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mardi, 30 août 2011

Du peu qu'on ne sait dire...

Je suis long à prendre des déterminations, à quitter des habitudes. Mais quand les pierres, à la fin, me tombent du coeur, elles restent pour toujours à mes pieds et aucune force humaine ensuite, aucun levier n'en peut plus remuer les ruines. Je suis comme le temple de Salomon, on ne peut plus me rebâtir.

FLAUBERT extr. d'une "Lettre à Louise Colet" datant du 6 juin 1853.

du peu qu'on ne sait dire,passé,présent,été hiver,mondes réels,mondes virtuels,correspondances,gustave flaubert,louise colet,pérégrinations,errances,digressions,espaces,inanité,solitude,isolement,multitudeSa mémoire recensait un peu tout ce qui remuait dans l'ombre, d'autres brassaient sur des écrans les nouvelles du soleil à venir, ça donnerait au milieu de Septembre une illusion de feu dans la lumière. Le vieux, il racontait hier, que "lorsqu'on voit sortir le museau des taupes, c'est toujours signe de mauvais temps". En attendant, l'été finissait, éclairant toute chose et même les yeux si parfaitement éteints de nous autres les promeneurs, qui prenions l'ocre pour du jaune, et l'herbe brûlée pour du foin. Ceux qui ne remarquaient rien craignaient juste que la fraîcheur du soir porte en elle les tourments aux heures les plus sombres, tout le dépressionnisme des jours qui précèdent la rentrée des classes, et s'installe longtemps à l'avance, ils redoutaient les nuits noires, de longues nuits où se bousculaient les fantômes, cela réveillait les chagrins qui se figeaient par les brumes au matin. Partout on savait qu'on allait vers une saison plus triste, chaque année c'était toujours comme à la fin, toujours les mêmes célébrations. On revivait la fin du monde une fois l'an, partout où grossissaient les ombres si démesurées qu'elles semblaient pouvoir annuler en chemin, toutes les illuminations de l'été.

Les vieux buvaient encore sous les platanes, on voyait sur leurs gueules la chaleur qui remonte par les tonneaux de vin. On attendrait qu'il pleuve, ou qu'il vente pour rentrer les bacs à géraniums et les chaises de jardin. Ici, du tonnerre de Juillet on s'en souvenait, par delà les décombres, il avait fait grand bien, balayant les anciennes demeures où le malheur frappait toujours, la foudre était tombée sur le grand chêne rouge, cette fois, il n'en resterait rien. On parlait d'un malheur ici, on espérait encore que la force du vent puisse détruire en même temps le souvenir funeste de ces gens qui portaient le malheur avec eux, trop sûrs d'eux-mêmes pour qui la cruauté semblait une force à offrir en modèle ravivant la faiblesse d'en finir avec nos faiblesses, mais on n'en soufflait mot, ce qu'il restait d'embarrassant, venait comme une maladie qui courait encore dans le ciel et l'on se sentait vaguement étranger, tâchant de se protéger au mieux de ces gravités trop humaines qui creusaient des tombes en dedans. Que n'auraient-ils pas fait, ces ambitieux, pour obtenir l'assentiment du plus grand nombre ? Hélas, ils l'obtenaient. Ils parlaient à tort à travers et les autres écoutaient, attrapés par les belles formules, des mouches attirées par le miel et ces semblants d'amour qui venaient flatter par défaut le manque. Aucun des spectateurs ne saurait dire si la source d'un tel amour n'était pas remplie de poison. On ne pouvait plus répondre aux questions, miel et poison, c'était dans l'air. C'était là notre vie présente, on en ferait un commerce égal à nos fausses compassions. On ne pouvait ni juger, ni s'y plaire, on écoutait en prenant garde de ne pas se trouver happés par la trop vive lumière que des ombres moins prévisibles écraseraient un jour en passant.

Sous la toile aguicheuse patiemment ouvragée, il y avait des doublures, des motifs piqués de frelons, un tissu cachant la vermine, des peaux de bête qui sait ? Et les monstres grimés allaient comme des loups de légende, poser cette caresse aux carrefours où des colporteurs faisaient feu de tout ce qui restait. Jusqu'au bistro d'en face on retrouvait les moues les mêmes, depuis des siècles, des créatures obscènes des chapitaux romans et des masques de plâtre. Les femmes aussi, elles portaient leur silence en dessous, à force de devoir endurer toute la boue que les hommes éconduits avaient dû déverser sur elles. Sous des coiffes impeccables et les fausses dentelles, elles pouvaient ressembler tantôt à des sorcières, tantôt à la Sainte Vierge, dont le visage, sans aspérité révélait une férocité naturelle qui faisait douter de leur sainteté, on ne pouvait plus dire si leur joie apparente était une peine ou leur peine un rire plein de méchanceté, de rancoeur ravalée jusqu'au sacrifice pour leurs mères elles mêmes sacrifiées. Aucune image, ni aucun livre n'avaient osé clairement nous dire si cela était faux ou vrai.

