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vendredi, 02 mars 2012

Impression de voyage

Nous vivons bien à l'aise, chacun dans son absurdité, comme poissons dans l'eau, et nous ne percevons jamais que par un accident tout ce que contient de stupidités l'existence d'une personne raisonnable. Nous ne pensons jamais que ce que nous pensons nous cache ce que nous sommes.

PAUL VALERY : extr. "Monsieur Teste", L'imaginaire/ Gallimard 1946.

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Comme s'il fallait toujours s'éloigner de ce qui fût trop proche, comme s'il fallait ne se fier qu'à la captation d'un mouvement qui prend de la vitesse, pour s'imaginer autre, le mouvement devenu l'unique réalité étrangement saisissable, portant au plus haut point la curiosité et la capacité d'attention, abolirait progressivement les dimensions de l'existence personnelle, effaçant les événements à mesure que la mémoire s'appliquerait à les convoquer. Du moins, est-ce un souhait trop difficile à énoncer, tant il paraît aussi léger qu'un rêve. Un état où il serait en même temps possible d'accepter la destruction de sa propre histoire, et l'idée de n'en rien rejeter, se relier à l'inconcevable détachement né d'un attachement véritable autant qu'il deviendrait possible de regarder sans fureur les déflagrations qui ont entaché ce souvenir. Infiltrer en soi le présent plus entier qu'au coeur d'aucune autre conversation, bercé par le coton des voyages, entre une destination épuisée et le point d'ancrage encore vierge où l'on irait sans doute, tôt ou tard, s'attacher de la même façon qu'hier. On s'attacherait ailleurs, quoiqu'on dise, on recommence presque toujours la même histoire en tous lieux. Mais dans l'improbable lieu qui raccorde et répare, dans ce mouvement de dépossession lente, livré aux grincements étouffés, roulements rondement crissés des mécaniques, délivré de n'être à aucune place pour personne, on verrait un début de réconciliation exister entre-deux, rendu à l'anonymat idéal, parmi des issues entrevues, on se surprendrait approuvant le cours des évènements, et le voyage allégé des raisons même qui faisaient voyager pourrait enfin prendre son sens dans une parfaite vacuité, délesté du sang des regrets, des ressassements désastreux de l'intimité. A présent, on approuve, sans mesurer les heures, porté, lâché, plus présent que jamais et déjà hors-sujet. 

Photo : mouvement du 952861184 saisi entre deux gares.

© Frb 2012.

mardi, 15 mars 2011

Fallen angel

- A quoi passez-vous votre temps ?
- Le plus clair de mon temps, dit Colin, je le passe à l'obscurcir.
- Pourquoi ? demanda plus bas le directeur.
- Parce que la lumière me gène, dit Colin.

