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mardi, 06 novembre 2012

Panier (by HK/RL)

"Je les vois se dorer ventre à l'air vos chanterelles d'abord dans une petite mousse grosnienne émeraude bordée de feuilles de chênes ocres puis bercées dans votre panier d'osier"

écrivez vous dans votre commentaire

d'où la photo ci-jointe pour vous prouver que votre "vision" est très exacte (retour d'une longue balade-cueillette en forêt des Trois Monts)"

HK/RL: extrait d'une correspondance automnale et gourmande, (ce n'est pas la première). Vous pouvez  retrouver LR chez nos amis de Lieux dits (en ouvrant la fenêtre) ou vous pouvez rester ici en offrant votre corps et votre âme à ce divin panier pour en jouir sans entraves.

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podcast

 

 

Musique: A very special dédicace to HK/LR, de correspondance en correspondances: John Cage était aussi un fin mycologue allumé par l'art des cueillettes il s'est tôt aperçu que "Music" et "Mushroom" se  touchent dans plus d'un dictionnaire. Ci-dessus, un extrait de  "Mushroom Haïku, excerpt from Silence".

 

Photos: Un panier de chanterelles et des parfums boisés, pour un monde attachant où l'or croît au grand air, se cueille à pleines brassées puis s'attache à nos lèvres. De quoi  passer l'hiver très loin du CAC 40  dans la délectation insolente des plaisirs simples et gais, à humer sans vergogne un  petit vin de région.  Le cueilleur de champis (qui est aussi un marcheur, chercheur patient et silencieux), pourrait  bien se laisser tenter au retour par un de ces Chinon de 10 ans d'âge, un salaire sans la peur,  dans le crépitement  des fricassées, nous lèverons nos verres à la terre, tant qu'elle tourne,  (comme un plat de chanterelles), et trinquerons au tableau merveilleux qu'on pourrait appeler "le repos du  cueilleur". Et ce n'est qu'un début...

 

from the Grosne's-Land © HK/RL 2012.

samedi, 26 mai 2012

Chut... !

Les bruits associés au jour sont toujours interdits la nuit, les femmes par exemple, ne moudront pas le grain après le crépuscule [...] 

MARY DOUGLAS : "The Lele of Kasaï" in "African Worlds : Studies in the cosmological Ideas and Social Values of African Peoples", London 1963.

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Dans son livre remarquable, "Le paysage sonore" R. Murray Schafer a longuement expliqué que l'intérêt véritable d'une législation contre le bruit ne résidait pas dans son degré d'efficacité, depuis le Déluge a -t-elle jamais porté ses fruit ?"  S'interroge-il... Même si nous savons, en revanche, que cette législation permettait d'établir des comparaisons entre les phobies sonores des diverses époques et sociétés. Les sons proscrits ont toujours eu une puissante résonance symbolique. Les peuples primitifs, par exemple, conservaient précieusement leurs sons tabous et Sir James FRAZER dans  son ouvrage monumental intitulé "Le Rameau d'Or" (1890-1915), consacre un chapitre entier, à ce sujet. Il raconte qu'il existe des tribus où la terreur empêche de prononcer le nom de certains peuples, le noms des ennemis  ou ceux d'ancêtres défunts. Ailleurs, prononcer son propre nom comporterait le danger de priver un individu de ses forces vitales. Proférer ce son, le plus personnel, soit-il, serait comme tendre la nuque à l'exécuteur...

Sur le plan des pratiques anti-bruit, plus curieux sont les rituels de certaines tribus qui réservent par crainte de la colère divine, la production de certains sons à des périodes temporelles précises (cf. plus haut, le texte de Mary DOUGLAS ici, la suite) :

Les bruits du travail semblent créer des relations dangereuses entre le village et la forêt. Les jours ordinaires, les esprits dorment au plus profond des bois et ne seront pas dérangés, mais les jours de repos ils sortent et approchent parfois du village. ils seraient furieux d'entendre des coups frappés dans la forêt ou des martellements dans le village.

L'habitude chrétienne d'observer le silence pendant le Sabbat ne doit pas être étrangère à cette origine. Traditionnellement, les sons tabous, prononcés de façon sacrilège, sont toujours suivis de mort et de destruction, cela est vrai du mot hébreu Yahvé. En France, les textes liturgiques n’utilisent pas la vocalisation Yavhé, mais elle apparaît dans les traductions de la Bible - qui ne sont pas normatives pour la liturgie - ou des chants. D'après une argumentation scripturaire, le document affirme : 

"L’omission de la prononciation du tétragramme du nom de Dieu de la part de l’Eglise a donc sa raison d’être. En plus d’un motif d’ordre purement philologique, il y a aussi celui de demeurer fidèle à la tradition ecclésiale, puisque le tétragramme sacré n’a jamais été prononcé dans le contexte chrétien, ni traduit dans aucune des langues dans lesquelles on a traduit la Bible."