On marchait quelques kilomètres plus haut, la terre couvrait de souvenirs l'histoire de ces conquérants courageux. On retrouvait émerveillés les premiers écrits des trouvères, ceux du jeu de parti sous le palefroi d'un chevalier, dans les formules abolies on prenait soin de s'abolir ainsi, tout alentour allait aux pas de ces anciens poètes-guerriers partis un jour forcer les portes de la terre. On appréciait encore le charme des fenêtres à meneaux, on se promenait dans les chapelles où sous les voûtes en berceaux, on pleurait seul mais tranquille. Après s'être isolé par cette apaisante lumière, on se retrouvait dans la rue d'une ville, on se sentait perdu, vendu, défenestré, redirigé à contre-coeur vers ces nouveaux commerces où plus un seul humain ne pourrait bientôt choisir d'aller seul sans se trouver brusquement isolé, (encore qu'il reste à préciser, la différence à la fois intime et infirme entre la solitude et l'isolement). Ce nouveau monde nous forcerait-il à appartenir, (qu'on le veuille ou non), à quelquechose d'infiniment plus désarmant que la solitude ou que l'isolement ? Oui, et sans grâce, pour l'heure on se sentait presque obligé d'en accepter l'exubérance, et sa loi, cette inanité.

Lentement, on verrait se tramer les éclats de ces petits mondes, un mirage pour chaque chambre, cela nous donnerait-il la somme d'une totalité encore insuffisante ? Des vies où nous ne serions plus ni assez seuls ni assez libres pour réfuter nos dépendances. Cette nouvelle religion était si expressive, si idéalisée, que par mégarde on s'y logeait comme rien, galvaudant nos secrets, jusqu'à ceux qu'on avait juré de ne jamais trahir, pétri par cette masse, embarqué, on acceptait d'y étaler maintenant nos amitiés pareilles aux marchandises, pourvu que nous soit accordée, un court instant, ce peu de reconnaissance qui nous "fait", celle qu'on croit toujours mériter ; comme si tout était histoire de "mérite". Pour quels égards encore, serions-nous prêts à nous laisser "choisir" ? Envisagerions-nous aussi naïvement l'idée que la seule valeur défendable à ce jour fût encore la liberté d'expression ? (de chacun, bien évidemment), une fiction parmi d'autres, tout comme l'intelligence (du coeur ?) que mon ingratitude ne me permettra jamais d'exalter à si bon compte, mais ce regret inconsolé trouvera peut-être plus de sérénité à savoir qu'il est plus facile de montrer ce qu'on n'a pas, que de se regarder au miroir de ses propres contrefaçons.

Bientôt, il y aurait des courses pour chaque histoire, de compétition en compétion, des preuves au transfert de ce mal, le retour de toutes sortes de préventions, maldonne organisée pour le bien du grand nombre : retour de la morale, prise en charge de l'expression de nos forces diminuées et toutes les trahisons de nos plus grands espoirs seraient à mesure consommées. Il y aurait l'oubli de ces merveilleuses constructions, l'écroulement des cabanes pour d'autres garanties, plus solides, tout cela permettrait de nouveaux paysages. On construit déjà les maisons. On met aux loisirs tant de pages, au catalogue quelques balises et des combinaisons pour grimper dans les arbres, le retour à la vie sauvage encadrant les nouvelles colonisations. Il nous paraîtra encore délicat de poser autour de ces miasmes des bâtons d'encens parfumés. Ou bien, on ira dormir dans la crasse, par les ruines volées, imparfaites, un instant détaché de tous, scrutant le vide omni-présent dans la nuit qui vient à rebours et sous la bonne étoile qui nous relie aux trois mille autres, visibles à l'oeil nu, peut-être choisira-t-on de ne pas voir, de n'y puiser que le néant, l'immense empire impénétrable ou le noir à portée, cependant il faut toujours un peu choisir, quoiqu'on en dise ... On cherchera encore ce qu'il y aurait de charme à vivre, pas plus que le présent, pour tout le peu qu'on sait, intraduisible. On cherchera.