 BORIS VIAN in "L'écume des jours",éditions, le livre de poche, 1987

Colline0129.JPGPetit plan d'une ville à saisir, dans les motifs des portails de la rue Denfer, sur la mosaïque d'une façade qui jouxte une villa de taille idéale près du jardin de l'ancien presbytère ; ici, se trouve un homme penché, qui vomit sur les escaliers, plus loin, j'aperçois la chevelure blonde d'une femme qui s'éloigne. Ensuite je ne vois plus que des chevilles, entre les ronces enchevêtrées, de longues tiges bordées d'épines cachées par l'ombre. C'est la fin du jour, c'est la nuit. Loin d'une terrasse où l'on s'allume, sur une place, un couple se dispute  ; deux silhouette longilignes appuyées contre la portière d'une 206. Une planète engloutie, des millions de figures embarrassées de songes, un château Margaux pour l'oubli, des hommes penchés sur des figures, des fugues ignorées et des êtres qui cherchent leur moitié parmi les détritus. On voit même parfois le courage revenir grâce aux bitures, et le silence nous garde de ces forces actives qui nous auront nommés misérables. Tourbillon, escalade, chute cernée d'engrenages. Le vieux terme maritime dit : "lovage en biture" qui signifie : "ranger un bout ou une chaîne en formant des huit pour éviter la formation de tours", il évoque dit-on peut-être la marche de l’homme ivre. Des bitures pour les peines, les mêmes, pour le courage, qui commencent dans la fête, se terminent en sucettes en citrate et charbon. On rentre à la maison. L'homme s'est relevé, il frappe du poing contre l'escalier il crie "conasse !". La femme revient sur ses pas, vite. Elle trotte et le bruit de ses talons joue sa petite réverbération contre les murs d'une cour d'école. Elle parle à l'homme. Lui, il se noie et continue de taper du poing violemment sur le sol. J'entends un peu la femme qui essaie de discuter. "Je sais pas pourquoi  les femmes, elles veulent toujours discuter", lui il pense qu'elles sont folles ou chiantes le plus souvent, c'est les deux. Elle lui dit gentiment "T'avais qu'à..." "T'avais qu'à pas..." Puis des injures, "Regarde moi ce con !" "T'es vraiment qu'une pauvre merde, Christian... ". Elle s'éloigne, il essaie de répondre les yeux fixés sur son vomi, il répond il ne sait plus à qui, il balbutie : "tu comprends rien" mais trop loin d'elle. Elle ne peut plus entendre. "Elles sont comme ça les femmes elles veulent, les femmes, elles veulent, toujours discuter. Elles veulent on ne sait pas quoi. Est ce qu'elles mêmes elles le savent ?". Discuter, il y a un temps pour ça. Un temps qui passe et après, discuter, elles veulent pas. Le bitume claque encore sur le passage d'un groupe de gens qui cherchent un restaurant, On voit les bottines à la mode, à petits talons en daim, des écharpes à motifs indiens, des blazers anglais, des parkas, des dizaines de parkas achetés au stock américain, hors de ce défilé de mode mi-hiver, mi-printemps on sent Mai et ses fêtes enrober les heures ternes et les premiers bourgeons minuscules, au bout de branches sèches comme soudées sur des arbres morts et ces foules cet aplomb de ces galops qui claquent, un écho de talon qui s'approche puis s'éloigne, etc.. L'homme s'effraie de l'état des lieux, il a vomi sur sa cravate, il a frappé, il a pleuré; maintenant il pue; quelqu'un dit "ça pue la vinasse". Agenouillé devant la porte, face à la rue, les yeux fuyant un halo de lune masquée par un nuage, les mains tendues vers l'escalier, il y a de la beauté dans la forme de ses mains qui ne savent plus où s'aggripper. La femme est partie de l'autre côté, disparue dans l'allée d'un n°8, parallèle à la rue d'Ivry.

Au matin l'homme se réveille, sur le même escalier, il aura dormi habillé sur des dalles de l'église St Augustin. St Valentin ? Il ne sait plus. L'aube fera resplendir ailleurs des corps absents dans d'autres chambres. La femme, elle se réveille aussi, au N°8 sous une grande couette à fleurs hybrides jaunes et violettes hideuses près d'un corps qu'elle ne connait pas mais suivant le bout de ses doigts elle en connaît, dira-t-elle "les grandes lignes". Elle pense : "les grandes lignes c'est n'importe quoi !. Elle est libre, elle l'a si souvent dit, "libre et prête à n'importe quoi", mais surtout, pas, "non, quand même pas !" elle ne va pas prendre son café avec cet homme ni beau ni laid. Elle prendra le café quand même avec cet homme, ni beau, ni rien, au caractère juste agréable, pour la forme, dont la nuque sent la savonnette, le senbon de chez Séphora, un truc de goût, genre "Eau sauvage", ou "Kouros" un parfum qui sent l'homme, qui pue sur le tissu la glande de chevrotain, avec un petit fond de pisse de chat. Elle jette un oeil sur son portable. Elle cherche Christian, elle ne voit pas. L'autre, il est dans la salle de bain, il arrange sa coiffure en brosse avec son peigne, il reste des heures, elle pense "Est ce qu'il aurait pas plus vite fait d'arranger sa coiffure en brosse avec ses mains ?". Il va dans le salon, glisse un cd dans un bidule, un vieux tube de Moby, elle pense "Merde ! Moby, il manquait plus que Moby!". Elle regarde encore son portable, elle a très chaud aux mains, elle vérifie les numéros, Christian encore. Christian n'a pas laissé de message, pas d'appel de Christian, "pourquoi Christian il l'appelle pas ?". Elle pense qu'il ne doit pas aller bien que peut être il aura besoin d'elle. ? Puis elle pense le contraire : "ce connard n'en vaut pas la peine". L'autre, il revient, avec sa coupe en brosse, des épis impeccables aplatis par le Petrol Hahn, du senbon sur les mains, il lui caresse les seins, elle ne trouve ça ni mal ni bien, elle se dit "après tout, pourquoi pas ? A mon âge, il faut que j'en profite avant que plus personne ne veuille de moi, c'est vrai, quoi ! qu'est ce que j'ai à perdre ?".