Les chrétiens revendiquent la possession de plus de vingt quatre mille prétendus "originaux" de leurs Saintes Ecritures en version grecque, et pas un seul parchemin ne fait mention de Jéhovah.

Idem pour le chinois Huang Cheng (cloche jaune) si ce terme se trouve proféré par un ennemi  il peut (dit-on) causer l'effondrement de l'Empire ou de l'Etat. Les Arabes avaient beaucoup de mots pour Allah qui possédaient les mêmes redoutables pouvoirs, (ils se prononcent dans un souffle) : Al-Kabid, Al Muthill- Al Mumit, et quatre vingt dix-neuf autres encore.

Ensuite il y a bien sûr d'autres mots tabous dont la prononciation semble sacrilège comme dans certaines manies plus ou moins graves ou autres  névroses obsessionnelles, par exemple une personne ne pourra pas prononcer ou entendre le mot "Maladie", persuadée que le simple fait de sortir le mot de sa bouche serait un risque d'attraper cette maladie, ou de la transmettre, cela plus subjectif...

On pourrait se demander quels sont les sons tabous unanimement reconnus, et inspirant la crainte dans notre monde contemporain. La réponse n'est pas si évidente. R. Murray Schafer mentionne la sirène de la défense civile, que toutes les cités modernes connaissent bien, mise en réserve pour le jour fatal, où son cri unique sera suivi par le désastre. Il y en existe sans doute d'autres, même si nos rituels avec Dieu ou les divinités sont un peu plus discrets que ceux de nos lointains ancêtres ou tribus des forêts, il est certain qu'un lien profond unit, lutte, contre le bruit et son tabou, car dès l'instant où un son figure sur la liste des proscrits, il lui est fait l'ultime honneur d'une toute puissance. C'est la raison pour laquelle les plus nombreuses et plus mesquines interdictions de la communauté resteront à jamais inefficaces.

Enfin, pour conclure un de ces nombreux chapitres sur le paysage sonore, nous suivrons R. Murray Schafer dans son cheminement, pour affirmer avec lui que le pouvoir absolu, est le silence. Comme le pouvoir des Dieux est d'être invisible. Vrai encore que le mot "Silence" est d'une incroyable douceur à prononcer et semble une source à entendre d'un genre d'allitération proche glissant sans heurt, clairement mise en espace, comme le fût, le plus implacable "Silenzio" de JL Godard hurlé au mégaphone, dans le film "Le Mépris" suivant la logique, du "Camera" et "Motore", rythmant la réalisation du film, le mot "Silenzio" non seulement referme le film mais rend les acteurs à la vie, laissant le spectateur seul en plein ciel devant le visage d'une statue, porté par la musique de G. Delerue."Silenzio" n'est pas le silence, c'est la fin du mépris. Le silence. Ce n'est que par lui et pour le trouver que peut se clore toute réflexion sur les sons dignes de ce nom.

 

 

Sources bibliographiques :

R. MURRAY SCHAFER in "Le paysage Sonore" éditions JC Lattès, 1979,

Sir James FRAZER in "Le Rameau d'Or" (Manuel d'étude des croyances et civilisations antiques en 12 volumes), édition abrégée, P. Geuthner, 1923.

Photo : Variation pour une oreille et son silence, un léger flou artistique émanant d'une vraie sculpture posant pour Paul sur le plateau de la Croix-Rousse à Lyon entre le Grand Boulevard et la place Tabareau, pas loin de la rue Denfer, (Rochereau). Cette mystérieuse oreille monophonique privée de corps installée sur une place minuscule intrigue énormément ceux qui la croisent. Je ne connais toujours pas le nom de l'artiste (nous cherchons) qui a crée cette oeuvre emblématique, que personnellement j'aime beaucoup puisque le son m'importe plus que l'écriture et l'écoute me parait plus intéressante que la parole, je sais juste que l'oeuvre a été portée près de ma rue le jour où j'envisageais à la fois d'emménager dans ce quartier et de me remettre à la musique, détail personnel de peu d'intérêt, quoique le mot "Oreille" n'est pas sacrilège au regard d'une fascination plus vaste pour tout ce qu'elle garde au secret. Cette incongruité urbaine invite à plus d'un titre car je rêve souvent à cette oreille (de marbre ? Non.) écoutant patiemment les murmures des passants et gardant précieusement les bruits de la rue dans sa pierre, elle n'en dira rien à personne, jamais, c'est assez consolant, pourtant il me semble qu'en jouant de cette oreille  comme d'un instrument elle pourrait sonner divinement et peut être nous rendre les murmures de la ville. Oreille muette comme une tombe, prenons de la graine au contact de cette silencieuse qui nous happe par sa discréte présence et l'entière confiance qu'elle inspire...

