lundi, 27 juillet 2009
Ange au mûrier
Le soleil du matin doucement chauffe et dore
Les seigles et les blés tout humides encore,
Et l'azur a gardé sa fraîcheur de la nuit.
L'an sort sans autre but que de sortir : on suit,
Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes,
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
L'air est vif. Par moment un oiseau vole avec
Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,
Et son reflet dans l'eau survit à son passage.
C'est tout.
Paul VERLAINE : "La bonne chanson".
VERLAINE vient de se fiancer avec Mathilde MAUTE, une très jeune fille. "La bonne chanson" évoque presque chronologiquement les évènements de sa vie depuis sa rencontre avec Mathilde, jusqu'au mariage. Les plus beaux poèmes du recueil sont sans doute ceux où il décrit les paysages qui ont accueilli cet amour. VERLAINE y chante sa joie pure, son enthousiasme d'amoureux. Il imagine le bonheur paisible du foyer. La vie tranquille.
La lune qui nimbait de mélancolie le décor des "Fêtes galantes" verse maintenant dans son coeur : "un vaste et tendre apaisement"...
Quelques années plus tard, l'arrière petite cousine de Melle Mathilde, se promène à cheval dans les chemins du Nabirosina, L'air est frais. C'est l'heure exquise, celle où chaque jour, le petit fils du marquis de Montrouan lui donne rendez vous, sous l'hêtre pourpre dans la forêt, juste derrière une haie, où bientôt poussera la mûre...
Photo : Un signe... Vu dans la lumière matinale du Nabirosina. Juillet 2009. © Frb
07:00 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
dimanche, 26 juillet 2009
Un monde en ruines
Part I
Hier je marchais seule, dans cette rue ancienne, comme on va en pélerinage pour retrouver un temps, celui d'un grand parcours du monde avec mon grand ami M. (le monde = deux rues seulement !) sur des patins à roulettes géants. Explorateurs de cette planète de deux mille habitants à peine, nous montions avec de grands airs de cosmonautes, les escaliers de la salle des fêtes, pour aller chercher ceux de notre bande (des superstars), premiers tambours, ou de trompette à la fanfare. Puis nous partions en reportages avec des magnétos en plastique (De marque Remco 50) interviewer la boulangère, (à propos de ses "miches", bien evidemment !) ...
Mais ce n'est point le sujet du souvenir qui m'intéresse, le présent est encore assez bien achalandé d'une toute petite marge de lendemains que je ne désire pas dilapider trop précocement s'il est permis... C'est juste comme ça, rassurant, quelquefois de revenir sur ses pas, de vérifier que rien n'est changé, car si rien n'est changé on peut alors s'imaginer qu'on ne vieillira jamais. Enfin, pas comme ceux qu'on revoit 20 ans après, qui nous tapent dans le dos par surprise, tellement heureux de nous retrouver et qui sautent de joie en nous disant : "tu te souviens de moi ?", Laurent Pinsson ! on était ensemble au collège "tu te souviens de melle Pugeolles ? "Melle Pugeolles ! si je m'en souviens !" je réponds. Et voilà que ce gros bonhomme, un parvenu jovial, (dont je m'imagine qu'il parait 20 ans de plus que moi, car je suis une dindonne toute pétrie d'illusions), ce gros bonhomme, disais je, me raconte en riant, "la fois on avait mis de la superglue sur la chaise à Sandrine Chevreau." Il enchaîne les anecdotes comme d'autres enchaînent les histoire belges à la fin des repas de famille. Et il me tape dans le dos (moi qui ai horreur de ça) en finissant toutes ses phrases par un pénible "Tu te souviens ?". Je ne réponds pas. Je hoche la tête avec mon sourire bête qui veut dire oui. Sauf que Laurent Pinsson, Sandrine Chevreau, je ne les connais pas ! ils sont passés aux oubliettes! Je cherche en vain. La mémoire fait défaut... Je pense tout de suite à un début d'Alzheimer, il paraît que les premiers signes, c'est ça. Je ris quand même pour ne pas faire de la peine à ce pauvre Laurent Pinsson... Et le supplice de la conversation n'en finit plus, je me vois me renier moi-même, mes valeurs ! ah ! ah ! quelle cruauté ! je tente de ne pas trahir l'étrangeté qui me tire les traits au dessus d'un sourire qui n'a jamais été le mien. Etrange étrangeté... Une petite mécanique se met en marche, il parle, et je souris. Comment faire autrement ? Laurent Pinsson me demande ce que je deviens : "Ben euh... rien ! Et toi ?". Et le voilà parti dans un récit épouvantable : "Je suis marié, j'ai quatre enfants, je suis entrepreneur à Suzy les Charolles, je fabrique des maisons, je construis des résidences, j'ai repris la boîte de mon père et patati et patata..." que répondre à cela ? sinon un à peine audible et gentil : "c'est bien !" et je reste là, pétrie de politesses, n'osant fuir ce bonhomme qui me prend maintenant par le cou et m'embrasse. "ça m'a trop fait plaisir de te revoir". Je m'entends roucouler bêtement : "Ben..euh... moi aussi, je suis bien contente !". Une voix (celle du surmoi féroce, sans doute) se superpose, "Mais tais toi donc, espèce d'idiote !", j'écoute le surmoi : "bon, Laurent, c'est pas l'tout, mais j'ai des courses à faire !!!". J'ânonne sur un dernier coup de rame : "alors salut ! bien le bonjour à ta femme ! (et autres conneries du genre), on se téléphone, on bouffe ensemble, ok promis, ciao bye bye !!!". Rideau.
Part II
Voilà. C'est aussi ça, retourner sur ses pas. C'est déprimant. Une regression, parfois. Pour peu que je finisse à la cantine dans une chanson de Vincent DELERME, moi qui rêvais d'être une branche d'acacia au jardin de Jean Louis MURAT, c'est gagné ! je ne suis pas fière de moi.
Retourner sur ses pas. Je préfererais que cela ne soit qu'une sensation géographique. Le passé nous suit à la trace, il prend la forme d'un platane, d'une maison, s'ils viennent à disparaître, quelque chose se referme. Plus rien ne tient.
Pendant ce temps là, les anciens du pensionnat radoteraient autour d'une raclette, après s'être retrouvés via internet... Je le comprends pour les autres, mais moi, ça me fout le cafard. La nostalgie on nous la fourgue, comme on fourgue des barres de lexo en nous faisant croire que c'est du chocolat. Pendant qu'on remue nos vieux moments on ne voit pas le temps qui vient... Pourtant la nostalgie c'était très beau avant. Nostalghia...
