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mercredi, 28 mars 2012

Qui sont les poètes ? (re)belote

L'influence du poète ressemble souvent à celle de Chantecler dont le chant fait lever le soleil, à condition d'être chanté juste avant l'aurore.

Albert GUERARD, in "Les primaires',1937, cité dans "Le dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugements § le livre des bizarres" de Guy BECHTEL et J.-C. CARRIERE aux éditions R.Laffont, 1991.

Pour découvrir ce que racontent les poètes, vous pouvez cliquer sur l'image.pink floyd.JPG  

Le poète (ancienne orthographe : "le poëte") est celui qui dit ou écrit de la poésie. C'est donc celui qui possède l'art de combiner les mots.

Exemple :

Ogan labessé son danbo
Séban déboidur édobuie
Essé glondue débroidérie
Gonsollié rian clarido [...]

Le fin connaisseur en poètes aura bien sûr reconnu une parodie d'un poème bien connu que voilà  :

L'hiver a laissé son manteau / De vent, de froidure et de pluie / Et s'est vêtu de broderie / De soleil riant, clair et beau.

- Le poète maîtrise également l'art de combiner les sonorités

Exemple :

Damned Canuck de damned Canuck de pea soup
sainte bénite de sainte bénite de batèche
sainte bénite de vie maganée de batèche
belle grégousse de vieille réguine de batèche

[...]

Cré bataclan des misères batèche
cré maudit raque de destine batèche
raque des amanchures des parlures et des sacrures
moi le raqué de partout batèche
nous les raqués de l'histoire batèche

(extr. GASTON MIRON in "l'Homme rapaillé", Montréal, L'Hexagone, 1994)

 - Quand les sonorités se font clairement entendre le poète peut se mettre en scène il dira alors qu'il fait de la "Poésie Sonore"

Exemple  (visionnage vivement recommandé, à nous autres, les indifférents)

  - le poète a aussi le don de combiner les rythmes , 

Il connaît l'ARYTHMIE.

Exemple : Mes pieds. Merde. Quel système. Attendre l'arrêt. Ah !

Ne lâche pas son classique enfantin :  ÂNONNEMENT.

Un jjourrr surrr la pppl-a-tee-fforrmmm a-a-arri-ière dd'un a-au-autobusss...

Il sait pratiquer la RHINOLALIE OUVERTE c'est à dire que le voile de son palais (et ce n'est pas une métaphore, quoique...) est rabaissé quand il devrait être levé. Chapeau haut de forme, pour qui l'observe le poéte jauge la chose à la mesure de son esprit :

Exemple : "Guel chabeau ridigule !"

Il peut autant pratiquer la RHINOLALIE FERMEE

 Quelle heure est-il?
--- Bidi et debie.

- Le poète sait pour notre plaisir également évoquer des images:

Exemple :

Sur une branche morte
Repose un corbeau:
Soir d'automne!

BASHÔ : Haïku (traduction Karl Petit)

 - Le poète est aussi formidablement doué pour suggérer des sensations, des émotions.

A noter que notre exemple ici présente un cas particulier de poète en jupon (ou jupette), dans ce cas afin de bien marquer la différence entre le poète en pantalon bouffant ou en string moule-machins, ou pouêt pitre, en salopette, bien que souvent un poète qui se respecte honnira le port de la salopette, trop peu solennelle en cas de lecture publique, le poète peut-être en robe de bure grave christique, pour le poète ecclésiastique ou en robe de chambre pour amuser les pommes de terre, pourquoi pas en robe du soir nouveau le poète transgenre ? Hé oui, tout est permis au poète sinon c'est pas un "vrai" poète  enfin, pour désigner le poète en jupon on utilisera le terme très émouvant de poétasse poétesse.

Exemple :

Tu es, tout seul, tout mon mal et mon bien;
Avec toi tout, et sans toi je n'ai rien;
Et, n'ayant rien qui plaise à ma pensée,
De tout plaisir me trouve délaissée,
Et, pour plaisir, ennui saisir me vient,
Le regretter et pleurer me convient,
Et sur ce point entre en tel déconfort
Que mille fois je souhaite la mort.
Ainsi, ami, ton absence lointaine
Depuis deux mois me tient en cette peine,
Ne vivant pas, mais mourant d'un amour
Lequel m'occit dix mille fois le jour.
Reviens donc tôt, si tu as quelque envie
De me revoir encore un coup en vie.

