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vendredi, 12 octobre 2012

Le modèle se rebiffe

Je m’asseois à une table du restaurant de la gare et demande une pomme coupée en tranches fines dans le haut-parleur du quai une voix récite
la dernière partie du Mahâbhârata
un voyageur solitaire me demande la permission de s’asseoir à ma table
je le regarde un temps et dit avec ennui
non.

Matéi VISNIEC : "Scènes à la gare de la ville", (fragment), traduit par Nicolas Cavalliès, extrait (probablement) de "La ville d'un seul habitant", Lansman éditeur, 2010.

Pour écouter la marche, il suffit de cliquer dans l'imagefrançois bayrou rentrant dans son pays.jpg

Il sentira le sable sous les quais jusqu'à la naissance des galets, cette blancheur introuvable, l'île aux poudres où tout va exactement à l'opposé d'une  vague qui lisserait son verbe sur la trame  de l'homme arrivé.

Il aimera sa maison et les siens, pas de reproches à leur faire, c'est de la faute à personne, s'il a envie de marcher, juste pour aller plus loin. Quelques pas en dehors. Au moins ça,  qui ça gêne ?

Il convoque son enfance, elle revient grâce à des attractions qui brillent dans les vitrines, sous des guirlandes. Elles ont si peu à voir avec l'enfance. Une mémoire écrasante anime des personnages en mousse grandeur nature qui traversent les rues il voit des  panneaux gigantesques représentant le père Noël riant dessous sa hotte, au printemps, le vieux passe par les combles  ça avait dû se détraquer avec les activités de l'âge mûr. L'enfance, il la goûtera toujours à travers les coffres en désordre : billes, poupées, cubes, légos, oursons, balle, trottinette, et le bonhomme de neige, retourne vers la mer, y chercher un peu de brume pour le sortir des murs. Tout au feu et là bas, découvrant l'embrasure, il laissera son corps décider.

Là bas, c'est une place où l'on passe sans s'inscrire, l'homme y perd et en perdant il gagne. Il devient le marcheur, trouvera sans chercher un parcours provisoire où le muscle délivre, s'allie avec l'espace puis réduit son malheur, il ne sait trop lequel, il s'était inventé. L'avantage d'inventions, c'est qu'on peut s'en défaire. Des tas de malheurs c'est cru et probablement fait d'une seule pièce, dont il ne connaît pas le but, ou  bien c'était hier, au cours élémentaire :

quatre fois deux passe encore. Six fois cinq, c'est limite, mais sept fois huit ? Il cherche. Il ne se souvient plus.

Il revoit monsieur Bouchard, appuyant sur sa craie. Elle crissait sous l'effort, ça aiguisait aussi, le nerf de la musique

Il ne fait guère de doute que le "moteur" du cri déchirant de la craie, c'est la très forte non linéarite du frottement de celle-ci sur le tableau, un peu comme pour la collophane sur l'archet des violons.

Il tentait de fuir le regard (du maître) mais à chaque fois, c'était encore sur lui que ça tombait :

- Sept fois huit ? Moinon ! Répondez ! au lieu de dissiper vos petits camarades! Sept fois huit ?

- Sept fois huit ? Bin ... euh ...

- Vous êtes complèment hors sujet ! qu'est ce qu'on va faire de vous ? Mon pauvre ami !

Complètement hors sujet. Ca devient un handicap. Ce babillement entre les phrases. Sept fois huit fenêtres sur ce mur, sept fois huit wagons sur deux rails...

- Combien ça fait ?  Moinon ! c'est pas bien difficile ! on dirait que vous tenez à devenir la risée de vos petits camarades ?  Procédons autrement !

Sachant qu'un petit ourson voyage 7X moins vite qu'un grand héron lequel quitte Paris à 6 heures volant à 36 km/h. alors que le pinson, qui est à Montluçon quittera son nid à 17 heures à une vitesse moyenne de 59 km/h ;  à quelle heure et à quelle distance de Paris vont se rencontrer le pinson, le héron et le petit ourson ?

