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mardi, 04 mai 2010

Mes nuits sans Oscar Wilde

"On devrait toujours être légèrement improbable".

OSCAR WILDE in "Aphorismes". Editions Mille et une nuits. 1997.

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Là bas la nuit remue, ici elle est muette. Dans le hameau de Philippe J. il y a des pommiers des poiriers et des haies. "Comment peux tu aimer les haies toi qui écoutais "Man machine" ? Comment peut on tomber si bas"?. M'a t-on dit alors que la nuit s'étendait sur chaque chose et nous trouvait déjà tous à moitié ensevelis. La nuit fait tourner les électrophones, on me reparle du passé de ce temps où l'on "s'amusait", tous au réduit bien rabotés, il se peut que nos années folles, à flamber des sticks, à trinquer, furent juste celles du mortel ennui, cette nostalgie a fait école. Vingt ans, trente ans après, la déglingue fait encore rêver. Ô temps bénis ! tous les gri-gris ont fait école. La mère de famille de 40, de 50 ans même, gentiment décoiffée en ressortirait son kilt en zèbre. Une larme versée sur l'autre mouture du Cabaret Voltaire et puis dandinant son popotin entre zèbres et damiers elle irait vider le lave-vaisselle.

Ils sont anciens, ils ne tiennent pas la nuit. Ils travaillent le lendemain. ils portent le fruit d'un vieux bazar comme la grande histoire de leur vie Ils osent affirmer haut et fort "qu'il ne s'est rien passé de bien depuis". De bien ? Et depuis quand ? Sommes-nous venus sur terre pour savoir ce qui se ferait de mieux depuis ? La qualité n'est à personne. L'avant-garde est derrière. La nuit revient. Le charbon se frotte à l'alcool, d'autres n'en boiront plus jamais, épuisent la paire de hanche d'une bouteille de Perrier. Tout baigne.

Avec mon sécateur dans notre appartement, je taille les haies de Philippe J. Je dois lui rapporter au hameau très précisément lundi une haie presque parfaite. Georges allongé sur le tapis, me demande "Où as tu trouvé ce chat ?" "Mais quel chat ?  Mon pauvre Georges, c'est bien triste comme tu déraisonnes, à ton âge tu devrais arrêter." Georges insiste, "Oui, un chat il parait qu'il miaulait sous la pluie". A quelques mètres un peu plus bas, le Cendrars de la tante Yvonne griffe chez Léon, "les dernières colonnes de l'église". Le temps d'écorcher les consonnes. Georges me dit que le chat est parti. "Où a t-il pu aller ?". Pourtant j'aurais juré qu'il se plaisait chez nous. Mais Georges rectifie. "Chez nous c'est pas ici". "Ah bon.". Il est 2H37. Les amis de Georges n'ont pas rappelé, Oscar surtout on l'attendait. Il y a grosse bringue au Macumba de Craponne avec l'orchestre "Décontraction" et les "Crazy boots" reformés. Se pourrait-il qu'on nous oublie ? Je prends le "Libé" d'un vieux lundi, j'épluche des pommes, sur la photo de Sarkozy. Philippe J. Sarkozy font des reflets sur le génépi, des flots verdâtres irisés d'or. Georges me dit qu'il faudrait que je finisse de tailler la haie avant que le jour se lève ou au plus tard lundi. "Tu sais bien que ce lundi t'as ton cours de frisbee". "Tu as raison". Mais je pense en moi même que tailler une haie, c'est davantage un boulot d'homme. La tête prise dans un rayonnage, je cherche un truc qui commencerait par Art. Art Blakey, Art Tatum... Peut être Art Zoyd. Ca serait bien pour se donner du courage. Art ensemble of Chicago et nous voilà sonnés des cloches. On s'offrirait bien une virée dans un gros tas de coussins à franges. Mais le temps presse.

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"Sur l'autre versant orienté au midi il paraît qu'il n'y a pas un arbre". Georges a lu ça derrière la carte postale d'Ernest, avant de goûter une toute nouvelle boisson dont l'effet paraît il dure plusieurs heures. Il s'agit pour lui d'atteindre l'autre versant et de revenir. Maintenant il traverse le salon assis sur son éléphant blanc. Il me  demande "ça te gêne pas ?. "Pense tu ! moi ça m'est complètement égal". Mais c'est peut-être plus embêtant pour les voisins du dessous. Les Ducorchet, Guy et Annie, ceux qui ont collé un village schtroumpf sur leur porte d'entrée et quelques décalcomanies autour de leur sonnette, des dinosaures, principalement. Georges me dit que les gens sont hyperbizarres aujourd'hui. Il a raison. Ils ne veulent pas admettre qu'on fasse du bruit au dessus de leur tête. "Peut-être qu'ils n'aiment pas mon éléphant blanc ?" Georges s'assombrit (je sens que ça lui fait de la peine), je le console. "C'est quand même moins pire qu'un effraie". Tu te souviens Juin 1953 ? Quand Philippe J. est venu chez nous, avec son effraie sur l'épaule ? Les Ducorchet à leur fenêtre, ils faisaient une de ces tête !". Je me souviens. Philippe J. avait composé un poème. Son effraie l'inspirait. "Philippe J .était assis là , exactement là où je suis. Sur cette chaise là, dans cette même cuisine". Georges m'écoute, perplexe. Il paraît médusé, m'interroge toujours. " Tu te souviens de ça toi ?". "Ben ouais !". "Mais permets moi de te signaler qu'en 53, t'étais pas née". "Et alors ? Qui ça gêne ?".

Je reprends mon souvenir, au point je l'avais laissé, j'en suis à la moitié. Ca coincide exactement avec la moitié de ma haie. Ce poème, Georges, dis je, tout continuant de cisailler des feuilles sèches, je vais te dire, tu vas pas me croire, eh ben... Sur les 8 phrases qui le composent, 3 seulement voient leur fin coïncider avec celle d’un vers. Les enjambements sont multiples. Pas moins de 9 enjambements sur 15 vers. C'est pas super ça ? Qu'est ce que t'en dis  ?". Georges m'embrasse, me trouve exceptionnelle. Il me demande, "Et ce poème, tu le connais ?". "Je le connais par coeur pardi ! Prête moi ton éléphant deux secondes, allez ! viens près de moi que je te le récite." L'effraie, c'est vrai, ça se mérite et ça mérite d'être assis bien plus haut que sur une chaise pour le dire, pour l'écouter. Nous nous installons tous deux tant bien que mal sur le dos de la bête. "maintenant, Georges tais toi. S'il te plaît, écoute ça" :


La nuit est une grande cité endormie

où le vent souffle... Il est venu de loin jusqu'à

l'asile de ce lit. C'est la minuit de juin.

Tu dors, on m'a mené sur ces bords infinis,

le vent secoue le noisetier. Vient cet appel

qui se rapproche et se retire, on jurerait

une lueur fuyant à travers bois, ou bien

les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.

(Cet appel dans la nuit d'été, combien de choses

j'en pourrais dire, et de tes yeux...) Mais ce n'est que


l'oiseau nommé l’effraie qui nous appelle au fond

de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur

est celle de la pourriture au petit jour,

déjà sous notre peau si chaude perce l’os,

tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.

 

"Alors ? Ca le fait ? Non ? ". Georges répond, "Ben, punaise !". Il est 4H40. Ma haie est presque terminée. Le chat est revenu, Georges a replié son éléphant, et ni vu ni connu. Guy Ducorchet fait sonner son réveil. On entend pleurer ses gamins. Le jour va pas tarder. Notre peau est si chaude, profitons. Georges dit "j'en reviens pas de l'effraie comme c'est chouette". Georges est drôle et j'aime rire. En bas on entend les klaxons, c'est les potes qui rappliquent du Macumba de Craponne, d'en bas ils nous crient de descendre. On voit un vieux punk de 44 ans avec une crête rose sur la tête, agiter ses bras joyeusement. "V'nez ! v'nez (qu'il dit), il y a une "after" au Palace de Couzon, les "Crazy Boots" vont faire un boeuf avec les 'Trashy Dolls", un truc unique, putain de ta mère !  le tout remixé par D.J Cooking en Vijing, et puis y'aura des performers, des activistes, des artistes d'avant-garde qui organisent une orgie dans une piscine remplie de ketchup et de bière, c'est gratuit, c'est interactif. Allez v'nez ! c'est le truc qui faut voir en ce moment". J'ai fini de tailler ma haie. Il est temps de nettoyer le sécateur. Demain j'appelerai Philippe J. pour savoir à quelle heure je peux aller au hameau. Je lui porterai sa haie. Je pense même que j'irai à vélo. On entend de loin le pote à crête, siffler brailler, Ricky klaxonne. Tous les copains, en perfectos, santiags, et débardeur fluos, dont certains cinquantaine bien sonnée, se font tourner le rhum au goulot, agglutinés dans les voitures. "Une after ! ah putain !" on y va ? vous suivez ?". Georges crie de la fenêtre "ok ça roule ! on arrive on vous suit". Il me dit "Ferme moi vite cette fenêtre !". Il est 6H00. Annie Ducorchet hurle sur ses gamins. La porte à schtroumpfs et dinosaures claque et reclaque sans cesse. On entend entre les cloisons, l'indicatif de RTL (ça fait au moins cent ans que c'est le même). Un nuage de cendre. Sarkozy, la retraite, Sarkozy et la dette... Déjà les premiers camions des poubelles. Je goûte une pomme. "Finalement j'aime mieux la Granny Smith que la Royal Gala, et toi ? Qu'est ce que t'en penses ?". Georges acquiesse distraitement tout en relevant notre courrier mail. Il lit grosso modo tout haut. "Joachim est au bord du Tibre il dit que "les flots tordus ondoient". "C'est tout ?". "Ouais, à part ça il a vu un torrent avec des flots écumeux, il t'embrasse". "L'effraie de Philippe J. a fait trois petits. Tu les verras quand tu lui porteras sa haie." "Ah ouais ? Super !". Je me demande comment exactement on appelle le petit de l'effraie. "Tu le sais toi ?". Georges ne sait pas, il dit que c'est le dernier de ses soucis. Il poursuit l'inventaire: "Oscar s'excuse, il avait une rhino, c'est pour ça qu'il n'est pas venu cette nuit." Je dis " Ah ça c'est con". "Oui c'est très con". Je ramasse les épluchures qui trainent sur le nez de Sarkozy. Georges me prend la main. "Et si tu nous faisais une tarte Tatin ma chérie ? "Les étoiles sombrent entre les rues". Je mets un disque des Redwood Plan. "Oui, mon amour, va pour une tarte Tatin!".


