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Juillet

Elle a, ta chair, le charme sombre
Des maturités estivales,
Elle en l’ambre, elle en a l’ombre ...

PAUL VERLAINE, extr. "Eté" in "Parallèlement", "Chansons pour elle" et "Autres poèmes érotiques". Editions Gallimard 2002.

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Le soleil trottait devant moi sur des talons légers, une femme mûre, d'un autre siècle, se rendait au musée. Elle tenait sous son bras un minuscule châle confectionné tout au crochet et son sac de jeune fille, faisait un bruit de petite quincaillerie, de verroterie ancienne. L'été harmonisait sa dame, d'une lumière éblouissante. Ca sentait bon la Guerlinade, le rendez-vous discret. La dame s'arrêta à deux pas de l'entrée du musée. Elle sortit sa poudre précieuse, une houpette, et doucement se para, tout en surveillant qu'il n'y ait pas de personnes trop curieuses pour surprendre ce moment d'intimité qui relèguait la rue à quelquechose d'infiniment superficiel. Des notes d'iris, de tubéreuse glissaient dans mes volutes et pendant que la dame sortait de son trousseau, un petit vaporisateur, moi je jouais, la bouche en coeur avec ma cigarette à faire des ronds parfaits qui flotteraient dans le ciel pour retomber dans la poussière. La dame rangea son attirail, ne gardant que l'ombre à paupières qu'elle appliqua presque à tâtons, en touches irrégulières. Puis elle se parfuma, je connaissais par coeur ces notes de fond : Vanille, Iris et Cuir. La plénitude et le plaisir des premières vies amoureuses, la peau douce que l'on respire quand l'amant, le premier, s'immisce, passionnement, captive l'imprudence, et que l'univers entier fond comme une friandise sous sept ciels, au tout premier été du monde. Après cette première fois, il faudrait tout de suite en mourir, pour ne plus craindre la récidive... Cet Amour, cet inachevé, je le respire encore, l'éclatante émeraude, votre pâleur, ce sourire qui s'illuminait sur les mélodies de Fauré. Mille de vos poèmes qu'on lisait à voix haute et qu'on envoyait valdinguer dans la chambre embrasée de senteurs. "Vanille, Iris et Cuir", le parfum s'appelle "L'attrape-Coeur" ...

A ce moment du récit, j'ai vu arriver un monsieur brun, aux tempes grisonnantes, d'âge mur et très bien mis. Il souriait tout seul, en marchant et tenait des roses rouges à la main, dans mon esprit (aujourd'hui corrompu ;-) je me suis dit que c'était peut-être un de ces rendez-vous charmants du genre "rendez-vous minitel", du romanesque post-moderne de premiers rendez-vous, par la grâce de toutes ces sortes de machineries actuelles, un point précis dans une ville, deux signes particuliers, assez particuliers, (parfois cocasses), pour bien se reconnaître. Elle aurait dit qu'elle porterait une longue jupe couleur soleil, qu'il ne pourrait la louper,(ah ça !). Il lui aurait répondu, sans doute, qu'il viendrait là, avec des fleurs... Ensuite ils iraient s'asseoir sur un banc au jardin du Palais St pierre et cela s'appellerait toujours "L'attrape-Coeur".

 

Gabriel FAURE: "Chanson d'Amour" opus 27 n°1
podcast

 

Photo: Filature étoffée pas très loin du Palais St Pierre dit "Musée des Beaux Arts". Une dame en jupe-soleil. Vue à Lyon. Juillet 2009.© Frb.

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mercredi, 01 juillet 2009 | Lien permanent | Commentaires (22)

Autrement dit

Je suis gaucher. Vous vous en fichez ? Vous avez tort. Il y a là-dessus de quoi penser des pages et des pages. Je n'ai pas dit écrire, ce n'est pas mon jour de clavier, j'ai plutôt une envie de dessiner. Je n'aime pas ma main droite, celle qui écrit - en vieille contrariée qu'elle est - à la plume et tant moins bien que toujours mal. Je préfère "l'autre main", celle que les professeurs ont laissée intacte, qui de dextre à senestre dessine, peint et grave. Des deux mains en même temps, je peux sans effort d'attention particulier faire diverger une phrase à partir d'un point central. Dans le sens usuel avec la maladroite et dans le sens inverse avec l'instinctive - la gamme ascendante et descendante du pianiste - et je me demande : si mes bras s'allongeaient indéfiniment comme dans un rêve, où cela s'arrêterait-il ? à quels horizons ? Vers quelle jonction...

PIERRE ALECHINSKY in "Des deux mains". Editions Mercure de France, 2004

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Pierre ALECHINSKY est né en 1927, l'année où le cinéma devînt parlant. Pierre ALECHINSKY eût envie de rester muet et de peindre. Ses peintures sont à notre guise ou musique ou silence :

"Nous travaillons à écrire des histoires muettes"

Pierre ALECHINSKY aima le jazz tout comme les membres de COBRA (groupe auquel il participa) parce qu'il y a dans le jazz, cette spontanéité que l'on appelle aussi improvisation.

Pierre ALECHINSKY déroule son trait noir "comme un long serpentin cobra", il n'appuie pas sur son pinceau pour ne pas l'abîmer, on dit de Pierre ALECHINSKY qu'il a un geste d'écrivain quand il peint on croirait qu'il écrit avec son pinceau comme les orientaux, d'ailleurs il utilise de vrais pinceaux chinois.

On dit aussi qu'il aime regarder l'écriture dans un miroir, c'est plus beau, plus étonnant quand on ne comprend plus ce qu'elle veut dire.

Pierre ALECHINSKY est un gaucher que l'on a obligé à écrire de la main droite, du coup quand il peint il part de la droite vers la gauche pour se venger...

Pierre ALECHINSKY peint souvent par terre, sur de grands papiers, il en a beaucoup mais préfère les vieux papiers imprimés, ceux qui ont déjà servi, les factures, les cartes routières, les cartes de géographie".

Son art ne saurait faire mentir cette phrase de Paul KLEE :

"Écrire et dessiner sont identiques en leur fond".

