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mercredi, 04 novembre 2009

Du style vocal de l'homme

"Danger dans la voix : avec une voix forte dans la gorge on est presque incapable de penser des choses subtiles."

F. W. NIETZSCHE in "Le Gai Savoir" (1887). Editions Flammarion 1997.

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Tous les sons d'animaux se retrouvent chez l'homme, et tous ont pénétré de manières différentes les communications humaines. L'Homme peut aussi grogner, hurler, geindre gémir, gronder, rugir, crier etc ... Il serait inconsidéré de dire que le langage est né exclusivement d'une mimique onomatopéïque d'un paysage sonore, mais que la langue ait évolué et évolue avec l'environnement, cela ne fait aucun doute. Les poètes et les musiciens en ont gardé le souvenir vivant "même si l'homme moderne d'aujourd'hui, ne fait que marmonner" dit R. MURRAY SHAFER. Le linguiste Otto JESPERSEN écrit à propos de "l'aplanissement du style vocal de l'homme", je cite :

"Maintenant du fait du progrès de la civilisation, la passion ou tout au moins l'expression de la passion est modérée et nous devons en conclure que le langage non-civilisé et primitif était plus passionnément agité que le notre et qu'il se rapprochait davantage de la musique et du chant "

Il est tout à fait possible que le langage se soit développé à partir de quelque chose qui n'avait d'autre but que celui d'exercer les muscles de la bouche et de la gorge, de s'amuser et d'amuser les autres en produisant des sons plaisants ou peut être en expérimentant de soi des sons étranges...

Quand à l'aplanissement du style vocal chez l'homme, je me demande s'il ne faudrait pas plutôt parler "d'appauvrissement". Ou comment un être humain vivant en milieu urbain (dans nos sociétés occidentales), constamment sollicité, (voire saturé) par toutes sortes de signaux sonores incessants, peut-il encore s'entendre ? Ecouter pleinement son interlocuteur et harmoniser son mouvement avec le chant du monde ?

Pour ne pas en rester sur une question trop floue, une perception trop approximative, je vous invite à découvrir quelque lecture suggérée par les recherches de Philippe LE GOFF, (compositeur, acousmaticien, enseignant  en langue inuit) qui étudie depuis longtemps, les pratiques vocales inuits et a apporté un éclairage passionnant sur la notion d'oralité. En Inuktitut (langue inuit), la "voix" se dit "nipi", un terme générique qui désigne "le son". Un écrivain contemporain prestigieux TAMUSI QUMAQ (mort en 1993, auteur d'un dictionnaire Inuktitut de 30 000 mots), souligne que la voix n'est pas un trait spécifique à l'humanité mais qu'elle est partagée avec les animaux. Il y a aussi chez ce peuple une rhétorique du corps qui donne au silence toute sa signification parcourant tous les rapports sociaux et que l'observateur étranger peine à comprendre. On attendra d'un innumarik (d'un adulte accompli) qu'il contrôle ses émotions et sa parole : parler fort et s'emporter est considéré comme un comportement puéril et dangereux pour un adulte. Mais cette retenue ne signifie pas que cette culture est austère. Le rire, l'éclat de voix, la dérision ont aussi toute leur place. Le corps chez les Inuits, est pleinement une dimension du langage habité par la voix et le silence. L'espace arctique étant dépourvu d'arbres (brésars), il n'offre pratiquement aucun abri naturel, il faut donc inventer, construire, fabriquer. Le corps devient alors à la fois un outil et un refuge.

A visiter le site de Philippe Le Goff : http://phgough.free.fr/

 

Inuit : "Assalalaa
podcast

 

Photo : Le chat qui s'en va tout seul, écoute aux portes des humains... Vu sur la Colline près de la rue de Crimée. Lyon Croix-Rousse. Novembre 2009. © Frb

dimanche, 01 novembre 2009

Voyage en Toussaint(s)

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Le jour de la Toussaint, ils ne peuvent pas venir, parce qu'ils fleurissent les tombes du côté de sa famille à elle, donc ils viennent le dimanche, et pour l'occasion, la mère fait toujours un gigot avec des flageolets et eux, ils apportent le dessert. En général la tante elle  prépare un gâteau, toujours le même à base de yaourts et de poires. L'après midi, on part tous dans la 504 "c'est pas la peine de prendre deux voitures" dit le tonton. Le coffre est grand, on case les chrysanthèmes, et la tatan elle monte devant. Elle prend le plus gros de ce qu'il y a à prendre, sur ses genoux. Les pastilles de Vichy sont dans la boîte à gants. Après on essaie de se caler de chaque côté de grand mère, à cinq derrière, avec les arrosoirs entre les genoux, parce qu'au cimetière, on n'est pas sûrs que tous les arrosoirs ne soient pas utilisés par les autres gens. Ensuite on roule des kilomètres, en général il pleut. La radio fait des parasites, une station, on ne sait pas trop quoi, qui passerait tantôt d'europe 1 à RTL, dans les virages. Les hauts parleurs sont réglés tout dans l'aigu. Le tonton dit à la tatan : "mets nous dont une petite cassette, ils nous cassent les pieds avec leur blabla". La tatan regarde en dessous du tapis pour les pieds, tire une cassette , n'importe quoi. Au crayon feutre sur la pochette découpée dans du papier à dessin Canson, quelqu'un a écrit noir sur blanc "les plus grand hits"- compilation des années 70" avec en plus petit une liste des titres : face A, Face B : "Laisse-moi vivre ma vie- Du côté de chez Swann-Made in Normandie- C'est ma prière-Tata Yoyo". La mère dit qu'elle a oublié la bruyère qu'elle voulait déposer sur la tombe du Nono. Le tonton grogne tout bas "Pour ce qu'on en a à foutre de la tombe du Nono"... La mère reprend, "Dis donc ! tu pourrais pas faire demi tour, je voudrais qu'on aille chercher la bruyère le Nono , il a plus personne..." "Ben justement, répond le tonton, comme il a plus personne, je vois pas qui ça gênera si on ne fleurit pas sa tombe!" mais la tante engueule le tonton, "S'il te plaît, Guy, pas devant les petites ! y'a le respect des morts quand même !"... Le respect des morts, d'accord ! On fait demi-tour. Le tonton en colère monte le son du radio cassette, toute la voiture s'emplit d'un air bonnasse  Annie Cordy. la cousine est malade, il faut ouvrir les fenêtres, c'est normal crie la tante, "avec tes cigarettes !", le tonton lève les bras au ciel, "Ouh ben ! si on a même plus le droit de fumer ! c'est pas quand on sera là bas dessous ..", "oui mais maintenant tout le monde a froid !" la mère ose un : "j'croyais que vous aviez la clim dans c't'auto ?" La tante ricane : "la clim ! mais si on l'a ! mais il n'a jamais été foutu de comprendre la notice! "ouais, dit mon oncle, la notice en chinois ! pis ces machins j'y comprends pas !" "t'y comprends pas , t'y comprends pas !" ... Je ne sais pas si ça vient de la cassette, mais tout à coup plus rien ne va. "la clim c'est maintenant qu'il faut la comprendre, pas quand tu seras dans le trou!",  l'oncle marmonne, "Quand je serai dans le trou, je serai bien tranquille, au moins je pourrai faire ce que je veux ! ","Dis tout de suite que je t'en t'empêche ! t'es pas bien malheureux, quand même !". Tatan, tonton, 45 ans de mariage. On n'entend pas grand mère qui tourne la tête de gauche à droite, pour, on dirait, ne rien perdre du paysage. La cousine vire au vert, elle coince sa tête entre la vitre et la fenêtre, avec ses cheveux qui pendent de chaque côté à l'exterieur, on dirait ces chiens de chasse à l'arrière des autos... La tatan dit "ouvre grand la fenêtre !" la cousine pleure "chui malaaaade, elle répète plusieurs fois "malaaaade!". J'ai 12 ans et je pense en secret, qu'il me reste six ans à tirer. J'ose un "C'est encore loin ? le cimetière ?" La mère dit : "Si c'est pour soupirer et faire la gueule, c'est pas la peine, t'as qu'à  rentrer en stop". Des parfums montent d'une forêt. La tante se demande si on verra la Guite. "Parce que si on la voit, pas besoin de faire demi tour, elle est pas loin, elle pourra bien mettre une bricole sur la tombe du Nono, même un truc en plastique". Le tonton ne décolère pas: "Faut savoir si tu veux qu'on fasse demi-tour, ou bien si tu veux pas !" La tante se ratatine. Dans sa bouche cinq onomatopées "Moui, bof, oh, bah, pfff !", je me dis qu'en boucle ça ferait une putain de rythmique de jazz. Sur la cassette, Dave revisite Combray. Après un long silence, mon oncle reprend la conversation, il s'agit de faire l'inventaire de tous les maires de Belmont "Y'avait qui avant Léon Troncy ? Jean Verdellet ou Camille Chavanon ?". Un silence abyssal. Tonton insiste "Y'avait qui ?". La tante s'énerve, "Mais Guy, tu vois ben qu'on n'y sait pas! tu parles d'une conversation !". Grand mère me regarde gentiment : "Et toi alors ? l'école comment ça va ? Est ce qu'elle est gentille ta maîtresse ?". Grand-Mère sourit. Son regard est doux. Je suis en 5em j'ai plusieurs profs. je réponds "oui, elle est gentille". La vie reprend son cours, la tatan parle, elle cause, et quand elle cause sa mise en plis bouge d'avant en arrière, de là où je suis on dirait une très grosse salade beige ou un nid pour oiseau géant. La tatan interroge le monde, l'interroge indéfiniment, "Il devient quoi Dave ?", "Elle est où la lampe électrique ?  Est ce qu'on va avoir assez de pain pour ce soir ?".

