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vendredi, 01 février 2013

Avalanche

Et je m'en vais à Panama pour vivre en sauvage. Je connais à une lieue en mer de Panama une petite île (Taboga) dans le Pacifique, elle est presque inhabitée, libre et fertile. J'emporte mes couleurs et mes pinceaux et je me retremperai loin de tous les hommes. 

PAUL GAUGUIN

 

biche bnn.jpg 

Il n'a rien entendu de particulier, il s'est contenté de regarder. Il est sur la ligne de départ. Autour de lui le bruit gagne. C'est le seul argument qui retient l'attention, et semblable aux mouvements précédant un parcours, lassé de parcourir, il voit le paysage réduire les perspectives, quelques mots devraient suivre, qu'il tait. Il ne suit pas.

Ce thème est un motif qui vaut un peu la peine de décrire ce qu'il reste, ce qui va disparaître. Il choisit la plus sotte expression parmi des milliers d'expressions possibles, un confort creusé en ce trou, un nombril aspirant, tiède encore, les plaies brûlantes de l'homme, ou les battements d'un coeur humain pas plus qu'un aspirant de rien allant à l'interligne dans l'épaisseur du bruit glorieux de ses échos.

Il y a le temps qui vient, dresse une chape et ça couve sous son poids de chair vive, ça donnera une valeur factice à la surface, quand une porte bat aux vents, quand l'éclat de ces feux attractifs rend l'univers massif, il referme sa fenêtre, il n'aura bientôt plus à se battre pour les siens.

Il a rayé son nom, il a songé aux possibilités d'anéantir enfin sa faculté d'écrire, pour s'en remettre à ce silence d'une cathédrale ou d'une bibliothèque. Oserait-il au moins peindre ? Des Carceri à la mine de plomb, le prix de ses efforts, et puis des fleurs encore, quelques lettres de l'île puis la disparition d'une marge qui portait la couleur dans une ligne de fuite. C'est peut-être un ersatz ou c'est le labyrinthe d'un lieu qui nous décime, milles convives aux fenêtres entre eux autant de vitres, là, de grandes mosaïques comme à Constantinople. 

Il fouille dans cette matière, quand revient la jachère, il y voit un soleil privé de ses ombrages, l'espace habituel où chacun arbitré dans le langage d'un autre réfute l'obscurité porte une perspective de puits et de falaises sur une place noire de monde.

Un mot encore si près à le couvrir de honte, y affûtera son verbe et l'éloquence qui vit toujours en légéreté, impérieusement tenue portera à nos lèvres l'unique grande vérité, la tienne et celle des autres, dans ce fût, sur l'étage du Beaujolais nouveau, la langue et sa piquette, t'as vu ces grands tonneaux à présent tu t'étonnes qu'ils se déversent copiant le bruit du pacifique, épanchant une série de vagues bien tempérées et délayant le corps qui se tait, le défait, comme se défait le verbe.

Il ne peut rien en dire, nous capturons de force ce point d'inanité, c'est à peine une cible qui nous veut repliés dans cette obscurité, elle va nous réfléchir, nous briser, l'emporter, qu'en sait-on ? Qui pourrait nous instruire ?

Nous serions tels que lui, des modèles d'écorchés, barrés de croix, de traits, des figures portant peine à la brutalité où la mort du désir peut encore l'emporter, ne tiendrait qu'un espace lentement annexé ; l'innocence consommée, il faudrait retrouver un mot à prononcer pour cet homme qui ne qui ne sait plus parler.

Un pas de plus, il souhaite couronner son effort, dépasser les obstacles pour bâtir un royaume au flottement discret, des airs de flammes muettes courant sur nos jouets qu'une vague achemine dans le ravissement où l'ignorance nous tient à tout heure disponibles, un bon rire à demeure tel qu'il fût toujours prêt, générant une série d'accidents, de minuscules enclaves où le mot est jeté où le désenchantement se reproduit à l'identique, tandis qu'il essaye de jouer pour simplement jouer.

