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mardi, 15 décembre 2015

Ce qu'il reste

 

 

 

vendredi, 06 mars 2015

H/ombres (II)

Je veux tout dire, tout, tout, tout ! Oh, oui ! Vous me prenez pour un utopiste ? pour un idéologue ? Oh, détrompez-vous, je n’ai, je vous l’assure, que des idées si simples… Vous ne le croyez pas ? Vous souriez ? Parfois, vous savez, je suis lâche, parce que je perds la foi ; tantôt en venant ici, je me disais : "Comment entrerai-je en matière avec eux ? Par quel mot faut-il commencer pour qu’ils comprennent quelque chose ?"

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Quelle peur j’avais ! Mais c’était surtout pour vous que je craignais ! Et pourtant de quoi pouvais-je avoir peur ? Cette crainte n’était-elle pas honteuse ? L’idée que pour un homme de progrès il y a une telle foule d’arriérés et de méchants ? Ma joie est de constater en ce moment que cette foule n’existe pas, qu’il n’y a que des éléments pleins de vie ! Nous n’avons pas lieu non plus de nous troubler parce que nous sommes ridicules, n’est-ce pas ? C’est vrai, nous sommes ridicules, frivoles, adonnés à de mauvaises habitudes, nous nous ennuyons, nous ne savons pas regarder, nous ne savons pas comprendre, nous sommes tous ainsi, tous, vous, moi, et eux ! Mon langage ne vous blesse pas, quand je vous dis en face que vous êtes ridicules ? Eh bien, s’il en est ainsi, est-ce que vous n’êtes pas des matériaux ? Vous savez, à mon avis, il est même bon parfois d’être ridicule, oui, cela vaut mieux : on peut plus facilement se pardonner les uns aux autres et se réconcilier ! Il est impossible de tout comprendre du premier coup, on n’arrive pas d’emblée à la perfection ! Pour y atteindre, il faut d’abord ne pas comprendre bien des choses. Si l’on comprend trop vite, on ne comprend pas bien. C’est à vous que je dis cela, à vous qui avez su déjà tant comprendre… et ne pas comprendre. À présent je n’ai pas peur pour vous ; vous ne vous fâchez pas en entendant un gamin comme moi vous parler ainsi ? Non, sans doute ! Oh, vous savez oublier et pardonner à ceux qui vous ont offensés, comme à ceux qui ne se sont donné aucun tort envers vous ; cette dernière indulgence est la plus difficile de toutes : pardonner à ceux qui ne nous ont pas offensés, c’est-à-dire leur pardonner leur innocence et l’injustice de nos griefs ! Voilà ce que j’attendais de la haute classe, voilà ce que j’avais hâte de dire en venant ici, et ce que je ne savais comment dire… Vous riez, Ivan Pétrovitch ? Vous pensez que j’avais peur pour ceux-là ? Vous me croyez leur avocat, un démocrate, un apôtre de l’égalité ? (Ces mots furent accompagnés d’un rire nerveux.) J’ai peur pour vous, pour nous tous, devrai-je dire plutôt, car je suis moi-même un prince de la vieille roche, et je me trouve avec des princes. Je parle dans l’intérêt de notre salut commun, pour que notre classe ne disparaisse pas dans les ténèbres, après avoir tout perdu par défaut de clairvoyance. Pourquoi disparaître et céder la place à d’autres, quand on peut, en se mettant à la tête du progrès, rester à la tête de la société ? Soyons des hommes d’avant-garde et l’on nous suivra. Devenons des serviteurs pour être des chefs.

Il fit un brusque mouvement pour se lever, mais le vieillard, qui l’observait d’un œil de plus en plus inquiet, l’en empêcha encore.

— Écoutez ! je ne m’abuse pas sur la valeur des discours, il vaut mieux prêcher d’exemple, commencer tout bonnement… j’ai déjà commencé… et — et est-ce que, vraiment, on peut être malheureux ? Oh, qu’est-ce que mon affliction et mon mal, si je suis en état d’être heureux ? Vous savez, je ne comprends pas qu’on puisse passer à côté d’un arbre, et ne pas être heureux de le voir, parler à un homme, et ne pas être heureux de l’aimer ? Oh, malheureusement je ne sais pas m’exprimer… mais, à chaque pas, que de belles choses dont le charme s’impose même à l’homme le plus affolé ! Regardez l’enfant, regardez l’aurore, regardez l’herbe qui pousse, regardez les yeux qui vous contemplent et qui vous aiment…

FEDOR DOSTOÏEVSKI extr. de "L'idiot", traduit par Victor Derély, éditions Plon, 1887.

 

A découvrir, ici, une autre traduction, décapée et lue à l'arrache par l'acteur magnifique, Vincent Macaigne.

 

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Photo: le fleuve Rhône vu d'un pont à quelques tasses (brasses ?) du rivage familier. 

Nota: En cliquant sur l'image du fleuve, sans trop vous retourner, vous pourrez peut-être, voir la mer...

 

Lyon © Frb 2015.

dimanche, 16 juin 2013

L'abolition des privilèges

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Ailleurs © Frb 2013

vendredi, 04 janvier 2013

Ne t'efface pas

Il semble que la vie restera toujours inachevée. Mais on demande une chance supplémentaire.

André DHOTEL : extr. "Le pays où l'on n'arrive jamais" éditions Pierre Horay, 1995.