Voir lithographies : http://www.galerie-bordas.com/alechinsky2.html

Photos : premières figures d'automne, esquisses, ramifications, vues sur le chemin des acacias, pas très loin de la Chapelle st Avoye à La Clayette. Août 2009.© Frb

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mercredi, 26 août 2009 | Lien permanent | Commentaires (16)

Billet d'août

L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette du saule noir
Où le vent pleure...

Rêvons, c’est l’heure.


PAUL VERLAINE. Extr : "La lune blanche" in "La bonne chanson".

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Si vous avez loupé l’épisode précédent...

Les vingt et une pièces qui composent "la bonne chanson" ont été spécialement composées pour Mathilde MAUTE DE FLEURVILLE avec laquelle VERLAINE vient juste de se fiancer. Une jeune fille âgée de seize ans, bourgeoise, naïve, pas spécialement attirée par la poésie, mais qui lit les poèmes de son bien-aimé avec les yeux de l’Amour. Aussi déclare-t-elle : "qu’ils sont peut-être... Trop forts pour elle". De crainte de ne pas être bien compris par sa jeune fiancée, le poète va amener tout son style à une plus grande simplicité. Certains critiques ne liront dans "la bonne chanson", qu’une simplification, un art de la rime banale, très "en deça", sur le plan strictement poètique, des recueils précédents. Il faut dire que "La bonne chanson" paraît en 1870 , après "les Poèmes Saturniens" ( 1866) : des "eaux fortes" ou tableaux, dans le goût du Parnasse, et les "Fêtes galantes" (1869) : vingt deux poèmes inspirés de WATTEAU évoquant les plaisirs élégants d'une société frivole. Mais dans  "La bonne chanson" le message est sincère, l’Amour vient... Ce n’est pas un rêve ! VERLAINE, clame tout son bonheur, imagine une vie conjugale rien que tranquille :

Le foyer, la lueur étroite de la lampe ;
La rêverie avec le doigt contre la tempe
Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés ;
L’heure du thé fumant et les livres fermés ;
La douceur de sentir la fin de la soirée [...]

VERLAINE souhaite ardemment chasser les forces maléfiques qui tentent sa chair, tourmentent son âme (l’alcool, son attirance pour les jeunes garçons). La destinée maudite l’emportera sur cette simple vie d'homme, sur l'harmonie d'un couple si tendrement rêvé . La trop jeune et fraîche Mathilde, dans l’innocence de ses seize ans ne saura pas apaiser les tourments de son fiancé, ni le protéger. L'illusion se délitera. Mais "La bonne chanson" joue encore les sons de la balade. L' Amour se voue à l’heure exquise, porte son chant à l'élément. Tandis que, pas très loin, la silhouette sombre d'un saule annonce le déclin. La belle saison s'étire encore un peu dans les reflets. Quelquechose doute...

Photo : Fin d'après-midi aux reflets de l'étang des clefs, à l'ombre d'un arbre (plus ou moins saule) qui augure majestueusement premier billet d'Août 2009. © Frb.

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samedi, 01 août 2009 | Lien permanent | Commentaires (10)

Légende d'automne

Donne ta main, retiens ton souffle, asseyons-nous...

légende d'automne,by paul,contes et légendes imaginaires,peaux rouges,défi,vengeance,humains,humiliation,réparation,martres,castors,arbres,paysages lointains,orgueilLà-bas, vivait un homme appelé "Dents pointues" dont l'amour-propre avait été blessé par l'abandon de son épouse. Cette jeune femme avait quitté les siens pour les faveurs d'un riche capitaine blanc, négociant en fourrures de la Baie Caravelle. Afin d'effacer son humiliation, de la façon admise par son peuple, "Dents pointues" profita de la première occasion qui lui fût donnée dans une fête tribale, et brandissant dix belles peaux de martre, se mit à ouvrir un chant de défi sur un air ancien. Ce chant était destiné à ridiculiser la femme qui l'avait délaissé. Ce chant disait : (j'en rapporte un extrait approximatif) :

"Attends !  Attends de voir ce qu'un chef peut faire. Attends, tu vas apprendre bientôt, que je relève la tête.

Attends, belle envolée ! avant de me faire dire combien tu te languis encore de mon amour.

Le temps venu, femme passée aux mains et aux tribus blanches de la Baie Caravelle.

Oseras-tu m'envoyer une bouteille de "Vieux Tom", c'est pourquoi, dès ce jour, je te fais adresser par mes hommes, une poignée de peaux de castors."

En réalité, ces fourrures valaient plus que des peaux de castors, elle représentaient toute la fortune de la tribu. C'étaient des peaux de martre, qu'un chef riche bafoué, avait le droit de sacrifier dans le but de jeter le ridicule sur une femme inconstante.

Le défi lancé supposait que la femme serait incapable, après son envolée, de lui rendre la pareille. Au tour de la femme, à présent, de répondre par un don d'une valeur encore plus chère (la pareille, serait insuffisante), c'était pour elle l'ultime moyen de sauver son honneur.

Elle releva le défi, d'une manière imprévue. Pour discréditer "Dents pointues" avec l'aide d'un artisan ami du capitaine, elle fît offrir à "Dents pointues" un grand canot taillé dans un tronc de cèdre qui servait de totem à ceux de sa famille, de la sorte, elle avait offert "le Vieux Tom", mieux encore, des centaines de "Vieux Tom" sous forme d'un canot de commerce. Le canot fût porté au provocateur au milieu d'une fête, et par ce don, qui avait arraché un cèdre millénaire, symbole de sa lignée, la femme écrasa "Dents Pointues".

La légende dit encore qu'en sapant les racines du grand arbre sur sa terre natale, la femme avait repris à son ancien époux le meilleur de lui même. Elle dépassait ainsi l'orgueil de celui qui avait espéré sa perte. "Dents pointues", se devait malgré tout de rester digne, supporta l'épreuve sans broncher, mais l'épouse jadis volage l'avait davantage humilié par la valeur inestimable du cadeau, c'est ainsi que le chef se trouva diminué aux yeux des hommes de sa tribu. Et la femme regagna par sa témérité ce qui lui manquait de vertu.