Un pas de moins, les marchands de plaisirs passeront sur sa peau un baume rafraîchissant, il reluit à nouveau il est comme liquidé mais il reluit pourtant. On peut le suivre ou l'oublier se faire lentement rattraper ou souffler ce pion solitaire, mais cela n'a pas plus d'importance que ce qui est secret et devra forcément nous taire.

Il payera. Il payera en retour du désir affamé de s'affamer encore, quand l'oeil fou qui dévore des vies à la seconde aura mis des cailloux dans cette immense bouche, la sienne voudra se clore, saborder ce qui porte en dedans, ne trouvera aucun mot pour extraire une manière de recommencements à cette fin qui résiste à comprendre.

On connaît le passeur obligé de se rendre. C'est partout le même quai, alignant une suite de croix et de carrés. Partout c'est un poème qui recomptera ses pieds, ça forme sous le soleil quelques cristaux de glace et des ronds de fumée quand la lumière prend l'ombre ou peut-être autre chose, la marche se soustrait, l'homme fume une cigarette et nous voit sidérés que le vocabulaire n'ait jamais su faire mieux que nous aider à exprimer cette sensation profonde de n'avoir rien à dire.

Ca fait longtemps qu'il sait. Il mâchera les cailloux, et sentira la terre lui porter des pelletées, un semblant de jachère devenue cette palette de noirs et de blancs contenant un ensemble de couleurs ou l'absence de couleur. Il goûtera la nuance, afin de se mouvoir d'un espace à un autre sans tirer aucun trait, aucun plan, aucune des conséquences. Il est dans les reflets ou l'absence de reflet comme à ces premiers jours, naissant un peu trop tard, il a pris de l'avance, il se pelotonnait contre un arbre et goûtait au silence sous un ciel moutonné masquant les voix violentes, des ébats festifs d'où revenait puissante, une foule assurée.

Il n'y a plus à douter, pour traverser les lignes, sortir de cette violence, on se dit que parfois il faudrait marcher seul, quand la mécanique sourde continue à cibler, à broyer, elle n'aura pas de phrase pour dépouiller le geste qui recouvre le ciel d'un champ de tournesols. Il n'aura pas besoin de ces flux de paroles pour aimer ces baigneuses divines indolentes ou saisir le silence d'un dernier grand concert dans la fine transparence, les nombreux coups de couteau donnés à la matière, sont peut-être identiques, à ceux que l'on nous donne.

Un mot ne tiendrait pas à capturer cet homme, ou demander pourquoi ces entailles n'ont pas entaillé le visage des nombreux regardeurs ? La question le déplace. Il est là, et il fume du tabac parfumé. Son geste le retient, entre une drôle de clarté et le flou inhérent à la nécessité de se tenir toujours plus près du précipice. De n'en rien ignorer, à présent, il savoure plutôt garder ce vide bien en main, que de craindre l'effroi qui le rendra muet, avec cette habitude de ne parler qu'à soi, d'en ressentir l'outrage sans pouvoir accepter que nous serions tenus de battre ce pavé, nous livrer, nous lustrer, cumuler les effets, de quoi bien tapiner.

Il redoute le courant réducteur, et le malentendu qui placera son coeur d'homme entre le singe et la savane, il comptera sur les doigts d'une seule main ceux qui ont pu survivre à cela sans se fossiliser, sans se faire braconner, ceux qui ont pu créer encore, pour changer la vie quelquepart, pas seulement l'énoncer, non seulement l'énoncer, mais l'appliquer sur soi,  pas gagné ! ce qu'il reste de cobayes ne serait pas si doué à satisfaire ces files qui se massent aux musées, des foules reconnaissantes, l'artiste mort estimable, une somme de vies ratées pour battre des attraits, mourir dans les images.

Longtemps, longtemps plus tard, il trouvera quelques pièces détachées, elles nous tiennent à portée sur un filet de bave, un cri vaste oublié, le prenait corps et âme, et pouvait nous relier par une sorte de chant du monde inépuisable, mais encore trop lointain. Il a vu ce matin, Panama sous la neige, et sa jeune vahinée venue emmitouflée le plongera à nouveau dans l'extase.