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C'est entre deux temps, l'un volontairement ralenti que je trouvais dans une valise, quelques fragments d'un livre de André Dhôtel, un auteur magistral, dont l'esprit merveilleux à chaque lecture semble nous restituer un pan secret de l'univers. En ouvrant quelques pages du livre à l'aveuglette, je tombais pile sur cet extrait, il semblait que cela pouvait convenir à ce point de l'année (ou de la précédente) grosso-modo à la croisée, de l'heure et du retard, jeu de broderie là bas, et ici ravaudant entre la fin du monde, et les petits commencements coutumiers, des suites à griffonner sur des vitres où le ciel et la terre sont au mieux une image, au pire, un idéal.

A part ça, quelquefois, on ne peut que broder. Il n'y a plus de frontière dans le calendrier. On profite des grisailles, on ne veut rien louper de cette heure quand des brumes tirent les personnages là, au milieu du ciel, dieux du flou, parenthèse incomplète, allant à l'opposé de nos jours saturés, de nos voix vivant moins en nous qu'au dehors - autant d'yeux/ d'autres voix ne cherchent plus entre elles à se persuader qu'elles seraient plus réelles qu'une parole, remueraient ciel et terre pour un mot déplacé, vérités comme une masse à la fin capturée, c'est un seul homme qui clame - je suis vrai- je suivrai la parole d'autres mêmes - et la mienne effacée, se dissout dans l'espace, il n'en reste qu'un trait, un peu de brume encore. Des petits trains muets longeant la voie ferrée, croisant quelques remblais. Ensuite ça redémarre. Toujours on dérivait. On voyait quelques hommes qui passaient leurs mains par la fenêtre, faisaient des moulinets devant l'expostion des tableaux alignés, variés ou tous pareils. Est ce que ça importait ? Vues d'un train, des clôtures aux fenêtres, arrimées à ces lettres: un verrou par sujet, gardant la citadelle. C'était là, le pays où l'on arriverait.

Le cantonnier qui balayait les dernières feuilles est venu ramasser les sapins de Noël. C'est comme l'année dernière, à quelques détails près. Puis l'an d'après ça rebelote : automne hiver printemps été...

On aura trouvé de l'agrément à chercher simplement un quai, dans un endroit paumé sans panneau, ni frontière, pour s'offrir une escale au pays où l'on n'arrive jamais. Moins qu'une formule désespérante ça demeurera toujours un supplément discret ou de la nonchalance et parfois un peu d'ombre nous retrouve en silence. 

Le cantonnier qui volait dans le ciel avec les feuilles mortes ne dévoila pas les secrets que nos coeurs emportaient, son pas l'invitant à marcher sous les arbres, juste avant le passage qui va de l'ombre à la lumière, une étincelle, à peine, tenant encore le reste.

On n'aurait aucun mal à se pavaner tranquillement d'une rue bien pavée jusqu'à l'étendue paisible autonome des fourrés, des forêts et des étangs sauvages pour y cacher son faix, se fondre à l'épopée, retourner cahoter, aborder les sentiers afin d'éprouver les limites de ces foules, de ce corps roulant comme la feuille entre les joncs bleutés, longeant un peu les baies, là bas où l'on se dore, jouant dans les reflets d'une barque retournée à l'envers.

On ramène des images sans chercher à savoir qui tournera la page, s'échouera à moitié, tourne ou sera tourné. On entendra les cornes de brume: un son qui ne dure guère, dont l'écho s'éternise et ne vaut pas qu'on laisse ainsi cingler l'espace.

On serait heurt / spectateur, dans cette marge exsangue retenant l'échappée, elle prend de si loin l'objectif, fait exprès de rater son but, aborde le vieux singe qui se perd sous son arbre. On continue à vivre dans la réalité - je vous jure que tout est vrai, ma bouche, mes yeux, mon nez ! et mes chaussures de marche qui marchent dans ce pays, pour serrer le vieux singe et ses gros doigts carrés, s'il referme sa patte, le pays disparaît.

Toi tu dis - c'est pas vrai ! ça ne peut pas exister, tu parles comme une toupie, on va pas tout gober/ utilité d'un mot allant à l'objectif, louant celui qui joue le rôle de s'échiner, des mots pour amuser. La galerie nous enflamme, quand on veut converser c'est un fragment du bruit. On peut tout laisser dire. On entendra les cornes, un paysage de brume, nous mènerait à l'impasse, désolant comme l'ennui. On s'étonne. Que sais-tu, de l'ennui ? De celui qui l'éloigne ? Qui parle aux animaux et voudrait faire sa vie au pays où l'on n'arrive jamais.

Tu n'es pas étranger près de cet étranger, il paraissait tenu par un autre défi, on voudrait essayer de déjouer l'oubli d'un partage advenu.

Il resterait longtemps assis là, sur sa borne, à attendre, on ne peut pas signifier qu'on s'était lentement perdu dans le langage / ou le plus simple mot/ butant sur cette ronde qui invite à marcher/ la tête dans les épaules. Tout brillait si gaiement, vu d'en bas chargé d'armes, contre les jours maussades, il y a des parades. Faut-il s'en contenter ?

Lui, il conserve sa part, il n'alignera pas ce peu de force vive pour s'égayer d'un bruit, qui va dans les objets émettra le bruit grave de les accumuler ; des peuples s'y enivrent, ces voix dont le prestige est un terrassement encore abstrait, détruiront le réel, on ne sait pas comment, ces voix colleront sur nos bagages un label "qualité" après quoi on pourra s'enfuir, ou bien l'on se retire, et le point de départ sur le point d'arrivée, n'est qu'un pas de côté pour se griller la place. Le corps embarrassant, nous bâterait comme un âne qui voulait lui aussi trottiner sous les arbres au pays où l'on n'arrive jamais.

Quel diable les possédait à vouloir s'évader ? C'est bien pour nous aider qu''un jour ils nous rattrapent / aider ? / ah ? / réussir ? / mais réussir quelles vies ?  

