lundi, 01 mars 2010
Quelques heures avant la nuit (part III)
Et moi aussi de près je suis sombre et terne
Une brume qui vient d’obscurcir les lanternes
Une main qui tout à coup se pose devant les yeux
Une voûte entre vous et toutes les lumières
Et je m’éloignerai m’illuminant au milieu d’ombres.
GUILLAUME APOLLINAIRE extr : "Cortèges", in " Alcools" 1913. Editions Poésie Gallimard 1971.
Si vous avez loupé le début cliquez gentiment sur l'image.
J'ai sur le bout de la langue, une litanie de vieux noms d'une époque à reléguer aux croix humbles, monticule terreux d'un cimetière glorifiant le vaillant artisan et le prolétaire. Femmes ou mères courageuses, époux morts à la guerre, artisans italiens, maçons venus de Chantérac, de Gartempe ou de St Maurice la Souterraine. De ceux qui dans la vie ne purent jamais s'éléver ou bien juste un petit peu avec cet unique rêve qui n'était pas celui des parvenus, mais celui des hommes libres, enfin le croyaient ils... Devenir un jour propriétaire. Monsieur Felix Chauferin, Paulo Rossia, Melle Jeanne Manchon, Roger Bagnol, Jean Fourneau, Francine Barbonnier etc... Ceux des anciennes maisons d'un quartier construit de leurs mains. Par presque chance, ils n'auront pas connu cela. Ce qu'on nomme la déliquescence.
Sauf melle Francine Barbonnier, unique rescapée de cette triste banlieue où l'horizon autrefois, dit-on menait jusqu'au seuil de Tête d'Or, les trottoires collent devenus savonneux plus pentus que les pentes. Faux semblants en terre de naufrage. Maintenant que tout se cloaque, avec les meilleures intentions du monde, les anciens bâtiments et bâtisseurs inclus frappés de servitude, voici venir les nouvelles habitations.
"Ce jardin appartint jadis à monsieur Fourneau, homme courageux, honnête, ici, la maison du maçon Chauferin, mort d'une faiblesse pulmonaire dûe aux suites de la deuxième guerre, là, le garage de Paulo Crossia, né en Toscane, qu'on retrouva pendu au fond de son garage, après des années d'égarement, à vider méthodiquement chaque jour son cendrier dans la boîte aux lettres des voisins, pour "se venger" prétendait il, des allemands et des miliciens. Et Marie-Yvonne, à moitié folle, partant au marché à trois heures du matin dans sa robe de chambre de princesse. Et cherchant rue Melzet, la villa de son chéri Armand, projectionniste au Fantasio, mort depuis vingt cinq ans. De Profondis. Ici c'est la mauvaise époque. Qui ne ressemble pas à la légende. Bar des copains chez Jules, cinéma permanent Fantasio; où les plus aguerris , fiers à bras, chefs de bande, pleuraient à chaudes larmes sur "Tant qu'il y aura des hommes"... Cinéma Fantasio, remplacé par cette tour hideuse à peu près aussi vaine que le clip, qui insulte encore Guillotière avec sa face de vacherin gris.
Ici, perpendiculaire à la rue Descartes, tout le long de la piste cyclable, des volets de bois bringueballent, sur le bord des fenêtres quelques géraniums séchés. Cordes à linges et panosses dégoulineuses, porte d'entrée hurlant sur ses gonds désossés. Ici toutes les fleurs crèvent. Pour pouvoir, résister il faut pas mal de clops. Le bureau de tabac, café presse de la grande rue abat à tour de bras la clientèle, millionnaire, morpion, pastis,et des tonnes de tabac. Tandis que la nuit vient, une longue nuit de fête, quelques âmes se promènent, avec des sacs plein à craquer de bouteilles de vodka discount. Toute la nuit, la fête, ils appellent ça comme ça. "Se déchirer la tête", qu'il disent. Ils se la fracassent à vrai dire sur les dalles neuves, imperceptibles, qui délimitent Wilson Parking de ses massifs horticultés, rien à voir avec les charmants jardins de presbytère, de Jacquard, la belle. Du terreau brun qui fait office de cendrier, de chiottes pour chiens et plus souvent c'est là dedans que l'être humain dégueule, jusqu'à cette église au carré, et fraîchement rénovée. "La Madeleine", qui continue, imperturbable à marier et à enterrer.
A l'enterrement de Jean Fourneau on les vit encercler le cortège, ces matinaux de la piquette, des braves gars à l'oeil torve, au regard de côté comme celui des grives litornes, posés sur le nombril de la Madeleine, partageant encore leur hilarité, devant la fourgonnette, et saluant nos têtes d'enterrements médusées, machos déboulonnés, col large à chemise ouverte, un médaillon qui se respecte avec le prénom, signe du zodiaque au revers. Une bande de vieux coucous en liesse, revenue du zinc pour renifler la sainteté d'une nouvelle charogne, et les voici, matant les jambes de la veuve et les miches d'une jeune fille endeuillée, sur leurs ventres plus ronds, obsédés de queues de pelle, tous coiffés d'une casquette à carreaux posée de travers comme un béret, ils sont là, ils ricanent. Cela était encore une fête bien acceptable, des bitures de poilades quand le saphir du Radiola faisait le manche sur la couronne mortuaire des défunts, réinventant l'Adieu d'Emile d'un Brel, ou "les funérailles d'antan" du père Georges, ils arrosaient le tout avec de la brioche et du Clapion nouveau entassées dans l'arrière boutique de l'épicerie du "Jo Michon"... Ensuite, la page serait tournée avec les frites vite fait, bien pâles et les packs de steaks hâchés "ouverture facile", de la cafétéria de l'Hyper-Rion de Cusset.
Tout autour de ces fleurs urbaines, on voit ces vieilles carnes revenues de la pharmacie Brihac, qui marmonnent et glaviottent à propos des problèmes notamment de la maladie, leurs maladies exactement ou celles des autres. La main sur l'abdomen, palpant ce corps, plâtré par une vie de Smecta (qui n'est pas poète grec), ne jurant ça et là que par le générique de l'imodium, le spasfon Lyoc, et le pili-pili de quinoa, flux de mots rabâchant un Vidal allégé, conversations autour des fréquents voyages à la selle et vantant les mérites des fruits et légumes de saison. Une vie entière faite d'abstinences. "Mais, madame ! le docteur a dit c'est pas une maladie, c'est un syndrome"... "Ah ben si le docteur a dit! alors c'est pas pareil !". Et puis, ça cause pendant des heures avec sur le dos un foulard où se multiplent des pommes, des poires et des espèces de scoubidous et puis écrasant chaque oreille elles ont vissé des coeurs énormes pour cacher l'apparence austère d'un sonotone qui siffle parfois l'air d'une vieille cocotte à vapeur. Enfin on voit ça assis d'une poubelle toujours très architecturale constamment connectée aux ballonnements intestinaux de ces créatures blettes, tenant ici, chaque jour de marché, leur permanence d'hypocondrie, dans le fracassage d'engins modernes, style pelleteuses mécaniques...
Je n'ai heureusement aucune compétence pour fourbir les correspondances, ce n'est pas moi qui tire les ficelles, et même en métaphores filées de ces pétarades jouvences nées après la biture de kro; de ces pavillons d'ouvriers, à ce rut de barres fonctionnelles, soudain, la claustrophie vient. Je cherche l'air, Il y a comme une saleté dans l'atmosphère. Hier, encore, au même instant, une disparition, un monde qui faisait pousser au ciel, le corail. L'oeil malin croquant les jambes d'un Dieu que le temps fît cul de jatte, et lui faisant crier "j'ai mal" aux croisements d'étranges calvaires villageois médiévaux à fortes consonnances celtes. Oui, je cherche désespérement. Le refuge de rieuses mouettes. La roche tendre, léchée par les flots d'une planète nimbée de styx, de cailloux blancs. Un monde qui attrapait les effraies à l'aurore, et croquait les nuances gris vert de la pleine mer avec aisance ou plus simplement une étoile dans la nuit d'hiver. Où êtes vous "Nuage" ? Nuage c'était, il faut le dire, mon goûter quotidien transformé soudainement en fameuse erreur 404. Inévitablement, je pense à cet autre goûter, du côté de Combray :
"Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel."
Une bouteille d'encre se répand, sur un verbe paralysé. Du tangage des festivités jusqu'à l'implosion des buvettes.
Voilà que tangue par dessus les graviers le corps brisé d'un couple exsangue et passablement ivre tandis que la bière même pas Gueuse, ni Blanche de Bruges, jusqu'à l'atroce débouchonnée de la vodka Franprix (qui ne connaît rien de la Zubrowska, cette poètesse russe) pousse aux suicides lents. Un hurlement sort encore de ces corps trop bruyants, masculins, féminins, agitant devant les fenêtres, bites et popotins dans des survêtement à poils longs, humains au soir pesant lourds de fornications qui n'arracheront ni cri ni joie, pas même un petit brame de bonne satisfaction. Tandis que le mari, glisse encore cette pogne, dans quelque couinement femelle, et que je passe là, parce qu'il me faut rentrer chez moi (ou ce qu'il en reste) arriver à passer, comme si je n’étais rien, comme ça, sans y penser entre les corps et les canettes.