Extr. LOUISE LABE  in "Élégie II" dans Anthologie poétique française, XVIe siècle 1, Paris, Garnier-Flammarion, 1965.

 - Il faut savoir que les poètes si nombreux soient ils, ont bien chacun leur genre.

Bien sûr, nous ne pourrons pas aborder tous ces genres en un seul billet mais nous y reviendrons, un certain joursans doute peut-être. (Je n'ai plus de connexion, le courrier est en rade, mes excuses aux lecteurs si je ne peux plus tenir mes promesses) donc pour patience abordons parmi ces genres classiques, le genre poème lyrique :

Exemple :

Je compose en esprit, sous les myrtes, Orphée
L'admirable!... Le feu, des cirques purs descend;
Il change le mont chauve en auguste trophée
D'où s'exhale d'un dieu l'acte retentissant.

Extr. PAUL VALERY in Album.

 - D'autres sont de style courtois (attention, digression !)
Qui dit courtois dit bien souvent que le poète cherche sa muse, ou son chat, (mais quand c'est son chat le poète sait alors redevenir comme vous et moi, un homme entre tous d'une prodigieuse simplicité et on le remerciera de rendre cela mémorable) mais un poète qui cherche son chat n'étant pas forcément un poète courtois il faudra préciser que celui qui cherche sa muse l'est toujours, qu'il la possède ou ne la trouve jamais au moins se différencie-t-il de l'homme ordinaire par ses super-pouvoirs imaginaire, tant et si bien qu'il finira par l'engendrer, sa muse, (c'est une image, bien sûr) à ce propos, prudence ! j'ouvre une innocente parenthèse pour ceux qui ne s'y connaissent pas plus en poètes que je m'y connais en moteur de voitures. warning ! le poète, peut à tout moment prendre ses aises et vous mentir en ayant l'air de dire la vérité, lisez plutôt:

J'aime Gala plus que ma mère, plus que mon père, plus que Picasso et même plus que l'argent

(S. DALI)

Dans ce cas, c'est peut-être vrai, ou faux, équivalent qu'importe, sachons que le poète a été mis au monde pour dire haut et fort et dénoncer avec éloquence toute les médiocrités humaines, rendons grâce au poète dont l'éloquence (ce qu'il faut retenir) a goût de rendre justice, dénoncera tous nos bas instincts, on le croira mais croire Dali "plus que l'argent", ça inspire certaines "méditations poétiques", pourquoi pas ? Et on serait bien bête de ne pas se laisser charmer par les mondes flottants de ce cher Phonce de Lam, (j'emprunte le sobriquet à au seul pouête grosnien connu ici, toujours ami, merci à lui !) car par les temps qui courent, une ombre de vieux chêne ça ne se refuse pas. (Un diable d'enchaînement) :

 

Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.

Cependant, s’élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs ;
Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante :
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m’attend.

 

Après ce trop court moment de grâce, pour en revenir à nos oiseaux je précise pour les moins de vingt ans qui liraient ce blog que "Gala" n'est pas ce magazine des princes et des princesse mais la brune dame que Salvador Dali (alias Avida Dollars) avait piqué à Paul Eluard, (alias Eugène Emile Paul Grindel) et là ce n'est pas un anagramme mais nous constatons contre toute attente, que le poète peut être un brin goujat comme les gens ordinaires, or, qu'il soit menteur ou goujat, contrairement aux gens ordinaires il faut savoir tout pardonner au poète car s'il mène parfois une vie de barreaux de chaise, (pas tous, il existe des poètes aux moeurs très convenables), ce sera toujours pour vous céder le testament, (non pas celui des barreaux de chaise), regardez !

 http://www.youtube.com/watch?v=-Vlkypk36qQ

A propos de la dame, Paul Eluard épousa Gala en 1917 comme chacun sait, mais le remariage de Gala avec Dali et de Eluard avec Nusch, ne dégrada pas la ferveur d'une belle correspondance entre Gala et Paul Eluard, qui dura au delà de leur séparation (en 1929 jusqu'en 1948) quatre ans avant la mort d'Eluard. Le témoignage de cette relation épistolaire se retrouve encore dans un livre étonnant qui s'intitule "Lettres à Gala".