Mais revenons à cette maison. Cossue, blanche, importante, elle appartenait au notable, sans doute un pharmacien. Une maison comme il y en a chez BALZAC, ou dans les films de CHABROL, avec sa fleur austère gardant mille secrets et suitant de sa bourgeoisie austère, de ses livres austères : Gilbert CESBRON, "Trois sucettes à la menthe" de ses images de catéchèse, et d'autres choses moins catholiques. La fleur du mal... Pourtant cette maison, je l'aimais bien. Mais nous, l'entité impartiale enfantine, n’aimions pas les enfants qui vivaient dedans. Des fayots à l'école, avec des raies de côté. Vêtus de blanc le dimanche, jouant dans le jardin, où était installé juste pour eux, un luxueux portique pourvu d’une balançoire à cordes bleues, la grille était toujours fermée. Car les parents craignaient que les enfants ne se fassent renverser par une voiture, ou ne soient abordés par ces types qui donnaient des bonbons. Et nous, du haut (du très haut) de nos patins à roulettes, sur notre bout de trottoir, (un délicieux jardin aussi), nous regardions derrière la grille, le petit garçon donner des ailes à la petite fille et la maman assise sur une chaise de jardin, qui surveillait d’un oeil brave sa couvée, deux poussins ! tout en brodant une tête de biche devant une table ronde sur laquelle une bonne avait posé des verres de citronnade et des assiettes remplies de barquettes trois châtons. C’était d’une douceur de vivre, tout ça. Trop de douceur en vérité. L'entité enfantine impartiale, monstre à deux têtes que nous étions n'aimait que le chahut. Là, nous tirions la chevillette, s'ensuivait un fracassant "dreling dreling" et le fin monde de cette fleur austère s'en trouvait brutalement renversé. Notre joie satisfaite, nous courions nous cacher, observant madame mère bredouille devant le grand portail doré et deux petits enfants terrifiés qui la suivaient de près et tremblaient à l'idée que leur maison fût hantée...
Epilogue :
Je suis repassée ce jour, rue de la gare. rien n’a changé tout est presque pareil. J’en suis très soulagée même si tout aurait besoin d’être un peu ravalé. Ravalé. Drôle de mot... Seul un vilain détail m'a sans doute échappé hier. Là, sur l’autre trottoir, je le vois me happer, ce panneau, en façade avec dessus, dessinée, une affreuse construction genre lego en 3D, précédée de lettres géantes, un énoncé comme un faire part : Permis de démolir : ici bientôt, construction de la résidence "les Iris": 35 logements, sur 4 étages", avec parking, travaux dirigés par l’entreprise Pinsson § fils. Siège social : Suzy les Charolles..."
Avant de repartir, j'ai regardé longtemps cette grosse maison grise. Pour la première fois de ma vie, j'aimais follement la bourgeoisie. Le cossu, toute cette importance, ces volets blancs devenus gris, il aurait suffi de retaper. Retaper, drôle de mot aussi ! les pierres tenaient, auraient pu traverser les âges... Sous les plantes proliférantes qui couraient sur les escaliers, j'entendais comme des cris d'enfants, le grincement de la balançoire, et la voix d'une vieille maman qui courait hurlant deux prénoms. Je ne peux dire si c'était le diable mais je sus que le type aux bonbons était passé, et qu'il s'en était pris à la maison. S'en suivit quelque drame. Le bruit courût que la maison était hantée. Et, pour une bouchée de pain la maison fût rachetée.
En pensant aux misères que nous faisions à ces chers notables, au baiser de Judas, de l'étranger Pinsson, je me suis demandée s'il était permis d'éprouver à la fois, et des remords et des regrets...
Nota : Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence, sauf pour mon grand ami M que je salue au passage, (oui, M. je te promets, tu l'auras un jour, l'adresse de ce blog !) et plus ou moins, Melle Pugeolles qui m'a plus ou moins tout appris...
Photo: Soleil couchant sur la maison bourgeoise. Vue dans une petite ville du Nabirosina. A des années lumière de la forêt. L'été prochain je vous montrerai la résidence "Les Iris" construite par l'entreprise Pinsson § fils, constructeurs de bâtiments modernes, barbares de père en fils. Juillet 2009. © Frb.
22:42 Publié dans Balades, De visu, Impromptus, L'ai- je bien descendu ?, Le vieux Monde, Mémoire collective, ô les murs ! | Lien permanent
samedi, 25 juillet 2009
Un pays plus beau que jamais
Chaque jour je m’en vais ; cherchant toujours une autre voie
Et j’ai sondé depuis longtemps tous les chemins ;
Là-haut je hante la fraîcheur des cimes, et les ombrages,
Et les sources ; l’esprit erre de haut en bas
Cherchant la paix : tel le fauve blessé dans les forêts
Où l’abritait naguère l’ombre de midi ...
FRIEDRICH HÖLDERLIN. Extr. "Odes, Elégies, Hymnes", traduction Philippe JACCOTTET. Editions Gallimard, Collection poésies 1993.
HÖLDERLIN s'est brulé les ailes en se plongeant tout entier dans la lumière, il n'en sortît pas aveugle mais égaré.
"Je suis certaine que pour Hölderlin, c'est comme si une puissance céleste l'avait inondé de ses flots; et c'est le verbe, dans la violence de sa précipitation sur lui, qui a comme submergé et noyé ses sens. Et quand les flots se sont retirés, ses sens étaient tout débilités et la puissance de son esprit subjuguée et anéantie" (Bettina BRENTANO).
HÖLDERLIN s'est effondré. Et la fin de sa vie dura quarante ans. Il signait SCARDANELLI car il était réellement devenu autre. Plus rien. Plus personne. Foudroyé par la transe des "Hymnes", le poète est mort fou mais ses chants nous reviennent intacts encore longtemps après. "Parler seul /avec Dieu", HÖLDERLIN n'était pas un chrétien ordinaire, mais "un grec sous le ciel allemand", sous un ciel indécis, nostalgique des terres anciennes et de ces Dieux de l'époque pré-chrétienne. Il est le poète de l'élévation rejeté en terre étrangère, Il est le nom de la douceur qui s'incarne dans le verbe, il est celui qui s'en alla chercher en la face cachée des mystères, ce rayonnement céleste qui fait tant défaut aux vivants. HÖLDERLIN chanta la nature et la célébra jusqu'à perdre son nom, sa raison, puis sa foi :
"Etre seul et sans Dieu, voilà la mort.".
