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mardi, 06 juillet 2010

La notte

Ne nous faisons pas d'illusions au moment où elle nous imagine, la réalité devient notre ennemi numéro un.

MICHELANGELO ANTONIONI

NOTTE 3.jpg

Nota.

C'est une nuit où presque rien n'arrive, mensonge et vérité sont étroitement mêlés. La vue est imprenable comme le jour où par temps clair, on aperçoit d'un point précis, pas loin de la rue de l'Alma, une sorte de flou mais très sûr, au dessus des flots lumineux, un peu de brume, à peine, sur une mer impavide. La nuit, des liqueurs infectes sont offertes par des créatures qui caressent, en riant un énorme ventre affamé. La nuit se porte comme un calice, se joue d'un rébus couturé, qui nous décompose à mesure qu'un mystère se trouve révélé. Tout nous voue à l'obscurité, en cette place oscillante, aux souvenirs des joies de la veille devenues presque indifférentes et aux présages de joies futures qui n'adviendront peut-être jamais. Dans les monts, le soleil se couche derrière la terre. Un homme glorieux se sauve sur un cheval au galop. Un faisan est égratigné. Mais l'instinct résolu ; le faisan blessé reste en vol. Des choses se consument hors du monde, et d'autres naissent à la limite. Le silence annule toute offrande. L'épuisement viendra avant l'aube. Quelque chose nous mesure encore entre mille étoiles piétinées.

La notte.

Les personnages se sont trouvés, mais ils ont du mal à communiquer, parce qu'ils ont découvert que la vérité est difficile, elle demande beaucoup de courage et des résolutions toutes impossibles dans ce qui est leur milieu respectif. Cette ville leur ressemble, elle est morose et vide. Deux minuscules silhouettes au pied d'un gigantesque immeuble blanc, et des visages exsangues expriment un profond désarroi. Les voix tenteront en vain d'écrire l'évanescence. Rien ne sera préservé. Une bande magnétique, des cocktails, des espaces et des gens très lentement se délitent. Les trompe-l'oeil font mourir. Les reflets des arbres et les bâtiments traversent les visages, des rêves sont sacrifiés autant que l'émancipation. Une femme lance son poudrier pour atteindre une dernière rangée de carreaux, l'homme veut aussi jouer. Pris au jeu et piégé. Il va perdre. Quelque chose se détache. L'homme ne mesurant pas les conséquences de ses actes, ne remarque pas que sa femme va le quitter. Il ne sait plus quoi dire, quoi penser, ni surtout quoi sentir...

"Le mur derrière la femme est blanc, traversé d'une ombre en forme de ligne noire, un trait épais qui ressemble à celui qu'on pourrait faire avec un marqueur sur une image qu'on veut rayer. Cette ligne noire ne raye pas la femme mais le mur qui est derrière elle; le trait noir meurt dans son dos, s'y enfonce, blessant, comme une grosse épée d'ombre, son dos se courbe lorsqu'elle raccroche le téléphone. Après quelques secondes  d'une évidente difficulté à se redresser, la femme tourne son visage vers cette ligne noire d'où proviennent aussi les voix et bruits des autres. Elle ne dira rien à personne. Au lever du jour, plus rien ne sera comme avant".


 

A tribute to Michelangelo :

http://cinema.encyclopedie.films.bifi.fr/index.php?pk=42451

http://home.comcast.net/%7erogerdeforest/antonioni/

http://blog.lignesdefuite.fr/post/2007/08/02/lobjet-repre...

Photo : La nuit, vue de la grande esplanade (au seuil de la rue Pierres Plantées et de la rue Jean Baptiste Say), qui précèdent l'ultime petite montée jusqu'au boulevard désert, au plus haut point de la colline endormie. Lyon, Croix-Rousse, autour de trois heures du matin. Juillet 2010 © Frb

samedi, 03 juillet 2010

Une nuit à la fenêtre...

J’ai élevé chez moi un petit cheval. Il galope dans ma chambre. C’est ma distraction.

HENRI MICHAUX "Lointain intérieur" in "Plume ; lointain intérieur" Gallimard, collection poésie 1985.

Ipara168b.jpgLes nuits d'été, sont lourdes irrespirables. Elles se succèdent toutes pareilles. Les nuits sont noires (pas autant que certains jours en nos villes mais tout de même ), les nuits sont blanches, et je les passe à la fenêtre qui m'offre une vue imprenable sur un ciel absolu, infini. Ma nature adorant le vide, je m'y noie à feuilleter mentalement  "Le Grand Livre des Pourquoi" qui fit les délices de l'enfance et me revient régulièrement de mémoire, avec ses casse tête plus ou moins chinois d'une simplicité désarmante, enfin bref, c'est un ouvrage plein de ces questions pour les moins de huit ans, auquel nul ne pourrait répondre (pas même les tricentenaires ni madame Jesétou, éminente théoricienne du grantou devant l'Eternel, pour qui un jour ou l'autre il faudra bien composer un panégyrique)... Mais je m'égare. Ceci ne sera encore qu'une modeste nota/ notte à la fenêtre d'une chambre plus petite que l'esprit qui s'y perd (quoique...), et plus grande, (si j'en crois mon cheval), que mille fois l'univers entier. Et voilà aussitôt que je me demande pourquoi le ciel est noir la nuit alors que la lune qui m'éclaire et les étoiles qui entrent dans ma chambre sont si étincellantes. Mais au même moment quelqu'un frappe à ma porte : "Qui va là ?", Une grosse voix me répond : "N'ayez crainte, c'est monsieur Heinrich Wilhelm Matthaus OLBERS ! pour vous servir !". Je n'en crois pas mes yeux, l'astronome en personne ! ce grand découvreur d'astéroïdes est venu exprès de Göttingen, sur son alezan lacté, me visiter, afin de m'expliquer grosso modo le contenu de son paradoxe, si fascinant, que je ne pourrai (dans mon immense générosité), garder cela une seconde de plus pour moi seule, ainsi je me sens investie d'une mission toute nouvelle, celle de vous présenter (grosso modo) le paradoxe de OLBERS, si toutefois il vous est encore inconnu. Ames sensibles, s'abstenir ! c'est une histoire qui finit mal.

"Le paradoxe de OLBERS est une contradiction apparente entre le fait que le ciel est noir la nuit et le fait que l'Univers était supposé statique et infini à l'époque. Si on suppose un univers infini contenant une infinité d'étoiles  uniformément réparties, alors chaque direction d'observation devrait aboutir à la surface d'une étoile. La luminosité de surface d'une étoile est indépendante de sa distance : ce qui fait qu'une étoile semblable au Soleil est moins brillante que celui-ci, c'est que l'éloignement de l'étoile fait que sa taille apparente est beaucoup plus faible. Donc, dans l'hypothèse où toute direction d'observation intercepte la surface d'une étoile, le ciel nocturne devrait être aussi brillant que la surface d'une étoile moyenne comme notre Soleil ou n'importe quelle autre étoile de notre Galaxie.

Une autre explication consiste à considérer que le milieu cosmique n'est pas parfaitement transparent, de sorte que la lumière provenant des étoiles distantes est bloquée par ce milieu non-transparent (des étoiles non-lumineuses, de la poussière ou des gaz), de sorte qu'un observateur ne peut percevoir que la lumière provenant d'une distance finie (comme dans un brouillard). Cette explication est incorrecte, car le milieu devrait s'échauffer en absorbant la lumière. Au final, il se retrouverait aussi chaud et aussi lumineux que la surface d'une étoile, ce qui pose à nouveau le paradoxe [...]

Ce paradoxe est important, une théorie cosmologique qui ne saurait pas le résoudre serait évidemment invalide. Cependant, une théorie qui résout le paradoxe n'est pas forcément valide. Après quoi tout ce qui brille nous laissera pantelants, affamés, à ras des cailloux, mais là n'est pas le plus le plus tragique.

[...] Il est clair que dans sa formulation initiale, on faisait implicitement l'hypothèse que les étoiles pouvaient briller indéfiniment. Or on sait aujourd'hui que
c'est faux et que les étoiles ont une durée de vie finie."

