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dimanche, 01 janvier 2017

La vie sur terre (par Satyajit Ray)


"Deux", est un court-métrage datant de 1964, sans aucune langue parlée, écrit et réalisé par Satyajit Ray (সত্যজিত রায় en bengali,) qui en a composé la musique, c'est aussi une invitation à re-découvrir le travail d'un immense cinéaste, (voir ou revoir, "Le salon de musique").

Satyajit Ray fût aussi écrivain et compositeur bengali, fils de Sukumar Ray, illustre écrivain pour adultes et enfants, dramaturge et poète, auteur de nombreux poèmes dont "Le pouvoir de la musique", un sujet constamment déployé par son fils, comme ici dans cette fable racontée sans un mot (succions et cris d'enfant, mais à peine)... 

Plus l'auteur a exploré la matière sonore, plus il a su capter l'expression des visages et se laisser capter par leur beauté. Sa spécificité fût de savoir filmer ces visages attirés par un son sans jamais révéler la transformation que ce son va opérer en eux.

On sait que quelque chose a été vu et entendu, on croit percer à jour le mystère des mondes intérieurs de ces êtres qui ont capté les sons. Une percussion intime...

être au monde à travers ce qui est de lui en vous - par lequel le visage est soudain saisi - a écrit Charles Tesson pour la Cinémathèque, titrant très justement à propos de cette façon si singulière de filmer les êtres et les sons :

"Le son dévisagé".

Il n'est pas surprenant devant les expressions proches et lointaines de ces visages, cette "saisie" très rapide de la fragilité des expressions humaines, que le cinéaste ait beaucoup admiré le photographe Henri Cartier Bresson. Il y a chez Satyajit Ray, comme chez Cartier Bresson, une réalité soucieuse de ce qui est, une retranscription très sensible de la matière complexe des choses et des êtres, et surtout de ce qui ne se voit pas...

 

L'air. 

 

Puissiez-vous ne pas en manquer pour cette nouvelle année 2017, que je vous souhaite douce et belle.

 

Contre mauvais augure, une fable, riche en thèmes...

 

05:43 | Lien permanent

vendredi, 20 février 2015

Les errances du modèle (III)

Il est des êtres qui cultivent une apparente difficulté de vivre à seule fin de se croire supérieurs à ceux que ces tourments épargnent. Mais pourquoi celui qui souffre et cherche, devrait-il s’estimer supérieur à celui qui ni ne souffre, ni ne cherche ? Face à la vie, nous sommes tous des infirmes, et nul n’est fondé à se croire supérieur ou inférieur à quiconque.

CHARLES JULIET, extrait "Ténèbres en terre froide"Journal tome I, (1957-1964), éditions POL 2000.

ho seul vitre.jpg

J'ai voyagé partout et j’ai les yeux fermés, pris dans les planisphères, fou des géographies et des rives anciennes mais je vis bien caché, blotti dans les fourrés gris de la taupinière, remblais des rêveries retombées sous un trait commun, définitif.

Le mensonge et l'oubli est tout ce qui nous reste, un fond de gouaches pressées, une histoire d'outremer sur velin démodé, et on s'étonne encore qu'au fond de cette nuit, le gris nous ré-invente un refuge accessible comme la dernière couleur quand la mélancolie fût changée en mépris, la dernière couleur même, qui n'avait rien trahi, c'était le gris venu en simples causeries avec le mal du soir. Le gris inavouable des mondes à Reverzy, sans film et sans nuance, un matin, nous surprit en mal de poésie.

Tu me dis que le gris de la matière immense est de toutes les couleurs  ;  je m'use toujours à croire que rester sur ce quai gris comme les grands trottoirs la nuit dans la cité, protègera des obstacles. Je rêvais de partir tout en ne partant pas, parce que plus je m'en vais plus le pas me ramène au regret de mes rives, plus je pense aux voyages, plus je voudrais rester, ici, et chaque jour repartir en balade pour flâner chez les miens, flâner où j'aime flâner.