- Bin ... heu....

Pourtant ça te regarde, toi aussi, ce goût qu'on donne à la jeunesse de ne pas se promener toujours avec des oreilles d'ânes.

Lui il s'est assis sur sa bête, il est resté droit dans ses bottes il a dit:

- "allez ! hue la bête ! on s'en va ! en route ! le soleil brille, la route est belle !

Il a cru voir Martin qui partait au désert, peser de son poids sur le monde :

 

De la peau du Lion l'Ane s'étant vêtu
Etait craint partout à la ronde,
Et bien qu'animal sans vertu,
Il faisait trembler tout le monde.
Un petit bout d'oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l'erreur.
Martin fit alors son office.
Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice
S'étonnaient de voir que Martin
Chassât les Lions au moulin.
Force gens font du bruit en France,
Par qui cet Apologue est rendu familier.
Un équipage cavalier
Fait les trois quarts de leur vaillance.

 

Ils ont tellement ri aux éclats que le vieux maître a puni tout le monde.

Peut-être est-ce à cause du poids de ces petites tracasseries continuelles qu'on en vient superscivement à accepter des choses qu'on ne désirerait pas pour soi-même ?

- subrepticement, Moinon ! ça suffira  et toutes vos facéties  ne  méritent  pas notre peine.  Celle que des gens se donnent à vous instruire,  pour votre  bien quand même, procédons autrement, huit fois sept ! on y restera jusqu'à demain!  personnellement j'ai tout mon temps !

- Bin ... mais c'est que c'est pas pareil...

- Comment c'est pas pareil ? Pensez aux hérons aux pinsons !

- Et l'ourson ?

- Laissez l'ourson hors de tout ça ! Sept fois huit ? Huit fois sept ?

-  Bin euh... personnellement, je vois pas...

- Moinon ! vous le faites exprès ?

- L'ourson c'est parce qu'il n'a pas d'ailes ?

- On se passe de vos questions, Moinon ! essayez au moins six fois sept ?

- quarante deux !

- Bien !!!

- Sept fois Sept ?

- Quarante-neuf !

- Très bien ! félicitations !

Peut-être faut-il faire croire qu'on sait la vérité ? Chaque jour une nouvelle pour remplacer l'ancienne, comme ces panneaux publicitaires qui grandissent avec ceux qu'ils promènent. Ces manières de se voir imposer partout les palissades des nuages à ras terre et ces chaises occupées par des hommes assis, jambes croisés, ils décident avec gravité la vie pareille aux mêmes - spécialistes présidant au récit de la vie, présidents des journées de la tarte à la crème, ils étaient tous superbes avec leur peau de lion, ils ont pris des fusils et ils ont couru après le héron, le pinson, et ils ont réveillé l'ourson. C'était ça qui clochait. C'était à cause de ces tracassins d'illusion, qu'il faudrait tôt ou tard se faire la malle en vitesse. Et l'autre il racontait qu'il faudrait un sacré rocher pour voir venir de loin des ennemis imaginaires.

- Que vont ils décider à présent ? Ce qui leur semble bien fait ? Et si moi je foutais le camp ? Est-ce que le monde s'en apercevrait ? . Enfin, le petit monde, celui qui nous fait nous défait, et de nouveau, rien d'autre ...Il a demandé au docteur Mollon qui tournait en rond dans la pièce, les mains derrière le dos en soupirant. Il faudrait essayer d'expliquer au patient qu'il serait parano. A présent, le docteur il observe derrière ses grandes lunettes, calmement les mains à plat sur le bureau  il y a d'abord un silence qui semble en savoir long. Puis le Docteur répond:

- Bien sûr, je comprends tout à fait votre question, monsieur Moinon, mais il  y a des méandres... il faudrait essayer de vous adapter un petit peu, vous montrer à vous même un  peu plus d'organisation, c'est important surtout important pour les autres...

- Important ?  Croyez vous ?