Photo : Si l'hiver vient comme un mouton, il s'en ira comme un dragon dit un ancien proverbe hivernal. Mais ce pays n'est pas l'hiver et la bête n'est pas le cerbère du temple de Salomon, c'est juste un doux fauve pétrifié par le temps, saisi là haut sur la montagne, on ne le trouve que si on le cherche, il est caché par les buissons près des cailloux sous lesquels remontent les légendes anciennes comme celle d'un trésor qui se trouvait enseveli sous une pierre tournante, dans ce monde, (le notre) la bête garde encore de nombreux souterrains, je vous ramènerai peut être un (certain) jour quelques extraits de ces  légendes encore vives qui viennent de la Montagne de Dun, dominée par une minuscule chapelle. J'ai sous les yeux les notes de trois érudits de ces mondes (Mr Jean Virey, les abbés Paul Muguet et Henri Mouterde), qui ont narré dans un ouvrage admirable, paru en 1900, l'histoire de "Dun. Autrefois, aujourd’hui". Rien à voir avec notre monde... Petite promesse, peut être à suivre...

Photo: © Frb 2010.

lundi, 22 août 2011

Topo d'ici ...

La toponymie n'a pas seulement pour but de retrouver l'étymologie des noms de lieux, les toponymes sont en effet des témoins précieux du passé et permettent à ce titre de reconstituer et l'histoire du peuplement et celle du paysage, qui lui est associée. Les noms de lieux-dits, par exemple, sont liés à la végétation d'une époque particulière et sont de ce fait les témoins d'une double histoire.

ALBERT DAUZAT, cité par MARIO ROSSI in "Les noms de lieux du Brionnais-Charolais", éditions Publibook-Université ou (EPU), 2004.

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Le ciel du soir est comme une aube d'été. Les récits des anciens ici, s'écoutent sans y penser, autour de grandes tables sous les arbres, l'apéro peut se prolonger longtemps et tard dans la soirée, ce sont eux, les anciens, qui illuminent par une mémoire parfois un peu romancée, les légendes minuscules, les faits divers  les  existences probables et improbables de ces gens dont on dit qu'ils étaient des "figures" le tout enrobé d'anecdotes dont il est difficile de vérifier l'authenticité. Les histoires sont allées de maison en maison, les vieux, ils les connaissent sur le bout de la langue, déclinées en patois plus ou moins fidèle à l'original, en français plus ou moins "arrangé". Par leur voix, on retiendra vaguement une liste, les noms des personnes qui ont existé, existent encore et la vie des familles ayant donné leur noms à des hameaux : "les Brancion", "les Desmurs", "les (nombreux) Corneloup" du village bienheureux de Saint Racho, (prononcer St Raco, que les gens d'ici abrègent oralement en "Saracco", et dont les habitants que ceux des villes environnantes appellaient pour "charrier" "les Saracottis"  sont simplement des St Rachois, St Rachoises), digression un instant pour préciser que si vous passez dans cette région, il faudrait visiter une ravissante chapelle érigée sur la montagne de Dun à St Racho (un endroit aux légendes merveilleuses). Cette chapelle est dédiée à l'evêque St Racho d'Autun (ou Rachonis ou Rognabertus) qui fût le premier Franc à occuper ce siège épiscopal, (ça vous donnera une petite idée de l'ancienneté des lieux).

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Certains hameaux portent aussi le nom des rivières locales : "La Genette" ou "La faux", (d'un mot "gaulois" signifiant "hêtre"), les noms des villages sont parfois ceux des arbres "Châtenay" par exemple (extension ancienne du mot "Châtaignier"), d'autres noms de lieux relatent les formes du relief vallonné, par exemple : "La pouge" (rampe, montée), de même le mot de "Brionnais" pourrait provenir du mot "Brie" signifiant "terre grasse et spongieuse". On pourrait parler des étangs, tous naturels qui occupent des creux ou vallons, la présence de l'eau est rappelée par quantité de toponymes : "La Saigne" (mot provenant du bas latin et signifiant "marais bourbeux"), "Le palluet" (du latin "Palus" signifiant "le marais"), "Les mouillières" ou plus explicite "Les étangs". Certains noms de lieux, ici, par leur origine celtique ou latine prouvent aussi l'ancienneté de la présence humaineEn ce qui concerne le Charolais et le Brionnais, (impossible d'aborder ce thème en détail car il faudrait je crois y consacrer un blog entier mais je ne peux m'empecher de citer et recommander vivement à ceux qui sont intéressés par ce sujet, l'ouvrage remarquable de Mr Mario Rossi éminent professeur, qui a pour titre  "Les Nom de lieux du Brionnais-Charolais - Témoins de l'histoire du peuplement et du paysage" (voir références plus haut sous notre photo).  Pour terminer sur le thème un peu élargi, on notera aussi que Mr Mario Rossi a désiré que les droits d'auteurs de ce livre soient affectés à la sauvegarde du patrimoine de Montceaux l'Etoile, dont l'église datant du XIIem siècle est absolument à visiter, surtout pour son portail sculpté datant de 1120-1125 (environ), qui représente l'Ascension du Christ dans une mandorle, qui tient dans sa main droite, le bois de sa croix, au milieu des Apôtres, entouré par deux anges. De source sûre, l'ayant vu de mes yeux, ce portail est considéré, à  juste titre comme un chef-d'œuvre de sculpture d'art roman, je suis un peu étonnée en fouillant dans les archives de CJ de ne pas retrouver un billet qui aurait pu vous le montrer je ne manquerai donc pas, (un certain jour) d'en reparler ; en attendant vous pourrez encore mieux l'admirer en grand format  ICI.

