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vendredi, 08 février 2013

Le voyage approximatif

Le train dévore toutes choses visibles, agite toutes choses mentales, attaque brutalement de sa masse la figure de ce monde, envoie au diable buissons, maisons, provinces ; couche les arbres, perceles arches, expédie les poteaux, rabat rudement après soi toutes les lignes qu'il traverse, canaux, sillons, chemins ; il change les ponts en tonnerres, les vaches en projectiles et la structure caillouteuse de sa voie en un tapis de trajectoires.

PAUL VALERY : extr. de "Le retour de Hollande ; Descartes et Rembrandt, édition Pagine d'Arte, coll. Ciel Vague, 2012.                                    

corail SCF3036.jpg

 

Comme avant un festin,

en force esprit, durée,

suffisant à soi-même,

on se grise d’un retour

dans un style d’aquarium

lassé de son corail. 

Une vitre à travers

ausculte un métronome,

à son rythme occupé,

les pas pris dans les neiges

si près d’être sauvés,

des mots de feu retiennent. 

Une histoire s’empanache

suce quelques proies sucrées.

On cherche l’alvéole,

deux minutes en pare-chocs,

une vie de marche à pieds. 

Comme après un festin

le ciel mène à son train,

des préludes à Chamelet

Tangos, valses ou chaconnes,

Carrières de marbre et gore

ouvrent une voie givrée.

 Le train stoppe en vallée

poinçonnant sa madone

lui délivre son quai.

L’ivraie échappe au grain.

Tous les chemins m'étonnent.

Revoilà l’homme du train

et sa prune étoilée

de calices et de gommes.

Comme avant le festin

sous un buisson de neige

tenant à presque rien

par un canal abstrait,

on sort de l’aquarium.

Le malin nous dégomme

en courbettes à ce train.

L’embrassage épineux

crisse sur les graviers,

on déploie les regrets.

Plumes ont divergé.

La sève fond sous l'écorce.

Comme avant le festin,

des poissons hérissées

s'embarquettent à Saint Point.

On sait qu’il va tomber une pluie

sur Cours la Ville.

Dième ouvre sa forêt.

On bifurque à Mardore.

Dieu ! qu’un mauvais virage

nous gèle dans son horloge

qui ne tient à demeure.

Le chien dîne à vingt heures.

Esprit, durée, saveur

suffiront à soi-même.

Un objet flambant neuf

dans le polystyrène

attend l'anniversaire

banc vide à St Germain -

 le printemps va sans coeur

et les préliminaires redeviennent

blancs comme neige.

 

 

Photo : On se taille en Corail. (la preuve est sous l'image).

 

 

Lyon-Perrache © Frb 2013.

mercredi, 01 août 2012

Volets vers...

CHAMELET : département : Rhône, code postal : 69620, population : 690 Habitants,  Altitude : 337 mètres,  superficie : 14.77 km2 ou 14, 50 (tout dépend les sources)...


chamelet gare.jpg

Chamelet-Village, ce nom résonne comme un bon cru. Les habitants y sont nommés  les Chamelois et Chameloises. C'est un lieu fortifié aux charmes qu'aucun adjectif ne saurait décrire, ce qui tombe bien parce que je n'ai rien vu et comme toujours je dirai tout, pour quelque fantaisie qui hante l'esprit du pérégrin dans ses égarements, à ce passage rapide de la correspondance en ces villes ou bourgades dont on ne parle jamais dans les livres, quand deux minutes suffisent  à rallonger le temps, pour glisser des images et un tas d'impressions plus ou moins pédagogiques. On peut lire à son rythme... je remercie vivement Michèle Pambrun d'avoir inspiré cette exploration, (certes, approximative), en m'invitant via une récente correspondance ici même, à retrouver l'oeuvre de Pierre Bayard dont un livre particulier s'accorde semble-t-il au thème de cette page ; à cette question qui obnubile également certains jours, une tentation de déplacements légèrement improbables : "Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ?".

