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vendredi, 04 juin 2010

Chaloupée

Où se trouve le port terminal, d'où nous ne lèverons plus l'ancre ?

HERMAN MELVILLE in "Moby Dick" (1851). Editions Flammarion 1989.

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C'était des jours avant l'été. J'avais décidé de quitter la ville, et son crépuscule empourpré m'attirait entre les deux rives. Des barques défilaient transparentes jusqu'à la confluence, je m'y glissais tandis qu'un ami sur le pont me faisait la conversation : la mutation de sa femme, ses vacances à Vaison, le dernier disque des Redwood Plan...

Il y avait sur des bancs d'ordures, des oiseaux blancs qui déjeunaient, des ombres filant sur les berges à la vitesse d'un vent plus glacé que le vent de Mars. Mille années de nuages, recouvraient les vestiges et les herbes épaisses, serrées telles des joncs se mêlaient à d'autres végétaux dont la texture tendre et les pétales soyeux rappelaient certains visages connus de la petite enfance.

Sur l'embarcation invisible où commençait un long voyage, je cherchais quelquepart une île qui pourrait m'éloigner de ce temps, en inverserait le décompte. Il fallait retrouver le givre, le fameux givre du printemps et les forêts d'érables à presser en sirop, les feuilles odorantes et toutes les molécules à volatilité plus lourde qu'on appelle "notes de fond" dont certaines flottent sur l'océan ou se cachent près des côtes, au plus profond du corps des cachalots. Sur le fleuve un peu jaune, près des vagues dans la brume, j'aperçevais quelques pêcheurs, remontant d'un filet, des anguilles bleues à têtes de dragonnets et à grandes pupilles rondes qui ressemblaient un peu aux couleuvres à colliers dites Natrix Natrix. Des mots fous me venaient sortis de sous les ombres et du ciel et des eaux, où se multipliaient ces barques transparentes surpeuplées qui doublaient doucement la mienne. Les voyageurs ramaient avec ressentiment pour arriver premiers dans la compétition jusqu'à la confluence. Tout ce vocabulaire emplissait peu à peu le récipent qui me portait et menaçait peut être de m'entrainer au fond. Ainsi les goélands, les mouettes, les iganons, le carassin doré, le pinson vespéral, le requin du zambèze, le gobe mouche tyran, ou la grive musicienne. Tous les noms de ces bêtes envahissaient l'espace.

Il fallait maintenant équilibrer ce bateau avant qu'il ne tangue trop. Tout ce bringueballage battait la démesure entre clique et fanfare, timbres recombinés. Cela ouvrirait tôt ou tard, l'histoire des sons aléatoires des clameurs, du vacarme et des cris enroués. Par le fleuve chancelant je remontais le temps ou le redescendais, à ma guise. Le reflet gris et clair des flots qui remuaient mon corps jusqu'à le pendre tête en bas, tête en haut, en ce roulis épais, chargeait le paysage d'un magma qui semblait remonter des entrailles d'une ville. Maintenant tout le monde s'aperçevait qu'elle n'était pas plus grosse qu'une bille. Un volcan en sommeil sous les eaux méditait sa prochaine charge où les anciennes âmes ressortiraient tranquilles du Rhône pour cueillir les vivants dont l'imagination ardente avait fini par s'effriter ; oublier les intrigues, les dangers imminents à l'attaque d'un vieux fauve, domestiqué sur un blason. Il me fallait atteindre absolument,très vite, une de ces baies sublimes, dans une de ces sept îles baignant la Tyrrhénienne, Alicudi, Filicudi, Vulcano, Salina; Panarea, Stromboli. Retrouverai-je, Andréa, Giovanni, et les jaloux de Lipari dans leurs costumes neufs de maquereaux ?

Le voyage ne s'arrêtait plus, mû par le vent, défilaient l'île de Man, l'île de Guam, aux aluminosilicates déments, peuplée de sorciers, de touristes et de renards volants à têtes grises... J'avais des corps étrangers dans l'oreille et dans les yeux une bribe impersonnelle qui prenait possession des lieux, délivrant un poème tel une panacée et tout le limoneux du monde transformé en serre flottante cultivait en pots l'oignonière pour les sanglots de mes pelures. Oserai-je seulement planter ma barque et vivre au coeur d'une bambouseraie ? Dans la volupté des rhizomes, les joies du lignifié, à en oublier le climat et toutes ces coulées d'encre mêlées à la fonte des glaciers, me vouer à tout ce qui coule mais ne peut jamais se noyer ; retrouver sous la nappe une gouache, bavant sur une table de cuisine et les petits bateaux arrachés d'un cahier pliés dans une marge sur laquelle on s'embarque.

La ration de provisions consommées, un naufrage annoncé, dévoilait toutes les planques et le Dieu des nuages me tirait à nouveau par les cheveux pour me ramener là où il faut et quand il faut. Le fleuve devenait si opaque, le devoir me clouait. Après avoir traversé tous les fleuves toutes les mers, renversé tous les sabliers. Je trépignais nerveusement en regardant ma montre et soupirais longtemps debout sur le pont à écouter encore cet ami insatiable qui me prenait par l'épaule et me faisait toujours, la même conversation : La mutation de sa femme, ses vacances à Vaison, le dernier disque des Redwood Plan.


"How the game is played ?"

podcast

 

Photo : A quai, rive gauche. Les bateaux amarrés. Une péniche, exactement. L'une des plus visible du haut du Pont Morand photographiée au dessus du fleuve Rhône à Lyon au printemps 2010.© Frb.

mercredi, 26 mai 2010

Le poème Tang

Ecoutez là-bas sous les rayons de la lune, écoutez le singe accroupi qui pleure tout seul sur les tombeaux ;
Et maintenant remplissez ma tasse, il est temps de la vider d’un seul trait.
LI-TAÏ-PE : "La chanson du chagrin"

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Les Tang (ou Thang) montèrent sur le trône de l'an 618 de notre ère, ils s'éteignirent l'an 909. Pendant ces 289 ans, vingt empereurs se succédèrent et presque tous furent dignes de régner. La poésie des Tang se divise en quatre périodes distinctes : le début, la prospérité, le milieu et la fin. Ce phénomène, qui reflète fidèlement la naissance, la grandeur, puis le déclin de l'empire, coïncide également avec les transformations du style poétique. La Chine était à cette époque, à l'apogée de sa puissance et de son expansion. Le christianisme avait fait des progrès en ce pays. Les doctrines de CONFUCIUS et de LAO -TSEU qui officiaient depuis longtemps, n’étaient plus seules à se partager la multitude. Pendant cette période de prosélytisme, la Chine ne pouvait rester en dehors du mouvement général des esprits, le bouddhisme déjà puissant inspirait également les poètes tel SONG-TCHI-OUEN :

[…] Je suis entré profondément dans les principes de la raison sublime,
Et j’ai brisé le lien des préoccupations terrestres.

Si certaines pièces des recueils poétiques des Tang portent l'empreinte du mouvement religieux qui s'accomplissait alors en Asie. La plupart n'en donnent aucune idée, la Chine n'était pas plus bouddhiste qu'elle n'était mahométane ou chrétienne. Le scepticisme, la fusion et la confusion qui y régnaient, se lit aussi dans les poèmes Tang où souvent on remarque une absence quasi générale de croyance, y compris chez les auteurs de renom. Le plus souvent cette absence de croyance ressort dans les poèmes sous forme de souffrance ou de découragement. L'illustre THOU-FOU compare l'avenir à une mer sans horizon. Il épanche sa tristesse devant un vieux palais en ruine :

Je me sens ému d’une tristesse profonde ; je m’assieds sur l’herbe épaisse ;
Je commence un chant où ma douleur s’épanche ; les larmes me gagnent et coulent abondamment.
Hélas ! dans ce chemin de la vie, que chacun parcourt à son tour,
Qui donc pourrait marcher longtemps ?

Il est fréquent que le poète s'égaie comme pour chasser des idées obsédantes, la mort, l'incertitude de l'avenir, sont des thèmes récurrents ; tel cet extrait d'un poème de  LI-TAÏ-PE :

Pour moi, je m’enivre tout le jour,
Et le soir venu, je m’endors au pied des premières colonnes.

On le ressent encore plus clairement dans cet extrait, l'oeuvre se pare d'un titre sans équivoque : "La chanson du chagrin"

Combien pourra durer pour nous la possession de l’or et du jade ?
Cent ans au plus... Voilà le terme de la plus longue espérance.
Vivre et mourir une fois, voilà ce dont tout homme est assuré.

