouvait convenir à ce point de l'année (ou de la précédente) grosso-modo à la croisée, de l'heure et du retard, jeu de broderie là bas, et ici ravaudant entre la fin du monde, et les petits commencements coutumiers, des suites à griffonner sur des vitres où le ciel et la terre sont au mieux une image, au pire, un idéal.

A part ça, quelquefois, on ne peut que broder. Il n'y a plus de frontière dans le calendrier. On profite des grisailles, on ne veut rien louper de cette heure quand des brumes tirent les personnages là, au milieu du ciel, dieux du flou, parenthèse incomplète, allant à l'opposé de nos jours saturés, de nos voix vivant moins en nous qu'au dehors - autant d'yeux/ d'autres voix ne cherchent plus entre elles à se persuader qu'elles seraient plus réelles qu'une parole, remueraient ciel et terre pour un mot déplacé, vérités comme une masse à la fin capturée, c'est un seul homme qui clame - je suis vrai- je suivrai la parole d'autres mêmes - et la mienne effacée, se dissout dans l'espace, il n'en reste qu'un trait, un peu de brume encore. Des petits trains muets longeant la voie ferrée, croisant quelques remblais. Ensuite ça redémarre. Toujours on dérivait. On voyait quelques hommes qui passaient leurs mains par la fenêtre, faisaient des moulinets devant l'expostion des tableaux alignés, variés ou tous pareils. Est ce que ça importait ? Vues d'un train, des clôtures aux fenêtres, arrimées à ces lettres: un verrou par sujet, gardant la citadelle. C'était là, le pays où l'on arriverait.

Le cantonnier qui balayait les dernières feuilles est venu ramasser les sapins de Noël. C'est comme l'année dernière, à quelques détails près. Puis l'an d'après ça rebelote : automne hiver printemps été...

On aura trouvé de l'agrément à chercher simplement un quai, dans un endroit paumé sans panneau, ni frontière, pour s'offrir une escale au pays où l'on n'arrive jamais. Moins qu'une formule désespérante ça demeurera toujours un supplément discret ou de la nonchalance et parfois un peu d'ombre nous retrouve en silence. 

Le cantonnier qui volait dans le ciel avec les feuilles mortes ne dévoila pas les secrets que nos coeurs emportaient, son pas l'invitant à marcher sous les arbres, juste avant le passage qui va de l'ombre à la lumière, une étincelle, à peine, tenant encore le reste.

On n'aurait aucun mal à se pavaner tranquillement d'une rue bien pavée jusqu'à l'étendue paisible autonome des fourrés, des forêts et des étangs sauvages pour y cacher son faix, se fondre à l'épopée, retourner cahoter, aborder les sentiers afin d'éprouver les limites de ces foules, de ce corps roulant comme la feuille entre les joncs bleutés, longeant un peu les baies, là bas où l'on se dore, jouant dans les reflets d'une barque retournée à l'envers.

On ramène des images sans chercher à savoir qui tournera la page, s'échouera à moitié, tourne ou sera tourné. On entendra les cornes de brume: un son qui ne dure guère, dont l'écho s'éternise et ne vaut pas qu'on laisse ainsi cingler l'espace.

On serait heurt / spectateur, dans cette marge exsangue retenant l'échappée, elle prend de si loin l'objectif, fait exprès de rater son but, aborde le vieux singe qui se perd sous son arbre. On continue à vivre dans la réalité - je vous jure que tout est vrai, ma bouche, mes yeux, mon nez ! et mes chaussures de marche qui marchent dans ce pays, pour serrer le vieux singe et ses gros doigts carrés, s'il referme sa patte, le pays disparaît.

Toi tu dis - c'est pas vrai ! ça ne peut pas exister, tu parles comme une toupie, on va pas tout gober/ utilité d'un mot allant à l'objectif, louant celui qui joue le rôle de s'échiner, des mots pour amuser. La galerie nous enflamme, quand on veut converser c'est un fragment du bruit. On peut tout laisser dire. On entendra les cornes, un paysage de brume, nous mènerait à l'impasse, désolant comme l'ennui. On s'étonne. Que sais-tu, de l'ennui ? De celui qui l'éloigne ? Qui parle aux animaux et voudrait faire sa vie au pays où l'on n'arrive jamais.

Tu n'es pas étranger près de cet étranger, il paraissait tenu par un autre défi, on voudrait essayer de déjouer l'oubli d'un partage advenu.

Il resterait longtemps assis là, sur sa borne, à attendre, on ne peut pas signifier qu'on s'était lentement perdu dans le langage / ou le plus simple mot/ butant sur cette ronde qui invite à marcher/ la tête dans les épaules. Tout brillait si gaiement, vu d'en bas chargé d'armes, contre les jours maussades, il y a des parades. Faut-il s'en contenter ?

