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samedi, 10 avril 2010

Là bas

"Prenez cette parenthèse et me la tenez ouverte."

BORIS VIAN : extr. "Je voudrais pas crever". Editions J.J Pauvert 1962.

pays.JPGDes champs m'ont emmenée. Ailleurs, des messages s'accumulent, des heures de vie pratique, oubliée. L'art d'aimer dévorant. Un pli corne la page de la prose d'OVIDE. Une rature a suffi. La page en fût détruite et le livre gît en vrille. Pour ne pas le jeter, il calera désormais le pied boiteux de mon étagère poètique. Ainsi va "L'Art d'aimer".

"L'art fait voguer la nef agile ; l'art guide les chars légers: l'art doit aussi guider l'amour."

Des heures de vie pratique à chercher toutes les possibilités d'un voyage sous une tête de lune allumant une passerelle, en plastique démodé, là bas entre Perrache en grève et la rue Casimir Périer. L'art je veux l'oublier. Le mêler au mouvement, à l'inégalité, ou à la précision d'un seul geste, pour déjouer peut-être l'illusion pointue du faussaire qui s'applique gentiment à versifier le monde. Mon savoir est fourbu et mon être s'en plombe, je cherche partout un point, une porte dérobée, une traboule arborée et des clefs molles à pendre au bout d'un mousqueton. Les vitrines de printemps sont accordées à mon dégoût. Il y a trop de musique partout, des robes à fleurs, des hommes bien mis aux ruts pimpants, prêts à offrir aux premières tourterelles, les meilleures tulipes jaunes, le meilleur restaurant, tout ce qu'il y a de meilleur pour fêter le printemps. L'abondance de la ville dégoûte. Je n'aime que l'héllébore, cette fleur qui s'ouvre en plein coeur de l'hiver et fleurit de Décembre à Mai. La légende raconte l'autre nom de l'Héllébore. Nous voici au pied du sapin :

"La nuit de la naissance du Christ, Madelon, une petite bergère qui gardait ses moutons, vit les rois mages et divers bergers, chargés de cadeaux, traverser le champ couvert de neige où elle se trouvait. Les rois mages portaient l'or, la myrrhe et l'encens, les bergers des fruits, du miel et des colombes. Madelon pensa qu'elle n'avait rien, pas même une simple fleur, pour ce nouveau-né d'exception. Un ange voyant ses larmes frôla la neige, révélant ainsi une très belle fleur blanche ombrée de rose : la rose de Noël".

J'aime aussi la tulipe, dont le vaste univers de Gunyat (Ier) nous rappelle qu'elle possède cette étrange majesté que n'ont pas d'autres fleurs. Et c'est là, sans doute, selon l'appréciation (un chouïa triturée, draponnez moi, Drolan !) du drang et novalcique Kloso (Ier, également), que le printemps embrasse l'automne et tout réciproquement. Notre fleur virant à l'antique :

"Tulipe était la fille de Protée (Dieu marin qui changeait de forme à volonté et prédisait l'avenir). Elle fut convoitée par Vertumne, Dieu de l'automne, aux attributs de jardinier, or elle restait insensible à ses assiduités. Vexé de son infortune, Vertumne se changea en chassa et traqua Tulipe jusqu'au fond des bois. Pour la sauver, Diane, soeur d'Apollon (dite la vierge blanche), changea la jeune fille en fleur qui s'épanouit au printemps. Depuis ce temps, chaque année au moment de la plantation, l'automne ouvre son coeur à la Tulipe."

Malheur à l'insouciant aroumeux (printanier ou automnal sans le savoir), qui irait offrir à sa bien aimée, un bouquet de tulipes jaunes, car on dit chez les pops qu'elle signifie "l'amour sans espoir", mieux vaut donc une seule "panachée" plutôt qu'un gros bouquet de jaunes, la panachée prouvera encore l'admiration, la rouge déclarera la flamme (ô souvenir des collections de cartes postales et autres reproductions du genre "langage des fleurs" peintes on ne sait plus par qui).

J'aime aussi les soucis en collision d'homonymie, tandis que la fleur (du souci) se réfère au soleil (encore lui !) vers lequel elle reste tournée tout au long du jour "solsequia", en latin signifie "qui suit le soleil", son pétale se mange en salade, l'autre souci, le sentiment, la préoccupation vient du verbe sollicatare, "tourmenter", "troubler". C'est le souci des rues contre celui des jardins, et le souci des champs bouclant enfin la boucle, tout au bout du chemin. Mes deux ânes en alerte s'appeleront cette année Paul et Charles, ils seront de pelage sombre à légers reflets roux, ils auront le regard très doux et même irrésistible, comme ceux des dames de l'époque Renaissance glissant sous leurs paupières des goutelettes à base de belladone, afin d'obtenir ce regard animal qui séduisait tant les messieurs, les yeux de Charles les yeux de Paul...

Nous sommes à travers champs. Nous avons traversé le monde, je ne sais comment, il y eût un bond, un saut en parachute, tant de sacs à traîner, de fardeaux à jeter, pour arriver ici.

Ici, je n'ai besoin de rien ni de personne. C'est ce que j'imagine. J'ai mon embarcation aux sommets des sapins. Je vis couchée dans l'herbe, les jours sont ours bruns. J'use mes yeux et mes mains à vouloir tout étreindre. La vieille terre se penche et des pensées violettes envahissent les jardins. J'ai les clefs de la barrière. L'horizon est ultime. Je suis ce qui advient. Et de cet intenable, cette querelle des villes d'où survint, impérieuse, la nécessité de partir, il me semble que par la discorde, peut-être par accident, de belles choses reviennent. Sont-elles plus vraies qu'avant ? Je reprends le livre D'OVIDE, devenue cale crétine, l'étagère poétique, à pied boiteux s'écroule, tout le cosmos se déchire page après page, peu importe. On mettra au feu ces fadaises et ces rimes quand l'hiver reviendra. Au feu les poésies d'amour pour que l'amour renaisse, au feu toutes les fleurs pour n'en saisir qu'un seul parfum, au feu les larmes du phénix, pour que son regard s'éblouisse, à l'automne au printemps, peu importe. C'est pareil.

Photo : Le chemin qui mène au sommet du mont St Cyr (Le plus haut sommet de la Bourgogne du sud à 771 mètres d'altitude), de là haut on peut voir les cimes neigeuses du Mont-Blanc, des Alpes, les monts du Forez, de l’Autunois, du Morvan, du Beaujolais et du Mâconnais... Et si l'on tourne à gauche, après les pommiers blancs, c'est la forêt profonde. Balade en Nabirosina. Extrait. Avril 2010.©

vendredi, 12 mars 2010

Icare II

Si vous avez loupé le début vous pouvez cliquer sur l'image

TREE76.JPGZarathoustra avait remarqué qu'un jeune homme l'évitait. Et un soir, comme il traversait seul les montagnes qui entourent la ville appelée "La vache bigarrée", voici que dans sa promenade il trouva ce jeune homme appuyé contre un arbre et jetant sur la vallée un regard fatigué. Zarathoustra entoura de ses mains l'arbre contre lequel le jeune homme était assis, et il parla ainsi : "Si je voulais secouer cet arbre avec mes mains, je ne le pourrais pas. Mais le vent que nous ne voyons pas le tourmente, les mains invisibles sont les plus terribles." Stupéfait le jeune homme se leva et dit : "J'entends Zarathoustra et justement je pensais à lui". Zarathoustra répondit : "Pourquoi t'en effrayes-tu ?" - Mais il en est de l'homme comme de l'arbre. "Plus il veut aller vers les hauteurs et la clarté, plus ses racines aspirent à s'enfoncer dans la terre, à plonger vers le bas, l'ombre, les profondeurs - le mal." "Oui, vers le mal ! s'écria le jeune homme. Comment se peut -il que tu aies découvert mon âme ?". Zarathoustra sourit et dit : "Il est des âmes que l'on ne découvrira jamais, à moins de les inventer d'abord."

FREDERIC NIETZSCHE : extr. "De l'arbre sur la montagne in "Ainsi parlait Zarathoustra". Editions Flammarion 1996.

Photo : Des arbres s'élèvent au printemps sur la colline (qui travaille). Peut-être s'envoleront ils en Avril ? Photographiés sur le Boulevard de la Croix-Rousse à Lyon en Mars 2010. © Frb.

mercredi, 06 janvier 2010

Hameaux couverts

"Ils agonisent longuement dans l'herbe poisseuse, et le premier laboureur qui les découvre, à l'aube, imagine déjà les sombres histoires d'amour qui auréoleront le nom déformé de la victime, aux soirées d'hiver, dans vingt ans et plus. "

ROBERT DESNOS in "Le rêve de Foujita". Extr. de "Récits, nouvelles et poèmes". Editions Roblot 1975.

pays118.JPG

Le silence revenait en écho. On attendait la neige. Lui, ce qui l'interessait ce n'était pas de regarder la neige. Mais de la fabriquer. Il avait fait courir le bruit, et la lumière avait baissé. Le lendemain sur les chemins défilaient des laines polaires. Dans ce chaos, lent, fascinant, glissaient des corbeaux freux et des pyrrhocorax graculus conversaient à coups de "schkwahk!  schkwahk !". Sur un chariot des paysans chargeant des sacs de sel, de sable parlaient d'une bonne femme dépressive du hameau où vivait la Francine qu'avait tué son homme à coups de carabine.

L'autre, ce qui l'intéressait ce n'était pas de regarder les gens mais de calculer comment la neige viendrait dans leur esprit, y déposer ce grain et la boule de givre qui roulerait sur les évènements, dévorerait les âmes impitoyablement. Le silence feutrait la rumeur, il y avait des on-dit. Au village alentour, une femme avait tué son homme parce qu'il courait. Chacun se demandait : "Son homme courait. Mais avec qui ?". Ils croyaient tous dur comme fer en la neige, celle qui ensevelit, quand leur bonne fée sournoise, viendrait à point fermer les pages remplies de l'encre qui coulait mais n'arrivait pas jusqu'ici. Et sous la paille mauve de la vieille Euphrosine, un épi malheureux caché sous la tripaille, le dernier mouvement d'un rêve anthropophage, ensanglantaient son lit. Ce qu'elle avait rêvé la veille, elle le racontait le lendemain. Et elle le racontait si bien, avec son gros bec de volaille, que tous les villageois se groupaient devant la mairie pour écouter jacter l'aigre et la chevrotine et ils en revenaient la langue bien aussi chargée qu'Euphrosine.

L'autre, ce qui l'intéressait ce n'était pas le bec d'Euphrosine mais le museau des rats qui mangeaient le ver du fruit en accouplant tous les on dit aux candiratonnailles. D'autres nuits revenaient encore, et des longs chats à poils d'or miaulaient sous les fenêtres de ceux qui l'année précédente, sous prétexte d'un voyage à Dyo, avaient donné des coups de couteau au contrat de mariage. La vieille qui n'avait jamais connu d'homme, regardait le haut de la montagne, l'oeil craintif, la croupe sertie dans des cotillons de maille beige frottés aux rosaces d'un panty. Ce que demandait Euphrosine : un geste favorable, c'était fabriquer de la neige avec lui. Sentir le clou dans cette entaille. Fondre dans ce délit.

Là haut, entre meurtières et murailles, l'autre regardait Euphrosine jeter des crosnes dans l'eau bouillie, marmonner seule les saloperies de ses rêves sur ses casseroles. Et ça faisait une vapeur peuplée d'ombres et d'odeurs molles, dont il enrobait Euphrosine qui ressentait alors de ces choses incroyables tout en bas de son ventre. Quand tout cela était fini. Euphrosine redevenait méchante. Autour de sa bouche, une bave. Et c'était reparti.

La neige on l'attendait, pour sûr ! Plus impatiemment que les Rois Mages. On l'attendait comme le messie. Ce qui sourdait dans cette attente déclenchait toutes les avaries et l'eau brune des boutasses du hameau des "Piques" à "La Pelaude", débaroulait sur les cabanes, recouvrait le bourg de sa vase. Un monde devenu limoneux. Mais le limon ne gagnait plus. Chacun restait dans sa cabane. Le coucou parfois chantait l'heure. Des pommes blettes sur un bahut, un peuple de pelles et de pioches, retranché dans ses cabanons, stockait son sucre, en tordant des reinettes dans des bouteilles d'alcool de poire. Tous ici attendaient la neige. Et si la neige ne venait pas, il y aurait encore un drame. C'est ce que racontait Euphrosine.

