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vendredi, 22 mai 2015

Vernissage au manoir

Renversé, lézardé, morcelé, toute appartenance humaine oubliée, c’est seulement comme un sol que celui-ci maintenant se perçoit, sol indéfiniment déchiqueté, aux croulantes mottes anonymes, dressées-déjetées, qui n’est même plus un terrain, mais les vagues d’une mer démontée, d’une mer de terre en désordre, qui jamais plus ne se reposera ...
 
HENRI MICHAUX, extr. "Les Ravagés", Fata Morgana, 1976, (p. 13). 

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Le carré de peinture commence à se craqueler. Quelques hommes et des femmes vont défiler ici. C'est une heure où l'on trie. Il faut briquer les pièces, convoquer l'escalier qui descend vers cette chambre où il n'y a qu'un lit placé juste au milieu, hanté d'une atmosphère d'entassement d'objets. 

Des outils démodés traînent à travers l'alcôve. La vieille bonne est partie, on raconte qu'elle était sale et simple d'esprit. La poussière s'est glissée comme un corps infiltrant légèrement nos habits. Dehors le soleil règne, ici c'est une caverne.

Eux, on ne les connaît pas. Sans doute, ils organisent, ils s'inquiètent ou ils causent de ces drôles de craquelures, l'obsession qui se penche sur un trait de peinture et semble s'allonger entre un nombre insensé d'outils tachés de sang, ça gêne ce sang qui traîne, et puis les cercles gris, des auréoles humides - exposer dans les ruines - "est-ce que les visiteurs sauront saisir le sens ?".

Ils se disent que plus tard on gardera l'image, elle fera son chemin parmi une quantité d'images déjà rangées, présentant un amas de reproductions portatives déclinées en mémoire qui formaient sous des calques les saisies éphémères de refuges incomplets. Ca racontera une vie entre toutes - "mais laquelle ? Exposée, dans quel but ?".

La vie comme oeuvre d'art, une abstraction de drames, l'atelier comme dépit et la chambre comme conquête, à défaut de pouvoir recoller ces fragments, les tableaux coutent leur prix, c'est presque un prix d'ami, pragmatique au partage, chacun serait tenté d'en préserver les traces et puis de les traiter autrement qu'en déchets, ou bien de les gommer. Il y a des trous partout sur le sol, ronds comme des cigarettes, nous marchons sur la cendre, il faudrait avancer, nous filons à rebours. Une dame a ramassé un marteau qui traînait, du sang sur les outils. - "Mais on se fout de qui ? !"

Plus loin dans cette pièce de type "demeure bourgeoise", toute en pierres et en poutres, une dame en robe trapèze ouvre un air de mystère dans une bibliothèque. On y trouve des indices qui prouveront que l'artiste aimait l'histoire de France, les atlas, les "fourchettes" et la leçon de choses, les planches anatomiques, les microbes, les squelettes. On effeuille des traités du siècle de Lavoisier sur les transmutations biologiques, ce sont des drôles d'histoires de levures, et de moisissures qui produisent du potassium ou du phosphore, une série de planches dessinées montrant des bactéries mutables à l'infini. Il y a vingt-cinq volumes sur ce thème, on se demande quel est l'énergumène qui pouvait vivre ici. On ne savait rien de ce type et maintenant on en parle. Quelqu'un a supposé -"c'était peut-être un malade ? ". On n'ose pas questionner ceux qui se taisent, eux, savent.

Puis la dame entre-baille des portes en enfilade, enfin, lorsqu'elle ressort pour accueillir dehors les derniers visiteurs, on devient charognard. On fouille dans les tiroirs et derrière les volets par le clair obscur de la chambre, c'est Babel qui endort ces ballets de corps inclinés autour d'un lit très vaste, les femmes qui sont passées semblent y dormir encore et dessous repose l'homme, sa divine proportion et sa tête de momie ouvre un oeil en cristal.

