Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 24 décembre 2012

Ciel qui traîne

Les larmes du monde sont immuables. Pour chacun qui se met à pleurer, quelque part un autre s'arrête. Il en va de même du rire. Ne disons pas de mal de notre époque, elle n'est pas plus malheureuse que les précédentes. N'en disons pas de bien non plus. N'en parlons pas.

Samuel BECKETT : "En attendant Godot", éditions de Minuit, 1952.

ombres croix rousse.jpg

  

Photo : Quelques jours avant minuit. Sous la dernière lune ou le répit. En attendant le petit (ou grand) jour, fêtez en paix, s'il est possible...

 

 Lyon / Tabareau © Frb Décembre 2012.

mercredi, 01 décembre 2010

Sur le banc de neige

Viens
allons voir la neige
jusqu’à nous ensevelir !

BASHÔ, extr: "Haïku. Anthologie du poème court japonais",
Gallimard, 2002.

Si ce banc vous déplaît en cliquant sur l'image, vous gagnerez sûrement un autre banc. banc de neige647 b.jpg

 Sur le banc de neige je me suis allongée ce matin pour y dormir jusqu'au lendemain. Le banc avait des airs d'ermitage alcestien, quand je m'y suis réveillée, le froid m'engourdissait les mains alors j'ai pris la position du penseur (de Rodin), pour penser à des tas de trucs, à tout un tas de machins. Sur le banc de neige j'ai pensé...

Aux journées à la mer, au bord des lacs et des rivières, aux trouées du vieux Blaise sur des feuilles luisantes et caoutchoutées, j'ai pensé qu'on pourrait monter la route en lacets sur des bottes luisantes et caoutchoutées, j'ai pensé aux tours carrées des villes qui vues de loin paraissent rondes, j'ai pensé que nous regardons les jours diminuer tandis que les nuits deviennent longues, j'ai pensé à ces hommes célèbres qui ne sont pas encore nés, à ces talents ignorés, cette multitude d'artistes pourtant doués qui mourront sans avoir connu un quart d'heure de célébrité, j'ai pensé aux ateliers culinaires de Jean Luc Rabanel, sur le banc de neige, j'ai pensé aux îles flottantes, aux dé-collages d'Asger Jorn, à la taille prodigieuse d'une force dépassant tout ce qu'on peut imaginer, j'ai pensé à Ariane dans l'île de Naxos, gémissant sur l'abandon et l'ingratitude de Thésée, j'ai pensé à la vérité du monde qui n'est pas notre vérité, sur le banc de neige j'ai pensé...

Aux rochers suspendus au dessus de la mer éternellement rongés par le sel de ses eaux, aux corps qui ne semblent pas connaître l'érosion, aux âmes sans agitations, aux esprits qui renversent tout à la moindre contrariété, sur le banc de neige j'ai pensé à la porte de Saint Ouen, au prince de Monaco, et au Panathénées. J'ai pensé aux machines à polir et culotter les grains de cafés, au grallator, au térébinthe, sur le banc de neige j'ai pensé au visage de ce nègre qu'on crût longtemps barbouillé d'encre et aux joues gonflées du père Louis faisant corps avec sa trompette. J'ai pensé aux amants qui n'auront le droit de s'épouser qu'en 2797, au tracé rectiligne qui coupe la forêt Morand jusqu'à ces feuilles géantes qu'on espérait de bananier mais qui portent un nom trop savant pour un effet assez médiocre,  j'ai pensé au lac de Saint Point envahi par les crustacés, au grallator fuyant le térébinthe. Sur le banc de neige j'ai pensé que l'on fondrait peut être à la place de la neige si on avait la certitude qu'elle ne fonde plus jamais, j'ai pensé aux amis malheureux qui cherchent à tout se dire, et ne trouvent pas moyen. J'ai pensé à "l'heure bleue", à "la petite robe noire" de Delphine Jelk, à ces notes de coeur citronnées, de tête au macaron framboise, à cette note de fond au thé fumé, j'ai pensé  à des volets qui s'ouvrent, dans une auberge de Méditerranée avec vue imprenable sur un verger d'agrumes,  j'ai pensé aux formules poétiques courtes mais de grande densité, à l'interminable haiku d'ISSA :

Être là,
tout simplement,
au milieu de la neige qui tombe.

