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vendredi, 31 décembre 2010

Jour de blanc

 Or ne trouverent ilz point là, sur l'heure, de croye ou de terre blanche pour marquer, à raison de quoy ilz prirent de la farine.

JACQUES AMYOT 

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BEN KAMEN : "Clouds and snow"

podcast

 

Le monde est tellement blanc qu'on se croirait presque au jour de l'an. On pourrait même se souhaiter une bonne année si on osait... Mais je crois qu'on va attendre le retour des animaux... (A suivre)

Photo: Un léger saupoudrage. Neige et fonte des neiges au jardin du Marquis. Nabirosina. Dernier jour de December. © Frb 2010

dimanche, 26 décembre 2010

Le Fripon du Grand Nord

Choses qui s'échouent
Je vis dedans
Vieux roseaux morts
Echoués sur le bord du lac,
Je m'enroule dedans
Je vis dedans, un temps.
Je peux le faire

Chant des indiens Crees

bonhomme014.JPGNous sommes dans les marais du Canada, dans les forêts subarctiques du continent américain chez les indiens Crees, là où l'hiver est des plus rigoureux et où le thermomètre descend si bas qu'il n'y a plus de gibier. Les pièges demeurent vides et les rares familles d'indiens qui ont désiré préserver le mode de vie de leurs ancêtres n'ont plus d'autre solution que d'imiter les animaux, ils hibernent sous la tente, travaillent tant qu'ils peuvent les peaux souvent en proie à la faim, ils s'occupent. De brèves journée font suite à d'interminables soirées, où l'ancêtre toujours présent attend son heure pour transmettre les histoires d'autrefois, des récits bien souvent burlesques qui appartiennent pourtant au sens le plus sacré de la cosmologie des indiens Crees, des légendes débridées où se rejoue le savoir fabuleux des chasseurs trappeurs livrées aux espaces hostiles, et aux comportements imprévisibles des animaux. Ces légendes sont toutes liées, à la mémoire des origines, venus d'une époque où les hommes et les animaux n'étaient pas séparés, et l'on raconte qu'en ces temps presque indicibles les hommes et les animaux parlaient le même langage, tous les animaux parlaient ainsi comme une conséquence prévisible et les esprits n'hésitaient pas à apparaître, ainsi le Trickster par exemple (l'équivalent du Lutin dans les cultures des indiens d'Amérique  une divinité chaotique, indispensable car sans elle, une société serait sans âme), était d'abord "joueur de tours", on l'apparenterait volontiers au Fripon dont Paul Radin co-auteur du livre "Le  Fripon divin" écrivait :

Il y a peu de mythes dont nous puissions affirmer avec autant d'assurance qu'ils appartiennent aux plus anciens modes d'expression de l'humanité ; peu d'autres mythes ont conservé leur contenu originel de façon aussi inchangée. (...) Il est manifeste que nous nous trouvons ici en présence d'une figure et d'un thème, ou de divers thèmes, doués d'un charme particulier et durable et qui exercent une force d'attraction peu ordinaire sur l'humanité depuis les débuts de la civilisation.

Le Fripon ou Trickster ne connaît ni la bienséance ni les règles qu'il enfreint toutes sans vergogne. Il déclenche toutes les catastrophes, commet toutes les maladresses, tombe aussi dans tous les pièges y compris dans ceux qu'il tend lui même, son parcours est celui d'un apprentissage par l'absurde. Et c'est toujours au terme de cet apprentissage qu'il deviendra autre, ou un être humain ou quelque chose qu'il n'était pas au départ, son trait de caractère est l'ombre. Cette créature surnaturelle rudimentaire mais très rusée, empruntait à loisir toutes les formes possibles, sillonnant un univers incroyable qui ne se fixait dans nulle causalité définitive. Le Trickster se jouait de tous et de chacun à son grand contentement, il semait dans son sillage mais avec une ingénuité particulière, des biens essentiels à l'humanité, du moins était ce la vertu de ce goinfre lubrique plus pressé d'assouvir ses désirs que de faire du mal à quiconque, il s'opposait au Windigo un géant féroce cannibale, et l'homme préférait le Trickster, innocemment roublard capable de dérober les biens sans principe, ensuite, il revenait alors à la loutre, au canard, à l'ours ou au lynx de lui rendre la pareille, et à l'homme d'en tirer des enseignements. La revanche était peu aisée car le Trickster avait le pouvoir de revêtir des apparences telles qu'on ne pouvait le soupçonner comme celles du coyote, du corbeau ou du lièvre blanc et aussi d'un inconnu dans nos contrées: le glouton. Ces apparences variaient au coeur des récits, également selon les régions. Chez les Crees des marais habitants du Manitoba, les anciens le connaissaient sous le nom de Wichikapache (le vantard), et c'est en grande partie à cet avatar du "joueur de tours", que les récits sont consacrés. Battant en brèche notre représentation du monde où les animaux étaient avant tout un gibier, la représentation des indiens Crees établit avec les bêtes et la nature un contrat compliqué assorti de règles éthiques et d'interdits fondés sur l'absolu respect pour les vivants ; sans doute est ce pour cela que nos civilsations s'en sont retrouvées fascinées parfois même à outrance jusqu'à la caricature, alors peut être faudrait il relire ces livres qui ont tenté de rapporter au plus près et assez fidèlement les paroles et récits des indiens Crees comme "L'os à voeux"  (os magique), propos et récits recueillis, traduits du Cree en américain et présentés par Howard A. Norman. (Traduction française de de Laurent S. Munnich collection "La mémoire des sources",  et paru au Seuil en 1997). Un livre fortement conseillé par la maison, l'ouvrage est officiellement  présenté ainsi :

Un printemps près du lac Winnipeg, une oie des neiges apparut, très haut dans le ciel, isolée. Elle descendit en planant, se posa sur le lac et nagea jusqu'au rivage. Tout près, alerté par le vent qui apportait à ses narines l'odeur de l'oie, un lynx se tapit, bien silencieusement. L'oie tendit le cou un instant, aux aguets. Mais avant même qu'elle eût pu s'envoler, le lynx l'avait attrapée et la broyait entre ses dents. Il en dégusta jusqu'aux os et aux plumes. Soudain, alors qu'il allait briser un os pour en sucer la moelle, un homme poussa un cri, et en un instant le lynx se retrouva en haut d'un arbre. Parmi les débris de l'oie, l'homme trouva un os dont on dit qu'il protège le coeur - un os à voeux-  il le contempla avec curiosité. Or, il découvrit bientôt que cet os était un instrument de métamorphoses qui lui permettait de jouer des tours . Grâce à lui il pouvait faire apparaître des choses, simplement en en faisant le voeu, et pouvait aussi changer sa propre apparence, ou encore créer toutes sortes de situations.