Tout ça pour se retrouver (on ne sait pas trop comment) au Moyen-Âge et vous citer un exemple de poésie courtoise ce qui n'a strictement rien à voir avec les surréalistes mais les poètes forment une grande famille, ils n'ont qu'une terre de reconnaissance - par delà les frontières du temps qu'ils savent abolir (et hop ! voyez comme on danse !).

Ainsi, par l'exemple à venir nous n'hésiterons pas à enfourcher  chevaucher la machine à remonter le temps, (en poésie, l'impossible n'est plus un problème) pour vous proposer une poésie qui est un roman en fait, mais en vers, sacreblou ! ça ressemble à s'y méprendre à de la poésie courtoise)

Ele fu longue et gresle et droite.
De moi desarmer fu adroite;
Qu'ele le fist et bien et bel.
Puis m'afubla un cort mantel,
Ver d'escarlate peonace,
Et tuit nos guerpirent la place,
Que avuec moi ne avuec li
Ne remest nus, ce m'abeli;
Que plus n'i queroie veoir.
Et ele me mena seoir
El plus bel praelet del monde
Clos de bas mur a la reonde.
La la trovai si afeitiee,
Si bien parlant et anseigniee,
De tel sanblant et de tel estre,
Que mout m'i delitoit a estre,
245 Ne ja mes por nul estovoir
Ne m'an queïsse removoir.
Mes tant me fist la nuit de guerre
Li vavassors, qu'il me vint querre,
Quant de soper fu tans et ore.
N'i poi plus feire de demore,
Si fis lues son comandemant.
Del soper vos dirai briemant,
Qu'il fu del tot a ma devise,
Des que devant moi fu assise
La pucele qui s'i assist.

IVAIN (ou yvain) cité dans Auerbach 

 - Autre style du poète sorti d'une trempe vieille comme le monde : Le poète courageux qui n'hésitera pas à se lancer dans la poésie épique,  évoquant des événements historiques mêlés généralement à des légendes ou des héros sont magnifiés. Il s’agit en réalité d’accorder à un fait ou à un héros une grandeur, une dimension quasi surnaturelle. Sur ce coup du poème épique, entre nous, j'ai la flemme, mais je vous renverrai à ce qu'en dit Melle Chardon, poétesse au club-poésie de la Scala de Vaise, je cite :

Il ne faut pas confondre la poésie épique avec la poésie qui pique [...]

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/03/29/menage-de-printemps.html

[...] Ni avec le Merlin du picnik" :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/10/29/30...

Bon. C'est pas bien malin. J'en suis presque gênée pour cette pauvre Melle Chardon et moi-même. Enfin, pour terminer par delà soucis et controverses. Il y a tout de même une petite ombre au tableau, le destin du poète ne figurant dans aucun programme d'aucun candidat pour cette présidentielle, les arts en général paraissant de tous bords ignorés (sans jouer les martyrs), on est en droit de se demander avec quoi le poète il va pouvoir becqueter, surtout quand on voit le nombre de poètes obligés de vendre de la barbapapa à la vogue, bien qu'il n'y ait pas de sots métiers, il est grand temps d'anticiper : qu'est ce qu'on va faire de nos poètes ? Est ce qu'on les garde ? (Pour s'occuper des femmes en cas de guerre). Est ce qu'on les recycle ? (Pour animer des soirées dans des chateaux par exemple... ). Là, j'interroge nos politiques, "c'est une question de vie". (Sûr qu'ils vont prendre en compte !). Et je joins au lecteur adoré deux liens facultatifs. Rien que dans l'objectif.

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/10/30/po...

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/10/30/co...

La prochaine fois, je ne sais quand, je vous parlerai du poète dramatique, du poète spatialiste, du poète maudit, des oulipiens, des poètes lettristes, puis, si on a le temps de l'héritage des peintres... ?