Dormir ou reposer. On remue des papiers. Il a dû les aimer, ces femmes, toutes ces femmes, pour dessiner leurs corps, en courbes assez lascives ornés d'incisions roses bariolées de sanguines, c'est un patient travail pas encore un trésor. Il faut de beaux outils afin de parvenir à cette tête étoilée qui parait retomber sur un corps assoupi, coiffée d'une couronne mortuaire fabriquée de pétales de lis et roses fanées. Des entités bruissantes semblent incarner ces toiles tristement alignées, on voit quelques séries ratées de natures mortes, des faisans sur une table à côté des casseroles, des coupes de citrons verts, des marrons sur un feu. Quelqu'un dit - "Que c'est laid !". Il faudrait les donner. - "500 balles pour des croûtes qui ne sont même pas signées !".

Les personnes de l'accueil, qui parlent au nom de l'artiste sont debout dans l'entrée, elles forment un comité comme des veuves qui tricotent, mais entre elles, rien qu'entre elles, elles recomptent les entrées. - "Sept personnes aujourd'hui ! ça va nous faire à peine de quoi couvrir les frais". Entre elles, elles lissent les angles, font le tri pour les autres. Et ne laissent plus peser ce malaise vers la chambre où la crainte nous surprend dans le manoir hanté: quelques sorcières se lèvent, corps jeunes à têtes de vieilles, enclenchent un sortilège par derrière le volet : le rebut de l'artiste, ce fardeau que la mort n'a pas voulu porter, le parfum d'une fille qui cacha cette nuit, sa vie dans une lézarde.

Sous le pli d'un drap gris orné des initiales d'une des femmes et de l'homme, il y a un peigne en nacre où se trouvent attachés quelques fils, des cheveux tressés fins, et les vieux qui passaient juste avant de rentrer ont dû pousser un cri devant ce baldaquin. Ils hurlent et ils se cabrent, ils crient, ils s'époumonent - Touche un peu ! c'est de vrais cheveux !". Passé l'effet de choc, ils rient, ils parlent fort, "les vrais cheveux de la vraie morte ! ouh ! punaise ! c'est macabre !", ils font des mots d'esprit avec le rire nerveux, unis pour la déconne. Ils portent des touffes de crin blancs ou gris en couronne, au sommet le crâne luit comme un vrai lustre d'or.

Cette idée de la mort ne leur dit rien de précis. Ils ont vu la fille nue, ils ont senti l'effroi les happer, silencieux, ils se fondent une seconde, dans la même tempérance, ou ils rient, ils ricanent, ils passeront l'été à rire pour rien ensemble, rien qu'à se regarder, ils pouffent, c'est plus fort qu'eux ce rire touchant le nerf dans le soleil de Mai et cette vigueur flambée d'une jeunesse les remet en piste pour un tour. Ils rient, encore ! encore ! grâce au fil qui les mène jusqu'aux caves de Bourgogne où l'on pétrit les chairs dans le moût cramoisi, épuisant cette honte qu'ils ressentent d'être en vie quand les autres sont morts. Parfois, ils ne font que ça : enterrer leur jeunesse, exhumer la mémoire courant après leurs vies de jeunes célibataires, de beaux gaillards tout verts, vieux coucous verts de gris. Ils railleront l'impudeur du cheveu de la morte, "- un poil de c ...  Hi hi ! - t'es con, Dédé, ta gueule !". Ce qu'il faut de vacarme, pour donner l'impression de n'être pas meurtri.

La beauté entrevue peu à peu se dilue. Ils finiront dehors, à astiquer leurs lustres dans le vin de pays, des coups et puis des filles faites pour les suites de cuites, mais rien. Ils n'auront rien. Ils n'auront pas les filles. Ils feront demi-tour, ils reviendront si saouls reboire encore des coups. Des coups jusqu'à plus soif. Ils cuveront au jardin puis jureront qu'ils n'avaient jamais vu cet endroit - jamais vu de leur vie - depuis le temps qu'ils vivent là dans la maison d'en face, n'en sont jamais partis. Ils jureront sur la tête, de leurs femmes, jamais vu le manoir ! Sur la vie de leurs gosses, sur l'amour de leur mère, une main sur la breloque, ça les remue à rebours, ces morts qui hantent la vie.