Le gars crache sur mon petit manteau, puis il me crie "salope !" comme ça, pour rien.
Photos : Emile Zola, le cours. A l'endroit à l'envers, en été en hiver, on y trouve bien toujours une flaque pour se refaire une beauté (urbaine, bien sûr !). Photographié à Villeurbanne côté Charpennes en Février 2010. © Frb
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vendredi, 12 février 2010
Le miroir des simples âmes
"Hadewijch d'Anvers chante "ivre d'un vin qu'elle n'a pas bu". Son poème naît d'un rien. Il est la trace d'une perte. En cela, il ne se distingue pas de l'ivresse, absence de la chose. Quelle est donc cette ivresse poétique "sans cause", douleur du corps ouvrant sur la douceur d'un chant, retour de l'altérant dans l'écriture défaite ?"
MICHEL DE CERTEAU texte de présentation des "Ecrits mystiques des Béguines" de HADEWIJCH D'ANVERS. Editions Seuil 1954.
Peu de gens connaissent HADEWIJCH, l'auteur des "Poèmes spirituels". son oeuvre est souvent citée pour illuster les tendances au XIIIem siècle du mouvement béguinal. Peut être faudrait il énoncer plus précisément ce qu'était une béguine.
A la fin du XIIem siècle, début du XIIIem s., de nombreux témoignages attestent à la fois le nombre et l'enthousiasme des femmes pieuses souvent affectées de phénomènes extatiques, vivant hors des cloîtres, bien que souvent en étroite relation avec eux, d'abord en petits groupes, puis s'organisant lentement et finissant dans la deuxième moitié du XIIIem siècle, par constituer de nouvelles communautés religieuses (au sens impropre cependant puisqu'elles ne prononcent point de voeux même si elles sont guidées par quelques règles écrites). Nous savons aussi que ces femmes étaient nombreuses dans le nord ouest de l'Europe, spécialement en Brabant. L'histoire indique que ces âmes avides de sacrifice, (qui regardaient le monde comme un ennemi, femmes du grand mouvement extatique), assiégèrent en effet les cloîtres pour se ranger sous leurs lois sacrées. Plusieurs d'entre elles passèrent même leur vie sous l'habit cistercien ou du moins la terminèrent dans un cloître après avoir appartenu au mouvement des béguines. Mais la plupart se virent écartées des ordres, on redoutait sans doute, que l'afflux de vocations féminines compromît l'équilibre et la paix. Il leur fallût alors se grouper, s'organiser, cherchant en elles l'encouragement, la doctrine, le conseil, non sans se soumettre à la direction de quelques prêtre régulier (ou séculier) mais dans une autonomie et une liberté à laquelle les sociétés religieuses féminines d'alors, n'étaient pas du tout accoutumées. Un souffle de liberté est très perceptible parmi les béguines. Il semblerait que bon nombre de ces âmes n'étaient pas faites pour la vie claustrale et se trouvèrent, jouissant d'une indépendance relative parce qu'elles suivaient une vocation différente et devaient remplir une autre mission.
L'époque où paraissent les béguines, n'est pas celle de l'affranchissement de la femme, mais celle où commence le règne de la dame, qui devait en vérité former l'âme de l'Occident et fixer définitivement le trait de sa culture. Au XIIIem siècle, la révolution spirituelle passe par une conscience nouvelle de la solitude de l'âme avec Dieu, de sa noblesse divine, de sa liberté intangible. Cela fût en grande partie l'oeuvre des vierges extatiques, qui par ailleurs pût emprunter ses expressions dans une étrange mesure, à la littérature courtoise, dont la dignité féminine était l'objet tout autant que l'inspiratrice. Les plus naïves, protégées par une précieuse ignorance, plus patientes, plus dévouées au sacrifice,insufflèrent un élan nouveau. Ainsi, nous verrons les béguines créer une langue pour traduire toute la passion d'une expérience; chercher avec Dieu une conjonction plus immédiate, totale, et proclamer une exigence nouvelle de l'éternel amour.
l'invincible amour déroute l'esprit :
il est proche de qui s'égare
et loin de qui le saisit.
Sa paix ne laisse point de paix
Ô paix du pur amour
seul qui fait sienne sa nature
boira ce lait consolateur !
C'est par lui même que l'on gagne l'amour.
Nota : Les écrits hadewigiens composés de visions, de lettres et de poèmes, après une longue période d'oubli, furent imprimés pour la première fois de 1875 à 1885, comme une curiosité philologique et n'attirèrent l'attention des historiens de la spiritualité qu'à la suite des travaux de R.P. Van Mierlo.
A lire, HADEWIJCH toujours (à propos du film de Bruno Dumont) : http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/had...
Photo : Un lien puissant et éternel, sculpté dans la pierre romane. Vu sur la façade extérieure bordant la porte de l'entrée principale de la basilique du Sacré-Coeur, à Paray le Monial. Nabirosina. Hiver 2009. © Frb.
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mercredi, 10 février 2010
La rue Jean Baptiste sait...
La rue Jean baptiste sait que le temps ne fait rien à l’affaire
La rue Jean Baptiste sait qu’après la pluie vient le beau temps
La rue Jean Baptiste sait que l’habit ne fait pas le moine
La rue Jean Baptiste sait qu’il n’y a pas de fumée sans feu
La rue Jean baptiste sait qu'il n'y a pas d'amour heureux
La rue Jean Baptiste sait qu'on n'a pas tous les jours vingt ans
La rue Jean baptiste sait que la mort n'est pas une solution
La rue Jean Baptiste sait que deux et deux font quatre
La rue Jean Baptiste sait qu'après l'heure c'est plus l'heure
La rue Jean Baptiste sait que la nuit tous les chats sont gris
La rue Jean Baptiste sait que la fourmi n'est pas prêteuse
La rue Jean Baptiste sait qu'on ne prête qu'aux riches
La rue Jean Baptiste sait que le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion
La rue Jean Baptiste sait qu'on a peine à haïr ce qu'on a bien aimé
La rue Jean Baptiste sait que les sots parlent beaucoup du passé
La rue Jean Baptiste sait que penser à la mort raccourcit la vie
La rue Jean Baptiste sait que haricot par haricot se remplit le sac
La rue Jean Baptiste sait que seul ton ongle sait où te gratter
La rue Jean Baptiste sait que mauvais chien ne crève jamais
La rue Jean Baptiste sait que le pape bénit d'abord sa barbe
La rue Jean Baptiste sait qu'à l'impossible nul n'est tenu
La rue Jean Baptiste sait que celui qui écrit lit deux fois
La rue Jean Baptiste sait que la gourmandise vide les poches
La rue Jean Baptiste sait que la joie est suspendue à des épines
La rue Jean Baptiste ne sait pas que l'oisiveté est mère de tous les vices.
Kesang Marstrand :"Say say say"
La rue Jean-Baptiste sait ce que peu de gens savent et peut se lire en titillant le lien ci-dessous, d'autant plus que l'endroit est vivement recommandé par la maison et qu'on aurait bien tort de s'en priver :
http://lesruesdelyon.hautetfort.com/archive/2010/02/26/je...
Photo : La rue Jean Baptiste sait et elle le dit ! entre l'esplanade et la rue des Pierres Plantées, presque en haut du plateau de la Croix-Rousse à Lyon. Photographiée en hiver 2009. © Frb
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vendredi, 05 février 2010
L'insolite
L'autre jour, en sortant de la conférence de notre ami Solko, après avoir pris tant sur moi, pour aller déposer quelques lagounes beni rémitées aux pieds du grand maître (Dangr imâtre, drapon) de la saucerie du CAFI (non traduite, en charmillon, à mon plus grand regret. Entatoin ! gridessoin : Li tuaf ride uqe le dangr imâtre Solok ste isaus dangr dripésent, imâtre de froncérence intorsiné dnsa esl glères ed l'atr ed otren bonel cacédiem du charmillon donfée evca trone ima Tanygu desuip le na 9002). nif de la rentaphèse Bref. Après avoir serré quelques mains, chaudes, gelées ou moites, à la sortie du petit cinéma St Denis, dans ce froid de canard de notre rude hiver français, je repris en sens contraire le chemin de la maison, avec ma chapka sur la tête (c'est la mode, on est obligés), Dieu que j'avais l'air bête ! comme lorsqu'on rentre penaud après quelque spectacle lumineux, penaud juste à l'idée de rentrer chez soi, que l'on soit seul ou que l'on traîne une famille à sa botte, le fait est qu'il est sans doute un petit peu le même chez tout le monde, ce sentiment penaud de rentrer chez soi après un spectacle lumineux. Quand l'envie puissamment insufflée d'aller traîner toute la nuit, dehors (dans quelques maisons chaleureuses ou dans des lieux à air de fête où l'alcool coule à flots), nous est soudainement ravie par cette sentence odieuse, ce reliquat de contingence humaine dont tout l'inacceptable tient en une seule expression aussi tragique que misèrable qui dit encore trop peu de notre fardeau accepté, notre baluchon charnel, hélas ! inévitable, quelque soit le degré de romantisme de chacune et chacun, la sentence se dit bien à peine, même pas qu'on la pense tellement elle est laide, je vous la cite en toutes lettres, la même pour chaque fin de journée, tous les soirs répétée et cela durant toute une vie. Quel joug, quelle cruauté. Que celui qui ne l'a pas prononcé une seule fois dans sa vie me jette la première pierre, je vous la livre dans toute son inanité :
"Il est l'heure d'aller se coucher".