A ce moment, il y eût un vague remou dans la tribu, les hommes commencèrent à fuir ou à tourner la tête. Il se mirent à chercher au delà de l'horizon convoitant les trésors de la Baie Caravelle. Les plus lâches firent croire à "Dents pointues" qu'il ne se tramait rien de facheux, pourtant dans les jours qui suivirent, ils se nommèrent tour à tour chefs, mimèrent les funérailles de "dents pointues" lors de cérémonies secrètes, ces simulacres auraient pu tout autant être découragés car aucun homme par le vote désigné, ne pût tenir sa position de chef. Hélas, la coutume ordonnait quand une décision s'engageait, qu'on ne pouvait plus revenir en arrière.

La tribu peu à peu délaissa les travaux, répudia les festivités menées par l'ancien chef. Les chants de guerre de "Dents pointues", n'enchantèrent bientôt que les arbres entourant la montagne, les hommes préparaient en secret un voyage qui les emmenerait du côté de la Baie caravelle. Après le confluent, ils rejoindraient la mer, il faudrait aussi retrouver les peaux de martres imposer le pouvoir en ce nouveau pays, s'y installer pour y règner en maîtres.

Par une nuit sans lune, les hommes de la tribu de "Dents pointues" le laissèrent pour vaincu, déjà mort à leurs yeux. Ils embarquèrent serrés, sur le canot de cèdre, sans faire un signe d'adieu au vieux chef. Une fois que le canot serait rendu sur la rive, ils le briseraient, aucun retour ne serait plus permis. Le bois de cèdre servirait à construire leur totem. A eux désormais, de dominer l'homme blanc et toute forme de vie sur la Baie Caravelle.

La légende ne dit pas combien de temps le canot endura les intempéries. L'histoire a confirmé qu'aucun homme ne planta de totem sur les rives de la Baie Caravelle. Leur terre, là bas, abandonnée, devint rouge de la colère d'un seul homme, qui ferait au pays, le don de sa mort volontaire.

"Dents pointues", s'attacha à un arbre avec des cordelettes, fît renaître un instant la chaleur oubliée grâce aux poissons-chandelle puis le feu prit, qui courût par une cordelette sur son corps, on raconte qu'il chanta à tue-tête l'ultime chant sarcastique d'une vengeance éternelle en implorant les dieux. Ce feu de joie dura toute la nuit secoué de couplets que la mort emporta. Malgré toutes nos recherches, nous n'avons jamais retrouvé aucune trace de ce chant.

Depuis cette époque sur la terre où fût abandonné "Dents pointues", le vent aura disséminé un petit tas de cendres là où ne pousse plus rien que des arbres broussailleux où se nichent des oiseaux affreux et le bétail sauvage est si malodorant qu'aucun homme qui chercha par la suite à s'installer ici, ne pût tenir un jour, sans être pris de nausée, tant la terre et le fleuve exhalent à présent, une odeur de charogne semblant encore courir partout dans l'atmosphère comme autant de peaux de martre qui pourrissent lentement sous les pas de celui ou sur celle qui désire fureter de trop en le lieu.

Quant à la baie Caravelle, on raconte qu'elle fût engloutie par un ouragan. Entièrement engloutie. Mais on ne posséde à ce sujet, qu'une documentation partielle, revenue des "on dit". Aucun livre, aucune carte, ne pourraient apporter la preuve que "Dents pointues" et peut être son âme fûrent doués à ce point du pouvoir tout puissant d'influencer les dieux.


Nota 1 :  Ce texte est une adaptation libre inspiré d'une légende amérindienne tombée dans le domaine public. Toute ressemblance avec des personnages ayant existé, si elle n'est pas fortuite n'a pas encore reçu à ce jour, de certificat d'authenticité.

Nota 2 : La phrase qui ouvre la légende au dessus de l'image est la première d'un poème de Paul Verlaine intitulé "Circonspection", que je reproduirai peut-être ici avant l'an neuf.

Photo : détail d'un totem au pays de légendes plus amènes.

texte et photo Paul © 2011

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jeudi, 01 décembre 2011 | Lien permanent | Commentaires (8)

Là bas

"Prenez cette parenthèse et me la tenez ouverte."

BORIS VIAN : extr. "Je voudrais pas crever". Editions J.J Pauvert 1962.

pays.JPGDes champs m'ont emmenée. Ailleurs, des messages s'accumulent, des heures de vie pratique, oubliée. L'art d'aimer dévorant. Un pli corne la page de la prose d'OVIDE. Une rature a suffi. La page en fût détruite et le livre gît en vrille. Pour ne pas le jeter, il calera désormais le pied boiteux de mon étagère poètique. Ainsi va "L'Art d'aimer".

"L'art fait voguer la nef agile ; l'art guide les chars légers: l'art doit aussi guider l'amour."

Des heures de vie pratique à chercher toutes les possibilités d'un voyage sous une tête de lune allumant une passerelle, en plastique démodé, là bas entre Perrache en grève et la rue Casimir Périer. L'art je veux l'oublier. Le mêler au mouvement, à l'inégalité, ou à la précision d'un seul geste, pour déjouer peut-être l'illusion pointue du faussaire qui s'applique gentiment à versifier le monde. Mon savoir est fourbu et mon être s'en plombe, je cherche partout un point, une porte dérobée, une traboule arborée et des clefs molles à pendre au bout d'un mousqueton. Les vitrines de printemps sont accordées à mon dégoût. Il y a trop de musique partout, des robes à fleurs, des hommes bien mis aux ruts pimpants, prêts à offrir aux premières tourterelles, les meilleures tulipes jaunes, le meilleur restaurant, tout ce qu'il y a de meilleur pour fêter le printemps. L'abondance de la ville dégoûte. Je n'aime que l'héllébore, cette fleur qui s'ouvre en plein coeur de l'hiver et fleurit de Décembre à Mai. La légende raconte l'autre nom de l'Héllébore. Nous voici au pied du sapin :

"La nuit de la naissance du Christ, Madelon, une petite bergère qui gardait ses moutons, vit les rois mages et divers bergers, chargés de cadeaux, traverser le champ couvert de neige où elle se trouvait. Les rois mages portaient l'or, la myrrhe et l'encens, les bergers des fruits, du miel et des colombes. Madelon pensa qu'elle n'avait rien, pas même une simple fleur, pour ce nouveau-né d'exception. Un ange voyant ses larmes frôla la neige, révélant ainsi une très belle fleur blanche ombrée de rose : la rose de Noël".