Photo : Parortit sed topètes ua bani uo toiser ud trempins des opètes, sènec rera, gratiophophée nu sori à l'erheu ed l'épifitra, au Parc de la tête d'Or à Lyon.

© Frb 2012.

dimanche, 28 août 2011

Sur la tombe de Marcel Duchamp

Pour éviter tout malentendu, nous devons répéter que ce "coefficient d’art" est une expression personnelle "d’art à l’état brut" qui doit être "raffiné" par le spectateur, tout comme la mélasse et le sucre pur. L’indice de ce coefficient n’a aucune influence sur le verdict du spectateur.
 Le processus créatif prend un tout autre aspect quand le spectateur se trouve en présence du phénomène de la transmutation, avec le changement de la matière inerte en œuvre d’art, une véritable transsubstantiation a lieu et le rôle important du spectateur est de déterminer le poids de l’œuvre sur la bascule esthétique.
 Somme toute, l’artiste n’est pas seul à accomplir l’acte de création car le spectateur établit le contact de l’œuvre avec le monde extérieur en déchiffrant et en interprétant ses qualifications profondes et par là ajoute sa propre contribution au processus créatif. Cette contribution est encore plus évidente lorsque la postérité prononce son verdict définitif et réhabilite des artistes oubliés.

MARCEL DUCHAMP : in "Duchamp du Signe", éditions Champs Flammarion, 1994.

Duchamp post mortCF9089.jpg On pourra se demander en passant où sont les artistes ? On trouvera peut-être la réponse soit en creusant un peu, soit en se couchant voluptueusement sur la dernière résidence (secondaire) de Marcel Duchamp. Marcel Duchamp, (c'est écrit), aimait placer le spectateur dans la peau du flâneur à cette exception près que le désir de celui-ci, de contempler petit à petit les transformations du monde,  tout livré à son propre désir lui soit retourné brutalement par l'indifférence que l'objet suscite en lui. Cette chose n'est plus regardée / mais on sait qu'elle existe. Pour la grande question vous pouvez frapper à sa tombe, (ci-dessus), au delà des questions il s'y trouvera peut-être encore une présence ? ...

Photo : Qu'y a t-il après le ready-Made ? Ou comment regarder l'oeuvre en face ? Une boîte verte cette fois sans épitaphe, (ni moustache). A première vue, ceci est bien la tombe de Marcel Duchamp (et des siens) on la trouve désormais dans tous les bons cimetières, on peut même la fleurir avec une rose. Rose parce que Rose... (Je vous en prie... ) ! à moins que le lecteur (pas si dupe) préfère remplacer le foulard de RHozan-Muttkebo par un mouchoir et ni vu ni connu le spectateur entourloupera l'artiste. Certains jours le cimetière boscomarien se transforme en sanctuaire dada, le grand verre de Duchamp vire en petit vert du champ, (merci Marcel Vermot) Il existe une autre tombe (où est la vraie ?) qui se trouve à Rouen, sur laquelle on peut lire (et cliquer) :

 

"D'ailleurs c'est toujours les autres qui meurent".

 

 

 

Photo © Frb 2011.

dimanche, 18 juillet 2010

Rubans

Le train de nouveau le veau spectacle de la tour du beau je reste sur le banc qu'importe le veau le beau le journal ce qui va suivre il fait froid j'attends parle plus haut des coeurs et des feux roulent dans ma bouche en marche et des petits enfants dans le sang [est ce l'ange ? Je parle de celui qui s'approche] courons plus vite encore toujours partout nous resterons entre des fenêtres noires.

TRISTAN TZARA, extr. "Vingt-cinq poèmes" achevé d'imprimer en 1918 chez J. Heuberger pour la Collection Dada, Zurich, Zeltweg 83.