Ici, quelques bougies dont les mèches s'effilochent, le feu n'y prendrait pas, ce sont les corps qui serrent la chaleur dans nos bras, la diffusent sournoisement, une flamme brève sur une toile suffirait à griller ces bouches qui turlupinent. L'altérité des lieux nous retrouverait obscurs, en terre d'enluminures, d'eaux fortes et de chapelles. Cette lumière se transforme lentement au fil des heures, à présent nous révèle un clocher en plein ciel. On ne peut pas s'arracher des puissances de la pierre, on ne peut pas situer tous les jeux de lumière, un relief dans ces noirs, le dépaysement règne. Ou c'est le dépays, toute une vie enfermé à peindre sous une lézarde à humer les parfums dans les cheveux des femmes et à les reproduire. Peindre les parfums... - "Ah oui ? vraiment, comment fait-il  ?". Tout ça ne leur dit rien.

Quelqu'un a demandé si l'on pouvait feuilleter les carnets de l'artiste, des cartons traînent partout, on marche sur les esquisses. - "Ces brouillons ? Non, vraiment, ils  ne valent pas un clou". Ils l'ont dit. - "Pas un clou !" ce sont des spécialistes, il n'y a pas à redire. Certains hommes meurent ainsi sans avoir achevé leur chef d'oeuvre, - "il y a de tristes vies, ma bonne dame !" ils l'ont dit "tristes vies ! ma foi, oui !"... Dans la bibliothèque on débat de l'époque d'une planche à bactéries XIX ou XXem siècle ? Quelqu'un a dû conclure  - "S'il est mort à ce moment, c'est que l'oeuvre était finie. Dieu l'a voulu ainsi !". Dieu encore. Un autre a répondu - "Personne ne vous a dit que l'artiste était mort". Un ange passe. Chacun sort.

Les dames du comité ont pris la calculette - "cinq nouveaux et deux gosses, ça fait quatorze en tout, c'est moins que l'année dernière !", entre l'apéritif et le goûter des petits, à l'unanimité ils se sont accordés pour répéter en choeur que ça ne valait pas la peine de se déranger pour si peu. La valeur et la peine - "où est votre peine, Madame ?". Les autres, ils ont suivi: - "nous, on n'a rien compris" - "trop compliqué pour moi !". La visite s'achève là.

On se retrouve au jardin, sous un grand parasol. La femme en robe trapèze passe avec des plateaux, elle ne forme pas ses phrases: - "Vin ou jus d'ananas ?". Il est toujours question de peinture ou de livres. La femme repart, revient - "quatre-quart ou tarte aux pommes ? Ceux qui décident s'envolent. Les autres, ils rasent le sol. Ceux qui décident pèsent lourd et dans le palais d'or remuent une langue de foules convoitant le trésor. Ils seront responsables de rendre toute chose possible ou impossible, en une fraction de seconde, c'est pesé, mesuré. Ils fusionnent, allez hop ! -"Va pour une tarte aux pommes ! - Tarte aux pommes pour tout le monde !".

Un homme seul sous un arbre, roule un peu de tabac gris. -"C'est peut-être l'artiste ?". On sait pas. -"Demande lui !". On s'affale sur un banc. A chaque instant la voix revient part et virevolte: -"vin ou jus d'ananas ?". Une seconde indécise. -"Allez, vin ! - Allez hop ! Du vin pour nos amis !".

Les espaces se séparent. Il y a des univers, entre le grand jardin et le petit manoir, entre ceux qui picolent et ceux qui picolent pas. Dans les plis, un abîme. L'homme qui restait seul à s'en rouler sous l'arbre répond à une vieille dame, harcelante mais limpide - "le sang sur les outils, c'est de la peinture n'est ce pas ?", l'homme lui répond tout bas - "mais oui, c'est de la peinture, que voulez vous que ce soit ?". On sort de l'artifice. - "Savez-vous si l'artiste est enterré ici ?". Ca retombe sans un bruit.

On rejoint les esprits. On s'est mêlé aux autres qui riaient et roulaient des pétards dans les fleurs. Les tartes étaient mangées et les coupes étaient bues. Là bas à l'intérieur, le carré de peinture avait presque disparu mais dessous ça grouillait, du sang sur l'auréole, né d'une cabriole.