 

De la neige et une bestiole inoffensive pour adoucir la dernière ligne droite de l'an 2014.merci à ceux qui ont suivi ce blog, malgré un temps d'arrêt involontaire, une panne d'ordi, et la vie (la vraie) s'y mettant en travers j'ai dû m'astreindre à des obligations laissant la panne courir en cette années si peu clémente qui m'a contrainte à imposer au blog une sorte de latence, le courrier est en rade, depuis pas mal de temps avec un sérieux bug et un bazar en dedans encore compliqué à résoudre  Mes excuses à ceux qui ont écrit, des mails dont certains  datant de cette été ne me sont parvenus que récemment, des courriers sont perdus, pour l'instant, introuvables, ici une zone de flou d'autres les courriers rescapés restent en rade la possibilités d'acheminer correctement les réponses restant aléatoire, je m'abstiens pour l'instant, à suivre, donc, pour l'instant je dédie au Noêl et à la Noêlle et aux autres, s'ils s'y trouvent

 

Echappée belle : à lire et regarder, le livre de Gauguin, "Noa Noa"  paru aux éditions J.J. Pauvert en 1988.

 

Photo : Taboga en hiver, ou le départ de l'élandin.

 

Là bas © Frb 2013.

mardi, 26 juin 2012

Entre la trace et l'effacement

Les années passaient, l'aller et le retour des saisons emportait la vie brève des animaux.

GEORGES ORWELL : "La ferme des animaux", éditions Champ libre 1981.

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Une parenthèse dans les orages, à la claire lumière de l'été, nous passons des journées allongés sous les arbres, un détail aura échappé, personne n'y prenait garde, qui travaillera le temps, la trace, l'effacement, qui ouvrira des vannes de la source à l'étang, de l'étang à ces sables, jusqu'au prochain tournant.

Il reste ce goût sur la langue que tu sucres ou tu sales selon la mémoire des festins. Il reste ce sourire quand tu portes sur ton corps la peau du petit lièvre, la chair de ces bêtes, tout ce sang, des cornes en tout genre versées dans de vastes corbeilles et rangées dans ces caves.

Ces bêtes portaient de jolis noms : Nyala, Oribi, Cob, Oryx, Impala, Bongo... Elles couraient dans ta tête, elles te rongeaient le ventre, et quand elles se couchaient sur nous, nous étions souples et beaux. Tu menais le troupeau avec le grand Koudou, tu devenais toi-même le futur grand koudou quand la plaine était plaine, l'eau limpide, quand la source ne pouvait se tarir. Tu portais sur ta tête la couronne de lauriers qu'aucun homme ne cueillait pour toi, mais le troupeau en toi déployait tant de forces qu'il te para imperceptiblement d'une crainte et de cette cruauté jamais vue avant toi. Depuis rien n'a pu vivre en  paix.

C'était même inutile de vouloir résister. Ca remuait plus de sécheresse que ces hameaux perdus où nous montions la garde, incapables de céder à nos plaintes, couchés dans la position incommode de l'animal qui ne sait plus se servir de ses défenses. Camouflés sous l'ocellement des feuillages, confondus avec les obstacles, nous portions des anneaux autour du cou et nos pattes s'enlisaient. Nous tâchions d'encercler le passage sur le point de commettre de ces bizarreries qui échappaient peu à peu aux nouveaux règnes des lieux.

Quels vivants étions nous ? Fuyant à pesantes foulées la terre qui nous avait vu naître. Une parenthèse dans les nuages, lesquels, croyait-on, échappaient. Nous n'avions pas su qu'au village les chairs s'arrachaient à prix d'or à l'étal des bouchers tout paraissait normal.

Souviens toi, si les règnes nouveaux n'ont pas liquidé ta mémoire, que ces bêtes portaient hier de jolis noms: Impala, Oryx, Cob et Bongo devaient vivre à l'écart ou peut-être se cacher sous terre entre les dalles occupant de vieilles concessions expirées. Nous étions comme ces êtres qui trop jeunes avaient dû cotoyer la mort de si près qu'ils étaient condamnés à errer jusqu'à ce que leur heure soit plus naturellement venue. Comme eux, nous allions mimer un instant l'effacement, déplacer les racines d'un monde pour vivre au ras des flots dans les ruines mouvantes des châteaux en tâchant de détruire le tableau du festin de leurs chasses.