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La nuit croise le jour à l'heure où tout vient à nouveau, comme hier, comme un premier jour après une première nuit d'amour qui ressemble à une nuit ordinaire. Il y a d'abord ceux des labeurs matinaux puis une foule qui dynamise les petits couloirs de la ficelle. Station Croix-Rousse, Hénon, Caluire et Cuire. Le soleil éclaire le caillou sans éclat tel un diamant brut qui culmine à 254 mètres sur un échantillon de soie, sous l'auguste des étourneaux font un de ces baroufs, il y a des forains sous les arbres qui transportent des cageots. Il y a des taxis qui patientent devant la marbrerie, de La rue de La Salle. L'homme aura attendu longtemps en longeant le parc à vélos (vélo'v qu'ils nous disent, traduction intégrale = vélos d'amour) entre le Clos Jouve et le "café Jutard", il commence sa journée comme ça, avec deux ou trois verres de blanc. Et de quatre !  "Et hop ! un dernier pour la route ! Partout il voit des sosies de blondes qui font claquer les mêmes talons c'est la charge d'une cavalerie lourde, défilé de guerrières sur Mars. Partout il entend des femmes blondes lui dire "t'es vraiment qu'une pauvre merde, Christian"... Partout il voit des brunes en body lamé qui se couchent sur sa peau, lui chuchotent à l'oreille "Que tu es beau, Christian !". Au bout du cinquième verre il finit par y croire vraiment, il mate dans la rue les brunes et les blondes et les rousses moins souvent . Elles disparaissent, toutes de la même façon, dans des coins de rues, dans des traboules. C'est une malédiction, dont il n'a qu'une image, ces femmes qui le pulvérisent dans des coins, à coups de bombe. La seule image qui le console c'est quand il pense à elle; avant hier, il se souvient dans la petite cuisine en soupente, d'un petit appartement rue de l'Alma elle lavait la vaisselle il l'essuyait et ils causaient d'un peu de tout à peine, sans se prendre le chou, et c'était bien comme ça. Il cherche dans sa poche, le portable, où il est ? Et ses clefs ? Il faudrait qu'il refasse tout le trajet d'hier, alors qu'il ignore d'où il vient, qu'il aille au commissariat le plus proche faire une déclaration de vol, de perte, il va entre les portes de ces longs corridors et son oreille se colle sur la vitre d'entrée noire du nouveau glacier où gît la dépouille de l'ancien Lutin Bleu, le magasin des petits enfants en pyjama devenus méchants, à force. Une danse gourde porte son corps sur des passés sans gloire, des jeux de mains, qui ont fondu comme neige ou vogue, pendant que des cristaux multicolores éparpillent sa tête sur un comptoir doux c'est un traversin. Il tente dans un demi-sommeil, de reconstituer la trame des évènements, qu'il reproduit sans cesse à l'identique quelle que soit la personne rencontrée. Qu'a t-il vécu avant pour que tous ces visages au final n'en forment plus qu'un ? Le plus inaccessible, toujours le plus absent. Dans les miroirs du bar il voit son reflet prenant des airs d'homme de demain, ses gestes de chevalier d'avant, au temps de la grande époque, quand tous ses combats étaient nobles, ses étreintes sûres et fortes, toute cause valait qu'il risque gros. Les filles disaient: "Christian il est pas comme les autres", ils s'aimaient et après ils se quittaient copain-copain, il n'y avait pas de drame, pas de biture, pas de vomi sur les cravates. Et Christian, il est là, comme les autres, au milieu d'une bande de gueulards, des poivrots, des vantards, des grands minces avec des gros bides, des petits rougeauds en salopette, qui rigolent à propos de rien, ils sont tous là et ils rigolent, à charrier la serveuse, ses lolos et son popotin. Lui, il retrouve ces vieilles gueules du vieux monde, sa sale gueule qui ne s'accorde pas avec ce qu'il est, ce qu'il voudrait montrer, nul ne le voit. Il aimerait bien appeler sa blonde au téléphone il se dit (comme ces gens qui se disent "tu" à eux mêmes), il se dit "ça suffit, Christian, en ce moment tu déconnes, t'as assez déconné, maintenant tu rentres chez toi", la serveuse elle l'observe elle se dit "celui là, il est pas comme les autres", elle le tient déjà sous sa robe, dans ses bras,  sous son aile et dans son lit, tu crois ? Moins rougeaud moins poivrot que les autres, elle se dit du  pauvre gars qu'elle pourrait s'en occuper "bien", elle lui demande "Et le joli monsieur, il est tout triste, il va bien reprendre une petite rincette ? Je vous en remets un pareil ?" Il pense à cette chanson de Nino Ferrer "Rondeau". Il se dit que cette chanson c'est toute sa vie ou c'est la vie de tout le monde. Au fond, les chansons et la vie, il s'en fout. Il émet un grognement qui veut dire "va pour une petite rincette". Il se dit, "après tout. Pourquoi pas ? Un peu plus, un peu moins..."