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L'absence de toute conviction religieuse laisse un grand vague à l'âme du poète Tang, et la religion des lettrés s'inscrira finalement dans une morale très floue. C'est plus naturellement le sentiment de l'immortalité de l'âme, l'idée qu'elle pourrait exister indépendamment de l'enveloppe corporelle qui se reproduit alors sous mille formes dans les vers les plus incrédules comme s'il fallait inventer une protestation à toute cette perplexité. Tantôt l'esprit d'un homme endormi se met à voyager seul à travers l'espace, franchissant les distances au diapason de la pensée, et passant les murs d'un cachot, d'un gynécée, afin de consoler un prisonnier, de revoir quelque amante. Tantôt c'est l'âme d'un proche défunt qui est évoquée, celle d'un soldat tué qui se lamente, ou celle d'une épouse rongée par la jalousie, qui par un mouvement violent se dégage des entraves de la chair, pour voler sur les traces d'un époux en voyage et le suivre à son insu. On retrouve aussi dans tous ces poèmes des traces de légendes, de récits populaires, les aspirations vers une autre vie, et toujours le besoin d'espérer ou de croire. D'autres poèmes donnent au soldat le beau rôle. Par exemple dans les oeuvres de LI-TAÏ-PE, on découvre un poème intitulé "Le brave", une rare composition chinoise où l'homme d'épée est exalté aux dépens de l'érudit. Le soldat aura encore un rôle central dans ce poème intitulé "A cheval ! à cheval et en chasse" :

L’homme des frontières,
En toute sa vie n’ouvre pas même un livre ;
Mais il sait courir à la chasse ; il est adroit, fort et hardi.

Quand il galope il n’a plus d’ombre. Quel air superbe et dédaigneux !

THOU-FOU lui même écrira "Le recruteur", l'histoire d'un village dépeuplé par un recruteur, "Le départ des soldats et des chars de la guerre" nous conduit sur les pas d'une colonne en marche :

Partout les ronces et les épines ont envahi le sol désolé,
Et la guerre sévit toujours, et le carnage est inépuisable,
Sans qu’il soit fait plus de cas de la vie des hommes que de celles des poules et des chiens.

Les Tang savent aussi retracer la vie intime des chinois de l'époque. Tel ce poème de MONG-KAO-JEN titré, "Visite à un ami dans sa maison de campagne" :

Un ancien ami m’offre une poule et du riz.
Il m’invite à venir le voir dans sa maison des champs.

D'autres sont de véritables petits tableaux décrivant par exemple deux amis qui se donnent rendez-vous à l'automne pour regarder les fleurs. Pour d'autres, les scènes sont plus animées elles ne s'imprègnent plus de la contemplation de la nature, mais se mêlent à un banquet où le vin coule à flot. Et partout on retrouve les fleurs, indispensables à la poésie Tang.

Combien de fois nous sera-t-il donné encore de nous enivrer, comme aujourd’hui, au milieu des fleurs ?
Ce vin coûterait son pesant d’or qu’il n’en faudrait pas regretter le prix.

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Il y a aussi ces réunions dans la maison d'un ami, les dîners en plein air, les parties de montagne, la promenade solitaire qui porte à un plus haut degré, cette langueur indéfinissable particulière au peuple de Chine.

La lune surgit du milieu des pins, amenant la fraîcheur avec elle ;
Le vent qui souffle et les ruisseaux qui coulent remplissent mon oreille de sons purs.`

Et puis bien sûr, d'autres thèmes ceux-ci incontournables jalonnent la poésie Tang. L'attachement au pays natal, et les douleurs que peuvent causer une absence. Le chinois n'est pas voyageur, quand il part c'est toujours le coeur lourd et quand il se retrouve en pays étranger, rien ne le distrait du souvenir de sa terre natale :

Ne pensons qu’à l’accord harmonieux de nos luths, tandis que nous sommes réunis dans cette charmante demeure,
Je ne veux songer aux routes qui m’attendent qu’à l’heure où il faudra nous séparer [...]
Mais ces doux instants passés ensemble, hélas ! quand pourrons-nous les retrouver ?

L'exil pour le chinois, très attaché à son foyer a de cruelles amertume et l'on pense à l'immense THOU-FOU qui mourût disgrâcié comme OVIDE et qui jusqu'à son dernier jour ne cessa d'exprimer son chagrin :

Devant mes yeux passent toujours de nouveaux peuples et de nouvelles familles ;
Mais, hélas ! mon pauvre village ne se montre pas !
Tandis que le grand Kiang pousse vers l’Orient des flots rapides que rien n’arrête,
Les jours de l’exilé s’allongent et semblent ne plus s’écouler...

Source : Les notes de ce billet ont été inspirées par le travail de présentation et les traductions des poésies Tang du Marquis D'Hervey-Saint-Denys (1862)

Photos : Les brésars du Nabirosina sous le pinceau un peu chinois du Van Ki Tang, photographiés à l'orée de la très mystérieuse forêt de Bliges. Avril 2010. © Frb.

mardi, 18 mai 2010

Increvable (2 ans après)

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Cette affichette est une sorte de petit miracle, quand on pense que je l'avais déjà photographiée sur ce même poteau (presque en face de la porte dorée du parc de la Tête d'Or) le 18 mai 2008.

Je vous re-propose un petit tour de manège pour mémoire. Choc des photos, résumé en images :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/05/19/in...

L'année suivante, je l'avais retrouvée, la fameuse affichette, presque intacte:

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/05/23/in...

Et voilà que, bon an mal an, en Mai 2010, elle est toujours là, à narguer, (oserai- je dire, avec à peine quelques égratignures) nos yeux qui ont pris (mine de rien, mais très visiblement), deux ans de cernes et de rides, on pourrait même presque se dire qu'on est peu de chose (enfin, par rapport au show Dalida).

Que penser de tout ça au juste ?  Et ben, moi rien ... Mais comme disait Jacques LACAN, (un grand ami de certains jours) :

"L'interprétation n'a pas plus à être vraie que fausse ; elle a à être juste"

Songez-z'y chers lecteurs. Et prenez gentiment votre mal en patience. Quant à moi, je ne vivrai désormais que pour le mois de Mai 2011 afin de courir vous donner des nouvelles de notre feuilleton "Show Dalida" (1 par an) en espérant qu'une tempête ne déracinera pas notre poteau (et quand bien même Dalida y serait sans doute encore increvable...) ma foi. En attendant, vous pouvez  réserver vos places à la Cnaf. (Vous suivrez les personnes à gilets vert barré d'un élégant jaune moutarde et oserez demander Dalida, ils connaissent. (Mieux que Stockhausen) c'est ça qu'est chouette, (enfin, pas pour tout le monde).

Enfin pour parachever, tout autant que combler les caractères plus impatients, un retour dans le futur vu par Hozan KEBO, (le 18 Mai 2098), pourra encore en dire bien autant que Jacques DERRIDA (un autre ami de certains jours)  extr de "L'écriture et la différence", je cite :

"Une trace ineffaçable n'est pas une trace".

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/05/21/in...

Si ce n'est pas une trace, Alors c'est quoi ? Comme se le demanderait mon copain Jean Luc, (GODARD évidemment !) :

"Qu'est ce qu'il y a après la trace ? et comment ça s'appelle ?"

Posons nous sérieusement la question. Et peut-être qu'en Mai 2011 nous saurons ? Gros suspens. J'attendrai, vous aussi n'est ce pas ? Rendez-vous donc l'année prochaine même jour même heure. Fidèle au poste. Tandis que de là haut, Dalida, nous regardera... (?)

Photo : Malgré pluies, neige, vent, frimas, (je ne vais pas me répéter, bien que ce soit à mes yeux, une résistance plus qu'incroyable). L'affichette increvable, photographiée dans le 6em arrondissement de Lyon, là où vous savez, le 18 Mai 2010. © Frb.

lundi, 10 mai 2010

Le " je ne sais quoi "

C'est la vie des grandes qualités, le souffle des paroles, l'âme des actions, le lustre de toutes les beautés. Les autres perfections sont l'ornement de la nature, le "je ne sais quoi" [...]  suppose un esprit libre et dégagé [...] Sans lui toute beauté est morte, toute grâce est sans grâce. Il l'emporte sur la valeur, sur la discrétion, sur la prudence, sur la majesté même. [...] L'art de se retirer galamment de tout embarras.

BALTASAR GRACIAN. "L'art de la prudence". 1994. Editions Payot § Rivages.