THE REDWOOD PLAN :"Something to prove"
podcast

 

Photos : "Soyons" (photo 1). "Réalistes" (photo 2). Graffs vus dans l'impasse jouxtant ma propre maison (quel toupet!).  Lyon. Croix-Rousse. Mai 2010. © Frb.

mercredi, 21 avril 2010

Ici ou là

"Nous sommes nos propres démons, nous nous expulsons de notre paradis"

GOETHE. Extr. "Les souffrances du jeune Werther". Editions Gallimard Folio classique 2003.

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Déréel (définition) :" Pensée déréelle, pensée détournée du réel et des nécessités logiques'.

Je me retire de la réalité. Je marche seule dans la foule, toute personne me paraît immobile, séparée du monde où je vis. Je traverse mon propre quartier comme si je ne l'avais jamais connu. Je vois filer mon ombre sur une vitrine telle l'ombre de quelqu'un d'autre. Je vois mes chaussures avancer sur les passages cloutés mais je ne traverse pas cette rue. Je vis sur une terre inconnue sans savoir si je vis ni où est située cette terre.

"Je chois continûment hors de moi-même, sans vertige, sans brouillard dans la précision comme si j'étais drogué. Cette magnifique nature étalée là devant moi, m'apparaît aussi glacée qu'une miniature passée au vernis" (1)

Je croise une vieille connaissance qui me parle de ses soucis. Je vis hors de ma propre écoute. Je dévisage la vieille connaissance, elle m'est complètement dérisoire. Qu'ai- je à faire avec cette personne ? Je vois ses bras qui se balancent, mais je ne sais pas si ce sont ses bras. Je crois entendre la fin de ses phrases, mais je ne sais plus où vont ces phrases, où est la fin, ni où est le début. La vieille connaissance me tutoie, je lui dis des phrases convenues, Je les dis mais ne m'entends plus. Parler à cette personne me tue.

" Je suis de trop mais double deuil, ce dont je suis exclu ne me fait pas envie"(2)

Je subis la réalité, (suprême offense), le monde m'est présenté comme un monde avec lequel je dois entretenir des rapports polis, il me faudrait trouver sympathique, celui ou celle qui me demande très gentiment de mes nouvelles. Des nouvelles de qui ? Et pourquoi ? Je ne me le demande même pas. Il me faudrait trouver drôles quelques plaisanteries de ces mêmes qui me croyant triste chercheraient à me sortir d'une tristesse qu'ils prétendent négative, à me rendre plus gaie, disent ils. De quelle humeur celui ci ou celle là voudraient ils me sortir au point que puisse me distraire ? Ni eux ni moi bien que je reste liée au monde par un fil qui ne m'est d'aucune importance, n'ont à mes yeux le sens qu'ils accordent à tout cela. Un instant peut être pourrais-je m'en exacerber mais je n'ai plus aucun langage.

"Je feuillette l'album d'un peintre que j'aime, je ne puis le faire qu'avec détachement. J'approuve cette peinture mais les images sont glacées et cela m'ennuie" (3)

Nota : Les phrases (numérotées) sont extraites de l'ouvrage de Roland BARTHES "Fragments d'un discours amoureux" dont le chapitre "Déréalité" a largerment inspiré ce billet.

Photo : Ici ou là. Juste où je ne suis pas. Nabirosina. Avril 2010. © Frb.

samedi, 10 avril 2010

Là bas

"Prenez cette parenthèse et me la tenez ouverte."

BORIS VIAN : extr. "Je voudrais pas crever". Editions J.J Pauvert 1962.

pays.JPGDes champs m'ont emmenée. Ailleurs, des messages s'accumulent, des heures de vie pratique, oubliée. L'art d'aimer dévorant. Un pli corne la page de la prose d'OVIDE. Une rature a suffi. La page en fût détruite et le livre gît en vrille. Pour ne pas le jeter, il calera désormais le pied boiteux de mon étagère poètique. Ainsi va "L'Art d'aimer".

"L'art fait voguer la nef agile ; l'art guide les chars légers: l'art doit aussi guider l'amour."

Des heures de vie pratique à chercher toutes les possibilités d'un voyage sous une tête de lune allumant une passerelle, en plastique démodé, là bas entre Perrache en grève et la rue Casimir Périer. L'art je veux l'oublier. Le mêler au mouvement, à l'inégalité, ou à la précision d'un seul geste, pour déjouer peut-être l'illusion pointue du faussaire qui s'applique gentiment à versifier le monde. Mon savoir est fourbu et mon être s'en plombe, je cherche partout un point, une porte dérobée, une traboule arborée et des clefs molles à pendre au bout d'un mousqueton. Les vitrines de printemps sont accordées à mon dégoût. Il y a trop de musique partout, des robes à fleurs, des hommes bien mis aux ruts pimpants, prêts à offrir aux premières tourterelles, les meilleures tulipes jaunes, le meilleur restaurant, tout ce qu'il y a de meilleur pour fêter le printemps. L'abondance de la ville dégoûte. Je n'aime que l'héllébore, cette fleur qui s'ouvre en plein coeur de l'hiver et fleurit de Décembre à Mai. La légende raconte l'autre nom de l'Héllébore. Nous voici au pied du sapin :

"La nuit de la naissance du Christ, Madelon, une petite bergère qui gardait ses moutons, vit les rois mages et divers bergers, chargés de cadeaux, traverser le champ couvert de neige où elle se trouvait. Les rois mages portaient l'or, la myrrhe et l'encens, les bergers des fruits, du miel et des colombes. Madelon pensa qu'elle n'avait rien, pas même une simple fleur, pour ce nouveau-né d'exception. Un ange voyant ses larmes frôla la neige, révélant ainsi une très belle fleur blanche ombrée de rose : la rose de Noël".

J'aime aussi la tulipe, dont le vaste univers de Gunyat (Ier) nous rappelle qu'elle possède cette étrange majesté que n'ont pas d'autres fleurs. Et c'est là, sans doute, selon l'appréciation (un chouïa triturée, draponnez moi, Drolan !) du drang et novalcique Kloso (Ier, également), que le printemps embrasse l'automne et tout réciproquement. Notre fleur virant à l'antique :

"Tulipe était la fille de Protée (Dieu marin qui changeait de forme à volonté et prédisait l'avenir). Elle fut convoitée par Vertumne, Dieu de l'automne, aux attributs de jardinier, or elle restait insensible à ses assiduités. Vexé de son infortune, Vertumne se changea en chassa et traqua Tulipe jusqu'au fond des bois. Pour la sauver, Diane, soeur d'Apollon (dite la vierge blanche), changea la jeune fille en fleur qui s'épanouit au printemps. Depuis ce temps, chaque année au moment de la plantation, l'automne ouvre son coeur à la Tulipe."

Malheur à l'insouciant aroumeux (printanier ou automnal sans le savoir), qui irait offrir à sa bien aimée, un bouquet de tulipes jaunes, car on dit chez les pops qu'elle signifie "l'amour sans espoir", mieux vaut donc une seule "panachée" plutôt qu'un gros bouquet de jaunes, la panachée prouvera encore l'admiration, la rouge déclarera la flamme (ô souvenir des collections de cartes postales et autres reproductions du genre "langage des fleurs" peintes on ne sait plus par qui).

J'aime aussi les soucis en collision d'homonymie, tandis que la fleur (du souci) se réfère au soleil (encore lui !) vers lequel elle reste tournée tout au long du jour "solsequia", en latin signifie "qui suit le soleil", son pétale se mange en salade, l'autre souci, le sentiment, la préoccupation vient du verbe sollicatare, "tourmenter", "troubler". C'est le souci des rues contre celui des jardins, et le souci des champs bouclant enfin la boucle, tout au bout du chemin. Mes deux ânes en alerte s'appeleront cette année Paul et Charles, ils seront de pelage sombre à légers reflets roux, ils auront le regard très doux et même irrésistible, comme ceux des dames de l'époque Renaissance glissant sous leurs paupières des goutelettes à base de belladone, afin d'obtenir ce regard animal qui séduisait tant les messieurs, les yeux de Charles les yeux de Paul...

Nous sommes à travers champs. Nous avons traversé le monde, je ne sais comment, il y eût un bond, un saut en parachute, tant de sacs à traîner, de fardeaux à jeter, pour arriver ici.

Ici, je n'ai besoin de rien ni de personne. C'est ce que j'imagine. J'ai mon embarcation aux sommets des sapins. Je vis couchée dans l'herbe, les jours sont ours bruns. J'use mes yeux et mes mains à vouloir tout étreindre. La vieille terre se penche et des pensées violettes envahissent les jardins. J'ai les clefs de la barrière. L'horizon est ultime. Je suis ce qui advient. Et de cet intenable, cette querelle des villes d'où survint, impérieuse, la nécessité de partir, il me semble que par la discorde, peut-être par accident, de belles choses reviennent. Sont-elles plus vraies qu'avant ? Je reprends le livre D'OVIDE, devenue cale crétine, l'étagère poétique, à pied boiteux s'écroule, tout le cosmos se déchire page après page, peu importe. On mettra au feu ces fadaises et ces rimes quand l'hiver reviendra. Au feu les poésies d'amour pour que l'amour renaisse, au feu toutes les fleurs pour n'en saisir qu'un seul parfum, au feu les larmes du phénix, pour que son regard s'éblouisse, à l'automne au printemps, peu importe. C'est pareil.