Les personnes bien elevées diront "on va se coucher", le bel égotisé lancera un "j'ai sommeil" et l'homme sans manière annoncera "j'vais m'pieuter". Ainsi finissent les belles soirées, dans de beaux draps pour ceux qui n'ont pas encore acheté leur couette, et que les couples n'épargnent pas, en lançant à la cantonade cette phrase lourde en images, amorçant le délit officiel du devoir conjugal "on va se mettre sous la couette". Couples ! ayez pitié des jeunes ou vieux célibataires qui se laisseront glisser tout habillés sur un lit défait de la veille, couvert de miettes de gaufrettes, de pépitos, et de revues pornographiques (Art press, Télérama, Bel âge) tirant sur leurs pieds un patchwork en laine tricoté au point mousse par une vieille tatan et n'enlaceront rien qu'un bout de couette à rayures genre imitation "zèbre" décoloré par une vie de lavomatic, le célibataire c'est fréquent dira "j'vais m'écrouler" ou "je m'effondre". Bien sûr, tout ne finit pas toujours si mal, il peut y avoir quelques miracles, un soir, un être humain, un magnifique, (un plus magnifique que les autres), lancera à l'assemblée juste après un spectacle, qu'on pourrait tous aller chez lui, qu'il y aurait du vin pour tout le monde, des petits fours, du champagne. On serait tous sur un canapé, à picorer des pistaches grillées et très dures à déshabiller, on écouterait de la musique bien sympa du genre un bon vieux J.J. Cale et même, avec petit peu de chance, il resterait de la tarte tatin. Mais cela est trop rare, non, il est fréquent qu'après une belle causerie, un beau spectacle, un bon ciné, chacun n'ait plus qu'à se dire après toutes les dindonneries d'usage : "Allez, on va se coucher !". Il n'y aura plus qu'à rajouter" "parce que demain, je travaille". Et le couvercle se refermera de lui même.
Admettons que ce soit la fin du prélude, à l'insolite, bien sûr, puisque tel est le sujet. Celui qui recherche l'insolite a bien peu de chance de le trouver ou bien ce sera encore un insolite admis dans nos cases ordinaires, ou nos cadres, tout comme celui (ou celle) pas malin ni maline, qui n'a pas le permis de reluire, ni le gratte vaisselle, ni même une machine à coudre le beurre digne de ce nom, ceux là, deviennent vite dans l'organe vocal du normal (voire du normatif), un ou une "atypique". Rajoutez des cheveux bleus à ces bougres démunis, un cornet à piston, un tamanoir à houpette comme animal de compagnie et cela vous fera peut-être, sorti de la centrifugeuse, des lots et lieux communs, une sorte ou une espèce "d'insolite atypique".
L'introduction sera beaucoup plus longue que ce billet. Mais comme aucun professeur de français n'oserait lire ce petit blog, je ne vais certes pas me gêner. (Je profite de cet espace de publication pour saluer ma vieille institutrice, cette grosse vécha de melle Pugeolles), qui m'a appris à bien cercler mes sujets verbes, et autres complèments d'objets à coups de règle en fer. Qu'on la brûle ! sous des tonnes de divisions à virgules ! et de tout petits calculs éternels de la circonférence du même cercle) mais je m'égare...
Donc disais-je, au sortir de la belle causerie de notre ami Solko, je me retrouvais seule dans la petite allée qui sépare le ciné Saint Denis, de la grande rue de la Croix-Rousse, et comme aller me coucher cela ne me disait rien, éperdue que j'étais d'un amour infrangible, vivant à l'autre bout du monde, cherchant à l'oublier, je m'arrachais les yeux à saisir des détails qu'il me fallait pour moi, absolument, de suite, en tirant à bout portant avec mon petit Canon, armée jusqu'aux dents et dégainant plus vite que tous ces héros nonchalants qu'on voit dans les films de S. Léone. Il me fallait l'instant. Et ne pas le laisser partir. Cela tout comme on tire la journée sur la nuit, tant dormir est proche de mourir (bien que le ticket retour nous semble acquis, n'est ce pas ?). Tandis que follement je tirais sur les murs, les boîtes aux lettres, les clous rouillés, et les pierres acheminées tout autour du local poubelle, j'entendis dans la nuit une petite voix qui me parlait. C'était une drôle de voix entre celle d'une petite fille et d'une vieille retombée en enfance. Je fus tirée brutalement de ma rêverie au moment très précis où je photographiais les courbes d'une insignifiante rampe d'escalier, de nulle part, de partout, cette voix brutalement, me posait la question, une intrusion étrange. Au coeur d'un grand silence, la voix me sembla menaçante, elle sonnait en fanfare :"Vous aimez l'insolite ?". Je me retournais, et je vis devant moi, une grosse femme dont la voix si fluette, n'allait pas avec son physique, cette voix était faite pour une muse filliforme ou une fée clochette, et j'avais devant moi, une bonne grosse dame aux joues bien fraîches, à l'oeil curieux mais pas très vif qui me souriait jovialement tandis qu'hallucinée je bredouillais : "comment ?". Elle osa répéter "Vous aimez l'insolite ?". Quelque chose clochait. J'observais maintenant cette femme là, en face de moi, avec son bonnet rond à poil de je ne sais quoi, tout mauve, irisé sur les coins de paillettes argentées, d'où dépassait une sorte de pompon énorme pendu au bout d'un long et gros filet en tricotin fait maison accroché au bonnet par une sorte de magie que je n'arrive toujours pas à m'expliquer. Les yeux ronds bleus trop bleus de cette créature me fixaient goulûment, roulaient sur un mélange abstrait de grande tendresse et d'immense bêtise qui donnait une autre qualité que je ne saurais dire. La bonne dame répéta :"vous aimez l'insolite ?". Elle eût l'air de se ratatiner dans son manteau dont le col déployé, comme des ailes d'oiseau frêle, remontant loin par delà les épaules se repliait façon doudoune jusqu'en haut des oreilles dont les lobes étaient ornés de deux boucles à tête de biche à faire pâlir tous les porte-manteaux et les trophées de chasses de la terre. Les têtes de biches aux oreilles de cette femme pourtant si ordinaire dont la voix, le visage, n'allaient pas plus avec le bonnet qu'avec le col de son manteau, les deux têtes de biches me regardaient, et il y avait dans ses yeux là, légèrement fendus en amande, une douceur indescriptible. De chaque côté de ce bonnet, me parvenait un choeur, comme celui qui s'écoute dans les chapelles romanes du Nabirosina. Tandis que la femme attendait, tantôt très concentrée sur ma réponse qui ne venait pas, tantôt regard fuyant contre une vieille montée d'escalier vide d'un désolant dépit, les têtes de biches me souriaient et je les comprenais distinctement. Le fil en tricotin de cette pauvre dame faisait des mouvements de balancier réguliers. Le va et vient du pompon semblait issu d'un mécanisme bien réglé sorti de je ne sais quel cerveau malade, qui d'un coup animait les ombres et celles-ci follement semblaient prendre plaisir à se déplacer. Les yeux des biches se posaient sur mes lèvres, attendaient que je me décide, leurs jolies têtes crème me harcelaient, guettant le bon moment où je me déciderais à parler. Un choeur de biches pendues au bout de chaque oreille, doucement balancé par la brise de Janvier, l'une, se décida, il fallait en finir et prenant son élan (car elle était timide) elle osa la question plus lentement, pour que je la comprenne et articula tout de go :
"Vous aimez l'insolite ?".
Photos : (1 et 2 ) De ces choses qui vivent dans les murs, et qui grandissent sans notre accord...Murs/ murs. Lyon. 2010. © Frb.