Cette solitude; il la connut autant qu'il cotoya la grâce. Chez son ami, le menuisier ZIMMER qui l'avait recueilli, HÖLDERLIN regardait maintenant le monde avec des yeux d'idiot, et aucun des Dieux célébrés ne vinrent le secourir, pourtant n'est-ce pas lui, qui écrivait jadis dans ce chant absolu, ce chef d'oeuvre visionnaire de la poésie,"Hyperion" :
Vous les génies bienheureux,
vous vous promenez là-haut dans la lumière
et sur des sols tendres !
les souffles étincelants des Dieux
vous effleurent doucement
comme les doigts d'artistes
des saintes harpes.
Mais HÖLDERLIN parlait aussi d'hommes en souffrance cherchant un endroit où se reposer, de paysages suspendus au bord du lac, et de "La nuit qui passe indifférente à nous"...
Ainsi pour tout régénérer, pour que le chant des éléments monte jusqu'au coeur des humains, il faut un sacrifié.
Les derniers poèmes de HÖLDERLIN dits de la folie (dont on ne sût réellement si elle fût pure folie ou retraite délibérée), sont presque tous voués à dire les saisons et leur forme s'avère d'une simplicité désarmante.
Avant de se retirer du monde, HÖLDERLIN fût aussi un penseur. La poésie ne s'ordonne pas à elle même ni au "beau", elle s'ordonne à tout autre chose, à du "tout autre" ce qui est - écrit P. CELAN - "une expression usuelle pour désigner l'inconnu", cela même qui invite la poésie de HÖLDERLIN à parler du divin et de l'histoire des Hommes.
Il y eût quelques poètes reconnus en tant que "penseurs" dont MALLARME en France, mais ce qui fait la différence entre MALLARME et HÖLDERLIN est que le premier pensait que le poète était un maître, tandis que pour HÖLDERLIN, le poète est un serviteur. Peut-être, HÖLDERLIN n'a-il pas eu cette révélation du néant qui a touché la poésie de MALLARME, mais on ne peut douter qu'il a anticipé de très loin, l'avenir de la poésie et que celle-ci nous portera très haut encore...
"Aussi longtemps que nous demeurerons"...
Photo : Les ombrages et les cimes, d'une forêt presque enchantée vus dans le Nabirosina en Juillet 2009. © Frb.
23:45 Publié dans A tribute to, Balades, De visu, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 24 juillet 2009
Mignonne, allons voir...
Me serait-il permis aujourd'hui d'ouvrir un tombeau devant la cour ?
BOSSUET. Extr. "Sermon sur la mort" prononcé le 22 Mars 1642 devant Louis XIV et la cour.
Ce n'est sans doute pas pour avoir prêché ce qu'il croyait être "la parole de vie", que BOSSUET est devenu "immortel" mais davantage pour avoir énoncé tout haut et rappelé en un style très soigné, la toute puissance de la mort.
" Cette recrue continuelle du genre humain, je veux dire les enfants qui naissent, à mesure qu'ils croissent et qu'ils s'avancent, semblent nous pousser de l'épaule et nous dire : Retirez-vous c'est maintenant notre tour. Ainsi comme nous en voyons passer d'autres devant nous, d'autres nous verrons passer qui doivent à leurs successeurs le même spectacle. O Dieu ! encore une fois, qu'est-ce que de nous ? Si je jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! si je la retourne en arrière, quelle suite effroyable où je ne suis plus ! et que j'occupe peu de place dans cet abîme immense du temps! Je ne suis rien : un si petit intervalle n'est pas capable de me distinguer du néant ; on ne m'a envoyé que pour faire nombre ; encore n'avait-on que faire de moi, et la pièce n'aurait pas été moins jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre."
Malgré la grande prédication chrétienne qui était son domaine, ce rappel de la mort au prochain, aurait pu être émis par n'importe quel homme, de n'importe quel pays qu'il fût croyant ou non. Je résume (grosso modo) que BOSSUET dit à l'Homme, qu'il n'est rien ;-) Une fois cela compris et après nous avoir conviés à imaginer une vie très longue ("Qu'est ce que cent ans ? qu'est ce que mille ans, puisqu'un court moment les efface ?"), BOSSUET achève de nous convaincre de notre néant, en nous invitant à mesurer la place minuscule qu'occupe notre existence entre l'infinité du temps qui nous a précédé et celui qui nous survivra (?)... Ainsi il en viendra tout naturellement à conclure que l'Homme n'est rien qu'un figurant.
Cela me rappelle un clochard croisé un jour sur le Pont Morand, qui parlait seul, en regardant les gens et ne cessait de nous instruire sur l'absurdité de nos agitations, il se tourna vers moi et me lança un : "t'es qui toi ? T'es rien du tout, une poussière ! puis me montrant le fleuve le ciel, rajouta : - une toute petite poussière par rapport à tout ça". Sans doute notre clochard faisait il grossièrement du BOSSUET sans le savoir. Mais à la différence du clochard éclairant votre dévouée poussière, BOSSUET s'adressait au roi. Parce qu'un roi est sans doute mieux placé que quiconque pour mesurer le néant du haut de sa grandeur humaine et en convaincre à son tour d'autres "grands"... Jamais BOSSUET n'oublia qu'il parlait devant la cour, des gens dont les conditions favorables pouvaient les consoler en mourant d'avoir eu une vie heureuse et bien remplie. Et c'est encore cette consolation que BOSSUET s'appliquera à démolir, en rappelant à tous ces "grands", qu'une fois arrivés au terme de leur vie, ils en seront au même point que les misérables, ou pire encore : au même point que s'ils n'avaient jamais vécu.
Pour cette vie très longue que BOSSUET donne à imaginer, (car sa technique est de commencer par le meilleur pour mieux nous mener au pire), BOSSUET aura recours à la faune (toujours biblique) et à la vie des végétaux, le cerf, et puis le chêne sous lequel un grand nombre de générations peut encore se reposer... Tandis qu'embarqué par la belle prédication l'auditeur se mettra à rêver de la "Postérité " (tout de même !)
"Durez autant que ces grands chênes sous lesquels nos ancêtres se sont reposés, et qui donneront encore de l'ombre à notre postérité".
BOSSUET évoquera encore le bonheur, le sien conduit, au fatal adjectif : "vain", suivi d"un mot : la "vanité", jusqu'au "grand gouffre du néant". Ensuite, il relancera la machine oratoire par une question en forme de vertige:
"Qu'est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ?".
Je vous épargne les passages sur la résurrection, mais à tout lire, au bout du chemin, on se dit que BOSSUET ne fait qu'enfoncer un beau tas de portes ouvertes. Comme l'écrit R. Pommier (à qui je dois ces quelques notes de lectures), il les enfonce avec une telle force, un art si admirable, qu'on a l'impression que c'est lui, qui nous fît, le premier la révélation que nous étions mortels, et cela par la grâce, d'assonances, d'allitérations et de toutes sortes de sonorités savamment agencées et appliquées drastiquement, à la langue et la pensée. Ainsi BOSSUET ne s'adresse plus seulement à l'intelligence mais aussi et surtout à l'imagination. C'est là le charme...