Dans la chambre silencieuse, tout près des natures mortes sous les corps assoupis, lentement une lézarde étouffait ses petits.

 

Photo : Au visiteur perplexe, un fragment de lueur au manoir, le premier jour de l'exposition.

 

Là bas © Frb 2014 revisité en 2015

vendredi, 23 mai 2014

Métaphore filée

Tout ce que nous ne voyons pas est immense.

Rouletabille in "Le mystère de la chambre jaune" par G. LEROUX. 

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Adolphe essaie de cacher l'ennui que lui donne ce torrent de paroles, qui commence à moitié chemin de son domicile et qui ne trouve pas de mer où se jeter (*)

  

Nota (*) : extrait des "Petites misères de la vie conjugale" de Balzac.

 

Photo: Tout est .  

 

Aux champs © Frb 2013

20:36 | Lien permanent

dimanche, 27 mai 2012

Comme un dimanche...

Un dimanche de mai 1982, à onze heure du matin, le curé Masselin, monte en chaire, pousse un cri horrible et dit : "Après le jugement dernier, les ressucités de toute la terre se disposeront en colonne par deux et viendront successivement laver leur linceul dans le lavoir de Sore-les Sept Jardins. Ils se débarrasseront ainsi des traces de boue et des péchés. L'opération prendra le temps qu'il faudra. Les corps glorieux auront l'eternité devant eux. Puis ils se disperseront dans la campagne, poseront leur linceul à terre avant de s'y coucher et se caresseront les uns les autres sous le regard bienveillant de Dieu"

Gilbert LASCAULT : "Draps, linceuls et manuterges" in la revue "Le fou parle"23. Balland 1983.

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Lien : En plus d'être critique d'art, écrivain, véritable passeur, Gilbert Lascault est aussi un homme de radio  une "voix" des plus singulières... Extrait, à  écouter, visionner, ci dessous :

http://vimeo.com/7095736

Nota : Pour ceux qui envisagent les dimanches sous des onctions plus chastes, la Marie Charlotte honnissant nos vices vous sonnera les cloches loin des affres de la chair, avec tout de même du linge, des aubes, de la dentelle, et Mr le curé de Varennes, que vos doigts vertueux (ou la Sainte Souris) trouveront sans peine en cliquant dans l'image.

Photo : Un dimanche de Mai 2012, dans la campagne du Parc de la tête d'Or (Parc des 7 jardins  lui aussi, en cherchant bien), l'histoire n'en finissant pas de tourner en rond,  j'ai  photographié une ressucitée effectuant une partie de jambes en l'air avant que d'autres ne viennent la rejoindre pour échanger un peu d'amour universel sous votre regard bienveillant chers lecteurs, Dieu ayant bien d'autres chats à fouetter ce printemps. En attendant de voir la suite... Promesses, promesses...

Parc © Frb 2012

lundi, 01 août 2011

La nuit venue

Tout ne revêt-t-il pas, dans ce qui nous exalte, les couleurs de la nuit ? C'est elle, maternelle, qui te porte, et tu lui dois ton entière splendeur. Tu te serais dissipée en toi-même, perdue dans l'espace sans fin, si tu n'avais été par elle contenue, enserrée en ses liens pour devenir chaleur et faire, en flamboyant, naître le monde.

NOVALIS (1772-1801) : "Hymnes à la nuit", éditions Mille et une Nuits, 2002.