Voilà l'histoire de la découverte de "l'os à voeux", telle que Jacob Nibénegenesabe, "achimoo" (conteur) fameux parmi les Indiens Crees des Marais, l'a rapportée au poète américain Howard A. Norman qui a vécu parmi les Crees pendant de nombreuses années. Mais au lieu d'en parler encore je vous livre un très court extrait de ces nombreux récits à lire sans modération, ce serait même une très belle idée de cadeau en after ou pour qui considère que Noël peut se fêter chaque jour de l'année ou juste quand il nous plaît. Extrait :

"Une nuit / il y avait un ours dans un champ / C'était la pleine lune / Soudain, les poils du dessous de la tête / s'envolèrent vers la lune / Je me détournai rapidement / et fis semblant de retirer une épine / de mon pied / L'ours / vit ses poils qui flottaient au clair de lune / Il grimpa dans un arbre / mais, alors qu'il approchait de ses poils / d'autres, encore plus nombreux, s'envolèrent vers la lune / J'étais toujours en train de retirer mon épine du pied / "Tu m'as pris mes poils" / me cria l'ours / "Non, c'est la lune qui te les a pris" répondis-je / L'ours / grimpa plus haut dans les arbres / "A ta place je ne ferais pas ça!" dis-je / "Cette lune / te veut sur elle!" / L'ours grimpa plus haut / C'était plus fort que moi / Je fis un voeu pour qu'il flotte au clair de lune! / D'abord je le fis monter en l'air / Puis je le fis descendre / Et cela plusieurs fois / Je continuais à m'occuper de mon épine dans le pied / pendant tout ce temps / "Ok, lune ! ou tu me prends / ou tu me laisses descendre!" hurla l'ours / Je fis un voeu pour qu'il descende / Alors il courut vers moi / Il savait que c'était moi qui lui jouais un tour! / Je courus - Vous auriez dû me voir courir! / "Tu cours bien vite / pour quelqu'un qui a une épine / dans le pied!" cria l'ours / à mes trousses."

Il existe un autre chouette ouvrage que les enfants ne bouderaient pas, il leur est totalement destiné, lecture à partir de 9 ans (personnellement ça me va très bien, et j'adorerai toujours certaines belles collections réservées aux moins de 15 ans) le petit livre est intitulé les "10 contes du grand Nord", il est également signé Howard A Norman traduit par Catherine Danison illustré par Diane et Léo Dillon, et paru chez Flammarion père Castor dans la collection Castor poche Junior, il relate assez bien tout cet imaginaire du grand Nord les 10 contes sont originaires D'Alaska, du Groenland et de la Sibérie, parus en 1999, je l'avais sorti du hasard d'un tas en vrac dans une caverne de la rue Michelet,  autrement dit dans l'improbable bouquinerie de L'abbé Pierre à Neuilly Plaisance mais je crains que l'ouvrage ne soit aujourd'hui plus disponible dans les belles librairies (m'a -ton dit) , mais il y aura toujours moyen, pour les malins d'aller chiner un peu, ici et là, les 10 nouvelles étant de pures merveilles à savourer... Pour tenter le Fripon lecteur il est parmi toutes ces dix,  une histoire de poupées ornythorynques qui peuvent se transformer, une autre tout à fait délicieuse où un pêcheur épouse une mouette... Je ne saurais vous en révéler davantage, et par l'art de je ne sais quel enchaînement tiré par une plume d'oie sauvage  j'ajouterai une very spéciale dédicace à l'unique habitant du Canada,  disons, seul et unique, que je connais ici, pour qui les contes et les voyages nous acheminent "au plus loin" mais surtout "au plus près" par d'improbables autant qu'exquises correspondances...

Photo: Le Trickster du Nabirosina né des premières fontes des neiges piétinées par un pas de chat (sauvage evidemment). Vu en Décember, un peu après Noël.© Frb 2010.

samedi, 25 décembre 2010

Quelques pas dans la neige...

Le plus bel arrangement est semblable à un tas d'ordures rassemblées au hasard.

 HERACLITE : 
citation in "Les penseurs grecs avant Socrate", trad. Jean Voilquin, éditions, Garnier Flammarion, 1964.

blanc205.JPGEffacées les fadaises, sauteries et vies déplaisent, les neiges vont éternelles, sur le pur iris des narcisses. Un parfum de feuille morte brûle au cordage, ce noeud engrange des voeux tels des graines. La neige vient, nous protège de toutes sortes de chaleurs humaines. L'oeuvre pure a vécu ses heures de grâce. L'oeuvre au noir ne passera pas au blanc. L'alchimique ratage du subtil à l'épais allant à sa cime comme aux déserts ouvre un fossé rempli d'enfants qui jouent sur du papier brillant. L'un renait l'autre meurt, l'un n'est plus au souci de savoir comment renverser ses joujoux, il les range à nouveau bien à leur place, ne les prêtera pas aisément. L'autre s'en accommode tout comme du triste temps. Les ans se suivent, on les relie à peine. Une barque gèle au rivage percée de balles à blanc.

Sur les vaisseaux d'un monde retombé en enfance je me consacre au menuet, "une danse à trois temps gracieuse, et noble, à mouvements modérés".

"Le plus court qu'on peut le faire c'est le meilleur. Mais lorsque l'on est parvenu au point de le bien danser, on peut de temps à autre y faire quelque agrément" (1) 

 

 1 2 : demi-coupé du pied droit
3 4 : demi-coupé du pied gauche
5 : pas élevé du pied droit
6 : pas élevé du pied gauche
(2)


 On pourrait préférer la gigue ou quelque sarabande qu'on danserait un ruban sur les yeux dans un jardin anglais, pour ne pas s'enflammer trop vite, mener l'hiver à l'apogée de quelque réchauffement pas plus intéressant qu'un saut de mésange à tête noire dans la neige blanche comme nos linges qui sèchent à la buanderie au fond d'une machine à sécher, autre cadeau du Père Noël, du beau père, ou d'une belle soeur qui dit "nous, cette année, on offre utile" comme on dit chez les grands. Nous pourrions apparaître soucieux du sentiment. "Mais ça ne risque pas mon pauvre vieux, nous sommes gelés depuis longtemps !", si portés à nous mêmes, effacés des romans, mais encore paradant devant la sarabande tout comme le mousquetaire héroïque nous agitons nos pieds n'importe comment, là, devant l'assemblée, dans la gloire de nous, le désir qu'on nous loue avec la générosité dans notre caractère, nous crions pour la sarabande "Pardieu, si je la sais !", déguisés comme un d'Artagnan, "lui qui ne savait rien du tout, mais qui voulait avoir l’air d’être au courant" (3) 

A peine signifiée l'illusion de nos fêtes réveille aux mesures de l'enfance le souvenir d'une carotte plantée dans un bonhomme de neige en guise de nez grossier ou fin, humant par la vitre d'une fenêtre fermée la truffe dans nos assiettes, ses arômes tout puissants et le sourire qui fuit déjà, nous serons hantés en dedans par l'an qui vient, ce spectre, nous couvrira de cotillons nous abolira d'estampies et nous battrons du pied gaiement par un mouvement d'aise oubliant un instant ce pli de rêveries, la tristesse, ces voeux vieux de l'année dernière qui ne sont jamais advenus. A l'oubli la maldonne, incompris, les joueurs tricheront pour retrouver leur fausse joie d'antan puis s'en iront jeter leurs souliers dans la sapinière, une dernière fois peut-être.

