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vendredi, 08 février 2013

Le voyage approximatif

Le train dévore toutes choses visibles, agite toutes choses mentales, attaque brutalement de sa masse la figure de ce monde, envoie au diable buissons, maisons, provinces ; couche les arbres, perceles arches, expédie les poteaux, rabat rudement après soi toutes les lignes qu'il traverse, canaux, sillons, chemins ; il change les ponts en tonnerres, les vaches en projectiles et la structure caillouteuse de sa voie en un tapis de trajectoires.

PAUL VALERY : extr. de "Le retour de Hollande ; Descartes et Rembrandt, édition Pagine d'Arte, coll. Ciel Vague, 2012.                                    

corail SCF3036.jpg

 

Comme avant un festin,

en force esprit, durée,

suffisant à soi-même,

on se grise d’un retour

dans un style d’aquarium

lassé de son corail. 

Une vitre à travers

ausculte un métronome,

à son rythme occupé,

les pas pris dans les neiges

si près d’être sauvés,

des mots de feu retiennent. 

Une histoire s’empanache

suce quelques proies sucrées.

On cherche l’alvéole,

deux minutes en pare-chocs,

une vie de marche à pieds. 

Comme après un festin

le ciel mène à son train,

des préludes à Chamelet

Tangos, valses ou chaconnes,

Carrières de marbre et gore

ouvrent une voie givrée.

 Le train stoppe en vallée

poinçonnant sa madone

lui délivre son quai.

L’ivraie échappe au grain.

Tous les chemins m'étonnent.

Revoilà l’homme du train

et sa prune étoilée

de calices et de gommes.

Comme avant le festin

sous un buisson de neige

tenant à presque rien

par un canal abstrait,

on sort de l’aquarium.

Le malin nous dégomme

en courbettes à ce train.

L’embrassage épineux

crisse sur les graviers,

on déploie les regrets.

Plumes ont divergé.

La sève fond sous l'écorce.

Comme avant le festin,

des poissons hérissées

s'embarquettent à Saint Point.

On sait qu’il va tomber une pluie

sur Cours la Ville.

Dième ouvre sa forêt.

On bifurque à Mardore.

Dieu ! qu’un mauvais virage

nous gèle dans son horloge

qui ne tient à demeure.

Le chien dîne à vingt heures.

Esprit, durée, saveur

suffiront à soi-même.

Un objet flambant neuf

dans le polystyrène

attend l'anniversaire

banc vide à St Germain -

 le printemps va sans coeur

et les préliminaires redeviennent

blancs comme neige.

 

 

Photo : On se taille en Corail. (la preuve est sous l'image).

 

 

Lyon-Perrache © Frb 2013.

dimanche, 30 septembre 2012

Les errances du modèle (I)

Je suis vague comme la mer ; je flotte comme si je ne savais où m'arrêter.

LAO-TSEU, extr. Livre I -XX, in "Tao Tö King" (ou Tao Te king ou  Tao Teh Ching) "Le livre de la voie de la vertu", traduit par Stanislas Julien à découvrir intégralement ICI

affairist.JPG

 Il allège, il s'abrège, il marche sur les sentines embaumées d'aromates, il prend le large saute la haie une feuille de houx sur les lèvres il marche pour un appeau affine les frontières il marche entre les phares il marche à pas chassés il marche sur ses collègues.

Il marche pour des sommets, il marche sans s'arrêter un fleuve hante son geste même s'il ne paraît pas demeurer sur la rive même s'il paraît s'y perdre il marche dans un musée il part à la recherche d'un secrétaire perpétuel.

Il marche sur des falaises pour le bruit du ressac troublé de vents contraires poussé par la galerne contemple les traînières il marche sur des ressorts pour voir bouger le nerf dans les filets de pêche de cent mugilidés.

Il a dit : "je serai l'homme qui marche" qui titube et perd pied il s'éloigne il arrache ses racines les disperse autrepart il marche sur des quais par les rues encombrées sa marche est inventaire il passe entre les creux d'un lit prisant les feux ou fragmente son verre contre un cri de colère brisant les rondes aimables puis il se radoucit.

Il prend sur lui la pluie les brumes et la tempête il marche dans l'oeil pugnace qui le prend pour un autre il contourne le rire de ces foules les bourrades il marche loin de ces langues qui morcellent le jour tenant encore l'injure pour une délivrance.

Il marche fuit les truelles les engins à chenilles  vibrantes et compactées qui tourmentent l'univers l'entaillent le plissent l'emboutissent il marche jusqu'à ces temples qui cimentent le ciel avec la terre  il marche pour se défaire des torchis de leurs guerres il tourne les talons à ces pieds alignés caressant les moquettes au salon.