L'ironie (du sort, peut-on dire), est que BOSSUET qui voulait avant tout être un prédicateur, surtout un bon apôtre a gagné son immortalité, par la voix du poète dont la tonalité paraît plus agréable, que les voies du Seigneur qui sont toujours impénétrables, (à ce qu'on en sait !)...
Photo : Un tombeau dans la cour. Roses qu'on disait mignonnes, et de saison, aimablement prêtées par monsieur RONSARD. Photographiées dans le Nabirosina en Juillet 2009 © Frb.
02:44 Publié dans A tribute to, Balades, De visu, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
jeudi, 23 juillet 2009
Tulipia Pliasantae
Nous vînmes au jardin fleuri pour la cueillette.
Belle, sais-tu combien de fleurs, de roses-thé,
Roses pâles d'amour qui couronnent ta tête,
S'effeuillent chaque été ?
Guillaume APOLLINAIRE (1880-1918). Extr. "La cueillette" tirée du recueil "Il y a".
Elle ne sait pas, la belle ! elle qui croit que la pluie la visite chaque soir et se plaît à orner sa tête de perles rares, celles dont personne n'a pu arracher le secret, ni rouler dans ses mains pour en faire des colliers. Elle qui n'a pour couronne qu'un peu d'eau chaque soir que le jardinier porte dans un grand arrosoir. Elle qui croit qu'il l'adore au point de la couvrir de ces diamants bizarres, tandis qu'il est payé pour lui donner à boire.
Des pétales de rose ont chu dans le chemin.
Ô Belle, cueille-les, puisque nos fleurs de rêve
Se faneront demain !
C'est ce qu'on dit au jardin... Elle qui ne cueille rien. Elle qui croit à demain, elle qui n'entend pas le jardinier qui vient, avec ses gants de jardin, une bêche, un sécateur.
Et les fleurs vont mourir dans la chambre profane.
Nos roses tour à tour effeuillent leur douleur.
Belle, sanglote un peu... Chaque fleur qui se fane,
C'est un amour qui meurt !
The ZOMBIES : "Summertime"
Photo: Les sanglots de la Tulipia pliasantae vue dans le Nabirosina en Juillet 2009. © Frb.
note du lecteur : - Comment ? des tulipes au jardin ? en plein mois de Juillet mais...
Réponse de la cueilleuse: - Y'a pas de mais ! des tulipes en Juillet. C'est comme ça. A prendre ou à laisser...
04:51 Publié dans ???????????, Balades, De la musique avant toute chose, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, Parlez vous Charmillon ? | Lien permanent
mercredi, 22 juillet 2009
Tulipia Grachinéae
"Les larmes également sont utiles : avec des larmes tu amolliras le diamant. Tâche que ta bien-aimée, voit si tu peux, tes joues humides. Si les larmes te font défaut (car elles ne viennent pas toujours à commandement), mouille-toi les yeux avec ta main ..."
OVIDE extr. "L'Art d'Aimer", Livre Premier. Editions "Les belles lettres" 1960.
Comme un mercredi (plus ou moins galant...)
Nous retrouvons ce cher OVIDE, couché dans l'herbe humide du Nabirosina. Lissant sa plume au lieu dit des "Métamorphoses", poème où toujours se joue "l'Art d'Aimer" l'existence en entier et tous ses dérivés, douze mille vers dans une quinzaine de livres. Du chaos qui créa le monde jusqu'à l'avènement de CESAR, OVIDE par ses "Métamorphoses" relate de nombreuses fables, légendes de la mythologie dans lesquelles les personnages finissent transformés en objet, en plante, ou en animal. Exilé en l'an, 8, sous l'ordre de l'Empereur AUGUSTE, le poète laissera cette oeuvre inachevée, parce que l'empereur avait, semble-t-il, détesté l'oeuvre érotique du poète, titrée "L'Art d''Aimer", supprimant de toutes les bibliothèques, l'ouvrage jugé "immoral". Ainsi par châtiment, le décret, condamna OVIDE à ne plus jamais revoir son pays. Il mourût loin de Rome, à Tomes en Roumanie, après avoir longuement souffert de cet exil:
"Je suis un barbare, parce qu'"ils" ne comprennent pas."
Il est vrai que Publius OVIDIUS Naso, est issu d'une famille de chevaliers, et les dames de la société romaine n'en connurent point de plus servant. Le connurent elles vraiment ? Lui qui, fût chassé en son temps, mais, qui, malgré cette mise au ban, influença par delà les siècles d'incontournables "peintres" de la nature humaine: CHRETIEN DE TROYES, SHAKESPEARE, MOLIERE... (pour ne citer que les plus célèbres).
Après avoir chanté "les Amours" des héros, OVIDE chanta les siennes. Jadis à Rome, ses exploits amoureux, faisaient grand bruit, et les belles sur son passage sollicitaient les grâces du poète, se disputant la renommée que donnaient son amour et ses vers. Mais il y eût une dame parmi toutes qu'OVIDE célébra, une certaine "Corinne", la maîtresse qu'il adora le plus (dit-on). Tel est le nom que plusieurs manuscrits ont donné pour titre des "Amours".
J'entends d'ici le choeur des femmes (choeur des jalouses) : "Mais qui est donc cette Corinne ?" dont beaucoup de femmes du temps d'OVIDE, usurpèrent le prénom pour se faire valoir comme muses et héroïnes des chants ... De son côté OVIDE ne rêvait pas seulement d'Amour car à l'eau fraîche qui n'a qu'un temps, il préférait sans doute la gloire :
"Je cours après une renommée éternelle et je veux que mon nom soit connu de tout l'univers".
Il faut bien reconnaître qu'OVIDE, du point de vue de la renommée éternelle, fit plus fort que CLOCLO, James DEAN et Luis MARIANO réunis. Sa pensée se glisse encore aujourd'hui entre quelques draps... De bouche à oreille si j'ose dire. Et l'on aimerait qu'elle nous survive jusqu'à la fin des temps.
Mais je devine à cet endroit de l'oreiller (à plumes), que le lecteur sera déçu par ce billet, et sa curiosité se piquera de n'avoir point obtenu la révélation et les détails (croustillants) à l'unique question qui l'emporte dans les alcôves, sur toute l'oeuvre d'OVIDE:
"Qui était donc cette Corinne ?"
