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lundi, 07 septembre 2009

L'enfance du peintre

"Un critique a écrit que mes tableaux n'avaient ni commencement ni fin. Il ne l'entendait pas comme un compliment, or c'en était un. C'était même un beau compliment. Seulement il ne le savait pas."

JACKSON POLLOCK

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"J'ai encore renversé le lait !" s'écria le petit J. POLLOCK en rentrant les mains vides à la maison avec juste l'argent de la monnaie.

" Oh mais c'est pas possible ! s'écria sa maman, je vais finir par croire que tu le fais exprès !"

Si vous voulez vous aussi devenir Jackson POLLOCK, c'est par  ICI

Photo : Rue René Leynaud, à Lyon, les "apprentis POLLOCK" réinventent l'enfance du peintre. Tandis que nous marchons sans souci du lendemain et que la ville suit à la semelle, l'itinéraire de nos petits souliers blancs...  Septembre 2009. © Frb

mercredi, 26 août 2009

Autrement dit

Je suis gaucher. Vous vous en fichez ? Vous avez tort. Il y a là-dessus de quoi penser des pages et des pages. Je n'ai pas dit écrire, ce n'est pas mon jour de clavier, j'ai plutôt une envie de dessiner. Je n'aime pas ma main droite, celle qui écrit - en vieille contrariée qu'elle est - à la plume et tant moins bien que toujours mal. Je préfère "l'autre main", celle que les professeurs ont laissée intacte, qui de dextre à senestre dessine, peint et grave. Des deux mains en même temps, je peux sans effort d'attention particulier faire diverger une phrase à partir d'un point central. Dans le sens usuel avec la maladroite et dans le sens inverse avec l'instinctive - la gamme ascendante et descendante du pianiste - et je me demande : si mes bras s'allongeaient indéfiniment comme dans un rêve, où cela s'arrêterait-il ? à quels horizons ? Vers quelle jonction...

PIERRE ALECHINSKY in "Des deux mains". Editions Mercure de France, 2004

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Pierre ALECHINSKY est né en 1927, l'année où le cinéma devînt parlant. Pierre ALECHINSKY eût envie de rester muet et de peindre. Ses peintures sont à notre guise ou musique ou silence :

"Nous travaillons à écrire des histoires muettes"

Pierre ALECHINSKY aima le jazz tout comme les membres de COBRA (groupe auquel il participa) parce qu'il y a dans le jazz, cette spontanéité que l'on appelle aussi improvisation.

Pierre ALECHINSKY déroule son trait noir "comme un long serpentin cobra", il n'appuie pas sur son pinceau pour ne pas l'abîmer, on dit de Pierre ALECHINSKY qu'il a un geste d'écrivain quand il peint on croirait qu'il écrit avec son pinceau comme les orientaux, d'ailleurs il utilise de vrais pinceaux chinois.

On dit aussi qu'il aime regarder l'écriture dans un miroir, c'est plus beau, plus étonnant quand on ne comprend plus ce qu'elle veut dire.

Pierre ALECHINSKY est un gaucher que l'on a obligé à écrire de la main droite, du coup quand il peint il part de la droite vers la gauche pour se venger...

Pierre ALECHINSKY peint souvent par terre, sur de grands papiers, il en a beaucoup mais préfère les vieux papiers imprimés, ceux qui ont déjà servi, les factures, les cartes routières, les cartes de géographie".

Son art ne saurait faire mentir cette phrase de Paul KLEE :

"Écrire et dessiner sont identiques en leur fond".

Voir lithographies : http://www.galerie-bordas.com/alechinsky2.html

Photos : premières figures d'automne, esquisses, ramifications, vues sur le chemin des acacias, pas très loin de la Chapelle st Avoye à La Clayette. Août 2009.© Frb

mercredi, 19 août 2009

Vermillon

Je décolle souvent et voyage toujours
pour voir si le lieu du leurre
ne se confond pas
avec celui de ma main

NICOLAS DE STAËL à René CHAR, lettre du 12 novembre 1953.

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NICOLAS de STAËL dédia cette phrase à René CHAR en 1953. Deux ans avant sa mort, deux ans après que René CHAR ne le solllicite pour illustrer un livre luxueux avec les textes du "poème pulvérisé". Les deux hommes se rencontrent en 1951 grâce à Georges DUTHUIT qui publie dans les "Cahiers d'art", un article sur N. de STAËL, et sait que celui ci souhaiterait illustrer le poète. Dès le départ, la relation est évidente. Les deux hommes sont entiers, à la fois larges d'idées et chatouilleux, cultivés et sauvages. L'art est pour eux, le combat d'une vie. Tous deux sont aussi chacun engagés dans leur oeuvre, à corps perdu, peut-on dire. Pour R. CHAR, N. de STAËL, (né à St Petersbourg en 1914) vient d'un autre monde, il est : "L'enfant de l'étoile polaire dont Orion s'est épris sur son parcours". Dans l'exergue du poème "Libera II", il compare même leur amitié à celle d'Achille et de Patrocle. Achille le poète s'extasie sur les sons qu'il tire de sa lyre, tandis Patrocle, le peintre l'écoute, silencieux. Le livre qu'ils envisagent de réaliser ensemble se composera de 12 pièces issues du "poème pulvérisé", de 14 bois en noir et d'une lithographie en couleurs. N. de STAËL s'attache à ce travail, avec fougue, il lui consacre les mois d'été 1951, conseillé discrètement par R. CHAR. Dans son atelier parisien, Nicolas DE STAËL choisit la technique du bois gravé et tente d'instaurer un dialogue dans ce rapport des gouges et du bois, avec les écrits de René CHAR. Ce travail commun intitulé "Poèmes" sera exposé le 12 décembre 1951 à la galerie Jacques Dubourg à Paris où seront présents tous les écrivains à la mode : A. CAMUS, M. LEIRIS, G. BATAILLE... N. de STAËL est fier de ce premier livre et s'enthousiasme à l'idée d'en publier d'autres. "Bois de Staël" est la première étude que R. CHAR consacre à la peinture de STAËL. Sa vision des gravures sur bois est celle "d'empreintes de l'homme des neiges"... Ecrira- t-il.

Ce travail commun fût nourri d'une très belle correspondance entre les deux hommes, leur l'amitié fût infrangible. On sait que René CHAR accordait à l'amitié une place immense, il fût fidèle à d'autres très connus, sans démenti, tels BRAQUE, ELUARD, GIACOMETTI, A. CAMUS, mais cette amitié  envers N. de STAËL était exceptionnelle, un sommet, un grand signal qui toucha l'essentiel, non seulement humainement, mais aussi pour la compréhension de leurs oeuvres. Tout cela demeure encore dans ces nombreuses lettres échangées : besoin de rassurer, d'être rassurés, d'exprimer des saturations personnelles et des fragilités. L'échange est absolu, d'une sincérité absolue. N. de STAËL a réduit la peinture aux formes élémentaires comme René CHAR l'a fait pour la poésie, et ces traces font rêver car en proposant une lecture figurative des peinture de N. DE STAËL, René CHAR anticipera le virage que prendra son ami pour amplifier son oeuvre. Il est à noter que cette rencontre réunissait deux géants, tant par l'engagement artistique, que par la taille. Deux solitaires "En exil à la fois dans le ciel et sur la terre". R. CHAR parlait d'un "couple d'êtres", de "Deux passants des cimes". Ce texte sur N. de STAËL sera le point de départ d'une nouvelle entreprise, dans laquelle le peintre et le poète prennent encore engagement : la création d'un ballet dont R. CHAR écrit l'argument tandis que N. de STAËL ébauche des idées de costumes et de décors. Ce sera "L'abominable homme des neiges", un rêve irréalisé, faute de compositeurs. DALLAPICCOLA, STRAVINSKY et MESSIAEN se récusent. Le projet restera sans suite. En 1953, une revue de Montevideo ("Entregas de la licorne" où N. de STAËL a exposé en 1948), publie un texte de R. CHAR intitulé "Nicolas De Staël", il a été inséré dans "recherche de la base et du sommet", entre "bois de STAËL" et "Il nous a dotés...". Tandis que N. de STAËL s'éloigne de la réalité palpable, CHAR nous y ramène. Les pavés des tableaux redeviennent rochers, et les toiles, "des chemises qui claquent au vent". Mais ni le peintre ni le poète ne peindront ce qu'ils voient.