Photo : (3) L'insolite et l'insignifiance, une montée une descente vues un jour de pleine lune dans la cour intérieure du Cinéma St Denis à la Croix-Rousse à Lyon. (Le ourj prisec ed al froncérence ud dangr te renevé Solok). Janvier 2009.©
10:49 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective, ô les murs !, Parlez vous Charmillon ? | Lien permanent
lundi, 01 février 2010
Jouer / Déjouer
"Je pense qu'on change à cause de ce que l'on fait. Si vous faites quelquechose par vous mêmes, vous verrez les choses à travers le fait de votre activité. Arrangez vous pour que ce que vous faites ouvre à ce qui est."
JOHN CAGE : extr. "Entretien à Yale journal" in "John Cage par J.Y Bosseur. Editions Minerve 1993.
(Si vous préférez le silence aux sons, vous pouvez cliquer sur l'image).
On a beaucoup entendu dire à propos de JOHN CAGE que même si ses idées ne manquaient pas d'à propos, sa musique, elle ne présentait que peu d'interêt et de consistance (cette même critique fût également émise quelques années plus tôt à propos de Erik SATIE). A travers un tel jugement on peut reconsidérer l'éternel malentendu provoqué par une sommaire opposition entre l'art et la vie, la théorie et la pratique, la créativité et la réceptivité. JOHN CAGE paraphrasant L. WITTGENSTEIN disait :
" La signification c'est l'usage".
On sait que CAGE n'a jamais bâti de théories abstraites préalablement à ses oeuvres : "Je n'imagine jamais rien avant de l'avoir expérimenté" (1969). Tout est là. Ainsi, lorsque JOHN CAGE rendît visite à un potier traditionnel et le questionna sur sa pratique, ce dernier lui déclara : "Ce n'est pas l'objet en lui même qui m'intéresse, mais le fait de le fabriquer". La méthode du potier fît toute l'affaire de CAGE. Tout au long de sa vie il se comportera en homme pragmatique qui se plaît à garder les pieds sur terre malgré la dimension topique de son oeuvre. La découverte du piano préparé, l'épreuve du silence, le recours aux méthodes de hasard et à l'indétermination, sont liés à une circonstance concrète et non issus d'un procédé analytique. Une immense place est également accordée à l'écoute et à l'observation. C'est peut être ce sentiment du vécu qui donne une forme d'évidence à sa musique, même si cette évidence, n'est là, en fait, que pour susciter des interrogations multipliables à l'infini.
"La perception ne constitue-t-elle pas une forme d'action ?"
Cette disponibilité vis à vis des sons et des circonstances les plus variées, on la retrouve dans la manière que CAGE a de vivre les situations et les rencontres, dans ce qu'elles ont de moins prévisibles, de déroutant, dans sa façon de déjouer les obstacles. Un exemple entres autres, (ils sont nombreux) : en 1984, JOHN CAGE, imagine pour la Radio de Cologne, une rencontre de circonstance (une de plus) : HMCIEX où se mélangent les musiques populaires de 151 pays qui reconnaissent le comité olympique. Dans le titre on trouve à la fois, les lettres M, C, et E, du "Here comes everybody"= Ici vient tout le monde", cher à JOYCE, alternant avec les lettres: M, I, X, qui contribuent à identifier plusieurs productions électroacoustiques:
"Tout ce que nous faisons se fait sur invitation. Cette invitation émane de soi-même, soit de quelqu'un d'autre."
Selon JOHN CAGE, composer pour autrui, devrait consister à donner aux autres, ce qu'ils souhaitent et non pas ce qu'on souhaite leur donner en tant que compositeur :
"Chaque son est un son merveilleux [...] et prendre conscience de l'interêt de chaque son, refuser de sélectionner, de classer, c'est pour moi le signe d'un pas (peut-être minime et même insignifiant au regard des gens sérieux et autorisés), mais je suis joueur !"
Ainsi JOHN CAGE franchit une étape nouvelle dans le sens de l'ouverture, de la non-hiérarchie, et du non-empiétement :
"[...] Où plus rien ne sera dicté, où chacun sera libre de décider de sa conduite et de vivre les plaisirs qu'il souhaite".
Nota: Ce billet a été largement inspiré par la lecture de l'ouvrage "John CAGE par Jean-Yves Bosseur" cité plus haut (et très bon pour le poil de notre lecteur mélomane).
Photo : l'une des multiples possibilités d'agencement des graviers, peut-être un peu sonores, (par la grâce d'une semelle bien préparée), vus sur un quai d'une gare de campagne. Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.
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dimanche, 31 janvier 2010
Là où nous ne sommes pas
A vendre les Corps, les voix, l'immense opulence inquestionnable, ce qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas à bout de solde ! les voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de si tôt !"
ARTHUR RIMBAUD : extr "Solde" in "Illuminations". Librairie Générale française 1984.
Pour lui plus activement, j’utilisais mon influence en l’aidant à porter le plus lourd bonheur au sublime. Une fine vapeur, et je crus voir s’ouvrir le ciel, des années de jeunesse, un premier mot dont je réalisais qu’il était de la plus grande importance. En louanges serrées, dans cet aimable lieu où les roses griffaient les murs, me revenait toujours le son volumineux d’un adage pendu aux fresques de Janvier. De toiles lues dans l'ombre en descriptions de runes, je vis venir la nuit dévorer le matin. Une vision où l'espace balayé par les brumes traînait des fusées lentes et des flacons de vin.
Pillage et contrebande, paradis sans cépage, coupé tout net à la racine. Pour lui plus activement je remuais les trains en m’étonnant qu’ils glissent ensemble sur tant de lignes à la même heure et en même temps. Des cahiers de jeunesse d’un goût très raffiné s'effeuillaient dans la moleskine. “puisque vous êtes si bête, enfin... ” me disait il... il serait doux de nous trouver bêtes en même temps, un jour, ou deux, entre ces lignes".
En attendant, j'apprivoisais sous les voûtes romanes des animaux bizarres à ventres de fourrure. Tout cela paraissait de l’ordre du devoir et du travail bien fait.
Pour elle plus activement, avec des gants blancs de jardin, il remuait le ciel, la terre en s'amusant, et je renversais tout sur un nid de serins où se liaient patiemment les digitales brunes.
Ensuite je rentrais au logis. Il y avait les horaires des trains et ceux de la toilette du troupeau d’élandins qui dans mon esprit se mêlaient, c’est ainsi que souvent, je mettais la ligne après le point, et le chapeau du i sur les ê. Les trémas restaient dans ma main. Pour ne pas me faire prendre j'accentuais les graves.
”Puisque des jours ne t’ont laissé qu’un peu de cendre dans la bouche” (1) ...
Pour lui plus activement, je mélangeais mes cigarettes aux fumées des usines, mes poumons me semblaient plus grands. Les bons amis assis sur des petites chaises conversaient de nous au salon.
Pour lui plus activement, je déposais dans la rivière des gros cailloux, des petits bonbons effervescents, tout enrobés de réglisse et de zan qui pétillaient dans l'océan. Les trains transportaient des ébats et des sacs à dos en peau de chèvre. Dans cet aimable lieu, des baisers de géants explosaient les séries de chaises. “La vie est donc éparse à ce point !", nous disions-nous gaiement. Les amis tombés de leurs chaises trouvaient qu’on ne tournait plus très rond, et dans le wagon Treize du rapide “Rhône-La mer”, des hommes chargeaient les épuisettes des pêcheurs de petits bonbons.
Ainsi tout de travers, j’entrais sous une chappe pour lui dans ce silence
qui régnait au salon. Elle repeignait les chaises, et je vis notre rêve renaître doucement :
Tous les gens du salon, se transformaient en chèvres.
Nota (1) : Cet extrait cité plus haut, a été emprunté au poète Paul-Jean TOULET
Photos : Un des murs des menus plaisirs ou des pires lamentations, (tout dépend des jours), vu au coeur de la Baraban (pour les gens), "pissenlit" en patois, (pour les bêtes). Quand en hiver, les murs racontent l'histoire de l'art ou celle de la peinture... Photographié l'année dernière, rue Baraban du côté de Paul Bert à Lyon © Frb.
04:13 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
samedi, 30 janvier 2010
Ma soirée avec Roland
Ma soirée du Mercredi 3 février à 20H30 pétantes, je la passerai à écouter Roland Thévenet, qui donnera une petite causerie, (d'autres diraient une conférence), intitulée "Reflets du territoire dans la littérature Lyonnaise", proposée par l'esprit Canut. C'est au cinéma St Denis, N° 77 de la grande Rue de La Croix-Rousse à Lyon. Ceux d'en bas prendront la Ficelle, pour rejoindre la "colline qui travaille" (direction Métro Croix-Rousse), l'entrée ne coûtera que 5 euros. Pour une soirée qui s'annonce d'ores et déjà passionnante.