BASEMENT 5 : "Last White Christmas"

podcast

 

Références des citations : (1) et (2), extr "Le Maître à danser" de Pierre Rameau (Paris 1725) / (3): extr. Alexandre Dumas, in "Les Trois Mousquetaires", VIII (115).

Photo : Salut doux de l'hiver par la patte (du loup ou de l'agneau ?) qui vous souhaite bon Noël, (pas si joyeux, point trop n'en faut) photographié le 25em jour de December, quelque part sous un conifère dans les bois du Marquis de Montrouan © Frb 2010.

vendredi, 17 décembre 2010

Descendre

On n'échappe pas au spectacle du bonheur.

MAURICE BLANCHOT : extr. "Le ressassement éternel" éditions de minuit 1983

vitrineG.JPGTout est venu un jour de Décembre, le ciel était blanc, le vent écrasait les visages, la neige avait neutralisé nos ombres on lisait sous la peau des gens. Il suffisait qu'un seul s'immobilise pour que les autres s'y perdent complètement. Des groupes de jeunes riaient de ces passants ces "vieux" qui patinaient maladroits. Nul ne reconnaissait ce qu'il avait connu la veille, sans point d'appui réel, on se croyait déjà glissant vers d'autres mondes. Malgré tout cela "le spectacle continuait", il y avait sur la colline, une ferme des animaux, avec des moutons noirs, des chèvres à houpettes ou à sabots bleus, on rentrait sous des bâches visiter la foire aux produits régionaux, où des apiculteurs déguisés en abeilles avec des ailes en papier crêpon sur le dos, vendaient leur miel, tous les pots dérivés du miel, le "pain d'épice fait maison" et d'éclats d'orangettes, de noisettes. Le prix faisait tourner la tête, à ce qu'en disait la Jeanne Mouton qu'on voyait venir de loin à cause des tas de machins qu'elle portait en bandoulière sur une grosse veste dans les tons de marron tricotée main au point mousse, elle disait :"ce pain d'épice on le trouve à l'hyper-Ryon de Vaise, trois fois moins cher, et pour sûr qu'à ce prix là, ils nous font payer le papier crépon de leur ailes, les picsous !... "Des ailes ! on en avait à l'intérieur dans le dos, qui n'avait pas poussé pas besoin de papier crêpon !". Le vent nous décollait du sol et quand ce n'était pas le vent c'était la neige qui devenait toute noire et nous mettait encore le moral à zéro, c'était ou tout ou rien. On pataugeait là dedans, on se battait à moulin de bras contre la météo, on se battait tout court pour être les premiers au chaud, un peu comme  en été quand on irait à la mer, on voudrait tous prendre la place sur le sable blanc, là bas loin des serviettes-éponge, sans personne pour nous  déranger, on voudrait tous la plus belle place pour étudier la vie des coraux hermatypiques...

Mais ce coup-ci dans la neige, on était trop nombreux, ceux qui s'en sortaient le mieux c'était ceux qui faisaient les affaires, car ils avaient leur stand à eux, et nous le soir on rentrait chez nous fatigués à force d'avoir pataugé dans cette boue, les yeux piqués par les allées venues entre des stands chauffés à quasi 30° et le froid jusqu'à - 8 ° (confirmé par l'Evelyne Dalhia à la télé"). Quand on rentrait, chez soi, chez nous, chez eux, on croisait dans les vitrages de nos entrées d'immeubles, nos visages chiffonnés, des yeux qui n'étaient plus les notres, exorbités rouges virant violacés et nos paupières enflées nous faisaient un piteux regard animal, on avait l'air d'avoir subi "toutes les misères possibles et inimaginables" qu'elle disait mademoiselle Mouton. Tout cela n'était pas si terrible, on était simplement des êtres humains traqués par nos cadeaux. Tout en haut du visage ça se fendillait aussi, ensuite dans la salle de bain, on se prenait en pitié soi même, devant la grande glace, on se requinquait, on se séchait. Un vent tiède juste entre les yeux, on s'ouvrait aux secrets du Calor ; avec les crèmes, les baumes de la Norvège garantis sans parfum et sans paraben, on se retrouvait un peu. On allumait à 20H09, le feuilleton "Le coeur a ses raisons" il fallait passer la publicité, le Fanta la Danette, le trèfle parfumé et puis la bande annonce d'un hommage aux chanteurs morts des années 70 avec son invité-surprise, puis tous les bêtisiers. On feuilletait le télé Z, pour voir l'heure du Louis la brocante, il y aurait les réclames pour la capote anglaise, l'acné juvénile, le mal de gorge et le streptocoque, ça venait toujours au mois Décembre  les macarons suchard, tous les marrons glacés, et puis après la météo, encore qui revenait. La Jeanne Mouton elle avait attendu la journée en frottant un peu ses carreaux, les veines de ses vieilles mains, étaient comme les sentiers de son enfance, une guerre, ses endeuillés, mais loin. Le père qui rentrait de la chasse avec son grand fusil dans le dos, plus tard l'époux qui finit sa vie en charrette, toutes ces vies qui partent en sucette dans la panade, la Jeanne, le Georges, et les gars du chantier avec les chaussures à semelles crantées qui s'essuient pas dans le paillasson, la peur de la glissade, tout un tintamarre dans la tête, les annonces au supermarché des promos sur les bocaux de haricots blancs, les volets fermés de melle Branche, le coup de fil du régisseur qui veut qu'on enlève les plantes vertes de l'allée à cause des gars des internettes qui viennent poser la fibre optique, les cadeaux à penser, Le sapin, les étoiles, la crêche, les escabeaux, les guirlandes dans la boite en carton avec les santons de provence, les courses pour le lendemain il faudrait penser au séjour à Tignes chez les cousins, acheter le billet de train, faire tous les magasins avec la queue être dans la queue, attendre. Les journées seraient longues, "heureusement, qu'elle nous disait, disait la Jeanne Mouton, heureusement que  tous les soirs, pour se reposer on retrouve notre feuilleton". Nous on n'était pas d'accord avec ça, nous, on détestait tout ce qui passait et repassait dans cette télévision mais pour une fois, on ne contrarierait pas la Jeanne Mouton, on s'installerait bien comme il faut sur le canapé en velours, on mettrait sur ses genoux un plateau avec des affaires faciles à manger, on appuierait sur le bouton, on attendrait en s'énervant un peu, que se terminent leurs informations, avec ces politiques "toujours la même chanson" et quand reviendrait le générique de notre feuilleton, comme chaque soir à la même heure, on retrouverait nos héros préférés, un brin magiques qui nous ressemblaient parfois, ils faisaient tous parti de la famillle à présent ; c'était comme la famille, sans les inconvénients. Oui, quand on entendait le générique, on était aux abois, on serrait la télécommande tout contre nos cuisses et on disait à tous ceux qui étaient là : "taisez vous ! ça commence !".