Autre collaboration de René CHAR avec les peintres → ICI

A suivre / ... Des extraits de la correspondance de Nicolas de STAEL et René CHAR. Dans un billet que vous trouverez exactement en dessous de celui-ci.

Photo : Un monde, précédant la palette, les cimes et les cimaises. Nous avons pressé tous les tubes, nous sommes sortis de l'atelier, une couleur approximative a pris le ciel par une fantaisie (fantasy ?) légèrement trafiquée. Après le vermillon, la rouille, et juste avant le bleu cassé, nous n'avons pas trouvé cette couleur idoine. Ce vermillon parfait. Un ciel trop rouge étant un leurre, nous l'avons donc désaturé . Nabirosina. Juillet 2009. © Frb.

Bleu cassé

"Le travail de Nicolas de Staël est d'une exigence absolue et il est peu problable que j'aie le coeur de m'autoriser un jugement.
Cependant je peux bien vous avouer que je cherche toujours, sans trouver, dans quel monde de lumière il est possible de vivre autant de vérité que dans les tableaux des footballeurs, grands ou petits... Quelle danse de lumière et quelle puissance d'homme et de lion. J'aime l'oeuvre de Nicolas dans sa profonde humanité et sa pure vérité."

René CHAR, correspondances. (En réponse à la lettre d'une admiratrice qui lui demandait quel était le tableau de N. de STAËL qu'il préférait)

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Une des ultimes toiles de N. de STAËL s'appelle "Les mouettes", les couleurs se déclinent du blanc gris au bleu sombre, en strates qui se succèdent. On n'aperçoit nullement les oiseaux dans le détail, mais des formes qui fuient, l'orage venant au ciel. On sait pourtant combien Nicolas De STAËL aimait le vermillon, couleur dans laquelle il flamba sa vie et l'incendie revient encore aujourd'hui éblouir sublimement et interroger sans répit son visiteur.

En 1951, Nicolas de STAËL est à Paris, dans son atelier, René CHAR vit à l'Isle sur la Sorgue. Mais la présence de R. CHAR habite l'atelier du peintre. Ils collaborent.
je vous livre ici quelques extraits de leur correspondance :

[...] Je ne le dirai jamais assez ce que cela m'a donné de travailler pour toi. Tu m'as fait retrouver d'emblée la passion que j'avais enfant pour les grands ciels, les feuilles en automne et toute la nostalgie d'un langage direct, sans précédent, que cela entraîne. J'ai ce soir mille livres uniques dans mes deux mains pour toi, je ne les ferai peut-être jamais, mais c'est rudement bon de les avoir. [...] 
A bientôt. 
De tout coeur.

N. DE STAËL à René CHAR (source "Lettres de N. DE STAËL, annotées par Germain VIATTE, dans "Nicolas de STAËL", 1968)...]

"Ne presse pas le mouvement, c'est le livre qui en souffrirait. Nous ne sommes pas à 8 jours. Reçu le paquet. Bien sûr, c'est informe et je ne peux pas me faire une opinion sur le livre. Attendons la fin et le premier exemplaire du tirage. Tel que ''ça n'existe pas''. Mais à l'examen voici quelques observations.
 1) La page de titre de l'ouvrage est un peu basse, ''POEMES'' et l'ensemble devraient être composés légèrement plus haut. Ce n'est pas très grave. Tant pis. 
2) J'aime le fourreau (l'emboîtage) noir. Je le trouve très beau. 
3) Je ne trouve pas heureux le ''CHAR'' de l'étui, même je le trouve laid. Peux-tu le faire disparaître ? Est-il temps ? Je préfère rien que cela. [...] 
5) Il ne faudra pas oublier de glisser des papiers fins devant les bois dans tous les exemplaires. Très important. [...]
 Cher Nicolas en définitive tout ira et sera bien. Sois sans inquiétude. Tu t'es très heureusement tiré de ce poison qu'est la fabrication d'un livre grand luxe.
 Grands et sincères compliments. [...]"

René CHAR à Nicolas de STAËL, 11 novembre 1951.

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Les lettres que R. CHAR écrivit à N. de STAËL, n'ont pas été publiées intégralement, mais le poète fût imperceptiblement dans les confidences de N. de STAËL, comme le suggèrent les poèmes "Vermillon" et "Libera II". N. De STAËL éprouvait, à cette époque, une passion qui ruinait peu à peu ses forces vitales; tout comme son travail, qui l'épuisait. Le poème "Vermillon" paru du vivant de N. de STAËL, semble crypté, R. CHAR par amitié, discrétion, pour son ami, s'en tint à des allusions délicates, mais claires aux initiés. "Vermillon" est sous titré : "Réponse à un peintre", le poète tente de conjurer les affres de la vie personnelle et d'offrir à son ami ce peu de recul nécessaire pour continuer.

Le 9 novembre 1953, N. de STAËL adresse à R. CHAR, une lettre magnifique. Amoureux en Sicile d'une femme, épouse d'un mari très jaloux, le peintre désespère de ne "pouvoir la tirer de son caveau mesquin", il se plaint des complots qui se trament contre lui pour l'éloigner de ce "visage de Sicile". On retrouvera ce vermillon, (la couleur préférée du peintre), dans ses derniers tableaux  notamment les "paysages siciliens", et ces ciels écarlates témoignent encore du feu, de cette fièvre qui le consumeront. Il écrira à R. CHAR en 1953, ces quelques mots sublimes :

"Il y a cela de vraiment merveilleux entre nous, c'est qu'on peut se donner tout ce qui est possible et impossible sans limite, parce qu'on ne voit pas la fin de nos possibilités [...]"

EN 1954, dans un atelier ouvert sur la mer, N. de STAËL s'installe à Antibes. En six mois, il réalise plus de 300 toiles. En solitaire. Sa peinture qu'il applique alors au coton semble de plus en plus limpide, presque transparente. Il écrit alors :

"Je n'ai plus la force de parachever mes tableaux."

Le 16 mars 1955, aux remparts du Cap d'Antibes, N. de STAËL arrêtera tout. Laissant une toile immense, inachevée. Une orpheline intitulée "Le grand concert".

Photo : Ciel bleu, gris, tournant à l'orage et cassant doucement la blancheur des nuages, vu dans le Nabirosina, au dessus de l'étang des clefs. Août 2009.© Frb.

dimanche, 16 août 2009

Comme un dimanche

"Ce jourd'hui 7 Août 1766, en vertu des pouvoirs qui m'ont été accordés par Mgr l'Evêque de Mâcon, je soubsigné, curé de Varennes et la Clayte ay béni une cloche du poids de 421 livres au prix de 618 livres, pour être placée dans le clocher de Sainte Avoye, dudit La Clayte, à laquelle cloche a été donnée le nom de Marie-Charlotte [...]"

"Bénediction de la cloche de Sainte Avoye". 7 Août 1766. Source : "La Clayette, hier et aujourd'hui" par F. NADEL, 1989.