ROLAND, c'est notre ami ROLAND THEVENET alias SOLKO, pour les glaneurs habitués à balader leur truffe de blog en blog et ceux qui ne connaissent pas encore quel style de soirée nous prépare le "causeur" (ou le conférencier disent les belles personnes), ils peuvent aller faire un tour sur le BLOG à SOLKO, dont certains disent déjà qu'il est "blog cultissime". Mais Solko n'aime pas trop les formules à la mode. Avertissement quand même aux personnes non prévenues, si l'on s'y plonge une heure, il se peut que la lecture dure toute la journée, tant les billets foisonnent et tant on en apprend, et plus on en apprend plus on veut en connaître. Il est comme ça SOLKO alias ROLAND THEVENET. Il nous transmet sans peine, l'envie à la fois de lire, de se promener et de chercher aux racines de quel bois nous sommes faits. Voici le lien à visiter pour une mise en bouche :
Cela vous donnera sûrement une idée. Et l'envie de vous rendre, à la causerie, dont on sait par avance, qu'elle sera éloquente et finement érudite.
Reflets du territoire...
Il s'agit bien de voir comment le territoire (deux fleuves, deux collines) et les quartiers pour pauvres et pour riches au fil des siècles ont laissé leur empreinte dans ces romans si délicieux dont on ne parle plus ou presque. Si l'on n'en parle plus, c'est donc qu'on ne les lit plus ? Question. Il ne serait pas étonnant que la causerie ou conférence nous insuffle quelques envies, en plus de son thème car le causeur est tellement à coeur dans ses sujets et les mène si loin, qu'au retour de la conférence, il y a fort à parier qu'on aura la tête mieux faite.
Pour tout savoir vraiment à propos de la causerie même, je relie ce billet à l'annonce officielle qui se trouve au domaine du Roland :
http://solko.hautetfort.com/archive/2010/01/12/b328bc2a39...
Après quoi la maison (qui a bon goût) ne saurait que vous recommander vivement cette soirée, j'ai regardé le programme de mercredi dans le Rama Rama à 20H30, c'est désolant, il n'y a rien que de la daube à télé. Alors c'est décidé ! moi je passerais ma soirée du mercredi 3 Février au ciné st Denis (CIFA) avec Roland, (et personne d'autre). Les causeries se font rares, et puis c'est tellement beau, les pages d'un livre, les encriers, traversés par un territoire. Je ne saurais rien vous dire de plus...
Nota : no ognire encroe à ectet ehure is al nefi rufle ud charmillon iqu se pladécera en êcachle prou jionredre les traspintons d'honrune ud CAFI, ratradui émusintlament la froncérence en charmillon, Dralon Vhettene blemsait ride uqe nno. Nifamelent, ec t'nse teupêrte sap supl lam...
03:09 Publié dans A tribute to, Actualité, Affiches, panneaux, vitrines, Balades, Mémoire collective, Tapis rouge ! | Lien permanent
jeudi, 14 janvier 2010
La rue de nuits de nuit...
Dans la nuit
Dans la nuit
Je me suis uni à la nuit
A la nuit sans limites
A la nuit
HENRI MICHAUX : "Dans la nuit" in "Plume". Edition Gallimard 1963.
"L'Aru denu ivud enui : petite musique d'INUIT
Rue de nuits = le S a son secret qui vous glacera le sang ➞ ICI
Ouïr le son de la nuit ➞ HERE
Photo : Deux nuits . Lyon, Croix-rousse. 2009.© Frb.
dimanche, 10 janvier 2010
L'air du temps et les métamorphoses
"L'organisation terrestre est ainsi construite que l'Atmosphère est la souveraine de toutes choses et que le savant peut dire d'elle ce que le théologien disait de Dieu lui-même : en elle nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes. Condition suprême des existences terrestres, elle ne constitue pas seulement la force virtuelle de la Terre, mais elle en est encore la parure et le parfum. Comme une caresse éternelle enveloppant notre planète voyageuse dans une affection inaltérable, elle porte doucement la Terre dans les champs glacés du ciel, la réchauffant avec une sollicitude incessante, charmant son voyage solitaire par les doux sourires de la lumière et par les fantaisies des météores"
CAMILLE FLAMMARION (1842-1925) : "L'atmosphère : météorologie populaire". Edition Hachette 1888.
Il était difficile d'avoir quelques nouvelles, les phrases arrivaient dans le désordre sur cette moire dont les cristaux nous lacèraient le sang. Quelques uns se sentaient enfermés dans la neige. Les infos se colportaient par coupons aberrants : "Météo France a levé toute sa vigilance [...] (orange, qu'elle est la vigilance !) mais la neige ne s'arrêtera pas de tomber pour autant" (!). Un journaliste sorti des grandes écoles, annonçait pour Grenoble, vingt centimètres de neige un évènement (dixit) "sans précédent" (depuis 2005 !!!). Cette brouillasse d'information humaine fit le tour de la terre presque instantanément. On aurait dit que tout l'hiver, sa couleur et son blanc, venaient aux spectateurs gobés tout crus par les nouvelles, en cette "exceptionnelle saison sans précédent". Chacun encadra les pépites pour en rire jusqu'au printemps. Les vieux d'ici scrutant le ciel, racontaient que "les vrais ploucs finalement étaient ceux de la ville". Et l'on se régalait, empalant la carotte sur la bouille du bonhomme de neige. On se délectait aussi du vieux sens paysan tandis que le Bébert hilare sous sa casquette, rattrapait son basset par le haut des oreilles : "il se sauve tout le temps c'tu foutu tsin ! il l'en veut après La Youquette". Alerté par les aboiements, le maître de La Youkette, sortait de sa cour en remontant sa culotte de velours. Et du chemin, sa grosse gueule violette qui bougeait toujours en parlant de gauche à droite, de droite à gauche hélait le Bébert et regardait La Youkette slalomer entre les barrières puis retomber sur ses pattes avant : "Ah ben vindiou ! toutes ces bestioles, c'est bien plus agile que les gens !". Il récitait par coeur une liste d'accidents lus dans la Renaissance d'hier. Puis tout s'assombrissait en causant de "la Marivette" dont le fils aîné était mourant. Le visage soudain renfrogné du Bébert, énumérait les endroits de tous les accidents qu'il y avait eu depuis la venue des neiges, à la sortie de la route express, et au virage de l'étang de "La prâle", sur la route de La Caillette. Le maître de La Youquette enchaînait : "Tant qu'y aura pas eu un car scolaire et des enfants morts dans l'étang...". Le Bébert écoutait, contemplant ses grandes bottes caca d'oie en caoutchouc collé au blanc, tandis que le basset, (avec ses pattes qui remuaient l'air) me regardait d'un air émouvant. Le Bébert dit que cet après-midi il mettrait dans les arbres des boules de graisse pour les pinsons, que demain il y aurait du brouillard à pas sortir de la maison, que le Philippe Seguin était mort, que la Marthe était dans le coma. Qu'il y avait encore eu un malheur, un grand malheur chez les Cantat". Il attendit en soupirant, la sentence de son gros voisin qui ralluma son bout de Boyard avec une sixaine d'allumettes et lança après avoir longtemps eu l'air de soupeser les évènements : "Ah ben ma foi que voulez vous c'est ben comme on dit à Vendenesse :
"Brouillards en janvier, mortalité de toutes parts"
Et malgré l'antidate au domaine, les lendemains tous pareils, (c'était mis dans le journal comme ça) = "tous fidèles à eux même, des lendemains sans précédents", se suivirent et se ressemblèrent. Des hommes aimés, des excellents se firent la malle. Et les sanglots du rude hiver fûrent absorbés atmosphériquement, tandis que le maître de la Youkette tournait les pages d'un minuscule carnet qu'il avait toujours dans la poche où se trouvaient le nom des Saints, les commissions, et les dictons pour les récoltes.
"Un mois de janvier sans gelée
N'amène jamais une bonne année."
"Si la Saint-Antoine (1) a la barbe blanche,
Il y aura beaucoup de pommes de terre."
"Garde-toi Du printemps de Janvier."
Ces adages comme des marelles se parcouraient à cloche-pieds. "Tu lances le palet, tu le pousses avec le pied, 1, 2, 3 ... jusqu'à 8 et tu sors !". Si le palet se trouve sur un trait, il faut tout arrêter.
Plus loin des employés de la municipalité marchaient un peu à travers champs avec des cabas à carreaux ils s'en allaient jusqu'au hameau dit de "L'enfer" apporter du ravitaillement. Le Bébert parla de la Mado qu'en bavait trop avec son homme, faut dire que le Jeannot il trainait le soir à la Caillette avec des gars qui l'embringuaient, à jouer et à boire des canons. C'était lui qu'arrosait les gars. La Mado ça faisait des années qu'elle tirait le diable par la queue et trimait comme une sacrifiée pour pas que la ferme périclite. Quand l'Jeannot il rentrait, raviné au Clapion on l'entendait brailler jusqu'aux cabanes des pépinières, y'en a même qui disaient qu'il tapait la Mado. "Elle est brave c'tu Mado, et le Jeannot il la mène" répondait le maître de la Youkette "Ben moi, ma feûne si je lui en foutais sur la gueule, ça se passerait pas comme ça ! et pis c'est pas au mari à faire des choses pareilles! une feûne moi je dit que ça se respecte Vindieu !". Le Bébert tripota le pompon de sa casquette. La neige recommençait à tomber, bien drue. Les deux hommes se regardèrent longtemps, un vrai face à face de western dans un silence très velouté ponctué de "ma foi". Ils passèrent encore en souvenir tous les mois de l'année dernière, la première douceur de Janvier "qu'on ne connaîtrait ma foi pas c't'année" et les mois rassemblés faisaient encore un almanach : Plus de 300 préceptes pour la vie ordinaire et des dictons pour chaque saison :
"Regarde comme sont menées
Depuis Noël douze journées
Car, en suivant ces douzes jours
Les douze mois feront leur cours."
Les deux hommes se saluèrent et promirent de se revoir comme ils l'avaient prévu, au banquet pour la St Vincent. Les chasseurs de la giboulette, introniseraient leur président dans la petite salle du comité des fêtes, les vieux feraient cuire le sanglier, les biches, les perdrix, les faisans. La Youkette; le basset grelottaient dans la neige. Il était temps de rentrer. Le maître de la Youkette se retourna et lança l'épilogue qui résonnait dans la grande terre : "salut Bébert, et pis ma foi ! revoyure à la St Vincent ! y z'y ont annoncé que normalement après le 20 ça sera le redoux !" Le Bébert agita sa casquette, cria tout au milieu du champ une de ces phrases de bonne patience qui réenchanta le hameau. Dans cette tonalité parfaite, de moelleuses météores nous effacaient lentement. Tous fondus dans le paysage, nous retrouvions le paradis, juste là où il avait été crée. Cette fine allégeance mollissait en nos corps, biffait le cours des volontés, nous errions comme des plantes lourdes dans ce pays perdu. Le basset, La Youkette courant devant, truffaient quelques flocons. Sur le bout de la langue, quelques bribes savantes, déroulaient des oracles. Une vieille boule de cristal roulait sur les saisons. Il en était jeté de toutes les décisions qu'il nous restait à prendre...
"Saint-Vincent (2) clair et beau,
Plus de vin que d'eau." .
(1) = 17 Janvier - (2) = 22 Janvier
Photo : Neige au hameau et sur le chemin de "La grande terre". Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.
03:02 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
vendredi, 08 janvier 2010
Tronche de neige 1
Ou le ravissement de l'hiver
Le petit bonhomme d'hiver serait sans doute encore plus ravi avec Melle la pleine lune mais comme Melle la pleine lune prend son goûter, je vous invite à aller l'admirer "du bout des doigts" sur le beau blog à Luc.
22:34 Publié dans Actualité, Art contemporain sauvage, Arts visuels, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
jeudi, 07 janvier 2010
Tronche de neige 2
06:56 Publié dans Actualité, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Mémoire collective | Lien permanent
mercredi, 06 janvier 2010
Hameaux couverts
"Ils agonisent longuement dans l'herbe poisseuse, et le premier laboureur qui les découvre, à l'aube, imagine déjà les sombres histoires d'amour qui auréoleront le nom déformé de la victime, aux soirées d'hiver, dans vingt ans et plus. "
ROBERT DESNOS in "Le rêve de Foujita". Extr. de "Récits, nouvelles et poèmes". Editions Roblot 1975.
Le silence revenait en écho. On attendait la neige. Lui, ce qui l'interessait ce n'était pas de regarder la neige. Mais de la fabriquer. Il avait fait courir le bruit, et la lumière avait baissé. Le lendemain sur les chemins défilaient des laines polaires. Dans ce chaos, lent, fascinant, glissaient des corbeaux freux et des pyrrhocorax graculus conversaient à coups de "schkwahk! schkwahk !". Sur un chariot des paysans chargeant des sacs de sel, de sable parlaient d'une bonne femme dépressive du hameau où vivait la Francine qu'avait tué son homme à coups de carabine.
L'autre, ce qui l'intéressait ce n'était pas de regarder les gens mais de calculer comment la neige viendrait dans leur esprit, y déposer ce grain et la boule de givre qui roulerait sur les évènements, dévorerait les âmes impitoyablement. Le silence feutrait la rumeur, il y avait des on-dit. Au village alentour, une femme avait tué son homme parce qu'il courait. Chacun se demandait : "Son homme courait. Mais avec qui ?". Ils croyaient tous dur comme fer en la neige, celle qui ensevelit, quand leur bonne fée sournoise, viendrait à point fermer les pages remplies de l'encre qui coulait mais n'arrivait pas jusqu'ici. Et sous la paille mauve de la vieille Euphrosine, un épi malheureux caché sous la tripaille, le dernier mouvement d'un rêve anthropophage, ensanglantaient son lit. Ce qu'elle avait rêvé la veille, elle le racontait le lendemain. Et elle le racontait si bien, avec son gros bec de volaille, que tous les villageois se groupaient devant la mairie pour écouter jacter l'aigre et la chevrotine et ils en revenaient la langue bien aussi chargée qu'Euphrosine.
L'autre, ce qui l'intéressait ce n'était pas le bec d'Euphrosine mais le museau des rats qui mangeaient le ver du fruit en accouplant tous les on dit aux candiratonnailles. D'autres nuits revenaient encore, et des longs chats à poils d'or miaulaient sous les fenêtres de ceux qui l'année précédente, sous prétexte d'un voyage à Dyo, avaient donné des coups de couteau au contrat de mariage. La vieille qui n'avait jamais connu d'homme, regardait le haut de la montagne, l'oeil craintif, la croupe sertie dans des cotillons de maille beige frottés aux rosaces d'un panty. Ce que demandait Euphrosine : un geste favorable, c'était fabriquer de la neige avec lui. Sentir le clou dans cette entaille. Fondre dans ce délit.
Là haut, entre meurtières et murailles, l'autre regardait Euphrosine jeter des crosnes dans l'eau bouillie, marmonner seule les saloperies de ses rêves sur ses casseroles. Et ça faisait une vapeur peuplée d'ombres et d'odeurs molles, dont il enrobait Euphrosine qui ressentait alors de ces choses incroyables tout en bas de son ventre. Quand tout cela était fini. Euphrosine redevenait méchante. Autour de sa bouche, une bave. Et c'était reparti.
La neige on l'attendait, pour sûr ! Plus impatiemment que les Rois Mages. On l'attendait comme le messie. Ce qui sourdait dans cette attente déclenchait toutes les avaries et l'eau brune des boutasses du hameau des "Piques" à "La Pelaude", débaroulait sur les cabanes, recouvrait le bourg de sa vase. Un monde devenu limoneux. Mais le limon ne gagnait plus. Chacun restait dans sa cabane. Le coucou parfois chantait l'heure. Des pommes blettes sur un bahut, un peuple de pelles et de pioches, retranché dans ses cabanons, stockait son sucre, en tordant des reinettes dans des bouteilles d'alcool de poire. Tous ici attendaient la neige. Et si la neige ne venait pas, il y aurait encore un drame. C'est ce que racontait Euphrosine.
L'autre, ce qui l'intéressait, quand il fabriquait toute cette neige c'était d'en préciser le blanc. D'en extraire le pesant. Son point d'apparition. De perfectionner la matière, de la goûter jusqu'au moment où il pourrait s'en délivrer. Mais cette fois, il était en retard. Ces infinités de façons, le secret qui vient au flocon, toute la légèreté du cristal, étaient tombés de l'alambic. Et les cotillons de la carne, à l'heure où il crût en pleurer troublait le coeur du papillon qui redevenait larve. Ils avaient tous trop attendu. La méchanceté de la vieille allait faire des petits. L'autre savait qu'il n'y aurait pas assez de neige pour tout le monde. Il ne restait qu'une solution pour empêcher la méchante femme de faire grêler sur le pays des paroles pire que la gale.
A minuit environ, cela vint comme un mauvais charme dans le cabanon d'Euphrosine. Un portail grinça au jardin. Elle se retourna dans son lit, avec son grand bec de volaille, elle cria "Qui est là ?". L'autre avançait à pas de chat, un corps lourd de bête docile et doré comme du pain d'épice. Elle lui tendit les bras, de grands bras en lambeaux. Son bec claquait gaiement, elle bêla : "Tu es beau". Il entra dans le lit, posa doucement sa bouche sur le cou de l'épouvantail et répondit "C'est moi, tu vois, je suis venu". Euphrosine succomba trois fois et sentit par trois fois la neige velouter ses entrailles. A six heures du matin elle s'éveilla seule dans son lit. Il faisait encore nuit. Devant la glace elle s'aperçut que son bec de volaille et le sang sur ses draps avaient miraculeusement disparus. Elle attendrait le petit jour pour en informer le village. Elle désirait que tout le monde sache qu'elle était une autre Euphrosine. Elle demanderait pardon aux habitants, à Jésus, à Sainte Euphrosine. Sous le châtiment du bavard elle irait dire des "Notre Père" à l'Eglise de Bois Ste Marie. Jésus lui pardonnerait contre une messe et des prières, les habitants seraient sans doute moins indulgents, mais ils s'habitueraient. Parce que l'autre, un jour, tôt ou tard, finirait bien par l'épouser.
Le journal avait annoncé quinze centimètres pour la nuit. La Francine réfléchissait. En y allant à dos de mulet elle pourrait arriver aux "Piques", juste avant le lever du jour. C'était un vieux pari stupide. Elle avait promis au bon Dieu que si la neige ne venait pas le 6 janvier exactement au moment du lever du jour, elle dénoncerait Euphrosine. L'autre qui tirait les plans et la neige dans ses alambics ignorait tout du dénouement. Puisqu'il n'y avait pas assez de neige pour tout le monde, il les laisserait ensevelir.
Le jour vint, sans un petit flocon, sans la moindre gouttelette de givre. La Francine à dos de mulet dépassa le bourg de Dyo. Euphrosine pour la première fois, avait mis du senbon, et nettoyé sa paille mauve au Palmolive. Parée d'une toque en Astrakan on pourrait la trouver aimable sans son bec de volaille. La Francine arriva très tôt. Bien avant Euphrosine. Elle avait eu le temps de sonner à toutes les portes, d'avertir les gens du pays. Quarante trois cabanons, plus les maisons des "Piques" et celles de "la "Pelaude". Euphrosine partit en chantant dans sa nouvelle peau d'Euphrosine. La Francine qui parlait jamais mais regardait tout derrière sa vitre, donna le nom de celle qu'avait couché. Quarante trois cabanons, autant de carabines. Euphrosine n'eût pas le temps d'atteindre la place de l'église. Ils visèrent tous en même temps. L'autre rangea ses alambics. Il y eût une mare de sang sous un ciel assez dégagé.
Photo 1 : La frontière du hameau des "Piques".
Photo 2 : Le son d'un pas sur "La Pelaude".
Photographiés vers l'ancienne maison d'Euphrosine, par l'autre. Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.
07:39 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, Ciels, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
lundi, 04 janvier 2010
Appréciation du jour et des saisons
Ô fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue,
Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue
D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau
D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.
CHARLES BAUDELAIRE : "Brumes et pluies" in "Les fleurs du mal", éditions Gallimard 2005.
Le cycle saisonnier a obsédé le XVIIIem siècle. La fin du XVIIIem siècle et le début du XIXem se sont révélés décisifs. On commence à lire dans les journaux et les carnets, l'accord entre l'être intime, le sentiment du moi et les évènements météorologiques. "Les baromètres de l'âme" pour citer notre ami Jean Jacques qui s'appliquait à capter l'éphémère. Une correspondance s'établit entre la variabilité de l'être et celle de l'état du ciel. Le nuage, la brume ou la pluie affectent profondément l'être. Les carnets de JOUBERT sont un exemple parmi d'autres. Il nous a légué des pages étonnantes de modernité sur les sentiments éprouvés par l'individu sous l'averse.
Lors d'une enquête réalisée à la fin des années 90 de notre siècle sur le brouillard par Lionnette Arnodin "A la poursuite du brouillard, énigmes et mystères", 275 individus furent interrogés, afin d'analyser la manière dont ils percevaient le brouillard. Pour beaucoup, le brouillard paraît coloré. Les personnes interrogées utilisent fréquemment le suffixe "âtre" (Blanchâtre, grisâtre, bleuâtre), il est perçu sans odeur, tout au plus il peut évoquer l'humus, odeur de terre que l'on croit respirer. Il constitue plutôt un moment pour les hommes et un lieu pour les femmes. Il est apprécié parce que doux, moelleux, ouaté mais aussi esthétique, poétique, silencieux. Il est "L'effaceur de ce que l'on ne veut pas voir". Il n'est pas apprécié, parce qu'il est froid, dangereux, hanté, évoquant les cimetières et la mort, porteur de signes mystérieux qui inspirent la crainte. Il semble plutôt lié au diable qu'à Dieu. On l'associe souvent à la fumée, à la ville de Londres, aux fantômes et aux labyrinthes. Il inspire une peur archaïque parce qu'il isole, masque, étouffe, absorbe. Les enfants détestent le brouillard, les hommes l'apprécient peu, les femmes l'apprécient davantage. Le plus intéressant, c'est qu'il n'existe guère de rapport entre la réalité du brouillard et sa représentation. Par exemple, il est moins fréquent en Bretagne que sur la côte d'azur, il n'est pas aussi présent qu'on le croit en Angleterre bref ! (je vous épargne la carte du monde). De toute évidence nous nous sommes construits une géographie du brouillard, qui est en fait, une géographie imaginaire issue probablement de nos lectures. On s'imagine qu'il y a du brouillard dans les contes, alors qu'il y en a peu, mais par contre la forêt dans les contes est toujours présente or il nous plaît d'associer le brouillard à la forêt. On s'imagine qu'il y a brumes et brouillard dans les oeuvres de SHAKESPEARE, alors que l'auteur l'a rarement spécifié. Même chose dans les romans de CONAN DOYLE, "Le chien des Baskerville" (pour ne prendre qu'un exemple au hasard) ou pour "Le Grand Meaulnes". Peut être parce que notre esprit se représente toujours SHAKESPEARE avec des fumigènes ? Et que dans un "Grand Maulnes" (du genre vu à la télé, ou au ciné) il y a du brouillard, effectivement. L'appréciation dépend aussi beaucoup du vocabulaire. Celui qui définit les météores en différentes langues n'est pas si précisément transposable. Dans la "Divine Comédie", il est question de "fumi" que l'on traduit tantôt par fumée, tantôt par brume, ou encore par brouillard. Le brouillard est féminin dans certaines langues, masculin dans d'autres. Le brouillard a aussi longtemps été associé à la nuit, figurant le lieu des sorcières. Dans la littérature de HOMERE à nos jours, il symbolise une frontière entre le sacré et le profane. Il augure le passage dans l'au delà. Il sépare la terre du paradis. Il permet l'accès à un monde où se retrouvent ceux qui ont manqué à leur parole, ceux qui ont été infidèles en amour. Enfin, le brouillard nous signifie l'ensevelissement, la pénitence, le châtiment. Mais ce que je préfère dans le brouillard, c'est son aspect délimité sous formes de lambeaux ou nappes, son étrangeté peuplant notre imagination de créatures improbables. Cette béance de la croûte terrestre, ouvrant un monde où les génies, la dame blanche, les lavandières de la nuit... les vaisseaux fantômes, ou les arbres gommés, quasi pantelants, quêtent un lent supplément à la nuit, et invitent insidieusement l'homme à vouer son âme au purgatoire.
Un certain jour (pas trop promis) je vous parlerai peut-être de la pluie, de l'ouragan, ou de la neige si la Dame blanche ne me mange pas.
Ces notes ont été largement tirées du livre d'Alain CORBIN "L'homme dans le paysage" paru aux éditions Textuels (2001), dont vous trouverez quelques extraits : ICI
Variation sur un même thème, à voir :
http://www.dailymotion.com/video/x24p1i_nuit-et-brouillar...
http://www.youtube.com/watch?v=1djGyCj1vCk
http://www.youtube.com/watch?v=26DRA09tTik
Et comme tout finit par des chansons, à écouter :
http://www.deezer.com/listen-288401
http://www.youtube.com/watch?v=NqlpymCyGu0
Photo: La naissance du brouillard photographiée au pied du mont St Cyr en Nabirosina. Le 04 Janvier 2010 .© Frb.
19:37 Publié dans Balades, Ciels, De visu, Mémoire collective | Lien permanent
dimanche, 03 janvier 2010
Se faire couler un bain
06:23 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le vieux Monde, Mémoire collective, Objets sonores | Lien permanent
vendredi, 01 janvier 2010
Un nouvel élan à partir d'aujourd'hui
Lectrices, lecteurs, mes chers compatriotes,
Les objectifs ont été remplis. Le bilan est positif. Il s'agit maintenant de monter plus haut...
Nous en sommes tous capables. Et nous relèverons ce défi !