Photo : Le chemin qui mène au sommet du mont St Cyr (Le plus haut sommet de la Bourgogne du sud à 771 mètres d'altitude), de là haut on peut voir les cimes neigeuses du Mont-Blanc, des Alpes, les monts du Forez, de l’Autunois, du Morvan, du Beaujolais et du Mâconnais... Et si l'on tourne à gauche, après les pommiers blancs, c'est la forêt profonde. Balade en Nabirosina. Extrait. Avril 2010.©

vendredi, 26 mars 2010

Lis ta rature

"Mon coeur est un lexique où cent littératures
se lardent sans répit de divines ratures"

JULES LAFORGUE. Extr. "Complainte-litanies de mon sacré coeur"

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Ici, Issy les baux, les beaux le cil est beau tissus t'y situent pisseux, pelissés plissés ce noir se noient.Les tueries laitues-riz cerises, ces iris s'hérissent Leiris de leurres fleurs pleurs peur beurre, meurent. Quand d'une simca cime étayée ayez essayée, honni cumul ! on y immacule, un maître mettre, 1 mètre, où le pire périr et tôt ! étau sans gouffre, s'engouffre, un nappaud n 'appeau, n'a pot de vivre ivre d'une vie pie divine vinaigrette regrette être crête, graine, nègre aigrelette, maigres lettres, ange mange lui l'île qui l'eût buté cul bleuté bulle culbutée de plâtre pas de pattes de pâtres. On en a des tartines, tartine de rêves tartinerait, raie des oracles, on râcle à s'enrhumer, s'emmurer. On jouillerait jouirait Rouget de têtes de rimes traîtres d'être mimis de figues mirifique. Puis, la veule des cinés l'aveu dessiné  l'aveugle destinée, sous Lunel une aile, elle est maxi ma cigale maximale, on oserait hausserait, ô serrés on serait nos vols duvetés, volutes du thé voluptés. luttez ! puits puis laveux veut l'aveu, lave le ! frais des rapes d'âge d'oeufs frais se ferait des rats de dérapage s'oeuvrait au poing au point de prêle,plère, plairre de plaire. Simone ! si Rome est mal morne est l'âme à la main douée, la mama, l'amadouée de Douai m'a mise, mystère, ta misère atterre, à terre, aux guépillets, au pied au ô gué guêpier épiez démons des monts de sac à craie ça craquait, ça craquerait ça crassé, sacré crasse ma caresse à massacrer creux choeur qu'eux coeur.

Tobie Lurie
podcast

Photo : "Le prix des yeux, pour son cou" : ratures humaines ayant appartenu à... Nathalie SARRAUTE. (Extr, bibliothèque personnelle) reproduction. Mars 2010 © Frb.

samedi, 20 mars 2010

Dans la roue de Charles-Albert

"Je ne veux surtout pas qu'on dise de moi que j'ai de l'entrain, ni qu'on me compare avec ceux qui ont ou qui n'ont pas de l'entrain (j'emmerde l'entrain)."

CHARLES-ALBERT CINGRIA in  "La grande Ourse". Editions Gallimard 2000

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J'habite à l'écart, pas loin du bosquet de la colline, et devant les vitrines de la rue commerçante il m'arrive d'admirer les jolies assiettes à dessert en porcelaine de je ne sais où. Des scènes de chasses à courre défilent sous mon sorbet, je traverse la ville à vélo, finissant en roulant sans les mains, ma friandise, une petite cuillère en argent dans la bouche, ou dans la tête. Et je pense à CINGRIA, qui prenait de bonne heure sa bicyclette. (En route! Un vent léger, la vie est courte), à ses intitulés qu'on disait déroutants : "Eloge de ce qui existe tout simplement".

Une adresse à Paris, 59, rue Bonaparte tout près de Saint Sulpice, dans deux pièces à écrire des machins inclassables. L'idée de bâtir une oeuvre ne lui est jamais vraiment venue à l'esprit, la liberté de CINGRIA pour certains paraît une énigme. CINGRIA est parti en balade.

"Cependant, la bicyclette c'est un cheval" (cf. tranches de route")

Monsieur CINGRIA sera quelques jours injoignable, le voici au bord de la Loire :

"C'est si agréable que se réalise exactement ce que vous aviez prévu, si agréable de faire un petit goûter ainsi et puis de rêvasser modiquement sans fin sans être importuné par personne!".

Je respire l'air épais du Rhône, c'est si agréable de chercher en roulant un terreau généreux du côté de l'enclos des biches. Je jette des heures entières des croutons vieux d'un mois aux bêtes avenantes qui se mettent à m'aimer d'un amour authentique, leurs grands yeux en amandes tombés en servitude (pour l'âme magnanime et les beaux yeux de moi), m'offrent la douceur même. L'émotion des jours désoeuvrés de l'enfance prévoit des teintes crèmes irisées de verts pâles somptueux... Les yeux des biches, sont maintenant la seule chose qui ait de l'importance sur terre.

CINGRIA est à Berne, au buffet de la gare, toujours premier sur le motif, à saisir les point de possibles, juste au moment et par mille angles différents, de l'infiniment petit jusqu'au palpitant qui surplombe. Liberté de l'espace et liberté du temps. Il pédale en molletières, s'enivre de chants grégoriens et dégotte en souriant de vieilles chroniques enluminées, il se rêverait réincarné en copiste de monastère. Car Charles Albert est érudit et n'en fait pas tant étalage.

Je retrouve le chapiteau triste, où son bavard est dévoré "éternellement" par quelques drôles de bêtes. Des plantes glissent sur les pierres piquetées de jaune, les secondes s'éternisent polymorphes et calcaires. En ville, un passant encombré, promène sa vie entière dans une lourde valise qui semble grossir à mesure que l'homme la tire, tout l'espace s'amenuise. Une valise prise au délit de gigantisme, dont les roulettes minuscules émettent ce bruit des bétaillères qui vont aux prés et se dévissent de l'intérieur par une grande mâchoire métallique. Un ogre à cinq ou six wagons, nous entasse, et délivre nos âmes de la tentation des dérives.

CINGRIA devient membre actif de l'amicale des piétons de la capitale, on y retrouve Léon-Paul FARGUE. Confrérie de "Rois fainéants" qui croque les scènes de rues, avides de vieux pigeons... Toujours pas loin de Saint Sulpice. Les yeux décrochent les faits divers :

"Qu'est-ce qu'il y avait ensuite dans le journal suspendu aux grilles du métro Invalides ? Il y avait qu'un dépôt de bananes avait sourdement éclaté [...] Comme c'est Paris ça aussi".

Pas loin, non plus à cet instant, on aperçoit André DHOTEL,  à l'effeuillage de l'écrivain, il loue bien haut "son art de parler d'autre chose". Des plus nantis, ou des jaloux, le trouvent médiocre, le disent même "piètre fantaisiste". Mais de chroniques badines en papiers assassins, CINGRIA prend plaisir à cogner dans ce qui se veut neuf, déplorant tous "les talents veules et les mystiques à l'eau de Javelle".

Dans une petite rue de presqu'île, chez Fernand Cingria père et fils, (négociants en vin, depuis 1883), l'enquêteur montre une vieille photo au patron, debout, large ossature, un béret vissé sur le crâne. L'homme regarde la photo celle qui montre un autre gars avec le même béret, aussi bien vissé que le sien. On lui demande : - "Vous êtes sûr que c'est pas votre frère ? ou peut être est ce votre cousin ?" - "Comment que vous dites ? Charles-Albert CINGRIA ? Ah ben, non, désolé ! Charles Albert CINGRIA ! ce nom là ne me dit rien !".

Ce nom dit rien ? Pourtant dehors assis par terre, Charles Albert fait des inventaires. Comme un gamin classerait ses billes, ses petites autos dans des boites en fer déglinguées. Presque pas vu, à peine connu. Certains jours, certaines gens disent l'avoir croisé ici ou là. De plus rares autres affirment qu'il se baladait rue de Nuits en plein jour. On le croise c'est à peu près sûr peut être tous les jours ici ou là. En vérité, CINGRIA , grimpe en danseuse, en molletières sur la plus belle colline du monde, vire d'un coup de tête un caillou. Puis comme toujours, re- disparaît.

CINGRIA était suisse, né en 1883 à Genève , il mourra en 1954, dans la même ville. CINGRIA bouffait le temps qui passait vite. Il laisse une malle qu'on ouvre bourrée à craquer de boîtes à clous, papillons de jour, et parmi des chiffons, un bazar sans message particulier. "Le bitume est exquis", "L'herbe est divinement tendre". C'est un jour merveilleux, CINGRIA, est passé chez nous.

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NOTA : Le portrait de CINGRIA est ici très incomplet, un petit peu adapté, mais pas trop. Ce billet n'est donc pas représentatif de toute l'oeuvre et la vie de ce cher auteur encore trop méconnu. Le lecteur, (adoré), dont la sagacité n'est plus à encenser, (sans flagornerie, uh ! uh) aura compris que par tous les liens, il trouvera quelques chemins pour mieux découvrir ou redécouvrir le poète.

Photo 1 : Ceci n'est pas la bicyclette de Charles-Albert CINGRIA, mais c'est peut être sa sacoche... ? Ou celle de Fernand Cingria ?  Photographiée juste en face du bordel Opéra. (La vélosophie à la rencontre des grands orchestres). Lyon attaché à ses créatures mécaniques. (celle-ci n'est pas tant non plus un vélo D'amour).