Toussaint04.JPGSous des couleurs laiteuses, des panneaux bleus défilent "Ecoche, St Igny de Roche, St Germain la Montagne, Belleroche, Coublanc". Des panneaux blancs : "Ranchal, Le Cergne, Thel, Arcinges, Azolette, Anglure Sous Dun, Cours la Ville, Cuinzier, Propières...". Et le ciel se couvre de ces milliers d'oiseaux géants qui sortent des cheveux de ma tante : Tangre noir, Ombrase, Aigrelot cendré, Palunier de Smyrne, Antarche, Erythor champoisé. A quelques mètres du village, des milliers de petites croix. Grand mère me serre fort dans ses bras. Nous entrons au Royaume des Morts. Tatan porte les arrosoirs. Tonton, les pots. Bruyère et chrysanthèmes. La cousine semble manger l'air, son visage est si pâle qu'on voit presque à travers. Il y a des lis blancs sur la tombe du Nono, aux étamines d'or, dans un vase de cristal en forme d'étoile de mer. Grand mère me prend la main, son coeur bat sous la peau et sur chacun de ses doigts, mes doigts peuvent lire le passé. Je reste là longtemps, au milieu de l'allée, debout sur les cailloux. Grand Mère s'est esquivée. Je la cherche partout. Partout des fleurs artificielles, des plaques, des petites photos "A Robert, mon époux " "A mon épouse bien aimée", des gerbes pâles "De la part des amis de Tony Bertillon". Du marbre partout, beaucoup de marbre, et des mottes de terre, pour les demoiselles des Ursulines. Je vois au loin ma tante qui me fait de grands signes, "Viens ! Viens ! j'vais t'présenter, l'arrière-neveu du Nono ! c'est un grand professeur, il travaille dans les hopitaux". Je serre le gant tanné d'un dadais à chapeau et costume chevron. "Ca fait longtemps, dis donc.", je dis "ça fait longtemps !". Je me souviens de ce petit garçon qui adorait craquer des allumettes, pour brûler les yeux des crapauds. De cet enfant gynécologue, le plus illustre de la région, qui auscultait les petites filles, avec trois doigts... Il me dit "Je vais te présenter ma femme et mes enfants", je vois débouler d'entre les tombes deux petits clones précédés d'une grosse plante mêchée arrogante. Je crie :"non, non !". Je cours par les allées, repèrant au cas où, la sortie de secours. Là-bas, mon oncle remplit les arrosoirs. Il me rejoint. "Dis donc t'as pas l'air d'aller bien, tu es sûre que ça va ?", je ne sais plus où j'en suis. Je lui dis "Non, ça va pas bien je ne sais pas où est la grand mère". Mon oncle me dévisage. Il s'assoit sur une tombe, il secoue sa grosse tête, longtemps. Puis il m'emmène "viens avec moi !". Nous entrons dans un labyrinthe, des allées, des chapelles. L'oncle porte religieusement ses deux grands arrosoirs et un pot plein de fleurs mauves. Il s'arrête devant un bloc rose granité surmonté d'une discrète croix blanche. Il est gêné. Il essaye de remplir le vide, de me faire la conversation. "Et comment ça va, toi ? les études ? Le bac français, c'est pour c'printemps ? J'ai 22 ans. Je termine un mémoire sur "le Rivage des Syrtes". Je réponds "oui, le bac français c'est pour ce printemps.". Il fait très sombre. On commence à sentir les gouttes. Je lève les yeux, je tourne en boucle "Faut que j'aille chercher grand mère !". Mon oncle me répond "Tu es sûre ?", " Sûre de quoi ?", " Es tu sûre que ça va ?". La pluie ruisselle sur sa figure. Je ne sais pas trop pourquoi. Je lui dis : "je reviens dans cinq minutes, si Grand mère a fait un malaise je ne me le pardonnerai pas". Il me rattrape, il me retient: "Tu veux pas qu'on aille boire un coup ? "Après, peut-être. Là, je suis inquiète, il faut que j'aille voir !". Il me retient. Il me serre très fort dans ses bras, Il me dit à l'oreille tout bas : "C'est pas la peine !". "C'est pas la peine ?...  Pourquoi ?".  Il me montre sur la croix blanche, une inscription sculptée : "ci-gît Lucie Laure-Marie- 1908- 1979". Je toise l'inscription, les prénoms. "Ce n'est pas elle, tonton, ça ne se peut pas !". Mon oncle s'exaspère : "Mais enfin tu ne te souviens pas ? en 1979, quand on a eu cet accident, en revenant du cimetière !  sur la route de Propières c'était la toussaint comme aujourd'hui, sauf qu'il pleuvait..." je regarde le ciel, je m'aperçois qu'il ne pleut pas. Il ne pleuvra sans doute pas aujourd'hui. Mon oncle parle de l'accident, du sang du mien, de celui de grand-Mère, c'est un vrai charabia ! Peut être qu'avec l'âge, il commence à perdre la tête..."Tu comprends... C'était difficile, à cette époque, on manquait de sang, on m'a demandé de faire un choix. J'ai signé un papier. Et puis ils t'ont transfusé toi".

entre les tombes m net - copie.jpgIl y a sous la terre une mâchoire d'où sortent des milliers d'oiseaux, des aigrelots de Thel, des tangres de Ranchal. A dos de palunier j'étudie les excavations. La belle main de Grand-mère m'offre des coraux noirs. Entre les tombes, mon oncle, continue ses fadaises. Je nous vois tous les deux, distinctement dialoguer. Je me dis, vu d'ici que mon corps est vraiment différent de mon âme. Heureusement, les silhouettes rétrécissent à vue d'oeil.

Photo : Fleurs artificielles et pots perdus  vus aux cimetières de Charlieu, et Bois Ste Marie le 1er-Novembre 2009.© Frb.

samedi, 31 octobre 2009

Le chant des champs

A travers ce que tu entends, laisse-toi aller à la dérive sur un radeau instable, livré aux glissements d'espace et de temps, au pluriel des présences, à la multiplicité des points d'écoute.

RENE FARABET : "Bref éloge du coup de tonnerre et du bruit d'ailes" (Phonurgia)

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Les bergers comme l'imagine LUCRECE, ont pu apprendre à chanter et à siffler en écoutant le vent. A moins que ce fût par les oiseaux. VIRGILE dit que PAN a montré au berger, "comment ajuster des roseaux à la cire pour converser avec la nature". Les bergers se jouaient mutuellement de la flûte et chantaient pour que passent les heures de solitude. La forme en dialogue des "Idylles" de THEOCRITE et des "Bucoliques" de VIRGILE, le montre, la musique délicate de leurs chants constitue peut-être le premier, le plus durable des archétypes sonores crées par l'homme. Des siècles de pipeau ont engendré un son de référence qui aujourd'hui encore, alors que disparaissent tant d'images et de formes littéraires traditionnelles évoquent toujours la sérénité des pâturages. Les bois en solo sont les instruments de la pastorale, par excellence, à tel point qu'un compositeur aussi porté sur l'emphase que BERLIOZ réduit son orchestre à un corps anglais et à un hautbois pour emmener l'auditeur doucement en duo vers la campagne.

A écouter : H. BERLIOZ "Scène aux champs" : ICI

Dans le paysage calme de la campagne, les notes claires et caressantes du pipeau des bergers se paraient de pouvoirs miraculeux. La nature écoutait puis répondait en sympathie :

"Silène les chante, l'écho des vallées les renvoie jusqu'aux astres, jusqu'au moment de rassembler les moutons au bercail et de rendre l'appel au signal de Vesper apparu dans l'Olympe marri" (Extr. VIRGILE  (bucoliques VI), traduction E. de St Denis. editions : Les belles lettres 1970)

THEOCRITE fût le premier à faire converser la nature avec la flûte des bergers et depuis les poètes pastoraux l'imitent :

"Tu essaies un air silvestre sur un mince pipeau [...] Nonchalant, sous l'ombrage tu apprends aux bois à redire le nom de la belle Amaryllis". Extr. VIRGILE  (Bucoliques I)

Pour retrouver ce pouvoir miraculeux de la musique, il faudra attendre les Romantiques et le XIXèm siècle. La rencontre entre la ville et les prés est joliment rendue par ces quelques lignes de Thomas HARDY qui ne manqueront pas de faire rêver les habitants de nos grandes villes dans leur boites fermées à clefs, bardés de digicodes, portes blindées, alarmes...