urubu0033 bis.jpg

La glace a pris le pouls du coeur des frondes. La forêt maculée de sang et peuplée d’exploiteurs d'enfants est sauvée par ce point qui mène à la caverne où l'autre, un transhumant, trace des lignes sans cesse. Dans sa main un fusain, dans l’autre une palette, il sème des pigments bleus où mûrissent des hommes à tête de chiens, de veaux. Il chrome les parterres d’éclipses et de comètes, renverse toutes les encres pour camoufler l'îlot qu'on dit de rêve sur lequel s'inviteront un jour des créatures d’un autre temps, peut-être. Aux veines capiteuses des peintures, s’emmêlent le délié fin des lianes, les coquillages et leur poison. On effleure des bambous haut de plus de vingt mètres. On ne rembourse rien. On ne revient jamais. Le voyage est gratuit pour chaque volontaire. On le couche dans l'herbe, on le nourrit de baies. On l’emmène dans les mondes où il vivait naguère, lécher les gouttes de rosée sous les draps qui sèchent au soleil, embaumés des étreintes, des voluptés d’hier... Vanilles, préciosités, notes d'ambre, aldhéhydes. La rivière est couleur de menthe acidulée. On le trempe, on le baigne. A ces ébauches molles se mêle un joug épais comme celui d’une plaie fondue sur l’épiderme. L'être vain se refait. On le peint sur la pierre. Et les corps n’y résistent pas. Ils perdent leur substance, roulent dans l'avalanche. Déconstruits enfin, purs, on effacera la trame de tout leur mouvement, la mémoire et les charmes. On anéantira définitivement le mystère. On fera retomber ce pan. Sur la ligne où va le courant, un autre vient, trace des lignes sans cesse. Dans sa main un fusain, dans l'autre une palette. Il chrome les parterres d'éclipses et de comètes, puis sculpte des squelettes dans les plis de ces pierres qui revivent enfin, gorgées de sel et d'eau. L'aubaine s'acquitte bien, jouxtant les fausses plinthes. Ce ruban dès demain s'enroulera sur lui même.

Photo : Petite complainte de mon obscurité (la complainte de Tristan est un petit peu plus grande) ou crucifixion (?) en presqu'île, entre la Tupin et la Ferrandière. Ex quartiers chauds devenus chouïa sibériens. Graff bleu sauvage, ou peut-être sacrifié anonyme dessiné à l'arrache, entre les nuits, le jour. Photographié au début de l'été 2010 à Lyon. © Frb.

lundi, 08 février 2010

Du pain et des jeux

" O gentilshommes, la vie est courte... Si nous vivons, nous vivons pour marcher sur la tête des rois."

SHAKESPEARE: (Henry IV).

du pain et des jeux.JPGAvoir du pain sur le pain.

Tomber dans le pain.

Pousser comme du pain.

C'est fort de pain !

Pressé comme le pain.

Tirer les marrons du pain...

Nota : La célèbre formule "panem et circenses" = "Du pain et des jeux" date de l'Antiquité romaine.  C'est Juvénal qui en est l'auteur. Il l'a écrite pour évoquer les besoins fondamentaux du peuple de Rome qui vivait alors dans la misère. Pour éviter les émeutes et les révoltes, les consuls et les empereurs ont organisé des distributions de farine gratuite, avec l'aide des boulangers devenus fonctionnaires d'Etat au 2ème siècle avant J-C. Cette tradition s'est maintenue jusque sous Aurélien. Et plus tard comme on sait.

Du pain et des jeux
et le peuple sera content,
il suivra aveuglément
les lois des Seigneurs-Dieux.

Relire de toute Urgence : GUY DEBORD: "La société du spectacle" 1967. (Bon pour ton poil ô mon lecteur!). Extrait choisi :

"Le détournement est le langage fluide de l'anti-idéologie. Il apparaît dans la communication qui sait qu'elle ne peut prétendre détenir aucune garantie en elle-même et définitivement. Il est, au point le plus haut, le langage qu'aucune référence ancienne et supra-critique ne peut confirmer. C'est au contraire sa propre cohérence, en lui-même et avec les faits praticables, qui peut confirmer l'ancien noyau de vérité qu'il ramène. Le détournement n'a fondé sa cause sur rien d'extérieur à sa propre vérité comme critique présente"

Photo : Détournement de pain. Photographié dans la vitrine du monopain de Lyon. Croix-Rousse. Février 2010.© Frb.

dimanche, 31 janvier 2010

Là où nous ne sommes pas

A vendre les Corps, les voix, l'immense opulence inquestionnable, ce qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas à bout de solde ! les voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de si tôt !"

ARTHUR RIMBAUD : extr "Solde" in "Illuminations". Librairie Générale française 1984.

