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Fendre les flots

fendre les flots.JPGToujours au cours de nos balades en Nabirosina, sur le chemin des biches du côté de chez Paul et Paulette à la ferme de Lavaux (Décor de rêve, accueil gentil, que son lecteur adoré n'y lise pas une publicité mais une très bonne adresse) ) ; J'allais me promener, pour me rafraîchir à l'étang . De l'eau ! de l'eau, qu'à cela ne tienne, ma chemise pour de l'eau, (toujours une chemise que le dancing "Macumba" de Palavas les flots ne mouillera pas).

Fendre les flots, se déplacer doucement, deviner sous les brindilles et quelque autre flore aquatique, le royaume des animaux microscopiques (ou macroscopiques ? dragon ? terrifiante hydre ?), qui vivent sous la surface de l'étang, nymphes de libellule, corise, dyptique et autres notonectes, de quoi fourbir tout un vocabulaire aux îles indigo, dévoreuses d'Holothurie. De quoi épater l'épatant patriarch(e) et son lygosome rubané, éminent spécialiste de la leçon de choses qu'on ne coiffera jamais au zoo de ce monde là. C'est décidé, nous partirons à la rencontre de cette population des hauts fonds tièdes d'un été finissant, dont les noms glissent en volupté et révèlent à l'écoute flottante l'écho d'un bruit chu aux reflets de l'univers. Eloge de l'immanence, invitation au vertige des clapotis, voire du tourniquet aquatique un nouveau jeu à moi, (très amusant) extra, aussi ce blog "bassin-nature"), les cheveux dans l'étang pour une valse humide, en tenue de poisson d'or, ou de sirène infiniment désirable, telle une Ester Williams des étang. "Tourniquet aquatique", c'est aussi le petit nom du gyrin qui ne plonge presque jamais sous l'eau, et dont les clapotements à la surface enchantent les badauds = ( badauds c'est pour la rime, que le zoologiste me pardonne. Le gyrin clapote-t-il vraiment ? et sont ils si nombreux ces badauds autour de l'étang ?). Ah non vraiment ! le lecteur n'ira pas se promener dans ces eaux troubles là, il s'y trouve bien trop d'affabulations...) Foin du flou et de l'opaque ! La curiosité se précise, je retourne aux bibliothèques d'enfant. (Gloire à Fernand Nathan, aux beaux albums Hachette-jeunesse). Je retrouve mon "Julot", avec son Nautilus entre un Henri Bosco ("l'enfant et la rivière"), et le livre "Moi Calypso" qui cause du mythique Commandant Cousteau Grand navigateur en eau douce, (comme chacun sait), connu aussi pour toutes les blagues stupides (que chacun fait), à propos de son bonnet, (je vous épargne, cette grivoise partie de rigolade)... Je retrouve disais je, ce livre de la collection "le Monde vivant" aux éditions "Time life (international)" qui me fût offert à  Noël bien avant ma naissance, où des photos et listes improbables de bêtes d'eau douces défilent gentiment entre les pages. Toutes moins méchantes que l'hydre qui hante encore de son cri déchirant (déchirant, pourquoi pas ?), les nuits sans lune du Nabirosina. Tandis que les petits enfants suivent l'hydre ! (et allons donc !) comme d'autres suivaient jadis le joueur de flûte de Hamelin. Peut être, un jour je vous raconterai l'histoire de ces disparitions, si le lygosome rubané de patriarch(e) ne me mange pas...

hydre8.JPGEn attendant, de fixer mon hamac entre deux joncs, au dessus des eaux dormantes de Châtenay sous Dun (ou "soudain Chatenay", à votre guise;-), je m'en vais relire l'éloge de la paresse, par la voie buissonnière dite chemin des biches, en vous laissant une liste de petits noms de libellules. Puissiez vous y trouver, trois fois rien d'agrément pour conjurer les premières têtes d'enterrement et les bourdons macabres, de la non moins macabre et proche rentrée.

Aeschne bleue, Coenagrion puella, Anax imperator, Gomphus pulchellus, Gomphe gentil (qui est aussi gomphus pulchellus), Libellule déprimée (et déprimante), Crocothémis erythraera, Orthethrum cancellatum, Libellula quadrimaculata, Sympetrum jaune d'or, Aeshna Grandis (la pharaonne ?) Somatochlora metallica (très attachante), Sympetrum sanguin et pour finir la plus belle, une naïade, aux yeux rouges, (comme l'hydre de bourgogne), sa majesté : l'Erythromma najas...

Cette promenade à dos de libellules n'aurait pas été possible sans l'aide merveilleux lien :

http://www.les-mares.com/html/invertebres/insectes.php

Il ne me reste plus qu'à rendre à Cesar, et puis l'aurore au crépuscule, en dédiant ce billet à Patriarch sous forme de jeu de l'été : le lien de Patriarch est caché dans ce billet. Notre ami, le lecteur, saura-t-il le retrouver ? ;-). Sogr penssus...

Photo : Etang de la ferme de Lavaux, sur le chemin des biches à Châtenay sous Dun. Nabirosina. Août 2009. © Frb

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samedi, 15 août 2009 | Lien permanent | Commentaires (10)

Monter Décembre

Monter décembre661.JPGLes plus beaux jours de la fête des Lumière ce sont les huit jours qui précèdent la dé-fête finale. Ou Le grand huit (propagande officielle). Et pour celui ou celle qui a la chance (???) de vivre à Lyon, rien n'est plus extraordinaire que de s'y balader jour et nuit ces temps-ci, la tête dans les nuages ou presque, car on jurerait qu'une toute petite partie de la population, je veux dire,"les mécanos de la générale", vivent alors comme ces chats de légende et de contes enfantins, tout simplement perchés là haut. On en trouve dans les arbres, (brésars), accrochés sur les branches, d'autres plus exubérants, embrassent les poteaux, toute la ville semble alors comme un grand cri d'amour où mille fragilités se grisent en suspension. Chaque bosquet monte ses personnages aux plaisirs les plus hauts. Chaque branchage a son prétendant. Eros est sur tous les sommets. Même les blanches mains, jadis glacées de la sainte Vierge, caressent la nuque de ces messieurs qui se dépensent sans compter au souffle d'une "Chanson pour elle".

Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait ? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu.
Elle sent bon, ta chair, perverse
Ou non, que fait ? puisqu'elle berce
La mienne de chair, nom de Dieu !

Ces êtres fols, on en trouve aussi sur les dames (pas des Saintes Vierges, my god !), l'électricité de France à leurs pieds, hommes fourrageant comme des castors à se demander si Décembre, n'est pas à Lyon par excellence, la saison d'une brusque poussée de fièvres mâles qu'une brume doucement retrouvée attiserait dans sa discrète gangue nourrie d'un petit lait frotté aux malins lumignons. La Dame de la forêt Morand, (exemple), qu'on savait de pierre (et de Paul) mais surtout liée à André Pieyre, n'est point farouche quant à laisser les coquins idolâtres chercher à fleur de sens sous un pli de jupon une faille en bris de plâtre qui révèlerait un coin de peau. Amours secrètes des petits génies de l'éclairage boudés par ceux de l'agriculture de l'industrie. Le génie pur et retrouvé, génie de la luminosité. Lyon tel une chaufferie d'amantes, encenserait ces butinages. Ainsi des vigueurs impensables, opèrent un curieux déplacement glissant peu à peu nos promenades aux sentiers d'une carte du tendre.

Quand les dames, les poteaux, les brésars, auront été amoureusement savourés, quand tous les mécanos de la générale, les goûteurs d'éclairages, et les employés doux du puissant GranydoL seront lassés des escalades, quand l'échéance, viendra sans bruit, replacer tout à l'ordinaire. Nous arriverons pile sur le soir du huit. L'heure qu'il est échappera peut-être, mais la procession s'imposera, qu'on le veuille ou non, dans toute sa tyrannie festive. Tout au plus une orgie molasse, après de très beaux précédents. On ne parlera jamais de "ça". La parenthèse qui enchanta, se refroidira comme le marbre, un caillou enfermé dans un coussin de Lyon et pas même un suçon (les suçons sont de Lyon) sur la face cachée du brésar. De ces somptueuses crapettes que vous ne vîtes point ou si peu, lecteurs chéris, (victimes, qui sait ?), je serai prête à parier, un voyage en ballon (avec Solko (?) sous les lampions de la Scala de Vaise) qu'on ne vous en jettera que les miettes. Peut être même un peu moins. Peu importe, que ce soit de l'amour ou du lard, il faudra bien suivre la fête...