Tu ne connais pas le temps dont l'être singulier a besoin pour aimer chaque rue de sa ville, tu ne connais pas les gens mais tu en parles bien, le nez contre ta vitre, écrasé à juger des minables qui n'ont pas eu la chance de s'élever grâce aux maîtres à penser, que tu nourris le jour en leur offrant ta vie, tu me parles de la chance, comme une belle récompense qu'un esprit affligé d'un tuteur disposé à régner sur son temps plus fin que les horloges, doit gagner au final. Perdre ou gagner, en somme, des blâmes et des trophées, au pied du métronome, c'était là, l'uniforme qui frappait les attraits. Et moi, je ne suis pas sûr de bien connaître le rythme et le temps qu’il faudra à un Homme pour aimer se refaire une vie au même endroit, afin de mieux comprendre ceux qu'il doit rencontrer, ou qu'il souhaite retrouver et qui l'ont oublié comme au temps quand chacun s'était cru destiné à construire. Construire quoi ? Un Royaume ? Devenu cet empire de mots désaffectés, chacun à sa marotte, secouant un hochet.

Au fil du temps j’ai vu que je ne connaissais rien, ni mon père, ni ma mère, ni ceux qui me nourrissent, je me croyais porté par eux, floué parfois, plus malin que les autres, mais c’est une illusion due à la négligence, de prétendre que les autres ont perdu la mémoire, que la mienne est intacte. J’avais le feu au cul, et toujours en partance, je voulais m’éveiller, faire le tour de la terre comme s’il s’agissait de se multiplier, avec des noms de guerre cachant la même figure qui prend ses habitudes dans les espaces broyant des ferrailles aux rouages de nos locomotives couvrant les sons feutrés de ces belles courtisanes capturées dans des livres : on voyage comme on ment, on s'en va pour se fuir. Oui, sûrement. Et ensuite ?

J'ai gardé les billets dans les petites affaires, c’est une peau de chagrin poinçonnée en vitesse, mais en réalité je ne suis jamais allé plus loin qu'au seul chapitre d'un livre d'histoire-géo de la classe de 3ème, illustré, condensé de l'Europe au vieux temps : Bruges, Sienne, ClunyCoutances ; à travers la routine, quelques allers-retours, vrais de vrai, cependant, je brodais autrement des vues nettes pour l'ailleurs, m'entichais des merveilles de désastres naturels, rêvant du temple blanc dans le tremblement de terre, des vallées de la mort aux vallées de geysers, recouvrant les fragments de mon simple décor, je me fis chercheurs d'art, et je croisais des âmes tombées du vieux théâtre, j'envoyais de chez moi des vues de villes lointaines qui prouveraient un jour que mes faux-grands voyages, étaient clairs et limpides au moins comme l'eau de roche coulait dans les cuisines tapissées de photos de famille, de copains et copines en sweet-shirt au camping, et de notes et de frises baillant du papier gris entraînant ces ressorts où parti pour là bas, sans sortir du carré d'un quartier villageois, je promenais des absents, les tirant par la main hors des murs de l'enclos, jusqu'au dernier portique.

Quand je reviens chez nous, tout me semble se réduire à ces vagues raisons qui m’avaient fait partir, je les retrouve entières, elles me happent au retour, je pourrais fuir encore, j’ai allumé des feux que je ne peux plus éteindre dont les braises mourantes m’asphyxient peu à peu. Je croise virtuellement des gens qui m’interrogent, je ne sais plus quoi leur dire, je pinaille, j'improvise. Je salue d'autres humains qui disaient n'être rien, peu à peu, je m'y vois, asservi à porter leurs habits au pressing, je me fonds dans l'étoffe, elle me va comme un gant. Je témoigne en deçà, des langues qui décomposent et fracturent nos souvenirs. Les ratures s'émancipent. Un vitrail nous sépare désormais du vrai monde. Vu de loin, quelquefois, on croyait voir brûler du foin sur les reliques. Vu de près, on sait pas, mais quand même, on s'informe.

J'entends encore le rire tonitruant d'un fou reluquant sous le cuir des valises un trésor fantastique, il voulait revêtir les précieux ornements inspirés de ces vies qui ne m’appartiennent pas. J’avais accumulé, il faut dire, une belle petite fortune en bradant des portes et des fenêtres pour me rendre au final à l’idée de revendre le vent qui venait de Saturne, c’est drôle de voir des gens acheter n’importe quoi, pour peu que l’emballage soit bien mis, que le slogan séduise. J’enveloppais des bouts de vent dans du papier journal puis je me consacrais à des collections rares de coquillages géants en forme d’escaliers j'en faisais des bracelets et des boucles dorées qui collaient aux oreilles, après quoi, la breloque semblait un don cosmique.

J’offrais tout. Je soldais le dernier cri du monde, c'était moi, l'extatique survivant des razzias qui liquidait gratis, en veux-tu, en voilà : les vagues de l’océan, l’air iodé, la tiédeur et la grève, et la crème du bonheur qui vous rend invisible, ça faisait un malheur. J'éditais des plaquettes de poésie flottante, comme des mots enrobés à la graisse de baleine et tant que ça flottait, le monde était content.

