dimanche, 06 septembre 2009
Comme un dimanche
Après une franche repue,
J’eusse aimé, toute honte bue,
Aller courir le cotillon
Sur les pas de François Villon,
Troussant la gueuse et la forçant
Au cimetière des Innocents,
Mes amours de ce siècle-ci
N'en aient aucune jalousie...
GEORGES BRASSENS "Le moyenâgeux"
Dans la langue médiévale le mot "église" ne désignait pas seulement les batiments de l'église mais aussi l'espace tout entier qui l'entourait. Pour la coutume de Hainaut, l'église "paroichiale" (paroissiale) est "assavoir la nef, le clocher, et le chimiter" (cimetière). On prêchait, on distribuait le sacrement aux grandes fêtes, on faisait les processions dans la cour de l'église, réciproquement, on enterrait à la fois dans l'église, contre ses murs et aux alentours. Le mot "cimetière" désigna plus particulièrement la partie extérieure de l'église, l'atrium ou "aître"... Aussi, étrangement qu'il sonne à nos oreilles, le mot "aître" était l'un des deux mots utilisés dans la langue courante pour désigner le cimetière. Mais le mot "cimetière" appartint plutôt jusqu'au XVem siècle, au langage des clercs. Il y avait un autre mot employé en français synonyme d'aître : le charnier. On le trouve déjà dans "la chanson de Roland". "Carnier" est resté dans sa forme la plus ancienne, la plus proche du latin "carnis", (dans notre parler populaire, "une vieille carne"), et sans doute appartenait-il déjà avant "la chanson de roland" à une sorte d'argot pour désigner ce que le latin classique ne nommait pas et que latin d'église désignait d'un mot grec et savant : "cemeterium". Dans les mentalités médiévales, l'espace clos qui enfermait les sépultures comptaient plus que le tombeau. A l'origine, si "charnier" était synonyme d'"aître", à la fin du Moyen-Age, il désignait seulement une partie du cimetière, c'est à dire, les galeries qui couraient le long de la cour de l'église et qui étaient surmontées d'ossuaires.
Le fait que les morts étaient entrés à l'église et dans sa cour, n'empêcha ni l'une ni l'autre, de devenir des lieux publics. La notion d'asile et de refuge, est à l'origine de cette destination non funéraire du cimetière. Pour certains lexicographes, le cimetière n'était pas toujours nécessairement le lieu où l'on enterre, il pouvait être indépendamment de toute destination funéraire un lieu d'asile et il était défini par la notion d'asile : "azylus circum ecclesiam". Ainsi dans cet asile intitulé cimetière, qu'on y enterre ou qu'on n'y enterrât pas, on prît le parti de construire des maisons et de les habiter. Le cimetière désigna alors, sinon un quartier, du moins un îlot de maisons jouissant de certains privilèges fiscaux et domaniaux. Enfin, cet asile devînt un lieu de rencontre et de réunion, comme le forum des romains, la Piazza major, ou le corso des villes méditerranéennes, pour y faire commerce, y jouer, ou tout simplement pour le plaisir d'être ensemble. Le long des charniers, s'installèrent parfois boutiques et marchands. Au cimetière des innocents à Paris, les écrivains publics offraient même leurs services.
En 1231, le concile de Rouen, défend de danser au cimetière ou à l'église sous peine d'excommunication; un autre concile de 1405, interdira de danser au cimetière et d'y jouer à un quelconque jeu. Il défendra également aux mimes, aux charlatans, aux musiciens et autres montreurs de masques d'y exercer "leur métier suspect". Un texte de 1657, montre qu'on commençait à trouver un peu gênant ce rapprochement en un même lieu, des sépultures et des "cinq cents badineries que l'on voit en ses galeries [...] au milieu de cette cohue, écrivains publics, lingères, libraires, revendeuses à la toilette, on devait procéder, à une inhumation, ouvrir une tombe, et relever des cadavres qui n'étaient pas encore consommés, où, même dans les grands froids, le sol du cimetière exhalait des odeurs méphitiques [...]"
Si à la fin du XVII e s. on commence à apercevoir des signes d'intolérances, il faut admettre que pendant plus d'un millénaire on s'était bien accommodé de cette promiscuité entre les vivants et les morts. Les ossements cotoyés, à la surface des cimetières, n'impressionnaient pas plus les vivants que l'idée de leur propre mort. Ils étaient aussi familiers avec les morts que familiarisés avec leur mort.
Source : Philippe ARIES "Essais sur l'histoire de la mort en occident", (du Moyen Âge à nos jours), éditions du seuil 1975.
Photo : Ce qu'il reste... Vestiges d'un "Jésus au bras coupé", vus en traversant les allées du cimetière de Charlieu, cité médiévale au blason échiqueté d'argent et de sable), et "cher lieu "Carus Locus" autant qu'un paisible refuge sable et argent (où on ne boit pas, on ne fume pas, on ne danse pas. Tenue correcte exigée. Tout bien comme il faut). Fin Août 2009. © Frb
02:01 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, Certains jours ..., De visu, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
dimanche, 30 août 2009
D'une rive à l'autre
"Malheureux humains ! coureurs aveugles ! dans quelles ténèbres, au milieu de quels périls vous passez ce peu d'instants à votre vie ! n'entendez vous pas le cri de la nature ? Elle ne demande qu'un corps exempt de douleur, une âme libre de terreurs et d'inquiétudes"
LUCRECE, cité dans "Epicure et les épicuriens", Presses universitaires de France, 1964 (Textes choisis par jean Brun)
Une terre aimée vaut bien la musique de LUCRECE, chantre latin de l'épicurisme, une forme de vieille poésie romaine, un contenu qui vient en droite ligne de la Grèce. Et sa plume tant avisée n'écrit rien qui ne soit infondé, LUCRECE a connu la "guerre sociale" (90, 88), révolte violente des alliés italiens contre Rome, les luttes de Marius et de Scylla, avec les sinistres proscriptions et la terreur qu'elles entrainèrent, la révolte de Spartacus et de ses esclaves (73, 71) dont 6000 furent crucifiés sur la route de Capoue à Rome, la conjuration de Catalina (63), le premier triumvirat (60) où César, Crassus et Pompée, se partagent le pouvoir. Pour résumer, il a grandi et vécu dans une période d'instabilité, de troubles, et de massacres, d'écroulement du système politique républicain, de corruption, et il a vu, si l'on peut dire, s'écrouler le monde autour de lui.
"Rien n'est plus délicieux que d'abaisser ses regards du temple serein élévé par la philosophie, de voir les mortels épars s'égarer à la poursuite du bonheur, se disputer la palme du génie ou les honneurs que donne la naissance et se soumettre nuit et jour aux plus pénibles travaux pour s'élever à la fortune ou à la grandeur"
Voilà ce qui précède l'extrait du texte joint, ici, plus haut. Je vous laisse raccorder vous même les fragments de LUCRECE. Tandis que je traverserai en rêve, l'infime passerelle qui me relie, du Nabirosina, au dernier métro menant à une quelconque gare... Un transistor de poche nasille sur les genoux d'un pauvre monsieur, assis par terre et somnolant dans une rue surpeuplée. J'attends debout, le prochain bacarouler. Près de moi, sur les genoux du monsieur : RTL. le son qui vient nous rassembler. Des voix qui disent nous ressembler. Au téléphone on a Gérard, un auditeur, "Bonjour Gérard ! Gérard, décrivez vous un peu !" -"J'm'appelle Gérard, j'habite Evry, je suis divorcé, j'ai 42 ans, épicurien, j'aime m'éclater, faire la fête, je suis toujours prêt à bouger, chui à fond dans tout, j'adore aller en boîte, même me laisser troubler par les jolies filles oh ! oh ! j'aime la bonne bouffe, les grands restaus et les bars, pour résumer plus y'a du monde et plus je suis dans mon élément..." Intervention de l'animatrice : - "Eh bien Gérard ! dites moi, vous croquez la vie à pleines dents ! vous êtes un vrai épicurien, c'est chouette !". Gérard - "ah oui, un vrai ! c'est ce que me disent les copains"...
Retraversons si vous voulez, l'infime passerelle, nous voilà, non pas chez LUCRECE mais chez EPICURE lui-même. Le bonheur est pour lui, le bien suprême (jusque là, on est tous avec toi, Gérard !), qu'il faut acquérir et conserver, il se confond avec la uoluptas = le plaisir. Mais pas n'importe quel plaisir ! Le plaisir épicurien est pour le corps l'absence de douleur (aponie) et pour l'esprit, absence de troubles, de crainte, le calme, la tranquillité, la sérénité en un mot : l'ataraxie. Il y a donc (toutes mes excuses, Gérard !) tri sévère entre les plaisirs. Je vous passe l'énoncé des catégories de plaisirs, mais on est loin du sensualisme grossier dont se réclament certains de nos "épicuriens d'aujourd'hui", et même s'il est connu que tous les disciples de l'épicurisme à sa grande époque, n'ont pas suivi de si près cet ascétisme, EPICURE (lui même!) avait quelques principes : Pour vivre heureux, il faut vivre de peu, se contenter de l'indispensable et mépriser le reste. Le véritable épicurien en bon maître de ses passions, pratiquera la tempérance, modérera voire calculera ses désirs, ne se laissera pas aller aux excès de la chair. Sur ce thème, EPICURE goûte assez peu la compagnie des femmes, quant aux désirs, qui ne sont ni naturels, ni nécessaires, ils coûtent de trop grands efforts et bien des déceptions attendent celui qui s'y applique. Juste pour le plaisir, claire comme une eau de source nabirosinaise, je vous laisse écouter la musique de LUCRECE. Puissiez vous trouver une légère ivresse (ni naturelle, ni nécessaire) aux plis de cet ascétisme modéré :
"La piété, ce n'est point se montrer à tout instant, couvert d'un voile et tourné vers une pierre, et s'approcher de tous les autels; ce n'est point se pencher jusqu'à terre en se prosternant, et tenir la paume de ses mains ouvertes en face des sanctuaires divins; ce n'est point inonder les autels du sang des animaux, ou lier sans cesse des voeux à d'autres voeux; mais c'est plutôt pouvoir tout regarder d'un esprit que rien ne trouble" (Lucr., V, 1198-1203)
Photo : L'étang des Clefs (de la maison du bonheur d'EPICURE ou de LUCRECE ?). Vu un beau jour d'été, sous un ciel voluptueusement lent. Nabirosina. Fin Août 2009. © Frb
23:44 Publié dans A tribute to, Balades, Ciels, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
mercredi, 26 août 2009
Autrement dit
Je suis gaucher. Vous vous en fichez ? Vous avez tort. Il y a là-dessus de quoi penser des pages et des pages. Je n'ai pas dit écrire, ce n'est pas mon jour de clavier, j'ai plutôt une envie de dessiner. Je n'aime pas ma main droite, celle qui écrit - en vieille contrariée qu'elle est - à la plume et tant moins bien que toujours mal. Je préfère "l'autre main", celle que les professeurs ont laissée intacte, qui de dextre à senestre dessine, peint et grave. Des deux mains en même temps, je peux sans effort d'attention particulier faire diverger une phrase à partir d'un point central. Dans le sens usuel avec la maladroite et dans le sens inverse avec l'instinctive - la gamme ascendante et descendante du pianiste - et je me demande : si mes bras s'allongeaient indéfiniment comme dans un rêve, où cela s'arrêterait-il ? à quels horizons ? Vers quelle jonction...
PIERRE ALECHINSKY in "Des deux mains". Editions Mercure de France, 2004
Pierre ALECHINSKY est né en 1927, l'année où le cinéma devînt parlant. Pierre ALECHINSKY eût envie de rester muet et de peindre. Ses peintures sont à notre guise ou musique ou silence :
"Nous travaillons à écrire des histoires muettes"
Pierre ALECHINSKY aima le jazz tout comme les membres de COBRA (groupe auquel il participa) parce qu'il y a dans le jazz, cette spontanéité que l'on appelle aussi improvisation.
Pierre ALECHINSKY déroule son trait noir "comme un long serpentin cobra", il n'appuie pas sur son pinceau pour ne pas l'abîmer, on dit de Pierre ALECHINSKY qu'il a un geste d'écrivain quand il peint on croirait qu'il écrit avec son pinceau comme les orientaux, d'ailleurs il utilise de vrais pinceaux chinois.
On dit aussi qu'il aime regarder l'écriture dans un miroir, c'est plus beau, plus étonnant quand on ne comprend plus ce qu'elle veut dire.
Pierre ALECHINSKY est un gaucher que l'on a obligé à écrire de la main droite, du coup quand il peint il part de la droite vers la gauche pour se venger...
Pierre ALECHINSKY peint souvent par terre, sur de grands papiers, il en a beaucoup mais préfère les vieux papiers imprimés, ceux qui ont déjà servi, les factures, les cartes routières, les cartes de géographie".
Son art ne saurait faire mentir cette phrase de Paul KLEE :
"Écrire et dessiner sont identiques en leur fond".
Voir lithographies : http://www.galerie-bordas.com/alechinsky2.html
Photos : premières figures d'automne, esquisses, ramifications, vues sur le chemin des acacias, pas très loin de la Chapelle st Avoye à La Clayette. Août 2009.© Frb
01:41 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, De visu, Mémoire collective | Lien permanent
Battre la campagne (1)
Cet argotisme est certainement une corruption de battre la campane (campana) battre la cloche. En effet, "les sonneurs ne s'entendent plus parler quand ils sonnent les cloches à toutes volées".
Cette expression aura passé du propre au figuré pour désigner un homme étourdi, ou égaré (?) ne sachant plus ce qu'il dit. Peut-être l'expression étourdi n'a-t-elle pas d'autre origine. Peut-être un vent étourdi aura tant battu les brésars, que les feuilles ne s'entendant plus bruisser, sont tombées dans un traquenard ?
Cela dit si vous n'aimez pas battre la campagne pourquoi ne pas rouler du gris et battre le pavé ICI ?
Photo : Au jardin juste après l'orage. Quelques feuilles d'automne égarées sur un sol d'été. Reste à savoir si le gris bleu traquenard mangera la minorité ocre ? Réponse dans quelques mois. Nabirosina, Août 2009.© Frb
00:49 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Mémoire collective | Lien permanent
mardi, 25 août 2009
Rêverie au bord de l'eau
Iles
Iles
lles où l’on ne prendra jamais terre
Iles où l’on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais
bien aller jusqu’à vous
BLAISE CENDRARS "Feuilles de route" (1924) in "Au coeur du Monde", éditions Gallimard 1968.
Cela pourrait aussi s'appeler "chanson pour celui ou celle qui ne veut pas partir". Rentrer. Le mot est lâché. Aller rebattre le pavé, au pays de "Monsieur bronzé, madame bronzée", les revenus. Rallumer les télés, retrouver la Roselyne dans un tailleur rose bonbon noir, avec une vraie moue de circonstance. "On va tous vous piquer, La France est prête" Rentrer. Sous le préau melle Pugeolles, tapant des mains : "Allez hop ! tous en rang, on va tous vous piquer les enfants !".
C'est pour votre bien. Ainsi soit ile !
"Entrez tous dans la classe ! en file indienne, asseyez vous ! je ferme la porte, je ferme la fenêtre. Et prenez vos cahier en silence ! contre la marge notez ! juste en dessous de la date : Blaise Cendrars : "Feuilles de route", vous soulignez en rouge ! Blaise Cendrars ! en bleu ! feuilles de route ! je dicte l'énoncé : Expliquez le verbe partir. Quelle est la différence entre le verbe partir et le verbe quitter ? ... Mais euh ! oh ! hein !
Qui osera balancer sa chaussure par dessus bord (c'est à dire dans la gueule à Melle Pugeolles ?) Qui ? Et quoi ? (dans la gueule à ...) Qu'entends je ? Que je ferais de l'incitation à la violence ? Mais qui se moque t-on ?
Il y a des rêveries di ffi c-îles...
Photo : Eaux tranquilles au lieu-dit des Grands Moulins. Nabirosina. Août 2009. © Frb
04:36 Publié dans Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
lundi, 24 août 2009
Comme un lundi
Vingt secondes et puis rien .
02:13 Publié dans Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective, Objets sonores | Lien permanent
dimanche, 23 août 2009
Bacarouler
"Le secret pour voyager d'une façon agréable consiste à savoir poliment écouter les mensonges des autres et à les croire les plus possibles. On vous laissera, à cette condition, produire à votre tour votre petit effet et, ainsi, le profit sera réciproque."
F. DOSTOÏEVSKI (1821-1881)
"Le p'ti bus Nabirosinais s'en va dans la campagne... Deux roues solides comme celles des des tubes et la Blanchette, à l'avant. Increvable ! ça coûte moins cher que de payer un cocher. (La Blanchette il faut pas y toucher, c'est la "crésa vécha racholliase"). Pour le trajet, on paie l'aller avec une douzaine d'oeufs, un fromage blanc, ça dépend, du vent, du temps... Le retour on le fait à pied, parce que desfois le p'tit bus Nabirosinais, il se perd dans la forêt, s'embourbe dans la tourbe brune qui dévore les pieds des anges chassés du paradis, aux gargouilles souterraines. (cf. Raoul GLABER " Et soudain, les entrailles de la terre furent vêtues d'un brun jupon de tourbe [...]"). Parfois, le p'tit bus nabirosinais, il sert aussi de corbillard, (on le recouvre d'un tulle noir, parce qu'un corbillard rouge ça ne se fait pas). Et l'été, on le met en "décapotable", et nous voilà partis au village, avec nos chapeaux de paille, assis sur la motte de terre qui fait à la fois office de siège avant, et de banquette arrière... Trois jours trois nuits pour faire l'aller-retour Bois Ste Marie, Vendenesse lés Charolles, on va voir les fours à chaux (En aôut, on dit "les fours à chauds" parce qu'on y fait de belles rencontres). Et puis on grimpe, (tant qu'à faire !) jusqu'au domaine de St Racho, à 552 mètres d'altitude (c'est notre Everest à nous, après le Mont st Cyr, bien sûr). Les habitants de Saint Racho on les appelles "les St raquois" (du nom du "raquois à houpette", un moineau dont la houpette rose sert aussi de boussole aux hérons de Bourgogne. Mais non ! je déconne, comme dit la Pinturault, "faut pas croire tout ce qu'on lit !").
Au début du mois de Septembre, tous les villageois se cotisent pour faire un grand voyage, on monte tous dans le bac à rouler, et on pousse tous dans les montées ou quand la Blanchette fait la tête, certains passagers sont alors obligés d'aller devant pour tirer le petit bus, (rires et fous rires en perspective, surtout dans les tunnels !). Mais en fin de compte le plus important, c'est de bien prendre le temps de contempler le paysage. Et le pt'i bus nabirosinais est un moyen de transport très "bio" comme ils disent, beaucoup moins polluant que le train à vapeur des Cevennes dont le fabricant a copié tout le disagne de notre bus Nabirosinais. (Y 'en a qui manquent pas d'air !). Enfin, cette année, pour ce qui est du voyage c'est décidé, on part le 5 septembre visiter Oran, surnommée la "radieuse" ou la "ravissante" c'est vrai que ça a l'air très beau ! J'espère qu'on sera de retour avant Noël. Mais avant, il faudra bien que je retourne à Lyon, parce que j'ai une très grande nouvelle à vous annoncer : je vends ma voiture à mon beau frère, ça va me faire un peu de sous."
GUY BOUILLON : "Transports et voirie en région nabirosinaise" in "Chroniques villageoises", Editions de la Corne d'Abondance. 1974. Suzy les Charolles.
07:23 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, Transports | Lien permanent
samedi, 22 août 2009
Cailloux
"Hélas ! mes pauvres enfants, où êtes-vous venus ? Savez-vous bien que c'est ici la maison d'un Ogre qui mange les petits enfants ?
Nous étions là, assis par terre sur l'ancienne place de la Grenette à Bois Ste Marie, minés par la chaleur, nous écoutions le Germain Poître nous raconter des histoires d'hydres et de gargouilles, tout un Moyen-Age à faire peur, quand la cloche se mit à sonner. Le son allait lentement, lugubre et revenait presque sans variation. Il semblait que le métal coulait sur les maisons, et que le plomb perché tout en haut du clocher mêlé à la blancheur du ciel, nous ferait perdre la raison. Le Germain Poître murmura à voix basse, "Quelqu'un en moins ! la Marie-Antoinette a parlé". (Marie-Antoinette c'était le nom de la Cloche boscomarienne, celle de La Clayte s'appelait Marie-Charlotte, les deux cloches étaient soeurs dans la vie, je veux dire les deux filles étaient soeurs, filles jumelles du donateur, elles portaient le même prénom que les cloches en hommage, ou le contraire enfin bref...). On chercha parmi tous les vieux lequel aurait pu être "emporté" par les dernières grosses chaleurs (Bois St Marie étant aujourd'hui partiellement transformé en asile, ou plutôt en "long séjour" très honorable, comparé aux mouroirs encore nombreux partout, dont je vous parlerai peut être un jour, Bois Ste Marie, disais je, compte sans doute plus de pensionnaires à son asile que d'habitants, il était donc impossible de savoir pour qui sonnait ce glas).
Deux jours après, l'annonce parût dans le journal "La Renaissance", à la rubrique nécrologique, (c'était la première rubrique qu'on lisait, juste avant le billet du père Mathurin). Un papier signé Guy Bouillon, notre journaliste cantonal, une grande vedette, sorte de Pujadas du Nabirosina. C'était un tout petit article avec une toute petite photo, montrant un tout petit bonhomme entouré de ses sept frères, et de ses parents bûcherons originaire des bois environnants ; une sorte de nain, en somme. Le journaliste avait écrit "un tout petit homme cordial et travailleur, un ouvrier bien sympathique". Le titre, en plus gros caractère affichait "Un orphelin est décédé". Chez nous on dit officiellement "est décédé" pour les gens, "a crevé" pour les bêtes, ce n'est qu'à voix basse qu'on ose le "il est mort", comme dit la Berthe, (la bonne du Germain Poître), "être décédé" ça fait plus propre ! Le Germain Poître, lui, il pense carrément qu'à trop prononcer le mot "mort" ça fait mourir les gens, il dit que c'est comme le vert au théâtre : ça porte malheur ! Le papier signé Guy Bouillon ne tarissait point d'éloges pour vanter les mérites du "défunt". Il évoquait entre parenthèse quelques drames survenus naguère dans cette famille, soulignant "l'enfance malheureuse, toute la pauvreté d'une famille" mais aucun autre détail ne filtra. Notre curiosité en fût lésée.
La seule façon de la satisfaire était de suivre l'enterrement. La cérémonie fût très brève. L'église était vide, hormis le père Prunier qui fit une homélie incompréhensible à cause de son accent de Palinges, le journaliste-vedette Guy bouillon qui était revenu en "reportage spécial", et nous mêmes, les curieux, plus quelques autres commères. Ce ne fût qu'à la sortie de la messe que nous remarquâmes un très très vieux monsieur qui pleurait toutes les larmes de ses yeux. Il était vêtu à la mode ancienne, une lavallière, des guêtres, une perruque bouclée et poudrée. Il portait sur son dos un gros sac qui faisait un bruit bizarre, de billes entrechoquées... Guy Bouillon vint nous saluer, Le Germain Poître lui demanda si le bonhomme qui pleurait c'était pas le fils du Jean de La Fontaine. Guy Bouillon tapota gentiment l'épaule du Germain Poître : "Non, non , mon vieux, ce n'est pas ça, je crois que vous confondez, avec Jean Pierre Delafontaine (un notaire farfelu de Suzy les Charolles)... Mais ce n'est pas lui non plus !"
Nous partîmes au cimetière. Tous les vieux de l'asile, nous regardaient passer, on pouvait deviner leurs têtes, derrière les volets roulants descendus à mi-fenêtre. Il faut croire que chaque enterrement pour eux était une sorte de fête. C'était "leur" évènement. Aucune animation d'accordéon ou de trompette (menées tambours battants) par Jo Corda (et sa trompette), Ricky Vallin (et son accordéon) ni les concours de "diamino" ne pouvaient surpasser cet élan d'allégresse, que provoquait chez eux, un enterrement, au désespoir du personnel hospitalier qui faisait tout pourtant...
Au cimetière, on ne prononça pas le nom du défunt. On jeta la boite en sapin au fond d'un trou, un employé du cimetière la recouvrît à grands coups de pelle, cela fît une grosse motte de terre, sur laquelle il planta une croix. On récita le "Notre Père". Un signe de croix. Et puis voilà.
L'histoire pourrait s'arrêter là, si je n'avais pas perdu mes clefs dans une de ces allées. Tandis que je grattais la terre entre les tombes, je vis, (et pour mieux voir, me cachai derrière la chapelle du Marquis de Carabas sous Dun), l'homme à la perruque bouclée, s'approcher doucement de la motte de terre. Il prit son sac cliquetant, en déversa le contenu tout autour de la croix. Il pleurait toujours à chaudes larmes. Du sac je vis tomber des milliers de petits cailloux, blancs, gris, roses, tous scintillants dont la tombe fût bientôt recouverte. Puis l'homme se mit à parler seul : "Tu vois, petit, je les ai gardés pour toi... Ces petits cailloux, ils te reviennent, ils sont à toi". Puis il posa soigneusement l'objet : une babiole, ornée d'une belle rose rouge sculptée, et le mot "souvenir" peint à l'encre dorée. "Et ça, Poucet, je te le donne aussi, c'est de la part de Blanche Neige"...
Photos : Une tombe + quelques souvenirs. (Vous savez maintenant pour qui, pourquoi.) vue au cimetière du village médiéval de Bois St Marie. Nabirosina. Aôut 2009. © Frb
04:11 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 21 août 2009
Du pareil au même
Photo : Fin des vacances. L'itinéraire est même flêché sur la pierre de l'église de Châtenay sous Dun. Cependant on a le choix. (Je n'ose dire l'embarras du choix). Nabirosina. Août 2009. © Frb
Si toutefois vous trouviez le choix un peu "limité", je vous conseille vivement d'aller défier le hasard en suivant d'autres flêches du côté des nuages... Vous ne le regretterez pas , (tout y très bien indiqué) :
http://les-nuages.hautetfort.com/archive/2009/08/27/le-ha...
A suivre... Billet ci-dessous ↓
03:42 Publié dans Affiches, panneaux, vitrines, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Le nouveau Monde, Mémoire collective, ô les murs ! | Lien permanent
Où allons nous, quand nous ne sommes plus vacants ?
HOZAN KEBO'S REMIX :
"Battre la campagne" VS "Battre le pavé" (Version novlangue)
L'encer et le fiel étant pavés ...
http://kl-loth-dailylife.hautetfort.com/archive/2009/08/2......
... de mauvaises directions.
Original remix : Hozan Kebo's enterprise. Août 2009. (HK/LR©)
jeudi, 20 août 2009
Tracer
"Quand j'aurai cent dix ans, je tracerai une ligne et ce sera la vie."
HOKUSAÏ KATSUSHIKA, (北斎), (1760, 1849)
Une écriture naît sur la route, quelques points de suspension, telle la mise en demeure de la ligne d'horizon. C'est tout en bas de la page que commencent les grands voyages. Ils se remontent comme les fleuves dit-on, et voilà que le voyageur se prend pour un saumon... Du labour viendra la métamorphose, ils ont tracé la route, ne reste plus qu'à suivre. Le mouvement envoûte. D'autres incisent encore la terre avec la lame bleue des faux, mais ils sont de plus en plus rares. Au mouvement précis du devoir régulier, tâchons bien et traçons. Abreuvons le sillon du sang de l'aventure. Et que le pas s'élève, et que s'inscrive un peu de sueur dans cette mûe. Le devoir de contradictions. Nous voilà à ce point, rendus et gratifiés. L'outil offrant la symétrie, nous travaillerons au salut de la ligne. Un grand nombre de traits reste à réaliser, plus nous irons à l'épaisseur, plus nos jours seront prévisibles. Nous joindrons par des ligatures, nos traces, et les organiserons. Tout cela formera des phrases vouées à la ligne de fuite, aussi fastes que des murailles, plus mouvantes que le marécage. Et nous peindrons par terre d'hallucinants messages, nous les coucherons sur la route. Nous apprendrons les signes qui vont apprivoiser. Nous occuperons tous les espaces, nous les refermeront. Un à un. Ailleurs, il y aura des calligrammes ouvragés, sur le marbre. Et une ligne horizontale, bel écheveau de nos destins, livrera aux oracles, les déliés, le trop plein, où ne se perçoivent plus les destinations idéales. Où serons nous demain ? Un champ vide ouvrira la page. (Page du latin "Pagus" = "Champ"). Une série inépuisable de combinaisons, entrera en ligne de compte. Des comptabilités, toute une paperasse. Comme à chaque fois, les signes s'en retourneront à la ligne et se déploieront d'un point à un autre. Etc...
A écouter : http://www.deezer.com/listen-2238985
Photo : La ligne blanche, sur la grande route du Nabirosina, celle qui mène aux villes, comme partout. Géométrie urbaine en milieu rural avec St Cyr en ligne de mire (hors champ). Vue en Aôut 2009 du côté de Vicelaire. © Frb
10:28 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le nouveau Monde, Mémoire collective | Lien permanent
mercredi, 19 août 2009
Vermillon
Je décolle souvent et voyage toujours
pour voir si le lieu du leurre
ne se confond pas
avec celui de ma main
NICOLAS DE STAËL à René CHAR, lettre du 12 novembre 1953.
NICOLAS de STAËL dédia cette phrase à René CHAR en 1953. Deux ans avant sa mort, deux ans après que René CHAR ne le solllicite pour illustrer un livre luxueux avec les textes du "poème pulvérisé". Les deux hommes se rencontrent en 1951 grâce à Georges DUTHUIT qui publie dans les "Cahiers d'art", un article sur N. de STAËL, et sait que celui ci souhaiterait illustrer le poète. Dès le départ, la relation est évidente. Les deux hommes sont entiers, à la fois larges d'idées et chatouilleux, cultivés et sauvages. L'art est pour eux, le combat d'une vie. Tous deux sont aussi chacun engagés dans leur oeuvre, à corps perdu, peut-on dire. Pour R. CHAR, N. de STAËL, (né à St Petersbourg en 1914) vient d'un autre monde, il est : "L'enfant de l'étoile polaire dont Orion s'est épris sur son parcours". Dans l'exergue du poème "Libera II", il compare même leur amitié à celle d'Achille et de Patrocle. Achille le poète s'extasie sur les sons qu'il tire de sa lyre, tandis Patrocle, le peintre l'écoute, silencieux. Le livre qu'ils envisagent de réaliser ensemble se composera de 12 pièces issues du "poème pulvérisé", de 14 bois en noir et d'une lithographie en couleurs. N. de STAËL s'attache à ce travail, avec fougue, il lui consacre les mois d'été 1951, conseillé discrètement par R. CHAR. Dans son atelier parisien, Nicolas DE STAËL choisit la technique du bois gravé et tente d'instaurer un dialogue dans ce rapport des gouges et du bois, avec les écrits de René CHAR. Ce travail commun intitulé "Poèmes" sera exposé le 12 décembre 1951 à la galerie Jacques Dubourg à Paris où seront présents tous les écrivains à la mode : A. CAMUS, M. LEIRIS, G. BATAILLE... N. de STAËL est fier de ce premier livre et s'enthousiasme à l'idée d'en publier d'autres. "Bois de Staël" est la première étude que R. CHAR consacre à la peinture de STAËL. Sa vision des gravures sur bois est celle "d'empreintes de l'homme des neiges"... Ecrira- t-il.
Ce travail commun fût nourri d'une très belle correspondance entre les deux hommes, leur l'amitié fût infrangible. On sait que René CHAR accordait à l'amitié une place immense, il fût fidèle à d'autres très connus, sans démenti, tels BRAQUE, ELUARD, GIACOMETTI, A. CAMUS, mais cette amitié envers N. de STAËL était exceptionnelle, un sommet, un grand signal qui toucha l'essentiel, non seulement humainement, mais aussi pour la compréhension de leurs oeuvres. Tout cela demeure encore dans ces nombreuses lettres échangées : besoin de rassurer, d'être rassurés, d'exprimer des saturations personnelles et des fragilités. L'échange est absolu, d'une sincérité absolue. N. de STAËL a réduit la peinture aux formes élémentaires comme René CHAR l'a fait pour la poésie, et ces traces font rêver car en proposant une lecture figurative des peinture de N. DE STAËL, René CHAR anticipera le virage que prendra son ami pour amplifier son oeuvre. Il est à noter que cette rencontre réunissait deux géants, tant par l'engagement artistique, que par la taille. Deux solitaires "En exil à la fois dans le ciel et sur la terre". R. CHAR parlait d'un "couple d'êtres", de "Deux passants des cimes". Ce texte sur N. de STAËL sera le point de départ d'une nouvelle entreprise, dans laquelle le peintre et le poète prennent encore engagement : la création d'un ballet dont R. CHAR écrit l'argument tandis que N. de STAËL ébauche des idées de costumes et de décors. Ce sera "L'abominable homme des neiges", un rêve irréalisé, faute de compositeurs. DALLAPICCOLA, STRAVINSKY et MESSIAEN se récusent. Le projet restera sans suite. En 1953, une revue de Montevideo ("Entregas de la licorne" où N. de STAËL a exposé en 1948), publie un texte de R. CHAR intitulé "Nicolas De Staël", il a été inséré dans "recherche de la base et du sommet", entre "bois de STAËL" et "Il nous a dotés...". Tandis que N. de STAËL s'éloigne de la réalité palpable, CHAR nous y ramène. Les pavés des tableaux redeviennent rochers, et les toiles, "des chemises qui claquent au vent". Mais ni le peintre ni le poète ne peindront ce qu'ils voient.
Autre collaboration de René CHAR avec les peintres → ICI
A suivre / ... Des extraits de la correspondance de Nicolas de STAEL et René CHAR. Dans un billet que vous trouverez exactement en dessous de celui-ci.
Photo : Un monde, précédant la palette, les cimes et les cimaises. Nous avons pressé tous les tubes, nous sommes sortis de l'atelier, une couleur approximative a pris le ciel par une fantaisie (fantasy ?) légèrement trafiquée. Après le vermillon, la rouille, et juste avant le bleu cassé, nous n'avons pas trouvé cette couleur idoine. Ce vermillon parfait. Un ciel trop rouge étant un leurre, nous l'avons donc désaturé . Nabirosina. Juillet 2009. © Frb.
11:04 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, Ciels, De visu, Mémoire collective | Lien permanent
Bleu cassé
"Le travail de Nicolas de Staël est d'une exigence absolue et il est peu problable que j'aie le coeur de m'autoriser un jugement.
Cependant je peux bien vous avouer que je cherche toujours, sans trouver, dans quel monde de lumière il est possible de vivre autant de vérité que dans les tableaux des footballeurs, grands ou petits... Quelle danse de lumière et quelle puissance d'homme et de lion. J'aime l'oeuvre de Nicolas dans sa profonde humanité et sa pure vérité."
René CHAR, correspondances. (En réponse à la lettre d'une admiratrice qui lui demandait quel était le tableau de N. de STAËL qu'il préférait)
Une des ultimes toiles de N. de STAËL s'appelle "Les mouettes", les couleurs se déclinent du blanc gris au bleu sombre, en strates qui se succèdent. On n'aperçoit nullement les oiseaux dans le détail, mais des formes qui fuient, l'orage venant au ciel. On sait pourtant combien Nicolas De STAËL aimait le vermillon, couleur dans laquelle il flamba sa vie et l'incendie revient encore aujourd'hui éblouir sublimement et interroger sans répit son visiteur.
En 1951, Nicolas de STAËL est à Paris, dans son atelier, René CHAR vit à l'Isle sur la Sorgue. Mais la présence de R. CHAR habite l'atelier du peintre. Ils collaborent.
je vous livre ici quelques extraits de leur correspondance :
[...] Je ne le dirai jamais assez ce que cela m'a donné de travailler pour toi. Tu m'as fait retrouver d'emblée la passion que j'avais enfant pour les grands ciels, les feuilles en automne et toute la nostalgie d'un langage direct, sans précédent, que cela entraîne. J'ai ce soir mille livres uniques dans mes deux mains pour toi, je ne les ferai peut-être jamais, mais c'est rudement bon de les avoir. [...] A bientôt. De tout coeur.
N. DE STAËL à René CHAR (source "Lettres de N. DE STAËL, annotées par Germain VIATTE, dans "Nicolas de STAËL", 1968)...]
"Ne presse pas le mouvement, c'est le livre qui en souffrirait. Nous ne sommes pas à 8 jours. Reçu le paquet. Bien sûr, c'est informe et je ne peux pas me faire une opinion sur le livre. Attendons la fin et le premier exemplaire du tirage. Tel que ''ça n'existe pas''. Mais à l'examen voici quelques observations. 1) La page de titre de l'ouvrage est un peu basse, ''POEMES'' et l'ensemble devraient être composés légèrement plus haut. Ce n'est pas très grave. Tant pis. 2) J'aime le fourreau (l'emboîtage) noir. Je le trouve très beau. 3) Je ne trouve pas heureux le ''CHAR'' de l'étui, même je le trouve laid. Peux-tu le faire disparaître ? Est-il temps ? Je préfère rien que cela. [...] 5) Il ne faudra pas oublier de glisser des papiers fins devant les bois dans tous les exemplaires. Très important. [...] Cher Nicolas en définitive tout ira et sera bien. Sois sans inquiétude. Tu t'es très heureusement tiré de ce poison qu'est la fabrication d'un livre grand luxe. Grands et sincères compliments. [...]"
René CHAR à Nicolas de STAËL, 11 novembre 1951.
Les lettres que R. CHAR écrivit à N. de STAËL, n'ont pas été publiées intégralement, mais le poète fût imperceptiblement dans les confidences de N. de STAËL, comme le suggèrent les poèmes "Vermillon" et "Libera II". N. De STAËL éprouvait, à cette époque, une passion qui ruinait peu à peu ses forces vitales; tout comme son travail, qui l'épuisait. Le poème "Vermillon" paru du vivant de N. de STAËL, semble crypté, R. CHAR par amitié, discrétion, pour son ami, s'en tint à des allusions délicates, mais claires aux initiés. "Vermillon" est sous titré : "Réponse à un peintre", le poète tente de conjurer les affres de la vie personnelle et d'offrir à son ami ce peu de recul nécessaire pour continuer.
Le 9 novembre 1953, N. de STAËL adresse à R. CHAR, une lettre magnifique. Amoureux en Sicile d'une femme, épouse d'un mari très jaloux, le peintre désespère de ne "pouvoir la tirer de son caveau mesquin", il se plaint des complots qui se trament contre lui pour l'éloigner de ce "visage de Sicile". On retrouvera ce vermillon, (la couleur préférée du peintre), dans ses derniers tableaux notamment les "paysages siciliens", et ces ciels écarlates témoignent encore du feu, de cette fièvre qui le consumeront. Il écrira à R. CHAR en 1953, ces quelques mots sublimes :
"Il y a cela de vraiment merveilleux entre nous, c'est qu'on peut se donner tout ce qui est possible et impossible sans limite, parce qu'on ne voit pas la fin de nos possibilités [...]"
EN 1954, dans un atelier ouvert sur la mer, N. de STAËL s'installe à Antibes. En six mois, il réalise plus de 300 toiles. En solitaire. Sa peinture qu'il applique alors au coton semble de plus en plus limpide, presque transparente. Il écrit alors :
"Je n'ai plus la force de parachever mes tableaux."
Le 16 mars 1955, aux remparts du Cap d'Antibes, N. de STAËL arrêtera tout. Laissant une toile immense, inachevée. Une orpheline intitulée "Le grand concert".
Photo : Ciel bleu, gris, tournant à l'orage et cassant doucement la blancheur des nuages, vu dans le Nabirosina, au dessus de l'étang des clefs. Août 2009.© Frb.
07:24 Publié dans A tribute to, Arts visuels, Balades, Ciels, Correspondances, De visu, Mémoire collective | Lien permanent
mardi, 18 août 2009
Battre la campagne (2)
"Chaque région de l'espace, aussi petite soit-elle, en descendant jusqu'au simple photon, contient la configuration de l'ensemble."
GRICHKA BOGDANOV : (notre grand jeu d'été "battre la campagne", vous invitera à deviner qui est Igor, qui est Grichka, personnellement, je n'ai jamais su, c'est bien trop compliqué pour moi ;-)
Couchée sur un tapis de mousse, par un très bel après-midi d'été, je me mis à rêver à la structure des bryophyta et à son embranchement. Il y avait tant à dire, tant à faire partager car il faut le savoir, l'embranchement des Bryophyta, ne concerne que les mousses au sens strict (pas du tout la mousse à raser au chlorophylle, ni la mousse à la pistache), tandis que le terme bryophyte, pris au sens large (à quel autre autre sens pourrait-on le prendre ?) s'applique aux trois embranchements de plantes terrestres qui ne possèdent pas de vrai système vasculaire. Les hepatocophyta par exemple (ou marchantiophytes (la marchantia)) ou les Anthocérotophyta (comme l'anthoceros levis, pour ne citer que lui ). Dépourvues de racines et de lignine, leurs "rhizoïde", (ah j'aime ce mot ! qui m'en rappelle un autre encore plus beau), permettent l'ancrage au substrat et pour certaines espèces, une vie épiphyte (du grec έπί "sur", φυτόν "végétal"; littéralement "à la surface d'un végétal"). Il faut aussi savoir que les épiphytes sont des organismes autotrophes photosynthétiques. Les organismes autotrophes s'avèrent capables (comme vous l'avez deviné), d'utiliser des éléments inorganiques pour synthétiser leurs propres constituants organiques. Mais pour en revenir aux bryophyta, elles sont dépourvues de tissus conducteurs comme ceux des plantes à graines. Pourquoi ? Se demandera-ton. Tout simplement parce que leur appareil végétatif, ne contient ni xylème, ni phloème. Le tissu xylèmique du grec "Xylon", "bois" est un ensemble comprenant le xylème, du parenchyme de réserve, des cellules associées ainsi que des rayons libéro-ligneux. grâce au phénomène de reviviscence, ces espèces peuvent survivre à l'état déshydraté. Ce sont également des indicateurs de pollution. Quant au phloème c'est le tissu conducteur de la sève élaborée (solution riche en glucides) chez les plantes vasculaires. Le phloème a aussi un rôle de réserve avec les parenchymes. Ceci explique cela; sauf si l'on ne sait pas ce que sont les parenchymes. Du grec ancien παρεκχέω, "parenkheô", "épancher auprès" (para = à côté, et egkheô = répandre), les parenchymes sont des tissus végétaux constitués de cellules vivantes, à paroi pecto-cellulosique mince, perforées de ponctuations ou plasmodesmes, qui permettent des communications intercellulaires et une circulation des substances à l'intérieur des cellules (circulation symplasmique). Ce sont donc essentiellement des cellules de remplissage. Enfin pour en finir avec les bryophyta, leur structure est simple, peu d'organes sont clairement différenciées, on parle alors d'une structure "thalloïde", de "Thalle" : une thalle, (parfois thalli au pluriel), est un appareil végétatif ne possédant ni feuilles, ni tiges, ni racines (si vous avez l'impression qu'on tourne en rond, vous le dites, hein !), produits par certains organismes non mobiles (végétaux, champignons, lichens, algues), les végétaux à thalles étaient autrefois rassemblés dans les "thallophytes" (algues, champignons, lichens, mousses), nous y sommes. Je vous épargne la différence entre Thallophytes et cormophytes ceux qui parlent couramment l'ancien grec comprendront... Pour en finir avec nos chères bryophyta, parlons un peu, (il le faut bien), de leur sexualité : elles se développent par division d'une seule cellule à l'extrémité de chaque organe végétatif ou reproducteur, pas de quoi s'en émouvoir. Mais le plus fascinant, puisque l'ébat des mousses nous a déçu, c'est le phénomène de reviviscence. En effet, grâce au phénomène de reviviscence, ces espèces peuvent non seulement survivre à l'état déshydraté mais si l'on s'approche du vrai sens de "reviviscence", littéralement, on trouvera un retour aux manifestations de la vie. De la reviviscence à la resurrection, il n'y a qu'un pas, que je franchis allégrement, puisque Wiki (l'érudi térisson), à la page "reviviscence" me redirigea automatiquement à la page "résurrection". C'est un signe providentiel, car si le Wiki est d'accointance avec les Dieux, et, si l'on ne redoute pas trop la compagnie de l'hepatocophyta (souvenez vous "la marchantia"! surnommée dans certains cas "l'hépatique des fontaines"), alors; (alors seulement), on pourra se rouler des journées entières dans la mousse en espérant attraper la reviviscence et la passer sans crainte à son voisin. Une prochaine fois, peut-être, je vous parlerai des Amours des sphagnopsida hors des sentiers battus, plus précisément de la redoutable killeuse des tourbières. Et cela s'appellera encore "battre la campagne".
Nota : Que les botanistes me pardonnent... Si la précision scientifique s'en trouvait un peu écornée, le plaisir des mots l'ayant emporté sur la leçon de choses, un coin de mousse m'inspira paradoxalement l'idée de chercher ses racines... (Dois-je rajouter que je ne suis pas botaniste ? ;-)
Si vous n'aimez pas la campagne, vous pouvez toujours aller battre le pavé : ICI
Photo: Une planète de mousse toute Nabirosinaise, caresse doucement l'écorce d'un épicea centenaire, dont cinq bras d'hommes, (dit-on), ne parviennent pas à faire le tour ➝ quant à l'explication de ce mystère arithmétique des "cinq bras d'hommes", vous la trouverez quelquepart dans nos commentaires...
Vu en forêt au lieu dit :"Clôt Boterêt" sur le chemin de Montrouan. Août 2009. ©
04:26 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
lundi, 17 août 2009
Comme un lundi (au soleil)
Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.
PAUL VERLAINE : "L'Art poétique" 1874 in "La bonne chanson, Jadis et naguère, Parallèlement". Edition Gallimard poésie, 1979
Tournant en dérision les effusions, d'un LAMARTINE et d'un MUSSET, (entre autres), VERLAINE fourgua doucement à son siècle quelques vers impairs et autant de petits cailloux ouvrant une brèche irréversible, sur le monde des belles lettres, des grandes émotions et des rimes parfaites. C'est un chant que le son absorbe, un monde nouveau qui par le rythme vient, balaie l'univers d'un revers de la main, pour y étreindre chaque son. Ce qu'on n'apprend jamais à la petite école, (par la voix de crécelle de mademoiselle Pugeolles) : c'est que VERLAINE avait de grandes oreilles.
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
Dani GUGLIELMI and DENA : "Out of nowhere"
Photo : D'autres Amours s'en sont allés, et des oreilles de lapins verts ont succombé au velours des sons Verlainiens. A moins que ce ne soient que les embrassements d'ailes tendres de quelques anges polissons surpris en flagrant délit d'art poétique ? Vu à Châtenay sous Dun sur le chemin du presbytère. Aôut 2009. © Frb
05:03 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, Certains jours ..., De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
dimanche, 16 août 2009
Comme un dimanche
"Ce jourd'hui 7 Août 1766, en vertu des pouvoirs qui m'ont été accordés par Mgr l'Evêque de Mâcon, je soubsigné, curé de Varennes et la Clayte ay béni une cloche du poids de 421 livres au prix de 618 livres, pour être placée dans le clocher de Sainte Avoye, dudit La Clayte, à laquelle cloche a été donnée le nom de Marie-Charlotte [...]"
"Bénediction de la cloche de Sainte Avoye". 7 Août 1766. Source : "La Clayette, hier et aujourd'hui" par F. NADEL, 1989.
Les cloches ne sont plus ce qu'elles étaient. Il est très loin le temps où l'on donnait des noms aux cloches. Très loin le temps, où quand sonnait le glas, une rumeur incontestable courait de maison en maison, et l'on disait de source sûre: "Quelqu'un est mort, c'est la Marie-Charlotte qui me l'a dit."
La Marie-Charlotte, hélas, je ne peux pas trop vous en parler, je ne sais pour l'heure rien d'elle précisément , et je ne peux pas non plus vous la montrer, invisible et trop haut perchée, pas plus que je ne peux vous montrer les peintures murales de cette église (on dit chapelle) qui ont été retrouvées, en assez mauvais état, difficiles à dater, mais dont la plus ancienne, semble être originaire du XVem siècle. Onze personnages sont représentés et une liste de noms et prénoms féminins ont été trouvés, 20 dont 16 seulement sont lisibles. L'histoire ne nous dit pas si la Marie Charlotte y figure. Mais l'enquête se poursuit...On retrouva aussi quelques blasons, des noms de saints et une vasque d'où s'échappe un bouquet de fleurs...
Nous reviendrons sur ce sujet un jour, quand je pourrai accéder à l'intérieur de la Chapelle Ste Avoye, pour essayer d'attraper quelques fresques (ce qu'il en reste) et les amener à la surface de certains jours.
Quant au nom (et au son) des cloches qui constituèrent pendant plusieurs siècles (quand même) le principal moyen d'information de masse, elles ne pouvaient sonner, ni être affectées au culte, encore moins être placées dans le clocher sans avoir été préalablement bénites. Chaque cloche portait alors un nom qui lui était attribué lors de la "Bénédiction des cloches". Mais ce n'est pas tout... A cette occasion, elle était revêtue d'une aube blanche parée de dentelles, lavée à l'eau bénite, ointe et parfumée par l'officiant. Entourée d'un parrain, et d'une marraine, elle portait les noms inscrits sur sa robe. Son nom de baptême était plus ou moins lié à celui de son généreux donateur. Je ne ferai pas mon Vermot quant à la manière qu'a aujourd'hui notre société de traiter ses cloches car elles ont souffert bien avant, (hop là ! trêve de digression, on enchaîne !). A la révolution, on décida de les "faire taire", après qu'on eût bien martellé les visages ou les mains du Christ et des apôtres au tympans des églises. On enleva les cordes des cloches et quelques unes furent enterrées. Nul ne raconta jamais comment se passa l'enterrement des cloches... C'est sans doute parce que l'histoire nous revient toujours avec plusieurs sons de... ?
Photo : La Chapelle St Avoye côté parvis. Des pierres roses, une façade fragile, qui respire encore l'abandon mais plus pour très longtemps... Au clocher on devine la présence de Marie-Charlotte, veillant en douceur sur les ruines. Nul ne sait si cette fenêtre s'appelle Marie-Antoinette, ou Gertrude...Difficile de vêtir une fenêtre d'aube blanche et de si loin, l'oindre.
La Clayette. Août 2009. © Frb.
05:22 Publié dans Arts visuels, Balades, Certains jours ..., De visu, Le vieux Monde, Mémoire collective, ô les murs !, Pépites | Lien permanent