Remerciements à Paul pour la photo et pour m'avoir prêté son "Rameau d'Or" ce n'est pas une métaphore, rien que de la culture et si c'était une métaphore, je n'en soufflerai mot car je ne doute pas que l'autocensure m'interdirait d'écrire ici ces mots qui ne vont pas dans la bouche d'une fille élevée chez nos droites religieuses. Ces dames avaient, si mes souvenirs sont bons inscrit au tableau une liste noire d'une vingtaine de mots à ne pas prononcer au sein de l'institution même pendant la récré, la gresso vecha de Soeur Marie-Claude, punissant de six heures de colle (sciences physiques, al spoela!) accompagnées d'un vigoureux tirage d'oreille, tout élève qui aurait proféré les mots tels : patuni, dreme, noc, ulc, cireh, troufe, beti, bredol, etc etc... Mais, fermons ce moulin à paroles ! Nos oreilles sont de Lyon pas de Loué, nom de diou nom de non !

©Paul-frasby 2012

vendredi, 04 novembre 2011

Sound of silence

Un claquement de doigt, un bruit de tonnerre :
et il ne reste du monde extérieur qu'un silence sans fond,
un silence qui ruisselle sur nous
comme un torrent vigoureux et bienfaiteur…

Jack KEROUAC

sound of nb.jpg

Tant que le particulier illustrera le thème du silence entendu par l'homme occidental, jouant contre lui même et contre un désarroi ; on ne pourra pas reconnaître, à ce point délicat, nos limites. Ou simplement les limites de nos capacités d'écoute, il est vrai qu'on ne nous a pas spécialement appris à considérer  le silence ou bien on l'aura fait sans trop de nuances, sous forme d'abord (ça commence à l'école) de discipline puis ensuite comme une chose assez floue n'étant au fond qu'un phénomène qui viendrait toujours s'opposer au bruit, au mieux un espace de relaxation, des choses du genre, etc...  L'abandon où le silence déplacerait la perception au delà, (ou dans l'intervalle d'une musique), c'est différent, nous jetterait, à peine plus loin et déjà nous nous sentirions menacés.

Depuis des siècles, nous devons nous contenter de cela, et bien après celui de Galilée, nous en éprouverons un vertige, c'est le même qu'autrefois. La contemplation du silence absolu de l'homme occidental, redoutant ses ténèbres, on le sait au moins depuis Pascal que le silence est négatif et toujours effrayant. La formule est indémodable :

Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.

Ce genre de cri à peine audible apparût lorsque l'infinité de l'espace fût enfin révélée via le télescope de Galilée. Bien plus tard, par goût de la recherche, pour l'expérience, on enferma des êtres humains dans des pièces parfaitement insonorisées. Ceux qui entrèrent pour la première fois  en sont ressortis tellement effrayés, qu'ils crurent avoir été enfermés un court instant dans un cercueil. Cette hantise ancestrale revenait, ils ne pouvaient s'en alléger même en sachant, touchant la preuve qu'il ne s'agissait que d'un artifice, une expérience fort brève, ils savaient raisonnablement qu'une pièce isolée (cf. l'expérience du caisson d'isolation sensorielle) ne se refermerait jamais de la même manière qu'un cercueil. Malgré cela, d'instinct, ils pouvaient encore éprouver cette frayeur, de rester là, vivants en présence de la mort, "retenus" pour l'éternité, fermés à l'intérieur. Ce serait la pire mort, comme nous revient, parfois au milieu de la nuit, cette peur superstitieuse (l'enfant ne l'ignore pas), d'être enterrés vivants et de racler ses ongles contre le bois sans que jamais personne ne nous entende hurler. Le silence pourrait-il provoquer cela ? (Rassurez vous, je n'ai pas la réponse).