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Ici nous devenons invisibles, mais si vivants. Un pas de plus enrobe, nous regardons courir au ciel des astres doux, mêlés à cette force, elle retourne au soleil le moulin à paroles où rien ne peut se dire à temps. Nous avons tant parlé, la parole si sûre d'elle ouvrait des trappes, les refermait, se dévidait au milieu du courant tuant l'ennui par un désordre qui soufflait dans le vent d'autan des aquilons, mais c'était encore du vent sur le vent... Et moi semblant humaine je devinais la haine que tu ne disais pas, elle conjurait la mort dans l'apparente joie qui méprise la joie. L'écho surveillait nos paroles. A qui parlions-nous de si loin sans plus nous écouter ? Harcelés par des forces ; un vieux guerrier ingrat nous opposait sa loi, il effaçait le sens à mesure que le son progressait. Notre expression abattait des troncs creux il n'y avait rien de plus triste que cette matité, les véhémences impersonnelles de l'orgueil gagnaient le jeu énoncé par le maître, nous demeurions au point mort dans notre citadelle à demi-effondrée, quelques jours à peine suffiraient pour la voir disparaître. Tu enterras tes perroquets au fond de la forêt, tu arrosas des hellébores qui ne pourraient jamais renaître,  tu les avais peut être brûlés un jour ou par ennui comme l'enfant aime frotter ses jouets sur les boîtes d'allumettes, comme l'enfant est heureux de créer pour la première fois le feu. Le feu courait sur moi et tu t'en réjouissais - ou bien c'est encore le soleil, qui devient simplement mauvais - A ce point onéreux, la voix transformait nos forces en faiblesse, plus nous parlions plus nous hâtions la possibilité d'un accident, lequel eût lieu il y a longtemps. Nous répétions à l'infini les vers de celui qui nous avait tant aimés et trouvés enlacés dans une chambre au milieu de la nuit :

Es-tu capable de me montrer un coeur à jamais fidèle ? Et ton soleil possède-t-il les yeux de l'amitié qui sachent me connaître ? Saisissent-elles, tes étoiles, ma main tendue de désir ? Me rendent-elles en retour la pression de tendresse et la parole caressante ? De ses couleurs l'as-tu parée, de ce contour léger, - ou bien est-ce la Nuit qui donne à tes atours un sens plus haut et mieux aimé ? Quelle est la volupté, quelles sont les délices offertes par ta vie, qui balancent les ravissements de la mort ?

Ici devenus invisibles, peut-être possédés, aurions nous tenu la promesse que tu me fis un jour ? Un jour sans prévenir, elle exigera son dû. Ce sera par hasard, quand nous serons certains que les fantômes s'égarent aussi loin que nos vieux sous ces pierres, là bas, profondément enfouis : "ci gît, les morts !" qu'ils y restent ! et bien non, justement. Quand tu paraîtras impeccable, mon visage te rappelera ces amusantes caponnades et le tien me demandera pourquoi j'ai désiré te fuir sans expliquer ni chercher à savoir lequel de nous deux est ce jour le plus mort. A présent, les fruits pourris de cette abondance gèleront nos coeurs au non-lieu d'une forêt évidant le désastre par la sève qui descend puis monte à l'intérieur des arbres, sans collision, dans des cernes annuels, la récente sève qui monte et descend sans répit, ce territoire restera nôtre, tel la peau criblée d'ocelles d'où tu arrachas nos prénoms par ta lame sans tendresse dans l'écorce encore tiède plus solide que la peau. Ici, on entend le halètement d'une bête siamoise, elle court sous les fougères, cherche d'autres bêtes à dévorer, jadis inoffensive, la faim l'a rendue si ogresse que cela nous remplit d'amertume et la parole de l'homme dit encore le contraire.