J'aime aussi la tulipe, dont le vaste univers de Gunyat (Ier) nous rappelle qu'elle possède cette étrange majesté que n'ont pas d'autres fleurs. Et c'est là, sans doute, selon l'appréciation (un chouïa triturée, draponnez moi, Drolan !) du drang et novalcique Kloso (Ier, également), que le printemps embrasse l'automne et tout réciproquement. Notre fleur virant à l'antique :

"Tulipe était la fille de Protée (Dieu marin qui changeait de forme à volonté et prédisait l'avenir). Elle fut convoitée par Vertumne, Dieu de l'automne, aux attributs de jardinier, or elle restait insensible à ses assiduités. Vexé de son infortune, Vertumne se changea en chassa et traqua Tulipe jusqu'au fond des bois. Pour la sauver, Diane, soeur d'Apollon (dite la vierge blanche), changea la jeune fille en fleur qui s'épanouit au printemps. Depuis ce temps, chaque année au moment de la plantation, l'automne ouvre son coeur à la Tulipe."

Malheur à l'insouciant aroumeux (printanier ou automnal sans le savoir), qui irait offrir à sa bien aimée, un bouquet de tulipes jaunes, car on dit chez les pops qu'elle signifie "l'amour sans espoir", mieux vaut donc une seule "panachée" plutôt qu'un gros bouquet de jaunes, la panachée prouvera encore l'admiration, la rouge déclarera la flamme (ô souvenir des collections de cartes postales et autres reproductions du genre "langage des fleurs" peintes on ne sait plus par qui).

J'aime aussi les soucis en collision d'homonymie, tandis que la fleur (du souci) se réfère au soleil (encore lui !) vers lequel elle reste tournée tout au long du jour "solsequia", en latin signifie "qui suit le soleil", son pétale se mange en salade, l'autre souci, le sentiment, la préoccupation vient du verbe sollicatare, "tourmenter", "troubler". C'est le souci des rues contre celui des jardins, et le souci des champs bouclant enfin la boucle, tout au bout du chemin. Mes deux ânes en alerte s'appeleront cette année Paul et Charles, ils seront de pelage sombre à légers reflets roux, ils auront le regard très doux et même irrésistible, comme ceux des dames de l'époque Renaissance glissant sous leurs paupières des goutelettes à base de belladone, afin d'obtenir ce regard animal qui séduisait tant les messieurs, les yeux de Charles les yeux de Paul...

Nous sommes à travers champs. Nous avons traversé le monde, je ne sais comment, il y eût un bond, un saut en parachute, tant de sacs à traîner, de fardeaux à jeter, pour arriver ici.

Ici, je n'ai besoin de rien ni de personne. C'est ce que j'imagine. J'ai mon embarcation aux sommets des sapins. Je vis couchée dans l'herbe, les jours sont ours bruns. J'use mes yeux et mes mains à vouloir tout étreindre. La vieille terre se penche et des pensées violettes envahissent les jardins. J'ai les clefs de la barrière. L'horizon est ultime. Je suis ce qui advient. Et de cet intenable, cette querelle des villes d'où survint, impérieuse, la nécessité de partir, il me semble que par la discorde, peut-être par accident, de belles choses reviennent. Sont-elles plus vraies qu'avant ? Je reprends le livre D'OVIDE, devenue cale crétine, l'étagère poétique, à pied boiteux s'écroule, tout le cosmos se déchire page après page, peu importe. On mettra au feu ces fadaises et ces rimes quand l'hiver reviendra. Au feu les poésies d'amour pour que l'amour renaisse, au feu toutes les fleurs pour n'en saisir qu'un seul parfum, au feu les larmes du phénix, pour que son regard s'éblouisse, à l'automne au printemps, peu importe. C'est pareil.

Photo : Le chemin qui mène au sommet du mont St Cyr (Le plus haut sommet de la Bourgogne du sud à 771 mètres d'altitude), de là haut on peut voir les cimes neigeuses du Mont-Blanc, des Alpes, les monts du Forez, de l’Autunois, du Morvan, du Beaujolais et du Mâconnais... Et si l'on tourne à gauche, après les pommiers blancs, c'est la forêt profonde. Balade en Nabirosina. Extrait. Avril 2010.©

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samedi, 10 avril 2010 | Lien permanent | Commentaires (21)

November (Version poétique)

Petite balade sentimentale et sensuelle à travers le champ lexical des poésies de Paul Verlaine aux doux titres de "Chair", "Chanson pour elle" et "Parallèllement"...

Les personnes terre à terre s'y retrouveront plus sûrement en cliquant sur l'image.autiste.JPG