Photo: La conquête de la Dame de pierre dans la forêt Morand par les mécanos de la générale du GranydoL, (qui sont de sacrés montagnards !). Lyon, place Lyautey. Première de Décembre 2009.  J - 4 avant les premiers allumages. © Frb.

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mardi, 01 décembre 2009 | Lien permanent | Commentaires (27)

Sur le banc de la quiétude

Qu'est ce qu'on raconte ?

JAMES SACRE extr : "La petite herbe des mots", (1986), "Si peu de terre et tout". Editions "Le dé bleu" 2000.

Pour découvrir quand et où se trouve la quiétude vous pouvez cliquer sur l'image.banc.JPG

Sur le banc de la quiétude, je me suis assise ce matin, j'y suis restée je ne sais combien d'années, jusqu'à l'heure du coucher du soleil, j'ai pensé à tout un tas de trucs, à tout un tas de machins, sur le banc de la quiétude j'ai pensé.

A l'enthousiasme qui n'est pas un état d'âme d'écrivain, j'ai pensé aux longs chats allongés sur des crêtes, j'ai pensé à tout ce qui peut être l'objet d'un désir honnête, j'ai pensé à la gymnastique, rien qu'à la gymnastique, j'ai pensé aux objets miroitants et fragiles, j'ai pensé à l'amoncellement des volumes informes, j'ai pensé à ce roi qui se couche sur des feuilles après un repas de fruits, j'ai pensé au secret de la beauté, à l'étang lustral, aux lotus, j'ai pensé à l'art d'user des plaisirs, j'ai pensé aux messagers, aux bien aimés, j'ai pensé à ces cages d'escalier, à leur pauvre lumière, j'ai pensé à la transmigration des âmes, aux lucioles et aux vers de terre, j'ai pensé au bateau qui prend forme, aux planchers de sapin usés, j'ai pensé au défi qu'on lance à tous les vices, au repli sans trêve et sans fin, au peuple qui s'engage de son plein gré, sur le banc de la quiétude j'ai pensé.

Midi a sonné à la petite église, il ne m'est pas venu à l'esprit l'idée de déjeûner. Assise sur le banc de la quiétude, j'ai pensé que désormais plus personne n'aurait plus jamais besoin de déjeûner. J'ai pensé à l'arbre de la connaissance, au cloître où sont formé les maîtres, au monstre, à la bête abattue, aux veillées de noël rustiques, j'ai pensé aux fées des roches et des collines, j'ai pensé à la solidité de l'oeuvre, j'ai pensé à la règle bénédictine, aux miradors, aux mirabelles, j'ai pensé au figuier sycomore, aux magnolias, aux immortelles j'ai pensé aux mantilles, à l'évènement ébruité, j'ai pensé aux entrelacs qui se peuplent d'animaux, au spectre de soi qui va et vient entre les murs, j'ai pensé aux âmes des morts ensevelies dans l'étroit cimetière autour d'une église en ruine, j'ai pensé aux hommes visant le gibier, j'ai pensé à l'effeuillement gai, j'ai pensé au rayonnement d'un jour total, au vierge sable osant battre la couche, j'ai pensé aux petites heures et aux grandes heures, j'ai pensé aux livres rangés sur le dos qu'une languette permet d'attraper, j'ai pensé aux confiscations révolutionnaires, à la timidité mortelle. Sur le banc de la quiétude, j'ai pensé.

Je sens que la lumière est moins vive, le jour baisse, assise sur le banc de la quiétude j'ai pensé qu'il devait être plus de cinq heures du soir, j'ai pensé que désormais cinq heures du soir ne voudrait plus jamais rien dire. J'ai pensé que quatre ou cinq c'était comme cinq ou six, j'ai pensé aux chiffres romains, aux racines carrées, aux tables rondes, et au khim, j'ai pensé à l'étincelle en lieu de ce néant, à la main de Damayantî s'en allant vers la capitale du Vidarbha, j'ai pensé à Saint Syméon qui vécut quarante ans sur une colonne, j'ai pensé à l'eau froidement présente, aux grenades entr'ouvertes, aux cloisons de rubis, j'ai pensé à la dispersion et à la perte des livres, aux enluminures romanes et gothiques, j'ai pensé aux moucherons agités qui s'engluent dans la confiture, au rocher que l'on roule devant une porte ouverte, j'ai pensé que très bientôt sur les marchés ça sentirait la mandarine, j'ai pensé aux questions indécises et à la force d'inertie, aux pierres disjointes, j'ai pensé aux intempéries, j'ai pensé à la joie paresseuse, aux perfections des mécanismes, aux gens qui se mordillent la lèvre inférieure avant de se rendre à un rendez-vous, j'ai pensé à la théorie du chaos, aux épaves de la guerre, aux chavirements et aux mouvements de cils d'une biche, aux coeurs qui s'y fient, à l'effacement, j'ai pensé au soleil couchant sur le banc de la quiétude, j'ai pensé.

Le jour décline, je dors couchée sur le banc de la quiétude, j'y dors toutes les nuits depuis près de deux ans et je rêve que je m'assois chaque matin sur le banc de la quiétude, pour penser à des trucs et à des machins.

Nota : Remerciements à Stéphane Mallarmé, Paul Valéry, Etiemble, Julio Cortazar, Boris Vian, Hermann Hesse, Spinoza, et Corneille qui m'ont quand même un tout petit peu aidée (mais pas trop, hein !) pour la rédaction de ce billet. Je dédie le banc de "La quiétude" et même "La quiétude" entière à Christophe Borhen parce que je sais que c'est un endroit qu'il apprécie et enfin, (belle âme !) je dédie "La quiétude" à tous ceux qui en ont besoin (vous pouvez me remercier :)

Photo : Le banc de "La quiétude" n'est pas un tombeau. "La quiétude" est le nom d'une petite maison plus que charmante, (mais je crois que le lecteur aura compris), découverte et photographiée au coeur du bourg de Vareilles, au mois d'Août de l'année dernière, en contrée nabirosinaise © Frb.

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mercredi, 18 août 2010 | Lien permanent | Commentaires (15)

La meilleure façon de marcher

"Marcher dans la foule signifie ne jamais aller plus vite que les autres, ne jamais traîner la jambe, ne jamais rien faire qui risque de déranger l'allure du flot humain."

PAUL AUSTER : "Moon Palace"."Le livre de poche", 1995.