On libérera le livre, il flottera sur l'eau calme pour les cent mille ans à venir. Il passera de main en main, d'aussi près qu'il paraissait n'ouvrir sur rien de précis. Une empreinte animale contre une tête d'homme usée se couronnera de phrases annonçant le déclin de nos civilités.

Des signes extraordinaires dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les peuples paralysés de frayeur devant le fracas d'une mer démontée./ (Luc 21.25-27). Là où l'histoire s'arrête, n'en retiendrait-on rien ? 

Ou si peu de nous réunis, s'il n'y avait pas ailleurs un sourire dans les yeux du passeur, posant son galurin près de nous sur la rive, nous voyant à genoux et avançant sa barque, chuchotera encore :

Il y a dans le même pays plusieurs mondes véritablement.  

Le présent, le souvenir, cent mille ans à venir. Laissera-t-on filer l'homme embarqué comme l'enfant parti on ne sait quand avec quelques copains allés si loin, qu'il revient seul, presque au point de départ. Encore si près de nous qu'on croit l'avoir déjà rencontré quelquepart, quand d'autres pourraient jurer qu'ils l'ont vu chaque jour, seulement tourner en rond, depuis les cent mille ans qui ont passé, si vite, et autant à venir.

C'est peu, pensera-t-on, en guettant sur l'horloge l'heure de ce rendez-vous, des milliers de secondes à raconter l'attente. A ne penser à rien ou bien à regarder ces foules au coeur du monde se faire une place au soleil. Quelques cornes qui grondent et la monnaie sonnante dira que tout va mal/ ça ira mieux demain. Rien que de l'ordinaire. Cent mille mots de conquêtes à la fois fausses et vraies, aucune qui n'ait pas balisé d'avance nos trajets. Cent mille jours de silence rendant force à ce souffle dont l'immédiateté repousserait un instant celui de s'effacer, ne pourrait rien connaître de ce patient retour qui toujours nous retient. Où est notre mémoire ? Qu'y'a t-il après rien ? / Que dire pour que tu saches ? / Une terrasse de café/ simplement/ presque rien/ des années-lumière/ une seconde/ où mon pas se glissait/ dans le tien/ pour aller regarder les étoiles.

 

 

  

 

 

photo: Là bas. Une image embarquée. Buisson flottant et des coraux.

 

Nabirosina © Frb 2013

mercredi, 28 décembre 2011

Orea Phone

Devance tout adieu, comme s'il se trouvait derrière
toi, à l'instar de cet hiver qui va se terminer.
Car entre les hivers, il est un tel hiver sans fin
qu'être au-delà de lui, c'est pour ton coeur l'être de tout.

RAINER-MARIA RILKE : extr. "Sonnets à Orphée" (1922)

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Sans doute existe-t-il une histoire de la vocalité qui se confond contre toute espérance, à l'histoire des mondes unis ensemble. Une épopée originelle perdue puis retrouvée, par les mondes que nous fabriquons, rêvons, et que parfois, un bref instant, nous augurons.

Le mythe d'Orphée nous touchera toujours avec force puisque Orphée est la figure incarnée de la vocalité et que la voix jouit d'un statut ambivalent, innocente, ou malfaisante immatérielle, ou incarnée. Orphée est bien cette voix qui fît remonter Eurydice des enfers, mais si la voix parvint à Eurydice par la force d'un chant, c'est que Orphée chanteur était aussi musicien.

Pourrait-on imaginer un chanteur dont la voix ne s'adresse à rien ni à personne ? Peut-être en existe-il un ou deux, qui toucherait le vide des choses, comme autant le vide des êtres. Il serait là, sans doute en soliloque comme déjà en enfer.

Et cette voix dont le son reviendrait toujours à ses oreilles, finirait par ne plus être perçue par son corps, glisserait doucement de l'auto-affectation jusqu'à l'auto-altération.

Il est permis de penser que Orphée chanta pour susciter la coïncidence, ou plus exactement faire coïncider sa voix avec celle d'Eurydice, et cela ne sera pas, comme on l'imaginait une manière de fusion, mais une manière de révélation, pour faire émerger :

 "Ce qui veut naître de moi par toi" 

http://www.youtube.com/watch?v=KCYcWpMDWLQ&feature=re...

Citation de fin de billet, Paul Valéry, in "Les cahiers".

Photo : Ciel vu d'un arbre, je ne me souviens plus lequel exactement, photographié, là bas , près de Saint Cyr, (loin des enfers).

© frasby 2011.

dimanche, 04 décembre 2011

Porté par la chose faite

Comment saturer ce qui est déjà saturé ?

danger.pngComment répondre ? Il y aurait soit trop à dire, (on aurait l'air embarrassé), ou rien, pas grand chose mais il se peut que ce "pas grand chose" prenne les dimensions de la montagne la plus inaccessible.

Il se peut, à l'exemple de Bram Van Velde, qu'il y ait une discipline assez serrée qui oeuvre par nécessité dans l'obsession de dépasser les limites de chaque ouvrage afin d'accéder à une forme de discernement, (un poète dirait illumination) qui s'atteint peut être, ou jamais, par des chemins simples ou sophistiqués, ces lieux communs, je vous les livre assez banals, ce sera encore exprès, tels que souvent on les entend un peu partout, on les surprend, pour signifier qu'il faut sans doute se noyer, se cogner longtemps (au delà, ça deviendrait informulable) et ne rien céder aux injonctions plus raisonnables qui rendraient à la vie sa tranquillité et glisserait la pensée dans un confort, mais cela c'est sur le papier qui n'est pas qu'en papier évidemment...