  

Photos : Passage clouté sur le boulevard plus un mot glissant comme la soie. Colline comme ailleurs. Entre la grande artère et petite rue d'Alma. © Frb 2010.

mercredi, 17 novembre 2010

Nous semblons insensés les uns aux autres, disait autrefois Saint Jérôme

cluny0107 nb2.jpgLes ponts bougent dans la nuit se déplacent tels des radeaux à la dérive, avec les lumières qui traversent les âges. Des jeunes filles s'y attardent portant l'amour aux inconnus qui vont sur elles à nouveau, sans histoire. Ils ne demandent rien d'autre, chaque nuit, qu'un peu de considération, c'est toujours la même chose, il suffirait de presque rien. Ensuite le soleil se lèverait. Et chacun serait séparé jusqu'au soir. Puis les nuits qui suivraient, on verrait encore les ponts bouger un peu, rassembler entre les rives opposées, des passeurs invisibles qui inventeraient un mot nouveau pour chaque nuit et ainsi de suite...

Tout cela ne s'unirait jamais au petit jour, tout invisiblement, se balancerait entre les ponts, contre l'assaut des aiguilleurs qui assiégent la ville, portent les hématomes, la sanction pour qui dépasse la ligne, jusqu'à ce que les premières neiges assourdissent l'écho de tous ces combats éperdus.

Il y aurait ceux qui vendent les fleurs, avenantes sur les marchés et laissent des grands bouquets de lis (ou lilium candidum) un peu défraîchis, aux balayeurs. Il y aurait des vieilles qui se traînent à genoux dans des églises priant on ne sait qui.

Il y aurait la satiété dans les grands restaurants, et des phrases à rallonge pour présenter une simple entrecôte pincée de gros sel sous sa noisette de beurre, accompagnée de pommes dauphine. Il y aurait pour chaque dessert dans ce même restaurant les tartes au citron meringuées ou au choix, les pommes cuites au four servies avec du caramel, des éventails de biscuits parfumés de cannelle en forme de petits doigts coupés et la crème chantilly, pour le modeste supplément de 1,58 euros.

Il y aurait les buveurs de Gueuse-cerise, la mort subite aux terrasses, et des hommes d'âge mûr aux fonctions importantes, soudain pris de panique à l'idée de mourir d'un infarctus, au volant de leur voiture entre deux déplacements.

Il y aurait des femmes de ménage trouvant des lettres compromettantes au fond d'une corbeille à papiers, et des secrétaires aux cheveux défaits par la brutalité d'une étreinte un peu forcée, submergées par l'amour au milieu d'un parking. Elles soupireraient peut-être d'une joie, d'une honte de ne pouvoir bien jouir qu'au coeur de la saleté.

Il y aurait des enfants qui rentreraient gaiement de l'école sans savoir que leurs parents se déchirent.

Il y aurait des fadaises pour cette petite employée de maison, des amants en dépit couvrant de ridicule le sexe et la façon d'aimer d'anciennes péronnelles, au zinc du café des artistes.

Il y aurait la trahison, permettant à chacun de se mettre en valeur au détriment de l'autre. Il y aurait des chiens écrasés, pour de vrai, pour de faux, des visages tristes croisés dans une rame de métro, et qui pour la journée inverseraient le cours des choses.

Il y aurait des amitiés furtives, les liens dépossédés, les bonnes et les mauvaises manières, cette haine contenue dans des formules de politesse, abusant de l'espace public pour démanteler les saloperies humaines, qui viennent des autres, évidemment.