"Le berger sur la colline située à l'est pouvait lancer par dessus les cheminées de la ville des nouvelles de l'agnelage au berger de la colline ouest et cela sans grande gêne pour sa voix, si proches étaient les pâturages pentus des jardins urbains. Et la nuit, au coeur même de la ville, il était possible d'entendre, dans leur enclos natal au bas des prairies, le doux meuglement des génisses de la ferme et leur souffle profond et chaud". Extr. Thomas HARDY in "Fellow Townsmen", Wessex tales. Londres 1920.

Source : R.MURAY SCHAFFER : "Le paysage sonore", extr. "Les sons de la pâture"; Editions Lattès 1979.

On imagine assez les habitants de la colline (les "cruci-roux" chers à chr Bohren et à Solko) lançant par dessus les toits de la Pouteau des nouvelles de la Biquette qui rumine au Caillou, ce chant léger et beau dévalerait la Colbert puis par St Sébastien rejoindrait la vallée, de l'Opéra à Chenavard et jusqu'à la Grenette, tout le monde attraperait la colline au ragot, puis traversant la Saône, le Rhone, et La Fayette, les nouvelles ayant enfin toutes fait le tour, elles remonteraient, par un vieux caquelon pétillant chez Tante Paulette sa belle odeur de  volaille cuite dans du Pouilly Fuissé (et non dans du fouillis puisé comme j'allais l'écrire bêtement), tout ça mettrait les hommes en joie, ils chanteraient alors avec des dames une paillarde de Vaise, comme de bien entendu, en patois de Couzon le tout flotterait jusqu'aux alpages de St Bruno, en passant sous le pli d'une soutane à carreaux. Doucement s'échapperait le secret des grattons, un cervelas truffé, quelques pieds de mouton et l'odeur d'un groin d'âne sur ses petits lardons enverrait des baisers de Soulary à la Tordette soufflé par les naseaux de la Biquette jusqu'au sommet des Echarmeaux.

Remerciements à Dorothy Fuldheim de nous avoir signalé des liens intéressants à propos de Thomas Hardy, permettant ainsi une appréciable mise à jour.

Photo : Véchas Crésas (rachiollases) posant aux pâturages à l'entrée de Montmelard, presque au pied du majestueux Mont St Cyr (771 m. d'altitude), l'un des plus haut sommet de la Bourgogne du Sud d'où l'on peut contempler par temps clair les cîmes neigeuses du Mont blanc et des Alpes, les Monts du Forez, de l'Autunois, du Beaujolais et du Mâconnais.

Nabirosina 2009 © Frb.

vendredi, 30 octobre 2009

Haute fidélité

"Il fût tiré de sa méditation par un grincement venant de la remise. C'était la girouette qui tournait sur le toit. Et ce changement de vent annonçait une pluie diluvienne".

THOMAS HARDY : "Far from the madding crowd". Editions : Oxford university press, 2002.

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La campagne est généralement plus hi-fi que la ville. (Il y a deux termes, hi-fi et lo-fi). Dans l'environnement hi-fi, le signal bruit est satisfaisant. Le paysage sonore hi-fi est celui dans lequel, chaque son est clairement perçu en raison du faible niveau sonore ambiant. Dans un paysage sonore hi-fi les sons se chevauchent moins fréquemment. On a chez Alain FOURNIER dans "le Grand Meaulnes" plusieurs exemples, d'images qui donnent précisément une idée de l'acoustique de la campagne française à son époque : "Le bruit d'un seau sur la margelle du puits et le claquement d'un fouet au loin". Le calme d'un paysage sonore hi-fi, permet donc d'entendre plus loin, de même qu'un paysage rural offre généralement des panaromas plus vastes. La ville a réduit les possibilités d'audition et de vision opérant ainsi l'une des modifications les plus importantes de l'histoire de la perception. Dans un paysage sonore lo-fi, les signaux acoustiques individuels, se perdent dans une surabondance de sons. Il n'est plus réellement possible d'entendre un son clair. La perspective, dans une cité moderne, s'évanouit à un carrefour. La distance est abolie, seule reste la présence car il y a des interférences sur tous les circuits. Les sons ordinaires devront être de plus en plus amplifiés. Dans un paysage sonore hi-fi, le moindre changement peut transmettre une information vitale ou intéressante, l'oreille humaine est en alerte comme celle des animaux. Dans la nuit silencieuse, la vieille dame paralysée d'un récit de TOURGUENIEV entend les taupes creuser sous la terre. "C'est bon signe, n'y pensons plus" se dit-elle, mais ces bruits lui rappellent aussi le poète, GOETHE, l'oreille collée au sol :

"[...] Que mon coeur sent de près l'existence de ce petit monde qui fourmille parmi les herbes, de cette multitude innombrable de vermisseaux et de moucherons, dans toutes formes, que je sens la présence du tout puissant qui nous a crées à son image [...]" (Extr. GOETHE, "Les souffrances du jeune Werther).

De près comme de loin, l'oreille répond avec une sensibilité de sismographe. Du temps où les hommes vivaient très souvent isolés ou se regroupaient par petites communautés, les sons ne se gênaient pas les uns les autres. Chacun restait au sein d'un halo de silence, et le berger, le bûcheron, le paysan, savaient lire dans le paysage, le moindre changement.

Vous aussi, (grâce à certains jours), vous pouvez comme en pleine campagne écouter la chouette hulotte chanter depuis un grand arbre (tout en surveillant le passage du moindre petit mulot. Pas vous, voyons ! la chouette ! quoique...). Pure Hi-fi par ICI.

Ou découvrir le chevreuil (capreolus capreolus), monologuer dans la forêt sous les grands feuillus : ICI encore.

Et enfin (un exemple parmi d'autres), découvrir qu'il n'y a pas une différence si énorme entre les très urbains Résidents et autres animaux des champs, des bois et de la ferme, dont notre sanglier : ICI enfin.

Sources tirées de : R. MURRAY SCHAFER: Le paysage sonore". Editions Lattès 1970. (A suivre...)

Autre lien puisé à la bonne source de R.MURRAY SCHAFER : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/10/17/2f...

Photo: Au bout d'un chemin, une vieille maison, (côté grange ou remise). Vue au hameau dit "les clefs", longeant un étang du même nom (traversé entre les bruissements par de microscopiques insectes). Nabirosina. Octobre 2009. © Frb.

jeudi, 29 octobre 2009

Echapper bien

"Les bois de hêtres sous ce qui leur reste de feuilles dorées font luire au soleil leurs branchages blancs. Les bouvreuils s'imaginent que midi c'est l'été. Ils se rengorgent et paradent sur les aubépines, mais l'ombre s'est déjà installée pour l'hiver au nord des pentes, les inquiète. Ils vont la voir de près d'un vol rapide, reviennent, s'interrogent, s'essayent à de petits vols d'alouette comme pour s'assurer de la présence du soleil. Les corbeaux s'organisent en grandes allées et venues. L'herbe des près déjà rousse à sa pointe se feutre et s'aplatit. L'homme qui râtelait son regain et est allé dîner a de la chance d'avoir pu gratter encore un peu. Je vis en bonne intelligence avec ce qui m'entoure."

JEAN GIONO "Les grands chemins", editions Gallimard 1951.

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Des chasseurs s'amusent avec une peau de chien. La poste n'ouvrira désormais qu'un jour sur trois. La petite rue est déserte, la grande aussi. "Au royaume de la chaussure" on vend des bottes en daim. On note la fermeture définitive de quatre magasins. Ici, il y a trois docteurs, huit salons de coiffure. Le petit casino est vide, l'intermarché est plein. Dans la vitrine de l'échoppe du fabricant d'huile, quatre immortelles débiles dans un pot en étain. On a fermé le château après le concours hippique. Des hollandais ont racheté la maison du notaire. Le chef de gare a pris une année sabbatique. La femme du Joanny court avec le Clotaire. Au cinéma on rejoue "les chtis". Des gamins ont tagué le portail du cimetière. On prévoit quelque randonnée sur le chemin des chouettes. Le baromètre descend. On a vu la Paulette. Le banquet des conscrits aura lieu à midi. L'usine en a encore licencié trente. Deux femmes causent à la pharmacie du neveu de mademoiselle Branche. :

"Il disait qu'il voyait des amours blancs dans la Bourbince. Ils l'ont emmené à La Cellette. Des amours blancs offerts par Marguerite-Marie, sa femme est repartie vivre à "La coquille"".

"Le pauvre homme ! Le pauvre homme, y doit se sentir bien seul"

"Ah oui ! c'est malheureux, c'est malheureux! finir comme ça !"

Je remonte le chemin entre Montrouan et Ozolles. Un panier d'osier à mon bras. Le marquis souhaiterait me montrer des girolles qui poussent dans les bois. Des girolles ou Girole, roussote, jauniré, ou même gallinace, chanterelle orangée. Le marquis est jovial, il arrive en poney. Les plis de la girolle me font beaucoup d'effet. Le marquis souhaiterait me montrer des bolets. (Boletus splendidus, à chapeau gris, ou rose ; boletus satanas, le monstre à pied renflé). Nous marchons gentiment sur des feuilles mouillées. Je sais que les bolets ne poussent qu'en été, ou bien à la rigueur au début de l'automne mais dans les régions chaudes. Le marquis me prend par la taille. Il s'arrête pour me dire des choses avec les yeux. Des choses qui ne se disent pas avec le langage. Marguerite-Marie flotte dans mes cheveux. Il y a des écureuils qui jouent sur les noyers. Des écureuils, et des chatons. Des chemins par milliers. La brume me rappelle mes vacances aux Ardennes, sous le pis des nuages, les Ardennes au mois de Mai. Un nuage s'en va, un bois de hêtre vient. Dans les champs, Marguerite moissonne des bleuets. Je vois des bolets blancs fondre sur les genêts. J'esquisse un pas de danse sur une pomme d'amour. "Je vis en bonne intelligence avec ce qui m'entoure".