Photo 2 : Ce monsieur n'est pas René Char, ni  Arthur Cravan, ni André Breton, ni Jean Dubuffet. Ce n'est (oh que non !) pas Louis Aragon, ni Jean Paul Sartre, et encore moins Gustave ou Alphonse. Il n'a même pas, bien qu'à l'aise, les bonnes grolles du père Blaise. Alors qui ? (Question à six sous messieurs dames). Indice complèmentaire : il ne veut pas qu'on dise de lui qu'il a de l'entrain. Si vous ne trouvez pas, retournez à la case départ. Si vous trouvez, vous gagnerez un tour de lyon à vélo d'une valeur inestimable à l'arrière de mon porte-bagage, (quand j'en aurait installé un) c'est à dire un certain jour, plus les félicitations de la maison. Vu à Lyon, juste en face de Morand Pont. Lyon. Mars 2010.© Frb.

vendredi, 12 mars 2010

Icare II

Si vous avez loupé le début vous pouvez cliquer sur l'image

TREE76.JPGZarathoustra avait remarqué qu'un jeune homme l'évitait. Et un soir, comme il traversait seul les montagnes qui entourent la ville appelée "La vache bigarrée", voici que dans sa promenade il trouva ce jeune homme appuyé contre un arbre et jetant sur la vallée un regard fatigué. Zarathoustra entoura de ses mains l'arbre contre lequel le jeune homme était assis, et il parla ainsi : "Si je voulais secouer cet arbre avec mes mains, je ne le pourrais pas. Mais le vent que nous ne voyons pas le tourmente, les mains invisibles sont les plus terribles." Stupéfait le jeune homme se leva et dit : "J'entends Zarathoustra et justement je pensais à lui". Zarathoustra répondit : "Pourquoi t'en effrayes-tu ?" - Mais il en est de l'homme comme de l'arbre. "Plus il veut aller vers les hauteurs et la clarté, plus ses racines aspirent à s'enfoncer dans la terre, à plonger vers le bas, l'ombre, les profondeurs - le mal." "Oui, vers le mal ! s'écria le jeune homme. Comment se peut -il que tu aies découvert mon âme ?". Zarathoustra sourit et dit : "Il est des âmes que l'on ne découvrira jamais, à moins de les inventer d'abord."

FREDERIC NIETZSCHE : extr. "De l'arbre sur la montagne in "Ainsi parlait Zarathoustra". Editions Flammarion 1996.

Photo : Des arbres s'élèvent au printemps sur la colline (qui travaille). Peut-être s'envoleront ils en Avril ? Photographiés sur le Boulevard de la Croix-Rousse à Lyon en Mars 2010. © Frb.

jeudi, 11 mars 2010

Albatros et pigeons

J'avais de la grandeur, ô cher Missisipi
Par mépris des poètes, gastéropode amer;
Je partais mais quel amour dans les gares et quel sport sur la mer
Record ! j'avais six ans (aurore des ventres et fraîcheur du pipi !)
Et ce matin à dix heures dix le rapide
qui flottait sur les rails croisait des trains limpides
Et me jetait dans l'air, toboggan en plongeon
C'était le cent à l'heure et malgré la rumeur
Le charme des journaux enivrait les fumeurs [...]

ARTHUR CRAVAN  extr "Langueur d'éléphant" in "J'étais cigare". Editions Losfeld- Le terrain vague. 1971.

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Tous sont revenus ravis de la classe de neige. Ils ont posé leurs moufles, leurs bonnets à pompons, pour amener le printemps au point le plus fondant, albatros et pigeons, du Placebo dans la prothèse, passeront le pont jusqu'aux arbres encore faibles de la forêt Morand, où près du square, en îlots verts occupés par l'interflora faussement passeïste, des amants en chemises bleu blanc beige, achètent les premiers bouquets de jonquilles pour qui là haut les guettent sur la plus haute branche du parc de la Tordette. Mésanges, bergeronnettes. Attendri par les premiers chants qui firent glisser les neiges, partout un solitaire se meurt dans les pollens. Partout des vieilles pies devisent du printemps, partout de la jeunesse couchée déjà dans l'herbe, (ô pelouses interdites !)  se roule des gamelles et des pétards à la peau de banane sèche aux sorties des cours de physique. Melle Pugeolles s'en retourne à l'heure qui est l'heure dans sa petite 2CV violette, corriger son tas de copies, l'analyse d'un poème de VERLAINE. "Les Saturniens", aubaine ! "je vous distribue les enfants, ce polycope bleu, vert, rose ! que veut dire saturnien dans le poème ?" "les ingénues", soleils couchants. Rossignols. Des souvenirs, une promenade obsessionnelle... "Que me veux tu, mémoire ?" VERLAINE plié, poltron, "son chant d'amour est un chant de printemps", les cheveux, les pensées, tout est soumis au vent. Albatros et pigeons font l'école buissonnière. Dans ma tour, ce donjon en mode cadet rousselle, je m'entiche de BUFFON ou COMTE GEORGES LOUIS LECLERC DE.. toute l'histoire naturelle se grave dans la chair blanche et JEAN DORST moud du grain près des cloches.

« La vieille et toujours jeune histoire naturelle n'est pas morte, bien au contraire elle a encore de beaux jours devant elle. Il nous reste encore beaucoup à apprendre avec une paire de jumelles et une loupe, surtout avec nos yeux ! [...]

Voilà nos yeux qui pêlent sous le coucher de soleil vaguement florentin quand les péniches tanguent molles sur le fleuve menteur lèchant les quais du côté du sixième, du sixième sens peut être. Ainsi albatros et pigeons, pourquoi pas hiboux ou corbeaux ? s'éprendront d'un bateau, de 1869, treizième poème des "Fêtes galantes". L'eau reste sombre la pythie de Lugdumum donne des soirées crépusculaires, l'indécision des passagers cède à la flemme. "Arrête de rêver et travaille!" crie mademoiselle Pugeolles, tout en haut de l'estrade où poussent des champs de tulipes rouges et des vivaces hybrides, des pivoines arbusives des pivoines herbacées aux étamines fines "tiges grêles supportant l'anthère, forme aplatie comme un limbe de feuilles" ô Nymphaea ! Voilà que le bateau s'enivre...

"Les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais".

ARTHUR CRAVAN prend la relève. Le taureau par les cornes. Le printemps sera intranquille. J'ai des Fortuna bleues en poche ainsi je m'échappe parée. ARTHUR CRAVAN va sous les jupes des filles, renifle, printanier, de son nez aristocratique, puis éclaire ma lanterne mieux que dix soleil d'Août "Chaque fleur me transforme en papillon". Je cours sur la haute route, ce jour est jour de joie, le colosse revient des Caraïbes. Cela fait des mois je l'attends. Albatros et Corbeau vadrouillés de Boeing, traversent le pont Morand. Aux pas pesants, leurs grosses bottines épousent un goudron solidaire sur lequel tous mentalement ne cessent de s'envoyer en l'air.

Entraîneur aimantant albatros et pigeons,
à cette allure folle, l'express m'avait bercé
Mes idées blondissaient, les blés étaient superbes,
Les herbivores broutaient dans le vert voyou des près
J'étais fou d'être boxeur en souriant à l'herbe.

Un grand type inquiétant, bûcheron dans les forêts trace à grands pas la buissonière : " Dans la nature, je me sens feuillu, mes cheveux sont verts". Je suis ... Je suis. L'autre Arthur, qui trace la ville, malade de ne pas être plus loin à chevaucher peut être, des girafes et des éléphants, ou tout simplement, la donzelle, Madame DELAUNAY en personne épouse de...

"Je ne prétends pas que je ne forniquerai une fois madame DELAUNAY, puisqu'avec la grande majorité des hommes je suis né collectionneur [...]"

"Ah nom de Dieu ! quel temps et quel printemps !"

Photo : Pigeons ou albatros longeant le bordel-Opéra et ses loupiottes venimeuses (hors champ) ; juste avant de passer le grand fleuve sur un(e) mode jeune à l'éveil du printemps. Photographiés en Mars 2010 à Lyon. © Frb

samedi, 06 mars 2010

Les bienfaiteurs ne poussent pas sur les arbres

A tribute to JIM LEON 1938-2002

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"Depuis l’enfance, les gens m’ont toujours regardé comme un artiste créatif. Quelqu’un qui possédait un don spécial. Durant plus d’un demi-siècle, cela m’a donné une excuse parfaite pour paresser la plupart du temps, juste faire ce que je veux, quand je veux, à mon propre rythme. Bien sûr comme tous les autres, à certaines périodes, j’ai pris mon art et moi-même très au sérieux et j’ai également travaillé très dur, essayant de donner le meilleur, ce qu’on peut appeler «mon code d’honneur » et les résultats ont connu une certaine popularité, aussi tout naturellement, cela me plaisait et m’a appris le respect de moi-même, la confiance en soi et la prise de conscience de l’énorme responsabilité d’être auteur d’un travail sacré de communication, avec en but final de s’adresser aux siècles futurs. Cela implique une moralité sans faille. M’étant fixé des objectifs élevés, non pas en ce qui concerne l’ambition sociale, j’ai connu de nombreux hauts et bas. Je crois que c’est ma paresse objective qui m’a le plus aidé à tenir, ça et le simple fait de reconnaître que les mondanités ne font pas partie de mon rôle, me pousse à fuir. Un panier de crabes comme on dit en français.
C’est la principale raison qui me pousse à préférer l’obscurité de la province, l’oubli quand la mode est passée, une certaine liberté que l’on ne trouve que rarement dans une capitale, m’est chère, O combien frustrante puisse-t-être ma position parfois.
La précarité de ma situation ne me permet pas d’avoir un atelier à moi, assez grand pour mettre en œuvre les projets en suspens depuis des années, ni avoir les moyens d’acheter le matériel nécessaire pour remplir le type d’atelier que j’aimerais avoir, et qui coûterait une fortune. Mais les commérages journalistiques vont bien et l’image qu’ils ont construit au fil des ans est celle d’un sauvage, marginal, artiste Anglais avec du goût pour les femmes, la picole et les drogues. Tout ça ne passe pas bien dans une ville de province comme Lyon, je crois. La bourgeoisie lyonnaise m’évite et je l’évite."

JIM LEON in "Les bienfaiteurs ne poussent pas sur les arbres", extr du site consacré au peintre J.L. à visiter ICI.

Photo : Beau graff mensonger (que l'on croit ou ne croit pas en Dieu ou aux artistes) vu rue des Pierres plantées à Lyon, presqu'en haut de la Colline qui peint (donc qui travaille). Juste en face d'une pâtisserie orientale présentant en vitrine des cornes de gazelles fabriquées par Dieu lui même (là, ce n'est pas mensonger), très loin du marchand de crabes qui loge je ne sais où (et n'est pas dans mon petit panier). Lyon, photographié le 15 Mars 2010, avec l'aide de Dieu évidemment ! (et de monsieur H.G Wells qui nous a gracieusement prêté le matériel) © Frb.

vendredi, 12 février 2010

Le miroir des simples âmes

"Hadewijch d'Anvers chante "ivre d'un vin qu'elle n'a pas bu". Son poème naît d'un rien. Il est la trace d'une perte. En cela, il ne se distingue pas de l'ivresse, absence de la chose. Quelle est donc cette ivresse poétique "sans cause", douleur du corps ouvrant sur la douceur d'un chant, retour de l'altérant dans l'écriture défaite ?"