Il y aurait le reniement de soi consenti comme une évidence qui pourrait garantir à chacun et chacune autant l'illusion de son libre arbitre qu'une crédibilité incorruptible aux yeux du monde.

Puis, il y aurait les yeux du monde, à l'affût de nos faiblesses, aveuglés des sentences de la bonne et mauvaise conscience ; derrière chaque acte délictueux, il y aurait l'ignorance du code civil, les petites procédures intimes et des hommes en robe noire et collerette blanche, qui défendraient l'innocence ou le crime tout cela au même tarif, des remises de peine, des années de prison avec sursis, le bureau des greffes surchargé, des audiences ajournées et des procès qui se termineraient par une pire injustice dont les conséquences désastreuses n'intéresseraient personne.

Il y aurait des gens dans des téléphériques qui suivraient des yeux le mouvement des oiseaux migrateurs, rêvant de ne plus jamais interrompre le voyage qui les porte et constitue leur seul moyen de tenir debout, désormais, les pieds sur terre en apparence. Il y aurait la reproduction la mue, la migration de tous de nos entretiens.

Un coucou geai tombé du ciel, dont on ramasserait le corps au cap nord suite à un déréglement de sa boussole interne ; il y aurait les insectivores à la recherche du refuge de l'Alceste qui regarde en silence toute saison comme le prolongement de l'hiver.

Il y aurait les cigognes noires, le sterne arctique et le rouge gorge, tous ces oiseaux qu'on invente qui passent en grillant nos cervelles, ou couverts des louanges des fruits de fin d'été délivrant en automne les poisons du vérâtre blanc.

Il y aurait le pluvier doré qui survole l'océan pacifique sur 3 300 km pour rejoindre les îles Hawaï, le souci de la nourriture disponible, de la tranquillité, et cette indifférence au comptage des ornithologues.

Les ponts bougent dans la nuit, se déplacent tels des radeaux à la dérive, avec les lumières et tous les artifices dans tous les estuaires, dix mille huîtriers-pies en stationnement sur les vasières ; l'impuissance des granivores, et les prédateurs en sommeil, réveillés par les oies cendrées qui déplient le plan à l'envers en modifiant très lentement la composition de l'atmosphère.

Il y aurait des hypothèses à l'approche du danger, des captures imperceptibles après la découverte de pinsons dans des plats préparés. Il y aurait la peur d'être contaminé ; de grands élans d'amour, de solidarité, quand la nuit reviendrait qui déplacerait ses ponts à l'avantage des uns au détriment des autres. Il y aurait la Veuve Clicquot au cul trempé dans un seau d'eau glacée, accompagnant des toasts tièdes tartinés d'un pâté d'hirondelle. Chaque nuit apporterait sa joie nouvelle avant que le jour revienne mettre les choses en ordre, jusqu'au soir, et ainsi de suite...

 

Extr de "Genre humain" à écouter : ICI

 

Nota : Le titre de ce billet est une phrase empruntée aux "Sermons" de Bossuet.

Photo : Un animal étrange perché entre deux rosaces : un fragment de chapiteau médiéval datant du X em siècle, photographié lors d'une exposition splendide à l'abbaye bénédictine de Cluny (jadis, le plus grand édifice de la chrétienté avant St Pierre de Rome) et visité, à l'occasion du onzième centenaire de l'abbaye, au mois d'août l'été dernier. © Frb 2010.

vendredi, 05 mars 2010

Bang Bang

Je n'ai jamais désiré de quitter le lieu où je vivais, et j'ai toujours désiré que le présent, quel qu'il fût, perdurât. Rien ne détermine plus de mélancolie chez moi que cette fuite du temps . Elle est en désaccord si formel avec le sentiment de mon identité qu'elle est la source même de ma poésie. J'aime les hommes, non pour ce qu'il les unit, mais pour ce qui les divise et, des coeurs, je veux surtout connaître ce qui les ronge.

GUILLAUME APOLLINAIRE.