Il marche dans la salle à manger dans la chambre dans un hall il marche dans la cuisine à la recherche d'un paquet de chips il marche près des buvettes au milieu des canettes il marche sur les franges des rideaux d'un hôtel et sur les perles roses d'une fille menée par le tempo il marche près des massifs des jardins impériaux il porte à son blason un céleste vitrail marche dans sa lumière

Il marche pour le présent grisé par la promesse "du petit bout de chemin ensemble" il marche de la vie contre la mort pipant en travers elle avant qu'elle le reprenne il marche solitaire dans la blessure la mort de l'autre qui le fera payer courir rire et pleurer il marche sans retenir ceux qui lui portaient peine et ceux qui l'ont aimé ou l'aimeront à nouveau il marche dans sa reine sous un dôme de trois cent quatre vingt quinze mètres il marche sur des fossiles marche comme on se relève d'un sommeil troublé par des monstres aux poumons secs cousus de gueules avides transpirantes.

Il marche dans un tunnel juste après l'accident marche comme un enfant que le premier pas émerveille il marche dans un couloir entre deux infirmières.

Il marche dans la combine marche avec ceux qui règnent marche à pas d'échassiers il marche sur un autel il marche de Bellême à Couronne, dans la forêt d'Ecouves pour voir un éperon rocheux repartir aussitôt il marche pour le schiste bitumineux il marche dans la question qui tournera longtemps il marche devant tout le monde pour se poser devant un drôle de monochrome la marche pourrait cesser ici. Pourtant.

Il marche sous des voûtes gardées par une fraternité d'hommes qui doutent il marche sur des prières qui redresseraient son corps s'il les savait par coeur il marche pour fuir cela il marche une pochette en carton sous le bras jusqu'à la librairie de la rue de Belfort il marche comme un soldat au delà des fossés trop larges il marche entre les arcades d'une cité universitaire rêvant de perdre la parole marche pour disparaître voudrait réapparaître là où on ne l'attend pas il marche il aimera ses arpents plus que le soleil.

Il marche au bras des égouttiers qui ronronnent sur la ville en roulant des salives aux reflets d'arc en ciel il marche sur une route il marche comme Gulliver il marche sur des plages par les cours d'eau tranquilles foulant des coquillages, à l'affût des sirènes. Il marche pour ces naufrages qui n'en n'ont jamais l'air il marche contre l'aisance pour l'exception qui passe ne s'efface pas ne sait promettre promet effacera il marche loin des cloisons cerclées de minimoog il marche chez les pop dans les pipes et la poudre.

Il marche pour revoir les contrées que l'été n'a pas pu assécher il marche pour approcher ce qui ne peut se dire il marche sur des pays qui se détruisent dès lors qu'on les traverse il marche contre ce mot roulant dans les tranchées jusqu'aux plis de la paume qui caresse en secret des marges infrangibles.

Il marche sur l'Espagne et ses auberges tristes il marche aux côtés d'un ami insolvable et cupide il marche sur des croustines beurrées avec amour il marche dans sa meurette portant son CV d'homme-sandwitch  tourne autour d'un bordel avec des idées noires.

Il marche vers la mer crachant des étincelles tire son char jusqu'aux digues où se meurent les hétérocères il marche pour des sauteries arrangées de cocktails il marche pour le champagne il marche dans ces pailles aspirant les framboises et le jus des sanguines marche au mât de cocagne marche cherchant son île percée par des soleils empestés de furies il marche sur l'eternit marche comme la souris chassait entre les huis d'une geôle le mauvais rêve

Il marche derrière l'amour comme l'agneau s'abreuvait aux lèvres de la petite il marche dans la fontaine marche pour la rouquine qui se perd dans la foule marche pour une fausse blonde vêtue comme une tigresse marche pour une brune sympa qui tapine en Lancia il marche pour une princesse découvrant sous son pois des mires délicieuses il marche les yeux fermés il marche entre les bornes kilométriques tramant l'attaque d'un train de marchandises.

Il marche sur un passage sans ménager son âge il marche de l'impasse aux sentiers à l'aguet de la menthe du thym de l'aubépine il marche à la campagne dans la laine jonquille des épervières en cyme.

Il marche sur l'ardeur comme un faisan blessé perd ses plumes dans ces baies goûte la mûre cède au buisson entier marche sur les bouquets fanés entre les tombes s'y dore près de ce père qui lui apprenait à marcher il marche bercé par le son brut d'une locomotive dans la prospérité des fleurs des plantes des animaux il marche par ces travées pour y faire l'inventaire de ceux qui marcheront sans but il marche sur des tisons battant l'air à brûler un fourneau de miel de bleuet dans sa pipe il marche dans les billettes et les goussets d'azur il marche comme s'il pouvait marcher sur le déluge naviguer dans la terre sur des patins d'osier.