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Pour l'habitant des villes la meilleure façon de marcher est encore de mettre un pied devant l'autre, et de recommencer, Confondu dans le flux, il se laissera glisser, rongera son frein, s'empêchera de penser, même si parfois sur quelque ralenti de maudites carcasses empêtrées, lui viendrait presque une envie de tuer. Qu'on accorde ce droit aux marcheurs quotidiens des villes ordinaires, et il ne faudrait pas attendre trop pour voir venir le temps des assassins. Mais il a existé aussi des marcheurs très bizarres, qui, par un mouvement de parade culottée ou autre puissant contresens, donnant, presque sans le faire exprès, un coup de pied dans la fourmillière, accélereraient un brin, le dé-consentement général, et par là même, perturbant l'assurance (générale également), déplieraient tous nos membres, exploseraient le sens de la marche, de la vitesse aussi, puis dissémineraient les osselets jusque dans les étoiles. Ainsi, on aurait on déjà oublié, ces nombreux dissidents du pied et les givrés de l'arpentage ? De merveilleux fous marchant, en réalité. L'espagnol Zlilio DIAZ, un baladeur à sphère, nostalgique, enfantin, marcha en poussant pendant 18 jours, un cerceau, qui l'aida à couvrir 965 km. Il y eût aussi les marcheurs sur les mains (un grand classique !), les marcheurs à cloche-pieds, et surtout les marcheurs à reculons, (très bon pour la santé). Le texan Plennie L. WINGO en 1931, partit à reculons pour aller du Texas à ... Istanbul, (océan non compris, évidemment !). Il eût un disciple en 1980, qui entreprît de réunir New-York-Los Angelès, à pied, en marche arrière, et s'aida de lunettes à rétroviseur afin de réussir l'exploit. Mais il existe encore d'autres marcheurs plus farfelus. En Novembre 1889, trois autrichiens arrivèrent à pied à paris. Ils avaient franchi la distance Vienne-Paris, en poussant une brouette dans laquelle, chacun à tour de rôle avait le droit de s'asseoir. La durée du voyage durant exactement 30 jours. Le 17 Avril 1891, un habitant de Luynes, se mit au défi, de se rendre de Tours à Paris sur ses béquilles en moins de 8 jours. Peu fervent de ce genre d'appareils, c'était un vélocipédiste convaincu, qui s'était lors d'une chute, fracturé la jambe droite, et ne tenant plus en place, cherchait à occuper du mieux possible ses loisirs forcés (Que nos lecteurs à béquilles en prennent de la graine !). En décembre 1891, un marchand des quatre saisons d'Aubervilliers (L. WEX), entreprit de faire le trajet Paris-Liège (et retour), en 9 jours, tout en tirant la voiture servant à son commerce, laquelle pesait la bagatelle de 200kg. Le Pari fût là encore, réussi. Enfin toujours pour cette année épatante, de l'an 1891, qui vit (sait-on pourquoi ?), tant de déplacements extraordinaires, un habitant de Nîmes, se rendît à Paris dans une voiture tirée par un chien danois. Le 17 mars il avait été doublé par un Marseillais, qui relia sa ville natale, à Paris, dans une voiture tirée par quatre gazelles, rapportées d'Afrique. Voilà de quoi fourbir des idées à notre lecteur si un jour il s'ennuie (à mourir) en marchant. Personnellement, je préconiserai volontiers le retour de la charrette à bras, dans nos villes, ou de l'élégante chaise à porteurs, tirées par un quelques echnidés à bec droit, ou par un tranquille Helix Pomatia... Une idée entre mille pour sauver de manière amusante, si ce n'est la planète, un petit peu de son grain extra.

Pour les sceptiques, les chatouilleux du pied, il nous reste Rosalie Dubois déterrant un chant de guerre plus que jamais d'utilité publique. Un hymne véritable, qui s'appelle "Marche ou crève", même si l'époque a délogé ses derniers footeurs de pavés et autres agités à brouettes il ne s'agit plus tout à fait de rouler gentiment son cerceau près de la marcheuse, qui chante pour se donner du coeur. A ouïr, je vous préviens c'est un peu, délicat. Ce qui inspirera peut être à nos plus téméraires ou aux rares touchés par le signe sacré de grand maître Nagra, d'essayer de bien faire marcher ses oreilles. Ou de marcher avec les oreilles, en voilà une idée, pourquoi pas ?

Si la foule vous fatigue, il n'est pas encore interdit de dériver avec G. Debord : ICI

Source : Guy Bechtel et J.C. Carrière : "Le livre des Bizarres" Editions R.Laffont 1991.

Photo : L'immobile à valise, perdu au coeur du flux. Surpris en arrêt, près de l'opéra, comme un personnage de l'oncle Jacques, submergé par le sens de la vitesse. Sorte de monsieur Personne, déguisé en monsieur Tout-le-monde, (comme quoi l'habit ne fait pas toujours le moine), le seul que je vis ce jour là, courageux, impassible, unique au monde, piqué de longues minutes, planté là au milieu de tous, et il fallait oser : SANS RIEN FAIRE. Hommage à ce héros, dernier homme parmi les Hommes,. Une occasion rêvée, de filaturer la valise, belle comme un sou neuf et qui posa pour moi, rutilante, ( à l'insu de son papa ;-)  A se demander si ce n'était pas cette valise qui mettait l'homme dans cet état. J'aimerais croire que non. Lyon, quartier Terreaux-Opéra, vu le 12 Septembre 2009. © Frb.

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samedi, 12 septembre 2009 | Lien permanent | Commentaires (24)

Vérité du mensonge

" Et devant cette petite toile qui a l'intention prétentieuse d'imiter la nature vraie, on est tenté de dire : ô homme que tu es petit. Puis aussi "qu'un kilo de vert est plus vert qu'un demi-kilo" (1) (...) Puis comme un kilo de vert est plus vert qu'un demi-kilo, il faut pour faire l'équivalent (votre toile étant plus petite que la nature) mettre un vert plus vert que celui de la nature. Voilà la vérité du mensonge. De cette façon votre tableau illuminé d'après un subterfurge, un mensonge sera vrai puisqu'il vous donnera la sensation d'une chose vraie (lumière, force et grandeur), aussi variée d'harmonies que vous pourrez le désirer. Le musicien CABANER (2) disait que pour donner en musique la sensation du silence, il se servirait d'un instrument de cuivre donnant une seule note aigüe, rapide et très forte. Ce serait donc l'équivalent en musique, traduisant une vérité par un mensonge."

PAUL GAUGUIN : extr "Second séjour en Océanie" in "Oviri" ou "Ecrits d'un sauvage". Editions Gallimard 1974.

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(1) Cette phrase "Un kilo de vert est plus vert qu'un demi-kilo" est attribuée à P. CEZANNE et notée par P. GAUGUIN lui même, dans le chapitre "A propos de la perspective" toujours extrait du livre "Oviri". Lisez plutôt :

" Et comme on lance un pet pour se débarrasser d'un gêneur,  Cézanne dit avec un accent méridional :"un kilo de vert est plus vert qu'un demi-kilo". Tous de rire : il est fou ! Le plus fou n'est pas celui qu'on pense. Ces paroles ont un autre sens que le sens littéral de la phrase. Et pourquoi leur expliquer le sens rationnel ? Ce serait jeter des perles aux pourceaux."

(2) CABANER ou plutôt JEAN DE CABANES dit ERNEST CABANER (1833-1881) fût un compositeur, pianiste, poète, qui mît en musique des poèmes de CHARLES CROS dont le fameux "Hareng saur". Il écrivît ses propres poèmes dont "le pâté" et en composa aussi la musique. Personnage excentrique, figure de la bohème, Ernest CABANER cotoya les impressionnistes au café Guerbois (qui est devenu je crois, magasin de chaussures aujourd'hui - quoique ce serait encore à revérifier - situé jadis au 9 rue de Clichy, fréquenté par MANET, DEGAS,CEZANNE, RENOIR, PISSARO entre autres... Edmond DURANTY et ZOLA, pour les érudits), CABANER fréquenta également le salon de NINA DE VILLARD et le cercle des zutistes, pour lesquels il trouva un local à "l'hôtel des étrangers" où il travaillait comme barman. Il accueillit A. RIMBAUD chez lui quelques temps. A ce propos, il fût souvent mentionné que le poème "Voyelles" devait beaucoup à l'enseignement musical d'ERNEST CABANER, à son chromatisme ou "audition colorée". Il faut dire que CABANER apprenait le piano à RIMBAUD à "l'hôtel des étrangers". Ca ne s'invente pas ! Pas plus que ne s'invente le poème qui suit, appelé "sonnet des sept nombres", signé E. CABANER, dédié à son ami A. RIMBAUD. Jugez plutôt, de l'influence + que probable des "sept nombres" sur les "voyelles" :

"Nombres des gammes, points rayonnants de l'anneau
Hiérarchique, - 1 2, 3 4 5, 6 7 -
Sons, voyelles, couleurs vous répondent car c'est
Vous qui les ordonnez pour les fêtes du Beau.

La OU cinabre, Si EU orangé, DO, O
Jaune, Ré A vert, Mi E bleu, Fa I violet,
Sol U carmin - Ainsi mystérieux effet
De la nature, vous répond un triple écho,

Nombres des gammes ! Et la chair, faible, en des drames
De rires et de pleurs se délecte. - O L'Enfer,
L'Aurore ! La Clarté, La Verdure, L'Ether !