A la volée, dans un bazar urbain, (en vrai, au figuré) au milieu d'une file d'attente assez endurante, je tombe sur un journal qui reproduit un tableau de Bram Van Velde. Ce tableau me relie à un autre ouvrage remarquable, que l'on vient de me prêter, un texte publié chez Fata Morgana en 1978 réédité chez POL : une rencontre de Charles Juliet avec Bram Van Velde où l'écrivain demandait au peintre

- Pourquoi  peignez vous ?

La réponse dût tomber aussi claire pour le peintre qu'elle fût troublante pour l'écrivain

- Je peins pour tuer le mot.

C'était la même raison qui nous avait poussés à choisir la musique, d'un support à l'autre, me revient une autre phrase, un passage fulgurant où Bram Van Velde réfutant un pilier d'une philosophie enracinée se faisait affreusement lumineux, c'est par l'oxymore volontaire que je bouclerai la boucle tout en laissant la boucle ouverte, sans rien résoudre, ni espérer, ni enfermer après quoi toute messe ne pourra se dire, exactement comme on avait prévu de s'en persuader. Je cite :

 

Je pense donc je suis de Descartes est de la foutaise. Il faut dire  : Je pense donc je m'écroule.

 

Bram Van Velde entretien avec Charles Juliet 1979 by editions POL. Ecouter : un instant fulgurant, rarissime, une voix en état de grâce...


 

Text : by frasby, thème, livres et documents sonores proposés par Paul.

Remerciements : à "Raidi pour", présent, disponible, qui discrètement participe, déploie nos pistes de lectures et autres tentatives, insufflant aux thèmes choisis ici, (ou là bas), un mouvement, qui ne pourrait se contenter de débats et de livres.

Photo : Haute tension, début de décollage. Le danger inévitable ? Le danger en voie d'anéantissement ? A chacun sa lecture. 

© P./ frb/ Rp  2011.

samedi, 04 juin 2011

A tribute to Maurice Garrel

"Je pensais ne pas passer le cap de l’année 2000. Finalement, nous sommes en 2011 et je suis toujours là. Il faudra m’abattre à la carabine !"

MAURICE GARREL (24 Février 1923 - 4 Juin 2011), extr. des entretiens de l’émission "A voix nue", par Dominique Féret réalisée pour France Culture en Mai 2011.

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Personne n'aurait vraiment souhaité abattre Maurice Garrel à la carabine, on aurait bien aimé, je crois, le voir encore jouer longtemps. L'acteur est mort, ce 4 Juin 2011 à l'âge de 88 ans, et bien que je ne sois jamais très à l'aise pour chroniquer les disparitions, je tenais à rendre un petit hommage à cet acteur que j'admire depuis que je l'ai vu pour la première fois dans ce vieux film extra, d'Alex Joffé, datant de 1960, intitulé "Fortunat", où Maurice Garrel y jouait le petit rôle d'un inspecteur de la milice, aux côté de Bourvil et de Michèle Morgan, et peu après je le revis en Monsieur Bontemps dans "La peau douce". Maurice Garrel était aussi le père du réalisateur (mythique), Philippe Garrel, ("J'entends plus la guitare" entre autres...), le grand père du beau Louis et de la belle Esther, (tous deux aujourd'hui acteurs également), il fût l'élève de Charles Dullin et de Tania Balachova, il devint pensionnaire de la comédie française de 1983 à 1985. On l'a remarqué chez Truffaut, Rivette, Costa Gavras, Chabrol, Doniol-Valcroze, Deray, Deville, Sautet, Cavalier, René Clément, Marcel Carné, Pierre Kast, Chéreau, Despleschin, Lelouch, dans les films de son fils ou dans ce film étrange, "Alors voilà" réalisé par Michel Piccoli. Et j'en oublie beaucoup... Le plus souvent, il a joué les seconds rôles, il a oeuvré pour des courts métrages, pour le théâtre, pour la télévision, il s'est aussi essayé à la mise en scène avec Laurent Terzieff (un autre "magnifique" disparu, l'été dernier). Il fût nominé deux fois pour les Molière en 1992 et 1994, et deux fois aux Césars pour le meilleur second rôle masculin dans le film (superbe), "Rois et reines" de Arnaud Desplechin, et surtout pour "La discrète" de Christian Vincent où son jeu adhère au personnage avec une classe d'un naturel époustouflant, chacune de ses apparitions se savoure et mène le film à l'excellence. Je n'ai pas trouvé beaucoup d'extraits disponibles sur le net où l'on peut visionner des scènes significatives du fin travail d'acteur de Maurice Garrel, j'ai donc choisi parmi les rares qui nous sont actuellement accessibles et ça tombe plutôt bien, pour ce jeu, qui paraît flegmatique mais révèle un travail d'acteur précis (là où "le travail" justement ne se voit plus). Il y a un autre charme chez Maurice Garrel c'est sa voix au phrasé très particulier, cette élégance un peu maussade, très enveloppante, un je ne sais quoi de magnétique qu'on pourrait appeller plus simplement "une présence". Extrait choisi, entre deux scènes, ça passe trop vite, regarder ce jeu, écouter cette voix, est un pur régal.

 

 

Autres liens pour découvrir plus en détail l'itinéraire de Maurice Garrel, à lire ci-dessous trois articles de presse parus juste après sa disparition  :

http://www.lexpress.fr/culture/cinema/petite-histoire-du-...

http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/06/05/l-acteur...

http://www.parismatch.com/Culture-Match/Cinema/Videos/Hom...

A écouter, une suite des entretiens de l'émission "A voix nue" consacrée à Maurice Garrel, ici le second entretien, il y en a cinq en tout, la page vous ménera à l'intégralité, selon votre désir.

http://www.franceculture.com/emission-a-voix-nue-maurice-...