MICHEL DE CERTEAU texte de présentation des "Ecrits mystiques des Béguines" de HADEWIJCH D'ANVERS. Editions Seuil 1954.

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Peu de gens connaissent HADEWIJCH, l'auteur des "Poèmes spirituels". son oeuvre est souvent citée pour illuster les tendances au XIIIem siècle du mouvement béguinal. Peut être faudrait il énoncer plus précisément ce qu'était une béguine.

A la fin du XIIem siècle, début du XIIIem s., de nombreux témoignages attestent à la fois le nombre et l'enthousiasme des femmes pieuses souvent affectées de phénomènes extatiques, vivant hors des cloîtres, bien que souvent en étroite relation avec eux, d'abord en petits groupes, puis s'organisant lentement et finissant dans la deuxième moitié du XIIIem siècle, par constituer de nouvelles communautés religieuses (au sens impropre cependant puisqu'elles ne prononcent point de voeux même si elles sont guidées par quelques règles écrites). Nous savons aussi que ces femmes étaient nombreuses dans le nord ouest de l'Europe, spécialement en Brabant. L'histoire indique que ces âmes avides de sacrifice, (qui regardaient le monde comme un ennemi, femmes du grand mouvement extatique), assiégèrent en effet les cloîtres pour se ranger sous leurs lois sacrées. Plusieurs d'entre elles passèrent même leur vie sous l'habit cistercien ou du moins la terminèrent dans un cloître après avoir appartenu au mouvement des béguines. Mais la plupart se virent écartées des ordres, on redoutait sans doute, que l'afflux de vocations féminines compromît l'équilibre et la paix. Il leur fallût alors se grouper, s'organiser, cherchant en elles l'encouragement, la doctrine, le conseil, non sans se soumettre à la direction de quelques prêtre régulier (ou séculier) mais dans une autonomie et une liberté à laquelle les sociétés religieuses féminines d'alors, n'étaient pas du tout accoutumées. Un souffle de liberté est très perceptible parmi les béguines. Il semblerait que bon nombre de ces âmes n'étaient pas faites pour la vie claustrale et se trouvèrent, jouissant d'une indépendance relative parce qu'elles suivaient une vocation différente et devaient remplir une autre mission.

L'époque où paraissent les béguines, n'est pas celle de l'affranchissement de la femme, mais celle où commence le règne de la dame, qui devait en vérité former l'âme de l'Occident et fixer définitivement le trait de sa culture. Au XIIIem siècle, la révolution spirituelle passe par une conscience nouvelle de la solitude de l'âme avec Dieu, de sa noblesse divine, de sa liberté intangible. Cela fût en grande partie l'oeuvre des vierges extatiques, qui  par ailleurs pût emprunter ses expressions dans une étrange mesure, à la littérature courtoise, dont la dignité féminine était l'objet tout autant que l'inspiratrice. Les plus naïves, protégées par une précieuse ignorance, plus patientes, plus dévouées au sacrifice,insufflèrent un élan nouveau. Ainsi, nous verrons les béguines créer une langue pour traduire toute la passion d'une expérience; chercher avec Dieu une conjonction plus immédiate, totale, et proclamer une exigence nouvelle de l'éternel amour.

l'invincible amour déroute l'esprit :
il est proche de qui s'égare
et loin de qui le saisit.
Sa paix ne laisse point de paix
Ô paix du pur amour
seul qui fait sienne sa nature
boira ce lait consolateur !
C'est par lui même que l'on gagne l'amour.

Nota : Les écrits hadewigiens composés de visions, de lettres et de poèmes, après une longue période d'oubli, furent imprimés pour la première fois de 1875 à 1885, comme une curiosité philologique et n'attirèrent l'attention des historiens de la spiritualité qu'à la suite des travaux de R.P. Van Mierlo.

A lire, HADEWIJCH toujours (à propos du film de Bruno Dumont) : http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/had...

Photo : Un lien puissant et éternel, sculpté dans la pierre romane. Vu sur la façade extérieure bordant la porte de l'entrée principale de la basilique du Sacré-Coeur, à Paray le Monial. Nabirosina. Hiver 2009. © Frb.

lundi, 01 février 2010

Jouer / Déjouer

"Je pense qu'on change à cause de ce que l'on fait. Si vous faites quelquechose par vous mêmes, vous verrez les choses à travers le fait de votre activité. Arrangez vous pour que ce que vous faites ouvre à ce qui est."

JOHN CAGE : extr. "Entretien à Yale journal" in "John Cage par J.Y Bosseur. Editions Minerve 1993.

(Si vous préférez le silence aux sons, vous pouvez cliquer sur l'image).

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On a beaucoup entendu dire à propos de JOHN CAGE que même si ses idées ne manquaient pas d'à propos, sa musique, elle ne présentait que peu d'interêt et de consistance (cette même critique  fût également émise quelques années plus tôt à propos de Erik SATIE). A travers un tel jugement on peut reconsidérer l'éternel malentendu provoqué par une sommaire opposition entre l'art et la vie, la théorie et la pratique, la créativité et la réceptivité. JOHN CAGE paraphrasant L. WITTGENSTEIN disait :

" La signification c'est l'usage".

On sait que CAGE n'a jamais bâti de théories abstraites préalablement à ses oeuvres : "Je n'imagine jamais rien avant de l'avoir expérimenté" (1969). Tout est là. Ainsi, lorsque JOHN CAGE rendît visite à un potier traditionnel et le questionna sur sa pratique, ce dernier lui déclara : "Ce n'est pas l'objet en lui même qui m'intéresse, mais le fait de le fabriquer". La méthode du potier fît toute l'affaire de CAGE. Tout au long de sa vie il se comportera en homme pragmatique qui se plaît à garder les pieds sur terre malgré la dimension topique de son oeuvre. La découverte du piano préparé, l'épreuve du silence, le recours aux méthodes de hasard et à l'indétermination, sont liés à une circonstance concrète et non issus d'un procédé analytique. Une immense place est également accordée à l'écoute et à l'observation. C'est peut être ce sentiment du vécu qui donne une forme d'évidence à sa musique, même si cette évidence, n'est là, en fait, que pour susciter des interrogations multipliables à l'infini.

"La perception ne constitue-t-elle pas une forme d'action ?"

Cette disponibilité vis à vis des sons et des circonstances les plus variées, on la retrouve dans la manière que CAGE a de vivre les situations et les rencontres, dans ce qu'elles ont de moins prévisibles, de déroutant, dans sa façon de déjouer les obstacles. Un exemple entres autres, (ils sont nombreux) :  en 1984, JOHN CAGE, imagine pour la Radio de Cologne, une rencontre de circonstance (une de plus) : HMCIEX où se mélangent les musiques populaires de 151 pays qui reconnaissent le comité olympique. Dans le titre on trouve à la fois, les lettres M, C, et E, du "Here comes everybody"= Ici vient tout le monde", cher à JOYCE, alternant avec les lettres: M, I, X, qui contribuent à identifier plusieurs productions électroacoustiques:

"Tout ce que nous faisons se fait sur invitation. Cette invitation émane de soi-même, soit de quelqu'un d'autre."

Selon JOHN CAGE, composer pour autrui, devrait consister à donner aux autres, ce qu'ils souhaitent et non pas ce qu'on souhaite leur donner en tant que compositeur :

"Chaque son est un son merveilleux [...] et prendre conscience de l'interêt de chaque son, refuser de sélectionner, de classer, c'est pour moi le signe d'un pas (peut-être minime et même insignifiant au regard des gens sérieux et autorisés), mais je suis joueur !"

Ainsi JOHN CAGE franchit une étape nouvelle dans le sens de l'ouverture, de la non-hiérarchie, et du non-empiétement :

"[...] Où plus rien ne sera dicté, où chacun sera libre de décider de sa conduite et de vivre les plaisirs qu'il souhaite".

Nota: Ce billet a été largement inspiré par la lecture de l'ouvrage "John CAGE par Jean-Yves Bosseur" cité plus haut (et très bon pour le poil de notre lecteur mélomane).

Photo : l'une des multiples possibilités d'agencement des graviers, peut-être un peu sonores, (par la grâce d'une semelle bien préparée), vus sur un quai d'une gare de campagne. Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.

samedi, 30 janvier 2010

Ma soirée avec Roland

Ma soirée du Mercredi 3 février à 20H30 pétantes, je la passerai à écouter Roland Thévenet, qui donnera une petite causerie, (d'autres diraient une conférence), intitulée "Reflets du territoire dans la littérature Lyonnaise", proposée par l'esprit Canut. C'est au cinéma St Denis, N° 77 de la grande Rue de La Croix-Rousse à Lyon. Ceux d'en bas prendront la Ficelle, pour rejoindre la "colline qui travaille" (direction Métro Croix-Rousse), l'entrée ne coûtera que 5 euros. Pour une soirée qui s'annonce d'ores et déjà passionnante.

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ROLAND, c'est notre ami ROLAND THEVENET alias SOLKO, pour les glaneurs habitués à balader leur truffe de blog en blog et ceux qui ne connaissent pas encore quel style de soirée nous prépare le "causeur" (ou le conférencier disent les belles personnes), ils peuvent aller faire un tour sur le BLOG à SOLKO, dont certains disent déjà qu'il est "blog cultissime". Mais Solko n'aime pas trop les formules à la mode. Avertissement quand même aux personnes non prévenues, si l'on s'y plonge une heure, il se peut que la lecture dure toute la journée, tant les billets foisonnent et tant on en apprend, et plus on en apprend plus on veut en connaître. Il est comme ça SOLKO alias ROLAND THEVENET. Il nous transmet sans peine, l'envie à la fois de lire, de se promener et de chercher aux racines de quel bois nous sommes faits. Voici le lien à visiter pour une mise en bouche :

http://solko.hautetfort.com/

Cela vous donnera sûrement une idée. Et l'envie de vous rendre, à la causerie, dont on sait par avance, qu'elle sera éloquente et finement érudite.