Il marche dans la tête une pointe de plomb fixée sur la verticale épurée d'un plan de monastère
, il marche sur l'histoire il marche sur ses ancêtres et tandis 
qu'il s'allège marche pour confirmer la dispersion il marche pour qui l'approche participe au mouvement céleste, ainsi le verrait-on inexplicablement marcher dans les nuages.

Il marche déjouant la durée il marche comme un page au guet des servitudes marche pour l'approbation marche chemin faisant il marche brouillant ses traces marche en petits fragments détachés parmi d'autres peut-être semblables  
il marche comme l'ange tombé hier de son balcon anônnait un chapelet de prières glossolales il marche jusqu'au péage rêvant d'épargner ses forces vitales pour marcher au delà marcher toujours encore et ne pas s'effondrer au prochain portillon.

 

 

 

 

Nota : Pour retrouver la suite des errances du modèle il suffit simplement de cliquer dans l'image.

Photo : Fragment de filatures, et autres vies modèles, le modèle en partance a été un instant saisi marchant, sur la rue penchée de la république (c'est pas complètement faux qu'elle penche la république et la rue aussi ça va ensemble peut-être) un léger flag' de fugue aux heures hyper-pointées, Le modèle est un poème-fleuve, il ne faudra pas l'oublier si d'aventure vous en suiviez un quelquepart il vous mènerait à coup sûr au pays qui ne s'arrête jamais. CQFD...

 

Lyon-Presqu'île © Frb

mardi, 31 août 2010

Variations buisantines

N’arrête pas ta pensée en un lieu, dit le doux maître, qui me tenait auprès de lui, du côté du cœur.

DANTE, extr. "La Divine Comédie", (Purgatoire, X-v. 46 Traduction de J. Risset), Les éditions du Cerf, 1987.

bois d'oing.JPGAllers-retours. Entre la grande ville et le pays perdu. Je neutralise mes habitudes avec toutes sortes d'horaires de train, après les rendez-vous oubliés comme l'été, comme ces jours où je m'accoutume à vivre à rebours des contraintes, avec toujours le même plaisir de disparaître et  m'épanouir sous l'ombrelle d'une fougère dans les bois de Vaux, puis de céder aux fruits abondants des ronciers de Jalogny jusqu'à Saint Cyr. Allers-retours et douceurs capricieuses... Pourquoi se trémousser en ville, quand il y a des trains au départ de chaque gare, à toute heure et pour toutes les destinations ?

Des pérégrins moutonnent autour des vieux wagons. Les autres trains sont beaux, plus spacieux, bleus comme des salons de musique décorés d'un faux-velours assorti aux rideaux. Chamelet, Ternand, Lamure, partir plus loin, se raconter que ce serait l'aventure. Se prendre pour Philéas, pour une jeune fille enturbannée à la Ciotat ou pour la première chaussure de la mission Apollo 11, se garder son aéroplane privatif, personnalisé, tout au fond d'une poche au cas où... (Le transnabirosinien 16846 n'est peut-être pas indestructible). Se fabriquer avec les chutes d'un poème arraché d'une page de la Pleïade, un petit chapeau simple contre les derniers coups de chaleur. Allers-retours par les hameaux de la vallée, sur les plis des sièges modulables de la bête ronde et longue qu'on croirait immobile avant le grand chaos par dessus le viaduc construit avec ces moellons bruts d'un granit ramené des carrières d'Anglure ; ces matériaux portés par le train jusqu'au village de La Chapelle sous Dun puis acheminés par des attelages de boeufs. Juste après... (avertissement aux âmes sensibles, le lien est un peu "empoulé" ) le Bois d'Oingt,  il y aurait des villages, dans le désordre, on pourrait les remonter sans jamais s'arrêter Saint Germain au Mont d'Or, Mussy, Poule les Echarmeaux etc ...

Là, je me suis assise, chargée comme une bourrique juste en face de ces gens. Et j'ai pris les gens sur mon dos. Comme ils étaient faciles! ils venaient  librement, approuvant, tout comme moi le destin collectif, de ces départs plus ou moins grands. Nous avons échangé quelques banalités à propos du temps puis de nos livres dans le mélange le plus parfait d'harmonie et d'indifférence. Et j'ai pris le wagon pour un livre, tandis que le temps m'allongeait.

(A SUIVRE...)

 

 FEVER RAY : "Now's the only time I know"

podcast

 

Photo : Un aperçu du panneau de la gare du Bois d'Oingt à 350 mètres d'altitude, où vivent les buisantins, les buisantines dans des maisons entièrement recouvertes de buis. Une bien belle image comme en aimerait en voir plus souvent. Photographiée derrière la vitre du glorieux 16846 en provenance de Lyon, la ville en Août 2010 © Frb