Photo: Un petit manège miniature dans la vitrine raffinée d'un marchand de je ne sais plus quoi du côté de la place Saint Nizier photographié à Lyon presqu'île, en December.© Frb 2010.

mercredi, 15 décembre 2010

Déserts

Il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente

CAMILLE CLAUDEL

Il y a toujours quelques sons dans les images image_0201.JPG

Je désespère parfois de ne pas vous amener là où il serait possible de me comprendre, je vous montre un chemin et vous me répondez qu'il mène nulle part, il ne s'agit que d'un chemin. Vous pensez aux destinations, vous êtes pressé d'arriver, et pendant nos conversations, je pose très patiemment un mot qui pourrait engendrer l'oisiveté, l'immobilité, d'invisibles ramifications tout cela me transforme à mesure que je parle. Cette façon ne me permet pas de songer à l'avenir.

Ce dernier jour est mon premier dernier jour ensuite je serai autre. Vous me regardez marcher au hasard, et vous dites que je patine, qu'il est impossible de savoir où je vais et cela vous angoisse. Vous préféreriez encore que je vous désigne "nulle-part", je mettrai une croix sur une carte. Je vous dirai "nous sommes ici" cela vous apparaîtrait encore comme une destination. Ainsi dois-je demeurer toujours un peu extérieure à ce pas qui est au dedans de moi, et qui ôte le sens à ma parole dès que j'essaie de vous le décrire. Si ce pas pouvait s'acheminer sans moi, je le laisserai vous conduire et m'abandonnerai là.

Je retrouve l'altitude dans des décisions singulières, de quoi nourrir des aventures d'une autre espèce, les convier à mesure, plutôt que d'attendre une providence ou un événement susceptible de renverser mes constructions. Un miracle pourrait-il durablement nous transformer ? Ne finirions-nous pas par nous en lasser comme du reste ? Le mener tout à l'ordinaire sans nous apercevoir à côté de quoi nous passons, sans nous soucier que cette chose qu'il nous a plu de saccager est arrivée une fois et ne reviendra plus jamais, quoique nous fassions. L'absence d'entretien tue nos forces. Le sacré, n'est pas ce quu'on croit il est plus libre toujours un peu hors de ce qu'on en a fait. St Paul n'a-t-il pas déclaré : "Tout est permis ?". On peut aimer les saints et ne pas croire en leurs prières ni en leurs Dieux.

Je songe à la voie de Tristan : sa passion désirait aimer sans limite au delà des formes et du temps, au delà du moi désirant, au delà de tous les attachements terrestres. Sa passion désirait ce cercle où l'amant et l'aimée puissent se confondre en un seul être dans le règne sans fin de l'amour sans réveil, alors rien serait ni vrai ni faux, ni tien ni mien, ni séparé. Si cela était de nos mondes, nous ne pourrions pas l'accepter, car nous serions dans l'innommable. Le silence qui naîtrait de cette confusion, de ces joies inconnues, de ce pouvoir délivrant toutes les possibilités humaines, nous serait intenable.


Dans le flot houleux
Dans l'éclat sonore
Dans la tourmente
Infinie du souffle du monde
S'engloutir
S'abîmer Inconscient
Joie suprême

Photo : Transformation d'une affiche de mode en simple cri encore humain, vue dans la vitrine d'une boutique de prêt à porter masculin au seuil d'un centre commercial pour lequel je ne ferai pas de publicité, c'était donc quelque part à Lyon, rive gauche, en Décembre .© Frb 2010

samedi, 11 décembre 2010

Un léger décalage...

Connais le prix des circonstances le perce-neige lui doit son charme.

PYTHAGORE

fleur et neige se cachent peut être derrière l'image, pour le savoir il faut chercher...serres2481.JPG

Perdu dans le pays de neige, sa ville qu'il ne reconnaît pas, le promeneur (urbain) ne comprend pas pourquoi il n'y a pas de perce-neige au jardin, mais sans doute aura-t-il oublié de se répérer dans le calendrier floral, auquel cas il aurait su que "perce neige" n'arrivera que le 2 Février, (violette de la chandeleur"). Le promeneur déçu aura rêvé trop tôt le printemps, pour ne pas se désespérer à la perspective d'une attente longue, peut-être incertaine, il refermera son herbier se glissera avec légereté dans la légende (dite allemande) à propos de la neige et de la fleur.

"Quand Dieu fit toutes choses sur la terre, il demanda à la neige d'aller vers les fleurs et de se procurer un peu de couleur de leur part. Une par une les fleurs refusèrent. Alors, très affligée, la neige demanda au perce-neige de lui donner un peu de sa couleur et le perce-neige accepta. En remerciement, la neige lui permet de fleurir le premier chaque fois que le printemps se montre." 

Patience....

Photo :  Ceci n'est pas un arbre à perce-neige. introuvable, perce-neige... Pas vu, mais vu le Parc de la Tête D'Or, (sous un ciel sombre) du côté des serres, méconnaissables, enneigées, et ensauvagées comme jamais, (ou  rarement). Lyon, Décember. © Frb 2010

lundi, 06 décembre 2010

Words words words

I'll be you,  I want you, I love you,  I really want you, I got a line on you, I miss you, I'm gonna miss you, I lost you, I need you now, I knew you knew, I'd come for you, I'll stand by you, I just wanna make love to you, I believe in you, I give all my love to you, I put a spell on you, I follow you, I love you more,  I can't tell you why...

