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jeudi, 04 avril 2013

Les trous noirs sont irrésolus

Si l'on pouvait se voir dans les yeux des autres, on disparaîtrait sur le champ.

E.M. CIORAN, "De l'inconvénient d'être né", éd. Gallimard, 2013.

 

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Nous sommes dans la guirlande, nos couleurs sont passées, nous regardons tomber la bruine sur les autos. Le petit jour s'épuise. Nous sommes seuls à la fenêtre, autant que des milliers, nous avons vu revenir le vent qui tournait, nous n'avons pu prévenir, il nous aura tournés. Nous étions comme des crêpes.

Les yeux sur un clocher, sous un ciel déchiré nous déchirions de même, nous effaçons doucement chaque lettre, et les lettres de ceux qui nous aimaient, elles brûlent, dans la cheminée avec les bûches en sucre, des mêmes suavités, nos têtes de vieilles vedettes, nous brûlons les passés, les reliques, les dossiers, les livres philosophiques, les revues poétiques, les vinyls, les cassettes, nous brûlons les tableaux, les horoscopes débiles, les bulletins météos de l'année à venir, nous ne savons pas quel goût aura le vin de l'année, billes d'austères, une année de bibine, pas d'ivresse à la crêche. Des kirs à la manille. Après ça nous courons. Après qui ? Après, non.

Après un tel saccage dans les vignes, nous retrouvions des notes de frais sous nos tonnelles et cette langue qui claquait du bruit de la machine, nous ne savions plus pourquoi ils veulent nous orienter, nous n'osions pas freiner, à peine l'anticiper mais à tous, les prothèses règnent du mouvement des glaises qui nous virent déroutés, nous courons à l'étroit, nous courons à l'égard, après qui ?  Après toi ? Nous courons à l'apprêt.

Nous croquons le petit déjeuner en vitesse nous ne pensons à rien, nous jetterons les montres avant l'heure, et nous aurons encore quelques jours de retard, nous éloignerons les noms et les phrases et tout ce qui fût notre, nous le mettrons au loin. Nous courons après le pain, après le beurre après le lait.

Nous visons la jachère, une seconde arrêtée ; nous pourrions croire encore mais rien, croire en rien c'est plus fort, en tout sens moins que rien, à rapprocher la main, ou balancer les pieds, tu m'as vue me jeter sans désir dans le tramway, un penchant pour l'exil, quand cet oeil fit trembler au loin les figurines de notre île homérique à présent oubliée, on oublie, on écrème, ce n'est plus compliqué, et l'oubli nous devine, il n'y a plus qu'à courir, après l'heure, après l'art, pour entrer de plain-pied.

Ces engins créent du signe et du monde vous fabrique mille amis à la seconde, dans ces lits enrobés dans les draps de la fée, le cocher qui dormait parfois sous nos tonnelles, n'y verrait qu'un amas, ça bouge et ça respire, c'est lustré dans la graisse, mille absents recherchant la fraîcheur des parfums élégants d'autrefois, des filles de bonne famille, ces lavandes dans l'armoire, ces ronds de citronnelles, à présent ne diffusent plus qu'un brin de ta fraîcheur corporelle à la sveigne, ta chic en robe trapèze moud les sucres à Mugler, cette fausse exhalaison comme le mot sur ta langue qui rentrait dans tes fesses, légèreté triomphante du malabar Cobra, d'intenables airs de danses des canards sur ton ventre, ta vulgaire tu la vois ? Dans ses jupes transparentes, imiter Dalida en tirant sur son Dim et toi tu ricanais, heureux dans ton marcel, essayant de cacher l'odeur du pourrissement des plus beaux mouvements de notre fin d'été.

La société nouvelle se répandra sur nous. Elle est pire que l'ancienne, nous contenterait d'un mot, le mot de trop qui brade la pépinière d'Alceste. On la tient la parole on tapera dans nos mains, on fera venir monsieur le maire pour couper le cordon qui ouvrira l'accès de ce pressing pour tous, cette laverie dans nos mondes, l'entonnoir sur ta tête et les rois et les reines toquards du rond de la jambe qui nous appellent "z'amis" et qui courent après qui ? Après toi... ? After mi ?  Tu répètes. Répètons.