La Résignation du deuil, repos des âmes,
Et La Passion, monstre aux étreintes de fer,
Qui nous reprend ! - Tout est par vous, Nombres des gammes ! "

Ami de CEZANNE et de nombreux autres peintres, E. CABANER ne séparait pas tant les disciplines. Comme A. RIMBAUD, il cherchait un langage complet, universel. Sa méthode: il coloriait les notes et leur attribuait le son d'une voyelle. Mais la méthode est plus ancienne elle date du XVIIem siècle, elle fût imaginée (à l'usage des débutants) par le Père CASTEL, inventeur du clavier oculaire. La méthode fascina RIMBAUD par l'entremise de CABANER via CEZANNE et le Père CASTEL résumant tout : sons, parfums, couleurs... Ainsi naissent les  "Voyelles"...

Photo: "Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir" sur la Colline et plus encore, les couleurs du mur de l'Alma se traversent comme un pont. Mise en forme dynamique des surfaces, les fresques ont été réalisées sans trucages, dévalant la pente, par d'étroites friches, elles longent un petit escalier, bordé de longues herbes jusqu'à deux rues plus bas. Le fragment de quartier, ainsi se transforme, par le mouvement secret de graffeurs surdoués (merci à eux), en une improbable galerie d'art contemporain sauvage où il fait bon tendre l'oreille pour contempler ce mur de sons, écouter la tonalité glissant sur le dessin, mêlés à la trame ordinaire des bruits et mouvement urbains.

Couleurs. Un mur qui ne ment pas. Vu rue de l'Alma, (qui en plus de ses fresques possède un des plus beaux panorama qui soit), situé sur le plateau de la Croix-Rousse, à Lyon. Fin Février 2009. © Frb

A écouter dans un tout autre monde, quelques correspondances urbaines, un brin freestyle, comme les fresques et les voyelles  :

http://www.youtube.com/watch?v=TYa7furgQsA&eurl=http:...

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samedi, 07 mars 2009 | Lien permanent | Commentaires (14)

Sur le passage de quelques personnes...

"Et le beau temps qui a été plus perdu que dans un labyrinthe..."

GUY DEBORD : extr. "Hurlements en faveur de Sade", (premier scénario prévu avec images, jamais tourné). Publié dans la revue "Ion" 1952.

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Tout commence avec l'avant-garde et avec la poésie. Compte tenu de l'image trop souvent exclusivement politique que certains ont aujourd'hui de Guy DEBORD, il n'est pas superflu de rappeler que l'une des préoccupations artistiques, poétique de cet auteur magistral fût de "dépasser l'art, c'est à dire de le faire coïncider avec la vie, à condition de faire coïncider la vie avec la révolte". Il s'agissait de mettre la poésie au service de la vie quotidienne, pour que celle ci soit la moins quotidienne possible. De là émane aussi tout le sens de la rencontre et de la rapide rupture de Guy DEBORD avec les lettristes d'Isidore ISOU (dont le lettrisme constituait pour l'essentiel un remake du Dadaïsme de l'autre après-guerre). L'éphémère adhésion de G.DEBORD au programme lettriste a tout d'une rampe de lancement qui le propulse rapidement vers d'autres aventures. En vérité l'Internationale Lettriste (1952-1957) n'est plus vraiment lettriste et n'a pas grand chose d'international, composée au mieux d'une dizaine de jeunes gens, tous plus ou moins voyous, elle se spécialise dans un art hélas trop boudé : le désoeuvrement, (n'oublions jamais ce superbe mot d'ordre - ou de désordre - qu'on aimerait bien revoir sur nos murs de temps en temps (et surtout dans nos vies, en ces temps laborieux) : "Ne travaillez jamais !". Elle s'applique aussi à la critique la plus insultante possible de l'avant-garde et des intellectuels consacrés. Goût du jeu, goût du conflit, deux grands axes chers à G.DEBORD.

C'est à St Germain que G.DEBORD et les siens mènent leur première guerre et qu'ils s'offrent du même coup une autre vie plus héroïque, par conséquent, plus légendaire. Suivront d'autres aventures et d'autres guerres dont la plus illustre placée sous le signe de l' Internationale Situationniste. Pour DEBORD et ses compagnons tout se passe comme s'ils disposaient les traces de leur aventure en fonction d'une légende à venir, mais immédiatement comme si de toujours déjà le vécu, se redoublait d'une mise en forme ou mise en mémoire.

"Tout ce qui concerne la sphère de la perte, c'est à dire aussi bien ce que j'ai perdu moi-même, le temps passé et la disparition, la fuite et plus généralement, l'écoulement des choses et même au sens social dominant, au sens donc le plus vulgaire de l'emploi du temps, ce qui s'appelle le temps perdu, rencontre étrangement dans cette ancienne expression militaire "en enfants perdus", la sphère de la découverte, de l'exploration d'un terrain inconnu : toutes les formes de la recherche, de l'aventure, de l'avant-garde. C'est à ce carrefour que nous nous sommes trouvés et perdus" G. DEBORD, in "Critique de la séparation" (court métrage 1961)

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Le goût du légendaire, du romanesque expliquera le style des interventions lettristes : tracts, manifestations, articles puis plus tard des interventions "situs". Ces actes sont souvent d'une grandiloquence ironique, toujours insolents, parfois chouïa autocomplaisants, on aurait tort de s'en moquer car ils ne sont pas faits pour reconstituer le champ de l'avant-garde (d'autres s'en chargent), bien au contraire, ils viennent défigurer, disqualifier toute avant-garde possible et de surcroît au prix du moindre effort !

Ils sont les traces de quelque chose qui a été vécu et qui s'est perdu. Un âge devenu d'or avec le temps qui s'est écoulé sur lequel G.DEBORD reviendra à de nombreuses reprises. Dans "Mémoires" en 1958, où l'on trouve, cité un fragment significatif de "l'Ile au Trésor" (à méditer bien sûr)

"Nous étions quinze sur le coffre du mort"...

L'idée de traces sera encore présente dans les films : "Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps"(1959) et plus tard "Critique de la séparation" (1961) puis dans "In girus imus nocte et consumimur igni..."(1978) ou encore dans "Panégyrique"(1989).

Ces nombreux retours sur la période inaugurale de l'Internationale Lettriste suggère que celle-ci n'a peut être été vécue que pour devenir après coup la légende qu'elle est devenue, illusion rétrospective sans doute; mais pas seulement. Tout indique chez G.DEBORD une capacité proprement mélancolique de se projeter dans un temps où ce qu'il est train de vivre aura bientôt disparu. Soit, tout aussi bien d'anticiper sa propre légende ou de moins de la reconstituer le plus vite possible comme telle. G. DEBORD n'a cessé d'être l'historien de lui même, comme le Cardinal de RETZ (alias Jean François Paul de GONDI) cet autre joueur et perdant magnifique que G.DEBORD a lu très tôt et qu'il admirait tant. Mais contrairement au Cardinal de RETZ, G.DEBORD a été historien de lui-même d'emblée, non après-coup, joignant toujours les actes aux actes, comme on joindrait la parole aux gestes sans négliger jamais la dimension esthétique. Une seule force poètique qui seule permet l'accès au légendaire. Peut être parce que toujours c'est par le bien dire qu'advient rétroactivement le bien faire...

Source : Guy DEBORD "Oeuvres" admirablement rassemblées par J. L. Rançon. Editions Gallimard 2006.

Photo:  Sur le passage de quelques personnes... (Les feuilles d'or sont aussi des personnes d'un âge...) Vu à travers une très brève unité de temps. Au dessus d'une intemporelle grille. Suivi de quelques pas perdus. Ou la mémoire de l'"after" déjà légendaire du charmé de la colline qui travaille (et qui crie). Photographiée Boulevard de la Croix-Rousse. Lyon. Novembre 2009. © Frb

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samedi, 21 novembre 2009 | Lien permanent | Commentaires (30)

Nid d'amour

L’amour est patient, il est plein de bonté ; l’amour n’est point envieux ; l’amour ne se vante point, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ; il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. L’amour ne périra jamais.

