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mardi, 06 novembre 2012

Panier (by HK/RL)

"Je les vois se dorer ventre à l'air vos chanterelles d'abord dans une petite mousse grosnienne émeraude bordée de feuilles de chênes ocres puis bercées dans votre panier d'osier"

écrivez vous dans votre commentaire

d'où la photo ci-jointe pour vous prouver que votre "vision" est très exacte (retour d'une longue balade-cueillette en forêt des Trois Monts)"

HK/RL: extrait d'une correspondance automnale et gourmande, (ce n'est pas la première). Vous pouvez  retrouver LR chez nos amis de Lieux dits (en ouvrant la fenêtre) ou vous pouvez rester ici en offrant votre corps et votre âme à ce divin panier pour en jouir sans entraves.

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podcast

 

 

Musique: A very special dédicace to HK/LR, de correspondance en correspondances: John Cage était aussi un fin mycologue allumé par l'art des cueillettes il s'est tôt aperçu que "Music" et "Mushroom" se  touchent dans plus d'un dictionnaire. Ci-dessus, un extrait de  "Mushroom Haïku, excerpt from Silence".

 

Photos: Un panier de chanterelles et des parfums boisés, pour un monde attachant où l'or croît au grand air, se cueille à pleines brassées puis s'attache à nos lèvres. De quoi  passer l'hiver très loin du CAC 40  dans la délectation insolente des plaisirs simples et gais, à humer sans vergogne un  petit vin de région.  Le cueilleur de champis (qui est aussi un marcheur, chercheur patient et silencieux), pourrait  bien se laisser tenter au retour par un de ces Chinon de 10 ans d'âge, un salaire sans la peur,  dans le crépitement  des fricassées, nous lèverons nos verres à la terre, tant qu'elle tourne,  (comme un plat de chanterelles), et trinquerons au tableau merveilleux qu'on pourrait appeler "le repos du  cueilleur". Et ce n'est qu'un début...

 

from the Grosne's-Land © HK/RL 2012.

jeudi, 06 septembre 2012

Toujours plus

C’est en tant que cinéaste que s’élabore mon travail critique, et non pas en tant que critique de cinéma. En tant que critique, je suis essentiellement un laudateur. La critique peut fonctionner avec des mots, mais le mot est toujours plus discutable que l’image. L’image, elle, tord un peu la réalité mais peut frapper visuellement. Un distributeur automatique de baguettes de pain, c’est plus visuel à l’image qu’à l’écrit, n’est-ce pas ? Et bien, voilà, c’est ce que je filme !

LUC MOULLET, extr. de propos recueillis par Katia Bayer et Mathieu Lericq que vous pouvez retrouver en intégralité sur le site "Format Court", ICI.

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"Toujours plus", essai de présentation :

"Aujourd’hui, les supermarchés se construisent sur l’emplacement des cinémas ou des églises. Évolution normale, puisque le consumérisme était la religion du vingtième siècle"

Cet extrait datant du milieu des années 90, présentait succintement le  film "Toujours Plus" de Luc Moullet, montrant cette évolution dite "normale" (ou "normative") de notre société, ainsi qu'une  certaine entreprise de séparation généralisée, pour ne pas dire de sape (définitive ?) du vivant, de l'humain en particulier.

Le XXIem siècle (après Luc Moullet), persiste à affermir cette "nouvelle religion" alors que l'humain y semble plus réduit que jamais, ciblé et noyé de contradictions assiégé par un tas de nouveaux besoins, que des stratégies ultra-séductrices savent lui suggérer, bardé d'outils merveilleux, de sollicitations ininterrompues, il paraît malgré tout rendu au constat désolant de ne pouvoir lutter contre son sentiment de frustration, de clivages et d'inanité, à mesure que l'espace vital et le temps s'emplissent de denrées et  d'objets multicolores initialement prévus pour le bonheur de tous.

Le faix existentiel n'ayant pas été allégé, il devient délicat de montrer le sujet à distance ironique, sans que cela soit immédiatement estampillé via toutes sortes de connotations souvent consternantes, on pourra encore admirer avec quelle malice enfantine Luc Moullet aura eu le don d'échapper...