Quels vivants étions-nous ? Chaloupant sans une barque qui n'ait pas englouti son passeur, l'air épais, ouvrant l'empressement des marches sur un grand tourbillon. Habilement vêtus d'ocelles à murmurer deux ou trois phrases de temps en temps, des onomatopées que nous ne comprenions plus nous-mêmes. Rien ne dira que la nuit est tombée. C'est déjà en été qu'ils préparent à nouveau la saison des futures chasses et ce qu'ils remuent de poussière ne saurait à présent nous représenter. Ce serait une sorte de chose entre la trace et l'effacement.

Une absence encore trop vivace pour passer entre, une présence hantée par le vide qui vient à la claire lumière de l'été. Ainsi les journées passent et l'on reste allongé sous les arbres à guetter une parenthèse dans les orages, des signaux de fumée, le prochain vol nuptial du rollier, à chanter d'un air grave les chants de la terre et du ciel pour que la pluie revienne balayer ces journées, à chercher les gazelles, le Koudou, le grand lièvre qui vivent encore là bas dans nos cabanes près de la mare aux cochons. Certains jours nous essayons de nous relever, essouflons dans le vent l'inaudible prière :

- "Sauve-toi l'animal ! A plus hautes foulées, sauve toi ! si tu peux ..."


 


Photo : Ici, surpris après des heures de guet patient, l'ocelot du Nabirosina a été aperçu furtivement, à noter que cet animal vit caché (contrairement à l'élandin) on ne peut croiser son regard sans subir quelques sortilèges. L'ocelot du Nabirosina aura donc échappé à l'objectif, filant comme l'éclair, et l'on peut affirmer qu'il est (selon le dresseur d'ocellements de certains jours), une sorte de chat qui s'en va tout seul, sauf que c'est un ocelot du Nabirosina. Un des derniers, peut-être LE dernier spécimen, les autres ont été capturés pour leur fourrure somptueuse recherchée par les femmes modernes. En attendant, notre ocelot file à la vitesse du grand lièvre (environ 70Km/ H) dans la savane française. Ou bien avec des yeux de myope en vous éloignant ce qu'il faut de flou pour décaler le cadre peut-être y verrez-vous la tête de l'antilope. Juste une image, donc...

 

St Cyr © Frb 2012.

samedi, 28 mai 2011

Trains de vies

Crains qu'un jour, un train ne t'émeuve plus.

GUILLAUME APOLLINAIRE

train ter W.jpgC'est un vaste atelier où le soleil entre à plein tube éclairant sous toutes les coutures des sièges bleus, des bagages en tissus, des valises, des valises... Des étuis de toutes sortes et des livres dont les pages nous détournent du but, suivent un autre mouvement. Quelques branches fouettent la vitre, de l'autre côté, passent des archives architecturales d'un autre temps ; perdues entre les fougères les usines"Radielec", renaissent et l'on vit un instant dans des villas en ruine sous des vieux parasols qui pourrissent doucement près des hangars. Sur des tablettes il y a partout des petits ordinateurs intéressants et des gens qui voyagent encore dans le voyage. C'est comme les poupées russes, une mise en abyme, un film dans le film. Tout peut se lire, s'écrire, c'est l'histoire qui déroule des choses plus ou moins vraies, nous inspire la certitude que rien n'est à sa place. On voyage pour n'être personne, se détacher ou pour la mutation des sentiments, jusqu'à rejoindre là bas, quelqu'un qui nous attend sur un quai, dans une gare paumée, un être aimé, c'est rassurant, à la fin, on ne sait pas si on saurait le reconnaître parmi les autres comme lui, qui viennent pour chercher, chercher qui ? Arriverait-on indifférent ? Plus indécis, à force de goûter ce temps à tuer comme plus vrai que le temps à remplir. Arriverait-on plus enclin à aimer ? Entre les deux, c'est l'impatience, un jeu versatile, de hors lieu en hors lieu, des points de suspension, entre un point A et B  on devient autre chose, nous ne sommes plus des gens. Une effusion géographique trouble nos attachements, il en vient d'autres plus amènes, nous sommes cette vitesse qui ronge lentement l'affectif, dénoue l'ordre chronologique, nous sommes l'effacement et le temps subjectif est notre possession, comme le vide, l'oubli des origines quand l'origine partout pourrait être la notre.