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J’écluse tout vers le silence des tombes. De La Salle à Loyasse, le désert est si vaste. Et sans cesse absorbée par l’étrangeté du monde, je m’attache aux devoirs du petit quotidien. Il me reste quelques lettres à poster. Les choses sont disposées: “chaque chose à sa place et puis un temps pour tout”. Le rêve que l’existence soit d’une autre manière devient très déplacé, on y mettrait du sien. On promet, rien ne tient, il faut qu'on s'en arrange. Et l’on s'en va traîner jusqu'à ce que la machine nargue et nous dépossède. A parfois s’annuler, à faire la bonne figure, politesses, simagrées, sourires et volte-face, des soupes à la grimace, des ronds de jambes négociant des bricoles usant jour après jour. Le jeu particulier dévoue au collectif, en veux-tu en voilà, l’originalité pour tous, l’absence de vrais tracas, la bonne pogne carriériste où s'intrique le surhomme. Ailleurs, l'auge se remplit, la gloriole qui nous cible chacun à son loisir, petits sacs, agenda, applis, mémo, là bas, les numéros du cirque, un monstre en équilibre sur ses quatre ou six mains. le garnement prépare l'opus à son désir, il hésiterait encore entre l'allée centrale du plus grand magasin et quelques restaurants coquets en centre-ville. Est ce qu’une ceinture à franges ocrées ou une paire de mules andalouses pourraient consoler, réchauffer ? Prendras tu le menu-plaisir d'une grosse truffe à la mangue, ou une pièce montée à t'en barbouiller le museau de chocolat au lait ?

Auge sournoise, climatise. La chaleur, on la sent, elle nous est diffusée tout d’abord par les pieds, et plus haut, un avenir surplombe l'écran plasma ; la météo prévue pour les trois prochains jours, te dit: le temps qui est, le temps qui vient, on suit les horoscopes, les conjonctions subtiles, de vierge en capricorne via l'année du lapin, l’amour, le beau travail, la santé, le voyage dans les îles, sponsorisé par la baleine, le sel marin, et les poulies des chalutiers qui feraient couler le bateau si d’autres modernes, (baleines aussi), charitables, futuristes, ne veillaient pas au gain, à l’ivraie, le grain-grain, aux singeries des uns et des autres et aux miennes du même grain de folie qui nous  fonde, qui veut l'alternative, ou l'ivresse famélique, ou la geôle. Les deux parfois offertes. l'alternance. Une même prothèse pour tous conviendrait aussi bien. Ma chemise pour une chèvre. Est ce que tout cela nous vient ? Te plaît ? S'en va, revient ? Ceci vous convient -il ? - Oui, bien sûr, par la force des choses, un beau jour, tout convient. “Pas de Lézard ! et que vive le grand huit, vertige d'Ourobouros !" comme le racontait dire Jim, vieux voisin, feu éteint, un peintre ésotérique mort dans les couleurs dingues d'une palette riche et pauvre, enflammée de carmin et de belles maîtresses roses. On pourrait se noyer, re-boucler le tympan sur l'orgue de Manzarek. La vie sauvage foulée dans des sandales indiennes piétinant un tapis de bain, trois feuilles vert pomme d'un palmier nain, au pied d'une baignoire rock n'roll en forme de licorne remplie de cigarettes blondes écrasées à moitié. Un peu de cendre pour le bain.

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J'écluse et les formes m'absorbent dans les murs écaillés. Une fissure s'épuiserait aux parois recouvertes de calcite blanche, un taureau noir de jais en tapisserait le fond, ou l'iris lamenté pour quelques notes de tête, bouquetins et aurochs, ours, félins, bisons... Cette nuit je redécouvre quelque part, le décor, sous mon nez, des peintures rupestres, là où la ville exige des murs blancs et muets. Les nettoyeurs s’agitent, demain ils viendront recouvrir à la chaux le délit, les sentences amoureuses, et puis la nuit prochaine, les graffeurs magnifiques retourneront au délit, et puis toutes les nuits effacer au matin, délit et ainsi de suite...

Je retiens le décret qu'il est mieux d'accepter ses chagrins que d'empaler l'amour avec des cris de haine. Ensuite, il serait doux de se noyer tout court dans n'importe quel poème ou de courir le monde et fuir les arcs en ciel et les couchers de soleil, se lover sous les voûtes d'un grain photographique dans l'oeil de la Dumenge. Retrouver chez Raymond le courage d'être pur, et ne céder en rien.