Lui, il conserve sa part, il n'alignera pas ce peu de force vive pour s'égayer d'un bruit, qui va dans les objets émettra le bruit grave de les accumuler ; des peuples s'y enivrent, ces voix dont le prestige est un terrassement encore abstrait, détruiront le réel, on ne sait pas comment, ces voix colleront sur nos bagages un label "qualité" après quoi on pourra s'enfuir, ou bien l'on se retire, et le point de départ sur le point d'arrivée, n'est qu'un pas de côté pour se griller la place. Le corps embarrassant, nous bâterait comme un âne qui voulait lui aussi trottiner sous les arbres au pays où l'on n'arrive jamais.

Quel diable les possédait à vouloir s'évader ? C'est bien pour nous aider qu''un jour ils nous rattrapent / aider ? / ah ? / réussir ? / mais réussir quelles vies ?  

On libérera le livre, il flottera sur l'eau calme pour les cent mille ans à venir. Il passera de main en main, d'aussi près qu'il paraissait n'ouvrir sur rien de précis. Une empreinte animale contre une tête d'homme usée se couronnera de phrases annonçant le déclin de nos civilités.

Des signes extraordinaires dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les peuples paralysés de frayeur devant le fracas d'une mer démontée./ (Luc 21.25-27). Là où l'histoire s'arrête, n'en retiendrait-on rien ? 

Ou si peu de nous réunis, s'il n'y avait pas ailleurs un sourire dans les yeux du passeur, posant son galurin près de nous sur la rive, nous voyant à genoux et avançant sa barque, chuchotera encore :

Il y a dans le même pays plusieurs mondes véritablement.  

Le présent, le souvenir, cent mille ans à venir. Laissera-t-on filer l'homme embarqué comme l'enfant parti on ne sait quand avec quelques copains allés si loin, qu'il revient seul, presque au point de départ. Encore si près de nous qu'on croit l'avoir déjà rencontré quelquepart, quand d'autres pourraient jurer qu'ils l'ont vu chaque jour, seulement tourner en rond, depuis les cent mille ans qui ont passé, si vite, et autant à venir.

C'est peu, pensera-t-on, en guettant sur l'horloge l'heure de ce rendez-vous, des milliers de secondes à raconter l'attente. A ne penser à rien ou bien à regarder ces foules au coeur du monde se faire une place au soleil. Quelques cornes qui grondent et la monnaie sonnante dira que tout va mal/ ça ira mieux demain. Rien que de l'ordinaire. Cent mille mots de conquêtes à la fois fausses et vraies, aucune qui n'ait pas balisé d'avance nos trajets. Cent mille jours de silence rendant force à ce souffle dont l'immédiateté repousserait un instant celui de s'effacer, ne pourrait rien connaître de ce patient retour qui toujours nous retient. Où est notre mémoire ? Qu'y'a t-il après rien ? / Que dire pour que tu saches ? / Une terrasse de café/ simplement/ presque rien/ des années-lumière/ une seconde/ où mon pas se glissait/ dans le tien/ pour aller regarder les étoiles.

 

 

  

 

 

photo: Là bas. Une image embarquée. Buisson flottant et des coraux.

 

Nabirosina © Frb 2013

samedi, 17 octobre 2009

Parler au caillou

"C'est en discutant avec un caillou
qu'on a le plus de chance

de se rendre compte des limites de la conversation".

PIERRE-YVES MILLOT : in "La conversation"/ "Pour en finir avec le rien".

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DISCUTER : Nature : v. a. Prononciation : di-sku-té

Etymologie : Lat. discutere, dissiper, secouer, et figurément, examiner, discuter, de dis.... préfixe, et cutere, frapper.

conjugaison du verbe discuter : ICI

CAILLOU : Nature : s. m. Prononciation : ka-llou, ll mouillées, et non ka-you Etymologie : Berry, chillou, chaillou, caille ; caillotte, chillotte, petit caillou ; Saintonge, chail ; picard, cailleu ; wallon, caie ; namurois, caiau rouchi, caliau ; provenç. calhau ; portug. calhão. Mot difficile. Diez, faisant ressortir l'analogie entre cailler et durcir, propose cailler, acceptable pour le sens ; mais, si caillou avait même origine que cailler, on trouverait parfois dans les anciens textes coaillou (voy. l'historique de cailler) ; ce qui n'arrive jamais. Grandgagnage le tire du flamand kai, kei, caillou. À cause du sens, on ne peut guère, jusqu'à présent du moins, admettre que calculus ; d'où, par suppression de l'u bref, calclus ; d'où chail ou chaille ; d'où, avec un suffixe ou, caillou ou chaillou. Ce suffixe ou et au dans le provençal fait difficulté ; car représentant la finale latine avus (clavus, clou), on ne voit pas comment il s'est joint à cail. Au reste les suffixes ont varié : il y a eu ot, otte, eul, iel, tous suffixes qui vont beaucoup mieux au primitif cail que le suffixe avus. Le celtique cal, dur, a été indiqué.