Le vent à la fenêtre ferait le bruit d'une foule qui se traîne, émouvante, quelques uns nous redressent, ou graissés, ou mouillés, une madeleine dans la crête, la lanterne à la main cherche la base et le sommet qui touchaient la couleur, se vanterait demain de s'en remettre au ciel, quel ciel de traîne-misères, et celui du demain dissimule un trou noir.

C'est d'abord une fine bruine d'un gris tournant en hyène, gris toupie qui s'excite à entrer dans l'hiver juste voir comment ça fait quand toute chose s'accélère, et que l'intensité des couleurs fond sur nous, puis bariolant la chair, l'effacerait et la fête reprendrait pleine d'entrain. A force de s'empiler sur des peaux de chagrin, finirions-nous par voir les choses se rétrécir sans que d'autres n'en sachent rien ? Ils croient nous voir grandir nous pourrions disparaitre, devenir l'énergumène qui tourne en eau de boudin, passant de main en main sur la chair bariolée et dans ton regard terne je vois les lendemains de ta toupie joyeuse qui se fripe comme la terre et fait un bruit de chien écrasé sur mes reins, vite fait, bien fait, je te kiffe, je suis le courant d'air, la fille en Rexona, qui éteint ta lumière et descend ta poubelle, qui trempe des écrevisses dans la sauce mayonnaise rêvant d'aller là bas chez les étoiles de mer, couler comme des plongeurs qui manquaient d'oxygène. Savons-nous qui nous pleure ? Qui nous tape sur le nerf ? Qui nous crie et pourquoi ? Après moi ? Pour la quille ? Qui qu'en veut des toupies ? Dans sa main qui qu'en n'a ?   

Toi tu en voulais une de toupie dans ta main, et tourner comme les autres aller de l'un à l'autre d'une chair à une autre te barioler comme eux, on te l'offrait gratis, à toi qui te taisais on t'aura vu sourire, tu souris dans les coins avec ton oeil guettant l'harmonie des battants de ces portes de western pour glisser entre tous te distinguer : pan ! pan ! tu flingueras comme John Wayne, en héros de la culbute ensuite tu serais rien qu'un gogo du plasma qui dort sans ses lunettes, ou tire sur tout ce qui bouge dans ses rêves, dans mes rêves, mais dans nos rêves, y a quoi ? Pourrais-tu me redire dans quel film tu jouais et quel rôle quand soudain, on trouvait à ta voix un son qui n'était plus exactement le tien ? Tu l'ouvrais ta grande gueule, ils t'appelaient "Attila", t'en pinçais pour "Ginette", c'était pas un nom de fleur, le soir tu la bouclais, et Ginette refermait les volets d'Attila, plus de portes, plus de fenêtres, tu n'avais qu'une réplique il fallait s'en souvenir, tu disais d'un air triste :

"je me tais parce que je suis rien".

Qu'est ce qu'on aurait pu dire ?

Hormis ramasser ça : des graines de cacahuètes sur la terre qui semblaient boucher notre chemin nous belles gens d'autrefois on devenait des modernes, par d'étranges épousailles avec des personnages si grandioses devenus au final héros du quotidien comme les autres comme ces toupies passant de main en main, ces liaisons provisoires dont les promesses étaient comme autant de pétards mouillés, ça faisait "splatch ! platch !" et puis "pof !" ça retombait tout foutu sur le gazon, ces paroles en bouquets s'en allaient sous les grosses mécaniques de la vogue, on mangeait des marrons sans marrons, des gaufres couleurs d'éponges, toupies d'aires provisoires, pour nos liens je pomponne le charmillon truffé, j'ai la tête en corolle et me ridiculise à reprendre la réplique d'un film du Tartignole,

"vous aimez le provisoire ? 

- moi, je suis définitive".

J'anticipe les casseroles, je saccage les mariages la tête entre les mains comme la folle du Rodin elle te regarde fuir avec ton galurin, battre à mort la campagne pilé entre deux gares à la sortie d'une ville dont le nom ne te dit rien, ta grande ligne de vie et de mort dans ma main qui lâche son léopard en string à la montagne et tu cours après qui ? Après plus ? Après moins ?