Ceux qui ont expérimenté les premiers, ces pièces insonorisées ont décrit leur sensation en sortant, (cela une fois au moins, leur traversa l'esprit qu'on pouvait les lâcher et les laisser mourir seuls, là dedans, comme jetés au néant d'où ils ne sortiraient jamais). Toujours pour l'expérience, on leur demanda de parler à l'intérieur de cet espace, il était question de savoir comment ils entendraient le son de leur propre voix, parfaitement isolée du reste du monde, comment tout cela s'écoutait. La plupart ont relaté que lorsqu'on parle dans cet espace, le son semble tomber directement des lèvres au sol, et les oreilles ont encore du mal à capter l'éventualité qu'il pourrait y avoir, au même moment autrepart toujours de la vie sur terre. Quelque chose bruisserait-il à l'extérieur de ce lieu isolé ? Tous ont eu quelques difficultés à l'admettre tant qu'ils n'étaient pas sortis de la pièce. Lorsque John Cage entra pour la première fois dans une pièce insonorisée, il entendit pourtant deux sons : l'un aigu, l'autre grave. Il relate :

Lorsque je le décrivis à l'ingénieur du son responsable, il m'expliqua que le son aigu était celui de la tension de mon système nerveux, le grave, celui de la circulation de mon sang.

John Cage arriva alors à la conclusion suivante, un manifeste qui ne manque pas de toupet :

Le silence n'existe pas.

Il y aura toujours quelque chose pour produire un son. Lorsque l'homme se place au centre de l'univers, le silence ne peut-être considéré que comme approximatif, jamais comme absolu. C'est à partir de cette révélation d'abord éprouvée in situ, que John Cage intitulera avec humour son excellent  livre  "SILENCE", désirant surtout attirer l'attention sur le fait que pour l'homme moderne, l'usage de ce terme se doit d'être encore ironique. Avant John Cage, on pourra trouver chez Edgar Allan Poe, déjà l'esquisse de cette idée dans "Al Aaraaf", il écrivait :

Le calme, nous l'appelons silence qui est le mot le plus simple de tous.

Il faudrait ajouter que la négativité du silence a fait de ce silence dans l'art occidental, l'élément le plus chargé de virtualité parfois obscurément/ confusément, tout dépend, (sujet peut-être à suivre). On pourra scruter ce silence et le revoir à l'avantage, l'enseigner autrement que par toutes sortes d'idées reçues (insignifiant , négatif, vide, absence, néant, négation, lâcheté, camouflage, fuite, discipline, etc...) quand on s'apercevra peut être que ce silence est en très grande partie, perdu : essayons de retrouver dans une ville par exemple, ce silence respectable et vital et l'on se heurtera d'évidence, à une sorte de peine elle aussi perdue. Cet art du silence ne semblant toujours s'envisager comme enseignement véritable qui pourrait considérer le silence comme une valeur équitable à toute forme de conversation ? C'est un regret, le silence contient sans doute hors du cadre, une liberté qui dépasse nos conversations (que cela soit dans la communication avec les autres ou dans nos tergiversations mentales, peu ou pas communicables). Le silence inapte à trouver un alphabet connu qui nous convienne, nous réunit pourtant, au moins autant que la parole aura le pouvoir de créer recréer des liens sans avoir forcément à se liguer contre le silence.

L'esprit peu formé par les sons, abordera d'une moindre écoute ce qui  est pourtant une invitation, ("sound of silence"), on vivra trop souvent le silence comme une agression et replets de notre éducation, il sera toujours préférable, (à notre entendement et par confort), de le couvrir de bruits. Sans toutefois l'affirmer avec certitude, il me semble que ce n'est pas le silence qui serait trop à craindre aujourd'hui, mais davantage la valeur positive qu'on accorde généralement aux bruits (plus souvent encore à l'importance de nos conversations) ; ou à cette pensée qui ne sait se retenir quand elle ne peut plus librement osciller (cf. Paul Valéry), entre le sens et le son, et vient imposer avec assurance une incessante réinjection de nappes taraudantes produisant un bruit de fond, enivré de lui même, cela pour parer, on le pense, à l'angoisse éternelle décrite en peu de mots par Pascal et bien d'autres.

On ne redoutera jamais assez la pensée qui ne se fiant qu'au pouvoir des mots, (réfutant le silence et croyant démasquer en lui un ennemi), ne fait que révéler les limites de sa perception. Tout cela, n'est pas condamnable car, presque rien à ce sujet ne nous aura été appris. Nos apprentissages se font avec l'image, l'image et les conditionnements reviendront toujours au galop (le bon sens près de chez vous) quant à prétendre qu'ils découleraient d'un "naturel" est une autre question. Les enfants évoluent au commencement de leur éducation avec les livres d'images, mais c'est assez idiot de rappeler qu'avant de regarder des images, l'enfant prit sa forme définitive dans un refuge à peu près silencieux (et à peu près sonore), paradis perdu bienheureux pour certains, mystère incommensurabe pour d'autres, bref, ce fût toujours un silence (comme l'entendait John Cage) qui prépara de longs mois le petit d'homme à être propulsé (bruyamment) dans un monde de bruits.