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Les cloches ne sont plus ce qu'elles étaient. Il est très loin le temps où l'on donnait des noms aux cloches. Très loin le temps, où quand sonnait le glas, une rumeur incontestable courait de maison en maison, et l'on disait de source sûre: "Quelqu'un est mort, c'est la Marie-Charlotte qui me l'a dit."

La Marie-Charlotte, hélas, je ne peux pas trop vous en parler, je ne sais pour l'heure rien d'elle précisément , et je ne peux pas non plus vous la montrer, invisible et trop haut perchée, pas plus que je ne peux vous montrer les peintures murales de cette église (on dit chapelle) qui ont été retrouvées, en assez mauvais état, difficiles à dater, mais dont la plus ancienne, semble être originaire du XVem siècle. Onze personnages sont représentés et une liste de noms et prénoms féminins ont été trouvés, 20 dont 16 seulement sont lisibles. L'histoire ne nous dit pas si la Marie Charlotte y figure. Mais l'enquête se poursuit...On retrouva aussi quelques blasons, des noms de saints et une vasque d'où s'échappe un bouquet de fleurs...

Nous reviendrons sur ce sujet un jour, quand je pourrai accéder à l'intérieur de la Chapelle Ste Avoye, pour essayer d'attraper quelques fresques (ce qu'il en reste) et les amener à la surface de certains jours.

avoyes049.JPGQuant au nom (et au son) des cloches qui constituèrent pendant plusieurs siècles (quand même) le principal moyen d'information de masse, elles ne pouvaient sonner, ni être affectées au culte, encore moins être placées dans le clocher sans avoir été préalablement bénites. Chaque cloche portait alors un nom qui lui était attribué lors de la "Bénédiction des cloches". Mais ce n'est pas tout... A cette occasion, elle était revêtue d'une aube blanche parée de dentelles, lavée à l'eau bénite, ointe et parfumée par l'officiant. Entourée d'un parrain, et d'une marraine, elle portait les noms inscrits sur sa robe. Son nom de baptême était plus ou moins lié à celui de son généreux donateur. Je ne ferai pas mon Vermot quant à la manière qu'a aujourd'hui notre société de traiter ses cloches car elles ont souffert bien avant, (hop là ! trêve de digression, on enchaîne !). A la révolution, on décida de les "faire taire", après qu'on eût bien martellé les visages ou les mains du Christ et des apôtres au tympans des églises. On enleva les cordes des cloches et quelques unes furent enterrées. Nul ne raconta jamais comment se passa l'enterrement des cloches... C'est sans doute parce que l'histoire nous revient toujours avec plusieurs sons de...  ?

Photo : La Chapelle St Avoye côté parvis. Des pierres roses, une façade fragile, qui respire encore l'abandon mais plus pour très longtemps... Au clocher on devine la présence de Marie-Charlotte, veillant en douceur sur les ruines. Nul ne sait si cette fenêtre s'appelle Marie-Antoinette, ou Gertrude...Difficile de vêtir une fenêtre d'aube blanche et de si loin, l'oindre.

La Clayette. Août 2009. © Frb.

vendredi, 14 août 2009

Peindre

"Quand j’ai fait un beau tableau, je n’ai pas écrit une pensée. C’est ce qu’ils disent. Qu’ils sont simples ! Ils ôtent à la peinture tous ses avantages. L’écrivain dit presque tout pour être compris. Dans la peinture, il s’établit comme un pont mystérieux entre l’âme des personnages et celle du spectateur. Il voit des figures, de la nature extérieure ; mais il pense intérieurement, de la vraie pensée qui est commune à tous les hommes : à laquelle quelques-uns donnent corps en l’écrivant ; mais en altérant son essence déliée. Aussi les esprits grossiers sont plus émus des écrivains que des musiciens ou des peintres. L’art du peintre est d’autant plus intime au cœur de l’homme qu’il paraît plus matériel ; car chez lui, comme dans la nature extérieure, la part est faite franchement à ce qui est fini et à ce qui est infini, c’est-à-dire à ce que l’âme trouve qui la remue intérieurement dans les objets qui ne frappent que les sens. [...]"

EUGENE DELACROIX Journal mardi 8 octobre 1822.

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Quelques années plus tard en 1956 exactement, Yves KLEIN dans son atelier, ouvre une page du journal de DELACROIX, il tombe sur quelques lignes :

"J’adore ce petit potager, ce soleil doux sur tout cela me pénètre d’une joie secrète, d’un bien-être comparable à celui qu’on éprouve quand le corps est parfaitement en santé. Mais que tout cela est fugitif, je me suis trouvé une multitude de fois dans cet état délicieux, depuis les vingt jours que je passe ici. Il semble qu’il faudrait une marque un souvenir particulier pour chacun de ces "moments". (E.D.)

Cette page du journal de DELACROIX imprègnera durablement l'univers d'Yves KLEIN, qui parlera à propos de sa recherche artistique, d'"états-moments". La marque de ces "états-moments" de la chair, il la tient par les empreintes arrachées aux corps de ses modèles, la marque de ces "états moments" spirituelle, il la tient aussi par ses monochromes, mais tient-il la marque des "états moments" de la nature ?

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Elément de réponse et conséquences de quelques notes du journal d'un vieux peintre se prolongeant quelques années plus tard, sur le carnet d'un autre peintre :

"Je bondis dehors et me voilà au bord de la rivière, dans les joncs et dans les roseaux. Je pulvérise de la couleur sur tout cela et le vent qui fait plier les fines tiges vient les appliquer avec précision et délicatesse sur ma toile que je présente ainsi à la nature frémissante, j’obtiens une marque végétale. Puis il se met à pleuvoir une pluie fine de printemps ; j’expose ma toile à la pluie et le tour est joué. J’ai la marque de la pluie ! une marque d’événement atmosphérique [...] Je travaillerai même, je crois, non plus avec des couleurs, mais avec la transpiration des modèles mêlée de poussière avec leur propre sang peut-être, la sève des plantes, la couleur de la terre, etc., et le temps fera tourner au bleu monochrome I. K. B. les résultats obtenus. Le feu est bien là, aussi, il me faut son empreinte !" (Y. K.)

Ainsi une ère anthropophagique s'approche, effrayante, en apparence seulement. Elle obéit à d'anciennes paroles (effrayantes, aussi, à la lecture seulement : "Prenez et mangez, ceci est mon corps ...". Il y a de la contraction (dans l'ère ?) et des passages où l'espace neutralise le temps. Dans sa recherche de la liberté de l'esprit et de la chair, Y. KLEIN écrit encore : "ll faut être comme le FEU en soi dans la NATURE ; savoir être doux et cruel à la fois, savoir se CONTREDIRE. Alors, alors seulement l’on est bien de la famille des PRINCIPES D’EXPLICATION UNIVERSELLE."

C'est à dire, (l'image est de KLEIN, lui même) : "se sentir proche de la famille du ver, tel ce ver qui fait des trous dans le gruyère, qui fait le vide autour de lui et qui avance, et mange mange, il rencontre aussi des trous qu'il contourne, parce qu'il faut bien vivre. Un jour il n'y a plus de gruyère parce qu'il a tout mangé il n’y a plus que le grand vide" :

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"Il est alors lévitant, libre, heureux dans l’espace, mais un instant seulement, puis il tombe tout naturellement sur un autre fromage" ...

Vous me direz, quel rapport avec DELACROIX ?

Aucun. Apparemment... ;-)

Source : Texte de Yves KLEIN 1960.

Un autre bleu plus beau que bleu et que KLEIN ne réfuterait pas est à contempler au delà de ce lien (cliquez absolument ;-)

http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/archive/2009/08/2...