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Au départ, tout partait d'une bonne intention, je voulais vous toucher deux mots de "je ne sais quoi", puis farfouiller dans le corps (?) du texte de Baltasar GRACIAN, (qui fût un écrivain d'une intelligence rare loué à maintes reprises par notre Guy) mais il paraît, malgré les caprices incompréhensibles des horloges de ce petit blog, que ce soir c'est "la fête des voisins". Encore une de ces inventions (autre bidule de printemps festif, incontournable), que notre époque de plus en plus décomplexée, aura pondu pour nous faire croire qu'au fond, nous sommes tous des êtres solidaires, avides de retrouver l'élan spontané originel (?). (Voir le billet suivant ou précédent, selon la logique de chacun). Dieu Merci (ou Diable, non merci!), il y aura toujours des concepteurs de bonté, un brin évangéliques, pétris de bonnes idées, pour venir "ambiancer" nos élans de générosité (naturelle ?), et rassembler entre elles des créatures, (lisez "voisins", "voisines" si vous voulez) qui, les autres jours de l'année, se retrouveront aussi amicaux (entendez complices et solidaires) que les quatre pieds de ma table. Comme le disait Nikos ALIAGAS (le poète grec) "on ne va pas se mentir", et s'il faut être spontané, autant le dire carrément, étant donné que je ne peux pas ce soir, écrire ce que bon me semble, en raison que c'est ma voisine qui, la plupart du temps, décide des jours où je peux ou non vivre dormir, ou simplement écrire chez moi, je lancerai donc un appel d'offre en vue d'une festivité bien moi. (Do it yourself !) et rechercherai de toute urgence deux ou trois grands gars du genre costauds, déterminés, et surtout très patibulaires, ayant une grosse pratique de boxe Thaï, ou française, voire de catch pour aller faire la fête à ma voisine, laquelle, (vous l'avez compris) m'a cruellement empêchée de développer les merveilleuses idées qui auraient pu s'échapper de cette non moins merveilleuse citation. Cela dit les images parlent d'elles mêmes, et disons que pour ce coup là, ça ne sera pas plus mal. J'invite donc son lecteur (adoré) à méditer ce qui lui plaira à propos de "je ne sais quoi".

Photo: Le "Je ne sais quoi", vu près de la fontaine Bartholdy, place des Terreaux, à Lyon, par un bel après midi de Mai 2010. © Frb

jeudi, 06 mai 2010

Les injonctions paradoxales

Ignorez ce panneau !

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"Selon une histoire très ancienne qui a autant dépité les philosophes que les théologiens, le diable mit un jour en cause la toute-puissance de Dieu en lui demandant de créer un rocher si énorme que Dieu lui-même ne saurait le soulever. Quel choix restait-il à Dieu? S'il ne pouvait soulever le rocher, il cessait d'être tout-puissant ; s'il pouvait le soulever, il était donc incapable de le faire assez gros."

La forme la plus fréquente peut-être sous laquelle le paradoxe s'introduit dans la pragmatique de la communication humaine est celle d'une injonction exigeant un comportement déterminé qui de par sa nature même ne peut être que spontanée. Le prototype d'un tel message serait alors "Soyez spontané !". toute personne ainsi mise en demeure d'avoir ce comportement se trouverait alors dans une position intenable. Pour exemple, les clients du bordel de luxe du "balcon" de Jean GENÊT sont tous pris dans ce système. Les filles sont payées pour jouer le rôle complémentaire qu'attendent d'elles tous les clients afin de vivre leurs rêves d'eux mêmes mais tout reste dans l'ordre du trompe l'oeil car tous savent (par exemple) que le pêcheur n'est pas le pêcheur, que le voleur n'est pas un vrai voleur etc... Or pour que que cela fonctionne il faudrait être spontané par obéissance donc sans spontanéité.

Voici quelques variantes d'injonction paradoxale ("paradoxe", pour mémoire, de "Para" = contre et "doxa"= opinion)

- Tu devrais m'aimer !

- Je veux que tu me domines !

- Ne sois donc pas si docile !

- Tu es libre de partir, tu fais comme tu veux et surtout ne t'inquiète pas si j'en tombe malade.

Dans chacun de ces exemples, tout échappatoire est impossible. Au pire l'autre refuse d'obéir, au mieux chacun fait ce qu'on lui demande mais pour de mauvaises raisons et l'on retombe dans l'obéissance elle-même. Là est le paradoxe, la spontanéité ne peut s'épanouir sans la liberté, sous la contrainte, la spontaneité n'est plus possible, et plus rien n'aura de sens. La liberté elle même est analogue à un paradoxe. Ainsi le code civil suisse stipule à l'article 27 : "Personne ne peut renoncer à sa liberté [...] ou la limiter dans une mesure qui viole la loi ou la moralité". Une phrase à méditer, bien sûr. Et Nicolas BERDÏAEFF ( cf. Bibl. in "Dostoïevski" Méridian books N.Y 1957) résumant la pensée de Dostoïevski écrit : "On ne peut identifier la liberté à la bonté, ou à la vérité, ou à la perfection, elle est la liberté et non la bonté."

Toute identification entre liberté et bonté ou perfection implique une négation de la liberté et renforce les méthodes de coercition. La bonté obligatoire cesse d'être la bonté du seul fait qu'on y est contraint.

Sur ces réflexions très intéressantes autour de la liberté, je souhaite de votre part un bon anniversaire à ce petit blog pour ses 2 ans d'existence. Je tiens par dessus tout, à remercier chaleureusement les lecteurs chéris z'et les commentateurs adorés de "Certains jours" sans qui  ce petit blog ne serait pas. Etc...Etc...

Nota: D'ailleurs je ne demande à personne de me souhaiter cet anniversaire, bien au contraire ! même si j'estime que c'est quand même la moindre des politesses quand il y a un anniversaire quelquepart, d'y penser et le plus joyeusement du monde. Mais si vous l'oubliez, je n'en mourrai pas. Enfin si. Mais c'est pas grave, chacun est libre :-)

Source : "Une logique de la communication" de P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, Don D. Jackson. Edition Seuil 1967.

Liens utiles :http://polaristo.com/jfpelletier/doctorat/012.htm

http://www.vadeker.net/corpus/gregory_bateson.html

Photo: Impasse vu d'un vélo dans le ciel de Lyon la nuit, pas loin de la rue Denfer. En Mai 2010. © Frb.

mercredi, 05 mai 2010

Crions

Qui pousse un cri meurt ! Qui se tait meurt aussi !

EISENSTEIN : "Alexander Nevsky" (1937-1938)

crier.JPGPour en entendre (un peu), vous pouvez cliquer sur la rue Crillon.


Cris /kʁi/

Cri, Crie, Cries
cri, crie, cries, cris
cri, cris
crie, crient, cries → voir crier


A lire : http://www.vadeker.net/beyond/infinity/trou/trou_enfer.html

Plus sérieusement : http://www.archipress.org/index.php?Itemid=38&id=53&a...

Photo : La fameuse plaque muette de la rue Crillon de Lyon (Crillon à Lyon), située dans le 6em arrondissement, quartier chic et feutré, seulement en apparence... Mai 2010. © Frb

mercredi, 21 avril 2010

Ici ou là

"Nous sommes nos propres démons, nous nous expulsons de notre paradis"

GOETHE. Extr. "Les souffrances du jeune Werther". Editions Gallimard Folio classique 2003.

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Déréel (définition) :" Pensée déréelle, pensée détournée du réel et des nécessités logiques'.

Je me retire de la réalité. Je marche seule dans la foule, toute personne me paraît immobile, séparée du monde où je vis. Je traverse mon propre quartier comme si je ne l'avais jamais connu. Je vois filer mon ombre sur une vitrine telle l'ombre de quelqu'un d'autre. Je vois mes chaussures avancer sur les passages cloutés mais je ne traverse pas cette rue. Je vis sur une terre inconnue sans savoir si je vis ni où est située cette terre.

"Je chois continûment hors de moi-même, sans vertige, sans brouillard dans la précision comme si j'étais drogué. Cette magnifique nature étalée là devant moi, m'apparaît aussi glacée qu'une miniature passée au vernis" (1)

Je croise une vieille connaissance qui me parle de ses soucis. Je vis hors de ma propre écoute. Je dévisage la vieille connaissance, elle m'est complètement dérisoire. Qu'ai- je à faire avec cette personne ? Je vois ses bras qui se balancent, mais je ne sais pas si ce sont ses bras. Je crois entendre la fin de ses phrases, mais je ne sais plus où vont ces phrases, où est la fin, ni où est le début. La vieille connaissance me tutoie, je lui dis des phrases convenues, Je les dis mais ne m'entends plus. Parler à cette personne me tue.