Je signale et recommande encore vivement un autre ouvrage tout à fait passionnant de Mr Mario Rossi, pour les gens qui sont intéressés par les dialectes, et l'étymologie ou plus généralement la langue, l'excellent "Dictionnaire étymologique et ethnologique des parlers brionnais"

Autre lien plus vaste, toponymique aussi, d'ouvrages très bien référencés :

http://jeantosti.com/noms/biblio.htm

A propos des noms de familles (et des évolutions juridiques de la généalogie)

http://www.guide-genealogie.com/guide/noms-famille-nouvel...

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Nota  : La balade peut encore se poursuivre (en mode lecture ultralight) il suffit de cliquer sur les images (pour ceux qui ont la flemme de lire le long topo, on aura tout prévu, c'est ti pas formidable ?)

Photos : parcours flêchés, et saisis à la volée, quelques noms de hameaux nabirosinais, photographiés au hasard d'une balade à vélo en chemins buissonniers.

Photos © Frb 2011.

vendredi, 20 août 2010

Credo des anciens jours

Si Dun était sur Dunet
Les portes de Rome on verrait

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Hier, Je suis allée me promener sur la montagne de Dun. Lieu riche en souvenirs, mais de son passé historique, nous ne trouvons pour l'instant rien de très net, rien de très précis. (J'ai bien dit pour l'instant)... Quelques pans de murs restent debouts mais tous les principaux édifices ont été dévastés. Des fondements se retrouvent bien dans le sol, mais on se demande qui pourrait satisfaire notre curiosité en racontant de source sûre le passé de ces monuments détruits ? Il y a bien de vagues traditions, de fabuleuses légendes, transmises de génération en génération en guise d'annales et de chroniques et des auteurs qui ont un peu abordé la question historique mais leurs recherches s'avèrent d'une briéveté désolante. Est ce à dire que le silence des tombeaux se soit fait sur ses ruines et que les tentatives ébauchées pour redire le passé demeurent une oeuvre inutile ? Ou une oeuvre toute entière composée d'hypothèses et de rêveries ? N'est il pas possible de découvrir une partie de la vérité et de l'affirmer avec certitude ? Lorqu'une catastrophe épouvantable a frappé une région, il reste bien sûr une mémoire de cette catastrophe et c'est comme une fumée qui planerait longtemps sur la place d'un vaste incendie. La génération contemporaine dit à la génération suivante ce qu'elle a vu, puis de génération en génération, on peut se faire une idée (grosso modo) de ce qui s'est passé. Au fil du temps, le récit passe de bouche en bouche se déforme puis s'altère. Des légendes incroyables se greffent alors sur la vraie tradition qui elle même nous revient voilée. Dans ces récits tout se confond, les années, les lieux, les peuples et les héros et voilà le beau dunois confondu avec Charlemagne, ou le chanteur Roland. Dans ces récits, ces traditions fourrées d'anachronismes, il y a souvent pourtant quelque chose de réel: l'ombre d'une vérité...

Les enfants des écoles de la région alentour connaissent bien cette montagne charollaise, et la visitent tous sans exception, de génération en génération. Cela fait partie du programme de la discipline dite de "Plein air" et surtout des incontournables sorties de fin d'année avec celle du "bois des acacias", (un jour on vous le montrera), qui mène jusqu'à la Chapelle St Avoye. Et nous voilà, vingt mômes de 6 à 8 ans, trottant en file indienne docilement derrière Melle Pugeolles qui mène le cortège d'une main de fer (sans gant de velours) ; et nous passons par ici et nous repassons par là, nous y sommes, tout en haut à 721 mètres d'altitude, enfin presque, il faut grimper un petit chemin, minuscule, jusqu'à cette vue imprenable sur l'église d'abord, et puis ensuite, nous irons découvrir le panorama. Nous courons un petit peu avec nos gourdes en bandoulière, nos bobs ou nos casquettes autour des groseillers sauvages. Ce jour là fait époque. Ce sera à jamais, le premier plus beau jour de notre vie. Debout en demi cercle, nous tâchons de compter les clochers des églises environnantes que l'on peut distinguer à l'horizon (interminable). Nous nous familiarisons (est-ce une seconde possible ?) pour la première fois de notre vie, à l'idée encore un peu trouble, tout à fait indicible, de l'infini...