Photos : 1/ Paysage vu d'un chemin de terre, à quelques km du Mont St Cyr. 2/ Mont St Cyr vu d'un champ. 3/ Ciel doux. Nabirosina. Eté 2009. © Frb

mercredi, 12 août 2009

Page d'échos

"Sur les tablettes des cheminées ou des radiateurs (l'on considérera toutefois que la chaleur peut, à la longue, se révéler quelque peu nocive), entre deux fenêtres, dans l'embrasure d'une porte condamnée, sur les marches d'un escabeau de bibliothèque, rendant celui-ci impraticable (très chic, cf. Renan), sous une fenêtre, dans un meuble disposé en épi et séparant la pièce en deux parties (très chic, fait encore meilleur effet avec quelques plantes vertes)."

GEORGES PEREC : "Endroits d'une pièce où l'on peut disposer des livres" in "Penser Classer". Editions Seuil 2003.

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Peut-être l'image aurait-elle plus de sens au chapitre suivant : "Choses qui ne sont pas des livres et que l'on rencontre souvent dans les bibliothèques" avec les fleurs séchées, les verres à pieds, les pyrophores garnis et les photographies dans les cadres en laiton doré... Je laisse à son lecteur (pourvu de quelques rayonnages de livres), le bon soin de nous communiquer aimablement et s'il le souhaite, la liste de ses petites bimbeloteries personnelles que nous livrerons telles, à la planète et qui étofferont la liste des choses citées dans le beau livre de PEREC.

L'important étant l'ordre : celui-ci un brin monastique, après les livres fantastiques de la très grande bibliothèque de Vareilles (la TGBV), vous racontera que le modillon a quelquechose du livre (ça c'est moi qui rajoute) ou quelque chose de l'ornement sublimant le rayonnage. Quand la mode du Bouddha en série lassera, viendra celle du modillon-bougeoire et bourgeois, (en véritable cire d'abeille), trônant devant les livres de bête bégueule ou de Bralo, de Le Clézio, son lecteur (fin observateur;-) remarquera côté-déco que les plantes y trônent déjà, c'est un petit miracle dont je ne peux expliquer l'origine. (A moins que ce soit ces étranges et fameux choux boscomariens qui furent à l'origine du non moins fameux modillon, (qui du chou ? qui du modillon ?). Le roman est bien né de la rose, dit-on. Comme l'affirmait une dame défendant l'attachement obsessionnel (au modillon) de quelques fêlés archéologues médiévistes: "le modillon est une personne". Et je crois qu'elle avait raison. Mais on en sait trop peu sur l'histoire "du peuple menu des modillons" (sic). Cela vaut quelques précisions...

Le modillon roman est un bloc de pierre sculpté finement ou grossièrement, placé sous les corniches, et l'illusion d'optique pourrait même nous faire croire qu'il les supporte. Il relève de l'art populaire, illustre autant la vie courante que l'imaginaire médiéval le plus fantastique. Il peut être décoratif, (on revient à nos fleurs séchées), à motifs géométriques; ou plus figuratifs, végétal, animal etc...) La finesse ou la grossiéreté des figures dépend surtout des matériaux dont disposaient les sculpteurs jugés artistiquement naïfs et gauches mais qui ne manquaient pas de créativité, les plus riches ornementations furent ciselées dans le calcaire, les roches granitiques, volcaniques donnant une sculpture plus sévère. En l'absence de sources historiques laissées par les sculpteurs romans, on a déduit qu'il n'y avait pas de projet symbolique global émanant de ces modillons (n'a pas encore été trouvé le grand modillon d'Alexandrie ou de Babylone), pas de programme iconographique entier, comme on en découvre sur les tympans ou sur les chapiteaux médiévaux. Pourtant il semble que certains modillons considérés séparément ne soient pas sans message... On a souvent tendance devant un modillon, "à voir trop ou trop peu". Nul besoin d'être historien pour déceler dans ces sculptures, tous les efforts qu'accomplissait une société pour tenter de se raconter, se parfaire, et surtout perpétuer ses légendes.

Peut-être qu'un jour, sur quelque autre chemin roman, (si je le croise), je vous parlerai de "l'homme vert", ou bien faudra-t-il que j'accepte enfin, cette invitation en Dordogne (merci mon troll !) pour croquer ces masques feuillus d'époque romane, motifs que l'on  peut contempler partout en Europe, voire jusqu'à Istanbul. Il en existe datant du 2em siècle de notre ère, à Périgueux, avec des bonnets de feuillages comme dans les églises d'Espagne et, à L'église de Colombiers en France (datant du XIIes) où l'on peut admirer des têtes de personnages aux oreilles remplacées par des oisillons auxquels d'insolites oiseaux donnent la becquée. Peut-être chasserons-nous le feuillu jusqu'en Grande Bretagne, où il s'en trouve qu'on appelle bêtement "The Green man", figure déjà connue avant la Rome antique pour être le gardien des bois et l'Esprit des anciennes forêts. Il faudrait chercher à "masque feuillu" en France, peu étudié, la documentation est parfois fantaisiste, le plus souvent insuffisante...

Pour en revenir au modillon, on peut être parfois étonné de remarquer dans les motifs, certaines obscénités, voire des cruautés. Il ne faut pas oublier que quelques-unes de ces coutumes figurées remontent à des cérémonies païennes transformées par l'église en cérémonies "acceptables" pour les premiers chrétiens. Le modillon obscène représentait aussi, des personnages, (parfois religieux, ou architectes...) dans des postures dégradantes. Il semblerait qu'ils aient été conçus par esprit de vengeance à une époque où les ouvriers soi-disant payés à la pièce pouvaient aussi ne pas être payés du tout. Ainsi, les ouvriers n'ayant que ces pierres là pour exprimer leur rancoeur, pouvaient encore façonner à leur guise leur créditeur en le ridiculisant. Une fois que la pierre était posée à 15 ou 20M de hauteur, il était difficile de l'en déloger. Il y eût sans doute des modillons obscènes issus de quelques bonnes blagues de chantier comme à Chambonas en Ardèche l'un des modillons de l'église romane représente une belle paire de fesse, que des mains écartent pour afficher un anus sans défaut, (hélas pour vous, je n'ai pas d'image, tant pis ! hé hé !). Si la blague n'est pas historiquement prouvée, elle est assez probable. J'espère que nous trouverons matière à développer tous ces sujets, l'été prochain, si quelque épidémie de peste nouvelle ou autres démons bleus ne nous emportent pas.

Pour revenir au pays qui nous tient, il y a en cette merveilleuse petite Eglise de Bois- Ste-Marie, certains vestiges d'inspiration païenne (difficiles à photographier), comme ces modillons trop haut perchés. Celui qui ouvre cette page étant sage comme une image sainte, je refermerai ce billet sur la terrible figure d'un modillon moins catholique : on peut dire un démon. (Mais à Nevers, on a vu pire). On raconte qu'il mange les livres, qu'il ronge l'écran liquide, et qu'il transforme en pierre celui qui le regarde, (on vous aura prévenus). Sur cette pierre, (où reposera ton âme, ô lecteur adoré), je construirai une autre église ! (c'est ma folie en ce moment !), j'y scellerai des modillons et ainsi de suite... L'Histoire n'étant qu'éternel recommencement. A moins que par une flemme assez contemporaine, je sois tentée par le très bas, l'argent facile, qui consisterait à faire fabriquer à la chaîne, (en sous-traitance, bien sûr), des bougies-modillons, des cales-livres en balsa (merci Sophie K.) à simili têtes de dragons, et pourquoi pas ? des modillons un peu coquins en médaillons. Il ne me resterait plus qu'à les vendre (très cher) pour que vous en orniez vos rayonnages. Ainsi tirant par les cheveux mon petit homme vert jusqu'au bureau de tri de l'ami Perec, pourrais-je ajouter ces babioles à votre catalogue d'échos et tenter d'épuiser sous le poids de cette poussière nos esprits compactés du très haut au très bas. L'autre sens étant obsolète voire impensable...