Je me suis reconnue, en ce point minuscule posé sur un vallon, je me suis reconnue sur ce banc, je suis née sur un quai du côté d'Ambronay j'ai fait mes classes à St Lazare, je me suis mariée à la Brasserie du Train Bleu, je suis morte gare de la Part-Dieu, je ressucite entre St Florentin et Moisenay à la bifurcation, sur la branche Ouest de la LGV interconnexion Est, j'y puise les couleurs assez tendres de la voie C, je réinvente le déroulement du ruban magnétique qui m'attache à l'environnement, je suis un mensonge éphémère, je me vois arrivant à Kharbine, Je ne vais pas plus loin...

Tsitsika et Kharbine
Je ne vais pas plus loin
C'est la dernière station
Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

Un voyage à la fois achevé, et qui tourne des pages, Blaise m'attend. Il porte mes valises, c'est charmant. à un moment, faut toujours changer d'air mais les voyages ça coûte bonbon, Barnabooth m'envoie de l'argent, une place enviée avec lui, on ne voyage qu'en première, oncle Archibald Olson Barnabooth, destinations : Florence, Saint-Marin, Venise, Trieste, Moscou, Serghievo, Saint-Petersbourg, Copenhague, et puis Londres, malgré la volonté de se fixer quelque part une bonne fois pour toutes, se fixer est insuffisant, peu importe la destination de retour, il faut repartir absolument. Se fixer serait pire qu'être enterré vivant, j'admets, qu'il me semble impensable de passer en plaisirs sédentaires, sa seule et unique existence.

Le mouvement emmènage dans la musique anecdotique, mémorise les sons, on pourrait entrevoir toutes les conversations entre ce qui est possible et ce qui ne l'est plus, c'est une autre façon de correspondre avec son temps dans l'immédiat, je pose dans l'immédiat, toutes mes capacités futures. Sur les sièges 49 et 51 des gens parlent d'eux mêmes, ils prennent position sur la terre, des dizaines de nombrils tout comme un oeil géant guettent les destinations. C'est un vaste salon où le soleil entre à plein tube éclairant des peaux blanches, des peaux brunes, des yeux verts, sombres ou bleus. Des vies entièrement subjectives qui mutent entre les mains du conducteur de la loco, dans une situation sonore exceptionnelle, où la ferraille fait disparaître doucement les ossements, ce que nous sommes dans la lumière est malléable, nous flottons un instant. L'humanité abstraite nous tient, nous sommes l'amorce d'une bande magnétique obsolète, nous sommes les premiers habitants de l'Etude aux chemins de fer, les premiers objets d'un salon de musique qui lisent l'avenir derrière une vitre et veulent que le hasard s'emmêle, crée des noeuds dans les lignes avec la détermination de ne pas nous laisser ignorer ce qui pèse, nous sommes des tas de bidules en ut à l'heure précise qui pose le monde en équilibre entre les ponts, nous sommes un moment de renversement de la vapeur dans la machine en suspension sur un viaduc ancien comme neuf.

Cendrars et Larbaud endormis sous l'écrin de carton posé sur mes genoux, au coeur d'une page introuvable, aucun mot n'est venu fixer ce haut lieu formidable qui s'appelle "partout". Il y a des répondeurs qui tournent à vide dans les appartements. Une voix déraille, se défile : "Je ne suis pas là pour le moment ..." Nous touchons l'accès sans le mot de passe, nous allons immobiles, nous captons les remous à la base et le fantôme de Gutenberg, dans les coquilles ramassées de"La vie du rail", nous sommes la suite fantasmatique pour une voix et mille aiguillages, nous sommes les destinations qui s'épousent par hasard, fuient les ères et les aubes, confèrent aux lignes droites la souplesse des courbes, qui s'entrecroisent mais ne touchent jamais tout à fait la destination rêvée, nous fuguons avant terme, pour une correspondance puis une autre, et encore une autre ... Nous roulons sur l'enfance de l'art, avec des portefeuilles boursouflés de billets à oblitérer. Nous sommes la mer et la montagne sifflées par le même chef de gare, nous sommes le contrepoint qui fuit d'une voie à une autre, nous sommes dans les strates, nous vivons dans la forme la plus évoluée de l'écriture qui renouvelle sans cesse l'adage: "partir, c'est mourir un peu"...