Durant l'année 2009, des millions d'hommes et de femmes (ils se reconnaîtront) ont mobilisé des forces phénoménales pour que vive certains jours. Lecteurs, commentateurs, ont oeuvré, sans relâche, pour que certains jours soit meilleur (soillent meilleurs ? sont meilleurs ?) et je les en remercie.
En 2009, par la grâce de ces voix (voies ?), venues de France et de Navarre, (Lyon, Paris, Mâcon, Ardennes, Belgique, New york, Suzy les Charolles, Bordeaux, Marseille, Canada, Arcueil, Couzon, Metz, etc... ), nous avons vaincu la morosité. Cette morosité dont on nous rabat rebat les oreilles, nous l'avons terrassée ici, (et là bas), sur l'autel de la joie et la bonne humeur, sur l'autel du savoir et de la poésie.
Qui parle de morosité ? Qui osera effleurer ici, le thème de la "morosité" sans rire toutes dents dehors ? Vous connaissez mieux que quiconque la raison de cette bonne humeur. Elle est inouïe et toute bête en même temps : nous nous sommes, élevés, simplement, à notre guise, ne formant qu'un seul corps (et quel corps !) afin de nous placer, tous, un par un, deux par deux, en file indienne, ou assis en tailleur, très au dessus de la morosité durant toute l'année 2009.
Quand je feuillette les pages du grand album de l'année écoulée, je n'en crois pas mes yeux.
En 2008, nous étions 5 ou 6 (c'était déjà pas mal), en 2009 les effectifs se sont multipliés, je ne dirai pas à la vitesse de la lumière mais presque. Nous étions des centaines, nous voici des milliers. Et c'est là notre force : nous n'avons pas baissé les bras à la première difficulté. Notre atout, et il est admirable, (sans vouloir nous flatter), c'est que la difficulté (qu'elle s'ouate soille première ou dernière) n'existe pas dans notre esprit, ni la facilité d'ailleurs. Ce qui existe, c'est AUTRECHOSE ! une chose plus GRANDE que cela. Cette chose qui n'a pas encore de nom à ce jour, qui court déjà sur ses petites pattes, nous allons la regarder venir. ENSEMBLE. Et nous allons la sublimer. Ensuite nous nous réunirons dans l'herbe pour en goûter la quintessence et nous ferons cela chaque jour de cette nouvelle année si ça nous plaît. Et si ça ne nous plaît pas, nous ne le ferons pas.
La grande idée, pour l'an qui vient, ne sera point que chaque pas soit un but, (trop facile !) mais que chaque pas soit un (ou plusieurs) chemin(s). Et pourquoi pas un pont (en voilà une idée, pardon, Solko, je vous la pique !). Serait-il concevable à notre esprit, qu'on puisse se contenter d'un but ? De qui se moque-t-on ?
Sommes nous des personnes nées pour nous contenter ? Ah que nenni ! d'ailleurs à partir d'aujourd'hui, nous cesserons de demander, nous exigerons !
Notre priorité exulte : parfaire l'excellence. Mais pas n'importe quelle excellence ! une excellence de qualité. Je ne dis pas que ça se fera à coups de baguette magique. Je ne le dis pas, je vous le promets !
Voilà, mes chers compatriotes, ce que je nous souhaite pour 2010 et ce n'est qu'un prélude à la matinée de l'élan.
La montagne est très haute. Notre coeur est vaillant. La neige est blanche. La terre est ronde.
Des sommets nous attendent...
Ce billet est dédié à tous les lecteurs et commentateurs de Certains Jours (standing ovation) et comme ce jour est beau, je vous offre un RIMBAUD :
"Devant une neige Un Etre de Beauté de haute taille. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s'élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré, des blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes. Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent, et se dégagent autour de la Vision, sur le chantier. Et les frissons s'élèvent et grondent et la saveur forcenée de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, elle recule, elle se dresse. Oh ! nos os sont revêtus d'un nouveau corps amoureux."
Sur les trois derniers mots du poète sublime, je vous souhaite à toutes et à tous, une somptueuse année 2010 !
Nota : Afin de ne pas nous fâcher avec la CGE (Confrérie des Grands Elans) et l'ABDT (association des Beaux Daims de la Terre), et, pour ne pas éveiller les soupçons du très puissant CLA (comité des lecteurs abusés), Certains jours tient à préciser que notre élan n'ayant pas de pédigree, il pourrait s'agir d'un "Elandin", une espèce rare, originaire des Monts du Lyonnais, à ne pas confondre avec le "Wapiti" qui est légèrement plus foncé. (Les vétérinaires du Parc de La Tête D'or viennent de nous le confirmer). Je remercie tous les lecteurs (sauf un), de ne pas l'avoir remarqué.
Photo : Un nouvel élan. Vu au Parc de la Tête d'Or. Lyon. Décembre 2009. © Frb.
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lundi, 28 décembre 2009
Notes givrées 1
"La source de goutelette pour le givre est un nuage ou le brouillard [...] Il est fréquent en hiver sur le sol, la végétation, les objets et les aéronefs. Le givre peut également se déposer sur des flocons de neige dans les nuages et les enrober d'un dépôt glacé qui augmentera leur densité."
Wikipédia : voir "givre". (Si vous ne voulez pas vous en tenir à la poésie du Ouiki vous pouvez caresser l'image en appuyant bien fort, sur la petite feuille de lierre).
Le givre peut se déposer sur les créatures. Un seul hiver à peine les fardent pour longtemps. Cela n'a rien à voir avec les cheveux blancs. Chaque dépôt cache une plainte, quasi imperceptible, chaque blancheur couvre la haine d'une beauté ancienne. Le givre mou des plantes, les écailles rompues, et les cristaux de neige voilant la pépinière sont encore moins chancelants que ces coeurs en jachère, aux yeux exorbités, cherchant l'âme soeur dans les tanières, un sexe entre les dents, des fadaises pour la mère Noël.
Le dégivré empire l'affre du peuplement. Le dégivré est pire. Il se tient proprement. Il a sucé les vents sur des échelles humides, s'est barbouillé d'azur jusqu'à l'écoeurement. Le dégivré s'empiffre de matins agrippés aux grains qui se dépulpent dans l'eau tiède, souvent, le dégivré, y trempe des petits gateaux secs, et des biscottes sans sel lui rentrent dans la tête. La nuit, il dort. D'un sommeil bienheureux. Nul cauchemar ne le hante. Pas le moindre consentement s'immisce à ce qu'il fût, l'amoureux de naguère, l'étoile inaccessible, (Arcane XVII). Il a plié son drap, tué son jeu de flêches puis il s'est retapé... Il est sorti en ville avec son chapeau blanc, son souvenir piteux qui lui râtelait, au grand secret, le sang à petit coups féroces sous un linge admirable.
Son souvenir était piteux, il n'avait pas su l'entretenir. Tout se délitait doucement. Sur la blessure, il pouvait lire quelques mots désolés. Il l'était, platement. Et les sanglots de tant d'hivers s'atténuaient au fil des ans, tandis que le mercure remontait.
Le givré a pensé qu'il y avait bien des cochonneries qui grouillaient sous ce chapeau blanc. Et qu'il faudrait un jour, faire payer les vampires en les refroidissant. Le dégivré reniait son givre. Un givré malhonnête. Un suiveur impatient. Minaudant sur les sports d'hiver, roulant son paradis sur des notes de pêches. Attachant les roses par dix avec des kikis à frisettes. Voilà, ce qu'il reste du givré quand il a trop aimé et que sa fol' jeunesse se change en levure morte. Une suite de jours panoramiques liquidés sous l'enfant. Il fallait aussi balancer les chagrins malséants. Les uns n'allant pas sans les autres : L'alphabet doux, l'amour d'une fille. La cabane de l'Alceste, la grappe bleue des glycines à gratter dans la neige, pour piétiner au cul de l'an, les splendeurs d'un palimpseste.
Le givré berce ses hiéroglyphes. Il retrouve plus loin, le ruban d'une lettre. Et le vent mauvais de Janvier qui le laissa fou et muet, dix ans plus tôt, à l'abandon, dans un massif pas loin des tulipes de Juillet. Il avait essayé les cimes, il était retombé par terre, dans un grand trou, où poussaient les fougères, quand Décembre en fin de carrière gelait toutes arborescences. Puis il s'était laissé mourir, non sans avoir pleuré longtemps sur ce temps replié. Les derniers numéros perdants, deux ou trois journées immobiles qui n'en finissaient plus de redouter cet an mordu déjà de deux mil 10. C'était une nouveauté, que le monde entier, dit-on, s'arracherait. Mais pourquoi s'en moquer ?
"On cherche aussi nous autres le Grand Secret"...
Photo : La voie de son givre + quelques plantes au choeur floqué. (Le dégivré n'ayant pas désiré figurer sur cette photo, il vous présente platement ses excuses). Vu en forêt. Nabirosina. Fin Décembre 2009. Frb. ©.
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