Photo : tirée du film "La maison des bories, réalisé en 1969 par Jacques Doniol-Valcroze

lundi, 17 janvier 2011

La grande route

Parfois le murmure se répand que nous sommes visités par des ombres transparentes.
Qui sait ? Qui sait ?
Comment retrouver leurs traces quand on a peine à se retrouver soi-même ?

HENRI MICHAUX, extr. "L'Espace aux ombres" in "Face aux verrous", éditions Gallimard, 1992.

pour connaître le début de cette histoire vous pouvez cliquer sur l'imagegrde road4091.JPG

Les jours passèrent longs et stupides, nous étions moins joyeux. Nous avions laissé les chansons, fabriqué des chapelets. Ils ne servaient qu'à passer le temps. Nous nous bercions de prières, nous les récitions à voix haute en marchant. Elles portaient aussi d'autres chants, nous avions cessé, à force de répétition, d'en ressentir tous les bienfaits. Au mieux, cela nous fatiguait. Une lueur blanche émanait d'un sommet. C'était là, notre terre promise. Il semblait que là haut, les châteaux se multipliaient. Nous fûmes un instant en Espagne ou mieux, en Amérique. Les habitants semblaient agglomérés en un point lumineux qui se trouvait sur la lune mais ce n'étaient que les formes exagérées de la lune qui chaque nuit hantaient nos rêves de présences et de sons. Nous entendions les voix des créatures nous parler dans l'oreille ; ce langage, nous l'avions connu peut-être autrefois, il nous rappelait encore une langue disparue, celle des  villes où nous avions vécu. Nous nous étions persuadés que ces voix étaient incarnées quelquepart en un lieu qu'il fallait découvrir avant que nos forces s'amenuisent. Un jour, on l'espérait, elles viendraient nous guider, elles pourraient même nous accueillir. Quelquepart il y aurait un point où nous pourrions cesser de marcher, enfin, vivre tranquilles !  nous avions fabriqué ces voix à force de croire que nos vies pouvaient être éclairantes pour d'autres vivant à l'opposé, sur d'autres rives. Nous avions tant de choses à nous apporter, entre étrangers, comme s'il était promis à ce faux semblant de hasard, l'avènement d'une forme charitable, attirée par la nouveauté qui pouvait entièrement combler un besoin de réenchantement mutuel, infini. Nous avions fabriqué ensemble, une légende à venir, envoûtés par une sorte de fièvre. Nous voulions des héros pour conjurer l'ennui. Croire en de nouveaux dieux, peut-être. Nous avions traqué jour et nuit, les manifestations des créatures. Nous cherchions dans le moindre craquement, les bruissements d'insectes, un contact serré avec les créatures, même une simple brindille nous faisait sursauter,  il s'ensuivait un grand émoi, tout dans la démesure. Nous avions même appris à lire, peu à peu  les variations émises par le vent, à tel point que nous aurions pu en écrire les rythmes sur une partition, cela aurait pu être joué dans nos anciennes villes par les plus grands orchestres symphoniques. Nous en rêvions. Nous étions restés à l'affût, jusqu'à cette obsession d'établir un dialogue avec les créatures. Il était impossible qu'une seule d'entre elles ne puisse pas nous comprendre et peupler rapidement le vide dans lequel nous vivions. C'était une intuition commune, une rêverie fraternelle, par laquelle, nous nous proposions de bouleverser nos existences. Les voix nous revenaient en songes, elles s'étaient indistinctement mêlées aux notres, plus ordinaires, ou presque aphones, nous avions hâte d'ajouter un choeur à nos chants, pour réanimer tous les souffles. Les voix en réalité demeuraient inaudibles, plus muettes que l'espace qui vibrait des sons pleins de ce vide intenable, et d'une solitude collective plus harcelante encore que si nous avions été seuls en réalité. Le jour où nous en fûmes conscients, notre vertige se transforma, en une sorte d'effroi, une chute qui porta le malheur et la confusion entre nous. Maintenant, quand la lune est visible, c'est pire. Dans ces nuits là, l'effroi revient à l'identique, et il n'en finit pas, jusqu'à la disparition de la lune au petit jour. Le ciel est vide. Cela nous fait apprécier les moments où nous ne sommes plus inquiets les uns des autres. Marcher devient notre principal soulagement, s'il n'y avait pas ce vide, par instant, il nous serait sans doute plaisant de contempler le paysage, tout en marchant même si jamais nous ne trouvons le lieu. Il faudrait oublier. Quitte à créer n'importe quoi, comme toutes ces statuettes en bois, des marionnettes, ou reculer, retrouver l'ignorance des débuts, quand chacun croyait que le pays que nous cherchions était tout près. Il suffisait de bien s'entendre, surtout d'être patients, d'imaginer que la grande route qui s'allongeait  déjà, à mesure que nous la déroulions, n'était qu'un pont reliant une rive à une autre. Les créatures lunaires, profondes, au lieu de nous secourir, nous avaient éloignés les uns des autres. Aujourd'hui il y a non seulement la route, mais une autre route entre nous, invisible qui nous happe et nous coupe en morceaux. Aussitôt que parait la lune, notre ancienne hallucination nous clive, nous restons des heures allongés dans l'herbe, les yeux ouverts, sans trouver le moindre charme aux étoiles. Nous reprisons de vieilles pensées, en accusant secrètement ceux qui étaient autrefois les notres, comme nous, ensorcellés dans l'ombre roulés par une lueur, nous les haïssons de nous avoir aidés à croire à des choses impossibles. Le reste du temps, nous sommes presque muets, figés par ce qu'il nous vient de haine, elle pousse en nous, nous sommes tous dans le même état, impuissants à la repousser. Nous ne partageons plus que des banalités. Un jour nous deviendrons complètement sourds. Il ne restera que cela, la hantise dévorera nos figures, la laideur entre nous perceptible, jour après jour, creusera nos traits, assèchera ce peu d'enfance qui nous choyait avec ses créatures splendides. Ces lueurs répudiées diffuseront l'incendie, sous la chair et nos corps gentiment en apprivoiseront les débris. Nos yeux s'abîmeront à force de ne cotoyer que cela, toute la sécheresse et nos figures devenues suspicieuses n'auront plus la moindre expression amicale. Il n'y aura plus d'emportement facile, à mener nos chevaux de bois au festin de la lune. Tout ce manque nous abolira, quand la panique devenue coutumière, nous donnera enfin l'impression de solidité, nous continuerons sur la grande route, nous marcherons en file indienne, tout comme avant. Pas tout à fait. Nous marcherons, c'est tout. Nous dormirons dans les forêts. Rien ne sera changé. Apparemment.