" Je suis de trop mais double deuil, ce dont je suis exclu ne me fait pas envie"(2)

Je subis la réalité, (suprême offense), le monde m'est présenté comme un monde avec lequel je dois entretenir des rapports polis, il me faudrait trouver sympathique, celui ou celle qui me demande très gentiment de mes nouvelles. Des nouvelles de qui ? Et pourquoi ? Je ne me le demande même pas. Il me faudrait trouver drôles quelques plaisanteries de ces mêmes qui me croyant triste chercheraient à me sortir d'une tristesse qu'ils prétendent négative, à me rendre plus gaie, disent ils. De quelle humeur celui ci ou celle là voudraient ils me sortir au point que puisse me distraire ? Ni eux ni moi bien que je reste liée au monde par un fil qui ne m'est d'aucune importance, n'ont à mes yeux le sens qu'ils accordent à tout cela. Un instant peut être pourrais-je m'en exacerber mais je n'ai plus aucun langage.

"Je feuillette l'album d'un peintre que j'aime, je ne puis le faire qu'avec détachement. J'approuve cette peinture mais les images sont glacées et cela m'ennuie" (3)

Nota : Les phrases (numérotées) sont extraites de l'ouvrage de Roland BARTHES "Fragments d'un discours amoureux" dont le chapitre "Déréalité" a largerment inspiré ce billet.

Photo : Ici ou là. Juste où je ne suis pas. Nabirosina. Avril 2010. © Frb.

mercredi, 14 avril 2010

La ritournelle

sol.JPGLe printemps est perdu. Chaque année j'en perds un, et les autres saisons tournent autour du printemps comme des couplets joyeux. Mars dévore Avril.

"Dieu nous garde de la fange d'Août et de la poussière de Mai."

"Eau de Juin ruine le moulin."

"Qui dort en Juillet jusqu'au soleil levant mourra pauvre finalement."

"Quiconque se marie en Août, souvent ne ramasse rien du tout."

"Septembre se nomme le Mai de l'Automne."

"Octobre en bruine, hiver en ruine."

"Quand Novembre aura fleurs nouvelles, morte saison sera cruelle."

"En Décembre fais du bois et endors toi."

"Les beaux jours de Janvier trompent l'homme en Février."

"Février souffle, souffle, et tue le merle sur son nid."

"Entre Mars et Avril on sait si le coucou est mort ou en vie."

sol149.JPGOn enterre le coucou. Le printemps est perdu. Chaque année j'en perds un. Et les autres saisons tournent autour du printemps comme des couplets joyeux. Avril dévore Mai...

"En Juin c'est la saison de tondre les moutons."

"Au mois de juillet, ni femme ni chou."

"Le mois d'Août fait souvent porter le deuil."

"Vins de Septembre font les femmes s'étendre."

"Octobre glacé fait vermine trépasser."

"Le vent de Novembre arrache la dernière feuille."

"Décembre prend, il ne rend."

"Qui se saoûle le 1er Janvier se saoûle toute l'année."

"En Février, toute oie de bonne race pond sur le fumier."

"Beau temps de Mars se paie en Avril".

"Le cèpe de Mai tue père et mère".

On enterre père et mère. Le printemps est perdu. Chaque année j'en perds un et les autres saisons tournent autour du printemps comme des couplets joyeux. Et après, on recommence...

 

BLONDE REDHEAD :"Futurism Vs passeism part 2"
podcast

 

Photos : Scènes de la vie quotidienne en Nabirosina. Avril 2009 (photo 1) et puis Avril 2010 (Photo 2). © Frb.

lundi, 12 avril 2010

Un rien s'ébruite

"Tout dormait comme si l'univers entier était une vaste erreur"

FERNANDO PESSOA : "Le livre de l'intranquillité". Editions Christian Bourgois 1999.

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Les objets m'échappent des mains. Toute parole me semble insolite. Le mot n'a rien à dire, rien d'essentiel. Il accumule l'inécoutable, l'inentendu ou l'inaudible. Doucement, je reprends la musique. Un fil mène aux lèvres serviles, au "Souvenir de chair", à "L'archéoptéryx". Tous, titrant le moment de quelques pièces acousmatiques de mon bon maître.

"L'archéoptéryx signifie "aile ancienne" en grec. De la taille d'un pigeon, cet oiseau était malhabile au vol. Ses doigts dotés de gros ongles lui permettaient de s'agripper aux arbres et aux rochers. Il est probable que l'animal passait beaucoup de temps dans les arbres s'aidant de ses griffes, de ses pattes puissantes pour grimper jusqu'au sommet. Il pouvait alors planer de branche en branche. Il semble aussi que l'archéoptéryx n'était pas capable de se percher de manière stable et qu'il avait besoin de courir pour atterrir. Il avait un bec et des dents pointues, utiles pour attraper ses proies. D'abord vu comme un oiseau, (théropode maniraptorien), qui se serait débrouillé pour "bricoler" tout un système lui permettant de voler, on dit (et nul n'en sera plus instruit), qu'on ne sait pas vraiment ce qu'il fût. On le considère plus souvent aujourd'hui comme un dinosaure et on dit que ses plumes, héritées d'autres dinosaures, mais d'un tout autre usage, ont été recyclées pour le vol à la suite de tentatives répétées ou d'un évènement inconnu (!)".

La bête fascine, je la vois s'agripper gauchement d'arbre en arbre. Je viens à la forêt comme d'autres loin de la plage, draguent les requins blancs. Un souvenir de chair près des arbres. Je touche l'écorce tiède d'un conifère comme si elle contenait déjà des milliers d'aiguilles fossilisées. Sur la plus grosse branche du cerisier en fleurs, l'archéoptéryx me surveille. A côté et partout, des milliers d'années remuent l'air, dans ce silence que j'imagine comme à la perfection, (à force de vivre en ville sourde et bavarde comme tant d'autres). Ce monde criblé de sons, je dois le reprendre à zéro. Il est dédale brûlant et "retour en arrière pour aller de l'avant", me dis-je. Sur la plus grosse branche du cerisier en fleurs, l'archéoptéryx lit dans mes pensées. Je suis un perroquet. Je repète bêtement ce que j'ai lu la veille. "Pour aller de l'avant ?". Je le vois ricaner... Quel avant ?

Photo : L'archéoptéryx du Nabirosina, tout simplement. Avril 2010. © Frb.

samedi, 10 avril 2010

Là bas

"Prenez cette parenthèse et me la tenez ouverte."

BORIS VIAN : extr. "Je voudrais pas crever". Editions J.J Pauvert 1962.

pays.JPGDes champs m'ont emmenée. Ailleurs, des messages s'accumulent, des heures de vie pratique, oubliée. L'art d'aimer dévorant. Un pli corne la page de la prose d'OVIDE. Une rature a suffi. La page en fût détruite et le livre gît en vrille. Pour ne pas le jeter, il calera désormais le pied boiteux de mon étagère poètique. Ainsi va "L'Art d'aimer".

"L'art fait voguer la nef agile ; l'art guide les chars légers: l'art doit aussi guider l'amour."

Des heures de vie pratique à chercher toutes les possibilités d'un voyage sous une tête de lune allumant une passerelle, en plastique démodé, là bas entre Perrache en grève et la rue Casimir Périer. L'art je veux l'oublier. Le mêler au mouvement, à l'inégalité, ou à la précision d'un seul geste, pour déjouer peut-être l'illusion pointue du faussaire qui s'applique gentiment à versifier le monde. Mon savoir est fourbu et mon être s'en plombe, je cherche partout un point, une porte dérobée, une traboule arborée et des clefs molles à pendre au bout d'un mousqueton. Les vitrines de printemps sont accordées à mon dégoût. Il y a trop de musique partout, des robes à fleurs, des hommes bien mis aux ruts pimpants, prêts à offrir aux premières tourterelles, les meilleures tulipes jaunes, le meilleur restaurant, tout ce qu'il y a de meilleur pour fêter le printemps. L'abondance de la ville dégoûte. Je n'aime que l'héllébore, cette fleur qui s'ouvre en plein coeur de l'hiver et fleurit de Décembre à Mai. La légende raconte l'autre nom de l'Héllébore. Nous voici au pied du sapin :

"La nuit de la naissance du Christ, Madelon, une petite bergère qui gardait ses moutons, vit les rois mages et divers bergers, chargés de cadeaux, traverser le champ couvert de neige où elle se trouvait. Les rois mages portaient l'or, la myrrhe et l'encens, les bergers des fruits, du miel et des colombes. Madelon pensa qu'elle n'avait rien, pas même une simple fleur, pour ce nouveau-né d'exception. Un ange voyant ses larmes frôla la neige, révélant ainsi une très belle fleur blanche ombrée de rose : la rose de Noël".