chamelet.jpg

Ainsi, sans bouger du train bleu aux banquettes confortables, j'ai pu visiter à travers l'espace-temps, par les reflets d'une fenêtre passée dans une autre fenêtre, l'ancienne place forte des sires de Beaujeu, jadis un centre de tissage et de blanchisseries de toiles. J'ai remarqué les halles en bois du XVIème siècle et un donjon carré également du XVIem, tout cela admirable. Ensuite, je me suis dirigée jusqu'à l'ancien relais de poste puis, croisant là, le Marquis de Chalosset, il m'invita à boire un cruchon de beaujolais au Château (de Chalosset évidemment). Son cousin Gervais de Vaurion jouait là au tric-trac, comme cela est courant à Chamelet en été, (j'en profite pour vous montrer le tableau de Le Nain où le Comte Gervais de Vaurion figure avec son chapeau à plumes qu'il ne quitte jamais, bref, Monsieur le Comte me montra les vestiges du château de Vaurion, ce fût un moment agréable. Ensuite nous allâmes à l'église contempler des vitraux d'une finesse remarquable datant du XVème siècle, et dans le foin nous nous roulâmes, bénis par les ombrages d'une petite chapelle arborée. Profitant ardemment de quelques secondes encore vastes, après avoir vu la maison natale de l'illustre ingénieur hydrolicien, le Baron Gaspard de Prony, dont le nom est inscrit sur la tour Eiffel,  et dans une rue du 17 em arrondissement de Paris, je batifolais un instant avec un ou deux chamelois, chameloises entre la vigne, les pâturages et la forêt. Mais il ne fallait pas traîner, comme on dit "le train n'attend pas le nombre des années" bien que le temps échappât et que j'y fus installée, (dans le train et ce temps étrangement envolés), douillettement calée et galopant par des forces cosmiques assez inexplicables, impatiente de visiter les pierres dorées des édifices, de battre la campagne jusqu'aux coins les plus reculés de Chamelet, tout en savourant la mollesse de somnoler au frais, vautrée comme tout  passager qui se respecte les pieds posés sur la banquette d'en face. Ceux qui ont fréquenté ce genre d'expérience, sauront que deux minutes suffisent à s'abstraire totalement, pour toucher l'insoucieuse déréalité insufflée par le bruit d'une locomotive à l'arrêt. On se retrouve alors comme rien, étranger à soi-même, hors temps si loin du monde et des êtres continuent à courir dans les villes vers toutes sortes d'objectifs dont la quadrature obstinée nous paraît soudain incompréhensible. Ce n'est qu'une impression, produit trompeur de l'oisiveté qui peut parfois revêtir, (gare ! gare ! c'est un piège !) les mêmes certitudes que la vérité la plus sûre. Moralité: Méfions nous de nos impressions...

chamelet gare poème visuel.jpg

La locomotive toussotant un peu au démarrage, j'y gagnais trente secondes de vitesse hyper lente (qui n'est plus de la vitesse mais une lenteur peut-être plus rapide que la lenteur ordinaire, tout cela difficile à mesurer précisément) puis après avoir exploré de fond en comble, Chamelet, ses alentours, (sans jamais bouger de mon fauteuil, là, j'insiste) je me suis aperçue (avec stupéfaction) que ce qu'on ne mentionne jamais quand on évoque le village de Chamelet c'est le lieu fou de la maisonnette laquelle, très curieusement a pris le nom de gare. A cet endroit qui devient aussi un instant magique, on peut, durant deux minutes s'égarer et le reste s'évase. Ainsi, en contemplant ces discrets joyaux villageois par les fenêtres de la maison du chef de gare, là où s'arrête la modernité, je dus encore me réjouir d'un léger réenchantement des lieux, dans la briéveté du temps qui passe et ne passe pas, devant ces beaux lettrages rouges qu'on croyait disparus, et je vanterai en passant, les bienfaits visuels et spirituels des volets verts, ainsi que la bonté intrinséque des rideaux dits "bonne femme", que l'on glane à des prix imbattables à Lyon, chaque mardi au marché de la colline (qui travaille), on n'exaltera jamais assez l'esthétique de la bonne franquette qui adoucit les moeurs autant que les vins de l'Azergue mettent le palais en sympathie avec la terre... Malgré l'annonce des deux minutes, d'arrêt, (en fait, d'annonce il n'y a pas, c'est au voyageur de faire le calcul et comme le temps moderne est arrêté ce n'est pas mince affaire, à cette heure du départ), il faut être matheux pour demeurer d'équerre sur les rails enfumescents "que nos rêves enfumaient", c'est de L'Emile...  Paisible, je suis restée, à Chamelet, deux minutes égales à longtemps, admettons que ce soit une imitation fort bien faite de l'éternité que je pris pour la vraie, collée à toutes les fenêtres, (ubiquité oblige), sans m'y pencher bien qu'étant fort tentée comme au temps de la lison où l'on pouvait ouvrir à volonté autant que refermer ou tomber de l'autre côté, pour un instant d'inattention,  et mourir dans une cotonnade anthracite, (à lire absolument "les périls colossaux" du philosophe cascadeur, Italien E.P. Sporgersi). Ne pouvant pas entrer le corps dans Chamelet entier (certains détracteurs de Sporgersi ayant cher payé de provoquer l'auteur sur ses mouvants territoires), près de ce quai à trente secondes de ce coup de sifflet d'un chef de gare du genre homme invisible, je voyageais encore dans l'air conditionné d'un wagon de deuxième aussi frais que le petit train des gentianes et après réflexion, je décidais de vous glisser quelques images de l'atmosphère inimitable de Chamelet-gare: une fenêtre par minute...  déjà le train nous presse, mais rien ne sert de courir, en soufflant sur une plume par le vent mythomane, l'oiseau vogueur pourra conduire, éconduire le lecteur de Chamelet à Kharbine en tirant légèrement sur les rails avec ses ailes comme sur un élastique jusqu'à l'oubli certain de nos destinations.