Sommes-nous en train de perdre jusqu'à la notion de silence ? De perdre le silence tout court. C'est possible, ignorant au regard de notre savoir présent (et de nos sociétés recevant de plus en plus d'outils destinés à la perception) ce que le silence contient en informations. Tout semble prêt aujourd'hui pour encore plus le recouvrir. Mais je ne ferai pas de prosélytisme, quand déjà parler du silence est en soi une aberration, bien que ce billet ne traite pas de silence, exactement, (puisqu'il n'existe pas) mais d'un certain déséquilibre qui se crée à toujours construire sa pensée à partir d'une opposition.

Enfin, pour terminer, ("Sound of silence", étant un thème inépuisable), il pourrait y avoir tant de développements que l'embarras du choix dans ce désordre, me poussera paradoxalement encore vers la musique et puisqu'il faut choisir, j'aurais une pensée pour Anton Webern qui composa, (on pourrait le croire), avec une gomme, et mena dans sa création musicale, le silence à sa beauté la plus extrême, une recherche artistique patiente, on pourrait dire, jusqu'au bout du silence ? Peut être... Ironie encore, quand on sait que sa vie s'acheva dans la détonation d'un fusil. Est ce la détonation qui se donne d'ordinaire naturelle contre le silence ? Oui, et non. pour ce cas c'est une triste méprise. A quelques détails près, on dit qu'Anton Webern le soir du 15 Septembre 1945, sortit sur la terrasse de sa maison d'accueil pour fumer un cigare, et  apprécier la nuit. Oubliant le couvre-feu, il fût tué par une sentinelle américaine, par erreur, "Et pan !", il en fût fini de la belle écriture à la gomme. L'esthétique novatrice d'Anton Webern fut souvent comparée aux petits haïkus japonais dont certains auteurs devaient mourir plus volontiers d'ivresse et de noyade par inattention en désirant (c'est un exemple) toucher la lune dont le silence épousait les glougloutement d'un lac ou le reflet gourmand d'une rivière un peu (trop ?) profonde.

De Webern à Kerouac (en passant par le pont au dessus de l'eau où vont les objets flottants silencieux (poissons, algues, origamis, bref, ces haïkus qui ne l'ont pas encore ramenée) il n'y a qu'une passerelle qu'on franchira je l'espère, cette fois sans distorsions, ce blog s'adresse aussi, on ne l'oublie pas, aux lecteurs ou amis en majorité silencieux, qui manifestent sans qu'on en ait la "preuve" (a-t-on besoin de preuve ?), une présence et participent, en silence... Il se peut que parfois sans aucun point d'appui, (et sans flagornerie), on ressente étrangement les mutiples formes de cette participation, improbable enchantement d'un art pourtant réel, de la présence qui ne se dit... Le silence n'a rien d'une bonne planque, il n'a pas tant besoin de se trouver à l'étiquette, verrouillé de définitions, n'étant pas strictement ou ceci ou cela, il ne s'opposera pas non plus à la parole qui n'a jamais trop de difficultés à le réduire à néant ou à le déprécier (le contraire moins envisageable ne se ferait qu'au prix inestimable d'une certaine dépossession). Voici, après ces papotages, la perle tournoyant sur une goutte de pluie, fermant la boite à camembert de la petite crèmerie, les porte-voix et nos boudoirs se trouveront légérement balayés, (une seconde, c'est très peu), par l'oreille du grand voyageur.

 

 

Le son du silence
est toute l'instruction
Que tu recevras

 

 

Photo :  Vestiges (extrait) rencontrés à Cluny (fondée en 909 ou 910), une image simple perdue à la fin de l'été, où le silence roulant encore entre les pierres suggére les figures béates ou les grimaces des sculptures créees par les artisans anonymes du Moyen-âge. Leur parole se fige là, au secret, fidèle à celle des moines recopiant les prières. Ici la clarté et des ombres, le silence profond de l'édifice secoué aux heures ouvrables par les exclamations des touristes, et parfois du vieux rire de la révolution venant avec fracas presque tout démolir, (vingt cinq ans de démolition d'abord tonitruante puis étonnament silencieuse), le bruit et le silence tout entiers confondus, et plus loin, qui sait ? Le frémissement d'une plume d'oiseau ouvragerait les fleurs d'un chapiteau qui se dore au soleil, garde peut-être sous les pierres, la mémoire impossible des voix qui n'ont jamais pu revenir. Photographié, cet été de cette année là.