Reflets du territoire...

Il s'agit bien de voir comment le territoire (deux fleuves, deux collines) et les quartiers pour pauvres et pour riches au fil des siècles ont laissé leur empreinte dans ces romans si délicieux dont on ne parle plus ou presque. Si l'on n'en parle plus, c'est donc qu'on ne les lit plus ? Question. Il ne serait pas étonnant que la causerie ou conférence nous insuffle quelques envies, en plus de son thème car le causeur est tellement à coeur dans ses sujets et les mène si loin, qu'au retour de la conférence, il y a fort à parier qu'on aura la tête mieux faite.

Pour tout savoir vraiment à propos de la causerie même, je relie ce billet à l'annonce officielle qui se trouve au domaine du Roland :

http://solko.hautetfort.com/archive/2010/01/12/b328bc2a39...

Après quoi la maison (qui a bon goût) ne saurait que vous recommander vivement cette soirée, j'ai regardé le programme de mercredi dans le Rama Rama à 20H30, c'est désolant, il n'y a rien que de la daube à télé. Alors c'est décidé ! moi je passerais ma soirée du mercredi 3 Février au ciné st Denis (CIFA) avec Roland, (et personne d'autre). Les causeries se font rares, et puis c'est tellement beau, les pages d'un livre, les encriers, traversés par un territoire. Je ne saurais rien vous dire de plus...

Nota : no ognire encroe à ectet ehure is al nefi rufle ud charmillon iqu se pladécera en êcachle prou jionredre les traspintons d'honrune ud CAFI,  ratradui émusintlament la froncérence en charmillon, Dralon Vhettene blemsait ride uqe nno. Nifamelent, ec t'nse teupêrte sap supl lam...

samedi, 16 janvier 2010

Mes nuits sans Georges

"Nous avions trop bu de bourgogne nous bûmes du champagne nature"

ROBERT DESNOS "Voyage en Bourgogne". Editions Roblot 1975

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Georges passait toutes ses nuits auprès de mes amies.
C’était au prix de telles frayeurs qu'on pouvait se sentir en vie. Tout cela semblait peu de chose. Une saveur sur un faisan bleu. Un peu de mercure sur la langue. Et, moi avec tous les amis de Georges, je glissais dans les mauvais lieux, pour commander des vins d’Alsace ou de Bourgogne. Les bonnes compagnies usurpaient ce que l’être (parfaitement spongieux), absorbait d’empathie. Il nous venait sans y songer, un brin de vague à l’âme. Libres, enfin sans soucis, nous picorions jusqu’à l’aurore, des moitiés de glaçons dans de grands verres aux reflets sombres et des vitraux vermeils tombaient sur la rigole. Nous plongions là, nos lèvres entre les flammes d’une bougie pour humer sur les terres du hameau de Brouilly tout le fruit du vignoble.

Georges passait toutes ses nuits à jouer au frisbee.
Et moi, avec tous les amis de Georges, je glissais dans les mauvais lieux pour casser le frisbee de Georges, le transformer en confettis.
Il y avait là, des musiciens qui nous tapaient dans l’oeil et des machines affreuses soudain reprenaient vie. Des Nagras, des poulies, et des marteaux piqueurs nous broyaient gentiment en déterrant nos morts quoique depuis longtemps ils fussent portés au loin. Il nous venait encore sous ces moulures d’or, l’idée qu’il n’était pas vain de jeter, une fois, un dernier dé, avant demain.

Georges passait toutes ses nuits à lire Maïakovski.
Et moi, avec tous les amis de Georges, je jouais à la coinche sous la frisette ornée de décalcomanies dans un pub irlandais à trois villes de chez Georges. Les regards d’autrefois qui nous accompagnaient n’aimaient plus la splendeur du monde, et les penchants secrets, suppliaient sous la lune : "que la brume de Janvier nous transforme en toupies !". Nous étions mécontents des bonnes compagnies, et l’arcane manquant au jeu de l’imagier, nous l’avions remplacé sans la moindre vergogne. Titubant sur les planches et entre les tapis, je tombais dans les bras de Lancelot et D’Hector en rêvant d’Alexandre et pour l’amour de Georges.

Georges passait toutes ses nuit à prendre des taxis.
Et moi avec tous les amis de Georges, je croquais des olives et puis des cornichons affalée sur une sorte de lit à tête d'ange. La télé diffusait des extraits d'explosion. Par terre, la vie s'empressait sur les coeurs, les yeux fermés dans la bouclette, nous embrassions des nus idiots, des têtes de chats, des rouflaquettes, et en relief, les épais croisillons des revêtements de sol tatouaient notre peau. Ces douceurs me semblaient d’autant plus éprouvantes qu’elles m’étaient infligées par Georges. Dans la cuisine, sans electricité, valsaient des casseroles qui ressemblaient, on aurait dit, à des petits bateaux .

Georges passait toutes ses nuits à écouter Claude Debussy.
Et moi, avec tous les amis de Georges, j’allais finir aux caves de l'Opéra Mundi ou à la Scala de Vaise. Les estampes, les danseuses de Delphes hantaient les touches du piano. Les cornes de brumes des caravelles qui revenaient de l’île barbe sonnaient aigues comme des crécelles. Pour dix euros on avait mis la liqueur en bonbonne, qu’on blottissait dans les bras des vieux beaux, qui payaient tout et nous emmenaient en auto, jusqu’au bord de la mer. Nous donnions dans le sable des petits coups de pelles, qui faisaient rire les mouettes, et les vagues moussaient sur nous comme du champagne chanté par des baleines.

Photo : La valise à remonter le temps. Photographiée dans une vitrine de la rue Terme, très exactement. Lyon. Janvier 2010.© Frb.

mardi, 12 janvier 2010

Dans la nuit mince et blanche

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Dans la nuit mince et blanche, dorment les grands connaisseurs de la réalité, qui forment en rêve à leur image le derniers fils de la famille, pour mieux le noyer au matin.

Dans la nuit mince et blanche, je me lie à Vitrac au dessus d’un bordel de fringues
 ou le corps pris sur l’étendage, un hamac laid comme une filoche pendu sur un bec de mésange.

Dans la nuit mince et blanche, j'effeuille un almanach, datant de la fin des années 30, "la maison du papier gommé", un article documenté sur la vie du scaphandrier. Plus loin, en d'autres pages, (une revue de 1960), il y a des cathédrales vivantes, le détail d’une voûte romane, l’énoncé d’un paquet de chocos. Des palets d’or rampent sur les plinthes, l’engagement (Lu) du "sachet-fraîcheur" avec une pointe de sucre roux et 3,0 gr. d’amidon. Tout ça court sur la croûte terrestre en brulant longtemps les étapes: la Perse, l ’Assyrie et Byzance, jusqu’aux formes octogonales qui se combinent dans les absides désordonnées d'un pur style hybride ogival du genre pré-Nabirosinais.

Dans la nuit mince et blanche de gigues et de pavanes, j’accepte la place offerte.
 Par la voix tonnante de l’ancêtre qui illumine à coups de bêche, ce coeur qui se trouve sous ton pied.

Dans la nuit mince, je mange. Et goûte aux vins d'Etienne, à la faveur des jours qui passent, quand d’un paradis entrevu de l’autre côté du vitrail, nous ne glissons plus que des neiges fondues sous un coin d'oreiller. (Or la petite souris qui n’est pas dupe, ni plus folle que la guêpe, continue de nous tarauder), et nous trinquons à sa santé :

"A la tienne Etienne, à la tienne mon vieux !" .

Dans la nuit blanche, j’en pince pour les boiseries poncées mais je hais la frisette à teindre. J’y décloue ta mèche obsolète, tôt remplacée par l’accroche coeur d’un joli moniteur de luge.

Dans la nuit mince et blanche, le lis amer réinjecte son trac, naît ou meurt selon. Pénètrant le sillon, un tourne-disque carossé tombe dans la SPX. Il ne restera plus qu'à tirer les cordes du piano, à les frotter longtemps, au papier à musique. J’aime l'art acousmatique : John Cage dévoré des limaces, la flêche de Denis l'endrômé, Michel, qui n'arrête plus le regret et les doigts du grand Luc caressant les étoiles. Plus tard, les autres viendraient, (des bons copains aussi), avec d'étranges boîtes...

Dans la nuit mince et blanche, une masse de bouc a siphoné ma plume de paon ou de dindon, et je ne m’en porte pas plus mal. "Mieux vaut dindons que paons" a dit le Duxo Yaka Charmillon. Et nous revoilà une fois encore sur "le chemin des poneys !" mon talon d'archimidinette, se tort un peu sur les cailloux mais s'il retombe dans les fougères, il sait s'en contenter. "Un rien, Madame, vous rend si belle". (Giroflées, trèfles doux, émouvantes noisettes). Dix balles de billes à faire rouler sur le toit d'une chapelle, l’éclat doré du solitaire comme une chiure de coucher de soleil épousant les tonalités des grands yeux fendus en amandes de l'élandin.

Dans la nuit mince et blanche, Lord Jim erre de port en port. Et je me demande si je ne préfère pas les braves types aux grands seigneurs. Si je ne préfère pas le sanglier au porc, si je ne préfère pas le modillon au Sacré Coeur. Et s'il fallait vraiment choisir (quelle connerie, cette supposition), pourquoi choisir "entre les choses", pourquoi ne pas choisir "un peu de tout" ?

Dans la nuit blanche, pyramidale, je ris seule parmi des objets d'une stupidité qui m'agrée et de nombreuses soucoupes volantes portent plus loin les présomptions. Orné de trois pépins d'orange et d'une bonne quinzaine de mégots, l'oeil-bouton de l'ours Pitou tiendra bien jusqu'à demain soir. Un grain perdu au centre d'un pot (dont je n’arriverai jamais à calculer la circonférence avant l’aube). Soudain, j'ai  besoin de vacance, (se pourrait-il d'absence ?), ou de disparitio...