(A SUIVRE)

Photo: La grande route (des Charpennes) dans tous ses états, photographiée de la fusée d'occasion Appolo 11 aimablement prêtée (et pilotée) par trois vieux copains cosmonautes (merci les gars !), afin de nourrir les fantaisies démesurées de certains jours. Villeurbanne. © Frb 2010.

lundi, 11 octobre 2010

Out of the blue

Nous vivons dans l'envers du monde, le monde véritable du feu est sombre, palpitant, plus noir que le sang : le monde de lumière où nous vivons en est l'autre côté.

D.H. LAWRENCE in "L'homme et la poupée". Extr de "Amant et fils - L'homme et le poupée - L'amant de Lady Chatterley- Nouvelles". Editions Gallimard 1992.

IMG_0044.JPGGagner la limite de l'écho. S'étonner que partout des gens luttent pour quelque cause. Marcher à côté d'eux sans bruit. Compter les collines innombrables aux flancs légèrement érodés. Savoir encore courir. Courir après.

Assouvir sous la pluie les délits, cacher sa plainte. Se faire ombre délicate. Courtiser les poètes. S'enflammer, en aimer un seul. Se laisser vivre. Rouler sous la banquette ou en Rolls sur les Champs Elysées. Abuser d'alcool polonais. Goûter aux drogues artisanales. Perdre pied. Devenir incompréhensible. Chercher la sagesse dans le sport. S'engoncer dans une veste en cuir. Fuir les gens. Tout bazarder.

S'embarrasser d'une incartade. Mépriser l'art. Etre rongé de palissades. Epancher toutes ses doléances au comptoir d'un café avec des inconnus idiots, à moitié ivres, n'éprouver aucune honte précise à cela ou les éprouver toutes. Faire le cadet de ses soucis des exagérations d'autrui. Se contenter de peu. Choisir des journées simples. Opter pour des prières extravagantes devant les stalagmites, les stalagtites qui coulent goutte à goutte à la voûte des souterrains.

Naviguer en eaux troubles. Se pourvoir d'une méthode carrée. Chercher l'autre dans un parc parmi les aliénés. Ne pas le reconnaître. Le voir et le trouver changé. Revenir écoeurée du monde. Abhorrer la chimie. Avoir envie d'administrer à certains diplômés (pas tous) de la "médecine de l'âme" (soit-disant), les mêmes traitements qu'ils préconisent pour leurs patients, les regarder devenir légumes avec le sentiment d'une vengeance légitime et du travail bien fait. Eviter l'alvéole. Se faire pendre juste après le combat. Hésiter entre la retraite à plus de 60 ans ou une fin choisie parfaitement anticipée. Chercher la voix d'un autre qui s'inflige des châtiments. Se sentir impotent face à qui perd le nord. Trouver le panneau des départs. Echapper vite.

Fuir la voix de son maître. Se faire livrer des roses par un serviteur qui oublie la chose confiée, et soudain sans que vous ne le sachiez, se met à vous dominer par mégarde. Offrir au tout venant ses rêveries intimes. Eviter toutes les malveillances. Compter les jours. Les ranger dans des cases, cocher les cases avec une craie. Faire chou blanc d'une fraîcheur matinale dans un bocage microscopique. Protéger la fine fleur rosée par l'aube qui dévore la lune. Ouvrir la porte sur le confort tout familial enguirlandé d'offrandes des Noël indécents. Craindre le père Fouettard puis Janvier sous le gel. Ecraser de ses propres mains quelques colonies de limaces glissant sur les reins d'une statue qui brûle au jardin botanique. Se gaver des fêtes à outrance, goûter l'hypocras couchée sur les marches anciennes de la maison de Thérèse, dans la chambre de Marguerite, vestale du Sacré Coeur et d'un mal plus ou moins sacré. Craindre les papillons de nuit. Leur ressembler.`

Croire que les déserts renforcent la mémoire. Enjôler les aspects prouvant que la matière peut réellement soutenir la forme. Affiner le caillou, le caresser sans y penser tout comme on caresserait le crâne d'animaux tombés des falaises. Partir un crayon sur l'oreille, reconquérir le lieu, la formule peut-être. Se croire porteur de panacée universelle, pourvu d'un don extra lucide, répéter les mots à la suite qui conjurent l'endeuillement. Rouler au milieu des rosaces dans les régions tempérées de l'ancien monde. S'hybrider par la toute puissance du père, du fils, du Saint Esprit. Devenir solitaire en marche, rêver les yeux fermés sur un fil agiter ses bras au bout d'une ficelle. Se faire femme et poupée. Acheter un seul fruit au marché, le poser sur une table parfaitement nettoyée, se l'approprier, comme le faisait Michaux, jadis avec sa pomme :

"Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité !"