Amour, diable, ange, impitoyable, méchant, redoutable, loup, beaucoup, hou ! hou !, cou,  roucoulant, métamorphoses, lèvres, rouges, moues, finir, blanche, lys, blonde, perfide, onde, vide, beaux, sein, braise, fortune, foutaise, lune, fraise, châtaine, chose,  turlutaine, ébène, femme, reine, toi, moi, brûlant, moqueur, mignon, Styx, vainqueur, chevelure, longue, encolure, repas, lèvres, ivresses, diaboliques, multiples, rallier, seul, fatigué, paraître, fol, arc, parc, cibles, rosâtres, flocon, trahir, secret, blâmer, roi, photographie, sage, libertin, fredaine, crime, nom de Dieu !, galopine, vrille, ce jourd'huy, soixante treize, ardent, appât, appétent, fressure, tête, émouvante, outre vit, lascif, muscles, amusante, zut !, bergère, saccager, peluche, solitaire, dormir, maligne, délétère, se taire, coi, paix, pourquoi ?, question, pleine, plaise, jeux, Waterloo, Paris, énerve, tableau, joie, faveur, tromper, ta proie, reprochée, grande maîtresse, j'adore, coeur amoureux, papefiguière, à l'encontre, mieux, grâce, harmonie, mol, aboutissant, venelles, richement, ondoie, incessamment, frisotté, copeaux, abîmé, béant, peur, entrée, danse, variation, caverne, fraude, hic et nunc, divine, dépit, outre, parbleu, possible, plume, plaindre, mourir, tocs tocs, tics tacs, trac, mon Dieu, ennui, entrailles, braves, graves, pleurer, cadavres, vive, pire, navre, estropié, roué, coups de poing, dégoût, hormis, fog, fade, clair, Leicester, Londres, square, savoureux, hagard, retenir, elle, m'aime, vertueuse, possède,  intelligents, indulgents, seize ans, vingt ans, corsage, clabaudant, si ça te plaît, accessible, valet, soufflet, proverbes, alentour, caresses, le soir, définitif, seul témoin, te baise, embrasse, aime moi !, sans toi, gueux, doigts, sous-sols, royaume, gaîté, à nos nuits, tes bras, vaillance, vin, science, gonfler, qu'importe ! pardon, je t'étreins, zut au monde, jaser, te fuir, poète, derniers jours, poudre d'escampette, nigaud, un quart d'heure, mendigot, autans, grosse bête, en dépit de tout, factice, qui supplie, crocs blancs, désir fou, tu pardonnas, aimons !, exprès, simplicité, flûte, basse, pièges, desseins, alarmes, champignon, cerfs, lestes, je fais l'âne, la défense, les us d'été, le frisson, pelotonne, morose, dormons !, corps et âmes, jamais, ta façon, ivoirine, perverse, ma chair, ma parole, nom d'un chien !, madame, on profite, éterniser, bécots, biaiser, insomnie, bénie, consoler,  terrible, chérie, esprit, lutter, luth, bien se faire, m'amante, tu bois, hideux , honteux, soumis, tigresse, cochon, cabochon, en sus, fainéantise, obstination, humeur de dogue, baisons nous, désordres, coeur infidèle,  voilette, mes cieux, la tournure, caricature, somptueux, robe, cache, charmes, cher délice, mollets, autel, obstacle, soir et matin, armure, ad hoc, blancs, gras, tout nus, vêtement, mode, cambrés, parfums, sa croupe, plis de batiste, bousculer, à côté, humble, hiver, défavorable, réchauffâmes,  campagne, glacés, intruse, opulence, crois-moi, gueuserie, tu te piques, hypocrite, duperie, moineaux, vertement, soyons scandaleux, sinon, cyniques, oubli, veux-tu ?, lanterne, Sauterne, vieux coeur, au feu, tout flamme, sacré, galbe, souvenirs, collège, tes hanches, mangeurs, marc de café, grands jeux, grands yeux, jours néfastes, heures bleues, nuits blanches, tu cherches, c'est rigolo, deux seins, bredouille, sottement, infructueuse, mille poses, tas de choses, bouche pleine, val ou plaine, élasticité, haleine, âge d'homme,  criarde, criard, révoltant, un peu, aveu, coureur, encore,  nos instants, exquis, confiants, coquins, mesquins, la femme, l'idéal, à genoux, tyrannique, satanique, cocodette, flemmes, gamine, dégoise, petite oye, grammaire, mettres, oreille, loisible, fâcheux,  antique, roi déchu, fleuve lent, faune, somnolent, naïade,  galant, suranné, opéra, destinée, hirondelles, cheveux de jais, peignoirs, asphodèles, lune, émotion, moite, couple, balcon, sombre, mélodrames,  ambre, or blond, valses, innocence, mousseline, lueur, opaline, mollement, rieuse, argentine, enlace, esseulée, rousse, émoustillée, charmille, arrosée, pâmée, pantelante, bien aimée, gorge, stigmate, maturité, louve,  rêves, victimes, phaon, dédaignées, immenses, vierges, encor', flamboyante, paupières, cascatelles, crinière, moire, noire, pâle, laide, poudre, allure, débaucher, mienne, toison, chantre, rare, suave, lait, cuisses, ventre, sens, lit, toujours, oreiller, draps fous, nue, canapé, jaune, presque nue, dentelles, délirante, impérieuse, méchante, clair de lune, coude, sourcils, caprice, adore, ébats, orgueil, fesses, bleu, dur, volée, cierges, angélus, sacrements, boniments,  boire, remords.

Photo : La feuille d'automne du Paul tombée sur un vitrage opaque fixé au sol entre deux dalles, photographié à Lyon presqu'île, par un jour pluvieux de November. © Frb 2010

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samedi, 20 novembre 2010 | Lien permanent | Commentaires (4)

Dans la roue de Charles-Albert

"Je ne veux surtout pas qu'on dise de moi que j'ai de l'entrain, ni qu'on me compare avec ceux qui ont ou qui n'ont pas de l'entrain (j'emmerde l'entrain)."

CHARLES-ALBERT CINGRIA in  "La grande Ourse". Editions Gallimard 2000

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J'habite à l'écart, pas loin du bosquet de la colline, et devant les vitrines de la rue commerçante il m'arrive d'admirer les jolies assiettes à dessert en porcelaine de je ne sais où. Des scènes de chasses à courre défilent sous mon sorbet, je traverse la ville à vélo, finissant en roulant sans les mains, ma friandise, une petite cuillère en argent dans la bouche, ou dans la tête. Et je pense à CINGRIA, qui prenait de bonne heure sa bicyclette. (En route! Un vent léger, la vie est courte), à ses intitulés qu'on disait déroutants : "Eloge de ce qui existe tout simplement".

Une adresse à Paris, 59, rue Bonaparte tout près de Saint Sulpice, dans deux pièces à écrire des machins inclassables. L'idée de bâtir une oeuvre ne lui est jamais vraiment venue à l'esprit, la liberté de CINGRIA pour certains paraît une énigme. CINGRIA est parti en balade.

"Cependant, la bicyclette c'est un cheval" (cf. tranches de route")

Monsieur CINGRIA sera quelques jours injoignable, le voici au bord de la Loire :

"C'est si agréable que se réalise exactement ce que vous aviez prévu, si agréable de faire un petit goûter ainsi et puis de rêvasser modiquement sans fin sans être importuné par personne!".