Passe ton temps, tu regardes, tomber les derniers fruits derrière une vitre molle, la saleté dans ta fiole emberlificotera la belle Isadora, pressant entre tes doigts longs et fins la sanguine, maintenant c'est les grenades d'un sang pourpre ou bleuâtre qui éclaboussent nos marges comme le coucher de soleil, du dernier paysage, on croyait l'habiter, on l'a vu accroché au rayon cartes postales de mon buraliste tchèque, il solde tout à deux balles, il y a quelques années un tel coucher de soleil était inestimable, le Louvre se l'arrachait je le voulais, je le voulais ! lassée de ma toupie il me manquait une maille, quatre vingt dix centimes, le coucher, le soleil, je voulais sur la carte changer le territoire. Le buraliste se barre en Austin au Burger, il me dit :

- prenez donc, c'est gratis, tous ces couchers de soleils y'en a marre, marre marre ! ils se ressemblent tous, c'est vrai, prenez suici ou suila, ou l'autre là, ils me reste dix mille cartes postales pour les dix mille gugusses qui traversent des villes en groupes avec des cars, ça pourra le faire grave et puis pour les gonzesses, qui seront toujours trop connes à danser en tutus devant un coucher de soleil, c'est du sentimental, je vous dis pas, ca cartonne".

Moi, je réponds

"chui pas conne", et l'autre il me claque sa grille:

-"prenez tout, je liquide, je me casse au Sénégal il paraît qu'on s'éclate, les soleils, les couchers, les caniches, et le pont de la guenille et les vues du théâtre, et Gnafron, et Guignol, les qu'nelles prenez tout, même les "bonnes fêtes maman" et les "Joyeux Noël" si ça vous fait plaisir"...  Je lui dit:

oh merci m'sieur, merci, vous être si généreux, il me fait :

- ah non, pas généreux je débarrasse tout mon stock ! je liquide, si je foire le Sénégal j'ai un plan pour dealer de la coke et ptêtre du shit sur la route de Memphis mais après je sais pas, après quoi je peux courir, après vous ? Après rien ?

C'était peut-être le dernier Mohican, le dernier Vendredi, le dernier homme qui passe, la dernière valse triste, la dernière promenade, la dernière inquiétude, la dernière paire de claques, la dernière solitude, le dernier chant du coq, la dernière forfanterie, le dernier merle noir, la dernière roue du paon, le dernier mouvement un peu lent un peu braque. Le dernier cours du temps. Et depuis ils couraient, nous courons. On accourt. Et vous, ça s'arrête quand ?

La dernière guirlande s'affaissait, le monde s'agglutinait, bourrés, fourrés courez, et le soir, nous dansions. Le monde s'agglutinait pourtant nous aurions cru que le monde était absent, le beau monde, le grand monde, vivait dans d'autres mondes, les choses s'organisaient, tout revenait normal, à partir du lundi, mais le samedi nous plombait, il y avait que de la viande saoule accrochée aux bateaux de plaisance, sur la rive défilaient d'énormes rats d'égout, et voilà le dégoût, ça y est, qui recommence, tu vomis ton Baileys Irish Cream dans la petite roseraie, c'est quoi ces gens qui courent ?

Nous avons cru entendre les cris d'une femme là bas, un corps entre les flots, au milieu des bateaux, de ces genres de bourgeoises qui hantent les boîtes de nuit, et le coucher de soleil au milieu des plasma semblait d'une autre planète, non, nous n'aurions jamais dû naître dans ce monde-ci, nous qui ne courons pas. 

Nous étions des fripons portant des martingales sur nos vestes, des chapeaux à plumes de tourterelles, des guêtres de pollen, et des foulards en soie et j'en passe, il en reste un ou deux, des qui sans panoplie sont comme le gars, là-bas, il reste assis tout seul sur son banc médiéval à regarder ses salades, à trier dès l'aurore des paniers de champignons, c'est de saison, les girolles, ça c'est beau, ça rassure qu'il en reste, des comme eux cachés dans les hameaux. Les autres ont la bougeotte, des avions des texto et des fêtes, et des mots des paroles, des paroles avec rien, tu comprends ? Rien partout ni dehors ni dedans, des grandes phrases en lambeaux, comme des pelures d'oignons passant de bouches à oreilles, sur les lits sous des couettes, avec toujours des mots qui servent à pas grand chose et ce vin une piquette, passe moi donc, une lichette et le gobelet en plastique que je me dévisse la tête avec ce tord-boyau, et demain, et demain, nous regarderons la bruine, demain la pluie, pis après-demain, bingo ! on s'offre le Parpaillon, au diable la jachère ! abrégeons, vide ton sac, allez chiche ! on se dit tout, t'as quoi sous ton chapeau ?