If you want translators, you can touch click on the lovers with your mouth IMG_0170.JPG

You've got the love, you're not invincible, you can let go, you're going to age, you're a hologram, youv'e changed, you'll never find, you'll disappear, you make it easy, you were never there, you set off my brain, you really got me, do you remember ? You never had it better, you make two weeks two days, you make me feel, you look like rain, you already love me, you just can't win, you sure love to ball, you go the silver, you got me hummin', you don't know love, you get me, did you get my message ? Do you ring my bell ? You do something to me, you could have both, are you passionnate ? Do you love me ? You love me, because you love me, tell me you love me, you love to sing, you're an ocean, you can't hide love, take what you take, you can't do that, you can't always get what you want, you can move back here, you can do what you like, you own me, you are what you is, you make me feel like a whore, you make me like charity, thank you for loving me, you should'nt kiss me like this, you make lovin fun, you are the terror, you decorated my life, you rock my world, kiss me like you mean it, you are never alone, do you wanna dance ? Would you love a monsterman ? You're so real, you go to my head,  you bring me down, you fail me, you belong to me, Who you are ? You are the music, you are my life, you make me so very happy, make you smile, you are my sunshine, you're my only home, you are what you love, you kept me waiting too long long long long long long long long long...

I wanna take your higher again, I've got the world on a string, I'm waiting for the man, I'm waiting for the day, I'm throwing my arms into Paris, I'm so lonesome, I could cry, I'm a loser, I'm not angry, I'm smashed, I'm goin' a fire, I'm leaving you for solitude, I wanna be your dog, I'd much rather be with the boys, I won't support your love, I won't back down, I woke up today, I wish you, I wish I knew, I will survive, I will, I was gone, I was a lover, I'm a woman in love, I'm not in love, I used to try, I talk to the wind, I have a vision, I think I'm paranoid, I start to run, I see a darkness, I'll be around, I saw her standing there, I need some money, I may have a drink, I needed this, I love your eyes, I can't get no satisfaction, I've got so much to give, I'm with stupid, I singing in the rain, I am the black gold of the sun, I don't need no doctor, I am very sorry, I'm new here, I'm not like everybody else, I'm in the house, I'm going away, I'm a man, I love London, I learned the hard way, I know very how I got my name, I kissed a girl, I just don't know, I hear the rain, I gotta be goin', I got the feeling, I got my mojo working, I fought a crocodile, I feel fine, I don't wanna be a soldier, I don't need that kind of lovin', I don't mind, I don't care, I didn't know what time it was, I can't wait, I can't get started, I can't explain, I can't believe we did, I can't see it in your face, I can't not poet be, I can't never go home anymore, I came as rat, I do it for your love, I do I do I do I do I do I do I do I do I do ...

 

TOBIE LURIE : "Love"

podcast

 

 Source et note : Ce billet a été rédigé après une sélection drastique issue d'une liste de titres pop contenant des mots précis, (le lecteur adoré l'aura bien compris), les titres sont extraits de ma sonothèque personnelle et de celles de quelques amis (gougoules forbidden) versés dans la musique de beatniks que je remercie (les beatniks et les amis). Ce billet conçu via un procédé nommé "wip", est agrémentable à loisir toutes autres suggestions pertinentes et personnelles (no gougoules, no dix heures) seront accueillies avec les égards qu'elles méritent.

Photo : "You and me" en balade aroumeuse, (on va le dire comme ça), c'est de l'usurpation d'identité. Quel toupet ! et je lis, d'après l’article 434-23 du code pénal, que le fait de prendre le nom d’un tiers dans des circonstances frauduleuses et sans l’accord du tiers, est puni de 5 ans de prison et de 75 000 euros d’amende, mais je tiens à signaler, aux lecteurs, lectrices, à monsieur le ministre que je n'usurpe pas les noms, je ne sais pas dans les combien ça ira chercher, gageons que tout cela sera sauvé par l'indulgence de nos lovers qui ont certainement mieux à faire que de se regarder de dos sur un blog, et l'aroum triomphera de tout, au final. Les lovers ont été photographiés sur le "pont des (gros) soupirs" à Lyon, jadis appelé pont de l'université (University's bridge over trouble water), rebaptisé "pont des (gros) soupirs" par deux ou trois rabat-joie (ils se reconnaitront) effrayés par l'éminent, l'imminent 8 Decembre. Comment c'est fini ? Mais non rien n'est jamais fini ! never never ...  © Frb 2010. 

dimanche, 05 décembre 2010

Monstres doux

On n'est pas sur terre pour pondre des livres et qu'il est difficile d'écrire sans fastes, simplement vrai, comme on vit !

BLAISE CENDRARS : extr. "Blaise Cendrars vous parle", éditions Denoël 1952. 

monde171.JPGLa vie de Blaise CENDRARS, on le sait, est un roman, vrai, et plein de mensonges, elle permet un nombre illimité de lectures, ce qui explique un bon gros tas de malentendus que CENDRARS a toujours entretenus avec une joie presque enfantine. Des grands vertiges de Ménilmuche transformés en contes africains, aux trajets coutumiers en autocars jusqu'aux voyages dans les grands trains (Transsibérien pour n'en nommer qu'un seul), CENDRARS n'a jamais cessé de prolonger l'état d'éveil. Ses grands calculs il les fait pour ceux qui ne comprennent rien aux petites comptabilités ordinaires, exemple (entres autres, encore, pour lui, fumer une cigarette équivaut au temps du trajet en bus des Batignolles à la gare Montparnasse.) De "L'or" succès incontestable /"La découverte de l'or m'a ruiné. Je ne comprends pas"/ à "Moravagine" grandiose et délirant /"nous remontions l'Orénoque sans parler"/, CENDRARS a l'énergie des remises en cause radicales, il vit dans la mémoire de ses personnages, il vit plusieurs existences à la fois, et se refusera toujours que son existence se limite à une seule et unique trajectoire.

Champignonnage. Phosphorescence. Pourriture. Vie. Vie, vie, vie, vie, vie, vie, vie, vie. Mystérieuse présence pour laquelle éclatent à heure fixe les spectacles les plus grandioses de la nature. Misère de l'impuissance humaine, comment ne pas en être épouvanté, c'était tous les jours la même chose !