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Maudits liens : http://chantecoucou.over-blog.com/article-28883031.html

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/09/15/co...

Photo 1 : Modillon à figure d'ange ou veilleur de troupeau et son chou (?) merveilleux quasi miraculeux vus sur la façade de l'église romane du village de Bois Ste Marie.

Photo 2  : Zoom sur un modillon végétal orné d'une tête de démon (?) ou d'animal (?). Mais je ne crois pas que ce soit "Green man". Vu à l'Eglise romane de Bois Ste Marie. Nabirosina. Août 2009. © Frb.

lundi, 10 août 2009

Oeuvrer

"Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer"

GUILLAUME D'ORANGE

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Ce qui fût dit fût fait ...

On pourrait émettre l'objection que, dans le cas de la construction d'une église romane, (en ce très pieux et superstitieux Moyen Âge), il était tout aussi nécessaire de craindre, que d'espérer. Mais les citations de C.J. ne se posant pas toujours en paraphrases, c'était juste, (vous l'avez compris), un prétexte (un peu fumeux, j'avoue), pour comparer.

Est il réellement possible de comparer l'incomparable ? (je passe la main pour la question ;-)

Maintenant que l'église est bâtie, il faudrait en parler... Je ne le ferai pas ce jour, pas avant de vous avoir montré le clocher (l'un des plus beaux, à contempler toujours sur les chemins romans du Nabirosina).

Pour la première fois, je découvre un village, où les cailloux et les devises shadoks s'anéantissent dans la lumière dorée des vieilles pierres. Un endroit hors de tout, jardiné de plantes folles et de roses trémières. Je sais déjà que je ne pourrai pas poursuivre longtemps le chemin des routes romanes. Il y a trop à voir partout. Et déjà la rentrée... Chaque jour je repousse au lendemain, le jour de mon départ. Quel plaisir y aurait il à retrouver le métro ? Les grues autour de la tour Oxygène... la Fnac ? Certes il y a bien les graffs et à quelques années lumières, ces heures, où dînent les biches, les odeurs qui annoncent l'automne tout près de l'orangerie à la Tête d'Or. Les copains, les cinés (même si je n'y vais jamais). La Tête d'Or peut attendre. Pour ce qui est de l'or c'est Vareilles aujourd'hui qui coiffe tout. Au diable la rue Pouteau et son soleil gentil, vade retro le pont Morand !. C'est la fin de l'après midi. Le soleil du petit village transforme doucement le Moyen Age en géant speculoos. (merci kl-loth !). Vareilles se fait patisserie de Bruges. Je m'assois sous un marronnier, le tronc noué, énorme, semble revenir d'une légende, il affronte l'église, pacifiquement. Des pierres du XI em siècle, une écorce indatable...Il est probable que je renierai tout à l'heure, Le parc de la Tête d'Or et la rue Pouteau, trois fois, le Pont Morand au chant du coq. Tandis qu'à mon oreille, l'amie rose trémière chuchotera aux lueurs de l'aube : "On est bien peu de chose"...

Photo : Façade de l'église romane de Vareilles et sa lumière à l'oeuvre. Vues juste avant le coucher du soleil. Nabirosina 10/08/2009.© Frb.

dimanche, 09 août 2009

Comme un dimanche

"Un peu après l'an Mil, il arriva que les basiliques furent reconstruites dans presque tout l'univers, et principalement en Italie et en Gaule. Bien que la plupart fussent très convenables et n'eussent à peu près besoin de rien, une grande émulation saisît chaque peuple chrétien de l'emporter sur l'autre en magnificence. On eût dit que le monde secouant et rejetant sa vieillesse, revêtait partout, la blanche parure (1) des églises"

RAOUL GLABER : Chroniqueur clunisien, XI em siècle.

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Sur la route des églises romanes en Nabirosina, se trouve une petite merveille dont la beauté (nul besoin d'être croyant), invite au recueillement. Personnellement, dès que je quitte la ville, c'est là que je retourne à pieds, pas les chemins buissonniers jusqu'au village de Bois Ste Marie, dont l'ancien nom "Sanctua Maria de Bosco", rappelle que ce petit bourg se trouvait autrefois dans une zone fortement boisée. Le nom de Bois Ste Marie, apparaît pour la première fois en 998 dans une charte du cartulaire de Cluny. A l'origine, il avait eu un prieuré de moines bénédictins, qui fût détruit au XVI em siècle lors des guerres de religions. A l'époque médiévale cette petite ville était entourée d'un rempart percé de trois portes. Bois Ste Marie, dont la population était plus importante qu'aujourd'hui était alors le siège d'une châtellenie royale et le centre d'un archiprêtré de 32 paroisses. Elle possédait une prévôté et un hôtel des monnaies (dont je vous montrerai le bâtiment un jour, puisque l'hôtel même, aujourd'hui ne se visite plus, hélas!).  L'endroit fût affecté par les ravages terribles de la part des Armagnacs en 1420, et des calvinistes en 1567. Concurrencée par le bourg voisin de La Clayette, à partir du XV em siècle, son rayonnement déclina peu à peu, seule l'église subsista, témoin de cette ancienne prospérité. Et quelle église ! (un véritable petit bijou), finement restaurée, une des plus belles églises de la région. Elle fût sauvée in extremis de la ruine au XIXem siècle, et restaurée de fond en comble par les soins de l'architecte MILLET disciple de VIOLLET-LE-DUC. Elle est classée monument historique depuis 1862.

L'été dernier déjà, et plus tard, hors saison je vous avais montré quelques vues de ce lieu admirable qui se trouve à moins de 100km de Lyon. Si vous passez par là, n'hésitez pas à visiter ce minuscule village qui n'a pas encore subi les affres du tourisme de masse. Les derniers commerces ont fermé, de même que le dernier bistrot. Ici, on ne rencontre presque personne. Il n'y pas de boulangerie, ni épicerie, pas de bureau de tabac, juste des vieux, des vieux partout qu'on ne voit pas... Et des pierres, vieilles aussi, qui semblent raconter toujours la même histoire, celle d'un Moyen-Age et de ses légendes, peuplées de chevaliers, d'anges et de démons. J'espère rester encore quelques jours dans cette région pour vous montrer l'intérieur de l'église, (s'il est possible), la lumière y est splendide mais difficile à saisir fidélement, au moins, vous montrer le déambulatoire ou les chapiteaux de la nef dont l'un cruel est fascinant (et je ne cesse d'en parler, c'est un comble !)  il a pour nom "Le châtiment du bavard".

A suivre peut être un certain jour...

(1) :Cette métaphore "cultissime" a subi au cours du temps quelques variations toujours liées à l'habit voire l'ornement, ici l'on traduit en "blanches parures des églises" ailleurs on trouve "la blanche robe", mais la métaphore la plus connue toujours attribuée au contesté Raoul GLABER est le fameux "blanc manteau d'églises". Si vous connaissez d'autres versions ayant trait à cette métaphore, n'hésitez pas à nous faire signe. Qui sait si certains jours ne fera pas un petit  nuancier autour de la phrase Glaberienne...

Photo: L'église romane de Bois Ste Marie du moins, une des façades que l'on peut apercevoir juste en arrivant dans le village. Vue d'une petite place qui sert à garer les autos, (celles-ci confiées à la garde indulgente d'une discrète Sainte Vierge cachée dans la verdure). Dimanche 09 Aôut 2009. © Frb.

samedi, 08 août 2009

On rentre à la maison

Si ce genre de maison ne vous convient pas, cliquez sur l'image.