Quelquechose a chuté de si haut au cours d'une vulgaire ascension au plus vulgaire sommet, du plus somptueux paysage, je n'ai fait que saisir ce que la nuit daignait m'offrir jusqu'au jour désuet de la parade où tu me jetas à ces chiens. Sais-tu au moins ce qu'ils m'ont fait ? Vas donc, et dors tranquille, si tu vis, tu n'en sauras rien. Sauf si quelque rébus vient docile, en esquisser l'indice, au non-lieu d'une forêt que tu aimes, dont tu as besoin. Des figure enterrées remontent à la surface, pleurent la nuit font des ronds dans les flaques. Des petits cailloux ricochent déjà à nos fenêtres, ils sont là comme l'été on regardait les "demoiselles" flirter sur les flots des étangs, sans un bruit. C'est la nuit, elles reviennent, quand tu dors, quand ton rêve violente ces mille femmes qui hier, t'adoraient, devenaient infidèles sans raison, au non-lieu remplissant ton sommeil d'une haine et de toutes les salopes que les hommes ne savent pas comprendre. Rien n'existe sauf l'oubli dans la nuit qui hantera sans cesse. La tienne est semblable à la mienne, plus limpide que l'aurore, humide, parfois, c'est un oreiller d'herbe, d'où l'on contemple des comètes troussant les voiles d'une caravelle tandis que tu recouvres d'encre ces points d'or, purs aimants. Crois-tu les effacer vraiment ? Nos songes auront forcé longtemps des huis pour n'arriver à rien, ce rien retient en impatience l'effroi entre l'homme et la femme, dans la petite maison en papier qui s'envole sur l'aile d'une demoiselle du genre Zygoptéra pas plus grosse que mon doigt caressant tes cailloux dont le coeur bat encore. Là, juste sous ta fenêtre, à deux pas de nos bois quand ta vie va ranger sous forme de sérénade la même chose à toute heure, un masque de carnaval, un loup sur tes yeux enchanterait, il affame. Une musique fine bouclera le sillon, la pavane portant l'anagramme, ainsi finira la chanson, le temps de faire le tour d'un arbre, de goûter las, le saignement, la sève pourpre paraît dans l'entaille de ta douce et diurne balade. Crois-tu au pouvoir de la danse ? Un homme seul marche dans une forêt, ses pas sont ceux du loup de légende, ses songes la nuit, ont inventé un rythme indéchiffrable dont aucun musicien, pas même un virtuose, ne pourrait arriver à bout.

Nota :  Le second extrait (en caractère gras dans le texte, est aussi extrait des "Hymnes à la nuit" de Novalis.

Photo :  L'orée du bois du Marquis de...  (il ne veut pas qu'on le dise on va dire que c'est "mon" Marquis). Un petit chemin, juste avant d'entrer dans la nuit, lumineuse... Vu, quelquepart  entre le Mont St Cyr et le Mont ...  Euh  ? (Je ne me souviens pas, on va dire que c'est le Mont Marquis...)

©  Frb 2011.

vendredi, 09 octobre 2009

Agrophylax

"Quel bruit fait l'arbre qui tombe dans un bois où il n'y a personne pour l'entendre ?"

IMGP0309.JPGAvant l'explication par la science de la naissance du monde, l'homme vivait sur une terre enchantée. Dans un "Traité sur les rivières et les montagnes" datant du IIIem siècle et attribué à PLUTARQUE, nous apprenons ceci d'une pierre de Lydie qui ressemble à l'argent et que l'on appelle "agrophylax" : "il est assez difficile de la reconnaître car elle est intimement mêlée à la poudre d'or que l'on trouve dans le sable des rivières, elle possède des propriétés très étranges. Les riches lydiens la placent à l'entrée de leur coffre, afin qu'elle protège leur réserve d'or, car chaque fois qu'un voleur s'approche, la pierre émet un son qui ressemble à celui d'une trompette et le larron se croyant découvert, s'enfuit, et précipité au fond d'un gouffre périt de mort violente"(1).

Björn ERIKSSON :"Ballad Ollo Dallab"
podcast

 

(1) Extrait : "Traité des rivières et des montagnes" cité par F. D. Adam in "The birth and development of the geological sciences" N.Y. 1938.

Source : R. Murray Schafer : "Le paysage sonore". Editions J.C Lattès 1979. A voir encore ICI.

Photo : L'absence de vie ne s'accompagnant pas forcément de l'absence de sons (nous y reviendrons), juste ici la "Pierre de Charpennes" en lamentations, quelques jours après l'enterrement du brésar. Et sous l'asphalte, suivant un long soupir, l'enfer se dép(r)ave dans le caviar. Vu et entendu à Villeurbanne en Octobre 2009. © Frb.

dimanche, 21 juin 2009

L'univers etc...

Comme un dimanche ou presque.

"Et quand j'ignorerais la nature des atomes, j'oserais encore, après examen des phénomènes célestes et bien d'autres d'ailleurs, affirmer que la nature n'a pas été faite pour nous et qu'elle n'est pas l'oeuvre des dieux : tant l'ouvrage laisse à désirer !"

LUCRECE ."De la nature" Livre cinquième, 193-229, P. 162. (Traduction H.Clouard) . Editions Garnier frères 1964.