Conjugaison du verbe caillouter : ICI

(Sources : dico divers, Web).

Avant de courir (via liens) sur les textes épatants de P. Y. MILLOT,  on tirera des parallèles entre le verbe discuter et le caillou, par la voix de PLUTARQUE évoquant un instant la "vie de DEMOSTHENE", qui, (d'une autre manière), discutait avec des caillou(x) (plein la bouche), comme quoi, (c.f P. Dac) :"tout est dans tout et réciproquement". Extrait :

"Sa voix était faible, son élocution peu nette et son souffle court, ce qui obscurcissait le sens de ses paroles par le morcellement des phrases. [...] Il se fit, dit-on, aménager une salle d'études souterraine; [...] il y descendait tous les jours sans exception pour s'exercer à l'action oratoire et cultiver sa voix; souvent même il y restait deux ou trois mois de suite, se faisant raser un seul côté de la tête, afin d'être empêché de sortir, même s'il en avait grande envie, par le respect humain. [...]
Il parvint par ses efforts à se défaire de sa prononciation vicieuse et de son zézaiement et à articuler nettement en se mettant des cailloux dans la bouche tout en déclamant des tirades. Pour exercer sa voix, il parlait en courant et en gravissant des pentes, et prononçait d'un seul trait, sans reprendre haleine, des discours ou des vers. Enfin, il avait chez lui un grand miroir en face duquel il se plaçait pour s'exercer à la déclamation".

Je ne me résigne pas à suivre P. Y. MILLOT dont je vénère pourtant l'écriture. Cette idée de limite (surtout de la conversation) me sape le moral. Il faut bien accepter cependant, chemin faisant, et entrer en matière avec le caillou. De quoi discuterons nous ? De rien. Ou presque. Parfait. Happée par la douce érosion de l'élément, je résiste au silence de mon caillou. J'essaye d'amadouer, de lui faire quelques compliments. Rien à faire. Au moment où le désespoir viendrait, à force de patience, se joue un étrange déplacement. Je m'aperçois que très naturellement je partage plus de choses avec le caillou qu'avec certaines personnes. Nos points communs ne sont pas rien, le caillou ne regarde pas la télévision, le caillou ne va pas au cinéma, ni aux musées, ni au théâtre. Le caillou est tout seul, le caillou ne porte pas de costard (et je l'en remercie). Le caillou en dit long. Pour le reste il se fout à peu près de tout y compris que tout soit dans tout, même réciproquement. Mais ce qui m'attire et m'invite disons au surpassement (ça marche aussi avec les gens), c'est ce point justement où il n'y a plus rien de commun. Altérité, on dit. Sur son corps inspiré, se lisent des oxymores : impassible douceur. Une idée de la ruine de toutes les connaissances, de l'acquis, de l'inné et j'en oublie. Sa voix (?) en vient à me timbrer passablement. L'étrange étrangeté excelle. Le silence du caillou devient assourdissant. Il convoque les morts. Ses lisses rugosités, sa bienveillante indifférence me liquéfient. Il a gagné. Nous avons dépassé la limite de la discussion et pourtant le flux ne s'interrompt pas. Ce présumé silence était un leurre. Je disparais mangée par le chemin, portant à bout de force une question quasi godardienne. "Qu'est ce qu'il y a au delà de la conversation ? Et comment ça s'appelle ?"...

Quant à P.Y. MILLOT, quand on lui demande "Pourquoi écrivez vous ?" il répond, "Il faudrait adresser cette question à un psychanalyste". C'est ce que nous ferons ! décidément certains jours, même avec les meilleures intentions du monde, on n'y arrive pas. ("Même en mettant les bouchées doubles" me glisse Démosthène sur dans l'oreillette, ah c'est malin !).

En attendant je ne peux que vous conseiller de découvrir P. Y. MILLOT à travers ces truculents petits liens aimablement glanés par la maison. Je vous promets que c'est un chouette lot de consolation, (vous pouvez me remercier).

http://pymillot.chez.com/

http://clicnet.swarthmore.edu/litterature/moderne/millot/...

http://clicnet.swarthmore.edu/litterature/moderne/millot/...

Photo : Caillou du Nabirosina (énorme, superbe, teinté de quartz bleuté et rose), entouré de sa famille et de quelques amis. Vu sur le chemin du hameau dit "des Clefs", là bas. Octobre 2009. © Frb.