Extrait de la lettre de ST PAUL aux Corinthiens, chap. 13

Parfois quand on ouvre la fenêtre, on entend une petite musique... nid d'amour,nouvelle,couple,illusions,amour,maison,façade,vivre ensemble,concierge,madame grenada,monsieur chandon,murielle,humanités,curiosité,infidélités,intrusions,histoire d'a,jalousie,fidélité,cachotteries

.J'ai vécu là, plusieurs années, je connais tout par coeur, derrière ces fenêtres, pour moi, pas de secret. Je connais tous les locataires. Il y en a beaucoup, trois par palier sur cinq étages, au rez de chaussée il y a les concierges Monsieur et madame Grenada. Madame surtout qui s'occupe du bon fonctionnement de l'immeuble. Chaque année pour jour de l'an avec Murielle, on lui donne une petite étrenne, avec un mot gentil: "Puisse cette nouvelle année vous être favorable, chère madame Grenada, ainsi qu'à votre époux". Quand j'y pense ! Ils savent tout. Même plus que ce que nous supposons savoir nous-mêmes sur nos propres allées et venues, enfin "propres"... Comme lorsque Muriel reçût ce monsieur, tandis que j'étais en voyage d'affaire. Tous les jours le monsieur venait, à 5h00 de l'après midi, il restait jusqu'à 7H00 (du soir). c'est comme ça que j'appris l'existence du monsieur, par Madame Grenada, le jour même de mon retour, le dernier. Elle me dit l'air de ne pas y penser "Bien contente de vous retrouver monsieur Chandon, enfin votre dame, n'était pas trop toute seule, votre frère est venue lui tenir compagnie tous les après midi entre 5 et 7 heures" ... "Ah bon ? Mon frère ?" Et madame Grenada prenant l'air gêné de la confidente qui s'en veut d'avoir trop parlé, (non sans éprouver cette satisfaction de méchanceté intérieure qui sied tant aux vilaines personnes). -"Ah ? Ce n'est pas votre frère ? Comme il vous ressemblait, j'ai pensé que...". Alors je bredouillais  -"Mais si ! bien sûr que si ! c'est mon frère ! Madame Grenada, mon frère jumeau, même ! c'est vrai que je n'aime pas savoir Murielle toute seule quand je pars en voyage, mais de là à ce que mon frère passe tous les jours ! il est vraiment serviable, j'en suis presque gêné, en même temps, vous m'en trouvez si agréablement surpris" - "en tout cas..." - (crût-elle bon d'ajouter) - Madame Grenada ponctuait souvent la conversation par cette expression - "en tout cas" - qui permet de dériver à peu près sur tous les sujets, "... Votre frère, il a bien veillé sur elle". Cette dernière phrase me glaça. Qu'est ce qu'elle voulait dire au juste par "il a bien veillé sur elle" ? J'étais furieux. Il me semblait que si je ne montais pas en quatrième vitesse, tout de suite, là, urgemment, tous les étages qui me séparaient de Murielle, j'allais faire subir à cette femme un de ces sorts qui la priverait de ses cordes vocales pour toujours. Les doigts me démangeaient. J'essayais de prendre congé poliment. "Bon, madame Grenada, ce n'est pas le tout, je vais monter. Murielle m'attend." Et pour faire bonne figure je rajoutais un léger point qui me parût fort malin, pour me défaire de cette conversation qui aurait fini comme toujours sur la météo, et la maladie de coeur de son mari : "Madame Grenada, dites moi, euh... comme j'arrive à l'instant je ne suis pas encore passé chez mon frère, il n'aurait pas laissé un petit mot pour moi, par hasard ?". Qu'allais je donc inventer ? C'était lâche et absurde ! le ton n'y était pas, mais allons ! tant qu'à faire ! Et si cette pauvre femme avait su combien j'avais souffert d'être fils unique, elle en aurait rajouté, alors bon, il valait mieux enfoncer le clou, valider copieusement l'existence de ce frère qui m'avait jadis tant manqué, dissiper tout malentendu, en finir et monter. Ensuite, j'aurais ouvert la porte, notre porte d'entrée. Dans notre long couloir, je t'aurais vue, Murielle, radieuse comme à chacun de mes retours. Murielle, je t'aurais embrassée et puis je t'aurais dit, "Murielle, il faut que je te parle, Murielle, c'est important, il faut qu'on parle tous les deux, là, maintenant !". Et Muriel m'aurait écouté, elle aurait ri de mes soupçons, elle m'aurait rassuré. Muriel elle aime bien quand je suis inquiet, elle me rassure, elle me passe la main dans les cheveux, elle m'appelle "son chouchou", ça m'apporte une certaine stabilité même au bureau, quand j'ai des inquiétudes, il suffit que je pense à Muriel, à notre nid douillet, et je suis moins nerveux. A chaque retour de déplacements, c'est plus fort que moi je crains le pire. "Et si Muriel rencontrait quelqu'un d'autre ?"... Quand j'y pense, j'en souffre horriblement, moralement, physiquement, j'ai des crampes d'estomac, les mains qui brûlent. Rien que d'imaginer Murielle dînant au restaurant avec un autre, me rend fou, oui, je sais, je suis jaloux. Mais Murielle elle est pas comme les autres, elle est fidèle, elle me connaît, elle sait apaiser mes tourments, depuis le temps ! je la connais aussi très bien de mon côté, je suis un homme chanceux. C'est incroyable, tout ce qu'il y a d'harmonie entre nous. C'est quelquechose d'unique. Elle me devine, souvent, elle anticipe. Murielle, elle m'aime sans conditions. Quand j'ai peur, elle le voit tout de suite. Elle rigole, elle me dit :" oh Chouchou ! tu es jaloux ! il est jaloux ! il a peur que je m'en aille, mais ça c'est trop mignon, je t'aime trop, mon chouchou !"... Sauf que Madame Grenada me répondit qu'effectivement, mon frère avait laissé un mot pour moi, et même une grande enveloppe qu'elle me tendit avec un de ses sourires beaucoup trop attendri pour être honnête. "Enfin, je ne sais pas si c'est votre frère qui a écrit, mais il y a une lettre à l'intérieur...". Je tatais docilement... Il y avait bien une lettre à l'intérieur. Je n'avais pas encore ouvert l'enveloppe que madame Grenada murmura d'un ton triste, si triste que j'eus envie de pleurer. "En tout cas, monsieur Chandon, on va bien vous regretter, vous allez faire un sacré vide dans cette maison". Je regardai longtemps cette petite femme voûtée avec son gros grain de beauté beige sur le menton, sa médaille de Sainte Vierge qui pendait au dessus de la collerette d'un corsage sur lequel étaient imprimés des coeurs bleus, ses seins énormes, ses grosses hanches, son tablier à fleurs, ses jambes maigres plantées sur d'énormes pantoufles en pilou rose bonbon. C'est la dernière image qu'il me reste de notre nid d'amour d'où je me suis enfui sans jamais avoir lu la lettre.

Photo : Nid d'Amour et plus anonymement, une jolie façade rose vue du côté de la place Carnot, au niveau du métro Ampère-Victor Hugo entre les deux incontournables gare de Perrache et Place Bellecour photographiée à la fin de l'hiver, à Lyon.

Lyon II © Frb 2011.

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mercredi, 30 mars 2011 | Lien permanent | Commentaires (25)

Peindre au travers

Peindre d'après nature, ce n'est pas copier l'objectif, c'est réaliser ses sensations.

PAUL CEZANNE 

zoom feuilles0908 B.jpgCe climat est le mien. J'avance avec toi, sur la route, pour faire effraction. Je peux voir le ciel qui s'étend nous satisfait à la minute. Je prends le petit jour à coeur, et je suis autrement ton oeuvre. Nous ne pouvons que rester seul à seul. Tous deux serons unis encore autant que séparés, et je me chauffe à toi, nous secouons les grilles pour rentrer dans tous les salons. Je porte les grenades et les épices de la forêt. Nous aimons nous suspendre aux lustres, aux branches ; je porte les baies empoisonnées, tous ces mensonges et nos douleurs. L'eau froide tombe du ciel qui s'étend au loin. Les grilles blessent un peu, ces gens t'ouvrent leur demeure, tu caresses leur vaisselle, tu explores les greniers et la cave où sont cachés des manuscrits à fendre à l'âme.