 

 

 

 

 

Nota : Pour voir toujours plus grand, il est recommandé de cliquer sur les images. Pour le titre assez lacunaire vous pouvez complèter ...

Photos : Dans l'ombre d'un train, des fenêtres, les derniers volets vers... peut être. Quelques vues. Tout est là ou plus sûrement ailleurs...

 

Chamelet © Frb 2012

samedi, 28 juillet 2012

La vraie fenêtre est ailleurs

Les tours, les chaumières, les murs,
même ce sol qu'on désigne
au bonheur de la vigne,
ont le caractère dur.

 

damier.jpg

 

 
Mais la lumière qui prêche
douceur à cette austérité
fait une surface de pêche
à toutes ces choses comblées.

 

RAINER MARIA RILKE : "Les tours, les chaumières, les murs"

 

Envoi : Guettant votre retour, j'ai saisi hier un passage au grand jeu d'une fenêtre éclairant un damier patiné de soleil dans l'espace silencieux mais peut-être habité... - un instant retrouvé de la beauté ancienne et la tranquillité inespérée des lieux - Plus présents que jamais, je voyais les reflets de vos pas de velours par une autre fenêtre.

 

Photo : hier, c'était la paix en plein coeur de presqu'île, un endroit où écrire, où lire, où s'absenter. Demain, on verra à deux pas d'une rampe d'escalier mécanique, des masses de clientèle longer les vitrines d'un futur grand complexe. Tout livré au commerce. Parfois on imagine que l'endroit sera sauvé. On se dit que personne n'osera y toucher, qu'il ne peut en être autrement. Pour l'instant, on espère, on fait le plein, si toutefois... un peu triste déjà, à la pensée de se trouver un jour en manque de perspective...

 

Lyon-presqu'île © Frb 2012.

samedi, 16 juin 2012

Dans l'intervalle...

Où il sera vaguement question de l'interprétation des nuages...

un nuage bb.jpgtour.jpgboul.jpgun nuage.jpg

 

 

 

 

 

Photo 1 : Où l'on peut avoir une petite idée de la largeur des rues qui forment les pentes de la Croix-Rousse, et un peu une idée des couleurs des façades. Je sais, c'est vague...

Photo 2 : Où l'on retrouve la demeure du Maître de Lyon qui tire les ficelles de la ville au secret dans sa tour octogonale, un endroit fascinant, éclairé la nuit, on se demande parfois quels secrets s'y cachent.. Situé du côté de Bellecour en Presqu'île. Place Antonin Poncet exactement.

Photo 3 : Où l'on apprendra que la véritable boule lyonnaise se joue un petit peu dans les airs et parfois sur la terre entre le clos Jouve et la Tabareau entre autres...

Photo 4 : Où l'on aura, un aperçu  fragmentaire de l'immeuble aux 365 fenêtres, qui donne sur le jardin des Chartreux, vous ne pouvez pas le voir mais les gens qui vivent là  de leur fenêtre, eux, le savent...  En fait elle compte 378 fenêtres, c'est la fameuse Maison Brunet, un immeuble que j'aime particulièrement d'une part j'y ai travaillé quelques années au dernier étage dans une ambiance festive mémorable avec vue imprenable sur les scintillements d'une partie de la ville dont l'autre colline de Lyon et surtout parce que des considérations cosmologiques attachées à cet immeuble  méritent un peu qu'on s'y attarde, en effet la maison comporte autant d'appartements que de semaines (52) et autant d'entrées (4) que de saisons. Monsieur Marcel Rivière le savait avant moi, même si ce n'est plus lui qui officie, (tout fout le camp) cela dit, cher à notre mémoire autant que son suppléant, vous pourrez en apprendre davantage en cliquant sur l'image. L'immeuble est situé place Rouville  juste en dessus de l'ancienne "Boule des rigolards", ça ne vous dit rien, c'est normal elle a changé de nom et les gargoulettes rafraîchissantes n'y sont plus les mêmes qu'à l'époque de la naissance (des Rigolards) que je n'ai pas connus, mais je vous raconterai ça un jour, quitte à broder un brin, s'il le faut (encore des promesses)...