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Sauf que cette maison là, ce n'est pas une maison, c'est une prison. La prison du château de Drée très exactement, posée comme une maison de poupée non loin d'immenses allées, aux arbres parfaitement taillés, presque en face du château de Drée, surnommé "Le petit Versailles". Le Roi et la Reine (du Nabirosina, bien sûr !), m'avaient invitée l'autre jour à goûter, en leurs appartements, ce breuvage tout nouveau (venu de la nouvelle Papouasie Nabirosinaise), qu'on appelle le thé. Mais comme j'étais très en retard, le Roi, pour qui l'exactitude... etc.. etc... (je vous épargne ses sermons), très en colère, n'a point voulu me recevoir. Ainsi, je dus me contenter de parler avec les gens de maison dont l'oiselier qui avait la clef d'une colombière, (n'ayant jamais servie aux oiseaux, nous en reparlerons peut être) et le geôlier détenant les clefs d'une prison qu'il me fît visiter. (Visiter une prison Nabirosinaise en plein mois d'Aout, est, je peux, sans rire (assez ri !) vous l'assurer, beaucoup moins sinistre que de passer ses journées dans un camping à Palavas. Quoique... La suite nous prouvera que non). Mais revenons au geôlier. Il me conta que jadis, ce charmant bâtiment symbolisait un pouvoir seigneurial : le droit de justice, ce droit représenta jusqu'à la révolution une des bases les plus fermes de la puissance des seigneurs.

Sur la terre de Drée se trouvait une petite cour de justice, où l'on exerçait la basse justice pour les menus délits (vols de poules, braconnage, ivrognerie etc...) et des conflits variés (querelles de voisinage pour un droit de passage sur un chemin etc..). C'est aussi ce petit tribunal qui effectuait les inventaires après décès, les partages lors des successions.
Et bien sûr dans cette adorable prison (beaucoup plus rustique à l'intérieur que cette photo semble le suggérer) on jetait les brigands, les fraudeurs, ceux qui téléchargeaient illégalement les poules sur leur dos, on les condamnait à croupir dans une pièce minuscule, et une obscurité quasi totale, la prison étant située de l'autre côté des plus belles splendeurs du domaine.

Pour situer un peu, cet ensemble du château de Drée dans l'histoire de France. Il faut savoir que le projet de construction du château de Drée commença en 1620. Les travaux furent achevés au cours du XVIIIem siècle. Une Comtesse en hérita, l'habita le décora. Puis le château fût racheté en 1748, par Etienne Comte de Drée, élévé en 1767 au rang de Marquis (par copinage, il prêtait ses carosses à Louis XV, quand celui ci désirait se retirer pour "habiter la fonction" et qui, par conséquent devint son grand ami en échange de quelques services). Pour le reste, on vous distillera les détails plus tard, parler de la vie de château à des gens qui ont une prison sous le nez, ça ne se fait pas.

Le geôlier, un garçon délicat, m'accompagna donc pour me faire visiter ce que j'appelais "la petite maison de poupée", d'un geste aussi courtois qu'une révérence, il me murmura joliment : "honneur aux dames !", flattée, j'entrais en dindonnant dans la bâtisse, aussi insouciante qu'une enfant qui danse au bord d'un puits, (ça m'apprendra à jouer les jeunes, car ce qui suit est bien affreux). Une fois bien au centre de la pièce (un trou froid, humide, exigu) traversé d'araignées (Les pires ! des "Segestria Florentina", offertes en 1770 par un Prince Florentin au Marquis pour distraire ses prisonniers), j'entendis une porte claquer, puis le bruit d'une douzaine de clefs tournées autant de fois. Le geolier me cria par le trou de la grosse serrure "Ca t'apprendra !". Je compris, que le roi, très offensé, me punissait pour ne pas avoir respecté l'heure du thé.

Voilà. Je ne sais plus depuis combien de temps je suis là... En espèrant que le Marquis de Montrouan puisse prochainement intercèder en ma faveur, j'essayerai malgré tout de poursuivre ce pauvre blog ; (heureusement que j'ai une marraine qui est fée et qui écrit à ma place les chroniques de certains jours !). Si le Roi refuse de me libérer avant Noël, je crois que... Non rien. En attendant, j'attends.

Lien très utile :http://www.chateau-de-dree.com/

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Photos : La prison du Château de Drée. Vue extérieure + intérieurs. Curbigny. Août 2009. © Frb

jeudi, 06 août 2009

In the quiet night

Devant mon lit, la lune jette une clarté très vive ;
Je doute un moment si ce n’est point la gelée blanche
Qui brille sur le sol.
Je lève la tête, je contemple la lune brillante ;
Je baisse la tête et je pense à mon pays.

LI-TAÏ-PEI (502-763 de notre ère) : "Pensée dans une nuit tranquille" (poésie chinoise).

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En regardant l'éclatante lumière de la pleine lune, le voyageur songe naturellement qu'elle éclaire d'autres lieux qui lui sont chers...

Full Moon everywhere...

WINSTON TONG : "Late night"

podcast

Nota : Prochaine pleine lune, le vendredi 4 septembre 2009...

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Autres lunes : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/09/06/le...

Photos : La pleine lune du jeudi 6 Août 2009 sur l'autre rive, entre les champs bordant le "chemin des Alouettes" qui mène à "l'étang des clefs". Là bas. © Frb

 

 (don't quiet !)

 

vendredi, 31 juillet 2009

Battre la campagne (7)

on ne connaît jamais le fond des choses
et l'on ne s'y résigne pas
on croit à la métempsycose
ou bien l'on n'y croit pas

RAYMOND QUENEAU. Extr. "Un rhume qui n'en finit pas" in "Battre la campagne". Editions Gallimard 1968.

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Plus on s'approche, et plus la chose s'éloigne,"épuiser le modèle, recommencer sans fin", comme si derrière chaque réalité s'en trouvait une nouvelle. Devenir incessant jusqu'à la destruction et puis recommencer quand la matière renaît. Un jour viendra le terme. Un problème qu'il faudra résoudre. Choisir une matière plus ductile plus spirituelle. S'enfoncer dans le sol, réduire l'outil à cette main, qui tord et qui détord jusqu'à ce que l'élément cède. Sous ce pied qui franchit, et sous ce pied qui broie, réduire à l'infini. Engager l'aventure dans toute cette lumière. Affronter les nuances où l'ombre s'abolit. Et dans un même pas, découvrir, juste au pli d'un brin d'herbe, la fuite volontaire. Une bête qui va, dans le rouage minuscule de sa ville émiettée, articuler un monde sans connaître la solitude. Marcher, s'agenouiller, glisser entre la ronce, être griffé, mordu. Puis cueillir le fruit, en savourer le jus, en mesurer l'effet, teindre ses doigts en bleu. Arracher le genêt. Fusiller du regard la majesté d'un hêtre. s'enchevêtrer toujours, s'étonner que la mousse nous fasse disparaître. Et s'accrocher encore aux formes crucifiées d'une racine, la réduire en poussière. Fendre l'amande. Piquer le houx. Casser quelques noisettes. Aimer le chant du coq. S'extasier d'une abeille. Courir les près. Fendre les flots. Battre la campagne...

Nota : Ceux qui détestent la campagne, pourront toujours "battre le pavé", il y en a de très beaux chez Daily Life.