J'aime aussi la tulipe, dont le vaste univers de Gunyat (Ier) nous rappelle qu'elle possède cette étrange majesté que n'ont pas d'autres fleurs. Et c'est là, sans doute, selon l'appréciation (un chouïa triturée, draponnez moi, Drolan !) du drang et novalcique Kloso (Ier, également), que le printemps embrasse l'automne et tout réciproquement. Notre fleur virant à l'antique :

"Tulipe était la fille de Protée (Dieu marin qui changeait de forme à volonté et prédisait l'avenir). Elle fut convoitée par Vertumne, Dieu de l'automne, aux attributs de jardinier, or elle restait insensible à ses assiduités. Vexé de son infortune, Vertumne se changea en chassa et traqua Tulipe jusqu'au fond des bois. Pour la sauver, Diane, soeur d'Apollon (dite la vierge blanche), changea la jeune fille en fleur qui s'épanouit au printemps. Depuis ce temps, chaque année au moment de la plantation, l'automne ouvre son coeur à la Tulipe."

Malheur à l'insouciant aroumeux (printanier ou automnal sans le savoir), qui irait offrir à sa bien aimée, un bouquet de tulipes jaunes, car on dit chez les pops qu'elle signifie "l'amour sans espoir", mieux vaut donc une seule "panachée" plutôt qu'un gros bouquet de jaunes, la panachée prouvera encore l'admiration, la rouge déclarera la flamme (ô souvenir des collections de cartes postales et autres reproductions du genre "langage des fleurs" peintes on ne sait plus par qui).

J'aime aussi les soucis en collision d'homonymie, tandis que la fleur (du souci) se réfère au soleil (encore lui !) vers lequel elle reste tournée tout au long du jour "solsequia", en latin signifie "qui suit le soleil", son pétale se mange en salade, l'autre souci, le sentiment, la préoccupation vient du verbe sollicatare, "tourmenter", "troubler". C'est le souci des rues contre celui des jardins, et le souci des champs bouclant enfin la boucle, tout au bout du chemin. Mes deux ânes en alerte s'appeleront cette année Paul et Charles, ils seront de pelage sombre à légers reflets roux, ils auront le regard très doux et même irrésistible, comme ceux des dames de l'époque Renaissance glissant sous leurs paupières des goutelettes à base de belladone, afin d'obtenir ce regard animal qui séduisait tant les messieurs, les yeux de Charles les yeux de Paul...

Nous sommes à travers champs. Nous avons traversé le monde, je ne sais comment, il y eût un bond, un saut en parachute, tant de sacs à traîner, de fardeaux à jeter, pour arriver ici.

Ici, je n'ai besoin de rien ni de personne. C'est ce que j'imagine. J'ai mon embarcation aux sommets des sapins. Je vis couchée dans l'herbe, les jours sont ours bruns. J'use mes yeux et mes mains à vouloir tout étreindre. La vieille terre se penche et des pensées violettes envahissent les jardins. J'ai les clefs de la barrière. L'horizon est ultime. Je suis ce qui advient. Et de cet intenable, cette querelle des villes d'où survint, impérieuse, la nécessité de partir, il me semble que par la discorde, peut-être par accident, de belles choses reviennent. Sont-elles plus vraies qu'avant ? Je reprends le livre D'OVIDE, devenue cale crétine, l'étagère poétique, à pied boiteux s'écroule, tout le cosmos se déchire page après page, peu importe. On mettra au feu ces fadaises et ces rimes quand l'hiver reviendra. Au feu les poésies d'amour pour que l'amour renaisse, au feu toutes les fleurs pour n'en saisir qu'un seul parfum, au feu les larmes du phénix, pour que son regard s'éblouisse, à l'automne au printemps, peu importe. C'est pareil.

Photo : Le chemin qui mène au sommet du mont St Cyr (Le plus haut sommet de la Bourgogne du sud à 771 mètres d'altitude), de là haut on peut voir les cimes neigeuses du Mont-Blanc, des Alpes, les monts du Forez, de l’Autunois, du Morvan, du Beaujolais et du Mâconnais... Et si l'on tourne à gauche, après les pommiers blancs, c'est la forêt profonde. Balade en Nabirosina. Extrait. Avril 2010.©

samedi, 03 avril 2010

Le printemps est inadmissible

"When I am not this hunchback that you see,
I sleep beneath the golden hill"

LEONARD COHEN extr. "Avalanche" in "Songs of love and hate" (1971)

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Un rade plein de douceurs atteint de gigantisme, à la terrasse de la Manille, j'ordonne mon bazar de printemps. Le soleil, ce tyran, m'impose son accolade. Je suis bien obligée. Comme chacun, je souris, mais les efforts de cette joie me désincarnent. J'aurais préféré sous la pluie épouser tout le gris, que certains disent "inavouable", me coucher sous un chêne, hiberner pendant l'éclaircie. Ici, je fais semblant de ne pas rouler sous la table. j'enfouis ce plomb (inavouable aussi), dans la note minuscule d'un expresso servi à demi-tasse avec cette noisette enrobée d'un chocolat malade, de couleur marronnasse. Trop pâle pour être vrai. Je paye. Je dis merci.

Dehors, tous butinent. Les affiches sont gaies. L'emphatique propagande happe les plus hostiles ; des jupes fendues, aux produits bio, plantes d'amazonie, miraculeux bronzants à base de jojoba, fluides hydratants (hyper), effet jeunesse (bonne mine), qui s'étalent en vitrine dans les pharmacies (parapharm). Des tulipes prépensées, de tristes myosotis tremblent dans les rocades tels des nouveaux nés à têtes de vieillards bleus, s'accrocheraient aux barreaux d'un berceau d'hôpital, plantes à l'air comme en serre griffant les murs polyvalents de quelque autre antichambre. Le printemps draine ses allergies. Une vague odeur d'ambre flotte rue d'Algérie. J'aurais aimé cueillir l'iris, en planter tout l'exquis dans le coeur du promeneur comme on plante un couteau sur un gigot ami. Oserait-on ?

Pour tenir la saison je récite sans reprendre ma respiration tout l'alphabet de gauche à droite, cela me distrait de l'ennui. Je me suspends au W ce signe blanc, agité d'un éclair. Je coche quelques mots au hasard "givre", "bonnet, "chamois" ou "ski". Et ainsi, les heures passent. Le jour est long, jusqu'à 20H38. demain, 39. J'exile des fleurs sur un manège, et me souviens de ces amants à tête de bouquets garnis qui baguenaudaient la parenthèse, montés sur des escalators, comme sur des échasses, vérifiaient en vitesse, leurs charmes irrésistibles, dans les glaces des grands magasins, où chaque angle toujours renvoie des reflets, mille boules de boites de nuit effaçant ça et là les tourments de nos essayages, ou grossissent démesurément nos humanités ébaubies. La belle saison attendrirait, ces gens, un brin de muguet leur poussera dans la main. C'est écrit.

Bras dessus, bras dessous avec un gusse à l'abordage de la saison du blanc et des soldes à 50% sur l'osier et les chaises de jardin, madame Machin menant monsieur fait ses emplettes. Je gambade en robe champêtre sur une savonnette au citron. J'achète deux piles non-dégradables pour alimenter mes engins, je tire à coup de Pentax sur un tag très anti et à la verticale, entre deux filatures, j'embrasse le répit. Dans 15 télévisions d'un magasin (hyper) un ministre parle de travail. La retraite à soixante dix ans. Et pourquoi pas à quatre vingt ? Et qu'il ne reste pas un seul être inactif sur cette terre. Tout devient possible. Il me tarde...

Il me tarde de partir, d'élaguer ce dédain, de flâner entre Houlgate et Le Havre d'adorer Lambersart, de visiter Maubeuge, loin des collines travaillantes, tuer les courbatures qui hantent la poésie, m'extasier à Limoges devant une soupière en porcelaine, aborder dans les granges la candeur d'une tête de cabri, puis d'aller saluer mon âne qui broute à l'infini avec les yeux battus de l'ange, mi pur, mi crétin, fixant (hélas, je ne suis qu'empathie!), avec toujours le même amour, son brin de bouton d'or.