Un instant entre ses dérives, nous retrouvons CENDRARS à la terrasse d'une brasserie de la Porte d'Orléans, dans la banlieue sud de Paris. Il s'apprête à revoir un monsieur qui a des allures de moine chauve,  dont "l'érotisme monomaniaque" est partout proclamé voire décrié, on l' accuse de pornographie. HENRY MILLER, en personne, droit comme un bonze, attend CENDRARS assis sur une  bonne chaise en paille. BLAISE CENDRARS, indolent, courtaud, rougeaud, et le corps porté en avant a rendez-vous avec celui qu'il surnomme le "Chinese rock bottom man", ("le chinois qui a touché le fond"). Pour MILLER, la voix de CENDRARS évoque "Le tumulte de la mer". La main tendue vers lui est chaleureuse. A peine installés, les deux hommes retrouvent leur belle complicité d'antan, entre eux, une si grande évidence, n'a pas tant besoin de se dire. Ils reprennent une conversation jadis suspendue là où elle en était. D'un continent à l'autre, ils n'ont jamais manqué de s'adresser leurs ouvrages dès leur parution, au moins pour témoigner de leur santé mentale qui est très bonne malgré un désespoir qu'ils savent l'un et l'autre incurable, mais ils ont besoin de ce réconfort mutuel pour mieux s'assurer que "les imposteurs ne méritent qu'indifférence". Leurs sujets de conversations sont inépuisables. Le tout venant est leur domaine, ils ont accès à tout. On aurait pu rêver de se métamorphoser juste un instant en papillon (style éphémère) pour voltiger d'un verre à l'autre à la table de ces deux là, afin de dérober à notre tour quelques bribes d'une conversation qui nous rendrait quelques points de vie, tant MILLER et CENDRARS sont curieux, boulimiques, stimulés par le flux verbal, la surenchère des mots, la parole enivrant, plus encore que l'alcool, tout cela monte en eux, jubile jusqu'au fou rire, ils dévident en copains et dans la bonne humeur les secrets de leur mytholologie perso, leurs récits ou projets de vagabondages. Paris, New York, la Grèce, les sentiers de Californie, les remous de toutes aventures, les trimardeurs et les routards en fugue... Autant qu'ils peuvent, ils essaient d'échapper aux accrocs, au coups bas qu'ils connaissent bien, à ces misères vécues dans cette drôle d'Amérique qu'ils ont également en commun. Ils se re-connaissent quasi jumeaux dans ces aventures sans ancrage et cherchent encore. Hors circuit tous les deux, semblables en d'autres temps, ils sont les hommes qu'ils ont été jadis pour un instant présent qui ne concède rien aux idées d'échéance, ils ont tous deux plus que la littérature, ils en connaissent le geste, les mouvements fictifs ou réels, le mode de vie risqué quand les tous les présents, les passés, leurs futurs, se conjuguent jusqu'à la confusion, jusqu'à  la création d'un nouvel état de grâce. CENDRARS glisse d'un sujet à l'autre, sans trait d'union, digresse, bifurque, puis il s'embarque par jeu dans une douce provocation, sans préambule il demande à MILLER :

"Vous devez vous faire une haute idée de Lawrence n'est ce pas ?"

Pour MILLER ça devient difficile d'être flou, d'autant que CENDRARS enchaîne très vite.

Franchement vous ne le trouvez pas un peu surfait ?

On sait que CENDRARS (sans doute pour raison d'estomac), écorna sans vergogne quelques uns de ses contemporains, dénonçant les attitudes "écrivassières", la vanité autocratique des businessmen de l'édition, il s'illumina, touchant ça et là aux plus belles icônes de son temps puis se lassa aussi rapidement de ses propres persiflages. On sait (et à plus juste titre qu'avec LAWRENCE), que CENDRARS se gaussa joliment du père ANATOLE FRANCE :

Ce vieux croquemitaine souriant.

Il refit le portrait d'une façon brève et nette, de l'intouchable PICASSO,

Ce batard de l'académisme.

Vif et définitif, l'oeil de CENDRARS voit clair, et sa verve inflammable incise comme une lame. Il s'amuse à  faire vaciller son copain MILLER, qui pour une fois, manquera de répartie. MILLER défend mal son ami  D.H LAWRENCE, auteur pourtant du torride "Lady Chatterley". Il abandonne assez vite l'idée de défendre qui que ce soit, il préfère écouter CENDRARS qui  déjà le réembarque en quelques secondes pour une autre conversation qui s'inclût tout autant dans la même, pourquoi pas ? A noter contre l'anecdote que quelques années plus tard, c'est le mot "tendresse" qui viendra naturellement à CENDRARS pour évoquer son lien avec D. H LAWRENCE. Et cette contradiction sera encore d'une grande fidèlité.

A la station Porte d'Orléans, CENDRARS précipite les adieux. MILLER retourne en Amérique. MILLER n'aura  jamais oublié l'article que CENDRARS consacra un jour à ce livre magnifique qu'est "Tropique du Capricorne", cette oeuvre charnelle jugée trop sexuelle fût interdite dès sa parution en 1939 mais CENDRARS avait déjà "reniflé" l'écriture et la pyrotechnie d'Henry MILLER ne lui était pas si étrangère :

Un régal, un livre atroce exactement le genre de livre que j'aime le plus.

A la fin de son article, CENDRARS annonçait déjà, au delà d'un enthousiasme de lecteur, de critique, une espèce d'humanité commune ou plus exactement une gémellité :

Je me devais de vous saluer mon cher Henry MILLER, car moi aussi j'ai erré, pauvre et transi dans les rues hostiles d'une grande ville à l'étranger où je ne connaissais pas âme qui vive et où j'ai écrit mon premier livre. C'était dans votre vieux New York, mais ceci est autre histoire...

  Nota 1 : Ce billet s'est largement inspiré d'un petit livre formidable promu au destin de livre de chevet qui serait par ailleurs une très chouette idée de cadeau à mettre dans les chaussures de quelqu'un qu'on aime bien (il n'y a pas que les auteurs à la mode qu'on peut commander au Père Noël). L'ouvrage a pour titre  "Pour saluer CENDRARS" (l'hommage est savoureux, le contenu très fidèle à son titre), il est signé Jérôme CAMILLY, et, pour la gourmandise, le livre est  illustré magnifiquement par Robert  DOISNEAU. Le tout est édité chez Actes Sud (1987), ce sera le coup de coeur de fin d'année de Certains jours et des jours qui suivront. 

 Nota 2 : La vignette ci-dessous est un fragment  (ou copie) d'un portrait de CENDRARS par DOISNEAU une, parmi les nombreuses photos qui illustrent ce livre, elles sont toutes admirables et parfaitement référencées.

Autres liens, (certes pas utiles, on dira donc en complément, et tout à votre guise) :

http://www.cebc-cendrars.ch/

http://www.franceculture.com/oeuvre-blaise-cendrars-la-vi...  

Plus quelques voix...

http://ubu.artmob.ca/sound/miller_henry/Miller-Henry_Thir...  

... Dont une certaine étrangement tronquée jusqu'où ? On n'en saura pas davantage ...


cendrars visage027.JPG

 

 

 

 


 

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Remerciements à : "La revue des ressources" d'où provient ce précieux document.