Je respire l'air épais du Rhône, c'est si agréable de chercher en roulant un terreau généreux du côté de l'enclos des biches. Je jette des heures entières des croutons vieux d'un mois aux bêtes avenantes qui se mettent à m'aimer d'un amour authentique, leurs grands yeux en amandes tombés en servitude (pour l'âme magnanime et les beaux yeux de moi), m'offrent la douceur même. L'émotion des jours désoeuvrés de l'enfance prévoit des teintes crèmes irisées de verts pâles somptueux... Les yeux des biches, sont maintenant la seule chose qui ait de l'importance sur terre.

CINGRIA est à Berne, au buffet de la gare, toujours premier sur le motif, à saisir les point de possibles, juste au moment et par mille angles différents, de l'infiniment petit jusqu'au palpitant qui surplombe. Liberté de l'espace et liberté du temps. Il pédale en molletières, s'enivre de chants grégoriens et dégotte en souriant de vieilles chroniques enluminées, il se rêverait réincarné en copiste de monastère. Car Charles Albert est érudit et n'en fait pas tant étalage.

Je retrouve le chapiteau triste, où son bavard est dévoré "éternellement" par quelques drôles de bêtes. Des plantes glissent sur les pierres piquetées de jaune, les secondes s'éternisent polymorphes et calcaires. En ville, un passant encombré, promène sa vie entière dans une lourde valise qui semble grossir à mesure que l'homme la tire, tout l'espace s'amenuise. Une valise prise au délit de gigantisme, dont les roulettes minuscules émettent ce bruit des bétaillères qui vont aux prés et se dévissent de l'intérieur par une grande mâchoire métallique. Un ogre à cinq ou six wagons, nous entasse, et délivre nos âmes de la tentation des dérives.

CINGRIA devient membre actif de l'amicale des piétons de la capitale, on y retrouve Léon-Paul FARGUE. Confrérie de "Rois fainéants" qui croque les scènes de rues, avides de vieux pigeons... Toujours pas loin de Saint Sulpice. Les yeux décrochent les faits divers :

"Qu'est-ce qu'il y avait ensuite dans le journal suspendu aux grilles du métro Invalides ? Il y avait qu'un dépôt de bananes avait sourdement éclaté [...] Comme c'est Paris ça aussi".

Pas loin, non plus à cet instant, on aperçoit André DHOTEL,  à l'effeuillage de l'écrivain, il loue bien haut "son art de parler d'autre chose". Des plus nantis, ou des jaloux, le trouvent médiocre, le disent même "piètre fantaisiste". Mais de chroniques badines en papiers assassins, CINGRIA prend plaisir à cogner dans ce qui se veut neuf, déplorant tous "les talents veules et les mystiques à l'eau de Javelle".

Dans une petite rue de presqu'île, chez Fernand Cingria père et fils, (négociants en vin, depuis 1883), l'enquêteur montre une vieille photo au patron, debout, large ossature, un béret vissé sur le crâne. L'homme regarde la photo celle qui montre un autre gars avec le même béret, aussi bien vissé que le sien. On lui demande : - "Vous êtes sûr que c'est pas votre frère ? ou peut être est ce votre cousin ?" - "Comment que vous dites ? Charles-Albert CINGRIA ? Ah ben, non, désolé ! Charles Albert CINGRIA ! ce nom là ne me dit rien !".

Ce nom dit rien ? Pourtant dehors assis par terre, Charles Albert fait des inventaires. Comme un gamin classerait ses billes, ses petites autos dans des boites en fer déglinguées. Presque pas vu, à peine connu. Certains jours, certaines gens disent l'avoir croisé ici ou là. De plus rares autres affirment qu'il se baladait rue de Nuits en plein jour. On le croise c'est à peu près sûr peut être tous les jours ici ou là. En vérité, CINGRIA , grimpe en danseuse, en molletières sur la plus belle colline du monde, vire d'un coup de tête un caillou. Puis comme toujours, re- disparaît.

CINGRIA était suisse, né en 1883 à Genève , il mourra en 1954, dans la même ville. CINGRIA bouffait le temps qui passait vite. Il laisse une malle qu'on ouvre bourrée à craquer de boîtes à clous, papillons de jour, et parmi des chiffons, un bazar sans message particulier. "Le bitume est exquis", "L'herbe est divinement tendre". C'est un jour merveilleux, CINGRIA, est passé chez nous.

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NOTA : Le portrait de CINGRIA est ici très incomplet, un petit peu adapté, mais pas trop. Ce billet n'est donc pas représentatif de toute l'oeuvre et la vie de ce cher auteur encore trop méconnu. Le lecteur, (adoré), dont la sagacité n'est plus à encenser, (sans flagornerie, uh ! uh) aura compris que par tous les liens, il trouvera quelques chemins pour mieux découvrir ou redécouvrir le poète.

Photo 1 : Ceci n'est pas la bicyclette de Charles-Albert CINGRIA, mais c'est peut être sa sacoche... ? Ou celle de Fernand Cingria ?  Photographiée juste en face du bordel Opéra. (La vélosophie à la rencontre des grands orchestres). Lyon attaché à ses créatures mécaniques. (celle-ci n'est pas tant non plus un vélo D'amour).

Photo 2 : Ce monsieur n'est pas René Char, ni  Arthur Cravan, ni André Breton, ni Jean Dubuffet. Ce n'est (oh que non !) pas Louis Aragon, ni Jean Paul Sartre, et encore moins Gustave ou Alphonse. Il n'a même pas, bien qu'à l'aise, les bonnes grolles du père Blaise. Alors qui ? (Question à six sous messieurs dames). Indice complèmentaire : il ne veut pas qu'on dise de lui qu'il a de l'entrain. Si vous ne trouvez pas, retournez à la case départ. Si vous trouvez, vous gagnerez un tour de lyon à vélo d'une valeur inestimable à l'arrière de mon porte-bagage, (quand j'en aurait installé un) c'est à dire un certain jour, plus les félicitations de la maison. Vu à Lyon, juste en face de Morand Pont. Lyon. Mars 2010.© Frb.