Toutes mes vies insouciantes finissaient en dérives, j’abordais les pagodes où des femelles cupides songeaient pour s'embellir à me prendre pour idole, emballées du projet de mon fantômatisme, commençaient à poser sur mon seuil, les cadavres que j’avais oublié d’engloutir.

J’avais beau les jeter à mon chien, un bâtard émouvant aux allures d’ours brun, il me refusait tout et ne daignait goûter cette nourriture puante qui portait au dedans mes empreintes digitales.

Avais-je tué des gens pendant un long sommeil ? Oui, sans doute, mal tué, car je faisais tout mal. Même en vrai, même en rêve, ainsi revenaient-ils pour que je les achève. Ce sont des âmes qui errent dans ma tête, dit mon chien et mon chien ne voit rien. Et mon chien ne veut pas finir le sale travail.

Certains jours, il me parle, il me demande à boire - ne boit que dans ces mares que l’on frappe au champagne - il devient exigeant et je frappe tout liquide et il boit mes paroles et je suis fier de ça.

C’est dans les reflets vifs de ses beaux yeux dociles que je puise mon entrain, l’espèce d’humanité animale qu'il me faut pour survivre jusqu'à demain, au moins, et puis rester humain le plus longtemps possible. Avec lui, je suis moi, pas comme avec ces gens qui me posent des questions sur mon poids sur ma taille, et les autres qui recherchent le bureau du service après-vente des magasins du vent, ils menacent de procès ; ils me feraient crever à force de se plaindre. Les gens se plaignent tout le temps. A présent ils voudraient que je rembourse le vent, moi, qui ai marchandé sous prétexte... je ne sais plus quels prétextes ils inventent. Les gens sont décevants.

J’aimerais devenir moine, vivre dans un capuchon loger mon crâne ovale au chaud à tout jamais et prier sous des voûtes, finir vouté comme toi qui laçais tes souliers pour grimper la montagne et te coinças le dos, quand t’accrochant à moi, tu arrachas le masque, on t'a vu effrayé de ne pas y découvrir la personnalité dont tu avais crée précisément l'image.

Pourtant j’ai de la tenue, mon sourire est plaisant, j’ai les yeux qui s’éclairent dès que revient la nuit, et toi tu voudrais voir dans mes yeux le soleil briller avec les autres, tu voudrais m'emmener dans tous les cinémas regarder les chefs-d’oeuvres que la vie n’offre pas, tu voudrais que j’abandonne mon chien pour être à toi, il resterait tout seul comme les vieux chiens qui errent, là-bas dans les ruelles, je ne peux supporter ça, plutôt te plaquer là. Je suis vieux, j’ai cent ans de projets et des rêves...

Que fera-t-on de moi, quand je n’aurai plus le temps de voyager là-bas, vers ces pays mousseux ? quand je ramènerai sous mes bottes de sept lieues tout le vent, le vent que je remue, qui me fait exister et que je fourgue aux gens comme une panacée.

Quand ma cupidité ne me pousse pas à tout vendre, alors que moi, entier, je me donne gratuitement, je donnerai ma chemise pour un jour de brouillard, je donnerai mon enfant pour effacer ton ombre, et gouter sans broncher sur un gros caillou blanc, les mots d’un autre temps, je braderai la fille qui dépeupla son âme pour me couvrir de gloire, un jour, on m’emmènera au marché des esclaves, et je fouetterai le vent, je montrerai à ceux qui voulaient marchander qui est le maître, à présent.

Hormis ça, je ne fais rien. Rien de rien. Les jours passent. Les poèmes se délitent, et je tue quelques heures à écrire des histoires pour oublier l'effroi ; ces histoires de massacres, de partouzes et de fric. Je raconte des histoires fourbues de l'air du temps, des trucs de chiens qui parlent, de trains qui vont partout s'aiguiller sur des plages d'une cité noctambule jusqu'au blanc intouchable, avec vue sur un temple, des histoires, que d'histoires ! Elles n’iront pas plus haut que le son retenu dans cette gorge humaine qui remue son refrain et le chante comme une ronde qui se danse également, guettant la voix de l’aube, la voix désemparée contre le vent du soir, qui ne cesse de souffler : 

“un beau jour, tu verras, un beau jour, j’irai loin”.

     

Photo : Voyageur immobile, modèle III, une rencontre, lunatique, erratique, rêvassant dans la nuit devant la vitrine du printemps en hiver (gris tirant sur le brun, j'admets).