 

©Frb 2011.

lundi, 03 janvier 2011

Sur le banc du Marquis

Si l'imaginaire risque un jour de devenir réel, c'est qu'il a lui-même ses limites assez strictes et qu'il prévoit facilement le pire parce que celui-ci est toujours le plus simple qui se répète toujours.

MAURICE BLANCHOT : extr. "Après coup", éditions de Minuit, 1983.

Pour le lecteur qui désirerait lire sur un banc plus frais, il suffira de cliquer sur l'imagebanc du marquis.JPG

Sur le banc du Marquis, je me suis réveillée ce matin et je me suis aperçue que tous les chiffres de l'année avaient été changés sans que je n'en sache rien. La neige avait fondu mais le banc demeurait alcestien, plus que jamais, tout entier, situé en un point précis quelquepart entre "La Quiétude" et les monts du Lyonnais. Sur le banc du Marquis, je me disais qu'il serait bon de ne plus penser à rien, comme il est de coutume sur les bancs. Le froid invitant à plus de lascivité à la mesure du temps et de la neige qui fond jour après jour mais au fil de ce souhait, me venaient à l'esprit des tas de trucs et des tas de machins que je ne pouvais empêcher, malgré ma volonté d'atteindre cet état inséparable de l'être qu'on appelle le vide.

Sur le banc du Marquis, j'ai pensé aux feuilles plissées de l'héllébore, à ce petit jardin d'iris jouxtant, dans la banlieue de Lyon, un immense incinérateur à ordures. J'ai pensé à la loutre marine qui posséde l'une des fourrures les plus précieuses au monde et qui a une manière amusante de faire la planche en écrasant des coques de palourdes contre un galet pressé sur sa poitrine tout en portant à sa gueule le meilleur de ces fruits de mer. J'ai pensé que la loutre marine ferait un excellent casse noix ou un gros casse-noisette qui pourrait épater les copains. Sur le banc du marquis j'ai pensé aux jeux décourageants, de patience, de Max Jacob dans "Le cornet à dés", et puis aux disques de Pierre Henry qui remplissent l'air de rock n'roll. 

 

PIERRE HENRY "Teen Tonic"
podcast

 

J'ai pensé à tous les imbéciles qui composent des musiques rien qu'en tapant sur des casseroles, à Napoléon qui ne se trompe jamais, aux mystères non révélés de la boule de gomme. J'ai pensé aux atomes qui s'entrechoquent et au "Miracle du Saint accroupi" dans "Les minutes de sable mémorial". Sur le banc du Marquis j'ai pensé aux triomphes de la psychanalyse, à cet arbre penché qui penche depuis longtemps à cause du vent, j'ai pensé que je ne savais pas si fallait couper l'arbre ou supprimer le vent. Sur le banc du Marquis, j'ai pensé à ces politesses extrêmes qui cachent les plus grandes agressivités, j'ai pensé à l'irrationnel, aux héros qui ne meurent jamais, sur le banc du Marquis j'ai pensé que je pourrais être marquise ou duchesse réincarnée grâce aux voyages dans le passé, (en servante à la harpe en Egypte par exemple). J'ai pensé aux soucoupes volantes qui perdraient leur attrait si on apprenait qu'elles ont été fabriquées par des ingénieurs de l'aéronautique terrienne, j'ai pensé à ces gens qui n'existent qu'en fonction de l'autorisation de ceux qui se proclament leurs supérieurs, à ces autres gens qui se lamentent à propos de petits problèmes et ne s'en prennent jamais à eux mêmes. J'ai pensé au cauteleux, au figé, aux lézardes et à l'opulence, aux tumulus sableux et aux tombes trapézoïdales. Sur le banc du marquis j'ai pensé à ces "pointilleux" qui ont peur d'abîmer leur voiture. J'ai pensé aux voyages en ville en tramway, aux cacahuètes bouillies, aux sonates et aux interludes. Sur le banc du Marquis, j'ai pensé au Marquis qui posséde les clés d'un langage oublié, à la pierre de Rosette et aux mérites de Ptolémée. Sur le banc du Marquis j'ai pensé, à l'exaltation de la volonté jusqu'à sa désintégration finale, menant à l'imagination la plus anachronique et la plus débridée, j'ai pensé à la noblesse du banc malgré l'absence de particule. Aux redondances du menuet qui navigue entre les billets. Sur le banc du Marquis, j'ai pensé encore aux sonates et aux interludes...