 Photo : Graff mural idéal. Un seul mot pour deux monstres doux, qui referont le mur, photographié un peu partout, entre plusieurs allers retours Lyon-New York, je ne sais plus quand, je ne sais plus où. © Frb 2010.

jeudi, 02 décembre 2010

La chaleur humaine

J’ai passé ces derniers mois à passer ces derniers mois. Rien d’autre, un mur d’ennui surmonté de tessons de colère.

FERNANDO PESSOA, Lettre à A. Cortes Rodrigues.

chaleurF2640.JPGDe manière progressive, une teinte un peu grise dominait à présent. La poussière devenait liquide quelques éclats abimaient le velours qui avait recouvert la ville tous les jours précédents, la couleur de l'ennui revenait comme toujours, et nous déplorions cet instant où la ville silencieuse avait rassemblé dans le froid les volontaires qui distribuaient la chaleur humaine gratuitement à l'entrée des magasins ou dans les bouches de métro, rien que des volontaires enjoués, prêts à tout pour distraire les passants, les éloigner de "la pensée frileuse" qui s'invitait dans les maisons et couvrait tout du voile de la dépression venue par les brouillards d'Octobre, les premiers frimas de Novembre et les noëls où il manquait toujours quelqu'un aux festivités, chez les uns et les autres, pour que la fête soit absolument réussie. Les solitaires ne souffraient pas. La "dépression saisonnière" pour eux, c'était tout le temps, mais les solitaires ne comptaient pas, ils appartenaient au "domaine à part" qu'on avait classé "atypique", l'adjectif fourre-tout "atypique" plutôt en vogue courait dans des dossiers spéciaux, sur les listes d'attente et vidé de son sens, on avait choisi "atypique" plutôt que ses synonymes tels : "exceptionnel", "hors norme", "inaccoutumé", "inhabituel", ou "singulier" qui connotaient trop dans le particulier, "atypique" était un mot atypique même, une façon de considérer la chose sans vraiment la considérer, les solitaires n'étaient pas tout à fait dans la marge, pas assez dans la marginalité, on pensait d'abord aux familles, aux clans, à tout ce qui rentrait dans les statistiques, il fallait préserver leur joie, leur cohésion, l'intégrité des plaisirs, tout en leur transmettant la certitude qu'ils appartenaient à une collectivité vraiment active, leur forger une identité, une communauté, quelque chose qui ait l'air solide, leur livrer l'illusion leur en fabriquer d'autres, jusqu'à ce qu'ils se sentent protégés par quelque plan définitif. Les volontaires, des jours entiers affinèrent leur stratégies, leur action fût dévouée aux terrains les plus "sensibles". Les volontaires portaient les sacs et les valises des pauvres gens, engageaient les conversations, complimentaient les dames, laissaient leur place aux vieux. Aux époux qui allaient seuls au bistro se saouler avant de rentrer les volontaires offraient un pot, y ajoutaient les distractions (blagues belges, histoire de blondes, bonne humeur et bons mots). Il y avait dans cette sorte de bonté accompagnée de manières généreuses, la gratification de plaire inséparable du souci d'attester que la chaleur humaine était une constante de l'humanité, malgré les derniers évènements, les décrets aberrants, la liberté qui sourdement se réduisait, divisant des classes entières de gens, rien ni personne ne pourrait attenter à cette valeur proclamée "sacrée" de la chaleur humaine, aucun gouvernement ne pourrait jamais modifier ce que la nature avait désiré libre, rien, jamais n'aurait l'outrecuidance de réduire la chaleur humaine à moins que ce qu'elle était, même si chacun laissait au secret ses petits enchantements personnels, c'était justement ça, le travail de ces volontaires : faire fructifier les prodigieuses ressources de chacun, un peu partout afin que la morosité ne ronge pas la saison et n'empêche pas, par ailleurs les réformes de se faire. Les volontaires croyaient à une vie meilleure, ils mettaient une ardeur particulière à divertir les gens, ils se disaient indépendants, bien qu'une rumeur courait qu'ils étaient payés en avantages par les gouvernements. Le ministre de la solidarité, lui même, n'avait pas caché au journal de 20H00, qu'il avait commencé à songer à la création d'un "bureau des chaleurs humaines" avec un système de bons, de tickets, et d'emprunts à un pourcentage raisonnable et des campagnes de prévention menées par des psychologues qu'on pourrait associer à des prêtres pourquoi pas à des artistes ? (Il y en a de serviles-...) qui évalueraient le potentiel de chaleur humaine que chacun pourrait offrir à son prochain dans des proportions raisonnables, et mettraient en place des dispositifs ludiques et opérationnels, pour recréer une dynamique dans le tissu social des villes voire des quartiers. Il y aurait aussi un "bureau des débordements" afin d'éviter toute exagération, on avait réfléchi à des quotas, des systèmes d'amendes et à des soins relatifs aux pathologies "débordantes", il y aurait des orientations systématiques encadrées par des assistants au volontariat, qui permettraient de réguler les flux déviants vers des centres spécialisés dans les troubles psycho-affectifs remboursés par la sécurité sociale jusqu'à 57,3 %, cela, doucement, se mettrait en place par la grâce d'un mécénat proposé par les grands noms de l'industrie pharmaceutiques. De même qu'on réfléchissait à "une journée de la chaleur humaine" où chacun pourrait rencontrer son voisin et l'embrasser avec toute l'affection qu'il n'osait lui offrir dans l'année. Les créatifs d'évènementiel inspirés par des performers d'art contemporain, planchaient sur un projet dément : des farandoles géantes de citoyens et de voisins qui iraient d'immeuble en immeuble chercher d'autres voisins, ils partiraient de ville en ville pour que la chaleur humaine se diffuse et dépasse les frontières, il y aurait des feux d'artifice, des ballons, des lancers de radiateurs symboliques, chacun serait encouragé à offrir des fleurs aux passants, ou à inviter à déjeûner chez lui, celui qu'il jugerait plus démuni que lui. On demanderait aux maires dans les villes d'engager des débats sur les places, aux gens de se parler spontanément, on fabriquerait des affiches invitant les consommateurs à se faire mutuellement la conversation dans les magasins, à s'aimer sincérement, on puiserait l'émotion cachée au fond de chacun pour que le monde ne soit plus qu'émouvant. On pensait même organiser un grand "love-in" de fin d'année animé par des vedettes déjà très investies dans le projet, on parlait de Yannis Noanne, Mimile Matry, de Florent Pagnol et peut être de Claudine Fion, on ferait venir Michel Pornaleff et Jean-Lichel Marre, l'entrée ne serait pas donnée, mais grace à cet argent on pourrait fonder prochainement, un "ministère de la chaleur humaine" qui bénéficierait de moyens, grâce aux dons, pour imposer à tous la valeur de chaleur humaine, guidée des professionnels pluralistes et attentionnés. Il y aurait cette idée de "générosité méritée" appuyée par des philosophes qui viendraient en parler à la télé en bidouillant grosso modo Voltaire à partir d'une seule phrase qui serait placardée dans tous les établissements scolaires, les halls de gare, à l'entrée des supermarchés :