Le film "Toujours plus" (1993), précédant "Toujours moins" (2010), autre film qui évoquait en 13mn environ, l'évolution et l'accroissement des disposititifs fondés sur l'informatique, automates, bornes et autres)... appréhende avec un regard et une intuition époustouflante son temps aussi bien que les temps où nous nous trouvons, puisqu'en nos courses  sans grande alternative, nous sommes d'ores et déjà passés de plus à moins, obligés à réduire nos précieuses perspectives d'avenir, les médias ne cessant de le marteller, avec toutes sortes d'information inclus quelques messages paradoxaux, du genre "méthodes de vie" gaiement "sponsorisées", pour combattre le consumérisme, tandis que la voix humaine singulière se trouve peu à peu submergée, certes, tout ça on le sait...

Nous publierons peut-être ici un jour, le film "toujours moins", puisqu'à ce moins nous avons déjà cédé notre part, n'ayant pu éviter la logique de cet ordre prompt à nous intégrer dans une forme ou une autre de catégorie, le modèle du genre devenu intenable incontournable ; c'est dans "l'ordre", pour une fois, que je vous présenterai les balises du chemin et ses envolées conçues par le regard génial de Luc MOULLET ; parcours où tout abonde, avant que le plat de résistance ou d'épuisement des résistances (?) nous fasse entrer à l'insu de notre plein gré dans un monde pas si loin de la schizophrénie. Cette contradiction devenue "notre" lot, surprend ses créatures en flagrant délit d'impuissance mais au nom des vertus d'un (re)tour à la normale qui n'est jamais partie, quels efforts ne ferait-on pas ? 

Voilà pourquoi, déjouant cette question lamentable afin de favoriser un message utile et agréable que m'enseigna ironiquement feu mon père cinéphile et cycliste né à la même époque que Luc Moullet, (je délivre le message : "Le cinéma, y'a que ça de vrai") je glisserai aujourd'hui "Toujours plus", en tête de ma gondole. Un billet doublement dédié, (profitez ! c'est la semaine de la dédicace).

Nota : Si le côté foutraque, doux dingue, et la poétique hilarante de Luc MOULLET sont d'un style qui régale, n'oublions pas que le cinéaste est aussi l'un des plus grands (très modeste d'ailleurs) théoricien français du cinéma vivant et qu'il est fin connaisseur en matière de cinéma hollywoodien bien que ses films soient à l'opposé esthétiquement. 

Enfin, pour terminer, après la publication sur ce blog des films "Barres" (1984), "Prestige de la Mort" surtout, récemment de "L'homme des Roubines", l'oeuvre de Luc Moullet a suscité une vive curiosité auprès de nos lecteurs, dont certains m'ont demandé d'y revenir et je les remercie, étant inconditionnelle de l'oeuvre de Moullet, je ne me ferai donc pas prier pour vous présenter "Toujours plus" réalisé en 1993/94, tourné en 16mm et en short. A noter que les conditions de travail intenables des caissières et employés des grandes surfaces y étaient déjà finement saisies au vif, bien avant l'ouverture des débats de société sur le monde du travail, le harcélement et autres intolérables, le film laissant à voir, et entendre subtilement l'espace où nous sommes embarqués... 

Sur ce coup exceptionnellement, je tenterai une démo de force de vente en ciblant sans vergogne le lecteur adoré, que je sais par ailleurs fort sollicité, et je l'encouragerai vigoureusement à visionner ce petit film hénaurme, peaufiné jusqu'au moindre détail. Je serai prête à parier un caddy de DVD que vous ne le regretterez pas. Les insatisfaits ne seront pas remboursés.

 

 

Bonus : http://www.dailymotion.com/video/xgw9r5_regard-082-luc-mo...

Remerciements : à mon ami Jacques, artiste du son et de l'image, doux dingue et  lui-même réalisateur, pour bon nombre d'artistes hauts en couleurs qui m'a amplement initiée à l'univers de Luc Moullet par de savants détours (en)cyclopédiques et montagnards, en espérant qu'il nous délivre "son" prochain film (en short, évidemment).