 La mort est toujours l’horizon du voyage, que l’accumulation des étapes semble éloigner. Il pourrait cependant y avoir un accident...

 

Nota : Cette dernière phrase a été empruntée à Valéry Larbaud et son grand voyageur de "Barnabooth".

Photo : Intérieur train. Le rideau vert du TNE (Transnabirossinien-Express) qui est aussi un JTB (joli train bleu) photographié au plus près quelquepart ou nulle part, entre Lyon et Orléans.

 

Entre-deux © Frb 2011

jeudi, 24 février 2011

Entre les lignes

Accommodé avec un regard et un sourire appropriés, le silence peut donner d'excellents résultats.

JEAN ECHENOZ, extr. "Je m'en vais" éditions de Minuit, 1999

entre les lignes,partir,interférences,étrangeté,intervalle,silence,mots,entretemps,entre deux,pérégrinations,humanités,voyages,lignes,effacement,voie ferrée,rêverie,nuit,jour,suspension,jean echenozUn système désastreux s'installe. On souhaiterait le cacher dans les interférences pour ajouter aux sensations élaguer la parole. Hier encore, il semblait simple de marcher en silence, la pureté de l'air, nous  allégeait, un peu. Nous avions découvert une  parfaite nébuleuse par réflexion, comme l'étoile Antarés possède un compagnon. Une paire d'étoiles en orbite mutuelle tournant chacune autour de l'autre, formant un double optique, alignées par hasard, nous retournions à ce hasard, qui par défaut, neutralisait. Un jour, on ouvrirait les yeux aux semblants d'échos machinés dans les vernis de l'emballage qui reviennent d'un vague à l'âme vieux comme le monde et se perdent en toutes saisons. On voulait ne faire qu'un avec le plus grand nombre, on désirait l'élévation, mais c'est encore la mort qui rôde dans les maisons, blesse les animaux et humilie leurs maîtres quand la nuit vient, ils perdent leur charme soumis aux travaux ménagers, ils remettent en place les objets pour le lendemain, ils se heurtent à huis clos, cultivent le métal contre l'or lentement fondu et gâché, le métal tourmente, prend forme humaine, ils vont la nuit, les bras chargés de sacs mystérieux, griffés par une bruine qui ferait fondre les paysages mais pas la geôle, le bruit du tonnerre au milieu de l'hiver plus tard, inviterait à disparaître et l'on disparaîtrait dans l'espoir de renaître, un jour, ou deux, pour d'autres.

Ensuite vient l'aube, et ses teintes douceâtres, qu'on avait cru si vives ou mauves à force de regarder des images à l'aérographe et de croire que dans un poème on trouverait le nouveau monde. Mais rien ne tient, le soleil brille, et le silence jamais ne décape les geôles. Pour le noctambule, l'aube s'ouvre encore sur la nuit noire. Aux terrasses quand chacun se dore, des pages entières s'effacent, plus rien ne vient cueillir en rêve l'allégement, l'escalade aux sommets. On descend, ça ne prévient pas. Pour parer, on invente des enluminure aux pastels gras contre l'encre sèche, sèchant sur le sujet curieux d'une quête située à peu près nulle part avec presque personne, on dirait pire : ça décrète sans penser, ça pisse froid sous la douche écossaise ça reprend tout ce qui était donné, et le reste fantômatique, qu'il n'aurait pas fallu toucher. On ne devrait pas laisser le hasard à ce point nous déposséder. Il reste encore le vent, ni chaud ni froid et tout le luxe des vagues de la mer qui pénètrent dans des buvards où dorment d'hallucinants corsaires hantés par le chant des baleines.