Le Docteur a souri, il s'est gratté la tête, le patient n'était pas complètement perdu, le docteur a songé  : "il faudrait je le récupère, oh puis non ! pas la peine" il  a creusé  un  trou,  il a dit :

-  je vous rajouterais du Broilapène 3000  ou si vous préférez du Gramabol 500 ou 610, à base de cryptocoryne ça permet de bien dormir. Au moins ça...

Pour la première fois l'homme, il a fait comme toi , il a fait ce que nous ferons tous un jour. Il s'est levé, il a pris sa casquette, il a dit "Non merci !".

Le docteur a tiré sur le bras de l'homme, il a dit :

hola ! mais il ne faut pas se sauver si vite ! Vous me devez 56 !

- Et pourquoi, 56 ?

-  Monsieur Moinon, vous êtes venu sept fois cette semaine comme vous êtes remboursé, que votre sécu coûte cher, aux autres  gens, pensez-y,  moi je ne prends que 8 par consultation, si vous faites le calcul sept fois huit 56, recomptez, mais je crois que c'est à bon compte...

L'homme a souri. 7X8, il était guéri.

- 56, oui,  c'est vrai,  le compte y est !

Il a sorti des pommes et des figues a demandé au Docteur Mollon

- ça ne vous fait rien que je vous règle à ma façon ?

- Pas du tout au contraire ! depuis que l'argent n'a plus de valeur j'aime autant ! a répondu le Docteur puis il a avancé sa grande tête piriforme parlant plus près de l'homme qui farfouillait dans sa barotte :

- Si vous aviez quelques châtaignes ou des noix, pour mon épouse, elle adore ça.

- Pas de problème ! voilà voilà ! Au revoir Docteur !

- Au revoir Monsieur Moinon, si on ne se revoit pas je vous souhaite un Joyeux Noël !

- Vous de même !

- Je n'y manquerais pas !

L'homme est sorti, guilleret, il a su grâce aux arbres que même si partout c'était écrit qu'on approchait de toutes sortes de fêtes, elles semblaient encore loin. On était la saison du cul entre deux chaises. Il a tripoté au marché les guirlandes de Noël, avec des lutins en forme de sapins gigantesques qui clignotaient et devenaient multicolores quand on les raccordait à une clé.

 Il a su aussi que l'automne cette année serait juste attardé, il restait encore des feuilles vertes et des fleurs, il a croisé des gens en shorts, et d'autres emmitouflés, les couloirs de métro diffusaient "Vive le vent",  et des publicités pour des séjours au Val d'Isère. Le mois des soldes et des liquidations massives allait recommencer.

Il a mis la guirlande lumineuse autour de son cou, puis a choisi sa rame, mais il n'est pas monté, il a repris le chemin en sens inverse. Il a fait deux pas en arrière puis il a reculé.

Pourvu que ses pas ne le ramènent plus là bas, chez eux, Suzanne avait déjà trouvé des santons pour la crêche, il n'avait pas envie de traîner au bricoland tout l'après-midi pour choisir les cadeaux de la petite. Il est remonté par le boulevard Charles Géode au niveau de la mairie jusqu'au grand manège.

Il s'est acheté deux pommes d'amour à la vogue desfois qu'il croise une inconnue. Quelle femme sur la terre n'a pas rêvé un jour de se faire offrir une pomme d'amour par un gars un peu con qui croiserait son chemin, et repartirait sans rien dire ? Et s'il ne rencontrait pas la femme, il se garderait l'autre pomme pour manger après son  sandwitch .

Il a vu des gens portant des paquets étincellants étoilés de rubans, d'autres avec des sapins. "Les gens sont de plus en plus dingues", il s'est dit. Mais c'était de la faute à personne. Les gens, les gens, pour ce peu qu'on en  dit. ll a marché longtemps, sous les arbres une pluie de sanguines et de l'or plein les mains. Quand la nuit tombera, les rites de saisons seront tous accomplis. Il a songé à l'illustre Vyâsa qui convoquait les mondes. Demain, il rassemblera toutes les femmes pour les mettre à l'abri, sous un arbre. Puis ce sera l'été. D'une manière ou d'une autre.