Photo 5 : Figure libre, la photo qui n'existe pas, celle qui reste à faire, c'est la première fois qu'on vous la montre, plus dépouillée on n'oserait pas, histoire d'offrir un peu d'avenir à nos moutons, il ne sera bien sûr  question que de l'interprétation des nuages. Si par hasard vous savez lire (dans les nuages, of course)...

 

Lyon © Frb 2012

samedi, 30 juillet 2011

Petits voyages

Donc, si après mille efforts pénibles, le lecteur décrète qu'on n'a pas atteint le port, cependant il vaut mieux sombrer dans les profondeurs en cherchant avec ardeur, que flotter sur un banc de sable.

HERMAN MELVILLE, extr. "Mardi" (traduit par Charles Cestre, introduction D. Fernandez), éditions Flammarion 1990.

gare_0171.JPG

Le mouvement nous sort du danger des aveuglements de nous mêmes, les voyages portent autant conseil qu'ils nous remuent longtemps après, comme la nuit  où  nos songes font revivre les lieux oubliés, travaillent les esprits et nous allons à leur rencontre. J'ai mon billet, c'est plié en petit dans la poche, à chaque instant il me faut vérifier si je ne l'ai pas perdu. Oui, je l'ai. C'est pour l'heure un petit livre blanc, un fragment d'atlas, une cible. Je relis plusieurs fois le résumé recto-verso, avec le numéro du train, juste un "aller" au poinçon qui délivre le droit de s'éloigner, et là, pendant des minutes que j'aimerais encore ralentir, je regarde les locomotives jouer dans la pénombre. C'est un peu comme un mot d'absence, qui ira tout à l'heure glisser entre les mains d'un contrôleur, un billet simple que j'imagine quelquefois sans retour, quand je m'en vais, c'est dans l'idée que je pourrais partir toujours, ou revenir illico par le train qui suivrait, ou encore bifurquer dans la minute, s'il est possible (ah ! les correspondances !). J'ai le billet d'une loterie topographique, tant de bourgades à traverser entre ici et là bas, des forêts inconnues, hameaux sans habitant, vus d'un viaduc, on revit dans la miniature des petits toits, des petits murs, pareils aux bouts de toits, bouts de murs, du jeu de construction pour enfant. J'aime les trains lents, les anciennes Michelines, un jour je goûterai au Cevenol...

En attendant je fais les cent pas hors du hall, je m'égare un peu dans cet espèce de no man's land, le même autour de toutes les gares, je vois au loin des hôtels malheureux, des entrepôts en ruines, des magasins aux enseignes borgnes et puis les lignes bleues qui vont dans la montagne, du côté de Ste Foy-Lès-Lyon plus loin, jusqu'aux Monts d'Or, une illusion d'optique, la musique de "La vie de Cocagne", (merci Zoë !), la ligne bleue des Vosges, une cabane où des gars scient du bois, où des filles font des tartes aux pommes. C'est l'heure indescriptible de l'entretemps à n'être plus qu'un interlude entre deux voies. Sentiment agréable d'honorer la vie sur un banc, le compromis accepterait de céder tout aux mondes flottants, quand fatigué des profondeurs, on déciderait d'un errement en surface afin d'oublier, (un instant), la belle citation de Melville (sorry, Herman, on a dit "un instant") ; un banc de bois sous une rangée métronomique d'horloges hautes perchées, nids de coucous soudés comme des lampes aux plafonds, on fixerait l'incessant clignotement des diodes on serait à l'affût d'autres cliquetis métalliques de source invisible.