Que cet étroit sillon couturé de bourgeons nous jette à l'inouï. Qu'un peu d'inattendu s'impose au lieu de cette peau de chagrin trop aimable, forçant le joug au spectacle de nos séductions. Légèreté dite de saison qu'une foule idôlatre cueille en son paradis et, fourrageant sans cesse au pays du soleil, s'en ride le sourire d'une joie grimaçante à en faire pleurer les pingouins. Tout le reste du temps, se cuivre dans les plis, sous ces écrans. Toto, nos hâles nous déterminent. Dans ces midis, préludes à quiches et à pizzas à moitiée croquées et laissées au milieu des pelouses, il nous est interdit tout autant de forniquer que de déposer des ordures. Toute cette solennité, indulgence pour qui renaît (A la ville et l'univers !). Etonnez moi Benoît, pardonnez les péchés et ouste ! qu'on en finisse !

Indulgentiam, absolutionem et remissionem omnium peccatorum vestrorum, spatium verae et fructuosae pænitentiæ, cor semper pænitens et emendationem vitæ, gratiam et consultationem sancti Spiritus et finalem perseverantiam in bonis operibus, tribuat vobis omnipotens et misericors Dominus...

Etonnez moi Benoît ! mais avec d'autres vers ! je sors vite, et m'en vais égayer l'avalanche, peut être y retrouverai-je, la piste des rois mages, le rameau bien caché élu des mondes d'Alceste, et que les franges étincellantes des emballages de papillottes me dispensent de ces saloperies qui nous obligent chaque printemps à devenir plus beaux que nous mêmes. Je me déguise en flou de coquelicot, vêtue de tulle, je crapahute avec des breloques aux oreilles devant les vitrines de sandales de la "halle à sandales", j'achète des bougies parfumées "fraîcheur d'Avril", un truc à fleurs et du senbon, une note de fond à base d'héliotropine, caricature d'un idéal, je ris en portant mes cabas. A la terrasse du Voxx, je croise Fifi, Riri,  bardés d'I.pod, de mp3. On se pète les bises et puis je m'assois. "Comment ça va ? Ché pas. Et toi ? Ca va ! et toi ? Ca va bien !". Le serveur apporte les bières. Les reflets de la "Mort subite" épousent le coucher du soleil. On parle d'allergies aux pollens : cyprès, bouleau, chêne, frêne, platane, du rôle déterminant du vent dans le transport des grains, des yeux rouges qui piquent et de l'action de l'histamine. La conversation bat son plein. Tout baigne apparemment, j'aime mon prochain, on m'aime. Je ne suis qu'amour, et lumière. Au grand secret, je traîne à Tignes, à Chamonix, à 2317 mètres d'altitude, un glacier coule lentement sur ma pente. Entre les Roches rouges et le dôme du Goûter, le glacier des Bossons m'appelle.

Photo : Le printemps n'est pas inadmissible sur la pelouse du Bordel-Opéra. Deux bienheureux en état de grâce photographiés dans la bonne ville. Une idée du centre du monde. Lyon, Avril 2009. © Frb.

dimanche, 14 mars 2010

Ville en Mars

Il n'y a pas besoin d'aller bien loin pour se perdre. Les grands voyages les miens ne sont jamais qu'une succession de petits mis bout à bout comme des tiquets de métro. Mais quelle lenteur ! et quelle joie dans la lenteur !

NICOLAS BOUVIER : extr. "Lettres à Kenneth White" in "L'échappée belle / Eloge de quelques pérégrins". Edition Métropolis 1995.

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Les ciels "marsiens" roulent des teintes charmantes sur nos silhouettes à rénover. Du haut de la colline, je contemple une ville en feu. Le sol est virginal. Sur ce point d'Ozanam, on dirait presque que la terre pleure. Je regrette la neige, ses cristaux transparents. Le printemps c'est l'hiver en moins gai comme toujours. Et qu'y puis je si la ville fait briller ses deux fleuves quand un seul suffirait ? Qu'ai je à voir avec toute cette flotte ? Y trouverai je des poissons-scie? Des cerveaux de Neptune ?

Pourtant, on aime les fleuves ici. Les deux servent et sans qu'on se l'avoue comme les longs corridors dans les vieilles maisons, ceux des caves, des greniers, on les aime, juste parce qu'ils sont là. L'un invite aux guinguettes aux pique-niques, et l'autre a ses naufrages. Un vent qui pousserait, si l'on se laissait faire, à glisser corps entier. Un tourbillon happerait, on se mettrait à avaler tout le "caché" l'ésotérique, de "cette ville dite des mystères". Dans la Saône on se baigne, dans le Rhône on se noie. Entre les deux, les bouchons des mères coutumières roulent des quenelles, remuent des sauces dans des caquelons avec de grosses cuillères en bois.

Lyon est une ville lente, une ville où l'on marche presque sans s'y trouver. A deux pas du Dôme de Soufflot je me lie aux arcades des grands cloîtres austères, au silence éprouvant des hopitaux anciens. Là, des bancs bienveillants accueillent les petits jardins qu'on dirait quasi dévoués aux presbytères. A Saint Nizier, gothique, je rêve d'animaux fabuleux de chimères, ou de Quasimodo. Chaque jour sous mes pas glissent des pierres précieuses.

Je serai là, en pensées, sur les pavés du vieux St Paul, frôlée du grain presque italien des façades rosées, fenêtres de demi-geôles où se reflète la Saône, l'autre fleuve apaisant, sur mille bris de verre irisé, mille reflets, quand la nuit tombe et que les autos minuscules vont par le quai Chauveau rejoindre la campagne. L'indifférence est vaine, je ne puis la fixer, ni lui assigner un bercail comme un de ces cafés de jour où tout se boirait gentiment, entre des douloureuses à rallonge, toutes insubmersibles. Un coin aimant comme une auberge pas loin d'une bibliothèque, où d'un musée, petit, le bien nommé St Pierre, l'ancien Guimet...

Au printemps chaque année recommence mon hiver. Je regrette la neige et la luge effacée. Cette route impossible qui traverse les rails d'une gare désaffectée, ensorcelle tout autant le corps que les esprits. Une main surnaturelle en guiderait l'aiguillage, le déroulerait à l'infini pour prolonger d'un trait la ligne d'horizon. Toutes destinations se recroiseraient sans cesse dans le désordre. On rêverait de s'y perdre, le dédale hanterait. Mais la ville est petite et ne peut faire autre chose que tout rêver petit, ceux qui ont essayé d'étendre l'aventure se sont un jour ou l'autre retrouvés le bec dans l'eau. Deux fleuves ! il faut ce qu'il faut...

Ici un choeur antique réciterait un prologue. Là bas, levant le coude et dansant sur un pied, quelques pochards de Vaise, de Couzon ou d'ailleurs ressentiraient sur toute colline, (surtout celle qui travaille) l'étrangeté d'une Saudade un peu à nous, qu'on appelle désormais, ici "Le mal du soir" . Ils agiteraient gaiement ce petit ballon rouge légèrement transparent qui fait les nobles distractions. Un jour de plus, un verre encore, et voici conjugués le mauvais sort et cette espèce de liberté qui file entre les doigts comme autant de ruisseaux incapables de rejoindre ni les deux fleuves ni même la mer mais raptés par d'autres cours d'eaux, ils seront simplement digérés sans le savoir.

Plus loin, le mouvement des forêts et des plaines, élaboré par des génies (ceux de Morand, jungle à trois balles) finiront au fond d'une bouteille tandis que leur dame, inlassable, guettera le retour d'un amant (éternel), en faisant tapisserie, juste au dessus de nous et peut être pour nous.

Il nous faut encore endurer les heures de pointe et les passages cloutés. La quincaillerie, l'absurdité du feu qui passe du vert, orange, puis au rouge, et ainsi de suite toute la journée etc... Tandis que le tramway, bestiole paranormale, enchenillée de diodes, promet les métamorphoses des soirées, revenants des voyages houblonneux, gueule en cerise, trimballantes bergères affalées un peu saoules dans une machine de science-fiction.

En bas des escaliers, juste après l'esplanade, les corps s'animent de liaisons infinies. Toute chose s'en contamine. Tout objet s'en trouve déplacé. Enfin, des âmes traboulées s'unissent. La durée vient à terme, ruine tout sans rien différencier, qu'importe celui-ci ou celle-là. Un corps fait parler l'autre, étend les formes à d'autres villes. Aux deux fleuves on vendrait son âme pour deux secondes d'incarnation extra-liquide. Ce serait bien de se dissoudre, peut être pour n'avoir plus à payer la minuterie des allées collectives, ni avoir à subir la tête commèrante de mademoiselle Manchon, ouvrant le matin, de l'intérieur de sa cuisine, les volets de son rez de chaussée, fidèlement aigrelette dans sa robe de chambre en pilou et ne plus l'entendre nous héler avec cet air impunément complice qui nous met la honte en dedans : "Vous avez vu ! ah les voyous ! ils ont encore taguée des sottises sous ma fenêtre !" .