Dans la nuit mince et blanche, j’entends les perroquets et la belle de Croisset qui écarte les jambes. Le voyou qui fuyait son petit chien me relance. tout ce que j'ai à lui dire tient sur un tas de cendres au fond d'une boîte à thé.

Dans la nuit mince et blanche, je me surprends à aimer Jack Palance. Et Brigitte qui s’envole dans les bras d’un idiot, de Capri vers la mort, après, quand c’est fini, on retrouve le silence. Puis à 6 h00, reviennent les camions des poubelles, la nuit qu'on cambriole, la fin des haricots. Les dés sont rejetés. Alors naît l'envie folle de construire une pirogue. Ou de partir en catastrophe dans une petite auto.

Du genre Rolls Royce.

IMG_0262.JPGPhoto 1 : La neige blanche et mince photographiée la nuit entre la route qui mène au Mont St Cyr, et le "Chemin des Poneys"...

Photo 2 : Un drôle d'être humain dans une drôle de petite auto. Vu au petit jour, sur le chemin  dit de la "Grande Terre" ou de la "Belle Neige". Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.

samedi, 12 décembre 2009

Des merveilleux paysages s'offrant à la vue des navigateurs

"Ce qui n'a pu être oublié reparaît dans les rêves. A la fin de ce genre de rêve, dans le demi-sommeil, les évènements sont encore tenus pour réels un bref instant. Et les réactions qu'ils appelleraient se précisent plus exactement, plus raisonnablement, comme tant de matins, le souvenir de ce qu'on a bu la veille. Ensuite vient la conscience que tout est faux, que ce n'est qu'un rêve, qu'il n'y a pas de faits nouveaux, pas de retour vers cela, pas de prise. Ces rêves sont des éclats du passé non résolu, ils éclairent unilatéralement des moments autrefois vécus dans la confusion et le doute. Ils font une publicité sans nuance pour ceux de nos besoins qui sont devenus sans réponse."

GUY DEBORD : extr : "Critique de la séparation" (court métrage 1961).

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Je ne sais pas d'où me vient cette manie, ces temps-ci, de vouloir faire nager mon reflet dans des flaques, ce doit être l'air de ce pays qui m'y oblige insidieusement. Ou peut être, juste cet amour immodéré que j'éprouve pour les feuilles mortes... Feuilles mortes, doux miroir, dont l'or se noie en ce passage qui mène à l'automne rue Roussy à l'hiver, rue Denfer. Là où les flaques durent plus longtemps, beaucoup plus longtemps que la pluie.

Ainsi, l'autre soir, en écoutant très passivement le discours sur le grand emprunt national de notre président (non, je ne changerai pas une virgule à la syntaxe, et tant pis si celle-ci va t-à vau l'eau puisque c'est le thème de ce billet), j'entendis la voix de mon Guy qui me disait tout bas "Va te promener, va t-en !". Ainsi, je laissais les dames au salon qui essuyaient gentiment la vaisselle, (grâce à ces salons ergonomiques et modernes on dit aussi "cuisine américaine" épatante pour les dames qui peuvent quand même regarder la télévision, tout en "essuyant" et réciproquement)... Puis je laissais aussi les messieurs (les pour, les contre, le grand emprunt), qui du fond d'un beau canapé "séquoia" (allez savoir pourquoi ?), écoutaient "religieusement" ou en râlant, l'orateur nous précipiter à la ruine, plus grave encore qu'une ruine financière (si ce n'était que cela !), une ruine assumée - certes plus volontaire- accélérant celle commencée par ceux qui nous avaient crées - tout aussi assumés, déterminés et volontaires, une ruine comme toujours, portée par le langage, peu à peu, dépouillé, échiné, re-domestiqué, qui se décomplexait, et traversait les siècles, par la voie salutaire d'un spectacle permanent, créant tout à la fois, l'information, l'indignation, l'oubli, sur fond d'écran bleu de bleu pour mieux nous enschtroumpfer. Ici, vendus, les produits (bleus, roses) de l'"ouverture" : mesdames messieurs,  je vous demande d'applaudir la commission, J.R : Alain gît, ci , Michel erre, là...Tout ces mots, pour bien expliquer, amenant aux gens simples, et ceux de tous bords une documentation très accessible, la dilution tranquille, quelques formules bien emballées, joliment cravatées, agrémentées par les joies du zapping (rires et fous rires en perspective) et à venir, (cette fin d'année), une inévitable série de bêtisiers tous plus tragiques les uns que les autres (à regarder en famille entre une langue de belle-mère et la bûche "Courchevel").

Les mots doucement moulinés, avaient glissé dans l'éclairage des politiques successives, des coachs, des clips, du relooking, récemment du lip dub (bleus et verts confondus, allez, le bleu étant archi connu, remontons aux étages l'incroyable sous marin vert). Nous avions changé de société, (qu'on nous disait). La machine à café se gérait comme les adjectifs, "sensible", "ludique", le concept de "révolution" virait à l'orgasme collectif, celui de "rupture" apaisait, par conséquent, la belle qualité dite "tranquille" ne faisait plus exactement le même effet que dans dans le poème du vieil Alphonse qui par instant paraissait en dire... (Quelques lignes, autant dire "un tube", juste pour faire plaisir au colibri fou de Roger ;-)

ô temps suspends ton vol ! et vous heures propices
Suspendez votre cours !

Quant aux vers du pauvre Verlaine : "La vie est là, simple et tranquille" ils avaient déjà été délocalisés depuis des années, abusément retournés (quatre fers en l'air) par feu le général lui même, preuve que la décomplexion, n'était pas née de la dernière pluie. Mais aujourd'hui, pardon, grâce à la dernière pluie, ces quelques vers, accédaient aux multifonctions. On pouvait aussi bien les accrocher (grosso modo) sur un fromage, une tranche de jambon (courage !), ou aux branches du sapin sous formes de boules décoratives, ça se compilerait bientôt en "best of" des bons mots de nos superstars (de l'armée ou de la police ?), ou bien encore à la rigueur on pourrait les retrouver sur le dos de monsieur Paul, mais après quels détours ? Des mot vidés comme des volailles, empalés sur des emballages, le tout, avec ce goût de berlingots un peu vieillots, collés au fond d'une boîte à sucre. Et tout cela ça rappelait la guerre, les fins de soldes au supermarché, le destin d'Amélie Poulain, la France. Et bien sur l'excellence, un autre leitmotiv magistral à la botte du grand emprunt.

"Nous allons monter un grand partenariat public-privé, tout en gardant la maîtrise de notre patrimoine". Bien sûr !

Pendant ce temps là, entre un reportage annonçant une nouvelle phase de la grippe ("la grippe à Miribel", Ben zut alors ! c'est pas notre chance") et la dernière pépite de la Nadine : le verlan, la casquette à l'envers, (en outre, de surcroit, ben bondiou ! ça fait beaucoup quand même !) dans la ville de Maurice Barrès, (tout un symbole !). Nadine vivrait elle sur la lune ? Inconnue sur la planète Mars, nos camarades à casquettes retournées nous l'ont bel et bien confirmé, tandis qu'au coeur de ces formes concassées (en deux mots ?) finalement assez relatives, un Camus (pas fils de... pour un rond), d'une toute autre dimension, se dépatouillait à Paris avec un souci d'assurances, (160 000 billets vendus, une nécro parue furtivement, le tout frisant la catastrophe. Nationale bien évidemment !)

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Donc je suis partie, par Vitton désert aux airs de grand Nord, et ses portes bourgeoises aux verrous bien tirés, j'ai regardé (en nantie à vélo), les barmens de la brasserie du Parc astiquer des loupiottes avant de tout refermer. J'ai croisé des nuitards, 3 sur un vélo V (vélo d'amour lyonnais) qui cherchaient un endroit où s'acheter des clops, j'ai senti l'air des quais, et cette odeur de mort que draîne le grand fleuve, la nuit, son épaisseur, ce mouvement glacé qui soulève lentement le pont, et semble un peu le déplacer. J'ai traversé la voie, jusqu'au vieux patineur et sa rouille figée dans sa vieille modernité, la nuit, l'absurde patineur, un gros géant d'acier dansant sur place autour de deux, trois palissades, juste ce qu'il faut d'insensé. Ce périmètre, à peine éclairé par les phares des camions, des voitures et les loupiottes encore de l'opéra rappelant le petit bordel, ou le grand vaisseau, tout autant que le grille-pain d'antan chauffé à la fibre d'amiante... Sur l'esplanade vide, glougloutant doucement, une source artificielle a dévidé son chant (de rat) toujours pareil, imitant bien celui des champs revu par des rats élégants, un rien d'eau sur une lumière juste ce qu'il faut d'un peu bêbête, si bêbête que ça en devient plaisant. Puis en remontant doucement par la rue désirée, presque aussi moche que la Serlin, j'ai rejoint Polycarpe, son impasse à ciné, et sa rue qui donne sur la face cachée d'une bâtisse chrétienne, l'église du même nom (St Polycarpe exactement), secrète, avec son portail ouvragé. Toutes ces beautés n'atteignaient pas celle de ma flaque repérée dans l'impasse où  le monde entier se floutait tandis qu'un élément nouveau illuminait mes nénuphars, au delà du pouvoir des hommes, et des transformations. Une plainte, un halo, remerçiant le chaos, inclinaient entièrement l'esprit à se dissoudre, se laisser manger en morceaux, mille et une vies, autant de souvenirs. Chacun entrant en flottaison dans les bourrelets de cette terre mêlée au goudron, dans cette odeur fine d'été gisant sous la blessure, qui ravivait tout un empire entrant en décomposition ; une flaque épuisant là tous les derniers vestiges de civilisation pour les fondre à la nuit, sans le moindre fracas. La nuit profonde. Un reflet noir immense, austère, que toute l'eau de la mer, toutes les vagues de l'océan, ne pourraient jamais recouvrir.

"Critique de la séparation" (Extrait).