 

JOHN CAGE/ JOHN TENNEY : Sonatas and Interludes
podcast

 

Sur le banc du marquis j'ai soudain cessé de penser, j'ai dû rêver que les chiffres étaient devenus équivalents, peut-être insignifiants et que par conséquent le monde aurait peut-être une forme très différente si personne ne savait compter. J'ai pensé que l'année prochaine aurait lieu avant cette année mais en l'ignorant bien, nul d'entre nous ne devrait pour l'heure s'en soucier. Sur le banc du Marquis j'ai pensé...

Photo : Le banc du Marquis, situé entre la quiétude et les monts du Lyonnais près des dunes et de la forêt (enchantée) jouxtant le château de Montrouan, quelquepart en recoin d'un jardin d'hiver, bien caché au fond au Nabirosina. Photographié aux derniers jours de December.© Frb 2010.

lundi, 01 février 2010

Jouer / Déjouer

"Je pense qu'on change à cause de ce que l'on fait. Si vous faites quelquechose par vous mêmes, vous verrez les choses à travers le fait de votre activité. Arrangez vous pour que ce que vous faites ouvre à ce qui est."

JOHN CAGE : extr. "Entretien à Yale journal" in "John Cage par J.Y Bosseur. Editions Minerve 1993.

(Si vous préférez le silence aux sons, vous pouvez cliquer sur l'image).

cage Two II.jpg

On a beaucoup entendu dire à propos de JOHN CAGE que même si ses idées ne manquaient pas d'à propos, sa musique, elle ne présentait que peu d'interêt et de consistance (cette même critique  fût également émise quelques années plus tôt à propos de Erik SATIE). A travers un tel jugement on peut reconsidérer l'éternel malentendu provoqué par une sommaire opposition entre l'art et la vie, la théorie et la pratique, la créativité et la réceptivité. JOHN CAGE paraphrasant L. WITTGENSTEIN disait :

" La signification c'est l'usage".

On sait que CAGE n'a jamais bâti de théories abstraites préalablement à ses oeuvres : "Je n'imagine jamais rien avant de l'avoir expérimenté" (1969). Tout est là. Ainsi, lorsque JOHN CAGE rendît visite à un potier traditionnel et le questionna sur sa pratique, ce dernier lui déclara : "Ce n'est pas l'objet en lui même qui m'intéresse, mais le fait de le fabriquer". La méthode du potier fît toute l'affaire de CAGE. Tout au long de sa vie il se comportera en homme pragmatique qui se plaît à garder les pieds sur terre malgré la dimension topique de son oeuvre. La découverte du piano préparé, l'épreuve du silence, le recours aux méthodes de hasard et à l'indétermination, sont liés à une circonstance concrète et non issus d'un procédé analytique. Une immense place est également accordée à l'écoute et à l'observation. C'est peut être ce sentiment du vécu qui donne une forme d'évidence à sa musique, même si cette évidence, n'est là, en fait, que pour susciter des interrogations multipliables à l'infini.

"La perception ne constitue-t-elle pas une forme d'action ?"

Cette disponibilité vis à vis des sons et des circonstances les plus variées, on la retrouve dans la manière que CAGE a de vivre les situations et les rencontres, dans ce qu'elles ont de moins prévisibles, de déroutant, dans sa façon de déjouer les obstacles. Un exemple entres autres, (ils sont nombreux) :  en 1984, JOHN CAGE, imagine pour la Radio de Cologne, une rencontre de circonstance (une de plus) : HMCIEX où se mélangent les musiques populaires de 151 pays qui reconnaissent le comité olympique. Dans le titre on trouve à la fois, les lettres M, C, et E, du "Here comes everybody"= Ici vient tout le monde", cher à JOYCE, alternant avec les lettres: M, I, X, qui contribuent à identifier plusieurs productions électroacoustiques:

"Tout ce que nous faisons se fait sur invitation. Cette invitation émane de soi-même, soit de quelqu'un d'autre."

Selon JOHN CAGE, composer pour autrui, devrait consister à donner aux autres, ce qu'ils souhaitent et non pas ce qu'on souhaite leur donner en tant que compositeur :

"Chaque son est un son merveilleux [...] et prendre conscience de l'interêt de chaque son, refuser de sélectionner, de classer, c'est pour moi le signe d'un pas (peut-être minime et même insignifiant au regard des gens sérieux et autorisés), mais je suis joueur !"