Il est 17H44, il me reste quinze minutes avant le départ sur quai A. Ces quinze minutes dureront le temps qu'on les désire, elles paresseront parallèlement dans cette vague perception atemporelle qui tient la page de tous les autres livres. J'ai mon billet, c'est d'un contentement bête. Assise sur un banc, à coté de nombreux voyageurs qui lisent, fouillent dans leurs sacs, ou picorent des Smarties, je dessine machinalement des rectangles sur le modèle d'un wagon de marchandises arrêté juste en bas, j'attache les rectangles avec quelques trombones (tombés d'une boîte trouvée hier, dans le funiculaire), je bricole machinalement des petits bonhommes en tiquets de métro pliés, que je déchire, pour leur fabriquer (grosso-modo) des jambes et des bras. Machinalement, je tue le temps, sans vraiment savoir que je bricole. Mais en gribouillant mon bonhomme, le corps ici, la tête ailleurs, j'imagine en même temps, que j'entre en rotation sur le manège de Petit Pierre dans cette fabuloserie ignorée des grands voyageurs : un joyau en orbite absorbe l'univers, dans la lune, sur la terre, révèlant la huitième merveille d'un monde aux enchantements-rois. Le cercle magique des ferrailles flotte dans l'air qui va loco loco nimber de valses folles les débris reconstruits pour faire tourner la terre sur des boîtes de conserve et le plus étonnant c'est qu'elle tourne merveilleusement...

Petit Pierre en gardant ses vaches fabriquait des cyclistes, des avions, des charrettes, des petits trains et puis il ajouta des boulons aux petits voyages extraordinaires qu'il faisait dans sa tête...

Regardez, c'est divin.


 Lien divin : http://www.fabuloserie.com/#

Nota 1 : la réfutation d'une citation de H. Melville ne durera que le temps d'un petit voyage (réfutation it is not a répudiation, j'ai précisé, j'insiste).

Nota 2 : pour ceux qui aiment les images, (bonus d'été) il y a un Delvaux-garissime à cliquer sous notre photo (voir plus haut ↑).

Photo  :  Gare de Perrache (Lyon) et ses alentours, vus de la grande allée de la gare, fin Juillet, cette année.

© Frb 2011

lundi, 17 janvier 2011

La grande route

Parfois le murmure se répand que nous sommes visités par des ombres transparentes.
Qui sait ? Qui sait ?
Comment retrouver leurs traces quand on a peine à se retrouver soi-même ?

HENRI MICHAUX, extr. "L'Espace aux ombres" in "Face aux verrous", éditions Gallimard, 1992.

pour connaître le début de cette histoire vous pouvez cliquer sur l'imagegrde road4091.JPG