Il a jeté sa pomme au fond de sa barotte,  ça a dû faire un bruit du genre "splotch" qu'il n'a pas entendu, il a remis sa casquette comme il faut, a repensé à sa femme, qui avait remarqué avec ses grosses oreilles rangées sous la casquette que ça faisait deux grosses bosses ridicules à se marrer. Deux grosses bosses et alors ? Qu'est ce que ça peut changer ? Il a pissé un coup dans l'allée sur les pétales des fleurs, qu'il avait admiré la veille. Puis remontant sa braguette d'un coup sec, pof ! voilà une affaire de réglée ! il a jeté sa ceinture au milieu de l'allée, où le vent incessant avait renversé des poubelles du caniveau à la chaussée, tout un tas de vestiges des tempêtes, le vent pouvait souffler sur les fleurs, sous le ciel, sur la mer, et alors ? Qu'est-ce que ça pouvait faire ? Il a mis ses deux mains carrées sur la manette, il les a agrippé solides, il a marché, il a continué, la casquette sur le nez, à marcher, marcher, encore marcher, ça a duré des semaines, à force de s'éloigner, il n'avait plus cet air de ramper ventre à terre pour les autres, il a revu l'image de Suzanne lovée dans son rire bête, il a songé au gars de la fable qui riait le dernier. Il ravalait sa peine, la changeait en fierté, il faudrait s'accrocher et il s'éloignerait plus loin que les Monts d'Or ensuite il marcherait, droit devant, sans plier, jusqu'à trouver son coin, à force tout s'arrangerait et le vent tournerait, avec la volonté, en gardant bien ses mains posées sur la manette, droit devant, en suivant son chemin, le vent le porterait. Il sentait son destin chalouper dans sa tête, il fallait du courage et il en avait plein, ramper c'était hier. Selon ses prévisions, après beaucoup d'années et beaucoup de kilomètres, il sentait qu'à la fin, tout finirait sûrement par aller comme sur des roulettes.

 




podcast


 

 

Musique : Chenard Walcker : "Les arbres-mon Dieu"

 

Photo :  Le modèle et son âne caché dans une barotte sont sortis de la bibliothèque, ils ont traversé un passage qui mène droit à la gare. Filature impeccable, ensuite, je les ai vu happés par une foule sous le  panneau des départs, je les ai suivis encore, par des rues, des avenues puis la foule est venue  et je les ai  perdus.

 

Lyon Vivier-Merle © Frb 2012

lundi, 16 mars 2009

Comme un lundi (très galactique)

"Aujourd'hui notre Univers, contient pas moins de cent milliards de galaxies qui, elles-mêmes, comptent cent à deux cent milliards d'étoiles. Il faudrait plus de 1982 milliards de vies humaines pour les énumérer toutes, à raison d'une demi seconde par étoile et une espérance de vie de 80 ans !"

Source: Michel WALTER d'après un article lu sur le site de l'association "Terre sacrée"

f monter.jpg

Evidemment à cette échelle, on perd le nord.

80   années
29200  jours
700800  heures
42048000  minutes
2522880000  secondes
5045760000   étoiles comptées dans une vie
(2 étoiles/seconde) soit 5 milliards
5,05E+09

100E+9   100 milliards d'étoiles dans 1 galaxie
100E+9  100 milliards de galaxies
10000E+18   étoiles

1982E+9         SOIT           1982  milliards de "vie" nécessaire

Comme le calcul est tout de même assez compliqué à envisager. Je vous propose de vous exercer à compter les cailloux, à raison d'1/2 seconde par caillou, et par personne. Je vous souhaite bon courage !

Photo: Cailloux. Vus sur une humble tombe au cimetière du village médiéval de Bois-Ste-Marie. Février 2009. © Frb.