Il reste des lettres pliées en petits morceaux, jetées, au loin dans des bouteilles reculant les limites. On s'éloigne, tout s'échoue à la claque sur des grèves. C'est chaque jour le retour à zéro, ce temps de grand bien être à n'être rien ou ne plus être dans ce monde qu'un guetteur en vacance. Comme il est doux ! ce rien. Il ne resterait plus qu'à retrouver la trace originale du premier homme qui fît le tour de la terre en Alpha Roméo, et ne claquer sa poésie qu'avec les hippies chics dans les fêtes légères, à rire avec les mouette aux jardins d'une villa en bord de Saône, décorée à l'antique pareille à la Villa Romaine, où nous vîmes autrefois, au milieu d'un salon mi jardin mi partouze, l'après-midi bleu pâle virer en soirées pourpres, où venaient les stridences du violon de Tuxedomoon, à en oublier les hommes ordinaires qui ploient sous le conditionnel, parmi des tableaux de conjugaisons livrent des verbes inconjugables à des otages privés d'amour, l'alphabet en lambeaux, ils voulaient le prendre à bras le corps, dans le but d'en relier les courbes pour fabriquer un mot exprès imprononçable. Tout cela resterait brouillé dans le traducteur des gougles charriant le staccato aussi vain que les nébuleuses enfermées dans une cage à poule.

On déplacera les personnages, de la réalité à la fiction puis on sommera le tout d'attirer l'oeil, l'intelligence, les appareils-photo, on ajoutera le son, peut-être des micros. Pendant ce temps nous mangerons des glaces sur le quai St Antoine, cédant à toutes les tentations, nous remonterons le temps, par la grande rue qui mène à la grande gare. Ou bien plus loin la nuit, nous irons chercher sur les pentes, un banc de square, je mettrai une radio portative sur mes genoux, la molette coincée entre le pouce et l'index, nous tournerons jusqu'à Varsovie et Moscou, au code secret d'un vieux message, qui balayerait la terre entière par d'autres voix inoffensives, des faisceaux lumineux éblouissant les ombres à la manière d'un phare, qui s'étendrait des heures au dessus de la ville. Ce halo avale la nuit noire où les noctambules s'illuminent, et tous les mensonges leur reviennnent à la première clarté du jour mais entretemps, nous aurons changé de ville...

Il faudrait tout quitter comme on s'envoûte progressivement du va-et vient  des vagues, puis revenir et repartir, mourir un peu, revivre etc ... A se sentir porté par un mouvement passant de chaud à froid puis de froid à glacé, d'une glace qui brûle la vérité au milieu du système, dans une histoire écrite par d'autres, ils n'en veulent rien céder, et sans impunité nous déplacent sans cesse, dans ce continuum sur les parallèles compliquées, sans jamais nous solliciter. Un jour, la trame, heurterait de plein fouet quelque chose en dedans qui devrait imploser sans prévenir ou bien on laisserait tout aller avec ce qui renonce, une bribe de chanson annulée par l'épais brouillage des ondes courtes, masquerait pareil au secret, le premier, ou le dernier mot du langage oublié, précédant le silence qu'un long train à l'arrêt ne pourrait interrompre.

Photo : Aiguillages entre ciel et terre et des pilônes tagués de signaux sans mystère mais encore incompréhensibles. Vus d'un train à l'arrêt quelque part dans un no man's land, entre Lyon et Orléans. © Frb 2011.

samedi, 10 juillet 2010

Argh ! (Pan-art ?)

L'homme écrit sur le sable. Moi ça me convient bien ainsi ; l'effacement ne me contrarie pas ; à marée descendante, je recommence.

JEAN DUBUFFET : extrait de "Prospectus aux amateurs de tout genre". Editions Gallimard (1946).