L'autre, ce qui l'intéressait, quand il fabriquait toute cette neige c'était d'en préciser le blanc. D'en extraire le pesant. Son point d'apparition. De perfectionner la matière, de la goûter jusqu'au moment où il pourrait s'en délivrer. Mais cette fois, il était en retard. Ces infinités de façons, le secret qui vient au flocon, toute la légèreté du cristal, étaient tombés de l'alambic. Et les cotillons de la carne, à l'heure où il crût en pleurer troublait le coeur du papillon qui redevenait larve. Ils avaient tous trop attendu. La méchanceté de la vieille allait faire des petits. L'autre savait qu'il n'y aurait pas assez de neige pour tout le monde. Il ne restait qu'une solution pour empêcher la méchante femme de faire grêler sur le pays des paroles pire que la gale.

A minuit environ, cela vint comme un mauvais charme dans le cabanon d'Euphrosine. Un portail grinça au jardin. Elle se retourna dans son lit, avec son grand bec de volaille, elle cria "Qui est là ?". L'autre avançait à pas de chat, un corps lourd de bête docile et doré comme du pain d'épice. Elle lui tendit les bras, de grands bras en lambeaux. Son bec claquait gaiement, elle bêla : "Tu es beau". Il entra dans le lit, posa doucement sa bouche sur le cou de l'épouvantail et répondit "C'est moi, tu vois, je suis venu". Euphrosine succomba trois fois et sentit par trois fois la neige velouter ses entrailles. A six heures du matin elle s'éveilla seule dans son lit. Il faisait encore nuit. Devant la glace elle s'aperçut que son bec de volaille et le sang sur ses draps avaient miraculeusement disparus. Elle attendrait le petit jour pour en informer le village. Elle désirait que tout le monde sache qu'elle était une autre Euphrosine. Elle demanderait pardon aux habitants, à Jésus, à Sainte Euphrosine. Sous le châtiment du bavard elle irait dire des "Notre Père" à l'Eglise de Bois Ste Marie. Jésus lui pardonnerait contre une messe et des prières, les habitants seraient sans doute moins indulgents, mais ils s'habitueraient. Parce que l'autre, un jour, tôt ou tard, finirait bien par l'épouser.

Le journal avait annoncé quinze centimètres pour la nuit. La Francine réfléchissait. En y allant à dos de mulet elle pourrait arriver aux "Piques", juste avant le lever du jour. C'était un vieux pari stupide. Elle avait promis au bon Dieu que si la neige ne venait pas le 6 janvier exactement au moment du lever du jour, elle dénoncerait Euphrosine. L'autre qui tirait les plans et la neige dans ses alambics ignorait tout du dénouement. Puisqu'il n'y avait pas assez de neige pour tout le monde, il les laisserait ensevelir.

Le jour vint, sans un petit flocon, sans la moindre gouttelette de givre. La Francine à dos de mulet dépassa le bourg de Dyo. Euphrosine pour la première fois, avait mis du senbon, et nettoyé sa paille mauve au Palmolive. Parée d'une toque en Astrakan on pourrait la trouver aimable sans son bec de volaille. La Francine arriva très tôt. Bien avant Euphrosine. Elle avait eu le temps de sonner à toutes les portes, d'avertir les gens du pays. Quarante trois cabanons, plus les maisons des "Piques" et celles de "la "Pelaude". Euphrosine partit en chantant dans sa nouvelle peau d'Euphrosine. La Francine qui parlait jamais mais regardait tout derrière sa vitre, donna le nom de celle qu'avait couché. Quarante trois cabanons, autant de carabines. Euphrosine n'eût pas le temps d'atteindre la place de l'église. Ils visèrent tous en même temps. L'autre rangea ses alambics. Il y eût une mare de sang sous un ciel assez dégagé.

IMG_0049.JPGPhoto 1 : La frontière du hameau des "Piques".

Photo 2 : Le son d'un pas sur "La Pelaude".

Photographiés vers l'ancienne maison d'Euphrosine, par l'autre. Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.

lundi, 04 janvier 2010

Appréciation du jour et des saisons

Ô fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue,
Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue
D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau
D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.

CHARLES BAUDELAIRE : "Brumes et pluies" in "Les fleurs du mal", éditions Gallimard 2005.

brouillard A.jpg

Le cycle saisonnier a obsédé le XVIIIem siècle. La fin du XVIIIem siècle et le début du XIXem se sont révélés décisifs. On commence à lire dans les journaux et les carnets, l'accord entre l'être intime, le sentiment du moi et les évènements météorologiques. "Les baromètres de l'âme" pour citer notre ami Jean Jacques qui s'appliquait à capter l'éphémère. Une correspondance s'établit entre la variabilité de l'être et celle de l'état du ciel. Le nuage, la brume ou la pluie affectent profondément l'être. Les carnets de JOUBERT sont un exemple parmi d'autres. Il  nous a légué des pages étonnantes de modernité sur les sentiments éprouvés par l'individu sous l'averse.

Lors d'une enquête réalisée à la fin des années 90 de notre siècle sur le brouillard par Lionnette Arnodin "A la poursuite du brouillard, énigmes et mystères", 275 individus furent interrogés, afin d'analyser la manière dont ils percevaient le brouillard. Pour beaucoup, le brouillard paraît coloré. Les personnes interrogées utilisent fréquemment le suffixe "âtre" (Blanchâtre, grisâtre, bleuâtre), il est perçu sans odeur, tout au plus il peut évoquer l'humus, odeur de terre que l'on croit respirer. Il constitue plutôt un moment pour les hommes et un lieu pour les femmes. Il est apprécié parce que doux, moelleux, ouaté mais aussi esthétique, poétique, silencieux. Il est "L'effaceur de ce que l'on ne veut pas voir". Il n'est pas apprécié, parce qu'il est froid, dangereux, hanté, évoquant les cimetières et la mort, porteur de signes mystérieux qui inspirent la crainte. Il semble plutôt lié au diable qu'à Dieu. On l'associe souvent à la fumée, à la ville de Londres, aux fantômes et aux labyrinthes. Il inspire une peur archaïque parce qu'il isole, masque, étouffe, absorbe. Les enfants détestent le brouillard, les hommes l'apprécient peu, les femmes l'apprécient davantage. Le plus intéressant, c'est qu'il n'existe guère de rapport entre la réalité du brouillard et sa représentation. Par exemple, il est moins fréquent en Bretagne que sur la côte d'azur, il n'est pas aussi présent qu'on le croit en Angleterre  bref ! (je vous épargne la carte du monde). De toute évidence nous nous sommes construits une géographie du brouillard, qui est en fait, une géographie imaginaire issue probablement de nos lectures. On s'imagine qu'il y a du brouillard dans les contes, alors qu'il y en a peu, mais par contre la forêt dans les contes est toujours présente or il nous plaît d'associer le brouillard à la forêt. On s'imagine qu'il y a brumes et brouillard dans les oeuvres de SHAKESPEARE, alors que l'auteur l'a rarement spécifié. Même chose dans les romans de CONAN DOYLE, "Le chien des Baskerville" (pour ne prendre qu'un exemple au hasard) ou pour "Le Grand Meaulnes". Peut être parce que notre esprit se représente toujours SHAKESPEARE avec des fumigènes ? Et que dans un "Grand Maulnes" (du genre vu à la télé, ou au ciné) il y a du brouillard, effectivement. L'appréciation dépend aussi beaucoup du vocabulaire. Celui qui définit les météores en différentes langues n'est pas si précisément transposable. Dans la "Divine Comédie", il est question de "fumi" que l'on traduit tantôt par fumée, tantôt par brume, ou encore par brouillard. Le brouillard est féminin dans certaines langues, masculin dans d'autres. Le brouillard a aussi longtemps été associé à la nuit, figurant le lieu des sorcières. Dans la littérature de HOMERE à nos jours, il symbolise une frontière entre le sacré et le profane. Il augure le passage dans l'au delà. Il sépare la terre du paradis. Il permet l'accès à un monde où se retrouvent ceux qui ont manqué à leur parole, ceux qui ont été infidèles en amour. Enfin, le brouillard nous signifie l'ensevelissement, la pénitence, le châtiment. Mais ce que je préfère dans le brouillard, c'est son aspect délimité sous formes de lambeaux ou nappes, son étrangeté peuplant notre imagination de créatures improbables. Cette béance de la croûte terrestre, ouvrant un monde où les génies, la dame blanche, les lavandières de la nuit... les vaisseaux fantômes,  ou les arbres gommés, quasi pantelants, quêtent un lent supplément à la nuit, et invitent insidieusement l'homme à vouer son âme au purgatoire.

Un certain jour (pas trop promis) je vous parlerai peut-être de la pluie, de l'ouragan, ou de la neige si la Dame blanche ne me mange pas.

Ces notes ont été largement tirées du livre d'Alain CORBIN "L'homme dans le paysage" paru aux éditions Textuels (2001), dont vous trouverez quelques extraits : ICI

Variation sur un même thème, à voir :

http://www.dailymotion.com/video/x24p1i_nuit-et-brouillar...

http://www.youtube.com/watch?v=1djGyCj1vCk

http://www.youtube.com/watch?v=26DRA09tTik

Et comme tout finit par des chansons, à écouter :

http://www.deezer.com/listen-288401

http://www.youtube.com/watch?v=NqlpymCyGu0

Photo: La naissance du brouillard photographiée au pied du mont St Cyr en Nabirosina. Le 04 Janvier 2010 .© Frb.

jeudi, 10 décembre 2009

Se consumer... (Interlude)

Oui, ce monde est bien plat ; quant à l'autre, sornettes.
Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes [...]

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Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.
Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord
Me plonge en une extase infinie et m'endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.

Et j'entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Où l'on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des chœurs de moustiques.

Et puis, quand je m'éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le cœur plein d'une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d'oie.

JULES LAFORGUE : "La cigarette". Extr. "Le Sanglot de la terre" (1901), in "Oeuvres complètes". Editions Mercure de France.

Juste le temps de s'en griller une, (pour de vrai), entre deux billets (sur le pouce, si j'ose dire), de l'ami Jules, dont les carnets sont enfumés de manière si insoutenable que je propose à qui voudra s'y coller de remplacer, tout ce qui pourrait s'approcher de près ou de loin à une pipe, cigarette ou cigare (tourniquette ?), par le mot ou l'expression qui lui sembleront les moins nocifs pour la santé (évitez s'il vous plaît, les sucreries, le nougat, le surimi, les matières grasses, le glutamate, le boissons gazeuses etc... (Les fruits et légumes sont évidemment bienvenus).

Extrait d'un agenda de JULES LAFORGUE couvert par endroits de notes et manuscrits (imprimés par Charpentier, avec textes et dessins datant de 1883), elles datent du séjour de J. LAFORGUE en Allemagne où il occupait les fonctions de lecteur auprès de l'impératrice Augusta. L'auteur est alors âgé de 23 ans, il mourra quatre ans après les avoir écrites.

Ici seules quelques allusions à  la cigarette-ont été sélectionnées, j'espére que les Laforguiens inconditionnels me pardonneront ces coupes scandaleuses qui en diront peut être aussi (un peu) sur ce qu'il advient d'une oeuvre quand des malins, pour la bonne cause, s'amusent à l'amputer. Là n'est certes pas mon intention, (j'ai cisaillé à l'envers, pour ma bonne cause évidemment), souligner une substance qui se glisse dans les notes comme une nécessité (et allons donc !) mais c'est sérieux. La "fumerie" étant l'interlude idéal pour J. LAFORGUE entre l'ennui, les sorties mondaines, les promenades, elle s'impose très naturellement comme la plus précieuse des ponctuations voire des aérations. (Les lecteurs fumeurs comprendront...)

Le texte intégral est disponible ICI et les extraits de "tabagies" only, ci dessous :

Samedi 31 Janvier : "Dîners sommaires pipes nombreuses [...]"

Mardi 17 Avril : Départ sous des cigarettes Butterbrod [...] Vaste chambre au premier fumé au balcon couché causé panthéisme [...] Renoncement jusqu'à minuit en fumant."

Mercredi 18 Avril : Levé 8H00 en fr, fumé sur le balcon devant la caserne [...] mangé à l'Hotel de France, terrasse café, fumé rôdé plein le dos musée ethnographique anthropologique spleen fumé rôdé gare. Embêtements éreintés rôdé en voiture départs folie fumée sentimentalité

Lundi 30 Avril : (notes) [...] Reçu la revue pris le thé cigares. A Bade les journées passent [...] On mange trop bien on fume trop [...]

Mardi 1er Mai : Avec R. tendresse cigares le salon là bas [...]

Mercredi 2 mai : [...] Promenades éternelles bons repas cigares [...]

Jeudi 3 Mai : [...] Fêtes spleen cigares prairies hannetons [...]

Mercredi 16 Mai : Cigares promenades accoutumées [...]

Samedi 19 Mai : Rien, l'arrivée de la vie moderne je me roule des cigarettes tabac conservé au frais dans mon huître bronze chinois."

Photo : De fines cigarettes avec une grosse fumée (presque dans le nez des dieux). Vue un beau Décembre 2009. © Frb.

mercredi, 09 décembre 2009

Des fondus enchaînés

Non, non ! C'est la saison et la planète falote !
Que l'autan, que l'autan
Effiloche les savates que le Temps se tricote !
C'est la saison. Oh déchirements ! c'est la saison !

JULES LAFORGUE (1860-1887). Extr. "L'hiver qui vient" in "Derniers vers" (1886).

Interlude BIS.jpg

Quittant un homme qui marchait seul au milieu de son travail, j'allais au jardin du musée. Sous "l'Adam" de Rodin, une femme nourrissait une marmaille d'oiseaux antipathiques. Des touristes guettant l'heure du spectacle entraient par le grand escalier visiter les motifs discrètement géométrisés, sous des arcades. Dans ma poche la menace d'un impayé s'échappait par l'ouverture d'une doublure en train de se découdre. Sur ma peau j'avais déposé un gros pull imbibé des senteurs d'antimite au bois de cèdre, par dessus mon gros pull, une peau de daim qu'on aurait dit comme empaillée. Toute la ville malgré la douceur de ses 12 ° à peine, sentait l'hiver à en pleurer. Nul ne manquait d'allure.

La somme dûe était illisible, quelques gouttes de pluie sur un mauvais papier sirotaient tendrement ma dette, il n'en restait presque plus rien. Cet homme à qui je devais tant, (juste un petit peu d 'argent en fait, 42,37 euros), à présent me suivait chaque jour. Ou plutôt j'avais la certitude de le croiser partout. Une sourde impression, comme l'hiver suit l'automne pour le dépouiller lentement. Arracher les feuilles une à une jusqu'à des mondes parfaitement glabres. Ce n'était pas tant la somme dûe qui me plumait insidieusement mais l'effort acharné que mettrait cet individu pour la récupérer. Sa secrétaire avait bien souligné en rouge sous mon nom, tapé en gros caractère cet autre mot en majuscule  "RAPPEL". Ca commençait ainsi : "Chère Madame ; Nous vous rappelons que vous n'avez pas réglé le montant de nos honoraires, s'élévant à 42,37 euros, il s'agit sans doute d'un oubli... Dans ce cas veuillez patati patata". Veuillez, madame, l'extrême onction. Ou moins tragiquement, une injure. Ces gros et vilains caractères suivis d'aimables salutations vulgairement distinguées.

Dehors les premiers visiteurs de la fête (des lumières), ébauchaient des projets de cuite qui durerait au moins trois jours, la Valstar, (bière des stars), se boirait au goulot ensuite il y aurait de la joie à genoux dans des traboules. Les écrans géants feraient diversion, une charade qui s'éloignait un peu plus chaque année, pour devenir une opération. Proche de l'effondrement, visiblement désaccordée, je jetais des cailloux dans un ciel versé sur une flaque. Je visais au jardin, l'or des feuilles qui semblaient vivre enfin et nager dans les fonds, deux centimètres au moins où j'imaginais le flottement, l'embrassage des coraux mous qu'on appelle les sarcophytons dans le jargon des récifalistes. Cet univers en perpétuelle mutation forçait l'art de la fugue. J'ébauchais une idée, qu'on m'oublie, voilà tout. Lassée des vies de patachon, je livrais mon salut au royaume du sarcophyton.

"La star des coraux mous, le sarcophyton dit "sarco"fait partie de la grande famille des coraux cuirs [...] ce sont des coraux à croissance rapide, les "sarco" muent régulièrement et leur croissance en aquarium peut devenir spectaculaire si les conditions de maintenance sont optimums [ ...] Ce corail nécessite un éclairage relativement puissant pour bien croître [...] Ce corail peut être parfois utilisé en remplacement d'une anémone pour un couple de clown dans un bac communautaire [...]"

Tout devenait limpide. Par la grâce du sarcophyton, j'eus l'impression de comprendre exactement ce que le monde attendait de moi.

Des oiseaux aquatiques glissaient sur le vieux bâtiment. Ils recouvraient à présent mon reflet qui déclinait ses formes à l'oblongue dans une frise s'achevant en queue de poisson qui mangeait les graviers sous la rouille des bordures en arceaux, délimitant l'espace entre les gens et la pelouse avec une autorité délirante. L'océan m'éprouvait, gagnait en certitude, attiré par le socle de la statue, on distinguait lacérés à la pointe d'un couteau, deux coeurs trop larges mal ajustés, plus deux prénoms tellement crayonnés, qu'aucun des deux ne demeurait lisible. La poésie commençait là, sur ces biffures exquises, un trait pour l'immortalité, l'amour fou accroché au socle d'une statue évoquant mille sentiments enroulés sur eux même en minuscules lambeaux. Des milliards de lambeaux de secondes chagrinées, apprêtant patiemment tout l'orgueil pour la suite. Une pavane en dénégation, mimerait encore l'offrande qui s'exposerait libérée de la morale, et des institutions, par la grâce de communicants absolument conquis par cette idée : la recherche de l'âme soeur, l'alter ego. Le retour du sentiment vrai, de l'authenticité. Oui, l'amour véritable. Là, sous ton nez, mon beau, "Couilles en or jamais ne songent à la destruction de nos âmes". Un poète riant dans la brume, assis sur son tas de rebellion  se moucherait dans mon petit papier façon cocotte, ou le poserait, là, juste sur les flots, un bras d'honneur à Harpagon. D'autres plus conquérants n'espèreraient qu'une catastrophe, un bout de fumier pour renaître. La révolte, devenue impuissante, toujours sous les lampions, s'acheverait par l'invention de la Vénus de Milo version indienne, avec six bras, des lingeries à motif Snoopy des pantoufles à tête d'animaux, c'est à peu près tout ce qui resterait de notre génération.

Je songeais au "proverbe futur" ouvrant "le socle de la statue" d'Auguste VILLIERS DE L'ISLE ADAM, (publié en 1882 sous le titre "La maison Gambade père et fils") :

"A quoi bon la hache ? Ne t'arme que
d'épingles, si tu n'as pour objectif qu'un ballon."

Je songeais à ce brouhaha que faisait l'amour fou au départ d'un train à très grande vitesse, à Paris gare de Lyon, un mouchoir maculé de larmes oublié sur la chaise de l'illustre brasserie du train bleu. Y aurait il aujourd'hui plus petit qu'une épingle, pour crever définitivement un ballon que l'esprit ne supporte pas de voir se dégonfler davantage ?

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Je songeais à toutes ces ingénuités, aux bureaux de tabac, aux bancs publics, à tous ces doigts coupés par des machines de menuisier, jusqu'à ces visages d'apôtres martellés aux tympans des églises romanes. Tout ça  pour arriver à "ça" : croiser à chaque pas la trahison, la belle engeance qui au fil du temps se délave, le spectre indiscret des créances et toute une politique de civilisation, marquant insidieusement nos corps sans même le respect minimum. "Le nouveau commencement de rien", lu par des turbo-bécassines militant pour le thème astral et des cyber gédéons bio (mais qui fument quand même des pétards), boursouflés de musique concrète, d'art abstrait, de cinéma d'avant garde, aimant SARTRE, le poulet basquaise, l'ésotérisme et les choses simples par exemple se faire une petite raclette entre collègues en fin de semaine, vautrés sur des convertibles norvégiens. Ces beaux "épanouis" prêts à pourrir dans les bras de leurs prochains, déroulant une vie à tartiner des miettes, encartés et voraces, comme ces oiseaux hideux. Marchant à reculons à la recherche des pires audaces de leur jeunesse... "les arbres en fleur en plein hiver", (mais si ! vous savez bien !), et pour projet un programme poétique, surtout ludique du même tonneau. Sous la foi généreuse entre tous, il se trouve toujours un radin bardé de titres et d'honoraires, pris par l'angoisse, qu'on ne lui règle pas 42,37 euros dans les meilleurs délais. Un de celui qui à table après avoir bien bu et bien mangé, ose vous dire d'un air sympa: "Avec 1000 euros aujourd'hui t'as rien ".

Au milieu du jardin, cet homme épouvantable, accompagné d'une auxiliaire pourvue des papiers nécessaires, était assis, il m'attendait, au tournant comme on dit. Je me laissais glisser lentement, buvant la tasse dans cette flaque, je m'y noyais avec l'espoir de terrasser mon dû, puis pour bien achever l'histoire, me livrer aux coraux nés de mon imagination malade. Entre cette eau usée et mon petit personnage, le sarcophyton avançait. D'autres petits sarcophytons viendraient pour sauver l'équipage. C'était, (je pensais), le sacrifice qui donnerait beaucoup d'espoir à ceux qui survivraient. Peut être un jour sur un tee-shirt, un poster, ou un sac, peut être on me sarcophytonnerait. Cette idée là, valait la peine. Laisser en ce monde une trace... J'avais à présent immergé mon corps entier dans cette flaque, il n'y avait plus ni jardin, ni palais. Je m'en allais. En route pour une nouvelle vie.

Au loin, un vieux son dégueulasse, vociférait :"Vous me devez !". Ca sonnait comme une pointe de compas crissant sur un tableau d'ardoise. Le sarcophyton souriait. "Avais je vraiment idée de l'importance de cette flaque ?" Quand le sol me recouvrit, je me retrouvais dans un aquarium. Quelqu'un recousait ma doublure, un ouvrier cirait le bout de mes savates. Le sarcophyton caressait paternellement mes cheveux. "Vous avez fait le bon choix", il me disait. On me fît remarquer que ma peau de daim n'était pas tout à fait présentable. Dans les bas fonds un labyrinthe. Sous la pelure d'oignon, une autre pelure d'oignon. Je flottais gentiment sans plus penser à rien, tout ce confort bientôt serait mon necessaire, "j'y prendrais goût". On me présenta un comptable : "Ne vous inquiétez pas, les 42,37 euros, seront réglés aujourd'hui même". Bien monsieur, bien madame. J'étais sauvée. On m'apporta dans une vaisselle (en cristal de bohème) : Du caviar, du foie d'ortolan, puis un gigot de paon pistache sur son coulis moléculaire. Suivis d'un dessert somptueux. Un mystère fait maison...

Ce n'est que le soir en me couchant, que je sentis quelque chose peser. Plus affligeant encore que la crainte d'une dette. Ma vieille vie courait derrière, et m'observait en ricanant. Mon visage semblait fondre, comme s'il n'était plus, ou de loin, une tête trop grosse qui se vidait tout bas. Même ma voix m'angoissa, il en sortait des sons atones mais les mots ne se formaient pas. Je ne trouvais plus un mot, pas le moindre petit mot  pour dire quoi que ce soit. Je tentais une phrase  j'eus honte. J'agitais une clochette pour exiger du personnel qu'on m'apporte un miroir de suite. Apparence, ma belle apparence ! sur mes mains poussaient des poils blonds. Mais comment exprimer le désir de remonter à la surface, s'il n'y a plus de mots ? Et puis bon, après tout ! j'avais choisi. C'était comme ça.

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Sur ma table de chevet; on a mis les carnets de Pierre-Jean Franfari, les fameux trialogues (des entrepreneurs, des politiques, des financiers, en voyage au futuroscope) c'est très interessant. Je m'habitue à cette vie. je sais que les choses vont dans le bon sens. Hier je suis allée à la bijouterie, m'acheter des boucles d'oreilles et une broche représentant une tête de rat avec des cornes. Orselyne, une collègue de travail m'a prêté son tailleur fuschia, il est un peu trop grand pour moi, mais en reprenant la taille, avec des fronces, des épaulettes, j'arrêterai de ressembler à rien. On m'apprend aussi à marcher avec des livres sur la tête. Les essais de MONTAIGNE + les oeuvres complètes de DOSTOIEVSKI . Tout va bien, j'apprends vite et je m'en félicite. Je regrette qu'ici, il n'y ait pas de fenêtres. Ca manque un peu. La nuit surtout, j'aimais beaucoup, dans ma jeunesse, rester des heures à la fenêtre pour regarder la lune. Mais il faut savoir ce qu'on veut dans la vie. Je ne regrette rien. Hier j'ai lu 450 pages des carnets de Pierre-Jean Franfari, je les ai lus d'une traite, jusqu'au matin, dans mes draps bleus, avec mon groin.

Photo : Variations pour une flaque et des reflets. Photographiés au jardin du Musée des Beaux Arts, à Lyon autour du 08 Décembre 2009.© Frb.

jeudi, 26 novembre 2009

Koyaanisqatsi

"On ne peut pas créer une société juste avec des moyens injustes. On ne peut pas créer une société libre avec des moyens d'esclaves. C'est pour moi le centre de ma pensée."

JACQUES ELLUL, cité par Patrick Troude-Chastenet in "Jacques ELLUL penseur sans frontières". Editions l'esprit du temps" 2005.

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Jacques ELLUL (1912-1994) occupe une place singulière dans la critique de la modernité. Auteur d'une soixantaine d'ouvrages, il s'est appliqué au cours de sa carrière à poursuivre un seul but : affirmer et défendre la liberté de l’homme face aux périls qui la menacent. Franchement hostile à ses contemporains (les leaders de droite) et à leurs idées, il s'est appliqué également à critiquer ceux de son camp, (la gauche), au risque de constants malentendus. Dans ses textes de 1935, soit quatorze ans avant les premières conférences d'HEIDEGGER sur le sujet, ELLUL considère déjà que c'est la technique et non le politique qui se trouve désormais "au cœur des choses". ELLUL a toujours refusé cette filiation intellectuelle avec Martin HEIDEGGER dont il connaissait dès 1934, l'engagement nazi. Résolument hostile aux "soldats politiques" fabriqués par le nazisme et le stalinisme, sans pour autant se reconnaître dans l'individualisme libéral à l'américaine, le jeune ELLUL a lui aussi cherché une troisième voie. J. ELLUL a traversé un monde terrible, impossible de comprendre son rapport au politique en faisant l'impasse sur ce contexte historique traumatisant : deux guerres mondiales, les horreurs de la guerre d'Ethiopie, la guerre civile en Espagne, la Shoah, la guerre totale combinant des techniques de destruction toujours plus sophistiquées avec le tréfonds de la barbarie humaine. Et partout le triomphe de l'état-Moloch.

La proposition émise par le sociologue Lewis MUMFORD (1895-1990) et Georges STEINER (sur un mode plus romanesque), selon laquelle "HITLER a bien gagné la guerre", fût déjà été suggérée par J. ELLUL en 1945, elle n'eût rien d'une affirmation de circonstances puisque J.ELLUL la réitéra tout au long de son oeuvre. Le modèle nazi, selon lui s'est répandu dans le monde entier, qu'est ce à dire ? Sinon que pour vaincre le régime hitlérien, les démocraties se sont moralement condamnées à vouloir vaincre le mal par le mal, autrement dit en s'engageant sans réserve dans le culte de la puissance technicienne. Ici se trouve le noyau de sa pensée : la technique, lisez, la recherche du moyen le plus radicalement efficace dans tous les domaines, constitue la clef de nos modernités. En substance, l'homme moderne est devenu l'instrument de ses instruments (comme dirait BERNANOS). En croyant se servir de la technique, l'homme moderne en est devenu le serviteur. Le moyen s'est transformé en fin, la nécessité s'est érigée en vertu. Pour J. ELLUL nous ne vivons pas dans une société post-industrielle mais dans une société technicienne. Si J. ELLUL se livre régulièrement à une analyse critique non pas de la technique en soi, mais de l'idéologie techniciste, on peut trouver dans son oeuvre quelques éléments pouvant conforter sa réputation de technophobe, il s'agit alors d'une technique personnifiée, hypostasiée, assimilée à une puissance voire à un monstre. Mais J. ELLUL parmi les techniques intégra le sujet de la propagande dont on pourrait retrouver aujourd'hui certains traits sous le nom de communication. En tant que sociologue, il la décrivait comme absolument nécessaire à l'intégration de l'homme dans la société technicienne, en que chrétien, il la considèrait comme un obstacle au règne de "la Parole". La Propagande, en effet, introduit la politique dans le monde des images et tend à transformer le jeu démocratique en exercice d'illusionnisme. La distinction classique entre l'information (la vérité) et la propagande (le mensonge) pour être rassurante n'en n'est pas moins très fragile. L'information est même la condition de la propagande, puisque l'opinion publique n'est qu'un artefact et qu'elle est fabriquée par l'information avant de servir de support à la propagande, cela, ELLUL l'écrivit dès 1952. En 1962, il publiera un ouvrage fondateur "Propagandes", où il met en exergue ce phénomène pas si connu et souvent mal interprété afin de briser les lieux communs qui associeraient systématiquement la propagande aux régimes totalitaires ou autoritaires. Il met en avant la nécessité pour n'importe quel régime de faire de la propagande. Ce livre écrit en pleine période de guerre froide voit s'affronter deux systèmes idéologiques qui ont recourt à la propagande. Déjà, ELLUL dénonce cette idée de propagande à visage unique, pour lui, la propagande est multiple et ne se résume pas à l'usage politique. Aujourd'hui on décrypte mieux les mécanismes de cette publicité, pire même, qu'elle soit aussi une propagande, on le sait presque désespérément ! (ce qui, au final, n'est pas si différent que lorsqu'on l'ignorait...). Mais à l'époque, il y avait quelque chose de très novateur à analyser plus profondément ce sujet. En cela, ELLUL fût très en avance sur son temps, et tout particulièrement dans l'étude de la relation étroite qui existait entre le propagandiste et le propagandé.

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Jean Luc PORQUET pense discerner les vrais héritiers de Jacques ELLUL dans la revue et la maison d'édition "L"encyclopédie des nuisances" qui développe une critique radicale et libertaire de la société technicienne. On y relève quand même quelques points de divergences avec la pensée Ellulienne, au sujet de la pédagogie de la peur (entre autres). Les Elluliens sont par ailleurs nombreux et variés mais il semble que l'on puisse les classer au moins en deux catégories : ceux qui se sont inscrits dans le sillage de l'oeuvre sociologique, et ceux qui se sont attachés à l'homme de foi ; mais ce qui caractérise l'oeuvre plus généralement d'ELLUL est le rapport qu'il entretient avec ses lecteurs, qu'il ne ménagera jamais. Tout lecteur fasciné par son oeuvre a pu parfois s'en trouver provoqué, irrité, notamment par de nombreuses contradictions. Pour exemple, ELLUL s'avèrait un grand pourfendeur de l'état dans ses cours et dans de multiples livres, mais c'était son statut d'enseignant qui lui permettait de vivre et d'écrire. Le penseur assumait ce paradoxe avec talent :

"Nous voulons être payés par la société pour contester cette société. Fonctionnaires de la représentation de la liberté"

De même, le couple "anarchiste et chrétien" pouvait faire désordre aux yeux de ses lecteurs, tout comme le binôme (!) "anarchiste-fonctionnaire"... Encore plus fort, ELLUL, étant un travailleur acharné ne ménageait pas ses efforts pour se faire l'avocat d'une éthique de la paresse ! Au delà de ses contradictions c'est la logique même de l'écriture d'ELLUL qui séduisit ses lecteurs assidus franchissant avec lui deux ou trois seuils de radicalité ils ressentaient sans doute, une certaine jouissance à lire ce qui n'avait jamais été écrit jusqu'alors.

Je laisserai à G. BERNANOS un espace ouvert en guise d'épilogue + une petite phrase sans concession, qui pourrait nous ramener (si l'on cherche bien) quelque part sur les pas de J.ELLUL :

"Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter à attendre l'avenir comme on attend le train."

Enfin, et tel un contrepoids à ces lourds constats et perspectives, je vous propose (pour aérer) quelques vers de VIRGILE, issus d'un monde où nagent tranquilles dans des ruisseaux bleus et limpides des milliers de truites sauvages. Ces vers évoquent un monde intouché, bucolique, incompatible avec toute forme de technique, à cette infime exception près qu'ils nous parviennent ici, maintenant, chez vous, par la grâce (perfide) de la technique. (Que faudra il penser alors ? ) ...

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Allez, troupeau jadis heureux, chèvres mes chèvres
Vous ne me verrez plus, couché dans l’ombre verte,
Au loin, à quelque roche épineuse accrochées.
Vous ne m’entendrez plus, vous brouterez sans moi
Les cytises en fleurs et les saules amers.

Nota : Le titre de ce billet cite un film de Godfrey REGGIO ("Koyaanisqatsi") qui rend hommage à J. ELLUL dans son générique de fin, comme l'un des cinq inspirateurs du film (voir bande annonce ci dessous, accompagnée d'une bande-son magistrale signée Phil GLASS

http://www.youtube.com/watch?v=PirH8PADDgQ

Voir, écouter J. ELLUL, (une vidéo Hi tech et science). Avertissement : pour accéder aux propos passionnants de J. ELLUL, il va falloir probablement (?) que vous vous tapiez une petite pub niaise et ravie (propaganda !) qui réduira presque à néant toutes nos bonnes entreprises...

http://www.dailymotion.com/video/k4Q0swEwEoLQbzuUCb

Pour la beauté du titre, de l'écho, et du blog, découvrir un supra bienveillant envers ELLUL au domaine plus qu'ami ci-dessous :

http://solko.hautetfort.com/archive/2009/11/28/desesperem...

Relire la propagande du komitbüro de C.J. citant ELLUL à son porche d'entrée :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/09/19/sa...

Photo 1 : La tour "Oxygène", Lyon part-Dieu .

Photo 2 : Le tour (de mâchoire ?) sans oxygène. Terrain vague, (plus pour longtemps), vu du côté de l'avenue Salengro à Villeurbanne.

Photo 3 : L'oxygène tout court. Lyon, colline par l'esplanade ex.canute, ex-condate, (merci Solko !). Novembre 2009. © Frb.

vendredi, 23 octobre 2009

Le détraquage

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Quatre heures. Le voyage dura quatre heures. Pour un trajet de 90 km. Dans la chenille bleue amidonnée, un panneau devenu fou déroulait le projet d'un itinéraire à rebours. Nous étions censés venir d'Orléans, et à destination de Lyon. Je venais de quitter Lyon pour un train à destination d'Orléans. Le panneau m'assurait que non. Une certitude tournait en boucle. Et j'en doutais. Deux mois.

Cela faisait deux mois que j'attendais de partir. Deux mois que je voyais courir les arbres au dessus de l'enseigne "Le canut sans cervelle", et que je trébuchais sur la caillasse de ces rues en travaux, esquivant les nouveautés, les créateurs, ces vernissages... (non pas que je sois contre, loin s'en faut ! mais là, c'était trop). La rentrée dans tous ses états. Le pire étant encore dans nos villes ce qu'on appelle : "animations". Lasse des têtes et des rubans, épuisée par ces fugues molles toutes identiques, (la mienne aussi), j'attendais le moment où je pourrais durant des heures, parler avec mon âne en croisées de chemins. Combien ?

Il y avait un nombre incalculable de wagons dans cette chenille. Combien exactement ? Je ne saurais dire, de ma vie je n'ai vu un train aussi long. J'étais seule dans le wagon. Le contrôleur, je ne sais pourquoi, me dit qu'il y avait une autre fille à l'autre bout de la chenille. Je songeais que bientôt les forains replieraient la vieille vogue. Il m'a parlé juste pour me dire ça. Deux.

Nous étions deux dans ce grand train. Ca ressemblait à l'énoncé d'un cauchemar mathématique."Deux et deux seulement". C'était un TER avec des sièges comme au salon de coiffure, en velours imitation velours, (c'est très nouveau), et des tablettes couleur perce-neige, rabattues, (rebattues ?) sur le dos du fauteuil d'en face, un long couloir gris, et plus haut des diodes électroluminescentes oranges déroulaient le nom de toutes les gares qui marqueraient l'arrêt entre Orléans et Lyon. Sur le côté, des bribes de civilisation, ponts de ferraille, tags incompréhensibles, établissements portant à bout de charpente, la "domotique", les bureaux de marketing, puis un retour brusque aux néons augurait entre des grillages, la rébellion des végétaux qui claquaient sur la vitre maculée de caques d'oiseaux. On entrait victorieux en gare de Lozanne, (20km au nord ouest de Lyon du nom de "Hosanna" jour de correspondances et de Rameaux). Un quart d'heure environ.

Le train roula presque normalement pendant un quart d'heure environ. Le moteur vibrait fort, ce barouf de graves nous prenait dans l'étau. J'avais ouvert un livre de Benjamin FONDANE, qui parlait de Baudelaire, d'une préface signée par Théophile Gautier. Un livre écrit tout en hongrois. Tandis que la loco attaquait les oreilles, le cerveau puis les yeux, et que les diodes oranges superposaient aux caractères des éditions Paris-Méditerranée, des figures cosmiques, univers fractals et les liasses de billets d'un Voltaire psychédélique virevoltaient simultanément sur mon crépusculaire reflet. Nul ne peut ignorer que FONDANE n'est pas un poète hongrois mais roumain, la traductrice s'était trompée ? J'eus un instant besoin de maudire Odile Serre, que j'aimais bien pourtant grâce à la poésie moldave. La mécanique flambait, acheminant la vie du rail qui bringueballait de gauche à droite son acousmatique laminée. Tout cela allait crescendo mais le train avançait. On avait ajouté à cette symphonie (non pas pour un homme seul, mais pour deux femmes dans un train), l'éclatante ligne de rouages percussifs, une diffusion en continu, un métronome broyé qui battait sous la peau mais le train avançait encore. Et je me réjouissais du temps qu'il me restait pour lire. Trois.

Tandis que je contestais violemment Odile Serre pour cette traduction hongroise inacceptable de FUNDOIANU (FONDANE), une confusion qui représentait à mon sens, une faute professionnelle très grave, doublée d'un irrespect envers les lecteurs et lectrices ; le train arriva à Lamure sur Azergues au bout d'une demi-heure comme prévu. Lamure sur Azergues, (anciennement, "La mure". Héraldique : "gueules au mur ruiné (la mure) d'argent, maçonné de sable, soutenu d'or et ouvert du champ, au chef aussi d'or chargé d'un lion issant aussi de sable, armé et lampassé aussi de gueules, surchargé d'un lambel de cinq pendants du même"). Lamure sur Azergues, deux minutes d'arrêt. La ville (petite) ouvrit ses quais à la chenille. Impromptu mécanique métamorphosé qui sait ? en papillon de nuit conçu par Vaucanson un soir d'ivresse. La bête s'émancipait. Nous nous désincarnions. Personne ne descendit, ni ne monta. Le contrôleur vint me le redire. D'un air tout à fait désolé. Il répéta trois fois "Vous êtes deux dans ce train" : Cette fille qui ne me voyait pas et moi qui n'avais pas la preuve de l'existence de cette fille, à peine de la mienne sinon dans le regard du contrôleur, lui même, intermittent, "effacé", comme on dit souvent. Nous étions trois, à peine. Dans un monde où tout compte à partir de mille. Une heure.

Nous passâmes du chant Russolien au silence de la montagne. Un râle spasmodique, juste. Et plus rien. Grâce à l'arrêt de ces moteurs, je parvins enfin à relire la préface de Monique Jutrin. "poétique du gouffre". Une mémoire pour Benjamin FONDANE, mes initiales inversées, je loue ce précurseur et poète au destin tragique qu'on ne m'apprit jamais à l'école, hélas ! nous y reviendrons, hors détraquage... "enadnof srev Unaiodnuf eD". Le hongrois d'Odile Serre prenait un élan charmillon. Le rétablissement d'un espace sonore plus adéquat à mon audiophilie maniaque, me rendait les points de concentration, de probité, nécessaires à la compréhension d'un livre en promenade, ce projet de nouveau possible, je reconstituai méthodiquement le bon sens du rectangle qui glissait sous mes doigts. Je me mis à aimer follement Odile Serre, pour sa traduction admirable du roumain au français de l'oeuvre de Benjamin FONDANE ("Images et livres de France") quand je m'aperçus que depuis une heure, raptée mentalement par le jeu arythmique du train, j'avais lu le livre à l'envers. Deux minutes.

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J'avais donc repris le beau livre, rephasé à l'endroit son deuxième chapitre. J'attaquais doucement quelques notes d'introduction sur HUYSMANS, le catholique, où FONDANE évoquait le Christ peint par Matthias GRÜNEWALD du petit musée de Cassel. Au prélude de "Là bas", les diodes implacables lancinaient le désert, annonçaient implacables aussi, l'arrivée imminente au terminus de Lyon Perrache. Nous étions arrêtés en sens contraire à la campagne. Ma montre retardait de trois jours. Vingt minutes.

Le contrôleur signala que la machine était en panne, un des moteurs avait lâché. La nuit tombait sur la montagne. Il venait un courant glacé. On avait appelé d'urgence un technicien qui arriverait dans vingt minutes pour essayer de faire redémarrer ce train. Pour l'instant on préférait évaluer le temps en valeur indéterminée. Nulle part.

Nous étions au milieu de nulle part. Là bas entre les rails, un petit bonhomme courait. Le chef de gare, le contrôleur, deux voyageuses.  Bientôt nous serions cinq. Nous grandirions. Le contrôleur allait venait. Son talkie walkie émettait un consolant grésil. Le contrôleur parlait en hurlant, à chaque fois le grésil répondait : "Ok d'accord ! d'accord ok !". Je m'entendis bêtement demander au controleur :"Pardon, m'sieur, mais qu'est ce qui se passe ? Où va-t-on maintenant ?". Il énonça clairement les faits. L'homme était très aimable, les choses bien expliquées. Mais elles semblaient se balancer comme la feuille de TINGUELY au bout d'un porte-clefs à quelques mètre de là, pendues à la ceinture du chef de gare... J'écoutais la réponse. Toute l'attention qu'on me portait, le contrôleur faisait tout ce qui était en son pouvoir. J'en fus émue aux larmes :

"On est en panne, on ne peut pas réparer, soit on essaye de repartir avec un moteur détraqué au risque de se retrouver coincé dans un tunnel, soit on reste là, et on attend. Qu'est ce que vous préférez ?"

Nota : Prochainement, un certain jour (?) ou jamais (?) la suite du voyage et puis un autre jour encore (?) plus certain (?) je reparlerai du poète, Benjamin FONDANE (traduit admirablement du roumain par Odile Serre et vivement conseillé par la maison)

Photo 1 :  La nuit, ou presque. Quelques brésars d'automne qui bordent la vallée d'Azergues.

Photo 2 : Un extrait de forêt de pins dans la montagne, vus quelquepart entre le Bois d'Oingt et Poule les Echarmeaux. Je ne sais pas où exactement. Octobre 2009. © Frb.

mardi, 20 octobre 2009

Encres perdues

Je descendis de cheval ; je lui offris le vin de l’adieu,
Et je lui demandai quel était le but de son voyage.
Il me répondit : Je n’ai pas réussi dans les affaires du monde ;
Je m’en retourne aux monts Nan-chan pour y chercher le repos.
Vous n’aurez plus désormais à m’interroger sur de nouveaux voyages,
Car la nature est immuable, et les nuages blancs sont éternels

WANG WEI :  "En se séparant d'un voyageur"

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WANG WEI (vers 701-761 ?) fût un illustre poète chinois de la dynastie T'ANG. Peintre, calligraphe, musicien, "paysagiste", il fût considéré comme le maîtres le plus doué de la poésie lyrique. Il intégra le paysage dans la peinture chinoise du paysage, comme un sujet à part entière. On sait qu'il occupa plusieurs postes de prestige, d'autres moins, il appartenait aux "officiels" et fût incarcéré lors d'une rebellion dans la capitale, obligé de travailler pour les rebels puis accusé de collaboration lors de la reconquête de la capitale, il sauva sa tête par la grâce d'un poème loyaliste écrit en prison.

On lui attribue plusieurs innovations techniques, notamment un style qui utilisait l'encre monochromatique dont l'effet dépendait uniquement d'un emploi expressif et rigoureux de lavis d'encre noire ou grise projetée. Il est considéré comme l'un des plus grands peintres de la Chine, mais comble du paradoxe, on ne possède aucune peinture de ce grand maître. elles ont toutes disparu au fil des siècles. Sa peinture n'est donc connue qu'à travers quelques gravures sur pierre réalisées à partir de son célèbre rouleau Wang-chuan et des copies de ses peintures par les artistes qui lui succédèrent (telles que "Eclaircie après une chute de neige", collection Ogawa, Kyoto). On pense que la famille impériale mandchoue conserva un original intitulé "Paysage sous la neige". Les informations sur son œuvre nous viennent principalement de sources littéraires. On raconte que ceux qui ont jadis eu la chance d'apercevoir la peinture de WANG WEI se sont exclamés : "On ne peut aller plus loin, plus haut : l’art du paysage dit ici son dernier mot.". Quant à la poésie chinoise, s'il faut nommer trois grands poètes, les trois plus grands, on nommera souvent : LI-PO, DU FU (Thou fou) et WANG WEI... Ce dernier adepte du tch'an (bouddhisme) cherche à approcher un état de communion presque amoureux avec la nature, le regard du poète se mêle au vide de la montagne", à la barque du pêcheur, au bleu des saisons, comme s'il les avait lui même inventés : "Je vais jusqu’au lieu où la source s’épuise, et contemple la naissance des nuages. Voici le semeur de forêts : Nos plaisanteries n’ont pas souci du temps."

Le poète et peintre SU TUNG PO écrira assez musicalement, à propos des oeuvres de WANG WEI :

Savourant un poème de Wang Wei, dans son poème
une peinture
savourant une peinture de Wang Wei, dans sa peinture
un poème

Dans la poésie de WANG WEI, il n'est jamais question d'effusion personnelle, celle ci est d'autant moins présente que les verbes en chinois ne se conjuguent pas et que les articles sont absents. L'être humain pourrait se fondre presque dans la totalité du monde, et le lecteur occidental se confronter à des traductions qui n'ont pas toujours le ton juste ni l'esprit du mouvement de WANG WEI. On pourra cependant apprécier les oeuvres de Wang WEI dans les ouvrages suivants :

Wang WEI, Les Saisons bleues : l'œuvre de Wang Wei poète et peintre, éd. et trad. Patrick Carré, Paris, Phébus, 1989 / " Libretto ", 2004.

Wang WEI, Paysages : Miroirs du cœur, trad. Wei-penn Chang et Lucien Drivod, Paris, Gallimard, " Connaissance de l'Orient. Série chinoise ", 1990.

Wang WEI, Le Plein du vide, trad. Hervé Collet, Cheng Wing-fun, callig. Cheng Wing-fun, Millemont, Moundarren, 1985.

A noter qu'un jour, un recueil de poésies chinoises fût offert à GUSTAV MALHER qui, pour composer "Le chant de la terre" ("Das lied von der Erde") sélectionna sept pièces dont une de WANG WEI. Le sujet du chant de la terre peut se croiser ci dessous.

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/03/15/ca...

Le compositeur a un peu "arrangé" le poème de WANG WEI , mais comme sa composition musicale, est un chef d'oeuvre magistral, on fermera les yeux sur cette petite occidentalisation.

Photo : retour des encres plus ou moins chinoises juste au dessus de la voie du caillou. Vu au hameau des Clefs. Nabirosina. Octobre 2009.© Frb.

vendredi, 16 octobre 2009

Marcher sous la lune

"Et les refuges lointains succèdent aux gîtes proches."

LI PO : "Sur l'air des barbares bodhisattva" in "Les yeux du dragon", (Anthologie de la poésie chinoise trad. Daniel Giraud). Editions Le bois d'Orion 1993.

gîte 3.jpg

LI PO (connu aussi sous les noms de LI-BAI, LI TAI PO, LI TAI PE etc..) , fût l'un des poètes chinois les populaires de la grande époque des T'ang. Riche et pérégrin, il fût tout autant viveur proclamé, que promeneur méditatif, amateur de femmes et de beuveries. L'un des poèmes les plus connus étant celui où le poète boit du vin avec son ombre :

Au milieu des fleurs un pichet de vin
je bois seul, sans compagnon
levant ma coupe je convie la lune claire
avec mon ombre nous voilà trois

Surnommé "un immortel en exil", il se désignait lui même comme "l'ambassadeur des trente six cieux".

Une parenthèse très approximative quant à ce nombre impressionnant de cieux. Cette connaissance par les chiffres du Tao (ineffable et incommensurable) est en alchimie taoïste, le ressort caché du cosmos : "Sur une grande échelle, le Ciel et la Terre, et sur une petite, le corps en son entier ont tous des nombres du régime du feu naissant et se parachevant". 36 serait le nombre des provinces des maîtres célestes, qui entretient un rapport avec les 360 jours de l'année. Pour d'autres encore, le cosmos s'abolit tous les 36 billions ou trillions d'années. Mais cet aspect étant un peu trop vertigineux pour l'heure et ma nature ayant horreur du chiffre, je referme la parenthèse, et retrouve LI PO le poète magnifique, qui dit-on se serait adonné à l'alchimie, comme un millénaire auparavant son camarade et illustre poète QU YUAN.

LI PO passa la plus grande partie de sa vie à voyager à travers la Chine, sans souci, sur un mode incompatible avec le système confucéen. Sa personnalité fascina. On lui offrit un poste à l'académie Hanlin comme poète au service de l'empereur, puis il fût remercié pour indiscrétion, ensuite il erra, le reste de sa vie. Il rencontra DU FU (THOU FOU) à l'automne 744 et puis l'année suivante, deux seules rencontres qui ont pourtant associé les deux poètes pour très longtemps dans les mémoires. Cette amitié intense, se lit encore dans certains poèmes, particulièrement ceux de DU FU. LI PO fût exilé pour s'être révolté contre l'empereur, mais il fût pardonné avant d'avoir atteint son lieu d'exil. La légende raconte qu'il se serait noyé en essayant d'embrasser l'image, réfléchie de la lune dans une rivière. Nous esquiverons volontairement l'hypothèse d'une fin plus réaliste, tant mourir en embrassant le reflet de la lune semble une mort, sinon rêvée, la plus douce des morts possibles.

Je chante, je chante la chanson du vent qui souffle à travers les pins,
Et ma verve ne s’épuise qu’à l’heure où s’efface la voie lactée.
J’ai perdu ma raison et cela excite encore votre gaieté, mon prince ;
Nous oublions tous deux, avec délices, les préoccupations de la vie réelle.

Autre lien de Chine et de lune : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/08/11/pleine-lune.html

Et, par contraste, à contempler, une lune urbaine sur le tard : http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/archive/2009/10/3...

Photo : La lune ou presque, au dessus du chemin qui longe les prairies et les pépinières à la tombée de la nuit (ou presque). Nabirosina. Octobre 2009.© Frb.

mardi, 13 octobre 2009

Dendromancie

"Si un tamaris est triste, l’intérieur du pays ne sera pas heureux"

AROUMS P468.JPGLa dendromancie est une branche de la botanomancie : il s’agit d’une divination par les arbres. Tout dans un arbre peut être observé à des fins d’interprétations mantiques dit-on. Le feuillage et son mouvement sous le vent, l’aspect extérieur, le bois même qui peut être disséqué de la même manière qu’un corps animal.
 La vigueur des pousses nouvelles, les craquements du bois, les prodiges apparus dans le tronc ou les branches.

Ainsi peut on lire dans l'ouvrage du Docteur G. Contenau ("la divination chez les assyriens et les babyloniens") quelques exemples de préceptes très anciens :

"Si un palmier est triste, le coeur des gens ne sera pas bon".

"Si un arbre épineux est triste, la santé des gens ne sera pas bonne."

(Voir ci-dessus le triste tamaris), entre autres...
 Nous retrouvons le tamaris dans la divination grecque, à côté du laurier d'Apollon, et des chênes de Zeus, sur la croupe du mont Tamaros à Dodone.
 La divination par le laurier a pour petit nom savant la daphnomancie. Le laurier, consacré à Apollon, (Dieu des prophètes et des devins) était aussi considéré comme symbole par excellence de la divination. On pouvait mâcher des feuilles de laurier pour atteindre un état de transe. (Il ne vaut mieux pas re-tenter l'expérience aujourd'hui, car les feuilles de lauriers sont toxiques à très faible dose, et parfois même mortelles). On pouvait aussi le faire brûler et observer les flammes, y lire peut-être quelque présage dans la fumée ? Plus tard, on confectionna les dés avec le bois de laurier, (dont certains possèdaient le pouvoir d’abolir le hasard, ça c’est moi qui rajoute). On pensait aussi qu’en mettant une branche de laurier près de la tête d’un homme endormi, on faciliterait chez lui, les rêves divinatoires. Quant aux chênes (pour en revenir à la pure dendromancie), les prêtres de l’oracle de Zeus à Dodone considéraient comme une prophétie le bruissement de leurs feuilles agitées par le vent. Homère a évoqué ces oracles de chênes devins dans "l'Iliade" et dans "l'Odyssée" :

"Seigneur Zeus, dieu de Dodone, dieu des Pélasges, dieu au lointain logis, qui règne sur Dodone où sévit de mauvais temps - et les Selles habitent à l'entour, tes interprêtes, qui, les pieds non lavés, couchent sur le sol !" (HOMERE - l'Iliade, XVI - v.234)

"Celui-ci me dit qu'Ulysse s'en était allé à Dodone pour écouter, dans la haute chevelure du chêne divin, les conseils de Zeus sur la manière de revenir au gras pays d'Ithaque, dont il était depuis longtemps, déjà éloigné." (HOMERE - L'Odyssée XIV, v.327)

Si l'on sait aujourd'hui que Dodone était l'oracle de Zeus, on oublie que l'oracle était aussi dédié à Dioné qui était autrefois considérée comme une puissance agraire et comme une déesse du chêne, l'arbre tutélaire de ce bois sacré. L'oracle de Zeus et de Dioné fût donc l'un des plus renommés du monde hellénique. Dès l’époque romaine et jusqu’à nos jours, on a volontiers attribué un arbre à une famille noble et puissante : une branche abattue par la foudre, une maladie du bois, des feuilles tombant prématurément étaient autant de présages d’un accident ou d’un décès dans cette famille. Souvent, de la mort de l’arbre tout entier, on pronostiquait la ruine ou la disparition de la famille. De nombreuses lignées seigneuriales en Europe ont vu leur sort lié à celui de leur totem végétal. Elles ne suivaient en cela que l’exemple donné par la famille romaine de Jules dont le bosquet de lauriers plantés par Auguste se déssécha à la mort de Néron.

Il faut voir là, une conception de la magie sympathique entraînant secondairement des conséquences divinatoires. Une telle notion rejoint le principe des totems, des attributs mythologiques, des animaux compagnons des saints dans l’iconographie médiévale, des statuettes de cire des sorciers de village etc... La dendromancie est profondément enracinée dans l’esprit humain et qui sait ? En de nombreuses superstitions qui parfois nous hantent tout bas...

Souvent je songe à ce chêne rouge que mon père planta le jour de ma naissance, dont la racine tenait dans le creux d'une main. Durant toute mon enfance je le vis grandir et puis me dépasser. Le chêne ne tarda pas à me dominer d’un bon mètre, puis de deux... Tandis que je lisais mes premiers "Oui-Oui" dans son ombre. Lorsque je découvris le "bateau ivre", le chêne rouge était un géant, il aurait dû survivre à ma génération et à celles qui suivraient. Mon père veilla longtemps sur sa tranquille maturité. Tant que le chêne rouge allait, tout irait. Puis il y eût d'autres livres et des feuilles plus sombres. Une nuit, l’orage foudroya notre chêne, brisa en deux parties nettes le tronc. Quelques jours après, on vit arriver la faucheuse.

Photo : Crépuscule aux oracles d'un dieu brésar vu près de la dame et ses génies (dont certains de l'agriculture) dans la mythique forêt Morand. Photographié à Lyon rive gauche. Au début de l'hiver 2008. © Frb

mercredi, 07 octobre 2009

Les crocs d'Icare

Comme un mercredi, sur le grand manège...

ICARE51.JPGReprenons l'étude aux bruits d'une vogue qui convulse et rassemble, paraît aussi jeter au ciel quelques aventuriers, bien décidés à se trouver pendus, tête à l'envers, jambes pendantes (et réciproquement), sous nos visages levés, nos bras ballants (et pas réciproquement)... Une machine paradoxale. La plus métaphysique sans doute de cette vogue. Un de ces engins qui aurait bien pu inspirer un SCHOPENHAUER  ?

"On n'est libre qu'en étant seul " (in "Ma vogue avec Schopenhauer"). Editions Plon 2009.

un CIORAN ?

"Au zoo toutes ces bêtes ont une tenue décente, hormis les singes. On sent que l'homme n'est pas loin." in "Le manège à Mimile". Editions du néant, 2004.

ou plus certainement un MONTAIGNE :

"Tout ce qui branle ne tombe pas", in "Montaigne saute à l'élastique". Edition Ushuaïa 1984.

Un Univers de "cons flambloyants" (dont je suis, et, pardonnez-moi, dont nous serions tous un peu, selon mon chien aussi, inclus n'est ce pas ? A qui je rends un hommage mérité en passant, ainsi qu'à tous les autres)... Un de ces mondes comme on en rêve depuis qu'on est resté enfant, et dont on ne s'arracherait pas si aisèment pour partir sur une île déserte avec son bouquin préféré (Nathalie SARRAUTE ? "L'ère du soupçon" ?) ou "sa" petite musique préférée (Michel Fugain ? (en minuscules) "Fais comme l'oiseau" ? (Je vous mets le lien ? Allez ! juste pour les costumes, la vie est courte ! soyons fous !). Plus jamais d'île déserte, que nenni ! on est mieux là, assis par terre (pas attaché sur le manège ! vous n'y pensez pas, malheureux !). Juste là. Ras les pâquerettes. A faire Zazen comme des petits bouddhas dissipés, à respirer ce merveilleux pralin d'humanité qui va et vient tout au milieu du ciel et qui nous met les tripes à l'air, rien qu'à le regarder.

Voilà un manège qui fascine sans doute parce qu'il dévore ses gens, qu'il broie menu, sangle les membres de ses passagers, (tous consentants, la camisole de force au milieu de la fête, c'est encore un mystère), avant de les monter un peu plus haut que les toits, dans le fracas assourdissant des overbass du pire dancefloor de la terre. Adrénaline, chocottes totales à ceux du ciel. Pour ceux du bas le plaisir est immense. Surtout quand le forain stoppe toute sa machinerie. Et laisse de longues minutes ses otages immobiles, attachés tout en en haut. Interminable apesanteur ou pesanteur, au choix. S'ensuit alors un suspens insoutenable où le temps entre en expansion, et peut-être l'univers aussi...

A écouter "le courage des oiseaux" : ICI

A voir le mouvement de la petite histoire : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/11/05/la...

Et pour un manège plus "humain", plus enfantin, disons, c'est juste à l'étage au dessous..

Photo : le manège le plus insensé de la vogue et peut-être le plus technoïde, installé sur une petite place pas loin de la Mairie (Sorry, j'ai oublié le nom,), longeant le boulevard de la Croix-Rousse, vu avec ses volontaires en pleine partie de jambes en l'air, (pas du tout ce que vous croyez, messieurs-dames !). "Vogue aux marrons" encore et toujours à l'heure d'été, en presque début de roisée. Lyon. Octobre 2009. © Frb.

dimanche, 04 octobre 2009

Et vogue !

"Le vrai courage ne se laisse jamais abattre."

FENELON

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Le pigeon "petit voyageur" est venu tranquillement faire la conversation à Monsieur JACQUARD, tous deux puissamment privés de leurs privilèges Croix-Roussiens, broyés par le roulis un peu fou de la vogue ("aux marrons"), plus fourbie en machineries funky qu'en cornets de marrons.

L'Auguste a son ange sur sa tête, ainsi il ne risque plus rien, (croit-on). Les deux ne peuvent plus vraiment s'en aller. Sinon il manquerait aux fervents du plateau, quelque félicité...

Le pigeon "petit voyageur", n'allant jamais bien au dessus du nez de l'inventeur, envisage toujours son Octobre en ascension de tête savante. Cette tête est aussi son royaume, du moins tant que dureront les festivités.

Jamais un élan d'albatros. Pas même un penchant migrateur comme l'outarde ou la bernache, qui forment en automne des grands V dans le ciel... Balbuzard pêcheur, milan noir, faucon hobereau, cigogne blanche, pluvier guignard, chevalier stagnatile, sternes pierregarin, autant de migrateurs au long cours que le pigeon "petit voyageur" n'arriverait pas à suivre. Et l'autre ! l'oiseau vogueur animal agité, cet odieux spoliateur qui ne cesse de criarder sur sa piste remuée : "Allez tout le monde s'amuse ! c'est la fête ! amusez vous ! allez ! allez ! "

Quant à JACQUARD l'austère, (dit "bienfaiteur des ouvriers lyonnais"), comme chaque année pendant la vogue, il ronge son frein, dans sa vieille redingote râpée, avec ce con de "petit voyageur ",  tout gris plombé, qui fera désespérément, pendant un mois, le pied de grue sur sa tête. Tous deux exilés de la bonne place. Relégués comme au purgatoire d'une brocante. Figures anachroniques telles qu'on en voit parfois dans les dessins de Sempé. Pour une vogue dite de tradition, c'est presque un comble.

Près de moi, dans la foule, un enfant, contemple une enseigne exhibant son monstre globuleux vaguement crapaud-cyclope. L'enfant lève la tête, montre du doigt "là haut", et tire brutalement sa mère par la manche, lui glissant la bonne question :

- "Dis, Maman c'est qui ce vilain bonhomme avec un aigle sur la tête ?"

- "Euh ben... J'sais pas ! c'est la statue de Louis XIV, je crois..."

Et vogue ... !

Ceux qui suivent la tradition trouveront les horaires de la vogue aux marrons de Lyon : ICI

Photo : L'auguste JACQUARD en disgrâce, (L'Auguste je l'ai écrit mille fois, ici, ne s'appelle pas Auguste, mais Joseph-Marie, né à Lyon en 1752, mort à Oullins 1834. Il inventa le métier à tisser semi automatique). Ici pris dans le tohut bohu de la vogue, accompagné de son vieux copain, un pigeon complètement idiot qui s'installe là, comme chaque année, au moment de la vogue. Allez savoir pourquoi ? Vu à Lyon, place de la Croix-Rousse. Octobre 2009. © Frb.

vendredi, 02 octobre 2009

Un hémisphère dans une chevelure

"Laisse moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.

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Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes les nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur. Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs de longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure, je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

Laisse moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs."

Charles BAUDELAIRE (1821-1867)"Un hémisphère dans une chevelure", (posthume, 1869).. Extr. "Petits poèmes en prose- le spleen de Paris" Editions, poésie Gallimard, 1973.

 

A.S. Dragon : "Un hémisphère dans une chevelure", (lyrics, C. Baudelaire)
podcast

 

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Depuis quelques jours déjà, ce poème de Charles BAUDELAIRE, me hante et s'impose comme une ritournelle. Puisant (sans épuiser), sa musique indolente dans les parfums extrêmes d'une forêt apprivoisée, dite Parc de la Tête d'or.

Ici, l'automne, à peine existe, muselé par la persistance d'un été indien désolant. En cette ville où chaque soirée braille, où chaque fête ressemble à la mise à mort de la moindre rêverie possible. L'automne pourtant, consent à entrer par cette faille, une brise entre les nuages conviant des feuilles à demi-mortes, à descendre parmi les humains.

Un pur condensé d'aromates, au souvenir, nous vient. Près des bancs qui bordent le lac, sous les ombres d'arbres centenaires, devant les facéties d'un cygne, ou la dernière barque. Des images d'étreintes révélées. Un espoir de débauche peut-être ? Au sentier du lac ou ailleurs, sur une place à flonflons où tourne un impuissant manège, l'amante d'autrefois contemple le visage d'un vieil amant devenu chauve, riant du rire heureux de l'homme dévidant sa mémoire.

Plus loin, le quidam de la vogue, finit à la taverne, l'oeil plongé dans les mousses molles, quand la ville s'emporte. Plus près, dans l'herbe on s'embaumerait au sacre de ces heures, à convoler sous l'incendie. Doucement on plongerait les mains dans ce décor, puissant d'une fragilité. Des fragrances boisées épouseraient l'humidité, une effusion de tubéreuses, allumeraient cette mèche...

Photo 1 : Premières rousseurs automnales prises en hauteurs à deux pas de la place Liautey qui longe un peu les quais mènant aux universités ou au Parc de la Tête d'Or, selon...

Photo 2 :  Le Parc de la Tête d'Or, (cheveux bruns à reflets auburns sur un crépuscule bleu rosé), qui déploie chaque jour au coucher du soleil, en plus des ombres folles, d'éprouvantes odeurs de lianes et de terre remuée. Vu au dessus de l'enclos des biches. Lyon. Octobre 2009. © Frb.

vendredi, 25 septembre 2009

Pyromane II

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Il n'est pas dans mon habitude de re-publier des images d'anciens billets. Or celle-ci datant du 31 d'Aôut 2008, me trouble assez (du moins, son intitulé) "Pyromane", titre innocent, à l'époque, insoupçonnable. Juste posé pour désigner un ciel flambloyant au dessus de l'Hôtel Dieu, (où règne, toujours présente, la mémoire d'une ville, et très majestueux, vu de l'intérieur, le dôme fascinant du grand architecte Soufflot). Aujourd'hui, fin Septembre 2009 sans avoir pu imaginer ce qu'il adviendrait de cet Hôtel-Dieu, (au destin déjà suspendu, à l'époque), cet intitulé prend un sens très différent, voire improbable, quelque peu ironique. "Pyromane" oui, mais ce n'est plus le ciel qui brûle ... C'est l'édifice.

LISEZ : http://solko.hautetfort.com/archive/2009/09/29/l-hotel-di...

Je ne rédigerai pas exactement ce qu'on appelle stricto-sensu un billet (dans le jargon). Tout ce qui est indécent, hideux dans ce projet de réamènagement de l'hôtel-Dieu, tout ce qui fait injure à la mémoire des gens, la mémoire d'une ville, réduit à un simple décor (vitrine) ce qui constitue une histoire depuis des siècles, et dépouillera prochainement cette histoire de son site pour les temps présents et futurs, a très bien été exprimé par Solko (un blog plus qu'ami) que je rejoins complètement dans son écoeurement et son indignation. Une lecture attentive des billets de Solko pourra davantage éclairer le lecteur (lyonnais ou non) quant à l'histoire de l'Hôtel-Dieu, (et de son dôme, bien sûr !) Hotel-Dieu d'hier, jusqu'à ce vulgaire aujourd'hui augurant un très regrettable "demain ?" Vidé de sa substance. Encore et toujours, il est question de la mémoire qui nous rattache aux lieux. De ce retour et liens aux racines pour faire en sorte que les paysages, les personnages qui le parcourent, ne se transforment pas en "coquilles vides"... Parallèlement existent, L'âme d'une ville et, sans concertation, ce coeur qu'on nous arrache. On pourrait annoter le chapitre - De la présence de l'Hôtel Dieu à l'avènement d'une future  coquille vide - C'est déjà un thème très brûlant, sauf s'il se trouve assez de gens affectionnant autant "le paysage" que son sens même, pour essayer d'empêcher ça... (A lire encore) :

http://solko.hautetfort.com/archive/2009/10/02/sale-vendr...

Lorsqu'en Août 2008, on consultait le Wiki à propos de l'Hôtel-Dieu on pouvait lire ceci: "L'Hôtel Dieu est actuellement un centre hospitalo-universitaire dépendant des Hospices Civils de Lyon. Il renferme également le Musée des Hospices Civils de Lyon, témoin de son riche passé. Sa désaffectation est prévue pour 2010, il semble que les bâtiments historiques puissent être convertis en grand musée médical et anatomique. Aucune décision officielle n'a été encore rendue."

Grand Musée médical, soit ! on attendait ... Réactualisé à la saison d'automne 2009, (J'ose espérer que le lecteur me pardonnera quelques incohérences et antidates dûes à certains retards auxquels ce blog s'attache, j'espère surtout que cela ne gênera pas la compréhension du problème de cette reconversion de l'hôtel-Dieu,) bref ! comme il y a le feu à l'édifice, je tiens à faire passer aujourd'hui ce billet avant tous les autres. Donc automne 2009, dans Wiki toujours on peut lire :

"L'Hotel Dieu sera reconverti en hotel 4 étoiles sous le magnifique dôme de 30 mètres de haut. les cours intérieures accueilleront des boutiques de luxe. C'est ce qui fait suite à la décision prise par Gérard Colomb le 25 Septembre."

Quand j'ai lu ça, j'ai eu peine à croire... (La peine, dans les 2 sens du terme on peut dire). Etait ce une blague ? Peut être une provocation ? Puis il y  eût "Libération" (pas celle que vous croyez qui font les heureux dénouements, faut pas rêver ! on est à Lyon !)

"Luxueuse reconversion pour l'hôtel-Dieu lyonnais" c'est le titre ! Là encore, on en apprend sur les merveilleuses méthodes de concertation de notre maire ou comment vite fait, bien fait on scelle le sort d'un lieu cher à son peuple, (4 ou 5 étoiles ! ben voyons !) de la haute cabriole (cabriolet ?) sur l'histoire, injure assez décontractée à la mémoire encore très vivante du lieu. Projet d'une insolente vulgarité. Qui s'en soucie ? Quelques uns... ? Seront ils assez nombreux ? Est-il permis d'espérer ?

http://www.libelyon.fr/info/2009/09/luxueuse-reconversion...

C'est vrai, elles n'ont l'air de rien ces petites phrases comme ça mises bout à bout. Allez, je vous recolle les plus neutres, celles du Wiki, pour le déplaisir (ou la réaction allergique qui pourrait se manifester à la deuxième lecture) :

"L'Hotel Dieu sera reconverti en hôtel 4 étoiles sous le magnifique dôme de 30 mètres de haut" [...]

"les cours intérieures accueilleront des boutiques de luxe".

Hormis qu'on dirait de la réclame. Ca ne vous choque pas ? Bon. Pendant que le vieux polémiste dort, j'enfonce le clou... (Lisez, lisez...)

http://solko.hautetfort.com/archive/2009/10/05/d-un-dome-...

Pyromane, nous voilà ! qu'elle soit de gauche ou de droite, cela s'appelle toujours de la décomplexion. Et ce qu'il y a d'ennuyeux avec la décomplexion, c'est qu'elle est aujourd'hui tellement partout, qu'elle aurait tendance à passer "comme une lettre à la poste", (si j'ose dire !). Et les autres effarés, les "pas d'accord", (les "complexés?"), évidemment non concertés, qui se sentent passablement injuriés, écrasés par tout ça, finiront peut-être par se dire : "à quoi bon ?" on lit tellement de trucs obscènes jour après jour, qu'un de plus un de moins... N'est ce pas ? Et bien non. Un de moins c'est mieux. Toujours ça de mieux.

Je ne suis pas une abonnée de la pétition à tous vents, mais là, je soutiens celle du collectif Hotel Dieu parce qu'elle propose un projet réfléchi, intelligent qui rend encore son sens profond, une cohérence à cet unique hôpital public du centre-ville. Cette pétition propose la création d'un centre de promotion de la Santé à l'Hôtel Dieu, vous trouverez le projet dans le lien ci dessous, tout autant que la possibilité de signer cette pétition.

http://jesigne.fr/promotionsantehoteldieulyon

La voie qui mène encore à défendre l'Hôtel-Dieu et le projet du collectif de l'Hotel Dieu, au lieu d'accepter passivement le travestissement de l'édifice en centre commercial haut de gamme, pur cauchemar, annoncé en fanfare, (et bientôt coupé au ruban ?) est encore à lire chez Solko, (tout très bien expliqué), et je crois que vous aurez tout, enfin tout ce qu'il faut pour vous faire une idée de la situation. Il me reste à remercier Solko, pour ses beaux textes, à raison réactifs, doublés d'une recherche fort documentée effectuée pour nous informer quant à l'histoire de cet hôpital public unique à Lyon, dont le relifting en temple marchand dévoué aux petites joies éphémères des créatures bling bling (et aux rêves inacessibles de la plèbe ?), nous donne d'ores et déjà, la nausée... Vous pouvez choisir vos chemins. Les deux mènent à la pétition. La signer ce n'est pas rien. ... Comme vous l'avez vu à Lyon, cette rentrée se voit dans de différents domaines, sinistrée. De très beaux endroits risquent bientôt d'être intégralement dévitalisés... Transformations qui ne sont pas très glorieuse pour cette ville. Et ne lui font pas honneur... Autre chemin donc + quelques liens dans le lien, et j'en termine.

http://solko.hautetfort.com/archive/2009/10/03/8d0b544274...

Après quoi, on ira se promener... A l'hotel Dieu exactement. Dans la cour pavée, sous les arcades silencieuses, paisibles... On écoutera les pierres, le bruit des pas dans les allées, discrets, respectueux...On regardera les pigeons s'envoler et on ramènera des images, avant liquidation, salopage intégral d'une mémoire, décérébrage du dôme. Avant copie conforme des vitrines à Gucci et autres Zilli and co... Avant de croiser des coquilles vides portant des sacs à lisières dorées, avant de contempler le spectacle de clones sarkozoïdes "tendance" veste en velours gold à losanges surpiquées, déambulant dans les allées  avec leur guide "shopping", infiniment "fashionable", et les autres, qui viendront rêver avec leur sac plastique en faux Vichy Tati, à tout ce qu'ils ne peuvent pas se payer. Consommateurs fantômes traînant au grand hôtel une toute autre maladie... Comme celle des fantômes du 8 Décembre qu'on voit errer dans les lumières plus absents que ceux des cimetières, déracinés, coupés du sens. Lierres en pot de chez Jardiland, légumes en serre, proliférant, sur toute cette belle tristesse dorée, tout sans histoire. Soufflot souffrant, mais pété de tunes. L'hôpital public saigné à blanc, mais à la mode mash potatoes relooké par Ferragamo...

Photo : L'Hotel-Dieu encore intouché sous un beau ciel en feu (profitez !). Prochainement dans les "flammes du pognon", en Dolby stéréo, écran géant, fashionorama, (images à suivre en 2010...)  On ne détruit pas le bâtiment, non, juste ce qu'il y a dedans ( une mémoire, quelques broutilles, en somme). A suivre donc... Lyon, vue des quais du Rhône. Août 2008. © Frb

mercredi, 16 septembre 2009

Quelques heures avant la nuit. (Part I)

"Je me suis demandé s'il nous arrivait encore d'éprouver des joies où la tristesse ne viendrait se jeter comme à la traverse ; qui ne se mélangeraient pas d'une impression de déclin, de ruine prochaine, de vanité. Tiens, se dit-on, cela existe encore ? Nos joies sont de cette sorte que nous procure un vieux quartier d'habitation rencontré au faubourg d'une ville étrangère et pauvre, que le progrès n'a pas eu le temps de refaire à son idée. Les gens semblent là chez eux sur le pas de la porte, de simples boutiques y proposent les objets d'industries que l'on croyait éteintes; des maisons hors d'âge et bienveillantes, qu'on dirait sans téléphone, des rues d'avant l'automobile, pleines de voix, les fenêtres ouvertes au labeur et qui réveillent des impressions de lointains, d'époques accumulées, de proche campagne; on buvait dans ce village un petit vin qui n'était pas désagréable pour le voyageur."

BAUDOUIN DE BODINAT in "La vie sur terre", Editions, "encyclopédie des nuisances" 1996-1999.

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Avant-propos :

 

Tandis qu'il fût impossible cette nuit de retrouver les nuages, à la bonne adresse, (la fameuse erreur 404)... Le lecteur peut tenter de cliquer sur "Les nuages" rubrique blogosphère, colonne de gauche, desfois que ça viendrait de chez moi... Enfin, c'est là, en début de soirée sur "les nuages", exactement, d'ordinaire ou plutôt, d'extraordinaire, où j'aime aller prendre le large comme d'autres prennent le deltaplane, le vélo ou la jonque... (Nuage, dites-nous s'il vous plaît, ou si vous voulez... Est ce que ça vient de chez moi ?). S'il est encore permis d'être lue ici par un nuage, j'aimerais glisser une pensée vraiment amicale. "Le nuage" était venu là, poser des commentaires et en visitant son domaine, j'avais eu un coup de foudre, (ou un coup de nuage, mais un très beau), depuis je raffole de ce domaine, il y a vraiment de quoi ! univers fascinant entre mille, oeil acéré, intelligence de la photo, Amour des paysages, le monde des "nuages" est (était ? non ! il n'est pas encore venu, le temps des nécrologues), une pépite rare dans notre blogosphère (pléthorique). Autant le dire, à mes yeux, un domaine d'exception. Sauf qu'il y a un hic. Depuis la fin de cette dernière nuit, (qui ne suit pas tout à fait la date ci dessus, allez comprendre ! mais bon), la fameuse erreur 404, persiste. Et le domaine, depuis hier (le 28 /09 exactement), reste désespérement introuvable, c'est vraiment énervant...

Prélude à un billet par contraste beaucoup plus sombre, mais un avant propos en forme de supplique personnellement adressée à l'auteur(e) du, des "nuage(s)" pour que reviennent, peut être, ces fugues océaniques, et autres mondes à perspectives lumineuses. Et puis il y a ces titres au dessus des photos, si finement pensés, touche précise, ciselant les multiples sens du tableau. Les nuages savent aussi choisir malicieusement les mots ... J'ose croire que l'erreur 404 n'est qu'une erreur à rectifier, pas un massacre par immolation (ah ! la touche "supprimer ce blog" menant à l'erreur 404, est une autre bizarre tentation...) Mais il ne faut pas y toucher Nuage ! sinon, quelquechose manquera, quelquechose et quelqu'un. On croit que ce n'est rien, mais c'est un peu comme les étoiles... Voyez... Bon, Je ne ferai pas de sentimentalisme, nulle séquence émotion à trois balles. Je sais aussi (même si nul blog et son bloggueur n'est du point de vue de la vie sur terre vraiment indispensable), quelle béance et quelle peine se trouvent encore quand un bloggeur avec lequel se tisse des liens, au fil à fil, jour après jour, disparaît du jour au lendemain... Même si ce n'est pas lui qui disparaît mais sa publication, dans le contexte virtuel, c'est un peu comme s'il disparaissaît quand même, lui, avec sa publication. On ne s'habituera pas (enfin moi, pas vraiment), à cette page figée, par exemple, au 19 janvier 2009, dernière page, à ce jour, de l'univers de Léopold Revista (l'un des plus bienveillants, et des plus élégants de tous nos "citoyens du monde"). Ce jour là, Léopold, tirait sa référence, au 300em passage, en un billet qui reste en ligne encore à ce jour et qui bouleverse assez. (Tous les autres billets se lisent aussi très bien, surtout, n'hésitez pas). Quelques autres et moi même se souviennent d'une surprise assez "mauvaise" après le doute, une certitude, quand Marc expérimenta, (peu importe la raison, une raison, même déraisonnable, se respecte), la fatale manipulation, qui mène à la page erreur 404 et combien plus immense fût notre étonnement, doublé d'une joie non dissimulée, quand Marc réinventa pour nous, (et pour lui tout autant, je crois) ce magnifique domaine, qui en fascine plus d'un. Une liberté particulière accordée au lecteur, qui vient à ce monde aux questions ouvertes, fruité, spacieux et puis (...) solaire au titre doux d'"Epistolaire". "Une voix dans le choeur", voilà peut être bien exprimé cet indicible "je ne sais quoi", qui ouvre largement le sens. Je n'oublierai pas non plus, l'explosion annoncée par Fabien, et son blog étonnant, encore de l'ouvrage finement amené, avec des textes carrément surprenants, le tout drôlement stylé (s'il me lit, il va râler, tant mieux !). "Un peu moins que quelques bribes", Fabien avait annoncé à ses lecteurs, grosso modo "à telle date, j'explose le domaine". Et il l'a fait ! Fabien a depuis recrée je crois, un domaine, qu'une panne informatique m'a dérobé... (Tributaires que nous sommes, de la technique, malgré nos airs indépendants, Fabien, si tu m'entends et que tu as sous la main ce que je cherche... ;-)

 

Pour en revenir au ciel d'automne. Je sais aussi que "le nuage" aime follement De Sabato, y aurait t-il quelque injonction de l'Ernesto, derrière ce nuage envolé ? (Ernesto ! c'est pas bien malin !). Ayant appris (merci nuage) combien l'écrivain était pyromane, concernant ses propres oeuvres, j'espère que notre amie, dans je ne sais quel mouvement (peut-être angélique tout autant que ténébreux ?), n'aura pas livré ce blog merveilleux, au bûcher qui renvoie toujours son lecteur, désespérement, à la page "erreur 404". Rien que d'y songer, ça rend malade.  Dites nous que non, "Nuages "... Cette erreur, elle vient "bien de chez eux ?" comme on disait avant quand l'écran devenait noir dans la télévision. Sauf que là, chez "les nuages", c'est beaucoup mieux que ce qu'on peut voir dans une télévision ! Alors oui ? "Ca vient de chez eux ?" Juste, un babil, nuage... Que ces lumières du pays qui donne aux saisons des noms à danser sous la pluie et que ces pluies qui caressent doucement, chez vous, les toits de chaume, ne tombent pas définitivement sur cette page arrachée. Si d'aventure, cela ne venait pas de chez eux, la lectrice que je suis, enragerait,( ô désespoir !). Et ceci ne serait pas mon dernier mot...

 

1- Tandis qu'ici ...

 

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Tandis qu'une fête bat son plein dans Villeurbanne de jour en jour liftée menue, transformée peu à peu en ville-poubelle architecturale, vastes chantiers, à en coincer son château de Merlin entre deux barres dont l'une est pleine de sparadraps jaunes banane troués par des hublots en guise de fenêtres, (je vous montrerai cela un de ces quatres). Une lourde matière pour BAUDOUIN de BODINAT et sa prose essentielle toujours et encore : "la vie sur terre".


"A quoi penser? Les vitres des immeubles en face s'incendient maintenant au soleil couchant. Bruits familiers du soir, cuisines allumées sous le ciel encore clair, tintements de tables mises ; la chanson plaintive d'une radio quelque part derrière les murs et l'odeur des jardins silencieux sans personne dans la pénombre qui monte; l'écho soudain de ma propre voix me disant. Ne la laisse pas monter sur l'appui de la fenêtre !"


Tours de poisse et dégoulinade aux univers nourris de miettes, dopées à toutes les panacées, Lexomyl, trichlorétylène, Kro de base... Pizza vit', rapid cheese, sandwiche pain de mie à la merguez. Le cours Emile Zola, s'engonce dans ses mille paradoxes, du vrai Zola caché dans son arrière boutique, guettant le camion d'un déménageur (breton ?) sur sa montre à gousset, jusqu'aux salons de coiffures high tech, opticiens 1000, 2000, par vingtaine confinés, ici, ailleurs, des fourmis aux doigts de fée découpent au mètre des rubans et au kilomètre, le textile... Plus près, à la fenêtre de la maison de Cadet Rousselle : (Cadet Rousselle a trois maisons, (bis), Qui n’ont ni poutres, ni chevrons, (bis) C’est pour loger les hirondelles...)". La crasse banlieue avale la ville, dévorant un peu plus encore cette vieille idée de rêve social,  à en faire tourner, retourner mille fois Lazare G. dans sa tombe. Plus loin, là où c'est encore assez beau à regarder, "le répit de l'agriculteur" médite ces fadaises sous un ciel en forme d'abîme. A moins que ce ne soit que le dépit...

 

(A suivre ...)

 

Photo 1 : Des oiseaux préparant peut être un futur voyage d'hiver, à la fin de l'après-midi, vus  au dessus des sculptures modernes ornant l'esplanade près de l'Opéra dans la chaleur moite d'un été qui ne finit pas et sous un ciel atone et bizarrement bas. Lyon. Septembre 2009.

 

Photo 2 : Le temps se couvre... Trop de nuages (pas celui que nous recherchons), et nul oiseau en ces hauteurs. Le ciel épais de Villeurbanne, un no man's land, entre Charpennes et République vu en Septembre 2009. © Frb.