Photo : Ce jardin. Nabirosina. Octobre 2009.© Frb.

vendredi, 23 octobre 2009

Le détraquage

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Quatre heures. Le voyage dura quatre heures. Pour un trajet de 90 km. Dans la chenille bleue amidonnée, un panneau devenu fou déroulait le projet d'un itinéraire à rebours. Nous étions censés venir d'Orléans, et à destination de Lyon. Je venais de quitter Lyon pour un train à destination d'Orléans. Le panneau m'assurait que non. Une certitude tournait en boucle. Et j'en doutais. Deux mois.

Cela faisait deux mois que j'attendais de partir. Deux mois que je voyais courir les arbres au dessus de l'enseigne "Le canut sans cervelle", et que je trébuchais sur la caillasse de ces rues en travaux, esquivant les nouveautés, les créateurs, ces vernissages... (non pas que je sois contre, loin s'en faut ! mais là, c'était trop). La rentrée dans tous ses états. Le pire étant encore dans nos villes ce qu'on appelle : "animations". Lasse des têtes et des rubans, épuisée par ces fugues molles toutes identiques, (la mienne aussi), j'attendais le moment où je pourrais durant des heures, parler avec mon âne en croisées de chemins. Combien ?

Il y avait un nombre incalculable de wagons dans cette chenille. Combien exactement ? Je ne saurais dire, de ma vie je n'ai vu un train aussi long. J'étais seule dans le wagon. Le contrôleur, je ne sais pourquoi, me dit qu'il y avait une autre fille à l'autre bout de la chenille. Je songeais que bientôt les forains replieraient la vieille vogue. Il m'a parlé juste pour me dire ça. Deux.

Nous étions deux dans ce grand train. Ca ressemblait à l'énoncé d'un cauchemar mathématique."Deux et deux seulement". C'était un TER avec des sièges comme au salon de coiffure, en velours imitation velours, (c'est très nouveau), et des tablettes couleur perce-neige, rabattues, (rebattues ?) sur le dos du fauteuil d'en face, un long couloir gris, et plus haut des diodes électroluminescentes oranges déroulaient le nom de toutes les gares qui marqueraient l'arrêt entre Orléans et Lyon. Sur le côté, des bribes de civilisation, ponts de ferraille, tags incompréhensibles, établissements portant à bout de charpente, la "domotique", les bureaux de marketing, puis un retour brusque aux néons augurait entre des grillages, la rébellion des végétaux qui claquaient sur la vitre maculée de caques d'oiseaux. On entrait victorieux en gare de Lozanne, (20km au nord ouest de Lyon du nom de "Hosanna" jour de correspondances et de Rameaux). Un quart d'heure environ.

Le train roula presque normalement pendant un quart d'heure environ. Le moteur vibrait fort, ce barouf de graves nous prenait dans l'étau. J'avais ouvert un livre de Benjamin FONDANE, qui parlait de Baudelaire, d'une préface signée par Théophile Gautier. Un livre écrit tout en hongrois. Tandis que la loco attaquait les oreilles, le cerveau puis les yeux, et que les diodes oranges superposaient aux caractères des éditions Paris-Méditerranée, des figures cosmiques, univers fractals et les liasses de billets d'un Voltaire psychédélique virevoltaient simultanément sur mon crépusculaire reflet. Nul ne peut ignorer que FONDANE n'est pas un poète hongrois mais roumain, la traductrice s'était trompée ? J'eus un instant besoin de maudire Odile Serre, que j'aimais bien pourtant grâce à la poésie moldave. La mécanique flambait, acheminant la vie du rail qui bringueballait de gauche à droite son acousmatique laminée. Tout cela allait crescendo mais le train avançait. On avait ajouté à cette symphonie (non pas pour un homme seul, mais pour deux femmes dans un train), l'éclatante ligne de rouages percussifs, une diffusion en continu, un métronome broyé qui battait sous la peau mais le train avançait encore. Et je me réjouissais du temps qu'il me restait pour lire. Trois.

Tandis que je contestais violemment Odile Serre pour cette traduction hongroise inacceptable de FUNDOIANU (FONDANE), une confusion qui représentait à mon sens, une faute professionnelle très grave, doublée d'un irrespect envers les lecteurs et lectrices ; le train arriva à Lamure sur Azergues au bout d'une demi-heure comme prévu. Lamure sur Azergues, (anciennement, "La mure". Héraldique : "gueules au mur ruiné (la mure) d'argent, maçonné de sable, soutenu d'or et ouvert du champ, au chef aussi d'or chargé d'un lion issant aussi de sable, armé et lampassé aussi de gueules, surchargé d'un lambel de cinq pendants du même"). Lamure sur Azergues, deux minutes d'arrêt. La ville (petite) ouvrit ses quais à la chenille. Impromptu mécanique métamorphosé qui sait ? en papillon de nuit conçu par Vaucanson un soir d'ivresse. La bête s'émancipait. Nous nous désincarnions. Personne ne descendit, ni ne monta. Le contrôleur vint me le redire. D'un air tout à fait désolé. Il répéta trois fois "Vous êtes deux dans ce train" : Cette fille qui ne me voyait pas et moi qui n'avais pas la preuve de l'existence de cette fille, à peine de la mienne sinon dans le regard du contrôleur, lui même, intermittent, "effacé", comme on dit souvent. Nous étions trois, à peine. Dans un monde où tout compte à partir de mille. Une heure.

Nous passâmes du chant Russolien au silence de la montagne. Un râle spasmodique, juste. Et plus rien. Grâce à l'arrêt de ces moteurs, je parvins enfin à relire la préface de Monique Jutrin. "poétique du gouffre". Une mémoire pour Benjamin FONDANE, mes initiales inversées, je loue ce précurseur et poète au destin tragique qu'on ne m'apprit jamais à l'école, hélas ! nous y reviendrons, hors détraquage... "enadnof srev Unaiodnuf eD". Le hongrois d'Odile Serre prenait un élan charmillon. Le rétablissement d'un espace sonore plus adéquat à mon audiophilie maniaque, me rendait les points de concentration, de probité, nécessaires à la compréhension d'un livre en promenade, ce projet de nouveau possible, je reconstituai méthodiquement le bon sens du rectangle qui glissait sous mes doigts. Je me mis à aimer follement Odile Serre, pour sa traduction admirable du roumain au français de l'oeuvre de Benjamin FONDANE ("Images et livres de France") quand je m'aperçus que depuis une heure, raptée mentalement par le jeu arythmique du train, j'avais lu le livre à l'envers. Deux minutes.

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J'avais donc repris le beau livre, rephasé à l'endroit son deuxième chapitre. J'attaquais doucement quelques notes d'introduction sur HUYSMANS, le catholique, où FONDANE évoquait le Christ peint par Matthias GRÜNEWALD du petit musée de Cassel. Au prélude de "Là bas", les diodes implacables lancinaient le désert, annonçaient implacables aussi, l'arrivée imminente au terminus de Lyon Perrache. Nous étions arrêtés en sens contraire à la campagne. Ma montre retardait de trois jours. Vingt minutes.

Le contrôleur signala que la machine était en panne, un des moteurs avait lâché. La nuit tombait sur la montagne. Il venait un courant glacé. On avait appelé d'urgence un technicien qui arriverait dans vingt minutes pour essayer de faire redémarrer ce train. Pour l'instant on préférait évaluer le temps en valeur indéterminée. Nulle part.

Nous étions au milieu de nulle part. Là bas entre les rails, un petit bonhomme courait. Le chef de gare, le contrôleur, deux voyageuses.  Bientôt nous serions cinq. Nous grandirions. Le contrôleur allait venait. Son talkie walkie émettait un consolant grésil. Le contrôleur parlait en hurlant, à chaque fois le grésil répondait : "Ok d'accord ! d'accord ok !". Je m'entendis bêtement demander au controleur :"Pardon, m'sieur, mais qu'est ce qui se passe ? Où va-t-on maintenant ?". Il énonça clairement les faits. L'homme était très aimable, les choses bien expliquées. Mais elles semblaient se balancer comme la feuille de TINGUELY au bout d'un porte-clefs à quelques mètre de là, pendues à la ceinture du chef de gare... J'écoutais la réponse. Toute l'attention qu'on me portait, le contrôleur faisait tout ce qui était en son pouvoir. J'en fus émue aux larmes :

"On est en panne, on ne peut pas réparer, soit on essaye de repartir avec un moteur détraqué au risque de se retrouver coincé dans un tunnel, soit on reste là, et on attend. Qu'est ce que vous préférez ?"