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Nous prenons appui dans le vide, nous lui donnons un autre nom, nous transformons les arbres en sculptures mobiles émiettables. Nous leur donnons un autre nom. Nous augmentons ainsi la valeur du monde. Ce leurre coule mollement, comme du jus de cerise sur un caraco blanc. A la faveur des guignes, doucement nous évoluons. Des fabrications nous émondent, on croirait qu'elles rendent invincibles. Cette erreur est insoupçonnable. Nous exhibons des mines radieuses entre deux précipices. Un chant infiniment poreux, nous guide, que rien n'effleure, d'aucune façon, nous sommes tels que nous sommes, pareils à des éponges. Ces bestioles nous avalent, nous recrachent puis nous parent d'une lucidité intenable. Nous touchons des régions glacées, éloignées des mondes vivants. De là nous espérons recomposer les plus beaux chants. Des chants d'Amour, de retrouvailles... Nous cherchons des superlatifs pour aborder les continents, incapables d'aller au bout. Il n'est nulle place en nous qui ne soit pas poursuivie d'ombres. Nous haïssons ces fantômes puis nous les infligeons à ceux que nous aimons. Nous pensons prétendre là, à l'immoralité. Une oeuvre attend son heure, son élan, ses métamorphoses. Nos corps se voilent, apprennent les danses orientales

"Danser est le fin mot de vivre et c'est par danser aussi soi-même qu'on peut seulement connaître quoi que ce soit : il faut s'approcher en dansant"(1)

Le Saïdi, la guerrière, qui attire la terre, fait valser la misère du monde, avec ses sauts de jambes et ses jeux de cannes. La musique émet des bruits variables, secoue son tremolo, les corps vibrent à l'assaut d'un rythme qui augmente, accélère le rythme cardiaque. Nous affichons la modestie avec une rage émouvante, un modus vivendi gît au coeur du mirage. Nous ne supportons pas de subir la moindre réflexion. La réflexion est pourtant notre grâce. Nous sommes des artistes au coeur pur, véridique, il nous importe de créer "ce qui ne se fait pas forcément", adjonction d'un rayon de mots nouveaux, abandon des règles des trois unités, etc... L'expérience se détache peu à peu de notre mémoire.

Ici le verbe est vulnérant, la caresse hypnotique. Je suis des yeux le mouvement d'un étranger qui me parle et me cloue sur le front un rubis à tête de phénix. Le ciel vire au gris anthracite, une lueur blanche dans les cheveux, me donne des airs d'enfant idiot. L'imprudence allume une mèche qui met tout à feu et à sang. Pourvu que ciel brûle ! nous posons des verrous magnétiques comme jadis on posait des lampes de sûreté dans les mines à charbon, courons grimés à l'authentique, une question inconnue taraude, sans visée et sans nom, des masques aux sourires monstres remplacent la fureur d'autrefois ; il nous vient parfois une grimace mais toujours nos éclats nous trompent. Nous déroulons des séries de rubans multicolores pour distraire quelques habitants. Notre âme jadis si peu disposée à se corrompre émet maintenant des sons de batterie de cuisine, de placards à balai. Tout pour le mieux dans un monde fait à notre image. La démarche est précieuse tout autant qu'implacable. Nous devenons des Dieux vivants. Nos têtes coupées s'enfoncent lentement dans le sable... Notre réalité commence à cet instant.

(1) Jean Dubuffet : Extr. de "Prospectus et tous écrits suivants".

Photo: Un fragment de fresque éphèmère portée sur deux ou trois édifices vue au coeur de la nuit, une fois, (une seule, hélas !), Montée de la Grande Côte, effacée dès le lendemain. Mille excuses à l'artiste, (parisien, il me semble (?), graffeur fou, inspiré, je n'avais pas de quoi noter son nom, je ne sais pas si la signature en était seulement lisible dans la nuit, il me semble avoir retenu, parmi d'autres, le nom du plasticien Yves Koerkel qui exposait de source sûre, sur ce mur également, mais je ne peux pas confirmer (vraiment navrée), que ce grand dessin noir sur blanc soit de lui, si quelqu'un en sait plus, tout renseignement est bienvenu, sinon je tâcherai de me renseigner ici ou là, chez les "spés du street art" et autres copains graffeurs. Sait-on jamais ? En attendant de peut-être, préciser, je transmets toutes mes félicitations à l'artiste pour la belle sauvagerie in situ. Photographiée en remonte-pentes (de la Croix-Rousse), entre la rue Leynaud et la Burdeau à Lyon au printemps 2010. © Frb.