 

basilique.JPGLUCRECE, mourût l'année, sinon le jour, où VIRGILE revêtit la toge virile c'est à dire en 55 av.J.C. St JERÔME prétend qu'un philtre amoureux l'avait rendu fou et qu'il composa de "De Natura Rerum" dans les répits de son délire : sans doute n'y a t-il là qu'une légende propre à discréditer le poète impie. Toutefois il n'est pas interdit de penser que LUCRECE s'est suicidé. En théorie la métaphysique et la morale du "De Natura Rerum" reposent sur la science de DEMOCRITE et d'EPICURE et sur ce que LUCRECE avait pu glaner autour de lui de connaissances physiques. Mais on peut encore s'interroger à ce sujet, tellement toute l'oeuvre semble acharnée à délivrer les Hommes de la crainte des Dieux. L'athéisme de LUCRECE fût son principe de vie philosophique. Personne n'a parlé avec autant de liberté et d'audace de ces divinités qui n'étaient plus prises au sérieux par les lettrés, les gens instruits mais aux pieds desquelles la foule se prosternait encore. Et la doctrine épicurienne satisfaisait cet athée farouche. Il refusait à l'âme l'immortalité. Il faisait de l'univers un mécanisme. Mais LUCRECE n'est jamais si grand que lorsqu'il nous entraîne au delà de toutes limites, dans des régions mystérieuses,et contemple de loin, d'une part notre misèrable petit monde et d'autre part, les espaces infinis. Goûtez plutôt :

" Enfin, tout ce que jour par jour la nature ajoute lentement aux corps, pour les faire croître par degrés, l'effort de notre vue n'en peut rien atteindre. Nos yeux n'aperçoivent pas davantage ce que le temps enlève aux corps en les vieillissant"

Après quoi, la messe sera dite (ou presque). Mais vaut mieux pas.

Il est difficile de savoir si LUCRECE a été apprécié par ses contemporains. CICERON n'en fait pas d'éloge excessif, plus tard VIRGILE, après une allusion de sa jeunesse a gardé le silence sur le poète envers lequel il était un brin redevable. Un seul enthousiaste inconditionnel : OVIDE qui s'est écrié dit-on :

"Les vers du sublime Lucrèce périront le jour où l'univers sera détruit".

Il nous vient même l'envie discrète d'espèrer que le livre de LUCRECE perdure encore longtemps, et bien après la destruction de l'univers. Ce serait d'une belle ironie, mais cela est une autre histoire que je vous raconterai quand l'univers sera détruit.

En attendant, je ne peux que vous conseiller de lire et surtout à haute voix (ce n'est point ridicule) le "De Natura Rerum" car au delà de toute philosophie, au delà des notions de physique, il est un envoûtement rythmique du texte et des agencements que je ne puis décrire ici tant le chant du "De Natura..." berce mystérieusement. (Peut-être le charme des atomes ?)

Ainsi, sera, (en ce dimanche ou presque), pour cette année assurément, notre façon de célébrer, loin des cohues et des chaos, un genre de fête de la musique.

Photo: Un fragment de la Basilique romane de Paray le Monial, placée sous le vocable du Sacré-Coeur photographiée sous un ciel plus blanc que blanc, au début du printemps 2009. © Frb

samedi, 20 juin 2009

Antimatière

Le poteau noir *

Nous sommes depuis plusieurs jours déjà dans la région
du poteau
Je sais bien que l’on écrit depuis toujours le pot au noir
Mais ici à bord on dit le poteau
.

poteau noir.JPG

Le poteau est un poteau noir au milieu de l’océan où
tous les bateaux s’arrêtent histoire de mettre
une lettre à la poste
Le poteau est un poteau noir enduit de goudron où l’on
attachait autrefois les matelots punis de corde ou de
schlague
Le poteau est un poteau noir contre lequel vient se frotter
le chat à neuf queues.