J'aurais aimé vous raconter... Mais voilà, mon poète, qui vient avec son bouquet de violettes, et veut m'emmener à sa cabane, pour me montrer (dit il ! tous les mêmes !), les estampes japonaises du Nabirosina. Il est vrai qu'au Japon en des temps très anciens, l'estampe était obtenue par frottements. Mais je m'égare...
Sur ce trove dindonne mi pavane, mi gaillarde, (aroumeuse d'igames et d'opisée) agitera sa collerette en prétendant que "l'estampe n'attend pas". (A d'autres !).
Pour ce qui est de la Corinne vous le saurez bientôt, un certain jour sans doute (afin de vous faire patienter, je vous dirai que c'est une bonne copine, peut-être ma meilleure amie)... Je profite qu'elle est en vacances, pour lui damner le pion. Avec la bénédiction du poète :
"Chacun ne songe qu'à son propre plaisir; et celui que l'on goûte aux dépens du bonheur d'autrui n'en a que plus d'attraits. Ô honte ! ce n'est pas son ennemi qu'un amant doit craindre. Pour être à l'abri du danger, fuis ceux même qui te paraissent le plus dévoués. Méfie-toi d'un parent, d'un frère, d'un tendre ami : ce sont eux qui doivent t'inspirer les craintes les plus fondées."
Photo: "Les souffrances de la jeune Tulipe" (Tulipia grachinéae) aux authentiques larmes sur pétales irisés. Comment ??? Une tulipe au mois Juillet ??? Mais oui bien sûr ! où est le problème ? ;-))
Vue aux Jardins secrets du Nabirosina. Juillet 2009. © Frb.
14:31 Publié dans A tribute to, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Le vieux Monde, Mémoire collective, Parlez vous Charmillon ? | Lien permanent
mardi, 21 juillet 2009
Nabirosina.
"Un point où le réel et l'imaginaire deviendraient indiscernables..."
Au commencement était... le Nabirosina.
Sengs et Lufers parlaient le même langage. L'humus (1) délivrait patiemment, l'azote, le phosphore et tous les éléments. Puis vint un jour l'inévitable...
Ainsi naquirent, les brésars.
Nota: Le mot latin "humus" désignant "la terre", est cité par Curtius (1er siècle ap. J.C.) comme provenant d'un mot grec signifiant "à terre". (locatif d'un substantif hors d'usage). En réalité, le mot latin "humus", comme d'ailleurs le mot "homo" = "homme" », provient de la racine indo-européenne *ghyom- qui signifiait "terre" (cf. J. Picoche 1994, p. 287).
Photo: Esquisse du Nabirosina originel. Vu au plus près, en juillet 2009 (avant J.C.). © Frb
22:14 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, Parlez vous Charmillon ? | Lien permanent
Education sentimentale
Photos : Certains zooms... Au plus près de l'écorce. La vie et rien d'autre. Vue en forêt, au domaine dit du "Clôt boterêt", pas très loin de la cabane du prince charmant, dans un coin très secret du Nabirosina. En plein coeur de l'été 2009. © Frb
13:35 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
dimanche, 19 juillet 2009
Désordres
Ose gémir !... Il faut, ô souple chair du bois
Te tordre et te détordre,
te plaindre sans te rompre, et rendre aux vents la voix
Qu’ils cherchent en désordre ...
PAUL VALERY (1871-1945) extr. "Au platane" in "Charmes". Editions Gallimard 1922.
Comme un dimanche entre deux mondes...
Changement d'adresse, et de couleurs. J'ai quitté les rangées (raréfiées) de platanes et les chétifs micocouliers de Provence en vogue sur nos boulevards lyonnais pour prendre un peu le large au Nabirosina. Il fallait à mon oeil un temps d'accoutumance, pour retrouver le désordre adoré des arbres tant il est vrai que de loin, vu par le citadin, un arbre n'est qu'un arbre, c'est à dire un machin dont les feuilles tombent en hiver, et repoussent en été. Un truc qui fait de l'ombre au banc installé pour les bavardages ou les jambes trop lourdes de melle Branche lisant sa revue de tricot le dimanche. J'ai quitté les ombres de l'étouffoir, celles-ci, fatiguées de céder à ce soleil omnipotent qui prend à cette saison toute la place dans la tête des gens. J'ai quitté tout sans le moindre regret. Les petites étiquettes vissées aux branches toujours malades des micocouliers de Provence, face à la pâtisserie Roland, je les ai fait valser. Lassée de voir épinglé chaque morceau de nature que l'on croise dans les villes, jusqu'au parc de la Tête d'Or qui hors du jardin botanique, nous mâche aussi le nom des fleurs de façon si utilitaire qu'à force, tout cela finit par écoeurer. Je sens bien qu'à l'initiative pavée de bonnes intentions des municipalités qui ne songent qu'à nous instruire sur le pourquoi, le comment de la nature, par ces mouvements de je ne sais quoi, prise de conscience de l'environnement sans doute, je joue encore les rabats-joie, mais j'aime imaginer que l'arbre que je cotoie puisse porter un petit nom qui ne serait connu que de moi, et que le hêtre ne soit pas, si mon esprit en décidait pour sa convenance, ou les exigences de la rime, (la pouêtique"intrinsèque", ah ah !) ou encore, que le hêtre soit autrechose. Un orme par exemple. Un faux orme certes, juste pour moi si ça fait mon bonheur. Or si l'hêtre est déjà étiqueté, mon désir de le parer en orme s'en trouvera insatisfait, tout autant que mes ambitions de fée Clochette, aspirant à son "beau désordre" (dont Antoine de St Ex. disait, sur un tout autre thème, qu'il était "un effet de l'art").
Ainsi, allant en ville, je remarquais que plus une parcelle de nature (ou si peu) n'était désormais livrée au tout venant (c'est à dire à la nature ;-) Tout bien conçu au millimètre près pour la vitrine, et bien sûr, l'apprivoisement, y compris de nos sens (du "bon sens" des âmes citoyennes parfaitement éduquées aux joies de la nature et au tri des poubelles). Elles n'ont plus à s'abandonner désormais, ni au mystère, ni à la sauvagerie (des éléments). On s'occupera de tout. Il suffira de suivre les plans de la voie verte, de lire les étiquettes, de poser les pieds sur les dalles entre les brins d'herbes interdits, de flâner sur les esplanades au dessin quasi haussmannien pour voir la ville, le derrière calé sur un gros caillou et sous des lustres chics plus près du design Roche Bobois que du bon réverbère de la Canette (ou de la mouette). Gare à celui qui oserait ne pas s'en estimer heureux. Puisse-t-il encore aller acheter ses graines à l'Hyper-Rion de Nyol selon le fameux système D, (un système soit-disant personnel) que les cochons eux mêmes, sont en train de réinventer...