Revivre toutes les formes de la cruauté. Devenir deux, et m'adonner à vous, tandis que votre esprit repose, loin du monde, après tout. Vous dormez, quelqu'un veille, et vous fait croire que les déserts sont des univers pour vous, qu'ils vous protégeront désormais de tout accident regrettable. Devenir une friandise émiettée dans un autobus, assourdie par les cornemuses d'un groupe de manteaux écossais. Sentir sous la pluie de vraies hallebardes tomber et retomber. Se dire qu'on aimerait que quelqu'un nous explique la théorie du météore minuscule, comment le dinosaure a pondu un jour un archéoptéryx, pourquoi les feuilles des églantiers ont cinq à sept folioles elliptiques. Espérer mettre fin au débat qui agite la science sur la question. Parler de déréglement climatique avec le commis du pépiniériste et sentir le dérèglement tout court, nous pendre au nez. Penser à l'unique seconde d'il y a 160 millions d'années, en période jurassique à l'époque où l'océan venait tout juste de se former. Regarder l'automne avancer.

Craindre une collision dangereuse, une glissade sur des feuilles mortes, des peaux de banane dans l'escalier. Courir en cette ville infestée de d'hérétiques. Convoquer en soi les mensonges, les vérités de l'argenture. Songer à ces gens à traiter qui subissent un grand lessivage pour le bienfait de leur mental puis après avoir été dégraissés, polissés rentrent chez eux l'âme amollie, balayée des passions. Se cuivrer, se chromer, s'oxyder jusqu'au drame. Recouvrir tout le fonctionnel pour lequel nous sommes dévoués, tout le sens d'exister. Se perdre au grand supermarché devant les bouchons noirs des bouteilles de curaçao. Se dire qu'on aimerait bien que quelqu'un nous explique d'où vient ce bleu.

 

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Photo : Un verbe qui se mouille à la pluie d'October photographié en début de soirée entre les échaffaudages d'un chantier au quartier du Tonkin à Villeurbanne. © Frb 2010

mercredi, 04 novembre 2009

Du style vocal de l'homme

"Danger dans la voix : avec une voix forte dans la gorge on est presque incapable de penser des choses subtiles."

F. W. NIETZSCHE in "Le Gai Savoir" (1887). Editions Flammarion 1997.

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Tous les sons d'animaux se retrouvent chez l'homme, et tous ont pénétré de manières différentes les communications humaines. L'Homme peut aussi grogner, hurler, geindre gémir, gronder, rugir, crier etc ... Il serait inconsidéré de dire que le langage est né exclusivement d'une mimique onomatopéïque d'un paysage sonore, mais que la langue ait évolué et évolue avec l'environnement, cela ne fait aucun doute. Les poètes et les musiciens en ont gardé le souvenir vivant "même si l'homme moderne d'aujourd'hui, ne fait que marmonner" dit R. MURRAY SHAFER. Le linguiste Otto JESPERSEN écrit à propos de "l'aplanissement du style vocal de l'homme", je cite :

"Maintenant du fait du progrès de la civilisation, la passion ou tout au moins l'expression de la passion est modérée et nous devons en conclure que le langage non-civilisé et primitif était plus passionnément agité que le notre et qu'il se rapprochait davantage de la musique et du chant "

Il est tout à fait possible que le langage se soit développé à partir de quelque chose qui n'avait d'autre but que celui d'exercer les muscles de la bouche et de la gorge, de s'amuser et d'amuser les autres en produisant des sons plaisants ou peut être en expérimentant de soi des sons étranges...

Quand à l'aplanissement du style vocal chez l'homme, je me demande s'il ne faudrait pas plutôt parler "d'appauvrissement". Ou comment un être humain vivant en milieu urbain (dans nos sociétés occidentales), constamment sollicité, (voire saturé) par toutes sortes de signaux sonores incessants, peut-il encore s'entendre ? Ecouter pleinement son interlocuteur et harmoniser son mouvement avec le chant du monde ?

Pour ne pas en rester sur une question trop floue, une perception trop approximative, je vous invite à découvrir quelque lecture suggérée par les recherches de Philippe LE GOFF, (compositeur, acousmaticien, enseignant  en langue inuit) qui étudie depuis longtemps, les pratiques vocales inuits et a apporté un éclairage passionnant sur la notion d'oralité. En Inuktitut (langue inuit), la "voix" se dit "nipi", un terme générique qui désigne "le son". Un écrivain contemporain prestigieux TAMUSI QUMAQ (mort en 1993, auteur d'un dictionnaire Inuktitut de 30 000 mots), souligne que la voix n'est pas un trait spécifique à l'humanité mais qu'elle est partagée avec les animaux. Il y a aussi chez ce peuple une rhétorique du corps qui donne au silence toute sa signification parcourant tous les rapports sociaux et que l'observateur étranger peine à comprendre. On attendra d'un innumarik (d'un adulte accompli) qu'il contrôle ses émotions et sa parole : parler fort et s'emporter est considéré comme un comportement puéril et dangereux pour un adulte. Mais cette retenue ne signifie pas que cette culture est austère. Le rire, l'éclat de voix, la dérision ont aussi toute leur place. Le corps chez les Inuits, est pleinement une dimension du langage habité par la voix et le silence. L'espace arctique étant dépourvu d'arbres (brésars), il n'offre pratiquement aucun abri naturel, il faut donc inventer, construire, fabriquer. Le corps devient alors à la fois un outil et un refuge.