Assurément quand l’orage est sur vous on est comme dans
un pot de noir
Mais quand l’orage se forme on voit une barre noire
dans le ciel et cette barre noircît s’avance, menace et
dame le matelot le matelot qui n’a pas la conscience
tranquille pense au pot au noir
D’ailleurs même si j’ai tort j’écrirai le poteau noir et
non le pot au noir car j’aime le parler populaire et
rien ne me prouve que ce terme n’est pas en train de muer ...

poteau23.JPG

Tous les hommes du Formose donnent raison à CENDRARS qui dans "sa feuille de route" partie du rapide de 19H40, explore "le coeur du Monde" en 1924.

Bien sûr c'était avant la catastrophe. Et puis c'était avant qu'on zappe un peu la catastrophe à cause de Michaël JACKSON, "le roi de la pop", dont nous ne sommes pas censés connaître la mort puisque ce billet datant du 20 Juin 2009 ne nous permet pas de communiquer des faits qui ne sont pas encore arrivés. Mais ce que notre Blaise ne nous dit pas (et que nous sommes bien obligés de constater), c'est que si l'on fixe longtemps le pot au noir, on peut lire l'avenir sans grande marge d'erreur. Vous n'avez qu'à tester. Encore faut il y croire très fort. Mais je ne pense pas qu'au regard d'une telle évidence, nos lecteurs aient l'outrecuidance d'en douter...

* "Le poteau noir" par  BLAISE CENDRARS in "Feuilles de routes", (le Formose), extrait de "Au coeur du monde" (poésies complètes 1924-1929). Editions Denoël 1947.

Photo: Le poteau noir (et ses  métamorphoses) dans la boîte noire. A la périphérie de quelquechose très difficile à situer sur la mappemonde. Juin 2009. ©

dimanche, 01 mars 2009

Apparitions

"Il est des personnes tellement remplies des fantômes de l'imagination qu'elles croient voir réellement tout ce qu'elles pensent."

SAINTE THERESE D'AVILA, Château de l'Ame, Sixième Demeure

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"Etant donné que la vue et le toucher sont les deux sens qui rendent compte de la façon la plus directe de la réalité objective, il se produit, dans l'apparition ce que les théologiens appellent "le sentiment de la présence". En fait, la personne témoin d'une apparition est convaincue d'être en contact immédiat avec l'objet qui s'est manifesté à elle, et non pas d'en subir une influence quelconque ou de se trouver face à une image, à une reproduction de cet objet".
Encyclopédie catholique, in "Les Apparitions de la Vierge", M. Centini, Ed. De Vecchi, Paris, 1999

Gerson, auteur d'un traité sur le Discernement des esprits (De probatione spiritum), indiquait déjà au XIV° siècle (traité "sur la distinction des vraies et des fausses visions") cinq signes permettant de reconnaître les véritables révélations :
- l'humilité
- la discrétion
- la patience du voyant
- la vérité des révélations
- la charité ou l'amour de Dieu

Les experts de la 42° semaine mariale à Saragosse en 1986 ont dénombré au moins 21.000 apparitions mariales depuis l'an 1000, mais l'Eglise n'en a authentifié officiellement qu'une quinzaine.
Au cours de ce seul XX° siècle, il a été recensé près de 400 apparitions mariales (ou prétendues telles), et 200 pour la seule période de 1944 à 1993. Pour 7 d'entre elles, l'évêque local a reconnu le caractère surnaturel des faits : Fatima (1917 - Portugal), Beauraing (1932 - Belgique), Banneux (1933 - Belgique), Akita (1973 - Japon), Syracuse (1953 - Italie), Betania (1976 - Venezuela), et tout récemment Kibeho (1981 - Rwanda) ,auxquelles il faut ajouter Zeitoun (1968 - Egypte) et Shoubra (1983 - Egypte), reconnus par le pape de l'Eglise copte. Dans 17 cas, l'évêque - indépendamment d'un jugement concernant le caractère surnaturel des faits - a autorisé l'expression d'un culte sur les lieux de l'apparition. Enfin, 79 d'entre elles ont reçu un jugement négatif.

Photo : Panneau "annonciateur" vu à Paray le Monial, (toujours sous le signe du "Sacré Coeur" et de la Sainte omniprésente dans cette étrange ville : Marguerite Marie Alacoque ). Février 2009. © Frb