Grand livre du pourquoi et autre liens utiles, sûrement complèmentaires :

http://www.astrosurf.com/nezenlair/nel3/olbers.htm

http://oncle.dom.pagesperso-orange.fr/astronomie/histoire...

http://tice.education.fr/meteo/rayonn/jour_nui/html/jn01....

http://fr.wikipedia.org/wiki/Univers_observable

Photo: La nuit à ma fenêtre, ornée d'une charmante bimbeloterie lumineuse, à en frôler le haïku, mais bon cette fois ci je vous l'épargne. Lyon by night. Juillet 2010.© Frb.

jeudi, 01 juillet 2010

Ceux qui partent / Ceux qui restent...

Ou 22 secondes de vie estivale citadine.

mercredi, 09 juin 2010

Une semaine de catas (thema Part III)

Que serions-nous sans le secours de ce qui n'existe pas ?

PAUL VALERY : Extrait de la "Petite lettre sur les mythes", publiée dans la NRF en Janvier 1929, puis réunie avec d'autres textes dans le recueil "Variété II" aux Editions Gallimard 1998.

Pour accéder à la couleur vous pouvez cliquer sur l'image.IMG_0010.JPG
Mercredi.

J'ajuste sur les bans de sable, la lune et ces désemparés qui gardent au delà des récifs, le temps à l'échelle cosmique et ces phares qui n'invitent à rien. J'oublie les vagues brûlant la trêve, et les digues que ce corps enroule dans le bel azur usagé. Je mesure le rectangle blanc, le nuage d'une vierge inique et le désenchantement de tout. J'accroche un oeil à la paterne, je cherche un vieux pêcheur de perles, le grandgousier, poisson lanterne, qu'on appelle encore "anguille abyssale". Des poissons-papillons sèchent juste au milieu du pont. J'apprivoise le corail comme s'il était l' animal ami, servant à l'apaisement d'un ennui qui vient sûrement au cours de longs mois de voyage. Je capitonne le souterrain, l'éclaboussure habituelle m'envoie une vapeur légère. Un halo de lumière convoque une fois encore les sédiments. Sous ce multicoque avenant il se passe de curieuses choses qui vont toujours en avalanche. Je partage l'effacement pour ne pas savoir ce qui coule, culbutant le compte à rebours, prise au piège des organismes fantastiques et multicellulaires. Je comprends le vert et le rouge et le violet couleur de fastes toutes les mollesses baladeuses et les stratus à formes de jonques. Je collectionne les poissons rouges et les têtes de barracudas qui dévorent entre elles leurs grimaces, je comprends le vert et le rouge, et le violet couleur de farce. Le soleil plombe ma voilure. Je deviens presque insubmersible. L'océan ne donne sur rien. L'eau est folle et le vent est doux, le fond geint de bestioles cachées. Je garde la tête dans mes mains face à l'oeil fou qui m'atomise. L'avantage revient aux vestiges à cet endroit presque infini où le geste a mêlé l'eau de source au sel. Je vide mon sac dans les embruns. Je me détourne de la matière pour flotter entre les pigments. Partir me prend, au large et le plus loin possible, jusqu'à ce que le ciel et l'eau fondent. A la tempe me pousse une cible; aux oreilles des anneaux de gym, je tombe du haut du Lloyd's building comme sur le pelage d'une hermine, je tente le musc, les senteurs d'ajoncs. Les flots de l'océan indien, me trouvent. Au pays des cholas, j'ai dû rêver longtemps à demie-endormie sur les flots, à ne plus savoir s'il est vrai ou faux que ces ports sont à ce point artificiels : Chennai (ex Madras), Cuddalore, et Pondichery (ou Pondycherry ou comme on dit en abrégé "Pondy"). J'y passerai des jours à tisser le coton. En attendant j'astique mon multicoque avec amour. Rendez vous sur l'île d'or... Où Monsieur William m'attend pour un autre voyage toujours autour du monde, mais cette fois à l'envers. Le vent monte crescendo, le capitaine ne parle pas ; et pour faire passer les secondes au moins jusqu'à demain matin, je fais et redéfais des boucles. J'apprends et réapprends sans cesse la confection du noeud Zeppelin...

Catamaran.

http://www.youtube.com/watch?v=J_G9RRY7SS0

Photo : Ceci n'est pas un catamaran. Peut être n'est ce que le faux semblant du port d'attache de notre cata 1 ? Ou un catamaran parti ? (un catapamaran ?). Photographié la nuit sur les berges de la Saône, à la face de Saint Georges (qui travaille à la terre) pendant que nous flottons. Lyon. Juin 2010.© Frb.

mardi, 08 juin 2010

Une semaine de catas (thema Part IV)

Beaucoup de gens, peu d'idées, et comment faire pour nous différencier les uns des autres ?


MILAN KUNDERA, "L'immortalité", Editions Gallimard 1993.


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Jeudi.


Petit déjeuner. Cuisson. Ustensiles de cuisine. Aide culinaire. Soin du linge. Entretien des sols. Confort de la maison. Beauté femme. Beauté homme. Bien être. Famille. Lave linge. Sèche linge. Lave vaisselle Micro-onde. Four encastrable. Cuisinière. Plaque de cuisson. Hotte. Réfrigérateur. Congélateur. Cave à vin. Barbecue. Woody Camping Gaz. Clavier musical. Disney Princesses. Portes de service. Batterie à partir de 54,50 € du 31 mai au 10 juillet offre exceptionnelle 20 % sur les échappements et catalyseurs. Auvents. Fenêtres de toit. Fenêtres et portefenêtres. Films pour vitrage. Moustiquaires. Portes d'entrée. Maillots de bain. Portes de garage. Raccords pour fenêtres de toit. Robe tunique rayée + ceinture fille du 6 au 14 ans jusqu'à - 30 % depuis 6,99 €. Stores de terrasse. Stores pour fenêtres de toit. Vérandas. Volets. Motif en strass. Plaquette de strass. Kits et accessoires. Autres sous-vêtements. Alarmes autonomes. Mini-alarmes. Soutien gorges. minceur. Cylindres de serrure. Entrebailleurs. Portes blindées. Serrures. Serrures multipoints. Targettes et petits verrous. Verrous. Vidéosurveillance. Lambris et revêtements décoratifs. Parquets. Planchers. Séjour gourmand. Slips. Strings. Boxers. Mini souris optique filaire Compact 500. Maillot 1 pièce "Aventure". Robe "esprit" fille du 2 au 11 ans. Lot de 4 sets de table bicolores. Salon et Salle à Manger. Nappe. Linge de table. Affiches et posters. Antiquités. Sabots. Sandales. Espadrilles cuir. Fournitures. Photographie. Reproductions. Oreiller ergonomique anti acariens. mules Birkenstock au dessus synthétique. Cache-sommier à nouettes et poches, super déco en toile 80% coton, 20% polyester, décliné dans des coloris très tendance. Pantacourt toile stretch.Yaourtière automatique. Tondeuse Bikini Femme Fatale hot 111E. Parasol chauffant à gaz. Sèche-cheveux "Shinetherapy" D444. Barbecue gaz australien 2 brûleurs. Écharpe polaire (3 coloris, bien chaude et toute douce). Le string dentelle et tulle plumetis 75% polyamide, 14% élasthanne, 11% coton. Table de cuisson gaz FGL641IT. Store enrouleur concept easy (facile à poser). Ceinture électrostimulation pour homme Flex. Tunique version imprimée ou version unie (La tunique... on aime son côté bucolique ! jersey 100 % viscose). Mini cave à vin de mise en température. Slip fantaisie en maille confort et douceur. Bande cache-sommier en jersey traité anti-acariens. Cravate pure soie longueur 150 cm. Chapiteau de réception, long. 8 m. Kit beauté des pieds. Protège-matelas molleton stretch. Téléphone répondeur. Sèche-cheveux Salon Dry Pro AC lite HP. Drap de bain 500 g/m², 3 coloris. Socquettes bambou lot de 2 paires, coloris assortis. Coupe-bordure à lame. Mocassins style joggers. Support pour accessoires d'entretien. Armoire triple pour salle de bain. Maillot replica coupe du Monde de foot 2010. Casquette 35 % laine. Piscine autoportante diamètre 3,05 m. Rehausse en pin massif. Escarpins petit talon découpes fantaisie. Machine à pain. Table octogonale pliante eucalyptus. Culotte minceur. Pantacourt paréo boule en voile pur coton, entrejambe 62 cm. Matelas gonflable compact et léger. Collants spécial fatigue 40 deniers. Rasoir Arcitec Serie 1000 RQ1085. Store bateau tamisant petite largeur. Baskets joggers aspect froissé. Débardeur fines bretelles. Poubelle en métal 2 modèles, 2 coloris. String tulle et dentelle. Mini lave vaisselle. Dérouleur 3 en 1. Porte-balais. Mini-étagère extensible. Legging stretch chiné longueur chevilles. Bain de soleil à roulettes. Panier porte-bûches en saule tressé grisé. Crochets sans clou ni vis. (lot de 2.). Poubelle à ouverture automatique. Toutes les bonnes affaires...