 

  

Lyon Presqu'île : © Frb 2014 remixed 2015.

jeudi, 08 novembre 2012

Portrait du poète en chasseur de perdrix et autres fariboles

Suis-moi. sous ces ormeaux ; viens de grâce écouter
Les sons harmonieux que ma flûte respire :
J'ai fait pour toi des airs, je te les veux chanter ;
Déjà tout le vallon aime à les répéter.


ANDRE CHENIER extr. "L'oaristysDaphnis in "Bucoliques. Idylles et fragments d'idylles", (le poème est disponible intégralement ICI)

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Ayant tout dit, tout lu, il croyait en avoir soupé des feuilles mortes et le vent de Verlaine tamisait ces farines sous la plume refroidie d'un oiseau. Pendant que l'homme ordinaire roulait à la taverne, le poète à pipe et chapeau découpait les saveurs de la vigne avec de la Volvic puis miroitant ainsi sur ces monts et merveilles promettait de suer sang et eau pour écrire un sonnet à sa poule qui aimait la liqueur de griottes, l'eau de vie des figues et de nos damassons.

Les fruits mûrs grands ouverts glissaient dans ses corbeilles. Cela appartenait au grand monde à présent, le pays privé de soleil en cherchait un nouveau, troussant les rondes saisonnières comme les jupons des rousses qui flottaient sur la terre, on ne sût pas comment cet écrin d'amour éphémère fut dépouillé de son velours, on fît mine de ne pas connaitre l'endroit où la pluie croisa la tempête, une forêt poussée sous la brume miraculeusement épargnée cacha tout: douce gemme, mucus fragile louant hier les saponaires et les longs calices tubulés. Le poète soupçonnait le diable de vivre dans une noisette il la mènerait à la casse avant de la croquer.

A la saison d'automne plus tendre que les autres saisons, on croiserait des poèmes en petits en tas serrés posés sur un bureau bien à l'abri des courants d'air. On parlerait d'une voix grave un stylo d'argent sur l'oreille du "voeu" et de l'oaristys puis les mots muteraient en touffes de poils de martre, ce pinceau barbouilllerait les jaquettes qui vous bradent des couchers de soleil, du clair obscur, l'extase portant cette écume à vos lèvres chuchoterait : "l'automne est là" en nous, profond comme le ciel faisait valser hier, des lingots d'or qui voltigeaient sur la clairière pour se rouler dans la rosée, nulle chasse, nulle pêche d'alors, juste une cueillette histoire de dorer quelques verbes en rougir jusqu'à la consomption.

Le poète dût réapparaître, souriant pipe au vent, avec son braque Sultan seul compagnon fidèle et facile à aimer, il sonna à grand cor l'ouverture de la chasse, et promit qu'il nous ramènerait une étole en fourrure de petit lièvre, un pagne en plumes du faisan vénéré, des porte-manteaux en pied de biche, une bague en genêt d'or. Prêt à tout embraser, le poète sortait de la campagne cachant dans sa veste de chasse sa couronne de laurier, les couleurs incendiaires affolant son plumier, il tira en premier sur les pattes en corail d'Yvette, une jolie perdrix aux yeux rouges, qu'il blessa mais ne pût achever.

Nous ne reçûmes pas l'étole en fourrure, ni le pagne, pas le moindre petit morceau d'un porte manteau en pied de biche et la bague en genêt (pour la beauté du geste) arriva si fanée qu'il n'osa pas l'offrir. Yvette ayant troublé follement le coeur du poète, il lui construisit un nid de broussailles dans un petit bois rouge et or, y fit mettre tout le confort, délaissa sa vieille poule pour s'installer dans l'arbre avec la perdrix.  Ils vécurent heureux d'amour et d'eau fraîche coupée d'une quantité épatante de liqueur de griottes, figues et bons damassons. Ca pourrait finir là.

Epilogue:

En automne les histoires d'amour commençent bien, mais c'est sans parler du coucou, l'affreux coucou à poitrine rousse qui de loin avec ses yeux ocres épiait le petit nid d'amour. Le coucou lui aussi un jour partirait à la chasse - la chasse au nid d'amour - mais par respect pour la ronde des saisons, je vous raconterai la fin de cette tragique histoire au printemps. Si j'y pense.

 

Photo : Dans l'image toujours la même question. Sinon, c'est l'automne au jardin, tardif, plus sûrement à venir (et à suivre) ...

 

 

 Là bas © Frb 2012