IMG_0197.JPG

Pour lui plus activement, j’utilisais mon influence en l’aidant à porter le plus lourd bonheur au sublime. Une fine vapeur, et je crus voir s’ouvrir le ciel, des années de jeunesse, un premier mot dont je réalisais qu’il était de la plus grande importance. En louanges serrées, dans cet aimable lieu où les roses griffaient les murs, me revenait toujours le son volumineux d’un adage pendu aux fresques de Janvier. De toiles lues dans l'ombre en descriptions de runes, je vis venir la nuit dévorer le matin. Une vision où l'espace balayé par les brumes traînait des fusées lentes et des flacons de vin.

Pillage et contrebande, paradis sans cépage, coupé tout net à la racine. Pour lui plus activement je remuais les trains en m’étonnant qu’ils glissent ensemble sur tant de lignes à la même heure et en même temps. Des cahiers de jeunesse d’un goût très raffiné s'effeuillaient dans la moleskine. “puisque vous êtes si bête, enfin... me disait il... il serait doux de nous trouver bêtes en même temps, un jour, ou deux, entre ces lignes".

En attendant, j'apprivoisais sous les voûtes romanes des animaux bizarres à ventres de fourrure. Tout cela paraissait de l’ordre du devoir et du travail bien fait.

Pour elle plus activement, avec des gants blancs de jardin, il remuait le ciel, la terre en s'amusant, et je renversais tout sur un nid de serins où se liaient patiemment les digitales brunes.
Ensuite je rentrais au logis. Il y avait les horaires des trains et ceux de la toilette du troupeau d’élandins qui dans mon esprit se mêlaient, c’est ainsi que souvent, je mettais la ligne après le point, et le chapeau du i sur les ê. Les trémas restaient dans ma main. Pour ne pas me faire prendre j'accentuais les graves.

”Puisque des jours ne t’ont laissé qu’un peu de cendre dans la bouche” (1) ...

Pour lui plus activement, je mélangeais mes cigarettes aux fumées des usines, mes poumons me semblaient plus grands. Les bons amis assis sur des petites chaises conversaient de nous au salon.

Pour lui plus activement, je déposais dans la rivière des gros cailloux, des petits bonbons effervescents, tout enrobés de réglisse et de zan qui pétillaient dans l'océan. Les trains transportaient des ébats et des sacs à dos en peau de chèvre. Dans cet aimable lieu, des baisers de géants explosaient les séries de chaises. “La vie est donc éparse à ce point !", nous disions-nous gaiement. Les amis tombés de leurs chaises trouvaient qu’on ne tournait plus très rond, et dans le wagon Treize du rapide “Rhône-La mer”, des hommes chargeaient les épuisettes des pêcheurs de petits bonbons.

Ainsi tout de travers, j’entrais sous une chappe pour lui dans ce silence
qui régnait au salon. Elle repeignait les chaises, et je vis notre rêve renaître doucement :

Tous les gens du salon, se transformaient en chèvres.

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Nota (1) : Cet extrait cité plus haut, a été emprunté au poète Paul-Jean TOULET

Photos : Un des murs des menus plaisirs ou des pires lamentations, (tout dépend des jours), vu au coeur de la Baraban (pour les gens), "pissenlit" en patois, (pour les bêtes). Quand en hiver, les murs racontent l'histoire de l'art ou celle de la peinture... Photographié l'année dernière, rue Baraban du côté de Paul Bert à Lyon © Frb.

mercredi, 11 novembre 2009

Approximations

les cloches sonnent sans raison et nous aussi
nous partons avec les départs arrivons avec les arrivées
partons avec les arrivées arrivons quand les autres partent
sans raison un peu secs un peu durs sévères
pain nourriture plus de pain qui accompagne
la chanson savoureuse sur la gamme de la langue
les couleurs déposent leur poids et pensent
et pensent ou crient et restent et se nourrissent
de fruits légers comme la fumée planent
qui pense à la chaleur que tisse la parole
autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous
[...]

