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mardi, 08 mars 2016

Notre réalité (par Baudouin de Bodinat)

Je me suis demandé s'il nous arrivait encore d'éprouver des joies où la tristesse ne viendrait se jeter comme à la traverse; qui ne se mélangeraient pas d'une impression de déclin, de ruine prochaine, de vanité. Tiens, se dit-on, cela existe encore ? Nos joies sont de cette sorte que nous procure un vieux quartier d'habitation rencontré au faubourg d'une ville étrangère et pauvre, que le progrès n'a pas eu le temps de refaire à son idée.

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Les gens semblent là chez eux sur le pas de la porte, de simples boutiques y proposent les objets d'industries que l'on croyait éteintes; des maisons hors d'âge et bienveillantes, qu'on dirait sans téléphone, des rues d'avant l'automobile, pleines de voix, les fenêtres ouvertes au labeur et qui réveillent des impressions de lointains, d'époques accumulées, de proche campagne; on buvait dans ce village un petit vin qui n'était pas désagréable pour le voyageur.

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C'est toujours avec la conscience anxieuse d'une dernière fois, que nous ne le reverrons jamais ainsi, qu'il faut se dépêcher d'avoir connu cela; que ces débris, ces fragments épargnés de temps terrestre, où nous entrevoyons pour un moment heureux le monde d'avant, ne tarderont plus d'être balayés de la surface du globe; et pour finir toutes nos joies ressemblent à ces trouvailles émouvantes, mais après tout inutiles, que l'on fait dans les tiroirs d'une liquidation d'héritage : ce n'en sont plus, ce sont d'ardentes tristesses, ce sont des amertumes un instant lumineuses.

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J'ai pensé aussi qu'on ne s'accommode de ce que ce présent factice et empoisonné nous offre, qu'à la condition d'oublier les agréments auxquels nous goûtions le plus naturellement par le passé et que cette époque n'autorise plus; et de ne pas songer que ceux dont nous trouvons encore à jouir, il faudra semblablement en perdre le souvenir, en même temps que l'occasion; qu'à défaut d'oubli on en vient à devoir s'en fabriquer au moyen d'ingrédients de plus en plus pauvres et quelconques, des fins de série, des objets d'usage sauvés de bric-à-brac, tout imprégnés de temps humain et qui nous attristent; de tout ce qui peut se dénicher en fait de rebuts, de derniers exemplaires, de pièces détachées, de vieilles cartes postales; se réfugiant dans les détails de rues en instance, ciels de traîne, matins d'automne; de tout ce qui fut.

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On nous dit, les fanatiques de l'aliénation nous disent, que c'est ainsi, tout change et l'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, etc. On voit pourtant que ce n'est plus selon le cours des générations; que nous le subissons abasourdis comme une guerre totale qui fait passer sur nous ses voies express, qui nous tient en haleine de toutes ses dévastations.

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Aussi ils ironisent, comme d'hallucinations, si l'on évoque le goût des choses autrefois: ce ne serait qu'un effet, bien compréhensible, du vieillissement qui nimberait ainsi notre jeunesse enfuie. Mais il y a là un problème de simple logique: admettons que le regret exagère la saveur des tomates d'alors, encore fallait-il qu'elles en aient quelque peu; qui se souviendra plus tard, s'il reste des habitants, de celles d'aujourd'hui ?

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Prétendre à trouver des moments heureux, dans la condition où nous sommes, c'est s'abuser; c'est même se tromper, et c'est de toute façon ne pas les trouver. Chesterton, qui avait sous les yeux la machine du progrès en perfectionnement, en fut perspicace: «Il est vrai que le bonheur très vif ne se produit guère qu'en certains moments passagers, mais il n'est pas vrai que nous devions considérer ces moments comme passagers ou que nous devions en jouir simplement pour eux-mêmes. Agir ainsi, c'est rendre le bonheur rationnel et c'est, par conséquent, le détruire. 