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samedi, 20 mars 2010 | Lien permanent | Commentaires (59)

Intermezzo

Subitement, un matin, j'en ai marre. Je me demande quoi, somme toute ? Un peu d'amitié ce n'est pas le diable ! je suis je crois impressionné par les déserts gris que nous traversons et par le mauvais temps qui arrive.

JEAN GIONO : "Les grands chemins"; Gallimard (1951)

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Je suis à la place du promeneur, presque gaie comme mille autres. A cet endroit du bon côté de la terre. D'ordinaire, je vis en ville sur des ponts, avec les patineurs. Peu à peu, j'ai appris à me fondre parmi les citadins. Le nombre m'indiffère. Quand je désire me fausser compagnie, je reviens au pays. La brume descend sur les demeures. Chaque jour qui décline perd des secondes de soleil. Bientôt viendront les heures d'hiver et les crépuscules orangés. Je reçois des cartes postales de dolmens, de menhirs, des Albères et du Vallespir. Des amis sont partis à pieds, chercher sur des vitraux l'empreinte de l'ancien paradis. Ils marcheront jusqu'à l'automne. J'ai reçu des nouvelles des vergers d'Amérique, du hongrois de Bretagne (?), de la fiknun' Golsone, de notre vieil Alphonse qui se morfond vers Saint Point, et de mon ami Paul, au cimetière marin. D'autres amis encore passeront par ici, à l'improviste, peut être, avant de rejoindre Paris. Pendant que les uns reviennent d'autres s'en vont. Quand les uns se retrouvent d'autres nous abandonnent. Par la maudite Golsone, ici on a trop de grenouilles, à part ça, les personnes, elles sont plutôt gentilles. C'est bête comme chou cette idée de gentilles personnes, quand on y pense. En ville, on y pense cinq minutes, on boit un verre, deux verres, etc..  Ca va, ça vient, on s'oublie, après tout. Contre la maudite Golsone, le gris berce nos routes, une table abondante, entourée de quelques uns, est bien plus chou que bête, on y revient encore. Ensuite il faut rentrer. Marcher longtemps tout seul. Diable ! on se dit "toute cette amitié manquera bien". Ici on s'empale sur le son des cloches. Dieu prend toute chose. Dieu régule les peines, Dieu est amour, Dieu est une autre haine. Le bulletin paroissial a publié trois pages sur le départ du père Panier, ils ont fait un pot au village, il y avait des grenouilles partout qui parlaient de l'humilité. Ce sont les mêmes qui chaque après midi, tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre, s'occupent à faire courir des bruits sur les uns et les autres. J'ai croisé Madame Jeanne Mouton revenant de sa prière. Si j'oublie de lui dire bonjour, je serai brûlée demain à l'aube. Je salue Madame Jeanne Mouton. - "Bonjour, Madame, vous allez bien ?" - "Très bien !, Et vous ?" - "Ca va ! au revoir Madame !"

Au bout de deux heures de marche, on oublie ces gens là, et on s'oublie soi même. On devient le coin de terre, la ronce à contourner. En oubliant, on se retrouve, au milieu des vaches sous des sons de cloches inoffensives qui descendent jusqu'aux hameaux où là bas des hommes passent leur journée à pêcher dans l'étang. On traverse une autre grande terre, je croise un paysan, juste un hochement de tête, suffira à  l'approbation du temps, du vent et des saisons. Je coupe à travers champs. La lumière me déplace déjà vers l'autre monde. J'arrive à ce point du pays où plus aucun obstacle ne complique l'esprit. La nuit tombe trop tôt, je n'ai pas vu l'heure. Nous changeons de pays. Le silence est de profundis. Nul ne règne en aucun pays, tout est las, mais ma joie demeure.

Photo : A travers champs, ciel et terre. Esquisse d'un crépuscule à Châtenay Sous Dun, deux heures après la pluie. Nabirosina. Août 2010.© Frb

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dimanche, 22 août 2010 | Lien permanent | Commentaires (6)

N'importations

La banalité est faite d'un mystère qui n'a pas jugé utile de se dénoncer.

MAURICE BLANCHOT in "Faux pas", éditions Gallimard 1943.

n'importations,clandestinité,indistinction,multitude,banalité,tout venant,fantaisie,étrangeté,masse,maurice blanchot,de visu,le monde en marche,humanité,n'importe qui,n'importe quoi,fatras,dérision,erranceN'importe quel lieu avec n'importe qui sur n'importe quelle île grande ou petite, sous n'importe quelle lumière où l'on verrait l'hiver prolonger toutes les saisons, n'importe quel lieu pourrait convenir. N'importe quel reflet suffirait, si l'on s'y penchait à effacer n'importe quel visage dont les traits déjà vagues raconteraient n'importe quelle histoire, où n'importe quels èvènements se mélangeraient, n'importe quelle protestation s'étoufferait dans n'importe quelle masse de gens rassemblés sur n'importe quelle place dans n'importe quelle ville de n'importe quel pays, n'importe quelle plainte pourrait se mêler au tournoiement, à n'importe quel vacarme de n'importe quel trafic dans n'importe quelle accumulation de sens interdits ou d'interdiction de stationner indiquée sur n'importe quel panneau de n'importe quel code d'une route qui mènerait n'importe où. N'importe quel chemin pourrait convenir. N'importe quelle idée à la fois fausse et vraie viendrait se noyer dans les reflets qui nous effaceraient, dans la parole des autres qui raconte une vie dont ils s'imaginent qu'elle est notre, avec n'importe quel argument qui pourrait nous persuader que n'importe quel autre nous connait mieux que n'importe qui. N'importe quel lieu pourrait suffire, avec toi, peu importe, avec eux, par exemple, ou n'importe quel voisin de palier, n'importe quel cousin éloigné, un oncle d'Amérique. N'importe quelle lumière, n'importe quel fleuve nous méneraient dans n'importe quelle rue de Paris ou de Londres, n'importe quel homme, n'importe quelle femme pourraient s'y rencontrer, parmi la cohue, n'importe quel homme ou femme suffiraient pour m'assaillir et brouiller mon identité, réduire mon histoire en fumée ou la votre, nous pulvériser à n'importe quel instant, nous transformer en n'importe quel tas. En fatras, en bris, un amas de bris, en cri beau ou honteux jusqu'à toutes sortes de bruits semblables à celui de n'importe quelle machinerie. N'importe quelle fièvre ferait fondre n'importe quel glacier. N'importe quel grain cristalliserait n'importe quel sentiment heureux, malheureux, dans n'importe quelle inspiration, n'importe quel instinct évaluerait la géométrie de n'importe quelle chambre pour faire coucher n'importe qui avec n'importe qui, lesquels croiraient qu'ils sont faits l'un pour l'autre, toi pareil à moi, comme deux, toi comme un seul ou des milliers, les autres, couchant sur toi et moi, ou entre eux et ça donnerait n'importe quoi qui serait raconté comme n'importe quelle chose importante. N'importe quelle autre chose importante pourrait convenir aussi. N'importe quelle pierre, n'importe quel rocher nous retrouveraient dans n'importe quelle position sous n'importe quel vent du sud ou du nord, en train de fumer n'importe quel tabac hollandais ou français n'importe quel Pierre ou Paul, dans la perspective de n'importe quelle aventure nous mettraient dans n'importe quels draps. N'importe quel grain de folie installerait n'importe quels cosmonautes dans n'importe quelle fusée, n'importe quelle erreur humaine les feraient exploser en plein vol, il en retomberait n'importe quels déchets comme n'importe quels flocons de neige qui fondraient comme n'importe quoi sur n'importe quelles mains tendues pour recevoir n'importe quel signe qui tombe du ciel, de n'importe quel nuage, de la lune, du soleil. Des mains pleines de n'importe quoi qui auraient rendez vous pour serrer. Ouvrir, pousser n'importe quelles portes, les fermer, ou se tendre, cocher signer n'importe quel papier. Des mains à moi, tes doigts, leurs têtes, dans n'importe quel bureau y parleraient sérieusement de n'importe quoi pour remplir n'importe quelle plage horaire, après quoi on se promènerait comme rien, on ferait les magasins avec quelqu'un qui serait d'accord avec ça. Peu importe.