Photo: Ceci n'est pas un platane ni un hêtre. C'est un noyer. Tout au milieu des herbes folles, et du lierre proliférant. (Si le lecteur préfère y voir un peuplier, on ne vissera aucune étiquette). Un noyer (ou un peuplier, donc !) rescapé des tempêtes du Nabirosina. photographié en juillet 2009. Loin du bruit et des inventaires. © Frb
17:55 Publié dans Balades, Certains jours ..., Ciels, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
samedi, 18 juillet 2009
Le temps retrouvé
"Ce matin, nous avions précédé le peloton ..."
ALBERT LONDRES: "Les forçats de la route" (1924). Editions Arléa 1996.
Changement de décor, et rendez-vous au "paradis" via le gagnant du tour de France buissonnier 2009, (notre incontestable gagnant, couché dans l'herbe hors champ), qui brancha son ordinateur sur une corne de vache et d'abondance, pour nous poster sa vue du paradis sur terre. Le vilain monde étant derrière, nous laissons sans regret l'estivale crasse lyonnaise pour un voyage intemporel. Ne comptez pas sur nous pour vous fournir l'itinéraire ni la carte routière. "Le paradis ça se mérite (ah ! ah !), ça se mérite en pédalant et ceux qui y parviennent ne sont pas des fainéants" a dit St Pierre en offrant à notre champion (bien sympathique) les clefs de son domaine, et la carte du temps (retrouvé) tandis que Marie-Madeleine, quasi en tenue d'Eve (oh !), des bleuets plein les bras, félicitait notre géant et lui tendait en souriant une gourde d'or remplie à ras bord d'un gouleyant nectar (de paradis bien sûr) . Mais comme tout paradis (à pied, à cheval, ou à bicyclette), "est scandé sur l'impossibilité d'écrire le paradis", je cours rejoindre (sur le champ ;-) ce lieu que l'on croyait perdu. Et tâcherai jour après jour (par la grâce éternelle de l'opération du St Esprit, et de notre sacré fournisseur "Le petit boyauteur" demeurant au 36 rue de L'Aqueduc à Paris) de vous en ramener des nouvelles. A vol de bicyclette, bien sûr !
" Elle s'enfuit presque aussi vite / Que l'hirondelle dans son vol ; / Elle glisse, se précipite / Effleurant à peine le sol."
(Édouard de PERRODIL, "La bicyclette", Les Échos, L. Vanier, 1891)
Photo : "Tour de France buissonnier 2009": Le Grand Fausto sacoché et éminent professeur vélocipédiste: JB de l'Olive venu de Paris redécouvre la clef des champs. Ici son merveilleux bolide, pose juste après l'étape lyonnaise, en une contrée exquise, qui pour le rester très longtemps (exquise;-), sera gardée secrète, quasi jalousement ;-)
Ce billet est entièrement dédié au vaillant professeur, nous le remercions de nous avoir offert la preuve que le temps perdu (qui n'est pas toujours là où on l'imagine), peut tôt ou tard, se rattraper, jusqu'à toucher "Le Paradis". Splendeurs et magie de l'incroyable machine à tout remonter. photographiée on ne sait où, début juillet 2009. © Pr. JB de L'Olive.
15:12 Publié dans Balades, Ciels, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, Tapis rouge !, Transports | Lien permanent
dimanche, 05 juillet 2009
L'échappée belle...
(Comme un dimanche au parc de la Tête d'Or à Lyon)
Pour démarrer la vidéo peut-être faut-il cliquer dessus...
Autres échappées belles (animales et humaines) :
http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/04/16/le...
http://solko.hautetfort.com/archive/2009/07/01/un-sur-qua...
Autre parade :
http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/02/05/le...
23:29 Publié dans Balades, Certains jours ..., De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, Objets sonores, Transports | Lien permanent
samedi, 04 juillet 2009
Des attraits
"Mademoiselle Ferrand (1) sentit la nécessité de considérer séparément nos sens, de distinguer avec précision les idées que nous devons à chacun d'eux, et d'observer avec quels progrès ils s'instruisent, et comment ils se prêtent des secours mutuels".
ETIENNE BONNOT DE CONDILLAC. (1714-1780) Extr de "Allégorie de la statue" in "Traité des sensations" (1754).
Il fait à Lyon, presque 35°, (malgré ce jour antidaté, il fait presque toujours + de 35° à Lyon, l'été). Les jeunes filles (et les vieilles aussi ! ah ça !) vont se rafraîchir au jardin, doucement elles longent les arcades, où les statues en petites tenues (voire sans tenue du tout) tentent toujours (avec l'énergie du désespoir de la statue) d'attirer le regard des passants, des passantes surtout et à défaut d'amour, d'affection, elles espèrent, (comme si une statue espérait), être vues et que peut être ailleurs, on parle d'elles. (Là, je me fais l'impression de ces gens qui sans vergogne mettent des manteaux à leurs teckels et font parler leur chat à la première personne du singulier, mais les statues c'est pire que les animaux, quand ça vous regarde c'est froid et pourtant ça vous regarde), foin de poncifs. C'est pourquoi il a très bien fait CONDILLAC d'imaginer une statue qui serait admettons, organisée à l'intérieur tout comme nous et même mieux qui sait ? ... C'est donc ainsi, amollie, par le souffle suave, (Hozan, ne lisez pas ! :) de mon contemporain, recherchant son point d'eau, son bol d'air, dans cette chaleur crasse, ainsi qu'en promenade avec Mademoiselle Ferrand (1) (Une grande amie d'Etienne), nous cherchions, nous aussi notre coin: des balancelles, une pergola, ou simplement l'ombre au jardin du palais St Pierre, en quête d'un brin de fraîcheur pour manger nos bichons au citron de chez la mère Machin qui en fait des bien bons par la rue Ferrandière. Tandis que Melle Ferrand me parlait de la vie, de la mort, de la paix, de la guerre, tandis je rêvais de frimas, de brouillards et d'abominable homme des neiges, au moment où lassée par tous les boniments de Melle Ferrand (elle est gentille mais quelle pipelette!) ; excédée et levant les yeux vers le ciel ; je croisais, (comme pour me faire ma fête), le regard lubrique et le geste cru d'une statue aussi fanfaronne que muette... "Oh my god!" hurla melle Ferrand outragée qui se sauva en courant, laissant choir son bichon dans l'herbe. "A t-on déjà vu chose pareille ?" murmurai je, toute tourneboulée par l'outrecuidance du goujat qui me dévisageai hardiment sans pourtant battre des paupières.