Il y a trop de monde dans ces salons, on distribue du café noir et des figues à moitié ouvertes sont éparpillées sur la table. On convoite un grand framboisier sur lequel nous déposerons des baisers, nous aurons les mains baladeuses, en toute impunité, nous abuserons de tout sans peine. Nos fruits ont la sauvagerie de ces chats qui se faufilent entre les brumes écorchant le vernis des tableaux, bientôt nous en ferons le deuil ; nous les délaisserons dans un parc entre les feuilles rousses, irisées de l'automne. November ramènera par sacs entiers les feuilles et ces pommes qu'un peintre croqua autrefois chaussé de ses pantoufles, dans le rai de lumière d'un atelier. A quelques pas de là, à peine plus loin, toute la lumière change, et l'on aperçoit dans l'allée d'un jardin, quelque beauté antique organiser les courses :

De mon mieux, j'ai envoyé à mon amant chéri dix pommes d'or cueillies sur l'arbre de la forêt, et en enverrai autant demain

Des corbeilles de fruits pourris avec les étranges pépins, et ces tiges au cul de la pomme, nous aimons celle qui porte un nom de chanteuse de jazz oubliée, la Granny Smith. Son goût acidulé, ses reflets parfois roses. Nous aimons aussi les poires difformes, "Red William" ou "d'Anjou" nous les mangeons sans trop penser à la misère du monde, un rien nous comble. Nous glissons les épluchures dans nos poches et cela nous fait des trésors dégoûtants. Le vent ici est caressant, doucement il s'impose. Et puis il y a des graffitis sur les bancs et des journées qui ne s'étirent plus tout à fait comme avant.

Cent tubes de gouache pressés avec ces couleurs fauves, elles giclent sous le ciel qui s'étend au loin, fardent la part brute d'une toile sur laquelle l'autre peint encore des oiseaux et des serpents plein de noeuds, sur des pentes la blancheur lunaire bat dans l'encadrement, déplace la courbure des formes qui magnifient les fruits et les sens. Ce climat est le tien, il érode les murailles, dévergonde nos cailloux pour s'empaler sur des roches vierges. Ca fait des semaines qu'Eros dort le jour sous les arbres et la nuit il s'amuse comme un écureuil avec des noisettes et des glands.

Du haut en bas, un grain de folie saisonnière roussit la page si lentement, tu peux voir comme l'heure à présent changée nous délave. Ce que je dis, tu le vois les yeux clos et l'approuve. Tout ce qu'on dilapide va par monts et par vaux, même dans le parcours des bécasseaux, leurs cris font en réalité "tchirrip, tchrrii" et nous nous attardons à regarder bouger leurs pattes sur des fils electriques. Tous ces mensonges dans la douceur bordent l'hiver des impatiences, un caprice hors-saison qui vient avec  le goût de la reine-Claude, ou de la mirabelle, (bellamira, miragrande), croquée par Virgile au vers 53 des "Bucoliques":

J’ajouterai des prunes couleur de cire : ce fruit sera, lui aussi, à l'honneur.

J'ajouterai des grains de génévrier, nous titrerons : "Aiguilles piquantes sur feuillage écaillé", des grosses touffes chaudes comme la laine, ces épis pour les dames seront notre fierté, les messieurs en auront presque le rose aux joues puis après ce sucre onctueux, tout fondu dans nos ombres, adviendra en nous l'abstraction.

Tu peux voir l'improvisation, la folie des grandeurs et la rondeur des jours comme un point qui va de bout en bout répandre sa résine rouge, les déliés du terrain, un fourrage de cailloux, près des plantes cultivées,  plates, ou éperonées, qu'on appelle "impatiens hybrides".

Ce climat est le notre uni à l'eau qui dort sous un autre pays gentiment affublé de gri-gris, de poupées pincées d'épingle à linge, ces tissus sèchent à l'écart au nid où pondent les flamants roses, et les chamois toujours les mêmes, tu les décris sur mes carnets et tu es autrement mon oeuvre.

Savais tu qu'autrefois les chamois pondaient des oeufs au mois d'Octobre ronds comme ceux de l'élandin ? Et cela faisait, à ceux qui les regardaient longtemps, des yeux gros comme un poème monstre.

Photo : Zoom juste après l'ondée. Une vue caramélisée de quelques feuilles mortes issues du charmant  parc René Dumont qui illustre à merveille, une nouvelle tendances de parcs dans nos villes : pas d'allées à la française, juste la végétation naturelle poussant à la manière sauvage... Photographiée à Villeurbanne aux derniers jours d'October.© Frb 2010.

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vendredi, 29 octobre 2010 | Lien permanent | Commentaires (4)

Du peu qu'on ne sait dire...

Je suis long à prendre des déterminations, à quitter des habitudes. Mais quand les pierres, à la fin, me tombent du coeur, elles restent pour toujours à mes pieds et aucune force humaine ensuite, aucun levier n'en peut plus remuer les ruines. Je suis comme le temple de Salomon, on ne peut plus me rebâtir.

FLAUBERT extr. d'une "Lettre à Louise Colet" datant du 6 juin 1853.

du peu qu'on ne sait dire,passé,présent,été hiver,mondes réels,mondes virtuels,correspondances,gustave flaubert,louise colet,pérégrinations,errances,digressions,espaces,inanité,solitude,isolement,multitudeSa mémoire recensait un peu tout ce qui remuait dans l'ombre, d'autres brassaient sur des écrans les nouvelles du soleil à venir, ça donnerait au milieu de Septembre une illusion de feu dans la lumière. Le vieux, il racontait hier, que "lorsqu'on voit sortir le museau des taupes, c'est toujours signe de mauvais temps". En attendant, l'été finissait, éclairant toute chose et même les yeux si parfaitement éteints de nous autres les promeneurs, qui prenions l'ocre pour du jaune, et l'herbe brûlée pour du foin. Ceux qui ne remarquaient rien craignaient juste que la fraîcheur du soir porte en elle les tourments aux heures les plus sombres, tout le dépressionnisme des jours qui précèdent la rentrée des classes, et s'installe longtemps à l'avance, ils redoutaient les nuits noires, de longues nuits où se bousculaient les fantômes, cela réveillait les chagrins qui se figeaient par les brumes au matin. Partout on savait qu'on allait vers une saison plus triste, chaque année c'était toujours comme à la fin, toujours les mêmes célébrations. On revivait la fin du monde une fois l'an, partout où grossissaient les ombres si démesurées qu'elles semblaient pouvoir annuler en chemin, toutes les illuminations de l'été.

Les vieux buvaient encore sous les platanes, on voyait sur leurs gueules la chaleur qui remonte par les tonneaux de vin. On attendrait qu'il pleuve, ou qu'il vente pour rentrer les bacs à géraniums et les chaises de jardin. Ici, du tonnerre de Juillet on s'en souvenait, par delà les décombres, il avait fait grand bien, balayant les anciennes demeures où le malheur frappait toujours, la foudre était tombée sur le grand chêne rouge, cette fois, il n'en resterait rien. On parlait d'un malheur ici, on espérait encore que la force du vent puisse détruire en même temps le souvenir funeste de ces gens qui portaient le malheur avec eux, trop sûrs d'eux-mêmes pour qui la cruauté semblait une force à offrir en modèle ravivant la faiblesse d'en finir avec nos faiblesses, mais on n'en soufflait mot, ce qu'il restait d'embarrassant, venait comme une maladie qui courait encore dans le ciel et l'on se sentait vaguement étranger, tâchant de se protéger au mieux de ces gravités trop humaines qui creusaient des tombes en dedans. Que n'auraient-ils pas fait, ces ambitieux, pour obtenir l'assentiment du plus grand nombre ? Hélas, ils l'obtenaient. Ils parlaient à tort à travers et les autres écoutaient, attrapés par les belles formules, des mouches attirées par le miel et ces semblants d'amour qui venaient flatter par défaut le manque. Aucun des spectateurs ne saurait dire si la source d'un tel amour n'était pas remplie de poison. On ne pouvait plus répondre aux questions, miel et poison, c'était dans l'air. C'était là notre vie présente, on en ferait un commerce égal à nos fausses compassions. On ne pouvait ni juger, ni s'y plaire, on écoutait en prenant garde de ne pas se trouver happés par la trop vive lumière que des ombres moins prévisibles écraseraient un jour en passant.