Il est des êtres humains qui ont la force des glaciers, déplacent à la surface de quelques mètres carrés les montagnes sacrées. Fumer des cigarettes, boire dans des gobelets blancs, le rosé ou le punch, oser la grenadine. Oublier les fureurs. Se glisser lentement dans la vraie vie pénétrante. Oublier les replis, les chatoiements instables, l'orgueil, la jalousie (cette affreuse preuve d'amour) se rendre à l'entrepôt nuire aux petits calculs qui ne disent pas leur prix, s'accordant toutes les aises à briser les collègues. "Rien n'est sincère, honnêtement" disait ce camarade (de grande classe) dont l'amie (une dindonne, de mon genre assez paradoxal) remâchant la philosophie druckerienne répondait par le terme:

 - "ça ! ouais, ouais !... et ce qu'il nous manque à nous, à notre époque, c'est que la sincérité, elle soille vraie j'veux dire encore plus vraie!",

c'est parfois si confus, qu'il faudrait préciser ...  S'imaginer au fond, que tout ça finira bien, au nom de la raison, de la tranquillité, que les amis de Georges se chargeront de balayer d'un bon gros rire blasé. 

Dieu s'en mêle, les adages annoncent la décadence, tôt ou tard, un revers, il faut anticiper. Les horizons sont tels qu'on voit bien que le Bon Dieu est en train de se barrer avec les cacahuètes laissant là le gourmet sur sa faim. Fin des fins. On va s'en tartiner. On échange des belles phrases, devant trois oeuvres iniques, sculpture contemporaine à base de crottes de biques posée sur des parpaings, plateformes mélaminées exhibant une série de bombyx, pilés menus, entrés dans un pot rempli d'acry fluo, on meurt pour un triptyque où sont collés trois pous posés sur des manches à balai, le tout signé du sang de l'artiste. Puis l'on se souviendra un peu de Georges, prince lointain, (dont la femme supérieure hiérarchique dans une boîte de cages à lapins) n'était jamais à la maison, la nuit. Du désordre...

On le croise quinze ans plus tard, pâmé dans son habit tout cuir, avec sa grande tête piriforme, un visage sec, et tournant sur lui même, homme-toupie, fier de son devenir. Ensuite viendra le conte (de fées et ses antécédents), + de fadaises encore et des formules pétantes, qui font tourner la tête. On se prendrait presque pour l'autre, l'illuminé mythique qui partit autrefois du temps de sa folie, imposer à l'Espagne la véracité des chimères. Nul ne peut ignorer la tristesse de l'histoire. Et la gueule du lendemain tirera leçon du sage.

A force de prendre les tire bottes pour des lyres, on mourrait presque en queue de poisson. A présent, peut-être les portes s'ouvrent munies de vannes ou de ventelles. Je fais mienne la phrase de Brummel "Il vaut mieux étonner que plaire", ou ne rien dire, programme: le flegme et la parure. Mille traits pour éviter que le ciel dans sa traîne s'unisse aux terres lointaines. Trouver un tas de machins et des consolations comme goûter la saveur d'un beau nu étendu dans l'herbe, là bas juste au milieu du zoo. Une tête d'or à couvrir de baisers pour fêter le printemps qui vient, mille chevelures à coudre ensemble sur un grand lit de perce-neige, un regard de biche abuserait des rêvasseries quotidiennes. La flemme aguichant un instant le bleu turquoise du ciel avant qu'on en vienne à l'écluse, toujours accouplée d'un barrage qui ferme la page d'écriture, une sentence pour la guigne: "chaque chose à sa place, une place pour chaque chose". Et comme on n'est pas difficile, on y trouverait sûrement encore un petit agrément.

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Photos 1 + 2 : Flous artistiques voyageurs et vaguement noctambules.

Photo 3 : Le monde en marche, une anonyme avec des bottines (d'à peine sept lieues). Lyon. Nuit.

 

Ailleurs © Frb 2009

mercredi, 24 juin 2009

Déclinaison

"J'éprouve maintenant, que je suis variable..."

IMG_0010.JPGOn dirait que le jour décline et que déjà les murs absorbent le poison qui est en nous...

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Certains murs ne disent rien. Rien qui ne se décline, n'absorbent rien du tout. Et je crois que c'est pire.

Photo: Fragmentation d'un graff. Le graff entier et sa belle injonction se dévoileront pourtant dans un monde aux volets tristement fermés. Pour connaître les fins maux de la petite l'histoire : cliquez ICI.

Vu quelquepart sur le plateau de la Croix-Rousse à Lyon, en Juin 2009. © Frb