"Rien ne se fait sans un peu d'enthousiasme"

 On prévoyait d'ici 2025 de mieux distribuer le trop plein de chaleur humaine de certains à ceux qui en manquaient, ainsi s'acheminerait-on vers un monde plus parfait que le précédent, aussi convivial que porteur d'espoir d'une civilisation plus authentique, plus équitable. La chaleur humaine allant de pair avec le coeur à l'ouvrage, c'est dans la joie de tous et toutes, marchant main dans la main, qu'il fallait que les bonnes choses se fassent.

Photo : La foule du cours Emile Z. vue d'avion (l'avion de certains jours ne vole pas haut mais c'est quand même un avion). Villeurbanne in December © Frb 2010

mercredi, 01 décembre 2010

Sur le banc de neige

Viens
allons voir la neige
jusqu’à nous ensevelir !

BASHÔ, extr: "Haïku. Anthologie du poème court japonais",
Gallimard, 2002.

Si ce banc vous déplaît en cliquant sur l'image, vous gagnerez sûrement un autre banc. banc de neige647 b.jpg

 Sur le banc de neige je me suis allongée ce matin pour y dormir jusqu'au lendemain. Le banc avait des airs d'ermitage alcestien, quand je m'y suis réveillée, le froid m'engourdissait les mains alors j'ai pris la position du penseur (de Rodin), pour penser à des tas de trucs, à tout un tas de machins. Sur le banc de neige j'ai pensé...

Aux journées à la mer, au bord des lacs et des rivières, aux trouées du vieux Blaise sur des feuilles luisantes et caoutchoutées, j'ai pensé qu'on pourrait monter la route en lacets sur des bottes luisantes et caoutchoutées, j'ai pensé aux tours carrées des villes qui vues de loin paraissent rondes, j'ai pensé que nous regardons les jours diminuer tandis que les nuits deviennent longues, j'ai pensé à ces hommes célèbres qui ne sont pas encore nés, à ces talents ignorés, cette multitude d'artistes pourtant doués qui mourront sans avoir connu un quart d'heure de célébrité, j'ai pensé aux ateliers culinaires de Jean Luc Rabanel, sur le banc de neige, j'ai pensé aux îles flottantes, aux dé-collages d'Asger Jorn, à la taille prodigieuse d'une force dépassant tout ce qu'on peut imaginer, j'ai pensé à Ariane dans l'île de Naxos, gémissant sur l'abandon et l'ingratitude de Thésée, j'ai pensé à la vérité du monde qui n'est pas notre vérité, sur le banc de neige j'ai pensé...

Aux rochers suspendus au dessus de la mer éternellement rongés par le sel de ses eaux, aux corps qui ne semblent pas connaître l'érosion, aux âmes sans agitations, aux esprits qui renversent tout à la moindre contrariété, sur le banc de neige j'ai pensé à la porte de Saint Ouen, au prince de Monaco, et au Panathénées. J'ai pensé aux machines à polir et culotter les grains de cafés, au grallator, au térébinthe, sur le banc de neige j'ai pensé au visage de ce nègre qu'on crût longtemps barbouillé d'encre et aux joues gonflées du père Louis faisant corps avec sa trompette. J'ai pensé aux amants qui n'auront le droit de s'épouser qu'en 2797, au tracé rectiligne qui coupe la forêt Morand jusqu'à ces feuilles géantes qu'on espérait de bananier mais qui portent un nom trop savant pour un effet assez médiocre,  j'ai pensé au lac de Saint Point envahi par les crustacés, au grallator fuyant le térébinthe. Sur le banc de neige j'ai pensé que l'on fondrait peut être à la place de la neige si on avait la certitude qu'elle ne fonde plus jamais, j'ai pensé aux amis malheureux qui cherchent à tout se dire, et ne trouvent pas moyen. J'ai pensé à "l'heure bleue", à "la petite robe noire" de Delphine Jelk, à ces notes de coeur citronnées, de tête au macaron framboise, à cette note de fond au thé fumé, j'ai pensé  à des volets qui s'ouvrent, dans une auberge de Méditerranée avec vue imprenable sur un verger d'agrumes,  j'ai pensé aux formules poétiques courtes mais de grande densité, à l'interminable haiku d'ISSA :

Être là,
tout simplement,
au milieu de la neige qui tombe.

Aux questions imprudentes de SHIKI (Masaoka)

Il y a bien longtemps,
je l'interrogeais sur
la profondeur sans fond de la neige.

Sur le banc de neige, j'ai pensé aux diverses déformations de la volonté jusqu'à l'exaltation ou l'excentricité puis à toutes les craintes qu'elles inspirent, j'ai pensé aux éternels hivers d'hyperborée, à l'humidité qui attaque le bas des murs, aux moisissures qui se glissent entre les poils d'un col de ragondin, et aux paupières tristes comme des pétales fanés de ceux qui ne savent pas où aller. Sur le banc de neige j'ai pensé qu'au lieu de penser sur un banc on pourrait tout autant penser la même chose sur une luge, qu'il suffirait peut être de décoller le banc et puis le bricoler de façon à le rendre plus mobile. J'ai pensé que ce banc ne serait beau que blanc, qu'il nous le faudrait blanc tout le temps mais que ce serait absurde de peindre la neige en blanc du fait qu'on aurait peine à trouver le même blanc et qu'il serait d'ores et déjà vain de s'évertuer à chercher un rendu plus fondant. Sur le banc de neige j'ai pensé qu'on penserait peut être différemment si l'on était bercé par les jeux vocaux des inuits, qui battraient la mesure en tapant sur le banc, mais ça n'empêcherait pas de penser aux mêmes trucs, et aux mêmes tas de machins, et que, moralité:  il n'est pas possible de battre le banc sans abîmer la neige. Sur le banc de neige j'ai pensé.

 

INUIT- Throat-Singing

 



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Photo : Le banc de neige, longeant les berges du Rhône quelquepart entre le pont De Lattre de Tassigny et le Parc de la Tête d'Or à Lyon. Photographié dans les premières et volumineuses neiges du premier jour de December.© Frb 2010.