Les jours passèrent longs et stupides, nous étions moins joyeux. Nous avions laissé les chansons, fabriqué des chapelets. Ils ne servaient qu'à passer le temps. Nous nous bercions de prières, nous les récitions à voix haute en marchant. Elles portaient aussi d'autres chants, nous avions cessé, à force de répétition, d'en ressentir tous les bienfaits. Au mieux, cela nous fatiguait. Une lueur blanche émanait d'un sommet. C'était là, notre terre promise. Il semblait que là haut, les châteaux se multipliaient. Nous fûmes un instant en Espagne ou mieux, en Amérique. Les habitants semblaient agglomérés en un point lumineux qui se trouvait sur la lune mais ce n'étaient que les formes exagérées de la lune qui chaque nuit hantaient nos rêves de présences et de sons. Nous entendions les voix des créatures nous parler dans l'oreille ; ce langage, nous l'avions connu peut-être autrefois, il nous rappelait encore une langue disparue, celle des  villes où nous avions vécu. Nous nous étions persuadés que ces voix étaient incarnées quelquepart en un lieu qu'il fallait découvrir avant que nos forces s'amenuisent. Un jour, on l'espérait, elles viendraient nous guider, elles pourraient même nous accueillir. Quelquepart il y aurait un point où nous pourrions cesser de marcher, enfin, vivre tranquilles !  nous avions fabriqué ces voix à force de croire que nos vies pouvaient être éclairantes pour d'autres vivant à l'opposé, sur d'autres rives. Nous avions tant de choses à nous apporter, entre étrangers, comme s'il était promis à ce faux semblant de hasard, l'avènement d'une forme charitable, attirée par la nouveauté qui pouvait entièrement combler un besoin de réenchantement mutuel, infini. Nous avions fabriqué ensemble, une légende à venir, envoûtés par une sorte de fièvre. Nous voulions des héros pour conjurer l'ennui. Croire en de nouveaux dieux, peut-être. Nous avions traqué jour et nuit, les manifestations des créatures. Nous cherchions dans le moindre craquement, les bruissements d'insectes, un contact serré avec les créatures, même une simple brindille nous faisait sursauter,  il s'ensuivait un grand émoi, tout dans la démesure. Nous avions même appris à lire, peu à peu  les variations émises par le vent, à tel point que nous aurions pu en écrire les rythmes sur une partition, cela aurait pu être joué dans nos anciennes villes par les plus grands orchestres symphoniques. Nous en rêvions. Nous étions restés à l'affût, jusqu'à cette obsession d'établir un dialogue avec les créatures. Il était impossible qu'une seule d'entre elles ne puisse pas nous comprendre et peupler rapidement le vide dans lequel nous vivions. C'était une intuition commune, une rêverie fraternelle, par laquelle, nous nous proposions de bouleverser nos existences. Les voix nous revenaient en songes, elles s'étaient indistinctement mêlées aux notres, plus ordinaires, ou presque aphones, nous avions hâte d'ajouter un choeur à nos chants, pour réanimer tous les souffles. Les voix en réalité demeuraient inaudibles, plus muettes que l'espace qui vibrait des sons pleins de ce vide intenable, et d'une solitude collective plus harcelante encore que si nous avions été seuls en réalité. Le jour où nous en fûmes conscients, notre vertige se transforma, en une sorte d'effroi, une chute qui porta le malheur et la confusion entre nous. Maintenant, quand la lune est visible, c'est pire. Dans ces nuits là, l'effroi revient à l'identique, et il n'en finit pas, jusqu'à la disparition de la lune au petit jour. Le ciel est vide. Cela nous fait apprécier les moments où nous ne sommes plus inquiets les uns des autres. Marcher devient notre principal soulagement, s'il n'y avait pas ce vide, par instant, il nous serait sans doute plaisant de contempler le paysage, tout en marchant même si jamais nous ne trouvons le lieu. Il faudrait oublier. Quitte à créer n'importe quoi, comme toutes ces statuettes en bois, des marionnettes, ou reculer, retrouver l'ignorance des débuts, quand chacun croyait que le pays que nous cherchions était tout près. Il suffisait de bien s'entendre, surtout d'être patients, d'imaginer que la grande route qui s'allongeait  déjà, à mesure que nous la déroulions, n'était qu'un pont reliant une rive à une autre. Les créatures lunaires, profondes, au lieu de nous secourir, nous avaient éloignés les uns des autres. Aujourd'hui il y a non seulement la route, mais une autre route entre nous, invisible qui nous happe et nous coupe en morceaux. Aussitôt que parait la lune, notre ancienne hallucination nous clive, nous restons des heures allongés dans l'herbe, les yeux ouverts, sans trouver le moindre charme aux étoiles. Nous reprisons de vieilles pensées, en accusant secrètement ceux qui étaient autrefois les notres, comme nous, ensorcellés dans l'ombre roulés par une lueur, nous les haïssons de nous avoir aidés à croire à des choses impossibles. Le reste du temps, nous sommes presque muets, figés par ce qu'il nous vient de haine, elle pousse en nous, nous sommes tous dans le même état, impuissants à la repousser. Nous ne partageons plus que des banalités. Un jour nous deviendrons complètement sourds. Il ne restera que cela, la hantise dévorera nos figures, la laideur entre nous perceptible, jour après jour, creusera nos traits, assèchera ce peu d'enfance qui nous choyait avec ses créatures splendides. Ces lueurs répudiées diffuseront l'incendie, sous la chair et nos corps gentiment en apprivoiseront les débris. Nos yeux s'abîmeront à force de ne cotoyer que cela, toute la sécheresse et nos figures devenues suspicieuses n'auront plus la moindre expression amicale. Il n'y aura plus d'emportement facile, à mener nos chevaux de bois au festin de la lune. Tout ce manque nous abolira, quand la panique devenue coutumière, nous donnera enfin l'impression de solidité, nous continuerons sur la grande route, nous marcherons en file indienne, tout comme avant. Pas tout à fait. Nous marcherons, c'est tout. Nous dormirons dans les forêts. Rien ne sera changé. Apparemment.

(A SUIVRE)

Photo: La grande route (des Charpennes) dans tous ses états, photographiée de la fusée d'occasion Appolo 11 aimablement prêtée (et pilotée) par trois vieux copains cosmonautes (merci les gars !), afin de nourrir les fantaisies démesurées de certains jours. Villeurbanne. © Frb 2010.