A visiter le site de Philippe Le Goff : http://phgough.free.fr/

 

Inuit : "Assalalaa
podcast

 

Photo : Le chat qui s'en va tout seul, écoute aux portes des humains... Vu sur la Colline près de la rue de Crimée. Lyon Croix-Rousse. Novembre 2009. © Frb

jeudi, 21 mai 2009

Voix et volutes

"J’appelle à moi les tornades et les ouragans
les tempêtes les typhons les cyclones
les raz de marée
les tremblements de terre
j’appelle à moi la fumée des volcans et celle des cigarettes
les ronds de fumée des cigares de luxe
j’appelle à moi les amours et les amoureux
j’appelle à moi les vivants et les morts ... "

ROBERT DESNOS. Extr. "La voix de Robert DESNOS" (14 dec 1926), in "Corps et biens". Editions Gallimard 1953.

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Ros(s)er la vie en grises volutes. Les cigarettes de Robert D. ne connaîtront jamais, (on l'espère !), le sort de "la pipatati"... Desfois qu'il "leur" vienne à l'idée d'effacer carrément du poème, ces "ronds de fumée", et autres volutes Desnosiennes, pour livrer l'oeuvre enfin, nettoyée des scories, à nos chers têtes blondes. On enlèvera aussi peut-être des manuels, que Robert DESNOS était un mauvais élève, enfin, il n'aimait pas les cours, (ce n'est pas pareil), ni le patriotisme qui s'apprend dans les écoles, préférant lire des bandes dessinées, les revues "l'épatant", "l'intrépide" les feuilletons populaires, (dont Fantomas). Tout ce que les surréalistes nommeront plus tard : le merveilleux dans la naïveté populaire ou plus précisément encore je cite : "la poésie involontaire".

Les poèmes de R. DESNOS, de la fin des années 20's et des années 30's se sont inspirés de cet imaginaire très enfantin. Héros grandiloquents, Far West, et autres invincibles fous d'aventures. Les surréalistes reprocheront à DESNOS certaines oeuvres, oubliant que DESNOS fût d'abord un autodidacte à la vaste culture mais jamais un lettré, ni un savant. Il est vrai que quand DESNOS se lance dans l'alexandrin, celui ci a parfois treize pieds. Quelle importance ? Le treizième n'est peut-être (qui sait ?) qu'un petit vers offert par la maison et jeté par dessus les fagots comme il l'écrira avec belle conscience :

"Je ne suis pas philosophe, je ne suis pas métaphysicien ... Et j'aime le vin pur".

Ah ! l'imprudent ! après la cigarette, les cigares de luxe, le vin pur !  Il faudrait coller un avertissement sur ses livres : "Lire DESNOS nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage". Juste par acquis de conscience. Pas interdire. Prévenir nos jeunes ;-)

DESNOS, L'enfant terrible, le fou de liberté, appelant par sa voix, à minuit triomphant, les breffrois et les peupliers pour les plier à son désir. DESNOS se laissant adorer par des femmes qu'il n'adore pas, qui viennent à lui et obéissent. DESNOS faisant rougir sur ses lèvres les ouragans, gronder à ses pieds les tempêtes...

(Voilà ce qui arrive quand on boit trop de vin pur, quand on fume trop. Plus de bon sens !)

DESNOS appelant les fossoyeurs, les assassins, les bourreaux, les pilotes, les maçons, les architectes. DESNOS invoquant même la chair. (de sa chère) :

J’appelle la chair
j’appelle celle que j’aime
j’appelle celle que j’aime
j’appelle celle que j’aime...

DESNOS invoquant les vieux cadavres, les jeunes chênes coupés, les lambeaux d'étoffes pourrissant, le linge sèchant aux alentours des fermes, DESNOS par sa voix ressucitant les vieux cadavres, DESNOS rendant la verdure aux jeunes chênes coupés, DESNOS recevant les baisers d'ivresse des cyclones, DESNOS revêtant les vapeurs des fumées des volcans...

"Et Les ronds de fumée des cigares me couronnent".

Toujours par le pouvoir presque invincible d'une voix.

Ainsi monte l'appel. Et dans la nuit, la ritournelle, triture son fil*. DESNOS sait pourtant où il va. ( "Yvonne"* !). Il en appelle à tout ce qui existe, existera, gronde ou subsiste. Jusqu'au chaos. La solitude la plus extrême. Ce qui est effrayant dans le chaos, ce n'est pas la menace même, mais l'absence de tout repère fixe. Il y en a un pourtant. Yvonne. La seule que sa voix n'atteint pas. Unique chère (de sa chaire). Cette unique qui n'entend pas :

"Les maçons ont le vertige en m’écoutant
les architectes partent pour le désert
les assassins me bénissent
la chair palpite à mon appel

celle que j’aime ne m’écoute pas
celle que j’aime ne m’entend pas
celle que j’aime ne me répond pas."

http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/archive/2009/05/2...

Photo : Les rôle s'inversent sur cette affiche qui fait un peu penser à certains graphismes fin 60's début 70's, (à certaines images situationnistes entre autres). Supposons que ce soit Yvonne...

"Attendre que quelqu'un veuille bien m'écouter, que quelqu'un veuille bien me comprendre... Ils ne peuvent accepter une idée qui ..."

Une idée qui... Quoi ?

Attendre. Ne pas entendre... A quelques lettres près. Mondes en instance. Irréciprocités. Loi de l'offre et de la demande. Quête incessante... Ici l'affiche épouse le grain du mur. Un visage toise le promeneur d'un sourire mitigé. Des questions sont posées. Essentielles. Vu rue de Crimée (la belle graffée) sur le plateau de la Croix-Rousse à Lyon. Mai 2009. © Frb.