Ainsi JOHN CAGE franchit une étape nouvelle dans le sens de l'ouverture, de la non-hiérarchie, et du non-empiétement :

"[...] Où plus rien ne sera dicté, où chacun sera libre de décider de sa conduite et de vivre les plaisirs qu'il souhaite".

Nota: Ce billet a été largement inspiré par la lecture de l'ouvrage "John CAGE par Jean-Yves Bosseur" cité plus haut (et très bon pour le poil de notre lecteur mélomane).

Photo : l'une des multiples possibilités d'agencement des graviers, peut-être un peu sonores, (par la grâce d'une semelle bien préparée), vus sur un quai d'une gare de campagne. Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.

samedi, 14 novembre 2009

La musica ideal (Part II)

"En même temps que nous aspirons à explorer et à apprendre, nous exigeons que tout reste mystérieux, inexplorable, que la terre et la mer soient tout à fait sauvages, inconnues, insondées par nous, parce qu'insondables. Nous n'avons jamais assez de la nature."

H.D. THOREAU. Extr. "Walden ou la vie dans les bois" traduit de l'américain par G. Landré Augier. Editions Aubier 1981.

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Après avoir passé 18 mois à étudier les mystiques orientales (la philosophie indienne avec GITA SARABHAI en partant des références d'Ananda K. COOMARASWAMY, "la transformation de la nature en art" et s'être interessé à la philosophie chrétienne médiévale notamment aux traités du penseur allemand hérétique et mystique du XIV em s. Maître ECKHART) ; John CAGE lit avec intérêt les écrits de C.G. JUNG qui soulignent la tension entre les parts conscientes et inconscientes de la personnalité. John CAGE entrevoit par la musique le moyen de ressouder ce qui a été divisé, de dépasser un état de dualité qui peut nuire à un authentique équilibre mental.

"La fonction de la musique comme toute autre occupation salutaire n'est-elle pas d'aider à remettre ensemble ces parties séparées ? " (John CAGE -1948-)

En fréquentant la poésie de l'orient, CAGE s'interroge sur l'attitude du compositeur occidental vis à vis de l'acte de création. Il se déclare franchement embarrassé lorsqu'il constate qu'il a consacré la plus grande partie de sa vie musicale à la recherche de nouveaux matériaux. Cette quête du nouveau lui apparaît symptômatique de l'espèce de fuite en avant de notre culture qui consiste à se projeter sans cesse vers des horizons inconnus. De vouloir exploiter sans cesse de nouveaux territoires. Peut être est ce (pense CAGE), parce que notre culture ne possède pas la foi dans ce qu'il nomme "Le centre paisible de l'esprit". Cette question, le compositeur la méditera et l'abordera musicalement dans les "Sonatas et interludes" (méditations sur les émotions permanentes de l'Inde, qui tendent précisément vers la tranquillité).

Ces émotions sont rangées en premier groupe de 4 associé au blanc : l'héroïsme, l'érotisme, la joie et l'émerveillement. Le deuxième groupe de 4 lié au noir comprend : la crainte, la colère, le dégoût et la douleur. La neuvième émotion n'est associée à aucune couleur. il s'agit justement de la tranquillité, laquelle possède cette qualité de transparence, de non-obstruction qui émerge de la conception "Cagienne" du silence.

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Et l'on se prend à rêver de voir surgir entre les flots quelques pianos à touches grises...

Sources : John CAGE par J. Y. Bosseur (suivi d'entretiens avec D. Caux et J.Y. Bosseur). Editions Minerve 1993.

Photo : Variation pour un fleuve tranquille. Vue sur la troisième berge du troisième fleuve. Quelquepart entre Rhône et Saône, là où l'eau est aussi transparente que son promeneur... Lyon. Novembre 2009. © Frb

mercredi, 26 novembre 2008

4 ' 33 " forever

"De lui même, le monde est sonore,
Et le vide à jamais silence.
Ce qui se lève au coeur du calme
Au coeur du calme se dissout"

WEI YING-WOU (737-835) : "Le son".

Extr: "La montagne vide"/ Anthologie de la poésie chinoise (III em siècle- XIem siècle.). Traduite et présentée par P. CARRE et Z.BIANU. Editions Albin-Michel (1987)

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Lien : JOHN CAGE → 4' 33" : HERE

Antithèse : Noise → HERE

+ Parcours Sonore d'un des plus grand compositeur de paysages sonores contemporain: feu, LUC FERRARI. A Visiter ABSOLUMENT : ICI

Photo: Bruissements sur les flots, de l'étang de Montrouan et clapotis presque inaudibles. 2008 ©.