Sous la toile aguicheuse patiemment ouvragée, il y avait des doublures, des motifs piqués de frelons, un tissu cachant la vermine, des peaux de bête qui sait ? Et les monstres grimés allaient comme des loups de légende, poser cette caresse aux carrefours où des colporteurs faisaient feu de tout ce qui restait. Jusqu'au bistro d'en face on retrouvait les moues les mêmes, depuis des siècles, des créatures obscènes des chapitaux romans et des masques de plâtre. Les femmes aussi, elles portaient leur silence en dessous, à force de devoir endurer toute la boue que les hommes éconduits avaient dû déverser sur elles. Sous des coiffes impeccables et les fausses dentelles, elles pouvaient ressembler tantôt à des sorcières, tantôt à la Sainte Vierge, dont le visage, sans aspérité révélait une férocité naturelle qui faisait douter de leur sainteté, on ne pouvait plus dire si leur joie apparente était une peine ou leur peine un rire plein de méchanceté, de rancoeur ravalée jusqu'au sacrifice pour leurs mères elles mêmes sacrifiées. Aucune image, ni aucun livre n'avaient osé clairement nous dire si cela était faux ou vrai.

On marchait quelques kilomètres plus haut, la terre couvrait de souvenirs l'histoire de ces conquérants courageux. On retrouvait émerveillés les premiers écrits des trouvères, ceux du jeu de parti sous le palefroi d'un chevalier, dans les formules abolies on prenait soin de s'abolir ainsi, tout alentour allait aux pas de ces anciens poètes-guerriers partis un jour forcer les portes de la terre. On appréciait encore le charme des fenêtres à meneaux, on se promenait dans les chapelles où sous les voûtes en berceaux, on pleurait seul mais tranquille. Après s'être isolé par cette apaisante lumière, on se retrouvait dans la rue d'une ville, on se sentait perdu, vendu, défenestré, redirigé à contre-coeur vers ces nouveaux commerces où plus un seul humain ne pourrait bientôt choisir d'aller seul sans se trouver brusquement isolé, (encore qu'il reste à préciser, la différence à la fois intime et infirme entre la solitude et l'isolement). Ce nouveau monde nous forcerait-il à appartenir, (qu'on le veuille ou non), à quelquechose d'infiniment plus désarmant que la solitude ou que l'isolement ? Oui, et sans grâce, pour l'heure on se sentait presque obligé d'en accepter l'exubérance, et sa loi, cette inanité.

Lentement, on verrait se tramer les éclats de ces petits mondes, un mirage pour chaque chambre, cela nous donnerait-il la somme d'une totalité encore insuffisante ? Des vies où nous ne serions plus ni assez seuls ni assez libres pour réfuter nos dépendances. Cette nouvelle religion était si expressive, si idéalisée, que par mégarde on s'y logeait comme rien, galvaudant nos secrets, jusqu'à ceux qu'on avait juré de ne jamais trahir, pétri par cette masse, embarqué, on acceptait d'y étaler maintenant nos amitiés pareilles aux marchandises, pourvu que nous soit accordée, un court instant, ce peu de reconnaissance qui nous "fait", celle qu'on croit toujours mériter ; comme si tout était histoire de "mérite". Pour quels égards encore, serions-nous prêts à nous laisser "choisir" ? Envisagerions-nous aussi naïvement l'idée que la seule valeur défendable à ce jour fût encore la liberté d'expression ? (de chacun, bien évidemment), une fiction parmi d'autres, tout comme l'intelligence (du coeur ?) que mon ingratitude ne me permettra jamais d'exalter à si bon compte, mais ce regret inconsolé trouvera peut-être plus de sérénité à savoir qu'il est plus facile de montrer ce qu'on n'a pas, que de se regarder au miroir de ses propres contrefaçons.

Bientôt, il y aurait des courses pour chaque histoire, de compétition en compétion, des preuves au transfert de ce mal, le retour de toutes sortes de préventions, maldonne organisée pour le bien du grand nombre : retour de la morale, prise en charge de l'expression de nos forces diminuées et toutes les trahisons de nos plus grands espoirs seraient à mesure consommées. Il y aurait l'oubli de ces merveilleuses constructions, l'écroulement des cabanes pour d'autres garanties, plus solides, tout cela permettrait de nouveaux paysages. On construit déjà les maisons. On met aux loisirs tant de pages, au catalogue quelques balises et des combinaisons pour grimper dans les arbres, le retour à la vie sauvage encadrant les nouvelles colonisations. Il nous paraîtra encore délicat de poser autour de ces miasmes des bâtons d'encens parfumés. Ou bien, on ira dormir dans la crasse, par les ruines volées, imparfaites, un instant détaché de tous, scrutant le vide omni-présent dans la nuit qui vient à rebours et sous la bonne étoile qui nous relie aux trois mille autres, visibles à l'oeil nu, peut-être choisira-t-on de ne pas voir, de n'y puiser que le néant, l'immense empire impénétrable ou le noir à portée, cependant il faut toujours un peu choisir, quoiqu'on en dise ... On cherchera encore ce qu'il y aurait de charme à vivre, pas plus que le présent, pour tout le peu qu'on sait, intraduisible. On cherchera.

Photo : Si l'hiver vient comme un mouton, il s'en ira comme un dragon dit un ancien proverbe hivernal. Mais ce pays n'est pas l'hiver et la bête n'est pas le cerbère du temple de Salomon, c'est juste un doux fauve pétrifié par le temps, saisi là haut sur la montagne, on ne le trouve que si on le cherche, il est caché par les buissons près des cailloux sous lesquels remontent les légendes anciennes comme celle d'un trésor qui se trouvait enseveli sous une pierre tournante, dans ce monde, (le notre) la bête garde encore de nombreux souterrains, je vous ramènerai peut être un (certain) jour quelques extraits de ces  légendes encore vives qui viennent de la Montagne de Dun, dominée par une minuscule chapelle. J'ai sous les yeux les notes de trois érudits de ces mondes (Mr Jean Virey, les abbés Paul Muguet et Henri Mouterde), qui ont narré dans un ouvrage admirable, paru en 1900, l'histoire de "Dun. Autrefois, aujourd’hui". Rien à voir avec notre monde... Petite promesse, peut être à suivre...

Photo: © Frb 2010.

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mardi, 30 août 2011 | Lien permanent | Commentaires (4)

Où sont les femmes ?

Excédé de dégoût, à moitié asphyxié, Durtal voulut fuir. Il chercha Hyacinthe, mais elle n'était plus là. Il finit par l'apercevoir auprès du chanoine ; il enjamba les corps enlacés sur les tapis et s'approcha d'elle. Les narines frémissantes, elle humait les exhalaisons des parfums et des couples - l'odeur du sabbat ! lui dit-elle à mi-voix les dents serrées.