Photo : Des merveilleux paysages s'offrant à la consolation. Photographiés la nuit, dans l'impasse qui jouxte ma maison. Quelquepart sur la plus belle des collines d'une ville. Lyon. Décembre 2009. © Frb.

jeudi, 10 décembre 2009

Se consumer... (Interlude)

Oui, ce monde est bien plat ; quant à l'autre, sornettes.
Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes [...]

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Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.
Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord
Me plonge en une extase infinie et m'endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.

Et j'entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Où l'on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des chœurs de moustiques.

Et puis, quand je m'éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le cœur plein d'une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d'oie.

JULES LAFORGUE : "La cigarette". Extr. "Le Sanglot de la terre" (1901), in "Oeuvres complètes". Editions Mercure de France.

Juste le temps de s'en griller une, (pour de vrai), entre deux billets (sur le pouce, si j'ose dire), de l'ami Jules, dont les carnets sont enfumés de manière si insoutenable que je propose à qui voudra s'y coller de remplacer, tout ce qui pourrait s'approcher de près ou de loin à une pipe, cigarette ou cigare (tourniquette ?), par le mot ou l'expression qui lui sembleront les moins nocifs pour la santé (évitez s'il vous plaît, les sucreries, le nougat, le surimi, les matières grasses, le glutamate, le boissons gazeuses etc... (Les fruits et légumes sont évidemment bienvenus).

Extrait d'un agenda de JULES LAFORGUE couvert par endroits de notes et manuscrits (imprimés par Charpentier, avec textes et dessins datant de 1883), elles datent du séjour de J. LAFORGUE en Allemagne où il occupait les fonctions de lecteur auprès de l'impératrice Augusta. L'auteur est alors âgé de 23 ans, il mourra quatre ans après les avoir écrites.

Ici seules quelques allusions à  la cigarette-ont été sélectionnées, j'espére que les Laforguiens inconditionnels me pardonneront ces coupes scandaleuses qui en diront peut être aussi (un peu) sur ce qu'il advient d'une oeuvre quand des malins, pour la bonne cause, s'amusent à l'amputer. Là n'est certes pas mon intention, (j'ai cisaillé à l'envers, pour ma bonne cause évidemment), souligner une substance qui se glisse dans les notes comme une nécessité (et allons donc !) mais c'est sérieux. La "fumerie" étant l'interlude idéal pour J. LAFORGUE entre l'ennui, les sorties mondaines, les promenades, elle s'impose très naturellement comme la plus précieuse des ponctuations voire des aérations. (Les lecteurs fumeurs comprendront...)

Le texte intégral est disponible ICI et les extraits de "tabagies" only, ci dessous :

Samedi 31 Janvier : "Dîners sommaires pipes nombreuses [...]"

Mardi 17 Avril : Départ sous des cigarettes Butterbrod [...] Vaste chambre au premier fumé au balcon couché causé panthéisme [...] Renoncement jusqu'à minuit en fumant."

Mercredi 18 Avril : Levé 8H00 en fr, fumé sur le balcon devant la caserne [...] mangé à l'Hotel de France, terrasse café, fumé rôdé plein le dos musée ethnographique anthropologique spleen fumé rôdé gare. Embêtements éreintés rôdé en voiture départs folie fumée sentimentalité

Lundi 30 Avril : (notes) [...] Reçu la revue pris le thé cigares. A Bade les journées passent [...] On mange trop bien on fume trop [...]

Mardi 1er Mai : Avec R. tendresse cigares le salon là bas [...]

Mercredi 2 mai : [...] Promenades éternelles bons repas cigares [...]

Jeudi 3 Mai : [...] Fêtes spleen cigares prairies hannetons [...]

Mercredi 16 Mai : Cigares promenades accoutumées [...]

Samedi 19 Mai : Rien, l'arrivée de la vie moderne je me roule des cigarettes tabac conservé au frais dans mon huître bronze chinois."

Photo : De fines cigarettes avec une grosse fumée (presque dans le nez des dieux). Vue un beau Décembre 2009. © Frb.

lundi, 30 novembre 2009

Tous, un, chacun

Hier à l'heure la plus silencieuse le sol m'a manqué : le rêve commença. L'aiguille s'avançait, l'horloge de ma vie respirait, jamais je n'ai entendu un tel silence autour de moi : en sorte que mon cœur s'en effrayait [...]

FREDERIC NIETZSCHE : "Ainsi parlait Zarathoustra" (1). Editions Flammarion 1996.

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Lundi, dix neuf heures trente. Nous sommes chaque jour plus sûrs de nous. Dans un monde plein d'images, la notre est dépourvue. Une procession de silencieux sous les "Bose" invisibles. Dissolution en tissus mous des ailes d'ange. Une empreinte animale dans un mouchoir en soie, de l'achat sur les murs et des fleurs fraîches dans les bras de Monique Vandroux, (voir notre photo : troisième personne au fond à droite) à côté de monsieur (assis en face). Et tous ces gens, bacaroulés, le nez dans les pistils safrans d'un bouquet sidérant.

Première merveille du monde : venir à eux sans hésiter, venir à eux, c'est tout, et savoir leur parler. Toute l'innocence des cordes vocales, dans un "je vous en prie, s'il vous plaît". C'est une station longue, atonale. Un crépuscule minier. De la tourbe et beaucoup de sable dans ce chariot achalandé de chairs pures et véritables. Des lèvres pourpres. Des poitrines gonflées. Ici des paniers de salade, là un luminaire empaqueté. A terre quelques publicités en forme de cylindre. Quelques minutes d'un seul tenant, sans jamais respirer. Et l'odeur de la pluie répand, celle du vieux chimpanzé.

Chaque souci dans son enclave. Au signal assuré, à station Foch, le riche est là, Philibert de Saint B. (Cinquième personne à gauche), ensemble tweed, manteau de cuir blanc pour la star Vanessa Coco (styliste cool, assise au bord). Une place à part à son spectacle, Melle Branche (hors champ), qui n'aime pas bien les étrangers, entend chanter a capella "svalutation", par des arabes : "Ils mettent LEURS pieds sur NOS fauteuils, c'est NOUS qu'on paie, quelle déchéance !" et sans cesser de tricoter, jette un oeil sur monsieur Grenier (debout, au centre, en blouson beige) qui baille en moue de vieil enfant. "S'il avait voulu, seulement...". Rêves de jeunes filles. Fiel d'ingrate. Il n'y a que mailles... Des bras s'emparent. Un monsieur à son avantage frotte un genou ingénu contre la cuisse d'une dame d'un âge. La mode est à la bigarade.

Perdus au fond, Juliette et Gilles, (le nez contre la vitre hors champ) en tandem ipodés, découvrent "Diamonds are forever" dans une reprise d'Arctic Monkeys. A l'extase stéréophonique, Monsieur Broix, professeur de lettres, recopie sur un bloc rhodia (16), une note rapide de Jacques Vaché traversant le ciel de la guerre, avec une hâte catastrophique puis s'anéantit doucement, fondu au comité des sucres du réseau TCL, une voix d'hôtesse à cajoler, énumère chaque station juste avant l'ouverture des portes, (automatiques, on s'en doutait) : Hôtel de ville-Louis Pradel, Foch, Masséna puis Villeurbanne-Charpennes, correspondance pour Jean Macé, l'ancien terminus de la ligne B, une sortie en vue imprenable sur la rue Elie Rochette pas loin d'Athènes et des trois pierres. Ou, mettons, prenons le sens inverse : Charpennes-Villeurbanne, Masséna, Foch, Hôtel de Ville-Louis Pradel, correspondance Croix-Rousse, Hénon, Cuire. Là, on emprunterait l'escalier déroulant un traité de bave (sans même une trace d'éternité), mais à discrépances variées. Deux minutes de descente, à retomber dans un cul de sac, pour courir après une ficelle. A cet instant, je règle ma vie sur ton pas, camarade ! et je cours, (court, toujours !), une tortue à cet horizon qui se restreint et m'exacerbe. Madame Lantier avec sa canne (a refusé de figurer). Il m'importe de ne pas louper l'aérienne Croix-paquet, ("cruci-paquet" pour les intimes), station de charme, une forêt de courants d'airs et de chaises alignées. La radio collective abreuve ses passagers, un coup de jet dans les pavillons. Souchon, Voulzy, Cloclo, Maurane. Le plan d'urgence est abordé : ipodage immédiat. Jean-Luc Béraud, (arrière petit cousin de...) pose un oeil consterné sur le corps bleu de ma prothèse. Le tunnel se coltrane. Monsieur Broix, ferme son cartable. Jacques Vaché, pose une grenade sous un drôle de stylo. Monsieur Broix salue monsieur Guy. Et le jeu recommence. Dix neuf heures cinquante six.

Nous étions vingt, nous voici trente. Nous étions des milliers, nous voici vingt ou cent. Ils étaient trois garçons, nous étions deux amants. Vingt cent mille ânes. Et cent-vingt rois. Ils étaient des millions. Six mille huit cent quatre vingt huit milliards. Nous étions trois petits chats...

[...] Soudain j'entendis l'Autre qui me disait sans voix : "Tu le sais Zarathoustra." —
Et je criais d'effroi à ce murmure, et le sang refluait de mon visage, mais je me tus.
Alors l'Autre reprit sans voix : "Tu le sais, Zarathoustra, mais tu ne le dis pas !" —
Et je répondis enfin, avec un air de défi : "Oui, je le sais, mais je ne veux pas le dire !"
Alors l'Autre reprit sans voix : "Tu ne veux pas, Zarathoustra ? Est-ce vrai ? Ne te cache pas derrière cet air de défi !" —
Et moi de pleurer et de trembler comme un enfant et de dire : "Hélas ! je voudrais bien, mais comment le puis-je ? Fais-moi grâce de cela ! C'est au-dessus de mes forces !"
Alors l'Autre repris sans voix : "Qu'importe de toi, Zarathoustra ? Dis ta parole et brise-toi !"

F. NIETZSCHE. "Ainsi parlait Zarathoustra".(2)

Photo : Comme un lundi à l'assaut d'une rame. Métro Lyon, (je ne sais plus précisément où. Ici ou là, dans une rame c'est toujours un petit peu pareil, non ?). Novembre 2009. Dernière.© Frb.