Mais peut-être s'agit il de tout autre chose ? Car ici la chaleur rongeant notre surmoi (si féroce, d'ordinaire), il ne reste plus que les affres (de la chair ! quelle horreur !), et les élans de l'âme ne parviennent plus à se hisser au dessus de la ceinture. Mais, est-ce inconvenant ? Ne dit-on pas que les statues ont aussi leur métamorphose ?... D'ailleurs me vient une toute autre question, comment dit-on "statue" au masculin ?
Sur ce, amis lecteurs, je vous laisse avec la question. J'avais prévu de vous raconter l'histoire de "dindonne et dindon", mais l'esprit vaque ailleurs (vacailleur ?) en ces lourdes chaleurs je retourne à l'Adam de Rodin qui attend de pied ferme son couple (déjà !) mythique (Monsieur Solko au bras de Mademoiselle Camay, pour la bonne cause évidemment, n'allez pas croire...) armés de gants de toilette, de serviettes parfumées pour faire mousser la pomme de l'Adam de Rodin, sous "la savonnette de juillet".
Photo : Une statue pas comme les autres. Une statue un petit peu "marseillaise" dirait-on. Photographiée en mangeant mon bichon, Sous les arbres au jardin du musée St Pierre. Pour connaître la suite, (le futur) il suffit de caresser l'image.
Lyon © Frb 2009
00:28 Publié dans Arts visuels, Balades, De visu, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 03 juillet 2009
Les grands royaumes
Mon joug est suave,
ma charge est légère
Et la saison nouvelle
Fera bientôt les nobles coeurs
Elus pour le joug de l’Amour
D'après HADEWIJCH D'ANVERS. "Ecrits mystiques des Béguines". Editions du Seuil 1954.
"Mon joug est suave, ma charge est légère" nous dit l'Amant (...)
Quel est donc ce fardeau léger, ce joug que l'on nomme suave ?
C’est la charge que nous confie
Au plus secret le pur Amour
Des volontés ne faisant qu’une
Et joignant à jamais les êtres.
Tout ce que puise le désir,
L’Amour le boit, et ne s’apaise.
Amour exige de l’Amour
Plus que l’esprit ne peut saisir"
Guillaume de MACHAUT "Tous corps / de souspirant / suspiro
Photo : "L'Adam de RODIN" vu sous les arbres du petit jardin du Musée des Beaux-Arts de Lyon. Photographié en Juillet 2009. © Frb
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jeudi, 02 juillet 2009
Les petites amoureuses
L’italienne aime par tempérament, l’espagnole par plaisir.
L’allemande par sensualisme, la russe par corruption.
L’orientale par habitude, l’autrichienne par virtuosité.
La polonaise par essence, la flamande par devoir.
L’anglaise par hygiène, la créole par instinct.
L’américaine par calcul, la provinciale française par curiosité.
Et enfin la lyonnaise par sentiment.
Extr. "LE CARILLON LYONNAIS", 6 oct 1907.
DEVENDRA BANHART : "Happy happy oh"
Photo : Belle lyonnaise sentimentale écrivant une lettre à son amant au pied d'une statue, pas très loin de "L'Adam de RODIN" mais à l'abri du regard de ces lyonnaises dénudées qui bordent les arcades. Vue dans le jardin du Palais St Pierre (ou Musée des Beaux Arts) à Lyon. Photographiée en juillet 2009. © Frb
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mercredi, 01 juillet 2009
Juillet
Elle a, ta chair, le charme sombre
Des maturités estivales,
Elle en l’ambre, elle en a l’ombre ...
PAUL VERLAINE, extr. "Eté" in "Parallèlement", "Chansons pour elle" et "Autres poèmes érotiques". Editions Gallimard 2002.
Le soleil trottait devant moi sur des talons légers, une femme mûre, d'un autre siècle, se rendait au musée. Elle tenait sous son bras un minuscule châle confectionné tout au crochet et son sac de jeune fille, faisait un bruit de petite quincaillerie, de verroterie ancienne. L'été harmonisait sa dame, d'une lumière éblouissante. Ca sentait bon la Guerlinade, le rendez-vous discret. La dame s'arrêta à deux pas de l'entrée du musée. Elle sortit sa poudre précieuse, une houpette, et doucement se para, tout en surveillant qu'il n'y ait pas de personnes trop curieuses pour surprendre ce moment d'intimité qui relèguait la rue à quelquechose d'infiniment superficiel. Des notes d'iris, de tubéreuse glissaient dans mes volutes et pendant que la dame sortait de son trousseau, un petit vaporisateur, moi je jouais, la bouche en coeur avec ma cigarette à faire des ronds parfaits qui flotteraient dans le ciel pour retomber dans la poussière. La dame rangea son attirail, ne gardant que l'ombre à paupières qu'elle appliqua presque à tâtons, en touches irrégulières. Puis elle se parfuma, je connaissais par coeur ces notes de fond : Vanille, Iris et Cuir. La plénitude et le plaisir des premières vies amoureuses, la peau douce que l'on respire quand l'amant, le premier, s'immisce, passionnement, captive l'imprudence, et que l'univers entier fond comme une friandise sous sept ciels, au tout premier été du monde. Après cette première fois, il faudrait tout de suite en mourir, pour ne plus craindre la récidive... Cet Amour, cet inachevé, je le respire encore, l'éclatante émeraude, votre pâleur, ce sourire qui s'illuminait sur les mélodies de Fauré. Mille de vos poèmes qu'on lisait à voix haute et qu'on envoyait valdinguer dans la chambre embrasée de senteurs. "Vanille, Iris et Cuir", le parfum s'appelle "L'attrape-Coeur" ...
A ce moment du récit, j'ai vu arriver un monsieur brun, aux tempes grisonnantes, d'âge mur et très bien mis. Il souriait tout seul, en marchant et tenait des roses rouges à la main, dans mon esprit (aujourd'hui corrompu ;-) je me suis dit que c'était peut-être un de ces rendez-vous charmants du genre "rendez-vous minitel", du romanesque post-moderne de premiers rendez-vous, par la grâce de toutes ces sortes de machineries actuelles, un point précis dans une ville, deux signes particuliers, assez particuliers, (parfois cocasses), pour bien se reconnaître. Elle aurait dit qu'elle porterait une longue jupe couleur soleil, qu'il ne pourrait la louper,(ah ça !). Il lui aurait répondu, sans doute, qu'il viendrait là, avec des fleurs... Ensuite ils iraient s'asseoir sur un banc au jardin du Palais St pierre et cela s'appellerait toujours "L'attrape-Coeur".