J. K. HUYSMANS in "Là bas" (1892), éditions P. Cogny, GF- Flammarion, 1978.

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Le pape Innocent VIII ayant envoyé deux moines enquêteurs en Allemagne, leur recherche sur l'extension de la sorcellerie donna naissance en 1486, à un rapport intitulé "le Malleus Maleficarum" ( ou "le Marteau des sorcières"), un traité des dominicains allemands Henri Institoris (Heinrich Kramer) et Jacques Sprenger, publié à Strasbourg en 1486 ou 1487. Il s’agit pour la majeure partie du texte d’une codification de croyances préexistantes, souvent tirées de textes plus anciens comme le Directorium Inquisitorum de Nicolas Eymerich (1376), et le Formicarius de Johannes Nider (1435). L'invention de Gutenberg permit de diffuser le manuel à grande échelle pour l'époque et l'ouvrage connut de nombreuses rééditions (au moins 34 entre 1487 et 1669, période principale de la chasse aux sorcières et des polémiques qu'elle suscita).  A l'époque, les femmes étaient surveillées par leur mari ou par le prêtre, car leurs mœurs et leur moralité étaient "naturellement" douteuses. Leur sexualité effrayait les hommes d'autant plus qu'il leur était impossible de la comprendre. Comme l'écrivait Jean Delumeau dans "La peur en Occident", la femme a toujours été diabolisée, les phénomènes de chasse aux sorcières ont traduit cette conviction d'une collusion "naturelle" entre la nature féminine et le monde des ténèbres. Ce sont encore les femmes, livrées à elles-mêmes, qui développèrent la médecine par les plantes, car les médecins à cette époque ne se préoccupaient pas de les soigner. Ces pratiques renforcèrent l'idée qu'il fallait s'en méfier et les femmes firent rapidement l'objet d'enquêtes lors de passages d'inquisiteurs dans les villes et dans les villages. Pendant longtemps la défense des "sorcières" était d'affirmer qu'elles étaient folles et irresponsables, leurs bonnes connaissances des plantes, étant la preuve certaine qu'elles n'étaient pas si simples d'esprit… Pour citer quelques chiffres, on accusa de sorcellerie, entre 1606 et 1650, 31 % d'hommes pour 69% de femmes au Luxembourg, 13% d'hommes pour 87% de femmes en Wallonie. Dans une autre étude, sur 155 cas, 105 sont des femmes ; parmi elles, 32 ont plus de 50 ans, 7 ont moins de 20 ans (dont une enfant de 8 ans et 2 adolescentes de 13 ou 14 ans ). Ce fameux livre, le "Malléus Maleficarum" connut un immense succès et devint une référence quasi obligatoire pour tous les procès en sorcellerie, car il décrivait scrupuleusement ce qu'était une sorcière, ses caractéristiques, et comment la contraindre à avouer ses crimes. En exerçant leur affreux ministère, les inquisiteurs et chasseurs de sorcières, se croyaient non seulement investis d'une mission divine mais ils appliquaient à la lettre les élucubrations écrites dans "Le Marteau des sorcières".

Le fantasme de la nature diabolique de la femme est revenu en force au XIXèm siècle, une période très marquée par la misogynie, et plus précisément la gynophobie que Michel Viegnes (qui a inspiré ce billet) évoque aussi dans son texte "Gynophobia" ou "La peur du féminin dans le récit fantastique" (paru dans les cahiers du Gerf N°6 en 1999 (messieurs n'inversez pas les trois derniers chiffres, de grâce!). Pour les auteurs post-romantiques qui sont majoritairement des hommes, la femme signifie "l'autre", par excellence, d'autant plus inquiétante qu'elle est irrésistible. Salomé devient un grand mythe fin de siècle et la peinture multipliera les représentations ténébreuses de la femme. Le scientisme n'est pas en reste, bien au contraire, l'autorité de Charcot cautionne également d'une toute autre manière, l'appréhension de la femme comme un être porté vers l'irrationnel, l'animalité et surtout l'hystérie (maladie qui hanta ce XIXèm siècle autant que sa littérature), à l'époque on était persuadé que l'hystérie était un mal uniquement féminin, peut être à cause de cette racine du mot ("utérus"), or, on sait aujourd'hui, (les impressionnantes hystéries féminines étant de nos jours, plus rares), que les hommes peuvent aussi souffrir d'hystérie. Ce ne sera qu'assez tardivement, en 1928, avec Dostoïevski et le parricide, que la question de l'hystérie masculine sera abordée pour la première fois dans toute sa dimension analytique. Cela fera peut être l'objet d'un prochain thème ici, mais le sujet est très délicat, en attendant revenons à nos "dames diaboliques" de la fin du XIXem, à cette gynophobie, que certains auteurs (cependant aimés par nous autres, les péronnelles), ne dissimulèrent pas dans leurs récits. Joris Karl Huysmans par exemple, créera une première onde de choc dans sa bible du "décadentisme" : A rebours" (qui se distance du naturalisme de son maître E. Zola sans toutefois en rejeter les méthodes), amorcera l'esprit de "Là bas". Dans "Là bas", Huysmans se met en scène lui même sous les traits de Durtal, un célibataire, écrivain qui travaille à une biographie de Gilles de Rais. Cet alter ego subit les assauts d'une admiratrice passionnée, oyez le nom qui possède si j'ose dire tout son pesant d'obscurité la dame s'appelle Hyacinthe Chantelouve, elle propose à Durtal de l'introduire auprès du chanoine Docre, un prêtre catholique voué au culte de Satan. Durtal se laisse séduire par la proposition, se donnant pour excuse qu'il doit en naturaliste "sérieux", étudier le satanisme contemporain pour mieux saisir celui du Moyen Âge. Il assiste donc à une messe noire qui dépasse en hystérie, tout ce qu'il a pu imaginer et la tentative de séduction qui s'en suit, le révoltera tout à fait. Extrait choisi (gynophiles s'abstenir):

Et elle se déshabilla, jeta par terre sa robe, ses jupes, ouvrit toute grande l'abominable couche, et, relevant sa chemise dans le dos, elle se frotta l'échine sur le grain dur des draps, les yeux pâmés et riant d'aise ! elle le saisit et lui révéla des moeurs de captif, de turpitudes dont il ne la soupçonnait même pas ; elle les pimenta de furies de goule et, subitement, quand il pût s'échapper, il frémit car il aperçut dans la couche des fragments d'hostie (1)

- Oh ! vous me faites horreur, lui dit-il ; allons habillez-vous et partons !

Plus loin ...

- A bientôt , fît Mme Chantelouve d'un ton presque timide, lorsqu'elle fût déposée à sa porte.

-Non, répondit-il ; il n'y a vraiment pas moyen de nous entendre ; vous voulez tout et je ne veux rien ; mieux vaut rompre ; nos relations s'étireraient, se termineraient dans les amertumes et les redites. Oh ! et puis après ce qui vient de se passer ce soir, non, voyez-vous, non !

Et il donna son adresse au cocher et s'enfouit dans le fond du fiacre.

Je vous épargne quelques notes sur le "Salomé" de Oscar Wilde et le moment de rencontre monstrueuse de Salomé avec son désir, mais je glisserai pour le plaisir (des images), un petit baiser nécrophile (à son lecteur chéri) :"The Climax", d'Aubrey Beardsley qui illustra, à merveille ce Salomé. En espérant que ces messieurs n'iront pas soupçonner en toutes les dames les penchants diaboliques d'une Salomé ou d'une Chantelouve, et que nos dames... Nos dames, rien du tout, les dames elles font ce qu'elles veulent et puis c'est tout.

Nota (1) : Les fragments d'hostie dans la couche de la Chantelouve n'étant pas dans les habitudes de Monsieur et Madame Toutlemonde, (nous on préfère les miettes de pain au chocolat), c'est en fait que la dame (a t-on idée ?) avait cachée l'hostie dans son intimité afin quelle soit profanée (l'hostie) lors du coït, mais cela fût sérieusement noté par Huysmans d'après une documentation authentique sur les pratiques courantes du satanisme.

Nota (suite): Ces notes de lectures sont tirées de divers textes choisis et présentés par Michel Viegnes, dont la plupart, extraits du livre "Le fantastique", paru aux éditions Garnier-Flammarion en 2006. Voir l'article ci-dessous :

http://www.fabula.org/revue/document1245.php%20

Photo : Ceci n'est pas une mante religieuse (c'est pas du tout pareil, si vous doutez cliquez sur l'image plus haut, qui ne signifie pas que sous chaque sauterelle se cacherait une mante religieuse, (si ça peut rassurer, Fernand, François, Paul et les autres). Ceci n'est pas une cigale non plus, ni une étoile de mer, c'est une sauterelle du Nabirosina tout ce qu'il y a de plus affectueux, photographiée sur son brin doux d'Août, au début du mois Septembre.

Photo © Frb 2011

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vendredi, 02 septembre 2011 | Lien permanent | Commentaires (7)

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