Photo : Vu aux racines de la forêt, une sorte de Christ plus ou moins revisité par Alberto GIACOMETTI, (ou son esprit réincarné). Et tant de choses encore... Vauzelles, dernier jour de Juillet 2009.© Frb.

samedi, 04 juillet 2009

Des attraits

"Mademoiselle Ferrand (1) sentit la nécessité de considérer séparément nos sens, de distinguer avec précision les idées que nous devons à chacun d'eux, et d'observer avec quels progrès ils s'instruisent, et comment ils se prêtent des secours mutuels".

ETIENNE BONNOT DE CONDILLAC. (1714-1780) Extr de "Allégorie de la statue" in "Traité des sensations" (1754).

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Il fait à Lyon, presque 35°, (malgré ce jour antidaté, il fait presque toujours + de 35° à Lyon, l'été). Les jeunes filles (et les vieilles aussi ! ah ça !) vont se rafraîchir au jardin, doucement elles longent les arcades, où les statues en petites tenues (voire sans tenue du tout) tentent toujours (avec l'énergie du désespoir de la statue) d'attirer le regard des passants, des passantes surtout et à défaut d'amour, d'affection, elles espèrent, (comme si une statue espérait), être vues et que peut être ailleurs, on parle d'elles. (Là, je me fais l'impression de ces gens qui sans vergogne mettent des manteaux à leurs teckels et font parler leur chat à la première personne du singulier, mais les statues c'est pire que les animaux, quand ça vous regarde c'est froid et pourtant ça vous regarde), foin de poncifs. C'est pourquoi il a très bien fait CONDILLAC d'imaginer une statue qui serait admettons, organisée à l'intérieur tout comme nous et même mieux qui sait ? ... C'est donc ainsi, amollie, par le souffle suave, (Hozan, ne lisez pas ! :) de mon contemporain, recherchant son point d'eau, son bol d'air, dans cette chaleur crasse, ainsi qu'en promenade avec Mademoiselle Ferrand (1) (Une grande amie d'Etienne), nous cherchions, nous aussi notre coin: des balancelles, une pergola, ou simplement l'ombre au jardin du palais St Pierre, en quête d'un brin de fraîcheur pour manger nos bichons au citron de chez la mère Machin qui en fait des bien bons par la rue Ferrandière. Tandis que Melle Ferrand me parlait de la vie, de la mort, de la paix, de la guerre, tandis je rêvais de frimas, de brouillards et d'abominable homme des neiges, au moment où lassée par tous les boniments de Melle Ferrand (elle est gentille mais quelle pipelette!) ; excédée et levant les yeux vers le ciel ; je croisais, (comme pour me faire ma fête), le regard lubrique et le geste cru d'une statue aussi fanfaronne que muette... "Oh my god!" hurla melle Ferrand outragée qui se sauva en courant, laissant choir son bichon dans l'herbe. "A t-on déjà vu chose pareille ?" murmurai je, toute tourneboulée par l'outrecuidance du goujat qui me dévisageai hardiment sans pourtant battre des paupières.

Mais peut-être s'agit il de tout autre chose ? Car ici la chaleur rongeant notre surmoi (si féroce, d'ordinaire), il ne reste plus que les affres (de la chair ! quelle horreur !), et les élans de l'âme ne parviennent plus à se hisser au dessus de la ceinture. Mais, est-ce inconvenant ? Ne dit-on pas que les statues ont aussi leur métamorphose ?... D'ailleurs me vient une toute autre question, comment dit-on "statue" au masculin ?

Sur ce, amis lecteurs, je vous laisse avec la question. J'avais prévu de vous raconter l'histoire de "dindonne et dindon", mais l'esprit vaque ailleurs (vacailleur ?) en ces lourdes chaleurs je retourne à l'Adam de Rodin qui attend de pied ferme son couple (déjà !) mythique (Monsieur Solko au bras de Mademoiselle Camay, pour la bonne cause évidemment, n'allez pas croire...) armés de gants de toilette, de serviettes parfumées pour faire mousser la pomme de l'Adam de Rodin, sous "la savonnette de juillet".

Photo : Une statue pas comme les autres. Une statue un petit peu "marseillaise" dirait-on. Photographiée en mangeant mon bichon, Sous les arbres au jardin du musée St Pierre. Pour connaître la suite, (le futur) il suffit de caresser l'image.

 

Lyon © Frb 2009

vendredi, 03 juillet 2009

Les grands royaumes

Mon joug est suave,
ma charge est légère
Et la saison nouvelle
Fera bientôt les nobles coeurs
Elus pour le joug de l’Amour

D'après HADEWIJCH D'ANVERS. "Ecrits mystiques des Béguines". Editions du Seuil 1954.

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"Mon joug est suave, ma charge est légère" nous dit l'Amant (...)

Quel est donc ce fardeau léger, ce joug que l'on nomme suave ?

C’est la charge que nous confie
Au plus secret le pur Amour
Des volontés ne faisant qu’une
Et joignant à jamais les êtres.
Tout ce que puise le désir,
L’Amour le boit, et ne s’apaise.
Amour exige de l’Amour
Plus que l’esprit ne peut saisir"

 

Guillaume de MACHAUT "Tous corps / de souspirant / suspiro

podcast

 

Photo : "L'Adam de RODIN" vu sous les arbres du petit jardin du Musée des Beaux-Arts de Lyon. Photographié en Juillet 2009. © Frb

dimanche, 21 juin 2009

L'univers etc...

Comme un dimanche ou presque.

"Et quand j'ignorerais la nature des atomes, j'oserais encore, après examen des phénomènes célestes et bien d'autres d'ailleurs, affirmer que la nature n'a pas été faite pour nous et qu'elle n'est pas l'oeuvre des dieux : tant l'ouvrage laisse à désirer !"

LUCRECE ."De la nature" Livre cinquième, 193-229, P. 162. (Traduction H.Clouard) . Editions Garnier frères 1964.

 

basilique.JPGLUCRECE, mourût l'année, sinon le jour, où VIRGILE revêtit la toge virile c'est à dire en 55 av.J.C. St JERÔME prétend qu'un philtre amoureux l'avait rendu fou et qu'il composa de "De Natura Rerum" dans les répits de son délire : sans doute n'y a t-il là qu'une légende propre à discréditer le poète impie. Toutefois il n'est pas interdit de penser que LUCRECE s'est suicidé. En théorie la métaphysique et la morale du "De Natura Rerum" reposent sur la science de DEMOCRITE et d'EPICURE et sur ce que LUCRECE avait pu glaner autour de lui de connaissances physiques. Mais on peut encore s'interroger à ce sujet, tellement toute l'oeuvre semble acharnée à délivrer les Hommes de la crainte des Dieux. L'athéisme de LUCRECE fût son principe de vie philosophique. Personne n'a parlé avec autant de liberté et d'audace de ces divinités qui n'étaient plus prises au sérieux par les lettrés, les gens instruits mais aux pieds desquelles la foule se prosternait encore. Et la doctrine épicurienne satisfaisait cet athée farouche. Il refusait à l'âme l'immortalité. Il faisait de l'univers un mécanisme. Mais LUCRECE n'est jamais si grand que lorsqu'il nous entraîne au delà de toutes limites, dans des régions mystérieuses,et contemple de loin, d'une part notre misèrable petit monde et d'autre part, les espaces infinis. Goûtez plutôt :

" Enfin, tout ce que jour par jour la nature ajoute lentement aux corps, pour les faire croître par degrés, l'effort de notre vue n'en peut rien atteindre. Nos yeux n'aperçoivent pas davantage ce que le temps enlève aux corps en les vieillissant"

Après quoi, la messe sera dite (ou presque). Mais vaut mieux pas.

Il est difficile de savoir si LUCRECE a été apprécié par ses contemporains. CICERON n'en fait pas d'éloge excessif, plus tard VIRGILE, après une allusion de sa jeunesse a gardé le silence sur le poète envers lequel il était un brin redevable. Un seul enthousiaste inconditionnel : OVIDE qui s'est écrié dit-on :

"Les vers du sublime Lucrèce périront le jour où l'univers sera détruit".

Il nous vient même l'envie discrète d'espèrer que le livre de LUCRECE perdure encore longtemps, et bien après la destruction de l'univers. Ce serait d'une belle ironie, mais cela est une autre histoire que je vous raconterai quand l'univers sera détruit.

En attendant, je ne peux que vous conseiller de lire et surtout à haute voix (ce n'est point ridicule) le "De Natura Rerum" car au delà de toute philosophie, au delà des notions de physique, il est un envoûtement rythmique du texte et des agencements que je ne puis décrire ici tant le chant du "De Natura..." berce mystérieusement. (Peut-être le charme des atomes ?)

Ainsi, sera, (en ce dimanche ou presque), pour cette année assurément, notre façon de célébrer, loin des cohues et des chaos, un genre de fête de la musique.

Photo: Un fragment de la Basilique romane de Paray le Monial, placée sous le vocable du Sacré-Coeur photographiée sous un ciel plus blanc que blanc, au début du printemps 2009. © Frb

vendredi, 19 juin 2009

Table des matières

La nuit s’avance
Le jour commence à poindre
Une fenêtre s’ouvre
Un homme se penche au dehors en fredonnant
Il est en bras de chemise et regarde de par le monde
Le vent murmure doucement comme une tête bourdonnante.

BLAISE CENDRARS, "Debout" in "Au coeur du monde". Editions Denoël 1947.

palette dezo.JPGJe l'ai croisé au moment de partir, dans le hall de l'immeuble. "Ah bonjour, tu t'en vas ?", il m'a dit. "Ben euh... J'allais partir". Que j'y ai répondu. Il regarde mon vélo, ça fera bien 50 ans (oui, certes, j'affabule un brin), que mon vélo est garé là, dans l'entrée, sous son nez, presque 50 ans qu'il me dit "T'as encore un nouveau vélo ! Il est vraiment beau celui là !". Il est comme ça Lien DEZO, sur chaque chose, un regard neuf. Puis il me propose de passer cinq minutes. Je lui réponds - Bon alors oui,, mais juste 5mn pas plus". C'est convenu depuis toujours, assez tacitement entre nous, que 5mn dans cet espace-temps bien à nous, ça veut dire beaucoup d'heures... La porte s'ouvre sur une vingtaine de toiles. (beaucoup plus en réalité si l'on compte celles qui ne sont pas exposées au mur, (plus les 4 ou 5 en cours sur les chevalets). "Tu te remets au figuratif ?", (Je demande avec cet air bêta de la greluche lambda, qui veut faire l'érudite) - "Oh non, je m'amuse !" réponds DEZO plus absorbé par la couleur de son ragoût de mouton qui mijote entre les patates au fond de sa cocotte. Il dit : "T'as vu, je me suis acheté une cocotte". "Pas mal !" je dis. Au fond de l'atelier (une ancienne quincaillerie) le visage inquiétant d'un doux Christ aux yeux bleus, nous enveloppe de bontés bizarres. DEZO lève le couvercle de sa cocotte, il remue soigneusement avec la grosse cuillère en bois. Il allume une petite lampe. -"C'est presque cuit là! Regarde la couleur ! comme c'est beau ! C'est beau non ? ". Nous nous penchons tous deux au dessus de la cocotte, la viande est juste cuivrée, opulente, baignant, dans son jus. De la cocotte monte un mélange d'épices, de caramel. Les patates sont colori miel. Le fumet nous prend lentement (presque par les sentiments, oserais-je dire) ... Et nous restons penchés longtemps, très longtemps, les yeux fixés sur le ragoût. En état de béatitude. Une image qui vaut bien la mystérieuse et complexe lamproie dans "La fleur du mal" de CHABROL).

J'ai compris il y a peu que DEZO fait sans doute la cuisine beaucoup pour la couleur, (même si ses saveurs amoureusement concoctées sont souvent extraordinaires) mais, les alliages et autres liants, vraiment, c'est son bonheur. Et peut-être fait-il un petit peu la peinture pour l'odeur

(Peinture à l'huile, cuisine au beurre ?) ...

Plus tard, très tard, nous retournons dans l'atelier... "Je peux prendre des photos ?" -"Mais oui, bien sûr !" il me répond. Et je rajoute -" Mais je ne prends pas des photos des tableaux ! hein ! pas question !" Pas besoin d'expliquer. DEZO il sait pourquoi. Prendre des photos de tableaux, ce serait un peu comme lui extorquer quelquechose, arracher tôt de la toile le secret d'un travail en cours. Et peut-être même que ça porterait malheur au tableau. Bref, ce serait un sacrilège, au sens indien. Dezo est un artiste, artiste de la couleur, un "visuel" comme ils disent, mais il me semble qu'il se méfie au moins autant que moi des images, du moins, de ces images qui montrent trop. Des images, ces prédatrices...

Je prends quand même plein de photos : sa cafetière, son chapeau, les pots en vrac, et soudain je m'inquiète:

- Qu'as tu fait de ta table ?, t'as pas jeté ta table j'espère ?" DEZO semble sourire dedans, et levant un pan de rideau me dit "Bien sûr que non ! regarde ! ma table, elle est là !".

Nous nous approchons de l'objet. Table sculptée en monceaux de couleurs. Palette divine, inachevée, toujours changeante, sublime à force de d'accumulation toutes périodes confondues. Une merveille. Et d'un tout autre jus.

"Elle est là".

mais déjà, le peintre a la truffe ailleurs. Son ragoût. A quelques mètres de "la table", dans l'autre pièce. DEZO procède au salage, poivrage. il  me dit "Tu restes manger, c'est prêt." Puis il retrousse ses manches en fredonnant...

"Elle est là et c'est prêt" : Oyez, bonnes gens, la beauté des deux phrases miraculeusement accolées. Plus puissantes, il me semble que le standard du père Descartes. Le "Je pense donc je suis" balayé par le "Elle est là et c'est prêt" de LIEN DEZO.

Une pensée balayée par une table... On aura tout vu !

Je remercie Lien DEZO d'avoir eu la gentillesse de m'accueillir en son atelier, me laissant photographier sa table, son chapeau, ses palettes + quelques tubes et pinceaux. Puisse-til me pardonner les petits arrangements romanesques (ce blog ne dit pas tout à fait, exactement la vérité, il n'a jamais trop caché qu'il s'autorisait les mensonges (esthétiques bien sûr !) et c'est bien là, le paradoxe, car s'il avoue qu'il ment c'est bien qu'il dit la vérité bref). Les dialogues avec Lien DEZO n'ont pas été exactement les mêmes, le ragoût pas vraiment celui là, mais peu importe puisque la table est la même, elle, et la cuisine du peintre, presque la même, toujours exquise comme sa peinture. J'espère que l'artiste et nos lecteurs s'y retrouveront quand même... )

Nota: Comme notre ami TANYGU, je rédige ce blog parfois dans les tavernes, (ce billet, justement est un billet de la taverne). Si notre lecteur (exigeant) trouvait au passage quelques fautes, coquilles ou autres syntaxes aberrantes, j'en serai bien désolée, mais c'est parce que la taverne ferme et que je n'ai point eu le temps de relire, j'assure cependant qu'une correction et ajoûts de liens viendront ultérieurement assurer le confort de tous et de toutes. Merci par avanlce pur voitr induljansse...

Photo : Table des Matières. Ou, table (in progress). Photographiée chez le peintre Lien DEZO, dans son atelier aux très proches environs de Lyon. A la toute fin de l'hiver 2009. © Frb.