Aux questions imprudentes de SHIKI (Masaoka)

Il y a bien longtemps,
je l'interrogeais sur
la profondeur sans fond de la neige.

Sur le banc de neige, j'ai pensé aux diverses déformations de la volonté jusqu'à l'exaltation ou l'excentricité puis à toutes les craintes qu'elles inspirent, j'ai pensé aux éternels hivers d'hyperborée, à l'humidité qui attaque le bas des murs, aux moisissures qui se glissent entre les poils d'un col de ragondin, et aux paupières tristes comme des pétales fanés de ceux qui ne savent pas où aller. Sur le banc de neige j'ai pensé qu'au lieu de penser sur un banc on pourrait tout autant penser la même chose sur une luge, qu'il suffirait peut être de décoller le banc et puis le bricoler de façon à le rendre plus mobile. J'ai pensé que ce banc ne serait beau que blanc, qu'il nous le faudrait blanc tout le temps mais que ce serait absurde de peindre la neige en blanc du fait qu'on aurait peine à trouver le même blanc et qu'il serait d'ores et déjà vain de s'évertuer à chercher un rendu plus fondant. Sur le banc de neige j'ai pensé qu'on penserait peut être différemment si l'on était bercé par les jeux vocaux des inuits, qui battraient la mesure en tapant sur le banc, mais ça n'empêcherait pas de penser aux mêmes trucs, et aux mêmes tas de machins, et que, moralité:  il n'est pas possible de battre le banc sans abîmer la neige. Sur le banc de neige j'ai pensé.

 

INUIT- Throat-Singing

 



podcast

 

Photo : Le banc de neige, longeant les berges du Rhône quelquepart entre le pont De Lattre de Tassigny et le Parc de la Tête d'Or à Lyon. Photographié dans les premières et volumineuses neiges du premier jour de December.© Frb 2010.

lundi, 30 août 2010

Sur le banc de la gare de St Germain au Mont d'Or

"Si l'homme ne fermait pas les yeux, il finirait pas ne plus voir ce qui vaut la peine d'être regardé"

RENE CHAR

Si ce banc vous déplaît, la maison propose un autre modèle il suffit de cliquer sur l'imageBANC17.JPG

Sur le banc de la gare de St Germain au Mont d'Or, je me suis assise ce matin, j'y suis restée je ne sais combien d'années en espérant l'arrivée du train de 19H00. J'ai regardé tourner les heures, et j'ai pensé à tout un tas de trucs, tout un tas de machins. Sur le banc de la gare de St Germain au Mont d''Or, j'ai pensé.

Qu'on pourrait se trouver en gare de St Germain des Près et cela ne changerait pas le cours de cette histoire, j'ai pensé aux âmes simples qui partent en voyage pour la première fois avec une étiquette pendue autour du cou, j'ai pensé que dans un autre pays il devait être plus de deux heures du matin, j'ai pensé à l'air frais, à tous ces vents qui nous fouetteraient le visage avant le retour du printemps, j'ai pensé à ce néant, aux gens qui vous oublient au fond d'une salle d'attente et qui reviennent trois heures après, vous dire en souriant "pardonnez moi je vous ai oublié" alors que chacun sait qu'on ne se pardonne pas soi même mais on peut présenter des excuses. J'ai pensé aux grottes, aux falaises, à la fatigue, aux accidents, à ces vies corvéables qu'on doit fuir et refuir, à cette affreuse affaire concernant la circonférence des cercles qu'il faudrait un jour qu'on m'explique, aux ventres écaillés des carapaces énormes sur l'île de la tortue, à Saorge qu'on croyait imprenable et au sutra de l'arbre. Sur le banc de la gare, j'ai pensé que nous pourrions lire en nos âmes comme dans un abécédaire noblement illustré, j'ai pensé qu'il serait impensable d'oublier les enluminures. Sur le banc de la gare j'ai pensé.

Qu'il n'était pas désagréable d'allumer une cigarette pré-roulée en machine avec des tubes cobalt premium, j'ai pensé aux moments d'absence qui nous surprennent juste après le départ d'un train, j'ai pensé qu'ici, ça pourrait être tout aussi bien la gare de St Germain en Laye  et que ça n'aurait pas l'importance qu'on croit. Sur le banc de la gare j'ai pensé au mât de cocagne, à la dépense à la luxure. J'ai pensé aux bedaines, aux cheveux grisonnants des messieurs élégants assis sur d'autres bancs face aux kiosques ou près des manèges. Sur le banc j'ai pensé que du quai A jusqu'au quai B, de la gare de St Germain au Mont d'Or, précisément, il était impossible de trouver une correspondance pour la ville de Limoges, ni pour la ville de Liège. J'ai pensé aux anges dissipés et punis dont le diable se débarrasse en les envoyant vivre sur terre, incognito. J'ai pensé que les filles se trompent à croire toujours que n'importe quel homme est ému de sécher leurs larmes, j'ai pensé aux chemins de Katmandou, à ceux de Compostelle, au masque de Bhairava, à la conversation que j'aurais demain avec Dieu ou bien avec des champignons du type ascomycète ectomycorhizien tels le bulgaria inquinans, les truffes noires ou même les lichens pourvu qu'ils soient juste assez hallucinogènes.

Sur le banc de la gare de St Germain au Mont d'Or j'ai pensé qu'au lieu de me contenter d'être là, je pourrais penser à des trucs et à des machins sur le banc de la gare de St Germain les Arpajon cela serait plus original quoiqu'un peu loin de tout. J'ai pensé que ce n'était peut être pas normal de faire de si lointains voyages en restant assise sur un banc sans même payer sa place. Sur le banc de la gare j'ai pensé aux "maisons oniriques" qui logeraient nos souvenirs, nos secrets amoureux et nos extraversions. J'ai pensé à Sandro et Claudia seuls sur le banc d'en face, au lever du soleil. J'ai pensé que c'était idiot de ne pas oser leur faire une petite place. J'ai pensé si que la gare de St Germain au Mont d'Or était précédée ou suivie par la gare de St Germain du Puy on arriverait plus vite à Nevers, j'ai pensé que Nevers en hiver devait être aussi triste que Nevers en été. Sur le banc de la gare de St Germain au Mont D'or j'ai pensé...

Photo : Le lecteur aura bien compris qu'il s'agit véritablement du banc de la gare de St Germain au Mont d'Or (je ne vois pas pourquoi je vous mentirai) où je n'ai jamais mis les pieds. Je remercie Dame SNCF dans son immense générosité de m'avoir accordé environ deux minutes d'arrêt afin que je puisse  immortaliser cette merveille aux lignes simples et pures saisie derrière la vitre du redoutable transnabirosinien N° 16846 en provenance de Lyon, la ville. Août 2010.© Frb

mercredi, 18 août 2010

Sur le banc de la quiétude

Qu'est ce qu'on raconte ?

JAMES SACRE extr : "La petite herbe des mots", (1986), "Si peu de terre et tout". Editions "Le dé bleu" 2000.

Pour découvrir quand et où se trouve la quiétude vous pouvez cliquer sur l'image.banc.JPG

Sur le banc de la quiétude, je me suis assise ce matin, j'y suis restée je ne sais combien d'années, jusqu'à l'heure du coucher du soleil, j'ai pensé à tout un tas de trucs, à tout un tas de machins, sur le banc de la quiétude j'ai pensé.

A l'enthousiasme qui n'est pas un état d'âme d'écrivain, j'ai pensé aux longs chats allongés sur des crêtes, j'ai pensé à tout ce qui peut être l'objet d'un désir honnête, j'ai pensé à la gymnastique, rien qu'à la gymnastique, j'ai pensé aux objets miroitants et fragiles, j'ai pensé à l'amoncellement des volumes informes, j'ai pensé à ce roi qui se couche sur des feuilles après un repas de fruits, j'ai pensé au secret de la beauté, à l'étang lustral, aux lotus, j'ai pensé à l'art d'user des plaisirs, j'ai pensé aux messagers, aux bien aimés, j'ai pensé à ces cages d'escalier, à leur pauvre lumière, j'ai pensé à la transmigration des âmes, aux lucioles et aux vers de terre, j'ai pensé au bateau qui prend forme, aux planchers de sapin usés, j'ai pensé au défi qu'on lance à tous les vices, au repli sans trêve et sans fin, au peuple qui s'engage de son plein gré, sur le banc de la quiétude j'ai pensé.