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Tel un Midas aux mille doigts la rationalité marchande afflige tout ce qu'elle touche et rien ne lui échappe. Ce qu'elle n'a pas supprimé et que l'on croit intact, c'est à la manière d'un habile taxidermiste; et le durcissement des rayons solaires est aussi pour les hommes qui vivraient toujours enfouis dans la forêt primitive, ils voient dans le ciel les sillages que laissent les vols intercontinentaux et la rumeur des tronçonneuses parvient à leurs oreilles.

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J'en suis venu à cette conclusion qu'il faut renoncer : on s'enfonce sinon dans l'illusion qu'il demeurerait, en dépit de ce monde-ci, des joies simples et ingénues, et pourquoi pas des joies de centre commercial; c'est vouloir être heureux à tout prix, s'en persuader, s'accuser de ne pas l'être. C'est, par conséquent, ne rien comprendre à l'inquiétude, au chagrin, à la nervosité stérile qui partout nous poursuivent; c'est jouir de représentations, c'est se condamner à l'erreur d'être dans ces moments le spectateur satisfait de soi-même, de s'en faire des souvenirs à l'avance, de se faire photographier heureux.

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Renoncer à cette imbécillité, ce n'est pas être malheureux; c'est ne pas se satisfaire des satisfactions permises; c'est perdre des mensonges et des humiliations, c'est devenir en fin de compte bien enragé c'est rencontrer sûrement des joies à quoi on ne pensait pas.

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Un demi-siècle passant, Adorno ajoutait ceci: «Il n'y a plus rien d'innocent. Les petites joies de l'existence, qui semblent dispensées des responsabilités de la réflexion, ne comportent pas seulement un trait de sottise têtue, d'aveuglement égoïste et délibéré: dans le fait elles en viennent à servir ce qui leur est le plus contraire.» Ce serait oublier que ces joies anodines sont les avortements de celles qui sommeillaient en nous, que le mal économique ne voulait pas vivantes; que c'est encore à la faveur de sa condescendance et comme sournoisement. Ce n'est pas sauver l'idée du bonheur, c'est trouver cette misère bien assez bonne pour soi.

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Voici ce que j'ai constaté d'autre: les uns aux autres nous ne trouvons plus rien à nous dire. Pour s'agréger chacun doit exagérer sa médiocrité: on fouille ses poches et l'on en tire à contrecoeur la petite monnaie du bavardage: ce qu'on a lu dans le journal, des images que la télévision a montrées, un film que l'on a vu, des marchandises récentes dont on a entendu parler, toutes sortes de ragots de petite société, de révélations divulguées pour que nous ayons sujet à conversation; et encore ces insignifiances sont à la condition d'un fond musical excitant, comme si le moindre silence devait découvrir le vide qu'il y a entre nous [...]

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il resterait tout de même le vin ; mais plus simplement par celle-ci que la conversation, outre de vouloir cet esprit particulier qui consiste en des raisonnements et des déraisonnements courts, suppose des expériences vécues dignes d'être racontées, de la liberté d'esprit, de l'indépendance et des relations effectives. Or on sait que même les semaines de stabulation libre n'offrent jamais rien de digne d'être raconté que nous avons d'ailleurs grand soin de prévenir ces hasards; que s'il nous arrivait réellement quelque chose, 

ce serait offensant pour les autres.

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BAUDOIN DE BODINAT: "La vie sur terre", éditions, "l'Encyclopédie des Nuisances", 1996.

 

Photos : La vie sur terre vue par... : Des quartiers de la quiétude, jusqu'aux arcades tranquilles du jardin du Musée des beaux arts en plein coeur de Presqu'île et autres bricoles habituelles : la vraie chèvre de l'Alain (à l'Alain ?) en amie sur ton mur ; le fragment d'un cadavre du bois derrière chez moi, le banc près de la fontaine aux génies de l'industrie, de l'agriculture, et d'on ne sait plus trop quoi ; les rois de la poésie, aussi maîtres d'un monde (qui est dans celui-là) épanouis à coup de boules, dans une concentration silencieuse épatante, un contrepoint terrible et hommage respectueux au lieu de résistance, urbain, bien arboré de la place Tabareau sur les plus hauts plateaux du village de Croix-Rousse, hommage tardif, à PAG qui les aimait beaucoup ces boulistes, situés, au coeur du monde, chez nous, à côté de l'équateur (la place Tabareau, donc), jour et nuit, au régal, en doublettes ou quadrettes à des années lumière du chic Panama Club.