Allumettes, brasero, le linge de ton balcon, des miroirs aux alouettes. Aux vaches, les trains d'enfer, aux chiens les gargoulettes, bois ta nuit peu importe ce qu'il en sera demain, tu ramasseras les restes petit à petit, t'en fais pas, demain tu verras clair.

Tout au bout du chemin, il y a ce confetti comme un baume à nos lèvres, nos bouches ont le refrain douloureux des vieux siècles, une chaufferette sur le coeur, quel chemin pour tes fêtes ? Ton futur de rouleau compresseur tu le laisses, quels goudrons, quels silex entre des feux follets ? Tu vois, ces petits éclats nous ressemblent comme deux gouttes d'eau, c'est de la vraie poésie des feux follets qui sont en tout pareils que deux petites gouttes d'eau, c'est pas couru d'avance, si ça se trouve ça serait ça, l'art moderne ? Ca le sera sûrement demain. Demain, on cassera tout, demain ça va péter, enfin vous verrez bien. On était rassuré. On avait le goût d'en rire, un rire simple et grossier, des amis, des voisins, du schnaps, du gibolin, tout de quoi bien se déglinguer en attendant la fin.

 

 

Nota 1 : Dans l'image, (à cliquer), peut-être un contrepoint, vu d'un autre univers.

Nota 2 : Le titre de ce billet a été inspiré par la lecture de l'ouvrage épatant "Anagrammes renversantes" ou "Le sens caché du monde" de Etienne Klein et Jacques Perry-Salkow, une merveille vivement recommandée par la maison

Photo : La sortie des usines Lumières en Septembre 2013 vue du banc de la quiétude.

- Vous croyez ?  

- Oui, on croit. Pourquoi on croirait pas ?

  

Only-Lyon © Frb 2013. 

jeudi, 22 juillet 2010

Mille et unième note...

Rien que la joie, les sortilèges et une immense confiance optimiste, rien que les données immédiates de la sensiblité. Rien que l'art de prendre son temps"

KAREL TEIGE : extr. Liquidation de l'art", éditions Allia 2009.

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Pour fêter le 1000 et le 1, et liquider, (si faire se peut). J'ai prévu une petite sauterie au jardin avec quelques rafraîchissements, qui ne sont pas de ma composition...

Crème de cassis, bibine, blanc, chopine, pinard, piquette, vinasse, gnôle, fillette, communard, Clairette de die, vin bourru, Mâcon, vin de goutte, vin de Moravie, vin cuit, Bordeaux, jaja, Bourgogne, vin de paille, vin de palme, vin de pays, vin doux, vin mousseux, vin de table, Bergerac, vin liquoreux, vin muté, bière brune, Cervoise, Gueuze, ginger beer, Guinness, kriek, lambic, bière ambrée, Blanche de Bruges, saké, stout, brune, pot, Chimay, Kro, bière d'épinette, bière de Munich, bière de luxe, bière de nourrice, bière de sapinette, bière de table, bière forte, bière rousse, pastis, anis, ouzo, saké, Absinthe, Arak, Suze, Armagnac, Cognac, mezcal, Pineau des Charentes, Bénédictine, vodka, génépi, whisky, Amaretto, Gin, Floc de Gascogne, vins cuits, Calva, Zythogale. Cherry brandy, Champagne !

Bellini ou Opéra Venise = (Champagne,+ purée de pêche fraîche), Bloody Mary = (Vodka + jus de tomate + épices + jus de citron), Margarita = (Tequila, triple sec, jus de citron), Tequila sunrise = (Tequila + jus d'orange+ sirop de grenadine, Cuba libre= (Rhum, cola + jus de citron + sucre de cannes), Mojito = (Rhum blanc + jus de citron vert + sucre roux + feuille de menthe fraîche + eau gazeuse, Caïpirinha = (Cachaça + sucre roux + citron vert + glace pilée), Piña colada = (Rhum blanc + jus d'ananas + lait ou crème de coco, Kir = Bourgogne blanc aligoté + crème de cassis de Dijon ou autres crèmes (framboise, myrtille), Americano = (Campari, vermouth rouge italien (ex. Martini, Cinzano), soda Martini ou Dry Martini Californie = (5 doses de gin + 1 dose de vermouth blanc sec + une olive verte ou zeste de citron). Cocktail flambé, Cocktail Molotov,(vodka + bière + grenadine) + feu d'artifice au jardin. (Voir ici).