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Cette affaire là ne peut pas aisément se solder, elle est routinière autant que furibonde. Livrée à la pureté des flots, du flux, et des rapidités, moins vives que nos ombres laissées en je ne sais quelle prairie du Parc où des biches sucent des croûtons. Il manque peut être l'exaltation, la beauté sensuelle d'une capitale. Ici tout se meurt en vitrine, l'étuve est en chaque saison. Ici tout crève et se relève arrosé de luxe ou de Saint Jo, parfait en bouche, avec son joli nez de pêche, de géranium et d'abricot. Tout dépend de ce que l'on cherche ou de ce que l'on évite.

A la station Hôtel de Ville correspondance Croix-Rousse et Cuire, j'avale une raie manta vite fait. Les ciels changeants de Mars n'ont que faire de cet aquarium. Trois minutes c'est parfois plus long que tous ces voyages en avion, trois minutes, une éternité, à creuser d'un oeil torve, le vieux tunnel couleur charbon pour cueillir fraîchement le signal du bruit grave des mécaniques, toute la pseudo téléphérie : deux wagons à fauteuils velours, plus jolis qu'un salon de poupée. Ce petit véhicule d'élévation, qui cahote jusqu'aux cimes, on l'appelle "la ficelle".  Il faudrait que s'ajoute à ce court instant de ténèbres, une légère illumination. La joie y serait si profonde que peut être le fil lâcherait... ?

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Photo 1 : Le ciel vue du boulevard de la Croix Rousse, côté mairie du 4em. Un sommet de premiers bourgeons, (qui travaillent à l'avènement d'ombres à venir, estivales, bien évidemment !) un appel au retour d'Alceste, où se cache-il, le bougre ?

Photo 2 : Comme un interlude en forme de mur (ou de murmure). "Ils ont encore tagué le mur de Melle Manchon ! ah les voyous ! et que fait la police ? On se le demande...  Est ce que tout cela ne mérite pas la guillotine ? les graffeurs pendus par les pieds place Bellecour ! pour montrer l'exemple à nos jeunes !". Vu à Lyon sur la façade de la maison de Melle Manchon, à côté de sa fenêtre de cuisine, en plein coeur de la Tabareau. (Une photo bien sympathique, oh un tout petit graff  très enfantin, discret, tout petit, ne tirons pas sur les moineaux)

Photo 3 : Retour au point précieux où l'indolence est souveraine. Nouvelles berges du Rhône à deux flots du printemps, au niveau parallèle dans le glougloutement ou berceuse d'une fausse rivière, (notre Mississipi à nous) plus jaune que les amours du vieux Tristan (Corbière évidemment). Photographié à Lyon Mars 2010 © Frb

vendredi, 12 mars 2010

Icare II

Si vous avez loupé le début vous pouvez cliquer sur l'image

TREE76.JPGZarathoustra avait remarqué qu'un jeune homme l'évitait. Et un soir, comme il traversait seul les montagnes qui entourent la ville appelée "La vache bigarrée", voici que dans sa promenade il trouva ce jeune homme appuyé contre un arbre et jetant sur la vallée un regard fatigué. Zarathoustra entoura de ses mains l'arbre contre lequel le jeune homme était assis, et il parla ainsi : "Si je voulais secouer cet arbre avec mes mains, je ne le pourrais pas. Mais le vent que nous ne voyons pas le tourmente, les mains invisibles sont les plus terribles." Stupéfait le jeune homme se leva et dit : "J'entends Zarathoustra et justement je pensais à lui". Zarathoustra répondit : "Pourquoi t'en effrayes-tu ?" - Mais il en est de l'homme comme de l'arbre. "Plus il veut aller vers les hauteurs et la clarté, plus ses racines aspirent à s'enfoncer dans la terre, à plonger vers le bas, l'ombre, les profondeurs - le mal." "Oui, vers le mal ! s'écria le jeune homme. Comment se peut -il que tu aies découvert mon âme ?". Zarathoustra sourit et dit : "Il est des âmes que l'on ne découvrira jamais, à moins de les inventer d'abord."

FREDERIC NIETZSCHE : extr. "De l'arbre sur la montagne in "Ainsi parlait Zarathoustra". Editions Flammarion 1996.

Photo : Des arbres s'élèvent au printemps sur la colline (qui travaille). Peut-être s'envoleront ils en Avril ? Photographiés sur le Boulevard de la Croix-Rousse à Lyon en Mars 2010. © Frb.

jeudi, 11 mars 2010

Albatros et pigeons

J'avais de la grandeur, ô cher Missisipi
Par mépris des poètes, gastéropode amer;
Je partais mais quel amour dans les gares et quel sport sur la mer
Record ! j'avais six ans (aurore des ventres et fraîcheur du pipi !)
Et ce matin à dix heures dix le rapide
qui flottait sur les rails croisait des trains limpides
Et me jetait dans l'air, toboggan en plongeon
C'était le cent à l'heure et malgré la rumeur
Le charme des journaux enivrait les fumeurs [...]

ARTHUR CRAVAN  extr "Langueur d'éléphant" in "J'étais cigare". Editions Losfeld- Le terrain vague. 1971.

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Tous sont revenus ravis de la classe de neige. Ils ont posé leurs moufles, leurs bonnets à pompons, pour amener le printemps au point le plus fondant, albatros et pigeons, du Placebo dans la prothèse, passeront le pont jusqu'aux arbres encore faibles de la forêt Morand, où près du square, en îlots verts occupés par l'interflora faussement passeïste, des amants en chemises bleu blanc beige, achètent les premiers bouquets de jonquilles pour qui là haut les guettent sur la plus haute branche du parc de la Tordette. Mésanges, bergeronnettes. Attendri par les premiers chants qui firent glisser les neiges, partout un solitaire se meurt dans les pollens. Partout des vieilles pies devisent du printemps, partout de la jeunesse couchée déjà dans l'herbe, (ô pelouses interdites !)  se roule des gamelles et des pétards à la peau de banane sèche aux sorties des cours de physique. Melle Pugeolles s'en retourne à l'heure qui est l'heure dans sa petite 2CV violette, corriger son tas de copies, l'analyse d'un poème de VERLAINE. "Les Saturniens", aubaine ! "je vous distribue les enfants, ce polycope bleu, vert, rose ! que veut dire saturnien dans le poème ?" "les ingénues", soleils couchants. Rossignols. Des souvenirs, une promenade obsessionnelle... "Que me veux tu, mémoire ?" VERLAINE plié, poltron, "son chant d'amour est un chant de printemps", les cheveux, les pensées, tout est soumis au vent. Albatros et pigeons font l'école buissonnière. Dans ma tour, ce donjon en mode cadet rousselle, je m'entiche de BUFFON ou COMTE GEORGES LOUIS LECLERC DE.. toute l'histoire naturelle se grave dans la chair blanche et JEAN DORST moud du grain près des cloches.

« La vieille et toujours jeune histoire naturelle n'est pas morte, bien au contraire elle a encore de beaux jours devant elle. Il nous reste encore beaucoup à apprendre avec une paire de jumelles et une loupe, surtout avec nos yeux ! [...]

Voilà nos yeux qui pêlent sous le coucher de soleil vaguement florentin quand les péniches tanguent molles sur le fleuve menteur lèchant les quais du côté du sixième, du sixième sens peut être. Ainsi albatros et pigeons, pourquoi pas hiboux ou corbeaux ? s'éprendront d'un bateau, de 1869, treizième poème des "Fêtes galantes". L'eau reste sombre la pythie de Lugdumum donne des soirées crépusculaires, l'indécision des passagers cède à la flemme. "Arrête de rêver et travaille!" crie mademoiselle Pugeolles, tout en haut de l'estrade où poussent des champs de tulipes rouges et des vivaces hybrides, des pivoines arbusives des pivoines herbacées aux étamines fines "tiges grêles supportant l'anthère, forme aplatie comme un limbe de feuilles" ô Nymphaea ! Voilà que le bateau s'enivre...

"Les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais".

ARTHUR CRAVAN prend la relève. Le taureau par les cornes. Le printemps sera intranquille. J'ai des Fortuna bleues en poche ainsi je m'échappe parée. ARTHUR CRAVAN va sous les jupes des filles, renifle, printanier, de son nez aristocratique, puis éclaire ma lanterne mieux que dix soleil d'Août "Chaque fleur me transforme en papillon". Je cours sur la haute route, ce jour est jour de joie, le colosse revient des Caraïbes. Cela fait des mois je l'attends. Albatros et Corbeau vadrouillés de Boeing, traversent le pont Morand. Aux pas pesants, leurs grosses bottines épousent un goudron solidaire sur lequel tous mentalement ne cessent de s'envoyer en l'air.

Entraîneur aimantant albatros et pigeons,
à cette allure folle, l'express m'avait bercé
Mes idées blondissaient, les blés étaient superbes,
Les herbivores broutaient dans le vert voyou des près
J'étais fou d'être boxeur en souriant à l'herbe.

Un grand type inquiétant, bûcheron dans les forêts trace à grands pas la buissonière : " Dans la nature, je me sens feuillu, mes cheveux sont verts". Je suis ... Je suis. L'autre Arthur, qui trace la ville, malade de ne pas être plus loin à chevaucher peut être, des girafes et des éléphants, ou tout simplement, la donzelle, Madame DELAUNAY en personne épouse de...

"Je ne prétends pas que je ne forniquerai une fois madame DELAUNAY, puisqu'avec la grande majorité des hommes je suis né collectionneur [...]"

"Ah nom de Dieu ! quel temps et quel printemps !"

Photo : Pigeons ou albatros longeant le bordel-Opéra et ses loupiottes venimeuses (hors champ) ; juste avant de passer le grand fleuve sur un(e) mode jeune à l'éveil du printemps. Photographiés en Mars 2010 à Lyon. © Frb

mardi, 09 mars 2010

Préface

"J'avais entrepris une lutte insensée ! Je combattais la misère avec ma plume."

HONORE DE BALZAC : extr. "Le lys dans la vallée". Editions Gallimard 1972

Si vous avez loupé la période rose, cliquez sur l'image

dèche.JPGJe n'ai plus de train à moudre, je n'ai plus de cuillère à pain. je n'ai plus de sac à pot, Je n'ai plus de barrette de chenille, je n'ai plus d'ourlet à talon, je n'ai plus de seau à lapins, je n'ai plus de casquette de 12, je n'ai plus de rat aux marrons, je n'ai plus de cave à bretelles, je n'ai plus d'éléphant à traire, je n'ai plus de couteau à eau, je n'ai plus de chapeau à sonnette, je n'ai plus d'auto-dépliants, je n'ai plus d'éponge-éponges, je n'ai plus de poil à lire, je n'ai plus de soupière en coton, je n'ai plus de repose-doigts, je n'ai plus de sorbet à la langue, je n'ai plus de brosse à redire, je n'ai plus de pull col mouillé, je n'ai plus de téléportique, je n'ai plus de fusil à trompes, je n'ai plus de corne de truffe, je n'ai plus de tire-jambon, je n'ai plus de pattes à vélo, je n'ai plus de billet de marteau, je n'ai plus de stage d'auto-portrait, je n'ai plus de bouteille de veau, je n'ai plus d'épluche-savon, je n'ai plus de papier à molette, je n'ai plus d'épingle à lunettes, je n'ai plus de lampe à nouilles, je n'ai plus de poumons à huîtres, je n'ai plus de boîte de panthère, je n'ai plus de riz mâconnais, je n'ai plus de tubes de moustiques, je n'ai plus de para-bain, je n'ai plus de ceinture à huile, je n'ai plus de machine à rouler les assiettes, je n'ai plus de feuille d'impasse, je n'ai plus de chirotractateur, je n'ai plus de cornet à capuche, je n'ai plus de sauce yiddish, je n'ai plus de souliers à spirales, je n'ai plus de films de commissions, je n'ai plus de casque à repasser, je n'ai plus de corbeille à mazout, je n'ai plus de poêle à encre, je n'ai plus de taie de marcassin, je n'ai plus de tabac à désosser, je n'ai plus de fer à nombril, je n'ai plus de perce-cornet, je n'ai plus de démoule-vinaigre, je n'ai plus de torche-lèvres, je n'ai plus de sirop pour la truelle, je n'ai plus de grenouille sur ma quenouille, je n'ai plus de dosette pour le dos, je n'ai plus de carte d'entité, je n'ai plus de cache-vessie, je n'ai plus de bonnet à truites, je n'ai plus de piano à moteur, je n'ai plus de vernis à oreilles, je n'ai plus de pense-tomates, je n'ai plus d'allocations-teckel, je n'ai plus de bague à pédale, je n'ai plus de lit-rateau, je n'ai plus de chemise pointue, je n'ai plus d'hippocampe de propre, je n'ai plus de rouleau de vécu, je n'ai plus rien à éventrer, je n'ai plus de polycyrrhose, je n'ai plus de technopsychiatre, je n'ai plus de télépanty, je n'ai plus de protodégivreur, je n'ai plus de grillon-laveur, je n'ai plus de grain d'immunité, je n'ai plus de pantoufles à ressorts, je n'ai plus de verre à manger, je n'ai plus de mou dans ma poche, je n'ai plus de protège-molaire, je n'ai plus d'hydre en poudre, je n'ai plus de gilet à contorsions, je n'ai plus d'escalopes anglaises, je n'ai plus de chauffage mental, je n'ai plus d'épluche-disque... Je n'ai plus qu'un trou dans ma poche, pas même de quoi m'acheter une mouche pour mon dîner.

 

CHICHA LIBRE : Six Pieds sous terre
podcast

 

Photo : Vue en traversant "Vitton la riche", une dame assise sur sa maison, et qui avait peine à relire sa liste de non-commissions. Lyon, Cours Vitton, Mars 2010. © Frb.

dimanche, 07 mars 2010

Singerie du Mail

Les fleurs ouvrent leurs corolles
Dans le ciel un oiseau-souris
Le soleil fait son parasol
la Denise nettoie ses tapis
Le cyclamen, la renoncule
Font la roue dans le jardinet
Il y a des froids qui s'en reculent
Et des chaleurs qu'on sent monter
On met du rose sur sa figure
Et du bleu et puis du violet
Pour plaire et avoir fière allure
Car le printemps sera très gai.

MADELEINE LACROIX : Extr : "Le fardeau ivre". Préfacé par Guy Dubord (PDG de la Scala de Vaise). Editions Dupanier. Vaise 2009.

singerie.JPGA noter que le 20 Mars à 15H30, Madeleine LACROIX récitera ses poèmes salle Rosemonde Gérard, au 8 allée Jean Rochefort dans le 9em arrondissement de Vaise (Prendre troisième rue à droite, juste après l'Hyper Rion Géant, face à la station essence Esso). Madeleine LACROIX sera accompagnée par la Denise à la flûte traversière. Le récital sera suivi d'une séance de réflexion et d'un débat animé par Guy Dubord sur le thème "Quelle place pour le printemps en 2010 ?". Cette animation-réflexion sera elle même suivie puis précédée d'une soirée de gala intitulée "le grand bal du Printemps 2010", animée par l'orchestre pop "Décontraction". Un mini-bus emmènera les participants à la Scala de Vaise pour une soirée prestigieuse. Venez nombreux. Inscription gratuite auprès du syndicat d'initiative de Vaise, (demandez Marie-Claude à l'accueil).

Prix d'entrée : Cent vingt deux francs cinquante. Les bénéficiaires de la brioche et des boissons seront reversés au club de gymnastique poétique "Les gymnapoésies" qui donneront une séance de démonstration sur des poèmes d'Aragon le 22 Avril 2019 à 20H00, au N° 3 avenue Yves Rocher à Dardilly dans les locaux des magasins "Phildar Rhône-Alpes". Mais je vous en reparlerai... Faites moi penser, si j'oublie.

Photo : A quelques jours du printemps, on a croisé les demoiselles de la colline (Melle Lacroix et Melle Pinturault rudement sacochées) en grand péché de coquetterie, flagrant délit, et tentations, rêvant devant des robes chasubles, toutes autres folies vraiment olé olé, débardeurs en jersey (sans manches oh ! my god !). Oseront-elles ? Photographiées, on va dire au hasard, rue du Mail, (toujours imitée jamais égalée), en plein coeur de la Croix-Rousse à Lyon,par le Riri et son instamatic Kodak en Mars 2010. © Le Riri (avec l'aimable participation de la maison kodak).