 

Catalogue.


http://fr.calameo.com/read/000230544f6cb5deaac63


Photo : La mer (et autres produits dérivés). Lyon. Juin 2010. © Frb.

lundi, 07 juin 2010

Une semaine de catas (thema Part V)

Quand une jeune fille se met une fleur dans les cheveux, quand une plaisanterie surgit au cours d'une conversation, quand nous nous perdons dans le clair-obscur d'un crépuscule, tout cela n'est-il pas de l'art ?

WITOLD GOMBROWICZ in Ferdydurke (1937). Editions Gallimard 1998.

lost control 2.pngVendredi.

Ce fut comme une sensation de brouillard. Il ne voyait plus les gens venir. Il savait que le cristallin était le grand responsable. Une fenêtre givrée tout à la place des yeux, il se rendit à l'hôpital, en croisa deux cent mille comme lui errant tous dans le même brouillard. Le chirurgien posait tranquillement des lentilles. Quatre cent mille lentilles, quatre cent mille noyaux de cristallins patiemment remplacés. Ceux ci étaient aspirés en quelques minutes par une petite sonde qui introduite dans le globe oculaire, produisait  des ultrasons. Les ultrasons se désagrègeaient, soufflaient une parti du cristallin, il ne restait alors plus qu'à glisser l'implant souple. Le soir même chacun rentra chez soi et dès le samedi matin, toute chose reprit son cours ordinaire, un monde redevenu clair mais pas comme de l'eau de source. Assis sous un néon, il ouvrit un petit livre de GAËTAN GATIAN DE CLERAMBAULT, psychiatre, ethnographe, photographe, né en Juillet 1872 à Bourges et mort à Malakoff le 17 Novembre 1934. Ce jour là, GAËTAN GATIAN DE CLERAMBAULT mit curieusement en scène sa propre mort. Il se suicida par arme à feu, assis dans un fauteuil face à un grand miroir entouré de mannequins de cire qui lui servaient pour ses études de drapé. Grand visuel, GAËTAN GATIAN DE CLERAMBAULT souffrait d'une maladie des yeux.

Cataracte.

http://www.memoclic.com/4-1099-1024x768/fond-ecran-flou-a...

(A suivre...)

Photo : L'oeil de C.J. fouillant dans les carnets d'artiste jusqu'à ce que la nuit les referme. (Image: a tribute to I.C.). Juin 2010.

dimanche, 06 juin 2010

Révérence

Guy Debord :"Critique de la séparation"

podcast

Vous pouvez aussi cliquer sur l'image, in situ...

peopke.JPGPhoto: Salomé et les anonymes. Photographiés à Lyon, rue de la République en Mars 2010.© Frb

vendredi, 04 juin 2010

Chaloupée

Où se trouve le port terminal, d'où nous ne lèverons plus l'ancre ?

HERMAN MELVILLE in "Moby Dick" (1851). Editions Flammarion 1989.

péniche.JPG

C'était des jours avant l'été. J'avais décidé de quitter la ville, et son crépuscule empourpré m'attirait entre les deux rives. Des barques défilaient transparentes jusqu'à la confluence, je m'y glissais tandis qu'un ami sur le pont me faisait la conversation : la mutation de sa femme, ses vacances à Vaison, le dernier disque des Redwood Plan...

Il y avait sur des bancs d'ordures, des oiseaux blancs qui déjeunaient, des ombres filant sur les berges à la vitesse d'un vent plus glacé que le vent de Mars. Mille années de nuages, recouvraient les vestiges et les herbes épaisses, serrées telles des joncs se mêlaient à d'autres végétaux dont la texture tendre et les pétales soyeux rappelaient certains visages connus de la petite enfance.

Sur l'embarcation invisible où commençait un long voyage, je cherchais quelquepart une île qui pourrait m'éloigner de ce temps, en inverserait le décompte. Il fallait retrouver le givre, le fameux givre du printemps et les forêts d'érables à presser en sirop, les feuilles odorantes et toutes les molécules à volatilité plus lourde qu'on appelle "notes de fond" dont certaines flottent sur l'océan ou se cachent près des côtes, au plus profond du corps des cachalots. Sur le fleuve un peu jaune, près des vagues dans la brume, j'aperçevais quelques pêcheurs, remontant d'un filet, des anguilles bleues à têtes de dragonnets et à grandes pupilles rondes qui ressemblaient un peu aux couleuvres à colliers dites Natrix Natrix. Des mots fous me venaient sortis de sous les ombres et du ciel et des eaux, où se multipliaient ces barques transparentes surpeuplées qui doublaient doucement la mienne. Les voyageurs ramaient avec ressentiment pour arriver premiers dans la compétition jusqu'à la confluence. Tout ce vocabulaire emplissait peu à peu le récipent qui me portait et menaçait peut être de m'entrainer au fond. Ainsi les goélands, les mouettes, les iganons, le carassin doré, le pinson vespéral, le requin du zambèze, le gobe mouche tyran, ou la grive musicienne. Tous les noms de ces bêtes envahissaient l'espace.

Il fallait maintenant équilibrer ce bateau avant qu'il ne tangue trop. Tout ce bringueballage battait la démesure entre clique et fanfare, timbres recombinés. Cela ouvrirait tôt ou tard, l'histoire des sons aléatoires des clameurs, du vacarme et des cris enroués. Par le fleuve chancelant je remontais le temps ou le redescendais, à ma guise. Le reflet gris et clair des flots qui remuaient mon corps jusqu'à le pendre tête en bas, tête en haut, en ce roulis épais, chargeait le paysage d'un magma qui semblait remonter des entrailles d'une ville. Maintenant tout le monde s'aperçevait qu'elle n'était pas plus grosse qu'une bille. Un volcan en sommeil sous les eaux méditait sa prochaine charge où les anciennes âmes ressortiraient tranquilles du Rhône pour cueillir les vivants dont l'imagination ardente avait fini par s'effriter ; oublier les intrigues, les dangers imminents à l'attaque d'un vieux fauve, domestiqué sur un blason. Il me fallait atteindre absolument,très vite, une de ces baies sublimes, dans une de ces sept îles baignant la Tyrrhénienne, Alicudi, Filicudi, Vulcano, Salina; Panarea, Stromboli. Retrouverai-je, Andréa, Giovanni, et les jaloux de Lipari dans leurs costumes neufs de maquereaux ?

Le voyage ne s'arrêtait plus, mû par le vent, défilaient l'île de Man, l'île de Guam, aux aluminosilicates déments, peuplée de sorciers, de touristes et de renards volants à têtes grises... J'avais des corps étrangers dans l'oreille et dans les yeux une bribe impersonnelle qui prenait possession des lieux, délivrant un poème tel une panacée et tout le limoneux du monde transformé en serre flottante cultivait en pots l'oignonière pour les sanglots de mes pelures. Oserai-je seulement planter ma barque et vivre au coeur d'une bambouseraie ? Dans la volupté des rhizomes, les joies du lignifié, à en oublier le climat et toutes ces coulées d'encre mêlées à la fonte des glaciers, me vouer à tout ce qui coule mais ne peut jamais se noyer ; retrouver sous la nappe une gouache, bavant sur une table de cuisine et les petits bateaux arrachés d'un cahier pliés dans une marge sur laquelle on s'embarque.

La ration de provisions consommées, un naufrage annoncé, dévoilait toutes les planques et le Dieu des nuages me tirait à nouveau par les cheveux pour me ramener là où il faut et quand il faut. Le fleuve devenait si opaque, le devoir me clouait. Après avoir traversé tous les fleuves toutes les mers, renversé tous les sabliers. Je trépignais nerveusement en regardant ma montre et soupirais longtemps debout sur le pont à écouter encore cet ami insatiable qui me prenait par l'épaule et me faisait toujours, la même conversation : La mutation de sa femme, ses vacances à Vaison, le dernier disque des Redwood Plan.


"How the game is played ?"

podcast

 

Photo : A quai, rive gauche. Les bateaux amarrés. Une péniche, exactement. L'une des plus visible du haut du Pont Morand photographiée au dessus du fleuve Rhône à Lyon au printemps 2010.© Frb.

mardi, 01 juin 2010

Des fourmis plein la tête (part 3)

A propos de quelques questions recueillies au hasard dans les livres et dans les magazines...

Pour accéder aux fourmis plein la tête (part 2) vous pouvez cliquer sur l'imagefourmis.JPG

Qui détient les tuyaux ? Pourquoi mon boucher est il blond ? Tout se négocie-t-il ? Trois cent euros pour quoi faire ? A qui dois-je donner cette clef ? Pourquoi ne pas tout acheter en gros ? Qui change les lampes ? Rien n'est-il jamais fait ? Doit-on équiper tous les éboueurs d'un passe-partout ? Qu'y a t-il de l'autre côté du pont ? Comment les oiseaux font ils leur nid ? Qui occupe le poste 3 ? Les larmes ont elles un sexe ? Le désespoir est-il une forme supérieure de la critique ? Pierre Corneille était-il un vieux beau ? Pourquoi la femme pleure t-elle plus souvent que l'homme ? Qu'est ce qu'un rythme circadien ? Est ce que les animaux ont le droit de nous humilier ? Pourquoi choisir la reprise plutôt que la création d'entreprise ? Qui garde le chat ? La révolution n'est-elle plus qu'un souvenir ? Peut-on repenser la violence ? Pourquoi les badges ? Doit-on interdire le bouche à oreille ? Où va la ligne 6 ? Qu'est ce que la magie nouvelle ? Qui n'a pas un jour rêvé de profiter des avantages de la solitude tout en disposant à tout moment d'un important réseau d'amis ?  en est-on ? Comment ne pas citer Baudelaire ? Combien y a t-il de façons de parler ? Qui peut être sûr de sa valeur ? Se sentir malade ou en bonne santé peut-il être indépendant de l'opinion du médecin ? Tir à l'arc, où s'inscrire ? D'où viennent les sensations ? Est il nécessaire d'opposer l'être et l'étant ? Comment se retrouve t-on là où on ne voulait pas aller ? Avec quoi peser le pour et le contre ? Comment se faire aider ? L'amour est-il la réponse ? Où se trouve le talon d'Achille ? Pourquoi chercher autrui ? Quelle robe mettre cet été ? Qui a laissé la porte ouverte ? Où trouver la meilleure vanille ? L'artiste est il utile à la société ? Quelle place occupe-t-on ? Suis-je à la hauteur ? A quoi les cinq sens nous servent-ils ? Qui jette les dés ? Quelle route faut il prendre pour aller à Arnay-le-Duc ? Pourquoi est-ce déjà le matin ? Y-a-t-il une ville plus agréable qu'Avallon ? Peut-on boire du champagne dans des verres en plastique ?  Quels candidats pour 2012 ? Pourquoi ne pas compliquer les choses ? Le suprématisme est-il démodé ? Quand l'animal rêve, (s'il rêve), a-t-il un inconscient ? Est-ce qu'une faute de jeunesse suffit à gâter toute une vie ? Qu'est-ce qu'un chanteur à voix quadruple ? Pourquoi devrions nous tenir compte de ce que les lecteurs peuvent comprendre ? Où vont toutes ces voitures ? Veux tu qu'on se promène ? Que signifie le verbe "habiter" ? La narration est-elle une forme artisanale de la communication ? Comment pardonner ? Que faut-il entendre par "réticulée" ?  L'hospitalité prouve-t-elle quelque chose ? La première impression est-elle la bonne ? Qui réparera la tondeuse à gazon ? pourquoi la réalité qui s'offre à nos sens n'est -elle pas autrement ? Y a-t-il en nous des espaces vides ? Prendrez vous un dessert ? Qu'est ce que la loyauté ? Que faire quand on a le temps ? Où se trouve la forêt de Zil ? Sommes nous de la même espèce ? Faut-il avoir peur des plantes carnivores ? Comment n'être lié à rien ? Va-t-on rentrer à pieds ou en voiture ? Le futur est-il poussiereux ? Peut-on demander une preuve plus éclatante pour démontrer la connexité absolue de l'âme et du cerveau que celle que nous fournit le scalpel de l'anatomiste ? Le désespoir est il assis sur un banc ?  Qui avance ? Qui recule ? Où va t-on ?

(A SUIVRE...)

Photo: Lascaux revival ou tout comme. Des fourmis plein le mur photographiées rue D'Anvers dans le 7em arrondissement de Lyon, en Juin 2010

© Frb 2010

mercredi, 26 mai 2010

Le poème Tang

Ecoutez là-bas sous les rayons de la lune, écoutez le singe accroupi qui pleure tout seul sur les tombeaux ;
Et maintenant remplissez ma tasse, il est temps de la vider d’un seul trait.
LI-TAÏ-PE : "La chanson du chagrin"

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Les Tang (ou Thang) montèrent sur le trône de l'an 618 de notre ère, ils s'éteignirent l'an 909. Pendant ces 289 ans, vingt empereurs se succédèrent et presque tous furent dignes de régner. La poésie des Tang se divise en quatre périodes distinctes : le début, la prospérité, le milieu et la fin. Ce phénomène, qui reflète fidèlement la naissance, la grandeur, puis le déclin de l'empire, coïncide également avec les transformations du style poétique. La Chine était à cette époque, à l'apogée de sa puissance et de son expansion. Le christianisme avait fait des progrès en ce pays. Les doctrines de CONFUCIUS et de LAO -TSEU qui officiaient depuis longtemps, n’étaient plus seules à se partager la multitude. Pendant cette période de prosélytisme, la Chine ne pouvait rester en dehors du mouvement général des esprits, le bouddhisme déjà puissant inspirait également les poètes tel SONG-TCHI-OUEN :

[…] Je suis entré profondément dans les principes de la raison sublime,
Et j’ai brisé le lien des préoccupations terrestres.

Si certaines pièces des recueils poétiques des Tang portent l'empreinte du mouvement religieux qui s'accomplissait alors en Asie. La plupart n'en donnent aucune idée, la Chine n'était pas plus bouddhiste qu'elle n'était mahométane ou chrétienne. Le scepticisme, la fusion et la confusion qui y régnaient, se lit aussi dans les poèmes Tang où souvent on remarque une absence quasi générale de croyance, y compris chez les auteurs de renom. Le plus souvent cette absence de croyance ressort dans les poèmes sous forme de souffrance ou de découragement. L'illustre THOU-FOU compare l'avenir à une mer sans horizon. Il épanche sa tristesse devant un vieux palais en ruine :

Je me sens ému d’une tristesse profonde ; je m’assieds sur l’herbe épaisse ;
Je commence un chant où ma douleur s’épanche ; les larmes me gagnent et coulent abondamment.
Hélas ! dans ce chemin de la vie, que chacun parcourt à son tour,
Qui donc pourrait marcher longtemps ?

Il est fréquent que le poète s'égaie comme pour chasser des idées obsédantes, la mort, l'incertitude de l'avenir, sont des thèmes récurrents ; tel cet extrait d'un poème de  LI-TAÏ-PE :

Pour moi, je m’enivre tout le jour,
Et le soir venu, je m’endors au pied des premières colonnes.

On le ressent encore plus clairement dans cet extrait, l'oeuvre se pare d'un titre sans équivoque : "La chanson du chagrin"

Combien pourra durer pour nous la possession de l’or et du jade ?
Cent ans au plus... Voilà le terme de la plus longue espérance.
Vivre et mourir une fois, voilà ce dont tout homme est assuré.

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L'absence de toute conviction religieuse laisse un grand vague à l'âme du poète Tang, et la religion des lettrés s'inscrira finalement dans une morale très floue. C'est plus naturellement le sentiment de l'immortalité de l'âme, l'idée qu'elle pourrait exister indépendamment de l'enveloppe corporelle qui se reproduit alors sous mille formes dans les vers les plus incrédules comme s'il fallait inventer une protestation à toute cette perplexité. Tantôt l'esprit d'un homme endormi se met à voyager seul à travers l'espace, franchissant les distances au diapason de la pensée, et passant les murs d'un cachot, d'un gynécée, afin de consoler un prisonnier, de revoir quelque amante. Tantôt c'est l'âme d'un proche défunt qui est évoquée, celle d'un soldat tué qui se lamente, ou celle d'une épouse rongée par la jalousie, qui par un mouvement violent se dégage des entraves de la chair, pour voler sur les traces d'un époux en voyage et le suivre à son insu. On retrouve aussi dans tous ces poèmes des traces de légendes, de récits populaires, les aspirations vers une autre vie, et toujours le besoin d'espérer ou de croire. D'autres poèmes donnent au soldat le beau rôle. Par exemple dans les oeuvres de LI-TAÏ-PE, on découvre un poème intitulé "Le brave", une rare composition chinoise où l'homme d'épée est exalté aux dépens de l'érudit. Le soldat aura encore un rôle central dans ce poème intitulé "A cheval ! à cheval et en chasse" :

L’homme des frontières,
En toute sa vie n’ouvre pas même un livre ;
Mais il sait courir à la chasse ; il est adroit, fort et hardi.

Quand il galope il n’a plus d’ombre. Quel air superbe et dédaigneux !

THOU-FOU lui même écrira "Le recruteur", l'histoire d'un village dépeuplé par un recruteur, "Le départ des soldats et des chars de la guerre" nous conduit sur les pas d'une colonne en marche :

Partout les ronces et les épines ont envahi le sol désolé,
Et la guerre sévit toujours, et le carnage est inépuisable,
Sans qu’il soit fait plus de cas de la vie des hommes que de celles des poules et des chiens.

Les Tang savent aussi retracer la vie intime des chinois de l'époque. Tel ce poème de MONG-KAO-JEN titré, "Visite à un ami dans sa maison de campagne" :

Un ancien ami m’offre une poule et du riz.
Il m’invite à venir le voir dans sa maison des champs.

D'autres sont de véritables petits tableaux décrivant par exemple deux amis qui se donnent rendez-vous à l'automne pour regarder les fleurs. Pour d'autres, les scènes sont plus animées elles ne s'imprègnent plus de la contemplation de la nature, mais se mêlent à un banquet où le vin coule à flot. Et partout on retrouve les fleurs, indispensables à la poésie Tang.

Combien de fois nous sera-t-il donné encore de nous enivrer, comme aujourd’hui, au milieu des fleurs ?
Ce vin coûterait son pesant d’or qu’il n’en faudrait pas regretter le prix.

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Il y a aussi ces réunions dans la maison d'un ami, les dîners en plein air, les parties de montagne, la promenade solitaire qui porte à un plus haut degré, cette langueur indéfinissable particulière au peuple de Chine.

La lune surgit du milieu des pins, amenant la fraîcheur avec elle ;
Le vent qui souffle et les ruisseaux qui coulent remplissent mon oreille de sons purs.`

Et puis bien sûr, d'autres thèmes ceux-ci incontournables jalonnent la poésie Tang. L'attachement au pays natal, et les douleurs que peuvent causer une absence. Le chinois n'est pas voyageur, quand il part c'est toujours le coeur lourd et quand il se retrouve en pays étranger, rien ne le distrait du souvenir de sa terre natale :

Ne pensons qu’à l’accord harmonieux de nos luths, tandis que nous sommes réunis dans cette charmante demeure,
Je ne veux songer aux routes qui m’attendent qu’à l’heure où il faudra nous séparer [...]
Mais ces doux instants passés ensemble, hélas ! quand pourrons-nous les retrouver ?

L'exil pour le chinois, très attaché à son foyer a de cruelles amertume et l'on pense à l'immense THOU-FOU qui mourût disgrâcié comme OVIDE et qui jusqu'à son dernier jour ne cessa d'exprimer son chagrin :

Devant mes yeux passent toujours de nouveaux peuples et de nouvelles familles ;
Mais, hélas ! mon pauvre village ne se montre pas !
Tandis que le grand Kiang pousse vers l’Orient des flots rapides que rien n’arrête,
Les jours de l’exilé s’allongent et semblent ne plus s’écouler...

Source : Les notes de ce billet ont été inspirées par le travail de présentation et les traductions des poésies Tang du Marquis D'Hervey-Saint-Denys (1862)

Photos : Les brésars du Nabirosina sous le pinceau un peu chinois du Van Ki Tang, photographiés à l'orée de la très mystérieuse forêt de Bliges. Avril 2010. © Frb.

dimanche, 23 mai 2010

Le livre tangue

"Je veux être un éléphant qui pisse dans le cirque quand tout n’est pas beau… "

BERTOLT BRECHT in "Baal". Edition Arche 1997.

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RIMBAUD dit de l'ivresse qu'elle procure cette eau de vie verdâtre "Qu'elle est le plus délicat et le plus tremblant des habits". Affirmer que l'ivresse, est pour le poète un habit reviendrait à la classer parmi les accessoires qui lui sont nécessaires pour paraître en société. On sait que jadis, les bourgeois s'étaient fait un devoir de rompre avec les excentricités de l'aristocratie, et de porter les tenues les plus neutres possibles, des costumes de coupes sobres dans des tons éteints gris anthracite, chapeaux sombres, ensembles bleus marine ou noirs. Le vêtement bourgeois dissimulait la chair et renvoyait l'image sinon d'un homme utilitaire, au pire celle d'un automate fonctionnel.
Au contraire le corps ivre s'élance, erre à tâtons. Il commet toutes les maladresses et on ne peut le mettre à la chaîne, il est en quelque sorte perdu pour toute utilité sociale.

RIMBAUD dit encore que le poète doit "faire l'âme monstre" (cf. "La lettre du voyant"). Le poète doit apprendre à voir, à éprouver toutes les formes d'amour. "Etre voyant", c'est aussi refuser de passer inaperçu. Et "faire l'âme monstre" est la grande ambiton du dandy, dont l'extravagance  se trouve, (c'est sans doute préférable), très souvent incomprise. Si être écrivain et alcoolique n'a rien d'exceptionnel, le mélange parfois n'offre pas la compensation espérée. Et ces deux passions réunies dans une même personnalité comportent un risque d'entrave. On connaît ici et là des destins avortés, de talents, qui se sont lentement, inexorablement gâchés dans l'alcool, sans réussir à offrir une oeuvre disons, à la postérité, ni même une simple oeuvrette. Ces parcours fort nombreux, on les retrouve souvent dans le sillage des grands mouvements artistiques autour du Dadaïsme ou du Surréalisme, du Situationnisme etc... Dans l'entourage de personnalités fascinantes comme Francis BACON, Andy WARHOL, pour n'en citer que deux... Ainsi toujours dans ce sillage évoluaient des faunes d'artistes potentiels parmi lesquels très peu d'élus. Beaucoup se sont noyés, comme dans un bain voluptueux ainsi on ne compte plus le nombre de génies inconnus. Et il s'agit toujours de l'itinéraire très classique qui n'est pas à juger, de l'artiste qui boit son talent au lieu de mener à bien son oeuvre.

C'est un peu le schéma de "Baal "de Bertold BRECHT (dont GUILLEVIC a donné une merveilleuse version française). Le schéma de "Baal" est un cas limite. Nul ne pourra savoir si l'homme qui se détruit plutôt que de faire carrière est un minable ou bien encore une sorte d'artiste supérieur qui achève sa carrière non sur le plan pratique mais dans un élan mystique ou peut- être indéfinissable. C'est pourquoi décider de la valeur de l'existence de "Baal "est une absurdité car le fond de cette existence sera toujours inaccessible à un observateur extérieur. "Baal" chemine seul, il serait vain de vouloir l'accompagner, l'encourager ou le comprendre. D'autrepart "Baal" était la divinité tyrannique à laquelle les époux carthaginois sacrifiaient en des temps oubliés, l'aîné de leurs enfants, c'est à dire le meilleur de leur peuple.

Pour en revenir à l'histoire de "Baal" même, BRECHT raconte celle d'un poète qui se perd, une sorte d'"archirimbaud" dont aucun texte n'aurait été conservé. "Baal" chante ses compositions dans une taverne de charretiers située près d'une rivière. Il envoûte son public. Il ressemble à VERLAINE en plus indécent. Un riche négociant entend parler de lui et propose de l'éditer, un patron de presse veut le lancer. Mais "Baal" refuse avec orgueil, toutes propositions mercantiles. La seule chose qui l'intéresse est de boire, et puis boire et boire encore, (du schnapps), courir les filles, faire bonne pitance et dormir à la belle étoile. "Baal" est l'incarnation de la force poétique brute. Peu à peu tous ses bienfaiteurs se lassent, ses amis, irrités par son inconstance, l'abandonnent. "Baal" se brouille avec le tenancier de la taverne où il se produit et se met à errer misérablement. Il achèvera ses jours sur un grabas miteux dans une cabane au fond d'une forêt. Les bûcherons de passage le tournent en dérision et lui crachent dessus. A la veille de sa mort il a encore le ressort de leur lancer le reproche étrangement poignant :

"Vous n'aimeriez pas mourir seul, messieurs !".

Il est trop tard plus personne n'écoute le déchet humain qui s'exprime.

http://www.deezer.com/listen-3360225

Source : Les notes qui composent ce billet ont été largement inspirées par le livre d'Alexandre LACROIX : "Se noyer dans l'alcool ?". Dont le blog de Bartleby dit très justement qu'il donne envie de lire et qu'il donne soif. (lien ci-dessous)

http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2007/10/boire-...

Nota : Le sujet des multiples relations entre l'art et l'alcool étant aussi inépuisable que fascinant, j'espère pouvoir très prochainement vous livrer quelques autres facettes, à travers d'autres auteurs, et d'autres manières toutes différentes de s'enivrer. A défaut de noyer son lecteur (adoré) je distillerai (tel l'alchimiste chaldéen, et allez donc !), les billets sur ce thème au compte goutte (ce qui est un comble) et dans le désordre le plus imprévisible (toujours des promesses !)

Photo: Nécessaire d'énivrés, photographié  à la terrasse du "Vin § Ko", (bientôt rebaptisé "Le Mondrian" à l'occasion de la reprise du café restaurant par le talentueux artiste cuisinier Michel Piet et son équipe d'adorables), un lieu situé au 1 quai Claude Bernard dans le 7em arrondissement à Lyon, et qui est déjà  vivement recommandé par la maison. De cela je reparlerai un certain jour, car l'endroit est si chaleureux et le mojito si extra qu'il serait bien dommage de passer l'été sans aller s'y lover et s'y prélasser des soirées entières sous les arbres. A suivre donc. photographié en Juin 2010 à Lyon (En juin ? alors que nous ne sommes que fin Mai ? pensera le lecteur plein de sagacité. Mais oui ! l'alcool nous f(i)loute, voguez voyants! ... Livrez l'ivresse !...)

mardi, 18 mai 2010

Increvable (2 ans après)

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Cette affichette est une sorte de petit miracle, quand on pense que je l'avais déjà photographiée sur ce même poteau (presque en face de la porte dorée du parc de la Tête d'Or) le 18 mai 2008.

Je vous re-propose un petit tour de manège pour mémoire. Choc des photos, résumé en images :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/05/19/in...

L'année suivante, je l'avais retrouvée, la fameuse affichette, presque intacte:

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/05/23/in...

Et voilà que, bon an mal an, en Mai 2010, elle est toujours là, à narguer, (oserai- je dire, avec à peine quelques égratignures) nos yeux qui ont pris (mine de rien, mais très visiblement), deux ans de cernes et de rides, on pourrait même presque se dire qu'on est peu de chose (enfin, par rapport au show Dalida).

Que penser de tout ça au juste ?  Et ben, moi rien ... Mais comme disait Jacques LACAN, (un grand ami de certains jours) :

"L'interprétation n'a pas plus à être vraie que fausse ; elle a à être juste"

Songez-z'y chers lecteurs. Et prenez gentiment votre mal en patience. Quant à moi, je ne vivrai désormais que pour le mois de Mai 2011 afin de courir vous donner des nouvelles de notre feuilleton "Show Dalida" (1 par an) en espérant qu'une tempête ne déracinera pas notre poteau (et quand bien même Dalida y serait sans doute encore increvable...) ma foi. En attendant, vous pouvez  réserver vos places à la Cnaf. (Vous suivrez les personnes à gilets vert barré d'un élégant jaune moutarde et oserez demander Dalida, ils connaissent. (Mieux que Stockhausen) c'est ça qu'est chouette, (enfin, pas pour tout le monde).

Enfin pour parachever, tout autant que combler les caractères plus impatients, un retour dans le futur vu par Hozan KEBO, (le 18 Mai 2098), pourra encore en dire bien autant que Jacques DERRIDA (un autre ami de certains jours)  extr de "L'écriture et la différence", je cite :

"Une trace ineffaçable n'est pas une trace".

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/05/21/in...

Si ce n'est pas une trace, Alors c'est quoi ? Comme se le demanderait mon copain Jean Luc, (GODARD évidemment !) :

"Qu'est ce qu'il y a après la trace ? et comment ça s'appelle ?"

Posons nous sérieusement la question. Et peut-être qu'en Mai 2011 nous saurons ? Gros suspens. J'attendrai, vous aussi n'est ce pas ? Rendez-vous donc l'année prochaine même jour même heure. Fidèle au poste. Tandis que de là haut, Dalida, nous regardera... (?)

Photo : Malgré pluies, neige, vent, frimas, (je ne vais pas me répéter, bien que ce soit à mes yeux, une résistance plus qu'incroyable). L'affichette increvable, photographiée dans le 6em arrondissement de Lyon, là où vous savez, le 18 Mai 2010. © Frb.

lundi, 10 mai 2010

Le " je ne sais quoi "

C'est la vie des grandes qualités, le souffle des paroles, l'âme des actions, le lustre de toutes les beautés. Les autres perfections sont l'ornement de la nature, le "je ne sais quoi" [...]  suppose un esprit libre et dégagé [...] Sans lui toute beauté est morte, toute grâce est sans grâce. Il l'emporte sur la valeur, sur la discrétion, sur la prudence, sur la majesté même. [...] L'art de se retirer galamment de tout embarras.

BALTASAR GRACIAN. "L'art de la prudence". 1994. Editions Payot § Rivages.

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Au départ, tout partait d'une bonne intention, je voulais vous toucher deux mots de "je ne sais quoi", puis farfouiller dans le corps (?) du texte de Baltasar GRACIAN, (qui fût un écrivain d'une intelligence rare loué à maintes reprises par notre Guy) mais il paraît, malgré les caprices incompréhensibles des horloges de ce petit blog, que ce soir c'est "la fête des voisins". Encore une de ces inventions (autre bidule de printemps festif, incontournable), que notre époque de plus en plus décomplexée, aura pondu pour nous faire croire qu'au fond, nous sommes tous des êtres solidaires, avides de retrouver l'élan spontané originel (?). (Voir le billet suivant ou précédent, selon la logique de chacun). Dieu Merci (ou Diable, non merci!), il y aura toujours des concepteurs de bonté, un brin évangéliques, pétris de bonnes idées, pour venir "ambiancer" nos élans de générosité (naturelle ?), et rassembler entre elles des créatures, (lisez "voisins", "voisines" si vous voulez) qui, les autres jours de l'année, se retrouveront aussi amicaux (entendez complices et solidaires) que les quatre pieds de ma table. Comme le disait Nikos ALIAGAS (le poète grec) "on ne va pas se mentir", et s'il faut être spontané, autant le dire carrément, étant donné que je ne peux pas ce soir, écrire ce que bon me semble, en raison que c'est ma voisine qui, la plupart du temps, décide des jours où je peux ou non vivre dormir, ou simplement écrire chez moi, je lancerai donc un appel d'offre en vue d'une festivité bien moi. (Do it yourself !) et rechercherai de toute urgence deux ou trois grands gars du genre costauds, déterminés, et surtout très patibulaires, ayant une grosse pratique de boxe Thaï, ou française, voire de catch pour aller faire la fête à ma voisine, laquelle, (vous l'avez compris) m'a cruellement empêchée de développer les merveilleuses idées qui auraient pu s'échapper de cette non moins merveilleuse citation. Cela dit les images parlent d'elles mêmes, et disons que pour ce coup là, ça ne sera pas plus mal. J'invite donc son lecteur (adoré) à méditer ce qui lui plaira à propos de "je ne sais quoi".

Photo: Le "Je ne sais quoi", vu près de la fontaine Bartholdy, place des Terreaux, à Lyon, par un bel après midi de Mai 2010. © Frb

jeudi, 06 mai 2010

Les injonctions paradoxales

Ignorez ce panneau !

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"Selon une histoire très ancienne qui a autant dépité les philosophes que les théologiens, le diable mit un jour en cause la toute-puissance de Dieu en lui demandant de créer un rocher si énorme que Dieu lui-même ne saurait le soulever. Quel choix restait-il à Dieu? S'il ne pouvait soulever le rocher, il cessait d'être tout-puissant ; s'il pouvait le soulever, il était donc incapable de le faire assez gros."

La forme la plus fréquente peut-être sous laquelle le paradoxe s'introduit dans la pragmatique de la communication humaine est celle d'une injonction exigeant un comportement déterminé qui de par sa nature même ne peut être que spontanée. Le prototype d'un tel message serait alors "Soyez spontané !". toute personne ainsi mise en demeure d'avoir ce comportement se trouverait alors dans une position intenable. Pour exemple, les clients du bordel de luxe du "balcon" de Jean GENÊT sont tous pris dans ce système. Les filles sont payées pour jouer le rôle complémentaire qu'attendent d'elles tous les clients afin de vivre leurs rêves d'eux mêmes mais tout reste dans l'ordre du trompe l'oeil car tous savent (par exemple) que le pêcheur n'est pas le pêcheur, que le voleur n'est pas un vrai voleur etc... Or pour que que cela fonctionne il faudrait être spontané par obéissance donc sans spontanéité.

Voici quelques variantes d'injonction paradoxale ("paradoxe", pour mémoire, de "Para" = contre et "doxa"= opinion)

- Tu devrais m'aimer !

- Je veux que tu me domines !

- Ne sois donc pas si docile !

- Tu es libre de partir, tu fais comme tu veux et surtout ne t'inquiète pas si j'en tombe malade.

Dans chacun de ces exemples, tout échappatoire est impossible. Au pire l'autre refuse d'obéir, au mieux chacun fait ce qu'on lui demande mais pour de mauvaises raisons et l'on retombe dans l'obéissance elle-même. Là est le paradoxe, la spontanéité ne peut s'épanouir sans la liberté, sous la contrainte, la spontaneité n'est plus possible, et plus rien n'aura de sens. La liberté elle même est analogue à un paradoxe. Ainsi le code civil suisse stipule à l'article 27 : "Personne ne peut renoncer à sa liberté [...] ou la limiter dans une mesure qui viole la loi ou la moralité". Une phrase à méditer, bien sûr. Et Nicolas BERDÏAEFF ( cf. Bibl. in "Dostoïevski" Méridian books N.Y 1957) résumant la pensée de Dostoïevski écrit : "On ne peut identifier la liberté à la bonté, ou à la vérité, ou à la perfection, elle est la liberté et non la bonté."

Toute identification entre liberté et bonté ou perfection implique une négation de la liberté et renforce les méthodes de coercition. La bonté obligatoire cesse d'être la bonté du seul fait qu'on y est contraint.

Sur ces réflexions très intéressantes autour de la liberté, je souhaite de votre part un bon anniversaire à ce petit blog pour ses 2 ans d'existence. Je tiens par dessus tout, à remercier chaleureusement les lecteurs chéris z'et les commentateurs adorés de "Certains jours" sans qui  ce petit blog ne serait pas. Etc...Etc...

Nota: D'ailleurs je ne demande à personne de me souhaiter cet anniversaire, bien au contraire ! même si j'estime que c'est quand même la moindre des politesses quand il y a un anniversaire quelquepart, d'y penser et le plus joyeusement du monde. Mais si vous l'oubliez, je n'en mourrai pas. Enfin si. Mais c'est pas grave, chacun est libre :-)

Source : "Une logique de la communication" de P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, Don D. Jackson. Edition Seuil 1967.

Liens utiles :http://polaristo.com/jfpelletier/doctorat/012.htm

http://www.vadeker.net/corpus/gregory_bateson.html

Photo: Impasse vu d'un vélo dans le ciel de Lyon la nuit, pas loin de la rue Denfer. En Mai 2010. © Frb.

mercredi, 05 mai 2010

Crions

Qui pousse un cri meurt ! Qui se tait meurt aussi !

EISENSTEIN : "Alexander Nevsky" (1937-1938)

crier.JPGPour en entendre (un peu), vous pouvez cliquer sur la rue Crillon.


Cris /kʁi/

Cri, Crie, Cries
cri, crie, cries, cris
cri, cris
crie, crient, cries → voir crier


A lire : http://www.vadeker.net/beyond/infinity/trou/trou_enfer.html

Plus sérieusement : http://www.archipress.org/index.php?Itemid=38&id=53&a...

Photo : La fameuse plaque muette de la rue Crillon de Lyon (Crillon à Lyon), située dans le 6em arrondissement, quartier chic et feutré, seulement en apparence... Mai 2010. © Frb

mardi, 04 mai 2010

Mes nuits sans Oscar Wilde

"On devrait toujours être légèrement improbable".

OSCAR WILDE in "Aphorismes". Editions Mille et une nuits. 1997.

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Là bas la nuit remue, ici elle est muette. Dans le hameau de Philippe J. il y a des pommiers des poiriers et des haies. "Comment peux tu aimer les haies toi qui écoutais "Man machine" ? Comment peut on tomber si bas"?. M'a t-on dit alors que la nuit s'étendait sur chaque chose et nous trouvait déjà tous à moitié ensevelis. La nuit fait tourner les électrophones, on me reparle du passé de ce temps où l'on "s'amusait", tous au réduit bien rabotés, il se peut que nos années folles, à flamber des sticks, à trinquer, furent juste celles du mortel ennui, cette nostalgie a fait école. Vingt ans, trente ans après, la déglingue fait encore rêver. Ô temps bénis ! tous les gri-gris ont fait école. La mère de famille de 40, de 50 ans même, gentiment décoiffée en ressortirait son kilt en zèbre. Une larme versée sur l'autre mouture du Cabaret Voltaire et puis dandinant son popotin entre zèbres et damiers elle irait vider le lave-vaisselle.

Ils sont anciens, ils ne tiennent pas la nuit. Ils travaillent le lendemain. ils portent le fruit d'un vieux bazar comme la grande histoire de leur vie Ils osent affirmer haut et fort "qu'il ne s'est rien passé de bien depuis". De bien ? Et depuis quand ? Sommes-nous venus sur terre pour savoir ce qui se ferait de mieux depuis ? La qualité n'est à personne. L'avant-garde est derrière. La nuit revient. Le charbon se frotte à l'alcool, d'autres n'en boiront plus jamais, épuisent la paire de hanche d'une bouteille de Perrier. Tout baigne.