Photo : Ceci n'est pas un autoportrait mais ça pourrait être "notre" autoportrait (?) /(que celui qui n'a jamais éprouvé son corps dans un hyper pour s'absenter rêveur, entre deux marques de yaourts me jette la première pierre )/ Photographié à l'Hyperion de ma zup au rayon laitages, ("on se lève tous pour..."), on pourrait appeler ça si on en était sûr, de la poésie du quotidien. Un exercice plus périlleux qu'il n'y paraît (louez-moi ! :) puisqu'il est strictement défendu de prendre des photos dans les supermarchés et que le vigile sur ce coup là, a dû très gentiment fermer les yeux, sur le contenu de mon baluchon ce qui est rare, d'habitude ils ouvrent les sacs, parfois vident les cabas et les appareils photo non sans violence, (sachez qu'ils n'en n'ont aucun droit), ceci fera peut-être le sujet d'un autre billet dans notre série "nature et découverte", ou certains jours à l'abordage d'un monde de brutes"...

Zup © Frb 2012

samedi, 22 octobre 2011

Remuer encore

le montreur de singes
repasse la petite veste
avec la mailloche de foulage

MATSUO BASHÔ

sanglots longs.JPG

Plus ennuyeux que la feuille morte, il y a la feuille de route, déclinant des sonnets plus ennuyeux que les  jours sur la fin, plus avides que le vieux vieillissant, mordu de ses collectionnites, fourbu d'excommunions au nom du merveilleux.

Plus ennuyeux que la feuille morte, il y a l'expression morne de Joachim et son regard d'antan qui pèse sur le mur d'un salon éteignant celui des ancêtres, et fidèle au démon qui parle avec son guide il y a la tête d'un chien sur un calendrier de cuisine, ou devant des chaises de jardin dans une roseraie privée de roses, ce désabusement, un peu de mépris à sa suite, des nouvelles images de l'Egypte à l'index des magazines, l'enfant de Champollion, qui voulant découvrir l'origine de la pépinière retrouve un palimpseste en caressant sans y penser des bourrelets sur une rampe d'escalier.

Plus ennuyeuse que la feuille morte il y a la parole assurée qui s'en va dans le monde, le bon sens, votre guide, qui s'accorde, on le dit, avec les thèmes astraux, toutes ces choses qu'on lit dans le ciel, tôt dévorées, plus mortes que la veille, pour les durs de la feuille, la joie bue par les pluies, des nervures craquant sous nos pas l'écrin fauve d'une châtaigne, il y a une girouette dans ce vide, roulant sur le toit des églises, une crête de coq...

Plus rituelle que la feuille morte, cette girouette qui tourne de plus en plus vite, nous parle sans un son, ce silence nous rentre dans la tête juste à l'heure des infos, nous écouterons comme autrefois, l'unique glas de cette cloche appelée la Marie Charlotte, harcelant le souvenir d'une marquise qui s'ennuyait sec au château rêvant de soupirs dans les bras d'un Marquis du genre "de Carabas", il y a aussi les yeux du chat du café des artistes, les paniers de pommes dégorgeant le poison de la sorcière, une goule dans la forêt de Zil empaillant des effraies pour les clouer contre ta porte.

 

 

 

Plus ennuyeuse que la feuille morte, il y a les facéties du singe grignotant un clavier en forme de poires, le dernier sarment de la vigne, la première gorgée de Bronchokod (au caramel pour nos crèves ventriloques) et toute la nausée qui nous vient de ce qui colle, se décolle, nous précède, ainsi, jusqu'à la fin, on croira, à la traversée : des citadelles reprises, l'inquiétude, les regrets de celui qui se plaint, et ses débris s'en vont sous les brouillards un peu le reconstruire, il y a cette main qui cueille dans un gant de crin la crasse d'un corps revenu de l'été  et l'autre qui frotte ses pieds sur la coupe en brosse écrasée, par les pieds écrasés d'un paillasson retors et ça fait "scrtchhh scrtchhh scrttchhh" comme les hérissons qui se noient dans l'alcool, comme les paillassons tout imbibés de gnôle à l'auberge triste d'Apo, où pas très loin, encore dans les jardins du Luxembourg des jeunes mères promèneront toujours les bébés autour du même bassin, elles écoutent déjà le dernier chant d'oiseaux, bercé des caravelles...

Aussi doux que la feuille morte balayée par les flots, les glouglous d'une fontaine, tirant une langue de vipère au milieu d'une gueule de lion rampant armé, lampassé d'argent au chef d'azur chargé de trois fleurs de lys d'or massif. (C'est peut être un peu trop ? Mais non ! il en faut de l'abondance avant les privations, et tremper dans les flammes son Larousse, "en temps de crise et d'hibernation c'est la moindre des choses" (m'a dit, l'hermine, on est copine) en attendant la Saint Martin, (11 Novembre). Le retour de l'été, (sourire du lecteur adoré) vous rigolez ? A moins de s'accrocher au brin,  je cite un proverbe berrichon :

L'été de la saint-Martin, dure trois jours et un brin.

Aussi douce, il y a cette pluie qui reprend aujourd'hui ce qu'on nous a donné la veille, les courses folles jusqu'à la bétaillère, les cailloux d'un ciel gris, plus gris que le fog de John Donne, par ce vent qui retient la vigueur et rentre par les terres gifler les bouquets des fleuristes, renverse les rangées, alignées, des glaiëuls, mornes fleurs, il y a le chien qui pisse sur ton vieux réverbère, le vent entre les chrysanthèmes, florilèges de la mort, ou prestige des défunts, il y a ce vieux qui rit entre les tombes, fin Octobre plus tranquille et...

Pareille à la feuille, il y a l'affliction qu'on jurerait fondue au blanc par Bolos de Mendès (pourquoi pas ?) qui remue comme avant, ciel et terre s'inspirant D'Ostanès (on le dit), au temps des grands colloques, une tonalité générale qui n'est pas tombée de la dernière pluie, datée disons d'environ cinq mille ans avant la chute de Troie, et nous vient (Bioman l'ignore), de la virilité des mages :

"La nature se plaît dans la nature, la nature triomphe de la nature, la nature domine la nature". 

Toutes ces certitudes en commun, si solitaires, solidaires par chagrin, on le sait, désormais, c'est la fin, le début des feuilles c'est la fin, sous ce pas qui les foule, il y a la rigueur, il y aura la levée des corps jetant les vivants hors des lieux, le présent hors du monde, et des hommes et des femmes qui pleurent devant des lits défaits, par la peur que l'hiver les sépare et vite ! il y aura l'amour, les mots d'amour, toujours encore, qui nous sauvent puis se perdent à nouveau, ça nous vient de si loin ces fadaises sous les arbres, dans les fusées qui montent, par quels déréglements ? Continuent de monter plus haut, demain on les verra distinctement tomber sur le marbre piqueté de grains roses, ce souffle qu'on déporte et des jours et des jours à se remémorrer, comme les étés heureux, jamais aussi heureux, qu'on le raconte, en vérité.

Plus ennuyeuse, il y la mémoire qui déforme à mesure le récit de nos aventures et d'étranges marelles épuisant dans un rêve les émois et la chair - au foyer, on s'assèche - il y a la porte en bois qui gonfle avec l'humidité, ne se referme pas et cette crécerelle qui hante chaque matin troublant la sérénité nécessaire au petit déjeûner :

-  Mais quand donc appeleras tu enfin le menuisier ? Attends-tu qu'il gèle ou qu'il neige ?

Plus ennuyeuses que la feuille morte, il y a les traditions toujours les mêmes, des rites ou des fictions, les courges imbéciles qui s'en vont à la fête, moins ennuyeux, on trouvera des traités sur les animaux, l'araignée au plafond et des frelons discrets dans la robe de St Emilion ; chaque jour l'indécis se replie sur la veille, et le mal en patience etc... Poursuivons.

Plus ennuyeux que la feuille morte, il y a le poéte accablé du regret de n'avoir pas planté un arbre devant la librairie, il y a la providence qui meurt dans un boulet, rond comme ces lunes siphonnant la rivière, chaque année, elles reviennent grossir le fleuve, déposent la lumière sur des ponts, en dessous de l'eau,  la liqueur de guigne à tes pieds, aux derniers points de vie quand la source est tarie, que la feuille d'automne, dit et redit qu'il n'y aura plus de fruits, pas avant des mois et des mois, après quoi l'animal plus triste, imagine les positions de la petite, de la grande mort et nous voilà...

Plus versatiles que la feuille morte, hébétés devant la facticité de notre art, déployant des panaches qui flambloient (purs trésors) sous les branches, juste là où l'image de la satiété s'arrête, juste une image entre les pierres, ou le visage strié d'éclairs d'un soldat inconnu en habit vert, nous toiserait comme à la guerre, les mains tremblantes, le regard fier, sous sa tenue de camouflage, tout un paquet de nerfs à vif, luttant contre le froid qui bientôt heurtera la pression mise à l'heure d'hiver.

Moins monotone que la feuille d'automne, un brin d'été en demi manteau de laine vierge, avec un demi col en poils de demi-ragondin annonçant l'été de la St Martin, chuchoterait à ton oreille : "ne meurs pas, pas encore, pas avant de connaître la suite"...

Photo : De quoi donner envie de remuer toujours et encore (en attendant la suite). Ici, les facéties des feuilles mortes n'en sont qu'à leurs balbutiements. Photographiées dans une rue, j'ai oublié son nom, quelque part (à la Croix Rousse ! bien sûr !) à Lyon, fin Octobre, de cette année là.

© Frb 2011

jeudi, 12 mai 2011

Pas si loin de Montmartre...

Ce que tu m’as dit de ta nuit, du ciel, de la lune, du paysage, du silence a dû ranimer en moi des réminiscences similaires... Et alors, j’ai pris feu dans ma solitude car écrire c’est se consumer... L’écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idées et qui fait flamber des associations d’images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l’alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres.

BLAISE CENDRARS, extr. de "L'homme foudroyé", éditions Gallimard 1945.

Pour voir le poète de face, il suffit de lui tapoter un peu sur l'épaule ...

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Chaque fois que la littérature me paraît un peu vide ou trop molle je retourne chez CENDRARS et ramasse les points de vie fondue dans la puissante liberté d'esprit du corps et du langage qui anime son écriture. L'écriture n'est pas vaine celle de Blaise encourage la vie. Son existence imprévisible était entièrement vouée au présent sans grand souci que les récits qu'il racontait à lui même ou à ses amis soient véridiques, il y avait en lui une autre quête de vérité bien plus intransigeante qui ne fût jamais servile et ne céda à aucune domestication artistique. CENDRARS représente encore aujourd'hui, la jeunesse absolue du monde, de l'Homme, la poésie mais pour atteindre la poésie, son message est limpide : il faudra abuser du monde. La "lettre océan" n'a pas été inventée pour faire de la poésie.

La lettre-océan n’est pas un nouveau genre poétique
C’est un message pratique à tarif régressif et bien meilleur marché qu’un radio
On s’en sert beaucoup à bord pour liquider des affaires que l’on n’a pas eu le temps de régler avant son
départ et pour donner des dernières instructions
C’est également un messager sentimental qui vient vous dire bonjour de ma part entre deux escales
aussi éloignées que Leixoës et Dakar alors que me sachant en mer pour six jours on ne s’attend
pas à recevoir de mes nouvelles
Je m’en servirai encore durant la traversée du sud-atlantique entre Dakar et Rio-de-Janeiro pour
porter des messages en arrière car on ne peut s’en servir que dans ce sens-là
La lettre-océan n’a pas été inventée pour faire de la poésie
Mais quand on voyage quand on commerce quand on est à bord quand on envoie de lettres-océan
On fait la poésie

CENDRARS dit une chose si évidente, qu'on pinaillerait encore par crainte que l'exaltation déboussole nos petits nids et secoue favorablement les esprits. Les métamorphoses désirables visant à nous extraire de nos plis ne sont pas sans danger, au final. Saurions nous les vivre entièrement ? Y faire entrer avec tout le vertige, un peu de paresse aussi, la plus grande liberté possible ? C'est pourtant la proposition de CENDRARS, qui un brin hâbleur, balayant les faiseurs de rimes, posera sa phrase sous nos yeux, c'est si bête...

Le seul fait d'exister est un véritable bonheur

Ma foi, oui. Mais ce bonheur ne vient pas par niaiserie, il n'exclût pas la violence. La poésie du Blaise est celle d'un conquérant, d'un gourmet, et gourmand ; de l'ogre tout en même temps. Maintenant que les continents ont tous été découverts puis explorés, il s'agira de tenter d'en pénétrer le plus grand nombre possible d'aspects. CENDRARS donjuanise l'espace, il traque, poursuit les lieux, hanté par toutes les capitales, par les ports, les routes, les sierras etc... Cela pour lui est comme de grandes conquêtes amoureuses qu'il envisage au rythme enjoué et nerveux de courses et de combats. Il n'accorde aucune concession à la grâce, peu d'attendrissement, ou léger, assez drôle. Pour être digne du monde qui n'a pas le temps de s'apesantir, CENDRARS est dur, il cale son pas sur la cadence des villes, des bruits, des trains etc... En 1924, il écrit, (il n'écrit pas, il le martelle) :