Nota : Prochainement, un certain jour (?) ou jamais (?) la suite du voyage et puis un autre jour encore (?) plus certain (?) je reparlerai du poète, Benjamin FONDANE (traduit admirablement du roumain par Odile Serre et vivement conseillé par la maison)

Photo 1 :  La nuit, ou presque. Quelques brésars d'automne qui bordent la vallée d'Azergues.

Photo 2 : Un extrait de forêt de pins dans la montagne, vus quelquepart entre le Bois d'Oingt et Poule les Echarmeaux. Je ne sais pas où exactement. Octobre 2009. © Frb.

mardi, 20 octobre 2009

Encres perdues

Je descendis de cheval ; je lui offris le vin de l’adieu,
Et je lui demandai quel était le but de son voyage.
Il me répondit : Je n’ai pas réussi dans les affaires du monde ;
Je m’en retourne aux monts Nan-chan pour y chercher le repos.
Vous n’aurez plus désormais à m’interroger sur de nouveaux voyages,
Car la nature est immuable, et les nuages blancs sont éternels

WANG WEI :  "En se séparant d'un voyageur"

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WANG WEI (vers 701-761 ?) fût un illustre poète chinois de la dynastie T'ANG. Peintre, calligraphe, musicien, "paysagiste", il fût considéré comme le maîtres le plus doué de la poésie lyrique. Il intégra le paysage dans la peinture chinoise du paysage, comme un sujet à part entière. On sait qu'il occupa plusieurs postes de prestige, d'autres moins, il appartenait aux "officiels" et fût incarcéré lors d'une rebellion dans la capitale, obligé de travailler pour les rebels puis accusé de collaboration lors de la reconquête de la capitale, il sauva sa tête par la grâce d'un poème loyaliste écrit en prison.

On lui attribue plusieurs innovations techniques, notamment un style qui utilisait l'encre monochromatique dont l'effet dépendait uniquement d'un emploi expressif et rigoureux de lavis d'encre noire ou grise projetée. Il est considéré comme l'un des plus grands peintres de la Chine, mais comble du paradoxe, on ne possède aucune peinture de ce grand maître. elles ont toutes disparu au fil des siècles. Sa peinture n'est donc connue qu'à travers quelques gravures sur pierre réalisées à partir de son célèbre rouleau Wang-chuan et des copies de ses peintures par les artistes qui lui succédèrent (telles que "Eclaircie après une chute de neige", collection Ogawa, Kyoto). On pense que la famille impériale mandchoue conserva un original intitulé "Paysage sous la neige". Les informations sur son œuvre nous viennent principalement de sources littéraires. On raconte que ceux qui ont jadis eu la chance d'apercevoir la peinture de WANG WEI se sont exclamés : "On ne peut aller plus loin, plus haut : l’art du paysage dit ici son dernier mot.". Quant à la poésie chinoise, s'il faut nommer trois grands poètes, les trois plus grands, on nommera souvent : LI-PO, DU FU (Thou fou) et WANG WEI... Ce dernier adepte du tch'an (bouddhisme) cherche à approcher un état de communion presque amoureux avec la nature, le regard du poète se mêle au vide de la montagne", à la barque du pêcheur, au bleu des saisons, comme s'il les avait lui même inventés : "Je vais jusqu’au lieu où la source s’épuise, et contemple la naissance des nuages. Voici le semeur de forêts : Nos plaisanteries n’ont pas souci du temps."

Le poète et peintre SU TUNG PO écrira assez musicalement, à propos des oeuvres de WANG WEI :

Savourant un poème de Wang Wei, dans son poème
une peinture
savourant une peinture de Wang Wei, dans sa peinture
un poème

Dans la poésie de WANG WEI, il n'est jamais question d'effusion personnelle, celle ci est d'autant moins présente que les verbes en chinois ne se conjuguent pas et que les articles sont absents. L'être humain pourrait se fondre presque dans la totalité du monde, et le lecteur occidental se confronter à des traductions qui n'ont pas toujours le ton juste ni l'esprit du mouvement de WANG WEI. On pourra cependant apprécier les oeuvres de Wang WEI dans les ouvrages suivants :

Wang WEI, Les Saisons bleues : l'œuvre de Wang Wei poète et peintre, éd. et trad. Patrick Carré, Paris, Phébus, 1989 / " Libretto ", 2004.

Wang WEI, Paysages : Miroirs du cœur, trad. Wei-penn Chang et Lucien Drivod, Paris, Gallimard, " Connaissance de l'Orient. Série chinoise ", 1990.

Wang WEI, Le Plein du vide, trad. Hervé Collet, Cheng Wing-fun, callig. Cheng Wing-fun, Millemont, Moundarren, 1985.

A noter qu'un jour, un recueil de poésies chinoises fût offert à GUSTAV MALHER qui, pour composer "Le chant de la terre" ("Das lied von der Erde") sélectionna sept pièces dont une de WANG WEI. Le sujet du chant de la terre peut se croiser ci dessous.

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/03/15/ca...

Le compositeur a un peu "arrangé" le poème de WANG WEI , mais comme sa composition musicale, est un chef d'oeuvre magistral, on fermera les yeux sur cette petite occidentalisation.

Photo : retour des encres plus ou moins chinoises juste au dessus de la voie du caillou. Vu au hameau des Clefs. Nabirosina. Octobre 2009.© Frb.

samedi, 17 octobre 2009

Parler au caillou

"C'est en discutant avec un caillou
qu'on a le plus de chance

de se rendre compte des limites de la conversation".

PIERRE-YVES MILLOT : in "La conversation"/ "Pour en finir avec le rien".

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DISCUTER : Nature : v. a. Prononciation : di-sku-té

Etymologie : Lat. discutere, dissiper, secouer, et figurément, examiner, discuter, de dis.... préfixe, et cutere, frapper.

conjugaison du verbe discuter : ICI

CAILLOU : Nature : s. m. Prononciation : ka-llou, ll mouillées, et non ka-you Etymologie : Berry, chillou, chaillou, caille ; caillotte, chillotte, petit caillou ; Saintonge, chail ; picard, cailleu ; wallon, caie ; namurois, caiau rouchi, caliau ; provenç. calhau ; portug. calhão. Mot difficile. Diez, faisant ressortir l'analogie entre cailler et durcir, propose cailler, acceptable pour le sens ; mais, si caillou avait même origine que cailler, on trouverait parfois dans les anciens textes coaillou (voy. l'historique de cailler) ; ce qui n'arrive jamais. Grandgagnage le tire du flamand kai, kei, caillou. À cause du sens, on ne peut guère, jusqu'à présent du moins, admettre que calculus ; d'où, par suppression de l'u bref, calclus ; d'où chail ou chaille ; d'où, avec un suffixe ou, caillou ou chaillou. Ce suffixe ou et au dans le provençal fait difficulté ; car représentant la finale latine avus (clavus, clou), on ne voit pas comment il s'est joint à cail. Au reste les suffixes ont varié : il y a eu ot, otte, eul, iel, tous suffixes qui vont beaucoup mieux au primitif cail que le suffixe avus. Le celtique cal, dur, a été indiqué.

Conjugaison du verbe caillouter : ICI

(Sources : dico divers, Web).

Avant de courir (via liens) sur les textes épatants de P. Y. MILLOT,  on tirera des parallèles entre le verbe discuter et le caillou, par la voix de PLUTARQUE évoquant un instant la "vie de DEMOSTHENE", qui, (d'une autre manière), discutait avec des caillou(x) (plein la bouche), comme quoi, (c.f P. Dac) :"tout est dans tout et réciproquement". Extrait :

"Sa voix était faible, son élocution peu nette et son souffle court, ce qui obscurcissait le sens de ses paroles par le morcellement des phrases. [...] Il se fit, dit-on, aménager une salle d'études souterraine; [...] il y descendait tous les jours sans exception pour s'exercer à l'action oratoire et cultiver sa voix; souvent même il y restait deux ou trois mois de suite, se faisant raser un seul côté de la tête, afin d'être empêché de sortir, même s'il en avait grande envie, par le respect humain. [...]
Il parvint par ses efforts à se défaire de sa prononciation vicieuse et de son zézaiement et à articuler nettement en se mettant des cailloux dans la bouche tout en déclamant des tirades. Pour exercer sa voix, il parlait en courant et en gravissant des pentes, et prononçait d'un seul trait, sans reprendre haleine, des discours ou des vers. Enfin, il avait chez lui un grand miroir en face duquel il se plaçait pour s'exercer à la déclamation".

Je ne me résigne pas à suivre P. Y. MILLOT dont je vénère pourtant l'écriture. Cette idée de limite (surtout de la conversation) me sape le moral. Il faut bien accepter cependant, chemin faisant, et entrer en matière avec le caillou. De quoi discuterons nous ? De rien. Ou presque. Parfait. Happée par la douce érosion de l'élément, je résiste au silence de mon caillou. J'essaye d'amadouer, de lui faire quelques compliments. Rien à faire. Au moment où le désespoir viendrait, à force de patience, se joue un étrange déplacement. Je m'aperçois que très naturellement je partage plus de choses avec le caillou qu'avec certaines personnes. Nos points communs ne sont pas rien, le caillou ne regarde pas la télévision, le caillou ne va pas au cinéma, ni aux musées, ni au théâtre. Le caillou est tout seul, le caillou ne porte pas de costard (et je l'en remercie). Le caillou en dit long. Pour le reste il se fout à peu près de tout y compris que tout soit dans tout, même réciproquement. Mais ce qui m'attire et m'invite disons au surpassement (ça marche aussi avec les gens), c'est ce point justement où il n'y a plus rien de commun. Altérité, on dit. Sur son corps inspiré, se lisent des oxymores : impassible douceur. Une idée de la ruine de toutes les connaissances, de l'acquis, de l'inné et j'en oublie. Sa voix (?) en vient à me timbrer passablement. L'étrange étrangeté excelle. Le silence du caillou devient assourdissant. Il convoque les morts. Ses lisses rugosités, sa bienveillante indifférence me liquéfient. Il a gagné. Nous avons dépassé la limite de la discussion et pourtant le flux ne s'interrompt pas. Ce présumé silence était un leurre. Je disparais mangée par le chemin, portant à bout de force une question quasi godardienne. "Qu'est ce qu'il y a au delà de la conversation ? Et comment ça s'appelle ?"...

Quant à P.Y. MILLOT, quand on lui demande "Pourquoi écrivez vous ?" il répond, "Il faudrait adresser cette question à un psychanalyste". C'est ce que nous ferons ! décidément certains jours, même avec les meilleures intentions du monde, on n'y arrive pas. ("Même en mettant les bouchées doubles" me glisse Démosthène sur dans l'oreillette, ah c'est malin !).

En attendant je ne peux que vous conseiller de découvrir P. Y. MILLOT à travers ces truculents petits liens aimablement glanés par la maison. Je vous promets que c'est un chouette lot de consolation, (vous pouvez me remercier).

http://pymillot.chez.com/

http://clicnet.swarthmore.edu/litterature/moderne/millot/...

http://clicnet.swarthmore.edu/litterature/moderne/millot/...

Photo : Caillou du Nabirosina (énorme, superbe, teinté de quartz bleuté et rose), entouré de sa famille et de quelques amis. Vu sur le chemin du hameau dit "des Clefs", là bas. Octobre 2009. © Frb.

vendredi, 16 octobre 2009

Marcher sous la lune

"Et les refuges lointains succèdent aux gîtes proches."

LI PO : "Sur l'air des barbares bodhisattva" in "Les yeux du dragon", (Anthologie de la poésie chinoise trad. Daniel Giraud). Editions Le bois d'Orion 1993.

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LI PO (connu aussi sous les noms de LI-BAI, LI TAI PO, LI TAI PE etc..) , fût l'un des poètes chinois les populaires de la grande époque des T'ang. Riche et pérégrin, il fût tout autant viveur proclamé, que promeneur méditatif, amateur de femmes et de beuveries. L'un des poèmes les plus connus étant celui où le poète boit du vin avec son ombre :

Au milieu des fleurs un pichet de vin
je bois seul, sans compagnon
levant ma coupe je convie la lune claire
avec mon ombre nous voilà trois

Surnommé "un immortel en exil", il se désignait lui même comme "l'ambassadeur des trente six cieux".

Une parenthèse très approximative quant à ce nombre impressionnant de cieux. Cette connaissance par les chiffres du Tao (ineffable et incommensurable) est en alchimie taoïste, le ressort caché du cosmos : "Sur une grande échelle, le Ciel et la Terre, et sur une petite, le corps en son entier ont tous des nombres du régime du feu naissant et se parachevant". 36 serait le nombre des provinces des maîtres célestes, qui entretient un rapport avec les 360 jours de l'année. Pour d'autres encore, le cosmos s'abolit tous les 36 billions ou trillions d'années. Mais cet aspect étant un peu trop vertigineux pour l'heure et ma nature ayant horreur du chiffre, je referme la parenthèse, et retrouve LI PO le poète magnifique, qui dit-on se serait adonné à l'alchimie, comme un millénaire auparavant son camarade et illustre poète QU YUAN.

LI PO passa la plus grande partie de sa vie à voyager à travers la Chine, sans souci, sur un mode incompatible avec le système confucéen. Sa personnalité fascina. On lui offrit un poste à l'académie Hanlin comme poète au service de l'empereur, puis il fût remercié pour indiscrétion, ensuite il erra, le reste de sa vie. Il rencontra DU FU (THOU FOU) à l'automne 744 et puis l'année suivante, deux seules rencontres qui ont pourtant associé les deux poètes pour très longtemps dans les mémoires. Cette amitié intense, se lit encore dans certains poèmes, particulièrement ceux de DU FU. LI PO fût exilé pour s'être révolté contre l'empereur, mais il fût pardonné avant d'avoir atteint son lieu d'exil. La légende raconte qu'il se serait noyé en essayant d'embrasser l'image, réfléchie de la lune dans une rivière. Nous esquiverons volontairement l'hypothèse d'une fin plus réaliste, tant mourir en embrassant le reflet de la lune semble une mort, sinon rêvée, la plus douce des morts possibles.

Je chante, je chante la chanson du vent qui souffle à travers les pins,
Et ma verve ne s’épuise qu’à l’heure où s’efface la voie lactée.
J’ai perdu ma raison et cela excite encore votre gaieté, mon prince ;
Nous oublions tous deux, avec délices, les préoccupations de la vie réelle.

Autre lien de Chine et de lune : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/08/11/pleine-lune.html

Et, par contraste, à contempler, une lune urbaine sur le tard : http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/archive/2009/10/3...

Photo : La lune ou presque, au dessus du chemin qui longe les prairies et les pépinières à la tombée de la nuit (ou presque). Nabirosina. Octobre 2009.© Frb.

jeudi, 15 octobre 2009

Phyllomancie

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La phyllomancie est une divination par les feuilles d'arbres et de plantes. Les prêtres de Dodone en Epire se fondaient sur leur bruissement pour annoncer l'avenir. Grand sanctuaire à oracle, Delphes, fût d'abord complètement sous le règne "de la Grande Mère enfouie en terre jusqu'à la poitrine". La vérité sortait des profondeurs souterraines, l'oracle parvenait du monde des morts. Puis Thémis prit la place de la Grande Mère, elle choisit pour prophétiser une nymphe, Daphné, qui recueillait les voix des arbres et les vibrations du serpent enfoui dans les profondeurs mais cela est une autre histoire que je vous raconterai peut- être un certain jour...

Depuis 2000 ans le constant usage mantique des feuilles d'arbres et de plantes a été celui de l'oracle d'amour. Au IIem siècle de notre ère, déjà on savait pratiquer "la claquette", (rien à voir avec Fred Astaire ! mais plutôt avec un certain Pollux, pas le chien, non plus ! je précise, il ne faut pas confondre la phyllomancie avec le manège enchanté, quoique...). Ainsi par la grâce de Monsieur Pollux, la claquette vient à certains jours, livrer un peu de ses secrets, il n'est pas défendu au lecteur, d'essayer, c'est beaucoup moins dangereux que de mâcher les feuilles de lauriers roses, (voire le billet "dendromancie") ou les colchiques de fin d'été qui fleurissent, fleurissent... et contiennent de la cholchicine mortelle pour l'être humain, à partir de 40 grammes, mais là, sort de la diviniation par les chemins buissonniers, pour rejoindre la route (goudronnée et anti-poétique) de la prévention. Je n'irai pas au delà. Recentrons vite notre sujet, pour saluer l'automne, et apprenons ensemble, si vous le permettez, la claquette, par le magique enseignement du professeur Pollux :

"On prend une feuille de pavot ou d'anémone, on la pose sur le pouce et l'index de la main gauche réunis en cercle et on la frappe avec le creux de la main droite. Si le bruit que fait entendre la feuille en se déchirant est sonore, on peut espérer dans l'amour de son bien aimé".

On procédait aussi (toujours selon Pollux) d'une toute autre manière avec la fleur d'un lis double en la gonflant comme un sac en papier et en la faisant éclater sur le front. Le scholiaste de Théocrite précise que la claquette, se jouait souvent sur l'épaule ou dans le pli du coude, et qu'on observait non seulement le bruit, mais aussi la trace. Une simple marque était interprétée favorablement et s'il y avait une égratignure on y redoutait le pire. La phyllomancie doit être considérée comme une sorte de botanomancie. Les plantes, qui le plus souvent ont donné leurs feuilles aux phyllomanciens sont le rosier, l'anémone, le pavot et la sauge. On cite aussi la verveine et la bruyère ainsi que le myhique figuier.

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Au Moyen-Age, on connaissait le procédé phyllomantique suivant : On plaçait les feuilles en un lieu légèrement aéré. On laissait décanter. Quelques jours après, on revenait et on notait l'aspect et la disposition des feuilles qui ne s'étaient pas envolées. A partir de là on établissait l'interprétation. Parfois on écrivait des noms de personnes ou certaines réponses sur les feuilles, on observait ensuite celles que le vent avait dispersées et celles qui étaient demeurées telles qu'on les avait disposées. Puis la divination se perdant à travers les siècles, je n'ai pas de données assez sérieuses, pour décrire comment on interprètait ces dispositions, mais je sais que parmi les mancies fantaisistes (lesquelles ne le sont pas ?), on pourrait parler, pourquoi pas ? de la choumancie (Voir la minute encyclopédique), non pas pour lire l'avenir en soufflant sur la feuille de chou mais pour palper le chou afin de connaître les caractéristiques du futur époux, une mancie réservée aux demoiselles d'Ecosse dit on, j'émets évidemment quelques réserves mais je vous livre un brin de légende quand même :

"Pour savoir, à quoi ressemblera leur futur époux, les jeunes filles écossaises pendant la période d'Halloween, vont au jardin pour y cueillir un chou les yeux fermés, si la racine est terreuse cela signifie que le mari sera riche, si la racine est douce c'est qu'il aura bon caractère, et le futur mari ressemblera au chou qui aura été cueilli petit ou tordu, bossu, gros rond... ".

A signaler parmi ces lectures dans les feuilles la "tasséomancie" ou divination dans les feuilles de thé. Au XVIIIem et au XIXem siècle on trouvait même des petits ouvrages expliquant aux curieux les bases de cette divination et cette pratique fût très prisée dans les salons nantis épris d'ésotérisme (il faut bien dire, "de bazar"). Enfin pour terminer on pourrait dire que la phyllomancie se rapproche de la capnomancie (ou divination par la fumée, très pratiquée en Grèce antique et puis au Moyen Age où l'on jetait des graines de jasmin dans le feu pour prédire l'avenir). Les deux mancies furent parfois intriquées, il était fréquent que des feuilles d'arbres et de plantes soient brûlées, la lecture divinatoire de cette fumée se mêlant aux bruissements des végétaux menait sans doute à de puissants adages mais les pratiques de notre domaine suivant une philosophie 100% alcestienne, récusent sans réserve ce type de mancie tout autant que les pratiques sacrificielles visant à saccager les fleurs les feuilles et puis les branches, et je rajoute, (selon ma pseudo sagesse populaire à moi, au diable la capnomancie!) qu'il vaut mieux destiner directement à l'être aimé, les fleurs, les feuilles et puis les branches au lieu de les brûler pour savoir si on sera aimé. Après quoi, l'avenir sera dit...

Photos : Bruissements de feuilles aux couleurs folles vénérant les frêle brésars dans un fourré secret. L'adage dit que l'automne est là. Et c'est bien vrai ! vu en chemin nabirosinais. Octobre 2009. © Frb

mercredi, 14 octobre 2009

La vogue indifférente

mardi, 13 octobre 2009

Dendromancie

"Si un tamaris est triste, l’intérieur du pays ne sera pas heureux"

AROUMS P468.JPGLa dendromancie est une branche de la botanomancie : il s’agit d’une divination par les arbres. Tout dans un arbre peut être observé à des fins d’interprétations mantiques dit-on. Le feuillage et son mouvement sous le vent, l’aspect extérieur, le bois même qui peut être disséqué de la même manière qu’un corps animal.
 La vigueur des pousses nouvelles, les craquements du bois, les prodiges apparus dans le tronc ou les branches.

Ainsi peut on lire dans l'ouvrage du Docteur G. Contenau ("la divination chez les assyriens et les babyloniens") quelques exemples de préceptes très anciens :

"Si un palmier est triste, le coeur des gens ne sera pas bon".

"Si un arbre épineux est triste, la santé des gens ne sera pas bonne."

(Voir ci-dessus le triste tamaris), entre autres...
 Nous retrouvons le tamaris dans la divination grecque, à côté du laurier d'Apollon, et des chênes de Zeus, sur la croupe du mont Tamaros à Dodone.
 La divination par le laurier a pour petit nom savant la daphnomancie. Le laurier, consacré à Apollon, (Dieu des prophètes et des devins) était aussi considéré comme symbole par excellence de la divination. On pouvait mâcher des feuilles de laurier pour atteindre un état de transe. (Il ne vaut mieux pas re-tenter l'expérience aujourd'hui, car les feuilles de lauriers sont toxiques à très faible dose, et parfois même mortelles). On pouvait aussi le faire brûler et observer les flammes, y lire peut-être quelque présage dans la fumée ? Plus tard, on confectionna les dés avec le bois de laurier, (dont certains possèdaient le pouvoir d’abolir le hasard, ça c’est moi qui rajoute). On pensait aussi qu’en mettant une branche de laurier près de la tête d’un homme endormi, on faciliterait chez lui, les rêves divinatoires. Quant aux chênes (pour en revenir à la pure dendromancie), les prêtres de l’oracle de Zeus à Dodone considéraient comme une prophétie le bruissement de leurs feuilles agitées par le vent. Homère a évoqué ces oracles de chênes devins dans "l'Iliade" et dans "l'Odyssée" :

"Seigneur Zeus, dieu de Dodone, dieu des Pélasges, dieu au lointain logis, qui règne sur Dodone où sévit de mauvais temps - et les Selles habitent à l'entour, tes interprêtes, qui, les pieds non lavés, couchent sur le sol !" (HOMERE - l'Iliade, XVI - v.234)

"Celui-ci me dit qu'Ulysse s'en était allé à Dodone pour écouter, dans la haute chevelure du chêne divin, les conseils de Zeus sur la manière de revenir au gras pays d'Ithaque, dont il était depuis longtemps, déjà éloigné." (HOMERE - L'Odyssée XIV, v.327)

Si l'on sait aujourd'hui que Dodone était l'oracle de Zeus, on oublie que l'oracle était aussi dédié à Dioné qui était autrefois considérée comme une puissance agraire et comme une déesse du chêne, l'arbre tutélaire de ce bois sacré. L'oracle de Zeus et de Dioné fût donc l'un des plus renommés du monde hellénique. Dès l’époque romaine et jusqu’à nos jours, on a volontiers attribué un arbre à une famille noble et puissante : une branche abattue par la foudre, une maladie du bois, des feuilles tombant prématurément étaient autant de présages d’un accident ou d’un décès dans cette famille. Souvent, de la mort de l’arbre tout entier, on pronostiquait la ruine ou la disparition de la famille. De nombreuses lignées seigneuriales en Europe ont vu leur sort lié à celui de leur totem végétal. Elles ne suivaient en cela que l’exemple donné par la famille romaine de Jules dont le bosquet de lauriers plantés par Auguste se déssécha à la mort de Néron.

Il faut voir là, une conception de la magie sympathique entraînant secondairement des conséquences divinatoires. Une telle notion rejoint le principe des totems, des attributs mythologiques, des animaux compagnons des saints dans l’iconographie médiévale, des statuettes de cire des sorciers de village etc... La dendromancie est profondément enracinée dans l’esprit humain et qui sait ? En de nombreuses superstitions qui parfois nous hantent tout bas...

Souvent je songe à ce chêne rouge que mon père planta le jour de ma naissance, dont la racine tenait dans le creux d'une main. Durant toute mon enfance je le vis grandir et puis me dépasser. Le chêne ne tarda pas à me dominer d’un bon mètre, puis de deux... Tandis que je lisais mes premiers "Oui-Oui" dans son ombre. Lorsque je découvris le "bateau ivre", le chêne rouge était un géant, il aurait dû survivre à ma génération et à celles qui suivraient. Mon père veilla longtemps sur sa tranquille maturité. Tant que le chêne rouge allait, tout irait. Puis il y eût d'autres livres et des feuilles plus sombres. Une nuit, l’orage foudroya notre chêne, brisa en deux parties nettes le tronc. Quelques jours après, on vit arriver la faucheuse.

Photo : Crépuscule aux oracles d'un dieu brésar vu près de la dame et ses génies (dont certains de l'agriculture) dans la mythique forêt Morand. Photographié à Lyon rive gauche. Au début de l'hiver 2008. © Frb

dimanche, 11 octobre 2009

Souviens toi, barbe à papa...

Il pleuvait sur Lyon ce jour là.

souviens toi, barbapapa.JPG

Encore un tour à la vogue sous un ciel moins clément mais dans les senteurs folles des sucres parfumés, près du nuage rose, improbable cocon, sur une autre ancienne route de la soie, celle ci comestible, un pastel odorant remué par une dame aux belles mains ouvragées ; ( on apprécie autant la "petite cuisine" que "barbe à papa mobile"). Ces brassées franches osent l'excès des petites folies de l'enfance, travaillent la réminiscence au corps même des passants plus âgés, et de ces petits vieux, superbes, insolents de santé qui vont à l'onctuosité, comme jadis à la kermesse. Un souvenir de demoiselles en robes Vichy, paletots à cols froufroutés, celles à qui l'on offrait des chouchous et cette friandise fameuse sur la place promise, une générosité qui souvent se troquait en  baisers...

Pour ma part, je trouve la barbe à papa, plus jolie à regarder qu'à manger, un peu comme la meringue, écoeurante et fade au palais (mais tous les goûts étant dans la nature), je laisse le lecteur ("barbe à papaphage"), envier l'aubaine des cruci-roux qui chaque jour, partant et revenant de leur travail peuvent se coller la bouche (et les doigts, et la tête...) dans l'opulence trompeuse de ce fil à fil adoré. Pour le plaisir des mots, rappelons au lecteur, reluqueur de friandises, quelques autres péchés mignons du même genre : Berlingots, calissons, fraises tagada, carambars, niniches de Quiberon, bêtises de cambrai, nougats, rigolette, pommes d'amour... Bien de quoi se consoler par ces temps quelque peu acides.