Midi a sonné à la petite église, il ne m'est pas venu à l'esprit l'idée de déjeûner. Assise sur le banc de la quiétude, j'ai pensé que désormais plus personne n'aurait plus jamais besoin de déjeûner. J'ai pensé à l'arbre de la connaissance, au cloître où sont formé les maîtres, au monstre, à la bête abattue, aux veillées de noël rustiques, j'ai pensé aux fées des roches et des collines, j'ai pensé à la solidité de l'oeuvre, j'ai pensé à la règle bénédictine, aux miradors, aux mirabelles, j'ai pensé au figuier sycomore, aux magnolias, aux immortelles j'ai pensé aux mantilles, à l'évènement ébruité, j'ai pensé aux entrelacs qui se peuplent d'animaux, au spectre de soi qui va et vient entre les murs, j'ai pensé aux âmes des morts ensevelies dans l'étroit cimetière autour d'une église en ruine, j'ai pensé aux hommes visant le gibier, j'ai pensé à l'effeuillement gai, j'ai pensé au rayonnement d'un jour total, au vierge sable osant battre la couche, j'ai pensé aux petites heures et aux grandes heures, j'ai pensé aux livres rangés sur le dos qu'une languette permet d'attraper, j'ai pensé aux confiscations révolutionnaires, à la timidité mortelle. Sur le banc de la quiétude, j'ai pensé.

Je sens que la lumière est moins vive, le jour baisse, assise sur le banc de la quiétude j'ai pensé qu'il devait être plus de cinq heures du soir, j'ai pensé que désormais cinq heures du soir ne voudrait plus jamais rien dire. J'ai pensé que quatre ou cinq c'était comme cinq ou six, j'ai pensé aux chiffres romains, aux racines carrées, aux tables rondes, et au khim, j'ai pensé à l'étincelle en lieu de ce néant, à la main de Damayantî s'en allant vers la capitale du Vidarbha, j'ai pensé à Saint Syméon qui vécut quarante ans sur une colonne, j'ai pensé à l'eau froidement présente, aux grenades entr'ouvertes, aux cloisons de rubis, j'ai pensé à la dispersion et à la perte des livres, aux enluminures romanes et gothiques, j'ai pensé aux moucherons agités qui s'engluent dans la confiture, au rocher que l'on roule devant une porte ouverte, j'ai pensé que très bientôt sur les marchés ça sentirait la mandarine, j'ai pensé aux questions indécises et à la force d'inertie, aux pierres disjointes, j'ai pensé aux intempéries, j'ai pensé à la joie paresseuse, aux perfections des mécanismes, aux gens qui se mordillent la lèvre inférieure avant de se rendre à un rendez-vous, j'ai pensé à la théorie du chaos, aux épaves de la guerre, aux chavirements et aux mouvements de cils d'une biche, aux coeurs qui s'y fient, à l'effacement, j'ai pensé au soleil couchant sur le banc de la quiétude, j'ai pensé.

Le jour décline, je dors couchée sur le banc de la quiétude, j'y dors toutes les nuits depuis près de deux ans et je rêve que je m'assois chaque matin sur le banc de la quiétude, pour penser à des trucs et à des machins.

Nota : Remerciements à Stéphane Mallarmé, Paul Valéry, Etiemble, Julio Cortazar, Boris Vian, Hermann Hesse, Spinoza, et Corneille qui m'ont quand même un tout petit peu aidée (mais pas trop, hein !) pour la rédaction de ce billet. Je dédie le banc de "La quiétude" et même "La quiétude" entière à Christophe Borhen parce que je sais que c'est un endroit qu'il apprécie et enfin, (belle âme !) je dédie "La quiétude" à tous ceux qui en ont besoin (vous pouvez me remercier :)

Photo : Le banc de "La quiétude" n'est pas un tombeau. "La quiétude" est le nom d'une petite maison plus que charmante, (mais je crois que le lecteur aura compris), découverte et photographiée au coeur du bourg de Vareilles, au mois d'Août de l'année dernière, en contrée nabirosinaise © Frb.