Un exposé en vrac, au fil de l'eau (qui dort), vie sur terre, rebelote, dans l'hiver, noir et blanc, paraphrasant à peine en matière d'illustré, le terrain des vivants, tel qu'on peut certains jours, s'y ajouter, (avnat ueq soursy s'taire*) 

un signe* à la mémoire de l'amicale des "pères" du vindi Marchillon, pas vendu pour l'instant, dont l'oral s'est perdu, ce projet ambitieux, ne verra pas fleurir cette langue dans nos écoles, mais les passages tiennent bon, et sont bien consolants. Je diffère la réclame et les invitations ainsi que le printemps, alcestien, c'est probable. Ressentant cruellement ce rétrécissement du vivant, décrit par Bodinat dans ce présent ouvrage, depuis pas mal de temps, j'oppose, un ralentissement, sans plus trop m'épancher du fond de ce bazar, esquinté, (euphémisme), ces limites nous regardent, comme le peu, presque rien, de vocables inaudibles. Déjà tout semble prêt, pour le monde à l'envers schizo-paranoïaque greffon à nos prothèses, (on m'a vu dans le Vercors sauter à l'élastique, et j'ai beau démentir, je ne connais pas le Vercors. On m'a vu. On s'en fiche. A la fin c'est d'accord, si ça leur fait plaisir), vaut mieux ouïr ça qu'être mort, ou fou ? Oui. Fou, vraiment ? - "ah non ! non ! non ! pas soi !" on a des sentinelles, et des peintres hollandais, des pics, des miradors, avec des coussinets, mais l'entame est coriace, elle dit "je" à notre place. On s'entend dire "je gère" au milieu d'un tas d'âmes calées sur des sofas avec des numéros qui attendent, on sait pas : une carte sym ? Un "yes !" du carré des experts ? Des âmes ? On comprend pas. On questionnerait sans cesse, - "OK Google ! dis moi..."

Sur ces notes pessimistes, je ne saurais que vous recommander l'autre ouvrage de Baudouin de Bodinat, quelque part entoilé entre Evian et Badoit, voici les références :

Baudouin de Bodinat, "Au fond de la couche gazeuse" (2011-2015), Éditions Fario, 2015, 241 pages, 21 €.

 

Là un très court extrait pour (se) finir un brin à travers l'entonnoir:

 

[...] pour notre détriment ce monde-ci que les hommes ont rendu si inconfortable et malencontreux, ce monde de restrictions, de gênes de toutes sortes et privation vitales, ce monde étouffant et empoisonné, et dont l'examen est fait pour apporter à qui s'y livre à peu près tous les dégoûts, est le seul dont nous disposons."

 

Et là, "y'a pas photo", pour les autres (de photos) si tu les caresses bien, elles grandiront pour toi. C'est comment dire ? C'est "top" c'est plus que "top"... c'est "waow !". 

Notre réalité. 

En attendant, le chant. La sortie attendue du "Morituri" de Jean-Louis Murat, (15 Avril), clair obscur, onirique, aux racines éprouvées, perdues, dans l'air du temps.

Et ici, le pays, pour les correspondances, lieux parcourus dans l'ordre : Du Brionnais d'hier, au Lyon et ses merveilles, en passant par Charpennes et ses bars jusqu'aux buissons d'Achères. 

 

© Frb 2016.

samedi, 04 juin 2011

A tribute to Maurice Garrel

"Je pensais ne pas passer le cap de l’année 2000. Finalement, nous sommes en 2011 et je suis toujours là. Il faudra m’abattre à la carabine !"

MAURICE GARREL (24 Février 1923 - 4 Juin 2011), extr. des entretiens de l’émission "A voix nue", par Dominique Féret réalisée pour France Culture en Mai 2011.

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Personne n'aurait vraiment souhaité abattre Maurice Garrel à la carabine, on aurait bien aimé, je crois, le voir encore jouer longtemps. L'acteur est mort, ce 4 Juin 2011 à l'âge de 88 ans, et bien que je ne sois jamais très à l'aise pour chroniquer les disparitions, je tenais à rendre un petit hommage à cet acteur que j'admire depuis que je l'ai vu pour la première fois dans ce vieux film extra, d'Alex Joffé, datant de 1960, intitulé "Fortunat", où Maurice Garrel y jouait le petit rôle d'un inspecteur de la milice, aux côté de Bourvil et de Michèle Morgan, et peu après je le revis en Monsieur Bontemps dans "La peau douce". Maurice Garrel était aussi le père du réalisateur (mythique), Philippe Garrel, ("J'entends plus la guitare" entre autres...), le grand père du beau Louis et de la belle Esther, (tous deux aujourd'hui acteurs également), il fût l'élève de Charles Dullin et de Tania Balachova, il devint pensionnaire de la comédie française de 1983 à 1985. On l'a remarqué chez Truffaut, Rivette, Costa Gavras, Chabrol, Doniol-Valcroze, Deray, Deville, Sautet, Cavalier, René Clément, Marcel Carné, Pierre Kast, Chéreau, Despleschin, Lelouch, dans les films de son fils ou dans ce film étrange, "Alors voilà" réalisé par Michel Piccoli. Et j'en oublie beaucoup... Le plus souvent, il a joué les seconds rôles, il a oeuvré pour des courts métrages, pour le théâtre, pour la télévision, il s'est aussi essayé à la mise en scène avec Laurent Terzieff (un autre "magnifique" disparu, l'été dernier). Il fût nominé deux fois pour les Molière en 1992 et 1994, et deux fois aux Césars pour le meilleur second rôle masculin dans le film (superbe), "Rois et reines" de Arnaud Desplechin, et surtout pour "La discrète" de Christian Vincent où son jeu adhère au personnage avec une classe d'un naturel époustouflant, chacune de ses apparitions se savoure et mène le film à l'excellence. Je n'ai pas trouvé beaucoup d'extraits disponibles sur le net où l'on peut visionner des scènes significatives du fin travail d'acteur de Maurice Garrel, j'ai donc choisi parmi les rares qui nous sont actuellement accessibles et ça tombe plutôt bien, pour ce jeu, qui paraît flegmatique mais révèle un travail d'acteur précis (là où "le travail" justement ne se voit plus). Il y a un autre charme chez Maurice Garrel c'est sa voix au phrasé très particulier, cette élégance un peu maussade, très enveloppante, un je ne sais quoi de magnétique qu'on pourrait appeller plus simplement "une présence". Extrait choisi, entre deux scènes, ça passe trop vite, regarder ce jeu, écouter cette voix, est un pur régal.

 

 

Autres liens pour découvrir plus en détail l'itinéraire de Maurice Garrel, à lire ci-dessous trois articles de presse parus juste après sa disparition  :

http://www.lexpress.fr/culture/cinema/petite-histoire-du-...

http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/06/05/l-acteur...

http://www.parismatch.com/Culture-Match/Cinema/Videos/Hom...

A écouter, une suite des entretiens de l'émission "A voix nue" consacrée à Maurice Garrel, ici le second entretien, il y en a cinq en tout, la page vous ménera à l'intégralité, selon votre désir.

http://www.franceculture.com/emission-a-voix-nue-maurice-...

Photo : tirée du film "La maison des bories, réalisé en 1969 par Jacques Doniol-Valcroze

vendredi, 21 août 2009

Du pareil au même

PARKING020AA.jpgPhoto : Fin des vacances. L'itinéraire est même flêché sur la pierre de l'église de Châtenay sous Dun. Cependant on a le choix. (Je n'ose dire l'embarras du choix). Nabirosina. Août 2009. © Frb

Si toutefois vous trouviez le choix un peu "limité", je vous conseille vivement d'aller défier le hasard en suivant d'autres flêches du côté des nuages... Vous ne le regretterez pas , (tout y très bien indiqué) :

http://les-nuages.hautetfort.com/archive/2009/08/27/le-ha...

A suivre... Billet ci-dessous