TRISTAN TZARA  (1896-1963): Extr: "L'homme approximatif". Editions Gallimard 2007.

ho approximatif.JPG Les cloches sonnent sans raison. Nous ingérons mollement un peu de tout et son contraire. Tony troque son rêve d'enfant pour un nécessaire à prison. TZARA croise Tony, une seconde à peine. Les deux ont sans doute pleuré longtemps sur la route, une valise à la main. Le temps d'arracher à la camionnette sa béance pour quelques biftons. De broyer les rouages du monde, d'en extraire l'acier, de renverser la dette de la renvoyer muette, à son acte de contrition. Peu importe si l'histoire est fausse. La rumeur est lancée. Elle deviendra légende. L'anti banque frôlera l'anti-art. Les fulgurances sont éternelles, c'est à peu près tout ce qu'on en sait.

Ailleurs, Tristan trie les coupures, des papiers durs, des papiers doux. Il pose sur sa tête, un entonnoir volé au brigadier Hugo, chef des fanfares au cabaret. Des fantômes glissent à l'embouchure. On en fera des tire-bouchons, un entonnoir, plus strident qu'une trompette, plus sourd que la corne de chasse. Au fond des bois, l'auteur deviendra étranger, sciant la branche qui le porta. Soufflant à nous ensucrer les muqueuses dans un pipeau en chocolat.

Une fable poursuit le poète, cassée par des sonorités cruelles, pas d'antidote pour l'anti tête, qui raffole des portraits sépia. La caravane abonde, un convoi mis à nu visant le Dchilolo Mgabati Bailunda. Les chiens de bonne famille aboient. TZARA parle tout seul. Il fracture les coffres aux soirées folles où l'on trempe les amuse gueules dans les petits suisses, jusqu'à l'effritement de la harpe à Dada, tout s'ébauche sans peine à Zurich, là où la guerre (14-18), (c'est décidé), n'existe pas. Tout retourne au désert, sur des sables branligotants, des oasis mis à l'envers sont balayés par le courant. On jase encore des nuits entières dans le dos de monsieur bleu bleu, tout sautera dans la bétaillère avant qu'un nouvel ordre enchaîne. La poésie mangeant les cheveux de ses ancêtres avec les doigts. Sur la stèle écrasée de lettres, Dada glisse son piège à rats. Ainsi toute une bande de pouêts, embrasés, dans la joie, posera son cul à la fenêtre pour rien. Juste comme ça.

Un feu rapide pulvérise ses proies. Un autre temps, inédit se précise par le verbe chauffé à blanc, les proies se noient, brûlant des vie de jeunes fauves aux bûchers tendrement. Quelques réjouissances éphémères sur un sourire fondu en sang, et recraché dans le Grand verre. TZARA  épuisera sa pudeur à dénuder des souveraines que le royaume n'intéresse pas. Au cabaret Voltaire, le pseudo, étripe sans cesse les formules incontrôlables le fatum, l' ironie du sort. Le prénom juif de Samuel, se fera wagnérien.

Dada compose de l'art plastures de la littératique. Partout, ailleurs des hommes tombent. On pleure. On creuse. On cautérise. Dada la boucle, Dada fait mine. Des alphabets pierreux s'érigent, les paysans comptent les corps. Des filles hurlent d'horreur, aux vues de leurs fiancés, des soldats valeureux revenus de très loin, avec des gueules cassées. Pendant ce temps, Tristan coule son or en fourbis dans toutes les fissures. Par ce bel évasement s'échapperont des oxymores :

"Ainsi fûmes-nous désignés à prendre comme objet de nos attaques les fondements même de la société, le langage en tant qu'agent de communication entre les individus et la logique qui en était le ciment."

L'être humain se désarticule. Au cabaret déboulent les monstres de Léonard. On fermera les portes du lieu 6 mois plus tard pour tapage nocturne et tapage moral. Mais peu importe ! un épandage planétaire aura eu lieu. Irréversiblement. A la queue des belles lettres, à leurs pleins et déliés, s'aggrippent à jamais au bout d'une ficelle, la sangsue et le staphylin guettant le verbe invertébré. Tout le décor du monde n'y pourra rien changer, ni biffer l'unité de mesure vouée aux cartons d'emballage. L'alexandrin se meurt sur des crocs de bouchers. Le parnasse survivra pour la pérennité mais de sa bouche exsangue ne sortiront que des voyelles déjà sciées sur l'établi du prophète ardennais qui avait entendu, bien avant que ne se gonflent tous ces coussins d'oiseaux, le murmure de monsieur Cri Cri en de lointaines incantations. Appliqués à toute chose, les déchets s'élaborent dans le photomontage. Kurt Schwitters à Postdam éructe l'Ursonate. Bientôt une autre guerre. Entre les deux trappes mondiales, la phonétique attaque le temps... Et enfin, "La main passe"...