Avec mon sécateur dans notre appartement, je taille les haies de Philippe J. Je dois lui rapporter au hameau très précisément lundi une haie presque parfaite. Georges allongé sur le tapis, me demande "Où as tu trouvé ce chat ?" "Mais quel chat ?  Mon pauvre Georges, c'est bien triste comme tu déraisonnes, à ton âge tu devrais arrêter." Georges insiste, "Oui, un chat il parait qu'il miaulait sous la pluie". A quelques mètres un peu plus bas, le Cendrars de la tante Yvonne griffe chez Léon, "les dernières colonnes de l'église". Le temps d'écorcher les consonnes. Georges me dit que le chat est parti. "Où a t-il pu aller ?". Pourtant j'aurais juré qu'il se plaisait chez nous. Mais Georges rectifie. "Chez nous c'est pas ici". "Ah bon.". Il est 2H37. Les amis de Georges n'ont pas rappelé, Oscar surtout on l'attendait. Il y a grosse bringue au Macumba de Craponne avec l'orchestre "Décontraction" et les "Crazy boots" reformés. Se pourrait-il qu'on nous oublie ? Je prends le "Libé" d'un vieux lundi, j'épluche des pommes, sur la photo de Sarkozy. Philippe J. Sarkozy font des reflets sur le génépi, des flots verdâtres irisés d'or. Georges me dit qu'il faudrait que je finisse de tailler la haie avant que le jour se lève ou au plus tard lundi. "Tu sais bien que ce lundi t'as ton cours de frisbee". "Tu as raison". Mais je pense en moi même que tailler une haie, c'est davantage un boulot d'homme. La tête prise dans un rayonnage, je cherche un truc qui commencerait par Art. Art Blakey, Art Tatum... Peut être Art Zoyd. Ca serait bien pour se donner du courage. Art ensemble of Chicago et nous voilà sonnés des cloches. On s'offrirait bien une virée dans un gros tas de coussins à franges. Mais le temps presse.

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"Sur l'autre versant orienté au midi il paraît qu'il n'y a pas un arbre". Georges a lu ça derrière la carte postale d'Ernest, avant de goûter une toute nouvelle boisson dont l'effet paraît il dure plusieurs heures. Il s'agit pour lui d'atteindre l'autre versant et de revenir. Maintenant il traverse le salon assis sur son éléphant blanc. Il me  demande "ça te gêne pas ?. "Pense tu ! moi ça m'est complètement égal". Mais c'est peut-être plus embêtant pour les voisins du dessous. Les Ducorchet, Guy et Annie, ceux qui ont collé un village schtroumpf sur leur porte d'entrée et quelques décalcomanies autour de leur sonnette, des dinosaures, principalement. Georges me dit que les gens sont hyperbizarres aujourd'hui. Il a raison. Ils ne veulent pas admettre qu'on fasse du bruit au dessus de leur tête. "Peut-être qu'ils n'aiment pas mon éléphant blanc ?" Georges s'assombrit (je sens que ça lui fait de la peine), je le console. "C'est quand même moins pire qu'un effraie". Tu te souviens Juin 1953 ? Quand Philippe J. est venu chez nous, avec son effraie sur l'épaule ? Les Ducorchet à leur fenêtre, ils faisaient une de ces tête !". Je me souviens. Philippe J. avait composé un poème. Son effraie l'inspirait. "Philippe J .était assis là , exactement là où je suis. Sur cette chaise là, dans cette même cuisine". Georges m'écoute, perplexe. Il paraît médusé, m'interroge toujours. " Tu te souviens de ça toi ?". "Ben ouais !". "Mais permets moi de te signaler qu'en 53, t'étais pas née". "Et alors ? Qui ça gêne ?".

Je reprends mon souvenir, au point je l'avais laissé, j'en suis à la moitié. Ca coincide exactement avec la moitié de ma haie. Ce poème, Georges, dis je, tout continuant de cisailler des feuilles sèches, je vais te dire, tu vas pas me croire, eh ben... Sur les 8 phrases qui le composent, 3 seulement voient leur fin coïncider avec celle d’un vers. Les enjambements sont multiples. Pas moins de 9 enjambements sur 15 vers. C'est pas super ça ? Qu'est ce que t'en dis  ?". Georges m'embrasse, me trouve exceptionnelle. Il me demande, "Et ce poème, tu le connais ?". "Je le connais par coeur pardi ! Prête moi ton éléphant deux secondes, allez ! viens près de moi que je te le récite." L'effraie, c'est vrai, ça se mérite et ça mérite d'être assis bien plus haut que sur une chaise pour le dire, pour l'écouter. Nous nous installons tous deux tant bien que mal sur le dos de la bête. "maintenant, Georges tais toi. S'il te plaît, écoute ça" :


La nuit est une grande cité endormie

où le vent souffle... Il est venu de loin jusqu'à

l'asile de ce lit. C'est la minuit de juin.

Tu dors, on m'a mené sur ces bords infinis,

le vent secoue le noisetier. Vient cet appel

qui se rapproche et se retire, on jurerait

une lueur fuyant à travers bois, ou bien

les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.

(Cet appel dans la nuit d'été, combien de choses

j'en pourrais dire, et de tes yeux...) Mais ce n'est que


l'oiseau nommé l’effraie qui nous appelle au fond

de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur

est celle de la pourriture au petit jour,

déjà sous notre peau si chaude perce l’os,

tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.

 

"Alors ? Ca le fait ? Non ? ". Georges répond, "Ben, punaise !". Il est 4H40. Ma haie est presque terminée. Le chat est revenu, Georges a replié son éléphant, et ni vu ni connu. Guy Ducorchet fait sonner son réveil. On entend pleurer ses gamins. Le jour va pas tarder. Notre peau est si chaude, profitons. Georges dit "j'en reviens pas de l'effraie comme c'est chouette". Georges est drôle et j'aime rire. En bas on entend les klaxons, c'est les potes qui rappliquent du Macumba de Craponne, d'en bas ils nous crient de descendre. On voit un vieux punk de 44 ans avec une crête rose sur la tête, agiter ses bras joyeusement. "V'nez ! v'nez (qu'il dit), il y a une "after" au Palace de Couzon, les "Crazy Boots" vont faire un boeuf avec les 'Trashy Dolls", un truc unique, putain de ta mère !  le tout remixé par D.J Cooking en Vijing, et puis y'aura des performers, des activistes, des artistes d'avant-garde qui organisent une orgie dans une piscine remplie de ketchup et de bière, c'est gratuit, c'est interactif. Allez v'nez ! c'est le truc qui faut voir en ce moment". J'ai fini de tailler ma haie. Il est temps de nettoyer le sécateur. Demain j'appelerai Philippe J. pour savoir à quelle heure je peux aller au hameau. Je lui porterai sa haie. Je pense même que j'irai à vélo. On entend de loin le pote à crête, siffler brailler, Ricky klaxonne. Tous les copains, en perfectos, santiags, et débardeur fluos, dont certains cinquantaine bien sonnée, se font tourner le rhum au goulot, agglutinés dans les voitures. "Une after ! ah putain !" on y va ? vous suivez ?". Georges crie de la fenêtre "ok ça roule ! on arrive on vous suit". Il me dit "Ferme moi vite cette fenêtre !". Il est 6H00. Annie Ducorchet hurle sur ses gamins. La porte à schtroumpfs et dinosaures claque et reclaque sans cesse. On entend entre les cloisons, l'indicatif de RTL (ça fait au moins cent ans que c'est le même). Un nuage de cendre. Sarkozy, la retraite, Sarkozy et la dette... Déjà les premiers camions des poubelles. Je goûte une pomme. "Finalement j'aime mieux la Granny Smith que la Royal Gala, et toi ? Qu'est ce que t'en penses ?". Georges acquiesse distraitement tout en relevant notre courrier mail. Il lit grosso modo tout haut. "Joachim est au bord du Tibre il dit que "les flots tordus ondoient". "C'est tout ?". "Ouais, à part ça il a vu un torrent avec des flots écumeux, il t'embrasse". "L'effraie de Philippe J. a fait trois petits. Tu les verras quand tu lui porteras sa haie." "Ah ouais ? Super !". Je me demande comment exactement on appelle le petit de l'effraie. "Tu le sais toi ?". Georges ne sait pas, il dit que c'est le dernier de ses soucis. Il poursuit l'inventaire: "Oscar s'excuse, il avait une rhino, c'est pour ça qu'il n'est pas venu cette nuit." Je dis " Ah ça c'est con". "Oui c'est très con". Je ramasse les épluchures qui trainent sur le nez de Sarkozy. Georges me prend la main. "Et si tu nous faisais une tarte Tatin ma chérie ? "Les étoiles sombrent entre les rues". Je mets un disque des Redwood Plan. "Oui, mon amour, va pour une tarte Tatin!".


THE REDWOOD PLAN :"Something to prove"
podcast

 

Photos : "Soyons" (photo 1). "Réalistes" (photo 2). Graffs vus dans l'impasse jouxtant ma propre maison (quel toupet!).  Lyon. Croix-Rousse. Mai 2010. © Frb.