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mercredi, 01 août 2012

Volets vers...

CHAMELET : département : Rhône, code postal : 69620, population : 690 Habitants,  Altitude : 337 mètres,  superficie : 14.77 km2 ou 14, 50 (tout dépend les sources)...


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Chamelet-Village, ce nom résonne comme un bon cru. Les habitants y sont nommés  les Chamelois et Chameloises. C'est un lieu fortifié aux charmes qu'aucun adjectif ne saurait décrire, ce qui tombe bien parce que je n'ai rien vu et comme toujours je dirai tout, pour quelque fantaisie qui hante l'esprit du pérégrin dans ses égarements, à ce passage rapide de la correspondance en ces villes ou bourgades dont on ne parle jamais dans les livres, quand deux minutes suffisent  à rallonger le temps, pour glisser des images et un tas d'impressions plus ou moins pédagogiques. On peut lire à son rythme... je remercie vivement Michèle Pambrun d'avoir inspiré cette exploration, (certes, approximative), en m'invitant via une récente correspondance ici même, à retrouver l'oeuvre de Pierre Bayard dont un livre particulier s'accorde semble-t-il au thème de cette page ; à cette question qui obnubile également certains jours, une tentation de déplacements légèrement improbables : "Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ?".

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Ainsi, sans bouger du train bleu aux banquettes confortables, j'ai pu visiter à travers l'espace-temps, par les reflets d'une fenêtre passée dans une autre fenêtre, l'ancienne place forte des sires de Beaujeu, jadis un centre de tissage et de blanchisseries de toiles. J'ai remarqué les halles en bois du XVIème siècle et un donjon carré également du XVIem, tout cela admirable. Ensuite, je me suis dirigée jusqu'à l'ancien relais de poste puis, croisant là, le Marquis de Chalosset, il m'invita à boire un cruchon de beaujolais au Château (de Chalosset évidemment). Son cousin Gervais de Vaurion jouait là au tric-trac, comme cela est courant à Chamelet en été, (j'en profite pour vous montrer le tableau de Le Nain où le Comte Gervais de Vaurion figure avec son chapeau à plumes qu'il ne quitte jamais, bref, Monsieur le Comte me montra les vestiges du château de Vaurion, ce fût un moment agréable. Ensuite nous allâmes à l'église contempler des vitraux d'une finesse remarquable datant du XVème siècle, et dans le foin nous nous roulâmes, bénis par les ombrages d'une petite chapelle arborée. Profitant ardemment de quelques secondes encore vastes, après avoir vu la maison natale de l'illustre ingénieur hydrolicien, le Baron Gaspard de Prony, dont le nom est inscrit sur la tour Eiffel,  et dans une rue du 17 em arrondissement de Paris, je batifolais un instant avec un ou deux chamelois, chameloises entre la vigne, les pâturages et la forêt. Mais il ne fallait pas traîner, comme on dit "le train n'attend pas le nombre des années" bien que le temps échappât et que j'y fus installée, (dans le train et ce temps étrangement envolés), douillettement calée et galopant par des forces cosmiques assez inexplicables, impatiente de visiter les pierres dorées des édifices, de battre la campagne jusqu'aux coins les plus reculés de Chamelet, tout en savourant la mollesse de somnoler au frais, vautrée comme tout  passager qui se respecte les pieds posés sur la banquette d'en face. Ceux qui ont fréquenté ce genre d'expérience, sauront que deux minutes suffisent à s'abstraire totalement, pour toucher l'insoucieuse déréalité insufflée par le bruit d'une locomotive à l'arrêt. On se retrouve alors comme rien, étranger à soi-même, hors temps si loin du monde et des êtres continuent à courir dans les villes vers toutes sortes d'objectifs dont la quadrature obstinée nous paraît soudain incompréhensible. Ce n'est qu'une impression, produit trompeur de l'oisiveté qui peut parfois revêtir, (gare ! gare ! c'est un piège !) les mêmes certitudes que la vérité la plus sûre. Moralité: Méfions nous de nos impressions...

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La locomotive toussotant un peu au démarrage, j'y gagnais trente secondes de vitesse hyper lente (qui n'est plus de la vitesse mais une lenteur peut-être plus rapide que la lenteur ordinaire, tout cela difficile à mesurer précisément) puis après avoir exploré de fond en comble, Chamelet, ses alentours, (sans jamais bouger de mon fauteuil, là, j'insiste) je me suis aperçue (avec stupéfaction) que ce qu'on ne mentionne jamais quand on évoque le village de Chamelet c'est le lieu fou de la maisonnette laquelle, très curieusement a pris le nom de gare. A cet endroit qui devient aussi un instant magique, on peut, durant deux minutes s'égarer et le reste s'évase. Ainsi, en contemplant ces discrets joyaux villageois par les fenêtres de la maison du chef de gare, là où s'arrête la modernité, je dus encore me réjouir d'un léger réenchantement des lieux, dans la briéveté du temps qui passe et ne passe pas, devant ces beaux lettrages rouges qu'on croyait disparus, et je vanterai en passant, les bienfaits visuels et spirituels des volets verts, ainsi que la bonté intrinséque des rideaux dits "bonne femme", que l'on glane à des prix imbattables à Lyon, chaque mardi au marché de la colline (qui travaille), on n'exaltera jamais assez l'esthétique de la bonne franquette qui adoucit les moeurs autant que les vins de l'Azergue mettent le palais en sympathie avec la terre... Malgré l'annonce des deux minutes, d'arrêt, (en fait, d'annonce il n'y a pas, c'est au voyageur de faire le calcul et comme le temps moderne est arrêté ce n'est pas mince affaire, à cette heure du départ), il faut être matheux pour demeurer d'équerre sur les rails enfumescents "que nos rêves enfumaient", c'est de L'Emile...  Paisible, je suis restée, à Chamelet, deux minutes égales à longtemps, admettons que ce soit une imitation fort bien faite de l'éternité que je pris pour la vraie, collée à toutes les fenêtres, (ubiquité oblige), sans m'y pencher bien qu'étant fort tentée comme au temps de la lison où l'on pouvait ouvrir à volonté autant que refermer ou tomber de l'autre côté, pour un instant d'inattention,  et mourir dans une cotonnade anthracite, (à lire absolument "les périls colossaux" du philosophe cascadeur, Italien E.P. Sporgersi). Ne pouvant pas entrer le corps dans Chamelet entier (certains détracteurs de Sporgersi ayant cher payé de provoquer l'auteur sur ses mouvants territoires), près de ce quai à trente secondes de ce coup de sifflet d'un chef de gare du genre homme invisible, je voyageais encore dans l'air conditionné d'un wagon de deuxième aussi frais que le petit train des gentianes et après réflexion, je décidais de vous glisser quelques images de l'atmosphère inimitable de Chamelet-gare: une fenêtre par minute...  déjà le train nous presse, mais rien ne sert de courir, en soufflant sur une plume par le vent mythomane, l'oiseau vogueur pourra conduire, éconduire le lecteur de Chamelet à Kharbine en tirant légèrement sur les rails avec ses ailes comme sur un élastique jusqu'à l'oubli certain de nos destinations.

 

 

 

 

 

Nota : Pour voir toujours plus grand, il est recommandé de cliquer sur les images. Pour le titre assez lacunaire vous pouvez complèter ...

Photos : Dans l'ombre d'un train, des fenêtres, les derniers volets vers... peut être. Quelques vues. Tout est là ou plus sûrement ailleurs...

 

Chamelet © Frb 2012

vendredi, 02 mars 2012

Impression de voyage

Nous vivons bien à l'aise, chacun dans son absurdité, comme poissons dans l'eau, et nous ne percevons jamais que par un accident tout ce que contient de stupidités l'existence d'une personne raisonnable. Nous ne pensons jamais que ce que nous pensons nous cache ce que nous sommes.

PAUL VALERY : extr. "Monsieur Teste", L'imaginaire/ Gallimard 1946.

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Comme s'il fallait toujours s'éloigner de ce qui fût trop proche, comme s'il fallait ne se fier qu'à la captation d'un mouvement qui prend de la vitesse, pour s'imaginer autre, le mouvement devenu l'unique réalité étrangement saisissable, portant au plus haut point la curiosité et la capacité d'attention, abolirait progressivement les dimensions de l'existence personnelle, effaçant les événements à mesure que la mémoire s'appliquerait à les convoquer. Du moins, est-ce un souhait trop difficile à énoncer, tant il paraît aussi léger qu'un rêve. Un état où il serait en même temps possible d'accepter la destruction de sa propre histoire, et l'idée de n'en rien rejeter, se relier à l'inconcevable détachement né d'un attachement véritable autant qu'il deviendrait possible de regarder sans fureur les déflagrations qui ont entaché ce souvenir. Infiltrer en soi le présent plus entier qu'au coeur d'aucune autre conversation, bercé par le coton des voyages, entre une destination épuisée et le point d'ancrage encore vierge où l'on irait sans doute, tôt ou tard, s'attacher de la même façon qu'hier. On s'attacherait ailleurs, quoiqu'on dise, on recommence presque toujours la même histoire en tous lieux. Mais dans l'improbable lieu qui raccorde et répare, dans ce mouvement de dépossession lente, livré aux grincements étouffés, roulements rondement crissés des mécaniques, délivré de n'être à aucune place pour personne, on verrait un début de réconciliation exister entre-deux, rendu à l'anonymat idéal, parmi des issues entrevues, on se surprendrait approuvant le cours des évènements, et le voyage allégé des raisons même qui faisaient voyager pourrait enfin prendre son sens dans une parfaite vacuité, délesté du sang des regrets, des ressassements désastreux de l'intimité. A présent, on approuve, sans mesurer les heures, porté, lâché, plus présent que jamais et déjà hors-sujet. 

Photo : mouvement du 952861184 saisi entre deux gares.

© Frb 2012.

samedi, 30 juillet 2011

Petits voyages

Donc, si après mille efforts pénibles, le lecteur décrète qu'on n'a pas atteint le port, cependant il vaut mieux sombrer dans les profondeurs en cherchant avec ardeur, que flotter sur un banc de sable.

HERMAN MELVILLE, extr. "Mardi" (traduit par Charles Cestre, introduction D. Fernandez), éditions Flammarion 1990.

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Le mouvement nous sort du danger des aveuglements de nous mêmes, les voyages portent autant conseil qu'ils nous remuent longtemps après, comme la nuit  où  nos songes font revivre les lieux oubliés, travaillent les esprits et nous allons à leur rencontre. J'ai mon billet, c'est plié en petit dans la poche, à chaque instant il me faut vérifier si je ne l'ai pas perdu. Oui, je l'ai. C'est pour l'heure un petit livre blanc, un fragment d'atlas, une cible. Je relis plusieurs fois le résumé recto-verso, avec le numéro du train, juste un "aller" au poinçon qui délivre le droit de s'éloigner, et là, pendant des minutes que j'aimerais encore ralentir, je regarde les locomotives jouer dans la pénombre. C'est un peu comme un mot d'absence, qui ira tout à l'heure glisser entre les mains d'un contrôleur, un billet simple que j'imagine quelquefois sans retour, quand je m'en vais, c'est dans l'idée que je pourrais partir toujours, ou revenir illico par le train qui suivrait, ou encore bifurquer dans la minute, s'il est possible (ah ! les correspondances !). J'ai le billet d'une loterie topographique, tant de bourgades à traverser entre ici et là bas, des forêts inconnues, hameaux sans habitant, vus d'un viaduc, on revit dans la miniature des petits toits, des petits murs, pareils aux bouts de toits, bouts de murs, du jeu de construction pour enfant. J'aime les trains lents, les anciennes Michelines, un jour je goûterai au Cevenol...

En attendant je fais les cent pas hors du hall, je m'égare un peu dans cet espèce de no man's land, le même autour de toutes les gares, je vois au loin des hôtels malheureux, des entrepôts en ruines, des magasins aux enseignes borgnes et puis les lignes bleues qui vont dans la montagne, du côté de Ste Foy-Lès-Lyon plus loin, jusqu'aux Monts d'Or, une illusion d'optique, la musique de "La vie de Cocagne", (merci Zoë !), la ligne bleue des Vosges, une cabane où des gars scient du bois, où des filles font des tartes aux pommes. C'est l'heure indescriptible de l'entretemps à n'être plus qu'un interlude entre deux voies. Sentiment agréable d'honorer la vie sur un banc, le compromis accepterait de céder tout aux mondes flottants, quand fatigué des profondeurs, on déciderait d'un errement en surface afin d'oublier, (un instant), la belle citation de Melville (sorry, Herman, on a dit "un instant") ; un banc de bois sous une rangée métronomique d'horloges hautes perchées, nids de coucous soudés comme des lampes aux plafonds, on fixerait l'incessant clignotement des diodes on serait à l'affût d'autres cliquetis métalliques de source invisible.

Il est 17H44, il me reste quinze minutes avant le départ sur quai A. Ces quinze minutes dureront le temps qu'on les désire, elles paresseront parallèlement dans cette vague perception atemporelle qui tient la page de tous les autres livres. J'ai mon billet, c'est d'un contentement bête. Assise sur un banc, à coté de nombreux voyageurs qui lisent, fouillent dans leurs sacs, ou picorent des Smarties, je dessine machinalement des rectangles sur le modèle d'un wagon de marchandises arrêté juste en bas, j'attache les rectangles avec quelques trombones (tombés d'une boîte trouvée hier, dans le funiculaire), je bricole machinalement des petits bonhommes en tiquets de métro pliés, que je déchire, pour leur fabriquer (grosso-modo) des jambes et des bras. Machinalement, je tue le temps, sans vraiment savoir que je bricole. Mais en gribouillant mon bonhomme, le corps ici, la tête ailleurs, j'imagine en même temps, que j'entre en rotation sur le manège de Petit Pierre dans cette fabuloserie ignorée des grands voyageurs : un joyau en orbite absorbe l'univers, dans la lune, sur la terre, révèlant la huitième merveille d'un monde aux enchantements-rois. Le cercle magique des ferrailles flotte dans l'air qui va loco loco nimber de valses folles les débris reconstruits pour faire tourner la terre sur des boîtes de conserve et le plus étonnant c'est qu'elle tourne merveilleusement...

Petit Pierre en gardant ses vaches fabriquait des cyclistes, des avions, des charrettes, des petits trains et puis il ajouta des boulons aux petits voyages extraordinaires qu'il faisait dans sa tête...

Regardez, c'est divin.


 Lien divin : http://www.fabuloserie.com/#

Nota 1 : la réfutation d'une citation de H. Melville ne durera que le temps d'un petit voyage (réfutation it is not a répudiation, j'ai précisé, j'insiste).

Nota 2 : pour ceux qui aiment les images, (bonus d'été) il y a un Delvaux-garissime à cliquer sous notre photo (voir plus haut ↑).

Photo  :  Gare de Perrache (Lyon) et ses alentours, vus de la grande allée de la gare, fin Juillet, cette année.

© Frb 2011

samedi, 28 mai 2011

Trains de vies

Crains qu'un jour, un train ne t'émeuve plus.

GUILLAUME APOLLINAIRE

train ter W.jpgC'est un vaste atelier où le soleil entre à plein tube éclairant sous toutes les coutures des sièges bleus, des bagages en tissus, des valises, des valises... Des étuis de toutes sortes et des livres dont les pages nous détournent du but, suivent un autre mouvement. Quelques branches fouettent la vitre, de l'autre côté, passent des archives architecturales d'un autre temps ; perdues entre les fougères les usines"Radielec", renaissent et l'on vit un instant dans des villas en ruine sous des vieux parasols qui pourrissent doucement près des hangars. Sur des tablettes il y a partout des petits ordinateurs intéressants et des gens qui voyagent encore dans le voyage. C'est comme les poupées russes, une mise en abyme, un film dans le film. Tout peut se lire, s'écrire, c'est l'histoire qui déroule des choses plus ou moins vraies, nous inspire la certitude que rien n'est à sa place. On voyage pour n'être personne, se détacher ou pour la mutation des sentiments, jusqu'à rejoindre là bas, quelqu'un qui nous attend sur un quai, dans une gare paumée, un être aimé, c'est rassurant, à la fin, on ne sait pas si on saurait le reconnaître parmi les autres comme lui, qui viennent pour chercher, chercher qui ? Arriverait-on indifférent ? Plus indécis, à force de goûter ce temps à tuer comme plus vrai que le temps à remplir. Arriverait-on plus enclin à aimer ? Entre les deux, c'est l'impatience, un jeu versatile, de hors lieu en hors lieu, des points de suspension, entre un point A et B  on devient autre chose, nous ne sommes plus des gens. Une effusion géographique trouble nos attachements, il en vient d'autres plus amènes, nous sommes cette vitesse qui ronge lentement l'affectif, dénoue l'ordre chronologique, nous sommes l'effacement et le temps subjectif est notre possession, comme le vide, l'oubli des origines quand l'origine partout pourrait être la notre.

Je me suis reconnue, en ce point minuscule posé sur un vallon, je me suis reconnue sur ce banc, je suis née sur un quai du côté d'Ambronay j'ai fait mes classes à St Lazare, je me suis mariée à la Brasserie du Train Bleu, je suis morte gare de la Part-Dieu, je ressucite entre St Florentin et Moisenay à la bifurcation, sur la branche Ouest de la LGV interconnexion Est, j'y puise les couleurs assez tendres de la voie C, je réinvente le déroulement du ruban magnétique qui m'attache à l'environnement, je suis un mensonge éphémère, je me vois arrivant à Kharbine, Je ne vais pas plus loin...

Tsitsika et Kharbine
Je ne vais pas plus loin
C'est la dernière station
Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

Un voyage à la fois achevé, et qui tourne des pages, Blaise m'attend. Il porte mes valises, c'est charmant. à un moment, faut toujours changer d'air mais les voyages ça coûte bonbon, Barnabooth m'envoie de l'argent, une place enviée avec lui, on ne voyage qu'en première, oncle Archibald Olson Barnabooth, destinations : Florence, Saint-Marin, Venise, Trieste, Moscou, Serghievo, Saint-Petersbourg, Copenhague, et puis Londres, malgré la volonté de se fixer quelque part une bonne fois pour toutes, se fixer est insuffisant, peu importe la destination de retour, il faut repartir absolument. Se fixer serait pire qu'être enterré vivant, j'admets, qu'il me semble impensable de passer en plaisirs sédentaires, sa seule et unique existence.

Le mouvement emmènage dans la musique anecdotique, mémorise les sons, on pourrait entrevoir toutes les conversations entre ce qui est possible et ce qui ne l'est plus, c'est une autre façon de correspondre avec son temps dans l'immédiat, je pose dans l'immédiat, toutes mes capacités futures. Sur les sièges 49 et 51 des gens parlent d'eux mêmes, ils prennent position sur la terre, des dizaines de nombrils tout comme un oeil géant guettent les destinations. C'est un vaste salon où le soleil entre à plein tube éclairant des peaux blanches, des peaux brunes, des yeux verts, sombres ou bleus. Des vies entièrement subjectives qui mutent entre les mains du conducteur de la loco, dans une situation sonore exceptionnelle, où la ferraille fait disparaître doucement les ossements, ce que nous sommes dans la lumière est malléable, nous flottons un instant. L'humanité abstraite nous tient, nous sommes l'amorce d'une bande magnétique obsolète, nous sommes les premiers habitants de l'Etude aux chemins de fer, les premiers objets d'un salon de musique qui lisent l'avenir derrière une vitre et veulent que le hasard s'emmêle, crée des noeuds dans les lignes avec la détermination de ne pas nous laisser ignorer ce qui pèse, nous sommes des tas de bidules en ut à l'heure précise qui pose le monde en équilibre entre les ponts, nous sommes un moment de renversement de la vapeur dans la machine en suspension sur un viaduc ancien comme neuf.

Cendrars et Larbaud endormis sous l'écrin de carton posé sur mes genoux, au coeur d'une page introuvable, aucun mot n'est venu fixer ce haut lieu formidable qui s'appelle "partout". Il y a des répondeurs qui tournent à vide dans les appartements. Une voix déraille, se défile : "Je ne suis pas là pour le moment ..." Nous touchons l'accès sans le mot de passe, nous allons immobiles, nous captons les remous à la base et le fantôme de Gutenberg, dans les coquilles ramassées de"La vie du rail", nous sommes la suite fantasmatique pour une voix et mille aiguillages, nous sommes les destinations qui s'épousent par hasard, fuient les ères et les aubes, confèrent aux lignes droites la souplesse des courbes, qui s'entrecroisent mais ne touchent jamais tout à fait la destination rêvée, nous fuguons avant terme, pour une correspondance puis une autre, et encore une autre ... Nous roulons sur l'enfance de l'art, avec des portefeuilles boursouflés de billets à oblitérer. Nous sommes la mer et la montagne sifflées par le même chef de gare, nous sommes le contrepoint qui fuit d'une voie à une autre, nous sommes dans les strates, nous vivons dans la forme la plus évoluée de l'écriture qui renouvelle sans cesse l'adage: "partir, c'est mourir un peu"...

 La mort est toujours l’horizon du voyage, que l’accumulation des étapes semble éloigner. Il pourrait cependant y avoir un accident...

 

Nota : Cette dernière phrase a été empruntée à Valéry Larbaud et son grand voyageur de "Barnabooth".

Photo : Intérieur train. Le rideau vert du TNE (Transnabirossinien-Express) qui est aussi un JTB (joli train bleu) photographié au plus près quelquepart ou nulle part, entre Lyon et Orléans.

 

Entre-deux © Frb 2011

jeudi, 02 septembre 2010

September (Part II)

Si on ne cherche pas à exprimer l'inexprimable, alors rien n'est perdu. L'inexprimable est plutôt inexprimablement dans l'exprimé.

LUDWIG WITTGENSTEIN

Sept II cl.jpgIl y a des locos, des saxos, des pandas sur le parking aux alentours de la gare du Bois d'Oingt, il y a des gens âgés avec des grosses valises qui semblent attendre au bout du quai, on se demande ce qu'ils font là. Depuis que la ligne est changée, le train ne s'arrêtera désormais plus jamais au Bois d'Oingt. On voit des paraboles sur le toit des maisons, une jeune fille en jupe longue qui promène un bébé dans un landau à pois. J'apprends par une voyageuse, que le Bois d'Oingt est jumelé avec la Wallonie depuis 1968, qu'on le surnomme "village de roses" et que les habitants s'appellent les buisantins tout simplement parce qu'autrefois l'ensemble du territoire était couvert de buis, qu'il y a là bas, les vestiges d'un château construit au XIIIem siècle avec des passages voûtés, des fenêtres à meneaux. Le Bois d'Oingt sonne à mes oreilles autant que la Marie-Charlotte, une cloche comme une autre, obsolète et fêlée. La voyageuse lit à voix haute, le document qu'elle veut me montrer, je me demande à quoi ça pourrait m'avancer d'en savoir un peu plus sur les cloches obsolètes, mais j'écoute parce j'aime que des voix me bercent:

"Ce jourd’huy 31 mai 1751 a été faitte avec les cérémonies solennelles prescrites dans le rituel la bénédiction de la 4ème cloche du Bois d’Oingt pesant 8 quintaux. Cette bénédiction a été faite par moy soussigné accompagné de messires les curés de Frontenas, vicaires de Bagnols et du Bois d’Oingt."

Tu manges en vitesse une cochonnerie au Quick du coin. A 15H00, tu as rendez vous avec ton psychanalyste qui se prénomme Guillaume comme ton père. Tu auras honte de raconter à ton psychanalyste que tu n'aimes ni ta femme, ni Evelyne, que souvent tu hésites entre Ghislaine et Martine mais qu'au fond tu sais bien que la femme de ta vie sera toujours une autre que tu vénéres d'un amour impossible et qui habite Jinchang dans le Gansu au nord ouest de la Chine avec un acteur brun, ténébreux, qui te dépasse d'au moins 20 centimètres, tu sais qu'il est plus intelligent que toi, surtout, beaucoup plus drôle. Tu sais bien qu'en parler ne servira à rien, mais tu en parleras quand même parce qu'il faut bien que tu en parles à quelqu'un même si tu dois payer pour ça. Tu fumeras une cigarette juste en face d'une église, tu verras un clochard danser comme un indien autour d'un magnéto à cassettes qui diffusera tout dans l'aigu une chanson de Lucienne Delylle, tu croiseras des gamines de 15 ans fardées comme des putains, tu les suivrais volontiers jusqu'au pays des Bisounours, si tu ne craignais pas une fois de plus, de paraître ridicule, à cause de la différence d'âge. Tu penseras un peu à Evelyne qui serait plus jolie dans les robes de ta femme, tu maudiras Ghislaine de ne pas avoir les cheveux de Martine. Tu téléphoneras à Jouvenot avec ton adaptateur kit piéton que ton beau frère t'a offert, le jour de tes 45 ans. Des passants croiront que tu parles seul. Tu parles seul. Tu reliras dans le métro le rapport du vulcanologue. Tu te souviendras de ce matin du 24 Août 79, tu étais à Pompeï avec ta secrétaire, à tirer sur un joint devant des flamands roses, vous vous prépariez à fêter les Vulcanalia, organisées par le comité des fêtes de ta boîte. Mais toi, tu savais bien que le Vésuve grondait déjà depuis des mois. Et tu n'as pas osé leur dire... C'est depuis ce temps là que ton corps brûle. Tu auras mal à l'estomac à l'idée que demain, Jouvenot changera la place des bureaux du personnel désormais tu travailleras aux côtés de Chantal que tu détestes parce qu'elle a des varices et fait trop de bruit avec sa bouche quand elle mange des caramels. Tu te retrouveras à Paris, sans trop savoir pourquoi, tu croiseras Sophie K. chargée de sacs courant en direction de la gare, tu lui offriras d'aller boire un verre au bistro du Festival le Balmoral à Montréal, elle te répondra qu'elle n'a pas le temps. Elle te dira "on nous avale" avant de disparaître dans une bouche de métro.

Ici c'est presque la même chose, pas tout à fait quand même, les nuages abondants m'apportent une licorne, j'ai le Bois d'Oingt en mandala embué sur un pictogramme, le chef de gare a les yeux roux, c'est très rare et très beau. Je m'interesse à tout, à lui, à toi, aux autres. Et je suis ce que le Bois d'Oingt veut bien me montrer de lui, je le suivrai jusqu'à Poule, Poule qui est dedans ce que je veux de Poule quand je ne pense qu'à Poule. Quand je suis mal à Poule je suis bien au Bois d'Oingt. Au Bois D'Oingt je ne suis qu'un point pas plus gros qu'un mammouth. Et je prends la place qui m'appartient et je prends la parole et je prends la main d'un autre, et quand je lui dis, à lui, qu'il n'est pas plus gros qu'un mammouth, il sourit et il doute, quand il doute, je doute aussi, plus on est de points et plus on retrécit, puis à la fin, ce sont les jours, les mois, c'est tout qui rétrécit. Des montagnes accouchent ma souris. Septembre vient, Novembre demain... Ce train s'arrêtera définitivement à Tours. Nous sommes 24 mammouths à descendre avant Tours, avec nos cils fragiles, nos paupières qui bougent, et nos groins cuits par le plein soleil des Issambres, 24 mammouths avec un grain qui descendent en riant d'un train. Septembre vient. On me le dit à Poule. Après des mois d'absence, je suis devenue, rien. Si je me tais, personne ne le remarquera. Septembre vient, je ne suis pas rien. Pas peu rien, ni moins bien que personne. Si j'essaie de le dire, on ne l'entendra pas. En Septembre tous se rentrent, et chacun voudrait devenir mieux que ce qu'il était en Aôut. Rien ne tient. Jamais, personne ne saura désirer se donner les moyens d'éprouver je ne sais quoi...

Des mécaniques t'enjôlent, tu marches à côté de la route qui semble plus enchantée quand tu t'allonges à l'ombre de tes arbres préférés, les feuilles volent, te recouvrent, les serpents muent, les papillons, les champignons, sont tout ce qui reste à présent. Tu as sous la peau une géante bleue de type spectral O ou B invisible à l'oeil nu, et tu t'émeus de la fierté mélancolique qu'il y aurait à s'extraire de la superficie des mondes, à s'ouvrager dans les sonnets d'un élégiaque assourdi par le son des rails.

Sois - et sache à la fois la condition qu'est le non-être,
l'infini fondement qu'il est de ta ferveur vibrante,
et donne à celle-ci, unique fois, pleine existence.

A la nature, utilisée ou bien dormante et muette,
à cette ample réserve, à cette inexprimable somme,
ajoute-toi en joie et ne fais qu'un néant du nombre.

(A SUIVRE... ICI...)

Photo: Wagon abandonné (de la célèbre "Agence-engins" qui eût son heure de gloire dans les années 60). photographié dans une prairie bordant les rails, quelquepart (ou peut-être justement nulle part ?) entre la gare du Bois d'Oingt et celle de Poule les Echarmeaux. Par la vitre du toujours même, indémodable 16846 en provenance de Lyon. Septembre 2010.© Frb.

mardi, 31 août 2010

Variations buisantines

N’arrête pas ta pensée en un lieu, dit le doux maître, qui me tenait auprès de lui, du côté du cœur.

DANTE, extr. "La Divine Comédie", (Purgatoire, X-v. 46 Traduction de J. Risset), Les éditions du Cerf, 1987.

bois d'oing.JPGAllers-retours. Entre la grande ville et le pays perdu. Je neutralise mes habitudes avec toutes sortes d'horaires de train, après les rendez-vous oubliés comme l'été, comme ces jours où je m'accoutume à vivre à rebours des contraintes, avec toujours le même plaisir de disparaître et  m'épanouir sous l'ombrelle d'une fougère dans les bois de Vaux, puis de céder aux fruits abondants des ronciers de Jalogny jusqu'à Saint Cyr. Allers-retours et douceurs capricieuses... Pourquoi se trémousser en ville, quand il y a des trains au départ de chaque gare, à toute heure et pour toutes les destinations ?

Des pérégrins moutonnent autour des vieux wagons. Les autres trains sont beaux, plus spacieux, bleus comme des salons de musique décorés d'un faux-velours assorti aux rideaux. Chamelet, Ternand, Lamure, partir plus loin, se raconter que ce serait l'aventure. Se prendre pour Philéas, pour une jeune fille enturbannée à la Ciotat ou pour la première chaussure de la mission Apollo 11, se garder son aéroplane privatif, personnalisé, tout au fond d'une poche au cas où... (Le transnabirosinien 16846 n'est peut-être pas indestructible). Se fabriquer avec les chutes d'un poème arraché d'une page de la Pleïade, un petit chapeau simple contre les derniers coups de chaleur. Allers-retours par les hameaux de la vallée, sur les plis des sièges modulables de la bête ronde et longue qu'on croirait immobile avant le grand chaos par dessus le viaduc construit avec ces moellons bruts d'un granit ramené des carrières d'Anglure ; ces matériaux portés par le train jusqu'au village de La Chapelle sous Dun puis acheminés par des attelages de boeufs. Juste après... (avertissement aux âmes sensibles, le lien est un peu "empoulé" ) le Bois d'Oingt,  il y aurait des villages, dans le désordre, on pourrait les remonter sans jamais s'arrêter Saint Germain au Mont d'Or, Mussy, Poule les Echarmeaux etc ...

Là, je me suis assise, chargée comme une bourrique juste en face de ces gens. Et j'ai pris les gens sur mon dos. Comme ils étaient faciles! ils venaient  librement, approuvant, tout comme moi le destin collectif, de ces départs plus ou moins grands. Nous avons échangé quelques banalités à propos du temps puis de nos livres dans le mélange le plus parfait d'harmonie et d'indifférence. Et j'ai pris le wagon pour un livre, tandis que le temps m'allongeait.

(A SUIVRE...)

 

 FEVER RAY : "Now's the only time I know"

podcast

 

Photo : Un aperçu du panneau de la gare du Bois d'Oingt à 350 mètres d'altitude, où vivent les buisantins, les buisantines dans des maisons entièrement recouvertes de buis. Une bien belle image comme en aimerait en voir plus souvent. Photographiée derrière la vitre du glorieux 16846 en provenance de Lyon, la ville en Août 2010 © Frb

jeudi, 26 février 2009

La voix de son train

"Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur
et je reconnais tous les trains au bruit qu'ils font
Les trains d'Europe sont à quatre temps
tandis que ceux d'Asie sont à cinq ou sept temps
D'autres vont en sourdine sont des berceuses
et il y en a qui dans le bruit monotone des roues
me rappellent la prose lourde de Maeterlinck
J'ai déchiffré tous les textes confus des roues
et j'ai rassemblé les éléments épars d'une violente beauté
Que je possède
Et qui me force."

BLAISE CENDRARS : Extr: "Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France" in "Poésies complètes" :"du monde entier - au coeur du monde". Editions Gallimard 2006.

train accordéon.JPG

Photo: Les coulisses de "la vie du rail" ou TER en accordéon vu au retour d'un petit voyage, au bord du quai 23 de la gare Lyon Perrache. Ce jeudi 26 février 2009. ©Frb.

"La vie du rail" étant aussi un magazine, (non pas musical mais ferroviaire, qui a ses fervents abonnés), je vous propose, à défaut d'enregistrement "maison", quelques délicieuses notes de ferrailles, ce n'est pas du Bach, juste une idée de fugue ... (offerte aimablement par "la vie du rail", merci à elle.)

http://www.webvdr.com/culturerail/ambiance.php?SID=200902...

certains chemins de certains jours mènent à "La prose du Transsibérien", celle-ci étant dédiée aux musiciens, d'autres extraits se trouvent ici avec les doux oiseaux :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/12/02/to...

Et encore plus loin, sur les quais de province en hiver, où par un autre lien, vous trouverez le poème en entier, tous aiguillages étant entre vos mains :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/12/01/qu...

lundi, 18 août 2008

L'heure qu'il est m'efface

l'heure-des-gares-3.jpgOn dit que l'exactitude est la politesse des rois. Et si l'on a pas raté son train au départ d'un quelconque pays d'origine, on arrive précisément à 17H33 sur le quai 1 bis de la gare Lyon-Perrache voie A. Jusque là tout est bien. Mais malheur à cet autre qui, parti trop tard pour ce train dont le départ de Lyon Perrache, en direction de je ne sais quelle ville, était prévu à 17H32 sur le quai 1 de la voie A. Voyageur mal pourvu, il se retrouve à courir seul sur le quai, juste pour vérifier si par hasard, il ne pourrait pas rattraper son retard... Stupide. Un retard est toujours stupide. Honni soit celui qui, par mégarde, devra trouver l'excuse tandis qu'au fond de lui il se dira dix fois, cent fois qu'il est inexcusable. Et tout ce temps à tuer, âme en peine, ce désarroi coupable, qui s'empêtre, se résigne jusqu'à s'en retrouver bizarrement grâcié, en état de gaieté, consolé. Le roi déchu, retardataire, feuillettera au point presse "Gala" et "Marie-Claire", s'achètera des allumettes, lira les horoscopes, rentrera sans raison dans la cabine de photomaton, puis sortira dehors, jusqu'à l'heure de ce prochain train. Au café, dans un square, il lira dans les rues les enseignes et les graffs , il se prendra pour un héros, une sorte de  KEROUAC, un personnage flou dans un livre à la GRACQ. Il deviendra le roi de tout, sans politesse, un empereur des éléments règnant en sa presqu'île où tout évènement, même celui de l'attente, se délite; fil à fil, hors lieu, hors temps, le précipite; et dans le flux d'un monde suspendu, découd les intérieurs inexorablement...

Je dédie ce billet à tous les retardataires et à tous ceux qui les attendent après l'heure. (C'est à dire même quand ce n'est plus l'heure ;-) ...

Comme un lundi

toit-des-trains-4.jpgGare de Lyon Perrache. Août 2008 : Toits d'un train et d'une gare, photographiés, tout en haut de l'escalator.

dimanche, 17 août 2008

Comme un dimanche

micheline-plan.jpg

"Micheline" entrevue derrière la vitre d'un Corail à l'arrêt, quelquepart entre Tours et Lyon ...