Nota : Si vous passez par Lyon, ou si vous y vivez, la bonne adresse (les yeux fermés) pour déguster le meilleur Mojito (en musique et quelle musique !) se trouve au "Mondrian" (ex Vin § ko), avec terrasse idéale sous les arbres, je l'ai déjà écrit quelque part sur ce blog et je le répète sans aucune réserve, c'est un endroit que j'aime, en tout, autant pour l'esprit que pour l'accueil qui sont hors du commun. Le Mondrian, donc, bar restaurant repris et (re)crée par l'artiste cuisinier Michel Piet, (et ses acolytes), se trouve au 1, quai Claude-Bernard dans le 7em arrondissement de Lyon (tél : 04 37 65 09 71), à deux pas de la Galerie Roger Tator, autres excellents...

Sinon, vous pouvez rester chez vous, assis sur une chaise et puis boire un verre d'eau, mais c'est pas le même humour.

http://www.youtube.com/watch?v=W13ZrrgKQIs

Photo : La bonne chanson à suivre dans la vitrine du marchand de vin, liqueurs et spiritueux de la Grande Rue de la Croix-Rousse, photographiée au début de l'été 2010 à Lyon. © Frb.

dimanche, 23 mai 2010

Le livre tangue

"Je veux être un éléphant qui pisse dans le cirque quand tout n’est pas beau… "

BERTOLT BRECHT in "Baal". Edition Arche 1997.

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RIMBAUD dit de l'ivresse qu'elle procure cette eau de vie verdâtre "Qu'elle est le plus délicat et le plus tremblant des habits". Affirmer que l'ivresse, est pour le poète un habit reviendrait à la classer parmi les accessoires qui lui sont nécessaires pour paraître en société. On sait que jadis, les bourgeois s'étaient fait un devoir de rompre avec les excentricités de l'aristocratie, et de porter les tenues les plus neutres possibles, des costumes de coupes sobres dans des tons éteints gris anthracite, chapeaux sombres, ensembles bleus marine ou noirs. Le vêtement bourgeois dissimulait la chair et renvoyait l'image sinon d'un homme utilitaire, au pire celle d'un automate fonctionnel.
Au contraire le corps ivre s'élance, erre à tâtons. Il commet toutes les maladresses et on ne peut le mettre à la chaîne, il est en quelque sorte perdu pour toute utilité sociale.

RIMBAUD dit encore que le poète doit "faire l'âme monstre" (cf. "La lettre du voyant"). Le poète doit apprendre à voir, à éprouver toutes les formes d'amour. "Etre voyant", c'est aussi refuser de passer inaperçu. Et "faire l'âme monstre" est la grande ambiton du dandy, dont l'extravagance  se trouve, (c'est sans doute préférable), très souvent incomprise. Si être écrivain et alcoolique n'a rien d'exceptionnel, le mélange parfois n'offre pas la compensation espérée. Et ces deux passions réunies dans une même personnalité comportent un risque d'entrave. On connaît ici et là des destins avortés, de talents, qui se sont lentement, inexorablement gâchés dans l'alcool, sans réussir à offrir une oeuvre disons, à la postérité, ni même une simple oeuvrette. Ces parcours fort nombreux, on les retrouve souvent dans le sillage des grands mouvements artistiques autour du Dadaïsme ou du Surréalisme, du Situationnisme etc... Dans l'entourage de personnalités fascinantes comme Francis BACON, Andy WARHOL, pour n'en citer que deux... Ainsi toujours dans ce sillage évoluaient des faunes d'artistes potentiels parmi lesquels très peu d'élus. Beaucoup se sont noyés, comme dans un bain voluptueux ainsi on ne compte plus le nombre de génies inconnus. Et il s'agit toujours de l'itinéraire très classique qui n'est pas à juger, de l'artiste qui boit son talent au lieu de mener à bien son oeuvre.