Nous ne voulons pas être tristes
C'est trop facile
C'est trop bête
C'est trop commode
Tout le monde est triste
Nous ne voulons pas être tristes

Bien sûr, CENDRARS n'a pas fait qu'endurer il a aussi laissé voir ses doutes, ses regrets, ses amours, que les conquêtes des espaces et toutes les aventures n'ont pas réussi à combler, alors il nous donne par un mouvement paradoxal les poèmes les plus drus les plus beaux et le plus poignant de son verbe, où la détresse humaine longtemps camouflée (parfois sous les bravades), paraît encore plus inéluctable jusqu'à l'aveu bouleversant comme dans ce final de "Pâques à New York", que j'ai plaisir à vous offrir, et j'offrirai dans ce même élan, (pourquoi pas ?), un supplément de Blaise à ce blog comme posant une cerise à l'eau de vie sur un petit Lu d'anniversaire (de trois ans d'âge et des poussières) tenu par le fil très fragile de nos correspondances et des lieux, tramant d'inutiles rêvasseries, des passages à la redonne, et puis toujours la ritournelle dans un coin minuscule de nos mondes réels et virtuels qui existent tous en même temps... Je dois à Blaise l'amour des mots, des rues, des villes et de la profusion. Je l'ai tellement cité certains jours, qu'il me tentait de rendre à CENDRARS ce qui n'appartient qu'à CENDRARS, et je le referai encore autant de fois qu'il me plaira. Il faut relire CENDRARS, mes amis, même foudroyé, Blaise is alive and well. Extrait choisi.

Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne …
Ma chambre est nue comme un tombeau …

Seigneur, je suis tout seul et j’ai la fièvre …
Mon lit est froid comme un cercueil …

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents …
Je suis trop seul. J’ai froid. Je vous appelle …

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux …
Non, cent mille femmes … Non, cent mille violoncelles …

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses …
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées …

Je ne pense plus à vous. Je ne pense plus à vous.

BLAISE CENDRARS, New York, avril 1912

Photo : En exclusivité, Blaise CENDRARS photographié par Frasby, eh oui !  et ce sera une autre preuve que CENDRARS est toujours en vie. Genèse d'une rencontre incroyable : Le hasard d'une balade à bicyclette aura fait apparaître sous mes yeux (éblouis !), môssieur Blaise CENDRARS en personne, photographié hier, le long des quais du Rhône à Lyon. Il regardait tristement les péniches amarrées, il m'a demandé : "Dis, Frasby, sommes nous loin de Montmartre ?". Je lui ai répondu "Oui, msieur Blaise ! bien trop loin, mais par la loi de la relativité, Montmartre est à côté et les roues de mon vélo sont des moulins à vent. Montez donc sur mon porte bagage, allez hop ! je vous emmène !". Ce qui fût dit fût fait et c'est avec plaisir que je fis ardemment grincer mon pédalier pour le poète. Le temps d'un aller retour, bringueballant, j'ai déposé Blaise à la terrasse du café Planchon; (très bon endroit, connu des "vrais" Montmartrois, et vivement recommandé par la maison, portant un autre doux nom à l'enseigne du "Rêve"; situé au 89 de la rue Caulaincourt (dans le XVIIIe à Paris), ultime endroit de la capitale où l'on trouve encore un bon gros téléphone à jetons (qui fonctionne !). Et me voici à nouveau sur la même berge, à Lyon, balayant du regard les péniches amarrées, à me demander si je n'ai pas rêvé. Pourtant non, la gouaille du Blaise (c'est pas pour me vanter mais nous avons bien rigolé), me manque déjà, autant que sa présence (un peu brute décoffrée mais au fond, tellement tendre)... Je me consolerai, en songeant à tous ceux qui n'ont pas eu la chance de rencontrer CENDRARS. Certains jours je me demande ce que j'ai fait au bon Dieu pour qu'il exauce avec autant de simplicité mes plus chers voeux. (Cela dit il y a baleine sous gravillon, elle se cache dans l'image, celui qui saura la trouver se verra remettre "la médaille de la sagacité" de certains jours avec un petit compliment de la crémière).

Photo : Frb © 2011.