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Dans un bois dégagé tout près, un peu à la redescente, une vieille assise sur un caillou garde trois chèvres. Melle Pugeolles lui pose tout un tas de questions. La vieille est toute grise et toute sèche, elle ressemble un petit peu à ses chèvres. Nous fixons sur elle des paires d'yeux enchantés. La vieille raconte à sa manière l'histoire de Dun, sa destruction. A un moment elle s'arrête. Elle répète "Oui, mais y'a longtemps de ça ! du temps où la ville de Mâcon était perchée sur la montagne de Dun". Melle Pugeolles se raidit comme un piquet, elle tente d'autres questions: "Et après ?", "Après, répond la vieille, des ennemis sont venus, il y avait un château fort à cet endroit, là où c'était  Mâcon (elle fait une croix par terre avec son doigt) il y avait aussi de jolies maisons. L'ennemi a tout détruit", nous écoutons, une petite voix s'élève - "Mais madame de quel ennemi vous parlez ?" -"Ah ben, les autres ! ils v'naient de là haut ! de la montagne du Dunet, c'est là qu'ils avaient placé leur canon pour bombarder la ville et depuis ce temps y'a c'trou plein de pierres qu'on appelle le pote, le pote c'est le trou, le trou de l'ennemi, celui que vous voyez là". Elle tend à nouveau son bras, elle nous montre, "regardez ce chemin, et ben, figurez vous que c'est par là que l'ennemi est monté pour saccager la ville". Nous écoutons de plus en plus assidûment. Melle Pugeolles insiste encore un peu, - "Et il y a longtemps de ça ?" "Ouh ben ! j'y sais pas. Peut être ben plus de mille ans." Melle Pugeolles ne lâche pas le morceau - "Mais qui vous a raconté ça ?" - "Tout le monde y sait ! j'y ai toujours entendu dire comme ça, ma foi, et c'est la vérité ! tout le monde vous le dira, même monsieur le maire." La réponse est catégorique. Le visage de la vieille se referme. Il n'y aura plus rien à tirer d'elle. Melle Pugeolles donne un petit coup de sifflet qui veut dire "récréation". Nous avons enfin le droit de nous asseoire dans l'herbe pour manger nos bananes. Pourtant, quelque chose ne va pas. On dirait que Melle Pugeolles est préoccupée, elle tourne autour de la croix que la vieille a tracé dans la terre, elle tourne longtemps, regarde la croix comme si cette croix était mal dessinée. Elle gratte un peu autour pour dégager l'herbe, se relève, fouille dans son sac à dos, s'énerve, en sort un document qu'elle déplie, le lit de long en large, le relit, s'agenouille dans l'herbe pour gratter encore un petit peu. On l'entend marmonner toute seule: "C'est pas possible, c'est pas possible ! Ah non ! jamais de la vie ! ça ne se peut pas ! Mâcon sur la montagne de Dun, faut quand même pas exagérer !".

Nota : Evidemment, pour ne pas faire mentir tout à fait ce billet, je dirais qu'il existe aujourd'hui des ouvrages très bien documentés, où l'histoire de Dun se précise, se fait moins brève, pas du tout désolante. Je remercie P. Muguet, H. Mouterde et J. Virey, d'avoir conçu un livre passionnant abondamment documenté, une vraie "mine", comme on dit,  qui a pour titre "Dun, autrefois, aujourd'hui", et dont je me suis inspirée (un peu) pour écrire ce billet.

Photo : Un aperçu des façades d'inspiration romane (restaurée) de la splendide petite église de Dun qui était en ruine encore il n'y a pas si longtemps. Il existe des clichés des ruines de la chapelle ancienne, qui sont impressionnants tant il ne reste presque rien de cet édifice. L'église fût restaurée de manière raffinée sur initiative du Comte de Rambuteau au siècle dernier mais on évalue son origine à la seconde moitié du XIIem siècle. Vue sur la Montagne de Dun. Nabirosina. Août 2010. © Frb.