C'est un peu le schéma de "Baal "de Bertold BRECHT (dont GUILLEVIC a donné une merveilleuse version française). Le schéma de "Baal" est un cas limite. Nul ne pourra savoir si l'homme qui se détruit plutôt que de faire carrière est un minable ou bien encore une sorte d'artiste supérieur qui achève sa carrière non sur le plan pratique mais dans un élan mystique ou peut- être indéfinissable. C'est pourquoi décider de la valeur de l'existence de "Baal "est une absurdité car le fond de cette existence sera toujours inaccessible à un observateur extérieur. "Baal" chemine seul, il serait vain de vouloir l'accompagner, l'encourager ou le comprendre. D'autrepart "Baal" était la divinité tyrannique à laquelle les époux carthaginois sacrifiaient en des temps oubliés, l'aîné de leurs enfants, c'est à dire le meilleur de leur peuple.

Pour en revenir à l'histoire de "Baal" même, BRECHT raconte celle d'un poète qui se perd, une sorte d'"archirimbaud" dont aucun texte n'aurait été conservé. "Baal" chante ses compositions dans une taverne de charretiers située près d'une rivière. Il envoûte son public. Il ressemble à VERLAINE en plus indécent. Un riche négociant entend parler de lui et propose de l'éditer, un patron de presse veut le lancer. Mais "Baal" refuse avec orgueil, toutes propositions mercantiles. La seule chose qui l'intéresse est de boire, et puis boire et boire encore, (du schnapps), courir les filles, faire bonne pitance et dormir à la belle étoile. "Baal" est l'incarnation de la force poétique brute. Peu à peu tous ses bienfaiteurs se lassent, ses amis, irrités par son inconstance, l'abandonnent. "Baal" se brouille avec le tenancier de la taverne où il se produit et se met à errer misérablement. Il achèvera ses jours sur un grabas miteux dans une cabane au fond d'une forêt. Les bûcherons de passage le tournent en dérision et lui crachent dessus. A la veille de sa mort il a encore le ressort de leur lancer le reproche étrangement poignant :

"Vous n'aimeriez pas mourir seul, messieurs !".

Il est trop tard plus personne n'écoute le déchet humain qui s'exprime.

http://www.deezer.com/listen-3360225

Source : Les notes qui composent ce billet ont été largement inspirées par le livre d'Alexandre LACROIX : "Se noyer dans l'alcool ?". Dont le blog de Bartleby dit très justement qu'il donne envie de lire et qu'il donne soif. (lien ci-dessous)

http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2007/10/boire-...

Nota : Le sujet des multiples relations entre l'art et l'alcool étant aussi inépuisable que fascinant, j'espère pouvoir très prochainement vous livrer quelques autres facettes, à travers d'autres auteurs, et d'autres manières toutes différentes de s'enivrer. A défaut de noyer son lecteur (adoré) je distillerai (tel l'alchimiste chaldéen, et allez donc !), les billets sur ce thème au compte goutte (ce qui est un comble) et dans le désordre le plus imprévisible (toujours des promesses !)

Photo: Nécessaire d'énivrés, photographié  à la terrasse du "Vin § Ko", (bientôt rebaptisé "Le Mondrian" à l'occasion de la reprise du café restaurant par le talentueux artiste cuisinier Michel Piet et son équipe d'adorables), un lieu situé au 1 quai Claude Bernard dans le 7em arrondissement à Lyon, et qui est déjà  vivement recommandé par la maison. De cela je reparlerai un certain jour, car l'endroit est si chaleureux et le mojito si extra qu'il serait bien dommage de passer l'été sans aller s'y lover et s'y prélasser des soirées entières sous les arbres. A suivre donc. photographié en Juin 2010 à Lyon (En juin ? alors que nous ne sommes que fin Mai ? pensera le lecteur plein de sagacité. Mais oui ! l'alcool nous f(i)loute, voguez voyants! ... Livrez l'ivresse !...)

mardi, 06 janvier 2009

Sur la route de Vaise...

En chantant la "COUZONNAISE"...

sur la route de Vaise.JPGDe la colline de la Croix-Rousse, par temps de neige... On peut prendre la luge à partir du Parc Chazière et se laisser glisser tout droit. Normalement on arrive droit sur Vaise et en traversant le pont, on tombera bien sur un petit bistro de Vaise (en chansons évidemment), où l'on trouvera le nécessaire pour bien se réchauffer...

Photo: Colline de la Croix-Rousse. Vue rue Henri Gorjus, une bien ancienne publicité du cep qui émerveille. Frb©.