Lien gourmand pour les incorrigibles  :http://www.euro-info-tourisme.com/France/barbeapapa.html

Photo : Rien n'est plus beau que "les mains de la dame dans la barbe à papa" encore plus fascinantes que "les mains d'une femme dans la farine" glorifiées par Claude Nougaro. Vu, Boulevard de la Croix-Rousse en plein coeur de la vogue (aux marrons), entre Jutard et Chanteclerc. Lyon Octobre 2009. © Frb.

samedi, 10 octobre 2009

Excentricité

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Au temps où l'on croyait que la terre était un disque plat, entouré par le ciel à l'horizon, chacun devait imaginer qu'il était le véritable centre du monde. Une certaine résistance s'opposa à l'idée que le centre de la terre pouvait se trouver en un lieu relativement éloigné de nos propres pieds. Aussi les anciens juifs étaient tous persuadés que Jérusalem était le centre de la terre et en situaient le centre exact à l'intérieur du temple. De la même façon, les grecs étaient persuadés que Delphes était le centre de la terre et avaient placé le point central là où la pythie inhalait des vapeurs et proférait des sons incompréhensibles traduits en prophéties. Ce petit jeu dût cesser lorsqu'on comprit que la terre n'était pas plate mais sphérique. Pas exactement sphérique d'ailleurs (mais ne soyons pas mesquins, oublions les accidents de surface, arrondissons...)

Or, nous répète le grand Isaac ASIMOV : "la surface d'une sphère n'a pas de centre, le véritable centre, le centre mort est équidistant de chaque point de la surface, le centre de la terre se trouve à 6371 km de la surface quelque soit l'endroit où vous vous trouvez". (Cette thèse est d'ailleurs contestée ICI, mais soit ! restons dans l'univers du "comme si" et suivons (sans broncher, svp), I. ASIMOV, ce qui nous permettra de passer de la centro-centricité à l'excentricité puisque tel est notre sujet d'aujourd'hui (et d'hier ;-) ...

En considérant que la terre est une sphère et une sphère parfaite et en ignorant donc les renflements équatoriaux et les quelques irrégularités de surface (broutilles!), personne d'entre nous n'est plus proche de ce centre ou plus éloigné qu'un autre, de manière significative. Ainsi conclut (certes un peu cavalièrement) ASIMOV, mais l'idée quoique controversée a le charme d'un monde plus juste et quelque peu réenchanté, je cite :

"Si nous sommes excentriques au sens littéral du terme, nous le sommes tous au même degré"

Source : Isaac ASIMOV : "X comme inconnu". Editions Londreys 1984.

Retour sur Isaac ASIMOV. Revoir "les lois de la robotique" : ICI

Photo : Il est (presque) au milieu. (Comme vous et moi, n'est ce pas ?). Centro centrique mais excentrique quand même, (exactement au même degré, y'a pas de raison ;-) le petit bonhomme des "hauts de Saône", tourne infiniment sur lui même, vu sur un mur, au coeur de la cruci-rousse colline d'où l'on voit par temps clair, un tout autre centre du monde, (chef-lieu de notre beau patois lyonnais entre autres, nombril incontestable des tavernes au Morgon bien chambré), j'ai nommé Vaise, sa Scala, son Hyper-Rion, sa médiathèque, son bric à brac du père Chevrier. etc.. Mais ceci est une histoire qui sera peut être au centre d'un autre certain jour, (si d'aventure, je me risquais à ce très grand voyage) ... Lyon, colline (baladeuse). Octobre 2009. © Frb.

Nota : Pour des raisons évidemment indépendantes de ma volonté (de "connexion instable", dirons nous,) je vous prie de bien vouloir m'excuser de ne pouvoir visiter comme je le souhaiterais vos blogs, ô kamarades ! je fais donc mon possible, en espérant bientôt un retour à des configurations propices...

vendredi, 09 octobre 2009

Agrophylax

"Quel bruit fait l'arbre qui tombe dans un bois où il n'y a personne pour l'entendre ?"

IMGP0309.JPGAvant l'explication par la science de la naissance du monde, l'homme vivait sur une terre enchantée. Dans un "Traité sur les rivières et les montagnes" datant du IIIem siècle et attribué à PLUTARQUE, nous apprenons ceci d'une pierre de Lydie qui ressemble à l'argent et que l'on appelle "agrophylax" : "il est assez difficile de la reconnaître car elle est intimement mêlée à la poudre d'or que l'on trouve dans le sable des rivières, elle possède des propriétés très étranges. Les riches lydiens la placent à l'entrée de leur coffre, afin qu'elle protège leur réserve d'or, car chaque fois qu'un voleur s'approche, la pierre émet un son qui ressemble à celui d'une trompette et le larron se croyant découvert, s'enfuit, et précipité au fond d'un gouffre périt de mort violente"(1).

Björn ERIKSSON :"Ballad Ollo Dallab"
podcast

 

(1) Extrait : "Traité des rivières et des montagnes" cité par F. D. Adam in "The birth and development of the geological sciences" N.Y. 1938.

Source : R. Murray Schafer : "Le paysage sonore". Editions J.C Lattès 1979. A voir encore ICI.

Photo : L'absence de vie ne s'accompagnant pas forcément de l'absence de sons (nous y reviendrons), juste ici la "Pierre de Charpennes" en lamentations, quelques jours après l'enterrement du brésar. Et sous l'asphalte, suivant un long soupir, l'enfer se dép(r)ave dans le caviar. Vu et entendu à Villeurbanne en Octobre 2009. © Frb.

mercredi, 07 octobre 2009

Les crocs d'Icare

Comme un mercredi, sur le grand manège...

ICARE51.JPGReprenons l'étude aux bruits d'une vogue qui convulse et rassemble, paraît aussi jeter au ciel quelques aventuriers, bien décidés à se trouver pendus, tête à l'envers, jambes pendantes (et réciproquement), sous nos visages levés, nos bras ballants (et pas réciproquement)... Une machine paradoxale. La plus métaphysique sans doute de cette vogue. Un de ces engins qui aurait bien pu inspirer un SCHOPENHAUER  ?

"On n'est libre qu'en étant seul " (in "Ma vogue avec Schopenhauer"). Editions Plon 2009.

un CIORAN ?

"Au zoo toutes ces bêtes ont une tenue décente, hormis les singes. On sent que l'homme n'est pas loin." in "Le manège à Mimile". Editions du néant, 2004.

ou plus certainement un MONTAIGNE :

"Tout ce qui branle ne tombe pas", in "Montaigne saute à l'élastique". Edition Ushuaïa 1984.

Un Univers de "cons flambloyants" (dont je suis, et, pardonnez-moi, dont nous serions tous un peu, selon mon chien aussi, inclus n'est ce pas ? A qui je rends un hommage mérité en passant, ainsi qu'à tous les autres)... Un de ces mondes comme on en rêve depuis qu'on est resté enfant, et dont on ne s'arracherait pas si aisèment pour partir sur une île déserte avec son bouquin préféré (Nathalie SARRAUTE ? "L'ère du soupçon" ?) ou "sa" petite musique préférée (Michel Fugain ? (en minuscules) "Fais comme l'oiseau" ? (Je vous mets le lien ? Allez ! juste pour les costumes, la vie est courte ! soyons fous !). Plus jamais d'île déserte, que nenni ! on est mieux là, assis par terre (pas attaché sur le manège ! vous n'y pensez pas, malheureux !). Juste là. Ras les pâquerettes. A faire Zazen comme des petits bouddhas dissipés, à respirer ce merveilleux pralin d'humanité qui va et vient tout au milieu du ciel et qui nous met les tripes à l'air, rien qu'à le regarder.

Voilà un manège qui fascine sans doute parce qu'il dévore ses gens, qu'il broie menu, sangle les membres de ses passagers, (tous consentants, la camisole de force au milieu de la fête, c'est encore un mystère), avant de les monter un peu plus haut que les toits, dans le fracas assourdissant des overbass du pire dancefloor de la terre. Adrénaline, chocottes totales à ceux du ciel. Pour ceux du bas le plaisir est immense. Surtout quand le forain stoppe toute sa machinerie. Et laisse de longues minutes ses otages immobiles, attachés tout en en haut. Interminable apesanteur ou pesanteur, au choix. S'ensuit alors un suspens insoutenable où le temps entre en expansion, et peut-être l'univers aussi...

A écouter "le courage des oiseaux" : ICI

A voir le mouvement de la petite histoire : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/11/05/la...

Et pour un manège plus "humain", plus enfantin, disons, c'est juste à l'étage au dessous..

Photo : le manège le plus insensé de la vogue et peut-être le plus technoïde, installé sur une petite place pas loin de la Mairie (Sorry, j'ai oublié le nom,), longeant le boulevard de la Croix-Rousse, vu avec ses volontaires en pleine partie de jambes en l'air, (pas du tout ce que vous croyez, messieurs-dames !). "Vogue aux marrons" encore et toujours à l'heure d'été, en presque début de roisée. Lyon. Octobre 2009. © Frb.