"Marié aux larges masses d'insoumis, brassé dans l'universel attroupement des choses, livré aux dénicheurs de graves tourments, aux radicelles humaines figées dans le recueillement et la complicité des jaloux, tu te regardes accomplir les gestes quotidiens dans les limites serrées des souples branches. Au désir de papier buvard, tu t'opposes, tu t'agites sous le vent d'un sillage toujours en fleurs. Que je n'arrive pas à distinguer des choses les fantômes des parties qui ont aidé à leur épanchement hors de moi, cela est dû à la continuité de leur action médiatrice entre le monde et mon adolescence. Et, désormais soumis à un sentiment, morcelé et étranger, de gouffre, pouvais-je, sinon subir avec terreur leur désertique et ferrugineux appel? Tout l'espace terreux se cabrait sous les bancs de nuages. Je me suis entouré d'hivernages fragiles, de forces desséchantes. Que reste-t-il d'humain sur les glabres visages tannés par les lectures et les astreingeantes politesses des dossiers dont je me suis constitué un décor famélique? Coutumière faiblesse il sera dit un jour de révolte que les yeux qu'on a cherchés étaient vides de la joie des hommes. Et les hommes et la joie, j'ai toujours essayé de me mêler à eux, à défaut de la féroce fusion promise que l'on trouve cependant encore vivante au fond résiduel des contes, parmi les germes de froid et les portes parsemées d'enfances."

Tristan TZARA . La Main passe - 1935 -

Photo : De "l'anti-art", à "l'anti-banque", le courant passe. Les mains sont vides et les sacs toujours pleins.  Tandis que TZARA reste toujours introuvable,  C.J. retrouve la trace de Tony Musulin (de dos) déguisé en détective privé pourvu de faux diplômes du passeur doux vaguement notaire. Vu il y a quelques jours, avant la réddition. Et un peu plus de trois ans avant nos épousailles. Lyon, rue Gentil. Novembre 2009.© Frb

vendredi, 06 novembre 2009

Dada doux

"Âne. Le lapin devenu grand"

JULES RENARD :  Extr. "L'âne" in "Histoires naturelles". Editions Flammarion 1999.

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"Parfois l'âne, à cause d'un chardon qu'il flaire, ou d'une idée qui le prend, ne marche plus.
Jacquot lui met un bras autour du cou et pousse. Si l'âne résiste, Jacquot lui mord l'oreille.
Ils mangent dans les fossés, le maître une croûte et des oignons, la bête ce qu'elle veut.
Ils ne rentrent qu'à la nuit. Leurs ombres passent avec lenteur d'un arbre à l'autre.
Subitement, le lac de silence où les choses baignent et dorment déjà, se rompt, bouleversé.
Quelle ménagère tire, à cette heure, par un treuil rouillé et criard, des pleins seaux d'eau de son puits ?
C'est l'âne qui remonte et jette toute sa voix dehors et brait, jusqu'à extinction, qu'il s'en fiche, qu'il s'en fiche."


Klaus GROH : "Dadadance"

podcast

 

A écouter un petit clin d'oeil (glamouroso) à l'âne, extrait du magnifique album "Spazio" de Fabio VISCOGLIOSI : http://www.deezer.com/listen-222718

A découvrir : Le merveilleux baudet du poitou. Le plus beatnik des ânes. (Une very spéciale dédicace à Liam, en passant) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Baudet_du_Poitou

Photo : Auprès de mon âne. (Equus Asinus), à la robe grise, aux yeux très doux, j'entends les sons de la montagne en multistéréo. Photographié dans un grand champs près de Montmelard. Nabirosina. Octobre 2009. © Frb.