Photo : D'un "Faux pas" de Blanchot aux vrais pas en Presqu'île, il n'y a qu'un fil (étroit émoi) vu à Lyon, à la fin de l'hiver de l'année dernière. © Frb 2010.

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vendredi, 28 janvier 2011 | Lien permanent | Commentaires (47)

Entre l'abîme et les cieux...

Comme un dimanche.

"Des Dieux ? ...  -  Par hasard j'ai pu naître,
Peut-être en est-il par hasard...
Ceux-là, s'ils veulent me connaître,
Me trouveront bien quelquepart ..."

TRISTAN CORBIERE. Extr. "Raccrocs. In "Les Amours jaunes". Editions Gallimard 1973.

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"L'abîme et les cieux plein de noirceur" de HUGO ont croisé ce dimanche, les "raccrocs" de Tristan CORBIERE, sous les pas foulant presque en silence le gravier pastel du cimetière d'un village Moyen-Ageux.

Parmi les cinq poètes auxquels Paul VERLAINE a consacré quelques études (1884) sous le titre "Poètes Maudits", Tristan CORBIERE figure en tête. Peut-être s'agissait il de mettre les noms seulement par ordre alphabétique, mais cet ordre tombait juste. CORBIERE resta longtemps en France, le "Maudit" par excellence au sens où l'entendait VERLAINE c'est à dire le plus méconnu, (ou mal connu) et le plus secret. On avait prêté à VERLAINE, quelques jours seulement, ce livre rarissime : "Les Amours jaunes" (avec l'édition de LE GOFFIC, grand celtisant et lettré scrupuleux). Cette édition (introuvable aujourd'hui) montrait aussi une photo de CORBIERE en dandy. La vie si brève de CORBIERE apparaît comme une obstinée dérobade, non pas involontaire, mais désirée, maintenue avec une curieuse énergie. L'état maladif du poète lui interdisait toute activité utilitaire. CORBIERE mena toute sa vie le conflit avec le fait de n'être que ce qu'il était, un duel glissant presque dans la passion. Sa pensée se désarme et soumet à une sorte de vertige l'orgueil et l'humilité, les menant à l'extrême (cf. le dernier groupe de poèmes personnels "Paria") :

"Ma pensée est un souffle aride :
C'est l'air. L'air est à moi partout
Et ma parole est l'echo vide
Qui ne dit rien- et c'est tout."

Il semble que ces vers aient été écrits après que la surdité eût coupé CORBIERE de toute communication normale avec ses semblables. Il entre désormais dans le domaine où La paradoxale "Rapsodie du sourd" nous le montre comme précipité par une trahison de la vie.

Tout cela serait assez glorieux, si CORBIERE n'était pas touché par une grâce ironique qui désarme à son tour les "grands mots". Une pirouette bouffonne accompagne l'évocation des gouffres et la tourmente cosmique où toute existence humaine particulière finit toujours par se perdre.

"Je voudrais être point épousseté des masses,
un point mort balayé dans la nuit des espaces,
... et je ne le suis point !"

Le point résiste à la l'évaporation des sens. Sur ce, la plume de Victor HUGO passe, "Seul débris qui resta des deux ailes de l'Archange englouti"...

et caressant à peine le point endolori. Referme le couvercle sans s'en apercevoir.

Source: Extr de la préface par Henri THOMAS , à l'édition 1973 des "Amours jaunes" de TRISTAN CORBIERE.

Photo : De l'autre côté du mur, l'étrange sensation d'être suivie...  Une Croix (avec vue) semble narguer le bord des routes, tandis que nous longeons le cimetière hébergeant les anciens boscomariens du village médiéval de Bois Ste Marie. (Les boscomariens est l'appelation générique des habitants de la commune de Bois Ste marie). Un lieu dont je vous reparlerai sans doute un (certain) jour, si je parviens à capturer, sous les voûtes de l'église romane, l'image cruelle, troublante, d'un de ses chapiteaux nommé "Le châtiment du bavard", hummmmm... A suivre. Un signe donc, en zone intermédiaire, vu dans le Brionnais fin Avril 2009 © Frb

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dimanche, 24 mai 2009 | Lien permanent | Commentaires (2)

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