Gabriel FAURE: "Chanson d'Amour" opus 27 n°1
Photo: Filature étoffée pas très loin du Palais St Pierre dit "Musée des Beaux Arts". Une dame en jupe-soleil. Vue à Lyon. Juillet 2009.© Frb.
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mardi, 30 juin 2009
La pantoufle d'hiver
Sa Marraine, qui était fée, lui dit : "Tu voudrais bien aller au bal, n'est-ce pas ?"...
CHARLES PERRAULT (1628-1703) : Extr. "Cendrillon ou la petite pantoufle de verre".
Nous retrouvons quelques années après, CENDRILLON, rue de la République à Lyon, s'apprêtant à marcher sur le coup de grâce, avec ses pantoufles d'hiver. Vous allez me dire, en plein été, quelle idée (saugrenue) de se promener avec des pantoufles d'hiver ? (et je vous répondrai qu'en effet, ça paraît bien étrange mais que ne ferait-on pas pour distraire son lecteur ?). Et puis, nous sommes dans un conte, n'est-ce pas ? Et la marraine de CENDRILLON, (la fée !) qui est immortelle, voyant les pieds de CENDRILLON gonfler, s'abîmer, (avec l'âge, les trajets pour aller au travail, tous ces escaliers à monter afin de rejoindre au donjon, son vieux mari (le Prince charmant !), la marraine fort compatissante, confectionna avec de la peau de ver luisant (nommé lampyre), une magnifique paire de pantoufles d'hiver dorées, (au fourrage intérieur 100% astrakan) pour les pieds de sa chère CENDRILLON. Mais comme avec la fée c'était toujours "donnant-donnant", les pantoufles d'hiver furent livrées à CENDRILLON à une seule condition : que CENDRILLON ne les quitte jamais et les porte chaque jour, été comme hiver. Sinon, il arriverait un grand malheur à la planète, une chose tellement épouvantable, que je ne peux la révéler ici.
Ce fût donc sous serment que Cendrillon chaussa ses pantoufles d'hiver... Aussi, s'en souvient-on, CENDRILLON était tête en l'air, et c'est bien pour tenter de corriger ce bien vilain défaut, que sa marraine (la fée), mit à l'épreuve sa filleule qui par ailleurs, aimait tout ce qui brillait (comme toute femme qui se respecte). Renoncer aux pantoufles d'hiver était bien impossible à CENDRILLON tout comme il eût été impossible naguère de renoncer d'aller au bal en pantoufles de verre. Ici je vais faire une petite halte sur ces fameuses pantoufles de verre qui perturbèrent le cours de mon enfance, parce que comme tous les enfants, je me demandais comment on pouvait arriver à marcher avec, (déjà, en 1978 sur les chaussures à talons de ma mère, mais je m'égare...). Ensuite c'est la maîtresse, melle Pugeolle, qui nous apprît que la penttouffle, pantoufle n'était pas en verre, mais en vair. Ce qui compliquait tout dans notre tête. Ce fût deux ans après que Madame Breux, nous raconta que "désolée, de contredire Melle Pugeolles (qu'elle détestait car melle Pugeolle était très belle) mais il fallait qu'on sache que Charles PERRAULT avait bien écrit "verre" n'en déplaise à BALZAC qui optait pour le vair parce qu'il était clair clerc de noterre notaire et que marcher avec des souliers en verre, dans l'esprit d'un clerc de notaire c'est une chose qui n'existe pas. (Cela dit je n'ai rien contre les clerc de notaires, bien au contraire j'en rafole).
On tenta donc de négocier des pantoufles en laine de verre (avec un petit peu de poil à gratter dedans), mais madame Breux, (qui manquait cruellement d'humour) nous fît copier 100 fois, "Je dois le respect à Cendrillon". La vérité : c'est qu'on était très contrarié, le vair c'était la fourrure de Bouly notre écureuil préféré, la star du parc de la Tordette, dont nous adorions gratter le dos gris et chatouiller le ventre blanc, alors massacrer notre Bouly pour faire des escarpins à une princesse qu'on ne connaissait même pas, ça nous mettait le coeur à l'envers. De toute façon question pratique, la pantoufle de vair fourrée tout écureuil est surement plus pratique qu'une pantoufle en verre (essayez de faire marcher vos enfants, (ou vos amis) en leur mettant aux pieds des verres à moutarde adaptés et vous verrez bien le résultat) mais quand même, admettons... Il suffirait d'un seul prodige. Un seul exceptionnel. Un ou une CENDRILLON...
Que les rationnalistes du XIXem siècle aient changé l'inconfortable pantoufle de verre contre la pantoufle de vair plus praticable, on peut comprendre, pourtant une autre question se pose : était-ce bien élégant de se rendre au bal avec des chaussons en fourrure ? Pour le pied léger, délicat de la belle Cendrillon seule une pantoufle en verre pouvait convenir et puis Charles PERRAULT était conteur, pas vendeur chez Myris (le poète grec). Enfin voilà quoi, je pourrais vous parler des frères Grimm, ou de ces contes écossais, irlandais où l'on retrouve des chaussures en cristal sans parler de ces chevaliers, où le héros peut aller de par le monde dans des chaussures en fer !!! (Il n'y en plus des comme ça, ma bonne dame, tout fout le camp).
Voilà c'est l'heure, les petits enfants. Le marchand de sable va pas tarder. Wiki (l'hérudit térisson) me souffle un truc à l'oreille on dirait même du patois de Vaise, mais c'est de l'occitan celui dont les conteurs se servaient comme conclusion, un petit épilogue disons, en vers :
"Cric-crac ! Mon conte es acabat / Abió un escloupoun de veire / Se l'abio pas trincat / Aro lou vous farió veser"
. (Cric-crac, mon conte est achevé / J'avais un petit sabot de verre / Si je ne l'avais pas brisé / Je vous le ferais voir.)
Quant à notre CENDRILLON aux pantoufles d'hiver, je l'ai rattrapée de justesse elle voulait essayer des bas. Je lui ai dit : "mais tu te rends compte CENDRILLON ? Si t'enlèves tes pantoufles d'hiver, de ce qui arrivera à la planète ? Elle m'a juste dit: "Ah ben ! heureusement que t'es là ! j'avais oublié mon serment" et puis elle est repartie, à petits pas, (à une vitesse d'environ 299 792 458 m/s) en direction de Jupiter.
Photo: Filature discrète rue de la République (on dit la "ré"). Juste là où ça brille. Lyon, à la fin du printemps 2009. © Frb
04:07 Publié dans A tribute to, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent