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samedi, 06 juillet 2013

Porté par ses limites...

La mémoire, c'est notre clé de lecture du réel. Dans un autre ordre d'idée, j'ai toujours admiré cette pensée de Jakobson, ce doit être dans les questions de poétique : "la forme n'existe que répétée". Il en va exactement de même pour les émotions : si on ne reconnaît pas, on est bouleversé, on reste muet, sans prise.

ANTOINE EMAZ ; Entretiens. (Et plus encore ICI)

 

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Sur le fleuve oublié le rameur embarqué d'une rive à l'autre, cherche en flottant mentalement à retrouver son ignorance d'autrefois. Ou juste un lieu allié à répéter sans cesse, que c'était mieux avant. Se sachant dans l'erreur, il s'exerce à parfaire toujours le même mouvement, aborder le trajet d'une rive à l'autre, puis revenir de l'autre rive à la première, toujours recommencer sans un mot différent, à saisir, un détail ou deux, on ne sait quoi mais sans doute pour écrire le même livre  sans prise avec la même idée toujours un peu grandiose d'un meilleur avenir, sans prise sur rien, même pas celle de connaître par coeur le chemin qui ne s'épuise jamais, semblant épuisé avant même d'en répéter le rythme que pourtant il aimera peut-être répéter afin de n'en oublier aucune -presque invisible et légère modification. Ensuite, on ne connait pas la suite, ce serait à nouveau un point qui ne suit pas, ou peut-être un ruisseau portant entre ses flots l'embarcation légère d'un explorateur débutant... 

 

Photos : A la mémoire des fleuves du Parc de la Tête d'Or, aux sources de l'Eldorado, à la plage du capitaine Cook ou au lac d'Armagnac (bu trop vite et trop tôt).

Au Sornin, à La Grosne, A nos marins d'eaux douces, au fleuve Amour ou jaune, aux espaces liquidés, jamais aussi perdus qu'on l'eût imaginé ..

A toutes les sources vives, aux indulgences perdues, aux ennemis visibles aux alliés invisibles, à chaque passeur de pistes, si différent soit il, porté hors des limites,

dédions...

 

Ici ou là © Frb 2013

jeudi, 20 juin 2013

Color me gently

Sous son pinceau, sous ses doigts, les couleurs, la glaise, le bronze, le métal se pliaient à sa force. Il matait les femmes et la matière pour en faire ses esclaves.

MARINA PICASSO in "Grand père", éditions Gallimard, 2003.

 

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Photos : Modèles vivants simples et dociles en quatre couleurs. Déploiement hors saisons suivant la partition, thématique en voeu pieux (?) gentiment after-punk, je cite:

Que la nature nous protège des taches de peinture, des puissances de la glaise, du métal et du bronze. 

C'est de Dante, je crois  - le manuscrit reste introuvable -  mais on a retrouvé celui-ci :

 

 

Nel mezzo del cammin di nostra vita

mi ritrovai per una selva oscura,

ché la diritta via era smarrita.

 

 

A suivre, peut-être...

 

 

 

Là bas : © Frb 2013

dimanche, 26 mai 2013

Loin de Lybie

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Cézanne peignait des pommes

Chaque jour en pantoufles.

Il descendait dans son atelier et

Il peignait des pommes...

Des pommes.

Jour après jour.

Encore des pommes.

Et il ne s'en lassait jamais.

 

 

http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0708231832.html

http://www.atelier-cezanne.com/france/visite-pomme.htm

http://www.musee-orsay.fr/index.php?id=851&tx_comment...

 

Photo : Quartier de pomme blanche, sur nappe ronde en coton bleu uni cousue (de fil blanc) par la Céleste Nabirosinaise. (Décalage, contraste et antidate). Photographiés le mois dernier, loin de Lybie.

mardi, 16 avril 2013

La fleur bleue de Novalis

Je n’ai jamais rien éprouvé de pareil : c’est comme si j’avais vécu en songe jusqu’à présent, ou encore comme si j’étais passé en dormant dans un autre monde ; car dans celui où je vivais d’ordinaire, qui donc aurait prêté attention aux fleurs ? Quant à une passion aussi insolite pour une fleur particulière, je n’en avais jamais entendu parler auparavant.

NOVALIS : extr. Henri d’Ofterdingen, traduit de l’allemand par Marcel Camus, éd. GF Flammarion, Paris, 1992. 

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Tout commence ainsi :

le fils de baron Friedrich Von Hardenberg, alias Novalis nom de plume, décrit un rêve de jeune homme, dans son sommeil, il découvre un bassin aux ondes chatoyantes :

Aussitôt, un souffle intérieur le parcourut tout entier, le réconfortant et le désaltérant. Pris d’un irrésistible désir de se baigner, il se dévêtit et descendit dans le bassin. […] Une sensation céleste inonda son cœur […] Et chaque vague de l’adorable élément se pressait contre lui comme une gorge amoureuse.

Le jeune homme s'ouvrit à l'illumination et dans sa nuit rêveuse, eût une autre vision

Il se trouvait à présent étendu sur une molle pelouse au bord d’une source qui jaillissait dans les airs et semblait s’y consumer. Non loin de là, s’élevaient des roches bleuâtres aux veines diaprées. Le jour qui l’entourait lui parut plus clair, plus doux que de coutume ; le ciel, bleu noir, était d’une pureté absolue. Mais ce qui l’attira d’une manière irrésistible, ce fut, dressée au bord même de la source, une grande Fleur d’un bleu éthéré qui l’effleurait de ses hauts pétales éclatants ; autour d’elle se pressaient des milliers de fleurs de toutes les couleurs et dont les suaves parfums embaumaient l’air. Lui, ne voyait que la Fleur bleue, et longtemps il la contempla avec une indicible tendresse. Mais quand il voulut enfin s’approcher d’elle, elle se mit à frémir et à changer d’aspect. Les feuilles, de plus en plus brillantes, se serraient contre la tige qui croissait à vue d’œil ; la Fleur se pencha vers lui : parmi les pétales qui formaient une sorte de collerette bleue, flottait un tendre visage… Son émerveillement grandissait avec cette étrange métamorphose quand soudain la voix de sa mère le réveilla et il se retrouva dans la chambre familiale que dorait déjà le soleil du matin.

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Je me garderai de vous livrer les interprétations des métaphores sublimes nées dans l'esprit du rêveur Henri d’Ofterdingen, dont vous pourrez apprécier plus vastes scintillements ICI ; je n'étriperai pas d'analyse sigmundienne ou jungienne, ces passages de pure grâce afin de ne pas dévoyer ni trahir la beauté suggestive insufflée par l'auteur, et que vienne à chacun cette folle idée d'unir sa vie à ce printemps portant nos figures pâles dans la campagne fraîche. Puissions nous pressentir la puissance alchimique qui bouleverse les coeurs au point qu'il n'est plus d'autre façon d'imaginer vivre autrement que couché au milieu des fleurs, qui sont toutes bleues quoiqu'on dise, sauf peut-être le myosotis qui est rouge comme le sang offert au saccage pictural des chants surréalistes, ils vénéreront avec d'autres, bien plus tard, la grande modernité des romantiques allemands et les oeuvres visionnaires de Friedrich Von H. alias Novalis, du bleu de la fleur au bleu lumineux de la nuit dont nous nous parerons sans doute.

 

Nota : Les conditions impérieuses du petit monde du myosotis se devant toutes d'êtres remplies, par défaut d'entrer dans le rêve du vieux siècle romantique, nous pouvons prier pour la fleur afin qu'elle ne s'étiole pas trop tôt entre nos mains frondeuses, ou dans nos coeurs gros et avides. 

 

Photo : corolle ouverte, accueillants mais farouches et bizarrement difficiles à photographier, Les mini coquelicots de l'Himalaya ont aimablement posé sur ma pente (et pour vos cimes, en tout bien, tout honneur), si par chance là où qu'il soit, (avec des si), Novalis, feu poète nous faisait la fleur (qui tient notre malheur) de nous rêver au profond de ses nuits plus impérissables que nos jours... Je ne termine pas la phrase, le mystère a son charme.

 

Nabirosina : © Frb 2013

vendredi, 22 mars 2013

Les limites nous regardent (derniers jours sur le fil)

Un paysage, un habitant qui en explorent les bornes enclin à laisser le photographe se pencher par dessus son épaule...

Les limites nous regardent

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Ceci n'est pas une simple phrase, c'est une tentation.

C'est aussi le thème d'un très beau projet de Ernesto Timor, photographe excellent, dont j'ai découvert récemment les multiples travaux et autres ramifications.

Ernesto Timor expose en ce moment à l'Antre Autre, (chez Maguelone), jusqu'au 30 Mars 2013. 

 http://www.ernestotimor.com/irregular/expositions/les-lim...

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Pour une fois j'étais à jour mais loin de l'heure, malgré une folle course entre villes, il est trop tard pour déjouer d'autres limites technologiques § co, (mes excuses à Ernesto), trop tard pour annoncer une soirée ERNESTO § FRIENDS, qui a eu lieu ce soir, terminée depuis quelques heures, il y avait au programme des projections, échos/ rebonds littéraires et sonores (les limites nous écoutent) + d'autres surprises... Je n'en dis pas davantage puisque que je n'ai pu m'y rendre c'est un regret, mais ça donne une idée du projet et de ses fines correspondances. J'apprends pour consolation, que "Radio Quenelle" "the" web radio lyonnaise a enregistré l'émission "je suis venue vous dire", ce 21 Mars à l'Antre Autre au coeur même des limites de Ernesto Timor. 

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L'artiste y parle lui-même  de son projet, de ses photos, le podcast est écoutable sur le site de Radio Quenelle, je vous glisserai le lien très bientôt afin de ramener un petit aperçu sonore sur cette page.

Pour l'instant je sais déjà qu'il vaut le coup, d'aller faire un tour du côté de l'Antre Autre, l'endroit est coloré, convivial, et les photographies d'Ernesto Timor y sont encore visibles quelques jours.

N'ayant pu rencontrer l'artiste in situ, je publie l'évènement sur le fil d'un échange généreux déjà riche en couleurs, Ernesto Timor a eu la gentillesse, d'offrir des limites inédites à certains jours, je l'en remercie elles sont au chaud pour l'heure, il serait bon d'y revenir... Je ne doute pas que nous pourrons aborder encore le thème des limites vues par Ernesto Timor, peut-être, prochainement. J'ouvre la perspective selon les évènements ou sur un mode impro, on en reparlera tôt ou tard.

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Pour l'instant, nous suivrons l'actualité d'Ernesto Timor de très près, puisque le projet Les limites nous regardent se présente sur un mode évolutif, il s'étoffe, il s'expose entièrement ou par bribes et en divers lieux, il  trouve aussi ses échos en musiques, poésies, se remixe en explorations sonores  et de fait, suscite des rencontres avec d'autres créateurs. C'est en ce moment sur la dernière ligne de Mars, un monde aux vastes imaginaires, et dyptiques assez rares. Courons ! Il n'est jamais trop tard...  

Nota :

L'Antre Autre, est situé au 11 de la rue Terme dans le 1er arrondissement de Lyon.  

 http://www.lantreautre.fr/

 

Si vous désirez découvrir Ernesto Timor en multi-pistes, je dépose quelques liens, tout de quoi savourer et le reste à venir...

 

http://www.ernestotimor.com/malaxe/

http://www.ernestotimor.com/irregular/

http://www.timor-rocks.com/

 

  

Photos: © Ernesto Timor (extraits du dossier "Les limites nous regardent").

vendredi, 01 février 2013

Avalanche

Et je m'en vais à Panama pour vivre en sauvage. Je connais à une lieue en mer de Panama une petite île (Taboga) dans le Pacifique, elle est presque inhabitée, libre et fertile. J'emporte mes couleurs et mes pinceaux et je me retremperai loin de tous les hommes. 

PAUL GAUGUIN

 

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Il n'a rien entendu de particulier, il s'est contenté de regarder. Il est sur la ligne de départ. Autour de lui le bruit gagne. C'est le seul argument qui retient l'attention, et semblable aux mouvements précédant un parcours, lassé de parcourir, il voit le paysage réduire les perspectives, quelques mots devraient suivre, qu'il tait. Il ne suit pas.

Ce thème est un motif qui vaut un peu la peine de décrire ce qu'il reste, ce qui va disparaître. Il choisit la plus sotte expression parmi des milliers d'expressions possibles, un confort creusé en ce trou, un nombril aspirant, tiède encore, les plaies brûlantes de l'homme, ou les battements d'un coeur humain pas plus qu'un aspirant de rien allant à l'interligne dans l'épaisseur du bruit glorieux de ses échos.

Il y a le temps qui vient, dresse une chape et ça couve sous son poids de chair vive, ça donnera une valeur factice à la surface, quand une porte bat aux vents, quand l'éclat de ces feux attractifs rend l'univers massif, il referme sa fenêtre, il n'aura bientôt plus à se battre pour les siens.

Il a rayé son nom, il a songé aux possibilités d'anéantir enfin sa faculté d'écrire, pour s'en remettre à ce silence d'une cathédrale ou d'une bibliothèque. Oserait-il au moins peindre ? Des Carceri à la mine de plomb, le prix de ses efforts, et puis des fleurs encore, quelques lettres de l'île puis la disparition d'une marge qui portait la couleur dans une ligne de fuite. C'est peut-être un ersatz ou c'est le labyrinthe d'un lieu qui nous décime, milles convives aux fenêtres entre eux autant de vitres, là, de grandes mosaïques comme à Constantinople. 

Il fouille dans cette matière, quand revient la jachère, il y voit un soleil privé de ses ombrages, l'espace habituel où chacun arbitré dans le langage d'un autre réfute l'obscurité porte une perspective de puits et de falaises sur une place noire de monde.

Un mot encore si près à le couvrir de honte, y affûtera son verbe et l'éloquence qui vit toujours en légéreté, impérieusement tenue portera à nos lèvres l'unique grande vérité, la tienne et celle des autres, dans ce fût, sur l'étage du Beaujolais nouveau, la langue et sa piquette, t'as vu ces grands tonneaux à présent tu t'étonnes qu'ils se déversent copiant le bruit du pacifique, épanchant une série de vagues bien tempérées et délayant le corps qui se tait, le défait, comme se défait le verbe.

Il ne peut rien en dire, nous capturons de force ce point d'inanité, c'est à peine une cible qui nous veut repliés dans cette obscurité, elle va nous réfléchir, nous briser, l'emporter, qu'en sait-on ? Qui pourrait nous instruire ?

Nous serions tels que lui, des modèles d'écorchés, barrés de croix, de traits, des figures portant peine à la brutalité où la mort du désir peut encore l'emporter, ne tiendrait qu'un espace lentement annexé ; l'innocence consommée, il faudrait retrouver un mot à prononcer pour cet homme qui ne qui ne sait plus parler.

Un pas de plus, il souhaite couronner son effort, dépasser les obstacles pour bâtir un royaume au flottement discret, des airs de flammes muettes courant sur nos jouets qu'une vague achemine dans le ravissement où l'ignorance nous tient à tout heure disponibles, un bon rire à demeure tel qu'il fût toujours prêt, générant une série d'accidents, de minuscules enclaves où le mot est jeté où le désenchantement se reproduit à l'identique, tandis qu'il essaye de jouer pour simplement jouer.

Un pas de moins, les marchands de plaisirs passeront sur sa peau un baume rafraîchissant, il reluit à nouveau il est comme liquidé mais il reluit pourtant. On peut le suivre ou l'oublier se faire lentement rattraper ou souffler ce pion solitaire, mais cela n'a pas plus d'importance que ce qui est secret et devra forcément nous taire.

Il payera. Il payera en retour du désir affamé de s'affamer encore, quand l'oeil fou qui dévore des vies à la seconde aura mis des cailloux dans cette immense bouche, la sienne voudra se clore, saborder ce qui porte en dedans, ne trouvera aucun mot pour extraire une manière de recommencements à cette fin qui résiste à comprendre.

On connaît le passeur obligé de se rendre. C'est partout le même quai, alignant une suite de croix et de carrés. Partout c'est un poème qui recomptera ses pieds, ça forme sous le soleil quelques cristaux de glace et des ronds de fumée quand la lumière prend l'ombre ou peut-être autre chose, la marche se soustrait, l'homme fume une cigarette et nous voit sidérés que le vocabulaire n'ait jamais su faire mieux que nous aider à exprimer cette sensation profonde de n'avoir rien à dire.

Ca fait longtemps qu'il sait. Il mâchera les cailloux, et sentira la terre lui porter des pelletées, un semblant de jachère devenue cette palette de noirs et de blancs contenant un ensemble de couleurs ou l'absence de couleur. Il goûtera la nuance, afin de se mouvoir d'un espace à un autre sans tirer aucun trait, aucun plan, aucune des conséquences. Il est dans les reflets ou l'absence de reflet comme à ces premiers jours, naissant un peu trop tard, il a pris de l'avance, il se pelotonnait contre un arbre et goûtait au silence sous un ciel moutonné masquant les voix violentes, des ébats festifs d'où revenait puissante, une foule assurée.

Il n'y a plus à douter, pour traverser les lignes, sortir de cette violence, on se dit que parfois il faudrait marcher seul, quand la mécanique sourde continue à cibler, à broyer, elle n'aura pas de phrase pour dépouiller le geste qui recouvre le ciel d'un champ de tournesols. Il n'aura pas besoin de ces flux de paroles pour aimer ces baigneuses divines indolentes ou saisir le silence d'un dernier grand concert dans la fine transparence, les nombreux coups de couteau donnés à la matière, sont peut-être identiques, à ceux que l'on nous donne.

Un mot ne tiendrait pas à capturer cet homme, ou demander pourquoi ces entailles n'ont pas entaillé le visage des nombreux regardeurs ? La question le déplace. Il est là, et il fume du tabac parfumé. Son geste le retient, entre une drôle de clarté et le flou inhérent à la nécessité de se tenir toujours plus près du précipice. De n'en rien ignorer, à présent, il savoure plutôt garder ce vide bien en main, que de craindre l'effroi qui le rendra muet, avec cette habitude de ne parler qu'à soi, d'en ressentir l'outrage sans pouvoir accepter que nous serions tenus de battre ce pavé, nous livrer, nous lustrer, cumuler les effets, de quoi bien tapiner.

Il redoute le courant réducteur, et le malentendu qui placera son coeur d'homme entre le singe et la savane, il comptera sur les doigts d'une seule main ceux qui ont pu survivre à cela sans se fossiliser, sans se faire braconner, ceux qui ont pu créer encore, pour changer la vie quelquepart, pas seulement l'énoncer, non seulement l'énoncer, mais l'appliquer sur soi,  pas gagné ! ce qu'il reste de cobayes ne serait pas si doué à satisfaire ces files qui se massent aux musées, des foules reconnaissantes, l'artiste mort estimable, une somme de vies ratées pour battre des attraits, mourir dans les images.

Longtemps, longtemps plus tard, il trouvera quelques pièces détachées, elles nous tiennent à portée sur un filet de bave, un cri vaste oublié, le prenait corps et âme, et pouvait nous relier par une sorte de chant du monde inépuisable, mais encore trop lointain. Il a vu ce matin, Panama sous la neige, et sa jeune vahinée venue emmitouflée le plongera à nouveau dans l'extase.

 

De la neige et une bestiole inoffensive pour adoucir la dernière ligne droite de l'an 2014.merci à ceux qui ont suivi ce blog, malgré un temps d'arrêt involontaire, une panne d'ordi, et la vie (la vraie) s'y mettant en travers j'ai dû m'astreindre à des obligations laissant la panne courir en cette années si peu clémente qui m'a contrainte à imposer au blog une sorte de latence, le courrier est en rade, depuis pas mal de temps avec un sérieux bug et un bazar en dedans encore compliqué à résoudre  Mes excuses à ceux qui ont écrit, des mails dont certains  datant de cette été ne me sont parvenus que récemment, des courriers sont perdus, pour l'instant, introuvables, ici une zone de flou d'autres les courriers rescapés restent en rade la possibilités d'acheminer correctement les réponses restant aléatoire, je m'abstiens pour l'instant, à suivre, donc, pour l'instant je dédie au Noêl et à la Noêlle et aux autres, s'ils s'y trouvent

 

Echappée belle : à lire et regarder, le livre de Gauguin, "Noa Noa"  paru aux éditions J.J. Pauvert en 1988.

 

Photo : Taboga en hiver, ou le départ de l'élandin.

 

Là bas © Frb 2013.

vendredi, 04 janvier 2013

Ne t'efface pas

Il semble que la vie restera toujours inachevée. Mais on demande une chance supplémentaire.

André DHOTEL : extr. "Le pays où l'on n'arrive jamais" éditions Pierre Horay, 1995.

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C'est entre deux temps, l'un volontairement ralenti que je trouvais dans une valise, quelques fragments d'un livre de André Dhôtel, un auteur magistral, dont l'esprit merveilleux à chaque lecture semble nous restituer un pan secret de l'univers. En ouvrant quelques pages du livre à l'aveuglette, je tombais pile sur cet extrait, il semblait que cela pouvait convenir à ce point de l'année (ou de la précédente) grosso-modo à la croisée, de l'heure et du retard, jeu de broderie là bas, et ici ravaudant entre la fin du monde, et les petits commencements coutumiers, des suites à griffonner sur des vitres où le ciel et la terre sont au mieux une image, au pire, un idéal.

A part ça, quelquefois, on ne peut que broder. Il n'y a plus de frontière dans le calendrier. On profite des grisailles, on ne veut rien louper de cette heure quand des brumes tirent les personnages là, au milieu du ciel, dieux du flou, parenthèse incomplète, allant à l'opposé de nos jours saturés, de nos voix vivant moins en nous qu'au dehors - autant d'yeux/ d'autres voix ne cherchent plus entre elles à se persuader qu'elles seraient plus réelles qu'une parole, remueraient ciel et terre pour un mot déplacé, vérités comme une masse à la fin capturée, c'est un seul homme qui clame - je suis vrai- je suivrai la parole d'autres mêmes - et la mienne effacée, se dissout dans l'espace, il n'en reste qu'un trait, un peu de brume encore. Des petits trains muets longeant la voie ferrée, croisant quelques remblais. Ensuite ça redémarre. Toujours on dérivait. On voyait quelques hommes qui passaient leurs mains par la fenêtre, faisaient des moulinets devant l'expostion des tableaux alignés, variés ou tous pareils. Est ce que ça importait ? Vues d'un train, des clôtures aux fenêtres, arrimées à ces lettres: un verrou par sujet, gardant la citadelle. C'était là, le pays où l'on arriverait.

Le cantonnier qui balayait les dernières feuilles est venu ramasser les sapins de Noël. C'est comme l'année dernière, à quelques détails près. Puis l'an d'après ça rebelote : automne hiver printemps été...

On aura trouvé de l'agrément à chercher simplement un quai, dans un endroit paumé sans panneau, ni frontière, pour s'offrir une escale au pays où l'on n'arrive jamais. Moins qu'une formule désespérante ça demeurera toujours un supplément discret ou de la nonchalance et parfois un peu d'ombre nous retrouve en silence. 

Le cantonnier qui volait dans le ciel avec les feuilles mortes ne dévoila pas les secrets que nos coeurs emportaient, son pas l'invitant à marcher sous les arbres, juste avant le passage qui va de l'ombre à la lumière, une étincelle, à peine, tenant encore le reste.

On n'aurait aucun mal à se pavaner tranquillement d'une rue bien pavée jusqu'à l'étendue paisible autonome des fourrés, des forêts et des étangs sauvages pour y cacher son faix, se fondre à l'épopée, retourner cahoter, aborder les sentiers afin d'éprouver les limites de ces foules, de ce corps roulant comme la feuille entre les joncs bleutés, longeant un peu les baies, là bas où l'on se dore, jouant dans les reflets d'une barque retournée à l'envers.

On ramène des images sans chercher à savoir qui tournera la page, s'échouera à moitié, tourne ou sera tourné. On entendra les cornes de brume: un son qui ne dure guère, dont l'écho s'éternise et ne vaut pas qu'on laisse ainsi cingler l'espace.

On serait heurt / spectateur, dans cette marge exsangue retenant l'échappée, elle prend de si loin l'objectif, fait exprès de rater son but, aborde le vieux singe qui se perd sous son arbre. On continue à vivre dans la réalité - je vous jure que tout est vrai, ma bouche, mes yeux, mon nez ! et mes chaussures de marche qui marchent dans ce pays, pour serrer le vieux singe et ses gros doigts carrés, s'il referme sa patte, le pays disparaît.

Toi tu dis - c'est pas vrai ! ça ne peut pas exister, tu parles comme une toupie, on va pas tout gober/ utilité d'un mot allant à l'objectif, louant celui qui joue le rôle de s'échiner, des mots pour amuser. La galerie nous enflamme, quand on veut converser c'est un fragment du bruit. On peut tout laisser dire. On entendra les cornes, un paysage de brume, nous mènerait à l'impasse, désolant comme l'ennui. On s'étonne. Que sais-tu, de l'ennui ? De celui qui l'éloigne ? Qui parle aux animaux et voudrait faire sa vie au pays où l'on n'arrive jamais.

Tu n'es pas étranger près de cet étranger, il paraissait tenu par un autre défi, on voudrait essayer de déjouer l'oubli d'un partage advenu.

Il resterait longtemps assis là, sur sa borne, à attendre, on ne peut pas signifier qu'on s'était lentement perdu dans le langage / ou le plus simple mot/ butant sur cette ronde qui invite à marcher/ la tête dans les épaules. Tout brillait si gaiement, vu d'en bas chargé d'armes, contre les jours maussades, il y a des parades. Faut-il s'en contenter ?

Lui, il conserve sa part, il n'alignera pas ce peu de force vive pour s'égayer d'un bruit, qui va dans les objets émettra le bruit grave de les accumuler ; des peuples s'y enivrent, ces voix dont le prestige est un terrassement encore abstrait, détruiront le réel, on ne sait pas comment, ces voix colleront sur nos bagages un label "qualité" après quoi on pourra s'enfuir, ou bien l'on se retire, et le point de départ sur le point d'arrivée, n'est qu'un pas de côté pour se griller la place. Le corps embarrassant, nous bâterait comme un âne qui voulait lui aussi trottiner sous les arbres au pays où l'on n'arrive jamais.

Quel diable les possédait à vouloir s'évader ? C'est bien pour nous aider qu''un jour ils nous rattrapent / aider ? / ah ? / réussir ? / mais réussir quelles vies ?  

On libérera le livre, il flottera sur l'eau calme pour les cent mille ans à venir. Il passera de main en main, d'aussi près qu'il paraissait n'ouvrir sur rien de précis. Une empreinte animale contre une tête d'homme usée se couronnera de phrases annonçant le déclin de nos civilités.

Des signes extraordinaires dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur la terre, les peuples paralysés de frayeur devant le fracas d'une mer démontée./ (Luc 21.25-27). Là où l'histoire s'arrête, n'en retiendrait-on rien ? 

Ou si peu de nous réunis, s'il n'y avait pas ailleurs un sourire dans les yeux du passeur, posant son galurin près de nous sur la rive, nous voyant à genoux et avançant sa barque, chuchotera encore :

Il y a dans le même pays plusieurs mondes véritablement.  

Le présent, le souvenir, cent mille ans à venir. Laissera-t-on filer l'homme embarqué comme l'enfant parti on ne sait quand avec quelques copains allés si loin, qu'il revient seul, presque au point de départ. Encore si près de nous qu'on croit l'avoir déjà rencontré quelquepart, quand d'autres pourraient jurer qu'ils l'ont vu chaque jour, seulement tourner en rond, depuis les cent mille ans qui ont passé, si vite, et autant à venir.

C'est peu, pensera-t-on, en guettant sur l'horloge l'heure de ce rendez-vous, des milliers de secondes à raconter l'attente. A ne penser à rien ou bien à regarder ces foules au coeur du monde se faire une place au soleil. Quelques cornes qui grondent et la monnaie sonnante dira que tout va mal/ ça ira mieux demain. Rien que de l'ordinaire. Cent mille mots de conquêtes à la fois fausses et vraies, aucune qui n'ait pas balisé d'avance nos trajets. Cent mille jours de silence rendant force à ce souffle dont l'immédiateté repousserait un instant celui de s'effacer, ne pourrait rien connaître de ce patient retour qui toujours nous retient. Où est notre mémoire ? Qu'y'a t-il après rien ? / Que dire pour que tu saches ? / Une terrasse de café/ simplement/ presque rien/ des années-lumière/ une seconde/ où mon pas se glissait/ dans le tien/ pour aller regarder les étoiles.

 

 

  

 

 

photo: Là bas. Une image embarquée. Buisson flottant et des coraux.

 

Nabirosina © Frb 2013

mardi, 01 janvier 2013

Arrive que pyante !

Y z'y a eun'an, tot l'monde d'jot qu'2012 s'rot pas terrible mais qu'y irot mieux en 2013. A çt'heure nos entend dère qu'y s'rot putôt en 2014 et encore, qu'y pourrot s''arrandzi. Y m'fait penser à la Mère Martin qu'fayot avancer sa bourrique en li pendant eune carotte d'vant le nez. Mais la pourre bête arrivot dzamais à la rattraper... Dze crais qu'si nos arrivains à faire ç't'année tot c'que nos ans pas pu faire l'an passé, y s'rot dj'à bié.

Extr . des Libres propos du PERE MATHURIN, extr entretien in "La renaissance" hebdomadaire régional N° du 4 Janvier 2013, n°4062 (1,50 euros seulement, à la maison de la presse de votre bourg)

 fêtes.jpg

 

Nota primau :D'zai mis le tçépiau à pieume et les sabots d'zai fait un pt'chet discours en patois tçarolais "ordinaire" par la voix du père Mathurin, comme nos dit audzord d'audzord'heu,  p'amusé l'monde y p'faire le pendant au biogue du Drolan mieux connu sous la pieume de Solko, que fait des voeux du tonnerre en patois lyonnais et tot le monde z'ya le droit d'y lire, tant que c'est à l'oeil tot le monde peut y faire en y cliquant dans le bitonio (qu'éto un mot pas de souche patoise ni tçarolaise ni lyonnaise mais que s'adresse au monde qui sait causer dans les gougueilles ou qu'y z'y touitau ou les amis qui vont dans la tête de bique comme les gognants du tsarmillon s'en vont le mardi au marché de la queue rousse.

Le lien qu'étau par dessous faut appuyer dessus un chti coup avec vot' manivelle ou le traque-pattes et :"qui l'aura beau le montrera".

 

 http://solko.hautetfort.com/archive/2012/12/31/qui-l-aura...

 

Nota deuziau: si z'y en a un bon tas qu'mant fait savoir qu'z'y étaint pas bin contents, ou se faison du souci dipeu la fin l'andouze pis l'début de l'antraise où d'zai trainiaudé d'zai dit y'a pas mal d'années qu'ici y'étot que du tç'antier et de la trainiauderie, rin d'autre, y'étot pas autrement dze dis ç'que d'zvoux quand d'zen ai envie y sera pareil à l'antraise mais si un dzeu d'zarrive à êt' moins faignante d'ze ferai t'sonner la cloche, mais d'zm'ai dit qu'au pouyot y faire bié d'boulot d'pu que la bête arrivot dzamais à rattraper ct'engin d'malheur qu'a tchu, et que marchot moins bien que ma bourrique. Mais y m'fait todzos piaisi à y causer aux feunnes et aux gars, à tot l' monde qui irot farfouiller sur ctu biogue depuis un bon moment y'm fait piasi d'autant que si z'y farfouillon pas, n 'y aurait pu rin du tout.

Tant qu'on peut y faire à not' guise qu'on nous donne pas des coups de triques, srot djà bié, mais ct'antraise nos se laisseron pas martsi sur les pieds, srot pas plus mal ainsi.

à toutes et toutes j'y t'chouette 

Bonne Année de l'antraise (et surtout la chantée)

(et n'allez confondre les beaux voeux avec les beaux viaux, même si l'viau doux est toujours d'bout) (j'y r'note un aut'coup, ça veut rin dire c'est juste pour faire une fantaisie) 

Notatreziau : J'ajoute en français (c'tu coussi) que si le patois tç'arolais du Père Mathurin est d'un patois "ordinaire" très correct le mien est approximativement bricolé, m'en excuse auprès des puristes, "y faut bin faire d'z'erreurs avant que de y être parfait" a dit le gars qui a construit le bacarouler du côté de Vendenesse, comme c'est pas si facile de tout y faire entrer d'un coup dans notre serre-veau, je vous laisse ci-dessous des liens si le parler patoisant vous intéresse, vous trouverez là, un atelier de recherche linguistique très sérieux à cliquer ci-dessous : 

http://www.publibook.com/librairie/livre-universitaire.ph...

http://aune.lpl.univ-aix.fr/lpl/personnel/rossi/marioross...

 

Traduction du titre : "Arrive que Pyante" signifie "advienne que pourra", (sous entendu: peu importe ce qui en résultera). ex : "Faut pas s'laissi aller à l'arrive que pyante".

photo: Y'a des quoues d'vatses dans l'cié, i va pyoure d'ici deux dzos.  (Il y a des traînées nuageuses dans le ciel, il va pleuvoir dans les deux jours.). Saisie dans la rue principale du bourg boscomarien qui n'est pas exactement racholais mais nabirosinais faut quand même pas tout y confondre

Very special dedicace et autres précisions : Merci à celles et ceux qui ont participé durant l'andouze à ce blog, évident qu'ils seront bienvenus à l'antraise. Mes excuses assez plates aux amis, lecteurs et commentateurs auxquels je n'ai pu répondre dans un délai raisonnable à cause d'un beugue dans la boîte à maille qui dure depuis des mois, enfin une pensée pour mon ami Jacques qui pédale à cette heure quelque part entre les ch'mins du Sud et les brumes sournoises du Nabirosina. 

 

Bois Ste Marie © Frb 2013.

mercredi, 28 novembre 2012

Le loup dans mon oeil gauche

"Je suis riche de pauvreté"

CHOMO alias Roger Chomeaux propos recueillis par Laurent Danchin in "Chomo" éditions Claude Simoën, 1978.

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Parler du royaume de Chomo c'est pour l'heure, une figure de prétérition, une préface pour vous dire que nous ne l'évoquerons pas ce jour ou très peu, l'univers de Chomo servant à ouvrir une fenêtre sur une autre manifestation, mais je reviendrai aux oeuvres de Chomo, prochainement puisque nous en aurons le temps et qu'il me paraît plus pressé de parler d'un spectacle donné par la compagnie de l'Iris, (et son théâtre villeurbannais) aujourd'hui bien connu, dont nous soutenons sans réserve les créations et la démarche exigeante au fil du temps, pour que l'art vivant le reste et puisse encore se partager simplement. Le theâtre de l'Iris, on le sait, en plus des nombreux spectacles qu'il propose et crée depuis des années, reste une mine d'explorations surprenantes, d'échanges entre des disciplines scéniques très différentes, où la rencontre avec les acteurs, les créateurs, les auteurs, offre une approche généreuse autant qu'une interrogation constante de la vie au spectacle et réciproquement. L'Iris a résisté contre vents et marées et continue à chercher et triturer dans l'humain, des sources classiques à contemporaines jusqu'à celles oubliées ou encore incréees avec un soin scrupuleux de réflexion, de transmission, le tout très accueillant.

Pour ceux qui souhaiteraient se rendre à ce spectacle (je vous le recommande chaleureusement) il s'appelle: "Le loup dans mon oeil gauche" pour ceux qui ne connaissent pas, ils trouveront le théâtre de l'Iris au 331 rue Francis de pressenssé à Villeurbanne, l'endroit ne manque pas de charme puisque c'est en 1988 que la Compagnie s'est installée dans un des derniers petits cinémas de quartiers alors que le cinéma permanent par exemple le "Fantasio" (premier cinéma à s'équiper du parlant, non loin du coin des frères Lumière, ô capitale du cinéma !) a vu depuis des lustres sa mémoire effacée, contre l'avis des habitants pour grossir la cité dortoir, il n 'en reste quasi aucune trace, quant à la création, aujourd'hui dans la rue de nos ateliers, les derniers îlôts artistiques, lieux d'échanges officieux sont déjà sous les bulldozzers, les notres frappés de servitude, c'est dire (-dits graissons-), par les temps qui courent, combien le lieu où l'Iris a choisi de poursuivre ses créations demeure précieux et nécessaire, il colle parfaitement avec l'esprit de son theâtre où la création résiste en peaufinant son art et souvent le fait voyager. Le projet initial toujours en évolution, le théâtre de l'Iris reste aussi un "passage" (au sens imagé du passeur) pour rencontrer des oeuvres et des artistes rares.

C'est encore la compagnie de L'iris qui vient nous offrir aujourd'hui une traversée aussi profonde qu'époustouflante dans l'univers singulier de l'art brut. Trop rarement célébré, on ne sait pas exactement quelle place lui accorder, lui qui semble n'en vouloir aucune. Il y a dans l'art brut des attraits mystérieux, des sentiers qui s'évasent...

Chaque jour à notre insu, des gens, des anonymes et inconnus dits "ordinaires", après ou avant leur travail, créent, dessinent, découpent, peignent, bâtissent, inventent, sculptent ou écrivent. Rien que de banal, direz vous ? Rien de plus extraordinaire au contraire, lorsqu'il ne s’agit pas de leur métier et que ce qu’ils font là, ils le réinventent totalement, sans l’avoir jamais appris. Passion, visions, transcendance, mais aussi désespoir et quelque fois maladie. 

Ce spectacle vaut la peine d'un petit déplacement (même dans le froid) puisqu'il est encore facile aux lyonnais (et à ceux de passage) de s'y rendre, à métro par la ligne qui mène direct de presqu'île à Laurent Bonnevay, il suffira de descendre à la station Cusset, et filer au theâtre, pour le plaisir de se retrouver "embarqué...  

extraits:

 Le facteur Cheval ramasse des cailloux sur les chemins, perdant quelque fois le courrier, 

Aloïse institutrice contrariée dans sa vocation de cantatrice tombe éperdument amoureuse de Guillaume II, elle écrit et dessine depuis,

Jeannot a inventé une machine à tailler les vignes, mais se fait voler son invention et se réfugie dans un autre monde, 

Jeanne se voue au spiritisme et à la divination puis dessine, brode et écrit le restant de sa vie en devenant Jeanne d'Arc,

Un autre Jeannot de retour de la guerre d'Algérie s'enferme chez lui pour sculpter un texte halluciné dans le plancher de sa chambre,

Jean-Pierre, quant à lui, nous révèle les origines de l'espèce humaine et du langage dans un Evangile de mille pages qu'il fait tirer à son compte et distribue gratuitement. Il y dévoile la Grande Loi cachée dans la parole et nous démontre la prodigieuse évolution humaine : l'homme descend de la grenouille ! 

La pièce a été mise en scène par Caroline Boisson et Philippe Clément, conçue et écrite par Philippe Clément d'après les oeuvres de Jean-Pierre Brisset, Aloïse Corbaz, Samuel Daiber, Henry Darger, Jules Doudin, Henri Besse, Zdenek Kosek, Lobanov, Marmor, Petit Pierre, Simon Rodia, Jeanne Tripier, Walla, George Widener, Scottie Wilson, Adolf Wölfli etc…

Elle est servie par quatre acteurs (performers) éblouissants: Hervé Daguin, Martine Guillaud, Serge Pillot, Didier Vidal, chorégraphiée par Maryann Perrone, les costumes pas piqués des hannetons sont de Eric Chambon, le son et les lumières, tout est beau, mais, allez voir, le spectacle est jubilatoire et pas seulement, c'est un écho, une émotion, une exploration, (préludienne ?) ramenée du "pays" de l'art brut, celui-ci fût défini par Jean Dubuffet

ici, un extrait du manifeste de 1949, à propos de l'art brut:

Nous entendons par là, des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique dont le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe."

ou plus simple:

Les artistes d'art brut oeuvrent en dehors, sans références et souvent sans démarche intellectuelle.

Certes, il y a des grincements, il faut les éprouver de front. 

Ces créateurs sont par définition des exilés, le chômage, le vieillissement, la maladie, parfois le handicap peuvent en faire des exclus. Certains malgré tout ont inventé leur chemin où il se tiennent, on pourrait dire "au bord du monde". 

Si d'entre eux, quelques uns s'effondrent, condamnés à errer mentalement avec leurs créations, incapables de communiquer à quiconque leur langage mystérieux, d'autres sont parvenus à se reconstruire en s'exprimant dans cette marge grâce à l'art et à la création, pour le créateur d'art brut, l'idée de se glisser dans les programmes des musées ou autres n'est pas le but, les artistes d'art brut disposent d'une gratuité à laquelle nous sommes (principe de réalité oblige) assez peu disposés (quoiqu'on dise), les artistes d'art brut balaient par leur inspiration, les moues des sceptiques qui se demanderaient encore "l'art brut est-ce de l'art pas de l'art ?". Cela n'est pas le souci des artistes d'art brut. Leur vie même étant d'inventer un langage radicalement inédit et totalement dénué d'emprunts, leurs oeuvres ont à voir avec la pulsion, mais cette expression personnelle touche encore à l'universel, sans le secours de références (histoires de l'art, courants d'ismes etc...) jusqu'à ce que nous en éprouvions quelque fois le vertige, une sensation qui hésite entre la peur d'y contempler un puit sans fond et l'émerveillement enfantin devant quelque paradis retrouvé. Entre les deux autant de royaumes ou d'abîmes... L'art brut naît d'un élan vital qui tente encore d'échapper à la destruction à l'anéantissement et fait un retour sur ce que nous avons en nous de plus profond. 

Bien sûr, on pourrait signaler certaines démarches d'art contemporain comparables ou très proches de l'art brut, certains artistes ont clairement revendiqué l'influence de l'art brut sur leurs oeuvres, d'autres sont à la "limite" mais quelque chose distingue le créateur d'art brut de l'artiste contemporain (prompt à se situer dans un courant): c'est ce point de "désintéressement" dont l'artiste contemporain déplore quelquefois qu'il se soit délité, voir perdu, mais les artistes contemporains ont besoin tôt ou tard de reconnaissance et peut-être (ça ne se dit pas trop) de louanges, même s'ils affectent un esprit "désintéressé", ce désintéressement de l'artiste (plus ou moins proclamé) peut sincèrement exister mais il ne sera jamais le même que celui du créateur d'art brut, en cela, l'artiste contemporain est assez éloigné de l'artiste d'art brut, qui se passe de reconnaissance pour créer, il ne cherche aucune approbation culturelle ou sociale. Peut-être est-il vestale de cette part angélique qui manque à l'homme plus ou moins "adapté"...  (c'est une vue romantique, j'y mets quelques guillemets, il y en a de plus sombres), ce dont on ne doute pas c'est que l'art brut interroge au plus près l'acte de créer, et celui d'être au monde. Comment peut-on créer pour rien ? Et pour personne ? C'est une des multiples questions avec parfois celle des affres de l'univers mental et des frontières de la folie, de la raison - où ça commence ou ça finit ? L'art brut dérange sans vouloir déranger. Il y a bien une sorte de démarche ou plutôt de ressort, mine de rien, très puissant, chez l'artiste d'art brut, c'est le défi solitaire obstiné, qui prend forme quelquefois de quête obsessionnelle: puisqu'on se désintéresse à ce que sont ses oeuvres, eh bien ! soit ! le créateur d'art brut prendra sans notre permission la liberté de "tout dire" et de toutes les façons, sans qu'on accorde une responsabilité à ce qu'il dit, à ce qu'il est puisque précisément, on ne manquera pas de compétences pour le traiter de fou, ou moins encore, d'irresponsable.

(en guise d'introduction de Chomo à la pièce de Philippe Clément , le sujet reste à suivre...)

  
source et  pistes d'exploration pour l'art brut, ci dessous:
 
 
 
A propos de la pièce, "Le loup dans mon oeil gauche":

Il ne reste qu'un jour à peine pour découvrir cette pièce (surtout ne pas se fier à notre horloge ici en mode "jours de traîne"), un regret cependant, j'aurais aimé chroniquer cette manifestation beaucoup plus tôt, le spectacle est une pure merveille, mais je ne l'ai appris qu'à mon retour puisqu'avant je n'étais pas à Lyon et  je n'ai pas de nid faune, mais il n'est pas trop tard :
 
"Le loup dans mon oeil gauche" se joue jusqu'au 2 Décembre 2012 (c'est donc le dernier jour, ce dimanche; attention, pour la der des der, le spectacle commencera à 16H00 pétantes, il est prudent de réserver.
 
Pour des infos complètes, le petit nécessaire du Theâtre de l'Iris est à cliquer ICI 
 
Le programme du theâtre pour cette année, peut se télécharger (en pdf) encore ICI
 
 
Et Chomo dans tout ça ? Chomo, on va en reparler, en attendant, pour illustrer le thème toujours irisé, Chomo vous récite un poème:
 
 
 
 
 
Remerciements à Serge Pillot, la compagnie de L'Iris, abcd art brut.net, Laurent Danchin, Raw vision, et Paul pour leurs invitations, le partage d'une précieuse documentation, et toutes les précisions, liens, éclairages qui ont largement nourri ce billet.
 
Photo : Mon quincailler est un étalagiste d'art brut mais il ne le sait pas, lorsqu'on lui dit, il s'en fiche. A chaque saison, sa façon bien à lui, d'agencer ses vitrines semble s'éloigner des tiroirs ordinaires de la quincaille contemporaine, chez lui, pour trouver par exemple, un clou, il faut d'abord croiser quelques biches qui nous observent comme si nous n'avions rien à faire ici (quelle idée me direz vous, d'aller acheter un clou dans une quincaillerie ?) - ça c'est la biche qui le dit - ainsi, à chaque saison un nouveau peuple d'animaux occupe les lieux avec une vraie légitimité saisonnière (ça reste dans une logique bien plus intéressante que celle des vitrines de la fête des lumières mais je m'égare, pardon). L'année dernière, dans la vitrine, c'était des écureuils qui sciaient des fagots avec des scies sans lame auxquelles il manquait le manche, (un peu comme le couteau quantique de Lichtenberg, qui n'est pas brut du tout mais ça reste une idée de cadeau), mon quincailler a aussi une façon formidable de faire la promotion de ses outils z'et matériaux, tant pis pour le castor, mon quincailler est fier de ses scies, cette année, on ne boude plus les plaisirs, avec des si t'avais peur du loup dans ton oeil gauche, t'aurais deux biches dans ton oeil droit, et le quincailler qui te donnerait à la place du clou, des champignons en mousse plus vrais que toi pour ton dîner que tu mettrais dans ta brouette afin te promener en ville avec ton ourson sur ta tête ou pour les manger quand tu rentrerais le soir dans ta maison en pain d'épice, en attendant, que des promoteurs du village préludien te la construisent, mais au lieu de lire ces fadaises cours dont vite à l'Iris, voir le loup, si tu ne veux pas te faire effacer par l'anprinte...
 
 
Villeurbanne © Frb 2012 (avec l'aimable participation de Paul)

mercredi, 14 novembre 2012

Je suis un artiste

"Je ne suis pas un papillon je suis Frédéric, je ne suis pas une machine à répéter je ne suis pas un animal je suis un humain je ne suis pas analphabète je suis un arbre je ne suis pas une fille je suis un garçon je ne suis pas un objet [...] voici mon bureau où je mets aussi quelques cadres et des posters de chevaux [...] j'ai aussi un enregistreur j'ai un ordinateur avec sa caméra et des personnes qui peuvent voir dans l'ordinateur [...] et j'ai même dans ma chambre un grand piano et ça fait du bien de chanter avec le piano [...] voici mon grand jardin avec une serre où je fais tout des légumes variés [...] j'ai toujours des jambes longues je suis grand je suis fort j'essaie de trouver la vérité et d'être le plus beau du monde"

FREDERIC:  extraits choisis "Je suis Frédéric", une pièce sonore réalisée par Damien Magnette mixée par Christophe Rault,  produite par l'ACSR (atelier de création sonore radiophonique- Bruxelles).

 

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"j’aime écouter ma voix".


Voilà Frédéric. Mentalement déficient qui aime les sons follement, qui décrit sa vie quotidienne à Damien Magnette. Il s’enregistre depuis des années, collectionne les sons, chuchote ou crie dans le micro. Il nous fait visiter son monde : sa maison, son atelier de jardinage, ses goûts, ses pensées. On déambule avec lui dans un univers baroque de bric et de broc. Frédéric est "mentalement déficient". Peu importe, son énergie emporte tout. Il dit « je » mille fois. Un "je" servi par une parfaite réalisation de guingois.

(source de partage sonore : SILENCE RADIO)


"Je suis Frédéric"

 

Pour tenter d'en présenter un peu l'essentiel. Cette pièce sonore est une des plus fulgurantes entendue depuis bien longtemps, elle a été relayée par nombre de médias qui l'ont unanimement encensée, elle a remporté de nombreux prix notamment en 2011 un second prix de création radiophonique au festival longueur d'ondes. Le Festival "bobines rebelles" a eu l'excellente idée de programmer cette composition, le week end du 24 et 25 Novembre 2012, (à venir sur notre calendrier récalcitrant, et sans doute advenu déjà) mais comme nous n'avons pas tous l'opportunité de partir un week end pour un festival en Seine St Denis, je vous propose d'entrer dans la maison de Frédéric, qui est bien sûr un monde. Damien Magnette a composé, décomposé, recomposé la réalité du quotidien de Frédéric pour nous inviter en terre angélique  le metteur en ondes a dû brouiller, comme nous l'aimerons toujours, la fiction et la réalité. Entre des faits anecdotiques, un singulier parcours, surgissent implicitement des abîmes et les questions universelles, les plus claires de la vie humaine, comme les phrases que nous n'osons plus prononcer quand nous parlons à la première personne, histoire de "dire" "communiquer" s'il est possible, d'exprimer qui nous sommes.

 

"Je suis".

 

Ici, l'immersion est brutale mais d'une immense délicatesse qui évoque et réveille ces attachements au tout venant - de très simple à baroque. Le courant passe par les les oreilles jusque dans l'épiderme, il est électrique, devient partageable et c'est terriblement, que Frédéric "nous" jardinera, mine de rien avec sa voix humaine, ses dessins son piano... Ca deviendra un sortilège.

Cette création est un fondamental à écouter absolument, 38mn 34 de visite guidée par Frédéric, un énoncé très simple en apparence...

Merci encore à l'excellent site : "Silence Radio" de nous permettre de diffuser partager et faire tourner peut-être... Peu de chance d'en sortir indemne.

 

 

"Je suis un dessin [...]

je suis Frédéric Deschamps

mais je ne suis pas méchant"





 


 

Nota :   Quelques lecteurs m'ont signalé que leur navigateur ne permettait pas l'écoute via le player de "Silence radio", si vous rencontrez ce problème vous pouvez écouter la pièce de Damien Magnette en cliquant sur le lien ci-dessous:

 

http://www.silenceradio.org/dbfiles/file_171_high_je_suis...

 

Photo : "Je suis une fenêtre"...


Sources documentaires et sonores : Silence radio- ACSR- France Culture /

 

 Le manoir © Frb2012.

mardi, 06 novembre 2012

Panier (by HK/RL)

"Je les vois se dorer ventre à l'air vos chanterelles d'abord dans une petite mousse grosnienne émeraude bordée de feuilles de chênes ocres puis bercées dans votre panier d'osier"

écrivez vous dans votre commentaire

d'où la photo ci-jointe pour vous prouver que votre "vision" est très exacte (retour d'une longue balade-cueillette en forêt des Trois Monts)"

HK/RL: extrait d'une correspondance automnale et gourmande, (ce n'est pas la première). Vous pouvez  retrouver LR chez nos amis de Lieux dits (en ouvrant la fenêtre) ou vous pouvez rester ici en offrant votre corps et votre âme à ce divin panier pour en jouir sans entraves.

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podcast

 

 

Musique: A very special dédicace to HK/LR, de correspondance en correspondances: John Cage était aussi un fin mycologue allumé par l'art des cueillettes il s'est tôt aperçu que "Music" et "Mushroom" se  touchent dans plus d'un dictionnaire. Ci-dessus, un extrait de  "Mushroom Haïku, excerpt from Silence".

 

Photos: Un panier de chanterelles et des parfums boisés, pour un monde attachant où l'or croît au grand air, se cueille à pleines brassées puis s'attache à nos lèvres. De quoi  passer l'hiver très loin du CAC 40  dans la délectation insolente des plaisirs simples et gais, à humer sans vergogne un  petit vin de région.  Le cueilleur de champis (qui est aussi un marcheur, chercheur patient et silencieux), pourrait  bien se laisser tenter au retour par un de ces Chinon de 10 ans d'âge, un salaire sans la peur,  dans le crépitement  des fricassées, nous lèverons nos verres à la terre, tant qu'elle tourne,  (comme un plat de chanterelles), et trinquerons au tableau merveilleux qu'on pourrait appeler "le repos du  cueilleur". Et ce n'est qu'un début...

 

from the Grosne's-Land © HK/RL 2012.

vendredi, 12 octobre 2012

Le modèle se rebiffe

Je m’asseois à une table du restaurant de la gare et demande une pomme coupée en tranches fines dans le haut-parleur du quai une voix récite
la dernière partie du Mahâbhârata
un voyageur solitaire me demande la permission de s’asseoir à ma table
je le regarde un temps et dit avec ennui
non.

Matéi VISNIEC : "Scènes à la gare de la ville", (fragment), traduit par Nicolas Cavalliès, extrait (probablement) de "La ville d'un seul habitant", Lansman éditeur, 2010.

Pour écouter la marche, il suffit de cliquer dans l'imagefrançois bayrou rentrant dans son pays.jpg

Il sentira le sable sous les quais jusqu'à la naissance des galets, cette blancheur introuvable, l'île aux poudres où tout va exactement à l'opposé d'une  vague qui lisserait son verbe sur la trame  de l'homme arrivé.

Il aimera sa maison et les siens, pas de reproches à leur faire, c'est de la faute à personne, s'il a envie de marcher, juste pour aller plus loin. Quelques pas en dehors. Au moins ça,  qui ça gêne ?

Il convoque son enfance, elle revient grâce à des attractions qui brillent dans les vitrines, sous des guirlandes. Elles ont si peu à voir avec l'enfance. Une mémoire écrasante anime des personnages en mousse grandeur nature qui traversent les rues il voit des  panneaux gigantesques représentant le père Noël riant dessous sa hotte, au printemps, le vieux passe par les combles  ça avait dû se détraquer avec les activités de l'âge mûr. L'enfance, il la goûtera toujours à travers les coffres en désordre : billes, poupées, cubes, légos, oursons, balle, trottinette, et le bonhomme de neige, retourne vers la mer, y chercher un peu de brume pour le sortir des murs. Tout au feu et là bas, découvrant l'embrasure, il laissera son corps décider.

Là bas, c'est une place où l'on passe sans s'inscrire, l'homme y perd et en perdant il gagne. Il devient le marcheur, trouvera sans chercher un parcours provisoire où le muscle délivre, s'allie avec l'espace puis réduit son malheur, il ne sait trop lequel, il s'était inventé. L'avantage d'inventions, c'est qu'on peut s'en défaire. Des tas de malheurs c'est cru et probablement fait d'une seule pièce, dont il ne connaît pas le but, ou  bien c'était hier, au cours élémentaire :

quatre fois deux passe encore. Six fois cinq, c'est limite, mais sept fois huit ? Il cherche. Il ne se souvient plus.

Il revoit monsieur Bouchard, appuyant sur sa craie. Elle crissait sous l'effort, ça aiguisait aussi, le nerf de la musique

Il ne fait guère de doute que le "moteur" du cri déchirant de la craie, c'est la très forte non linéarite du frottement de celle-ci sur le tableau, un peu comme pour la collophane sur l'archet des violons.

Il tentait de fuir le regard (du maître) mais à chaque fois, c'était encore sur lui que ça tombait :

- Sept fois huit ? Moinon ! Répondez ! au lieu de dissiper vos petits camarades! Sept fois huit ?

- Sept fois huit ? Bin ... euh ...

- Vous êtes complèment hors sujet ! qu'est ce qu'on va faire de vous ? Mon pauvre ami !

Complètement hors sujet. Ca devient un handicap. Ce babillement entre les phrases. Sept fois huit fenêtres sur ce mur, sept fois huit wagons sur deux rails...

- Combien ça fait ?  Moinon ! c'est pas bien difficile ! on dirait que vous tenez à devenir la risée de vos petits camarades ?  Procédons autrement !

Sachant qu'un petit ourson voyage 7X moins vite qu'un grand héron lequel quitte Paris à 6 heures volant à 36 km/h. alors que le pinson, qui est à Montluçon quittera son nid à 17 heures à une vitesse moyenne de 59 km/h ;  à quelle heure et à quelle distance de Paris vont se rencontrer le pinson, le héron et le petit ourson ?

- Bin ... heu....

Pourtant ça te regarde, toi aussi, ce goût qu'on donne à la jeunesse de ne pas se promener toujours avec des oreilles d'ânes.

Lui il s'est assis sur sa bête, il est resté droit dans ses bottes il a dit:

- "allez ! hue la bête ! on s'en va ! en route ! le soleil brille, la route est belle !

Il a cru voir Martin qui partait au désert, peser de son poids sur le monde :

 

De la peau du Lion l'Ane s'étant vêtu
Etait craint partout à la ronde,
Et bien qu'animal sans vertu,
Il faisait trembler tout le monde.
Un petit bout d'oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l'erreur.
Martin fit alors son office.
Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice
S'étonnaient de voir que Martin
Chassât les Lions au moulin.
Force gens font du bruit en France,
Par qui cet Apologue est rendu familier.
Un équipage cavalier
Fait les trois quarts de leur vaillance.

 

Ils ont tellement ri aux éclats que le vieux maître a puni tout le monde.

Peut-être est-ce à cause du poids de ces petites tracasseries continuelles qu'on en vient superscivement à accepter des choses qu'on ne désirerait pas pour soi-même ?

- subrepticement, Moinon ! ça suffira  et toutes vos facéties  ne  méritent  pas notre peine.  Celle que des gens se donnent à vous instruire,  pour votre  bien quand même, procédons autrement, huit fois sept ! on y restera jusqu'à demain!  personnellement j'ai tout mon temps !

- Bin ... mais c'est que c'est pas pareil...

- Comment c'est pas pareil ? Pensez aux hérons aux pinsons !

- Et l'ourson ?

- Laissez l'ourson hors de tout ça ! Sept fois huit ? Huit fois sept ?

-  Bin euh... personnellement, je vois pas...

- Moinon ! vous le faites exprès ?

- L'ourson c'est parce qu'il n'a pas d'ailes ?

- On se passe de vos questions, Moinon ! essayez au moins six fois sept ?

- quarante deux !

- Bien !!!

- Sept fois Sept ?

- Quarante-neuf !

- Très bien ! félicitations !

Peut-être faut-il faire croire qu'on sait la vérité ? Chaque jour une nouvelle pour remplacer l'ancienne, comme ces panneaux publicitaires qui grandissent avec ceux qu'ils promènent. Ces manières de se voir imposer partout les palissades des nuages à ras terre et ces chaises occupées par des hommes assis, jambes croisés, ils décident avec gravité la vie pareille aux mêmes - spécialistes présidant au récit de la vie, présidents des journées de la tarte à la crème, ils étaient tous superbes avec leur peau de lion, ils ont pris des fusils et ils ont couru après le héron, le pinson, et ils ont réveillé l'ourson. C'était ça qui clochait. C'était à cause de ces tracassins d'illusion, qu'il faudrait tôt ou tard se faire la malle en vitesse. Et l'autre il racontait qu'il faudrait un sacré rocher pour voir venir de loin des ennemis imaginaires.

- Que vont ils décider à présent ? Ce qui leur semble bien fait ? Et si moi je foutais le camp ? Est-ce que le monde s'en apercevrait ? . Enfin, le petit monde, celui qui nous fait nous défait, et de nouveau, rien d'autre ...Il a demandé au docteur Mollon qui tournait en rond dans la pièce, les mains derrière le dos en soupirant. Il faudrait essayer d'expliquer au patient qu'il serait parano. A présent, le docteur il observe derrière ses grandes lunettes, calmement les mains à plat sur le bureau  il y a d'abord un silence qui semble en savoir long. Puis le Docteur répond:

- Bien sûr, je comprends tout à fait votre question, monsieur Moinon, mais il  y a des méandres... il faudrait essayer de vous adapter un petit peu, vous montrer à vous même un  peu plus d'organisation, c'est important surtout important pour les autres...

- Important ?  Croyez vous ?

Le Docteur a souri, il s'est gratté la tête, le patient n'était pas complètement perdu, le docteur a songé  : "il faudrait je le récupère, oh puis non ! pas la peine" il  a creusé  un  trou,  il a dit :

-  je vous rajouterais du Broilapène 3000  ou si vous préférez du Gramabol 500 ou 610, à base de cryptocoryne ça permet de bien dormir. Au moins ça...

Pour la première fois l'homme, il a fait comme toi , il a fait ce que nous ferons tous un jour. Il s'est levé, il a pris sa casquette, il a dit "Non merci !".

Le docteur a tiré sur le bras de l'homme, il a dit :

hola ! mais il ne faut pas se sauver si vite ! Vous me devez 56 !

- Et pourquoi, 56 ?

-  Monsieur Moinon, vous êtes venu sept fois cette semaine comme vous êtes remboursé, que votre sécu coûte cher, aux autres  gens, pensez-y,  moi je ne prends que 8 par consultation, si vous faites le calcul sept fois huit 56, recomptez, mais je crois que c'est à bon compte...

L'homme a souri. 7X8, il était guéri.

- 56, oui,  c'est vrai,  le compte y est !

Il a sorti des pommes et des figues a demandé au Docteur Mollon

- ça ne vous fait rien que je vous règle à ma façon ?

- Pas du tout au contraire ! depuis que l'argent n'a plus de valeur j'aime autant ! a répondu le Docteur puis il a avancé sa grande tête piriforme parlant plus près de l'homme qui farfouillait dans sa barotte :

- Si vous aviez quelques châtaignes ou des noix, pour mon épouse, elle adore ça.

- Pas de problème ! voilà voilà ! Au revoir Docteur !

- Au revoir Monsieur Moinon, si on ne se revoit pas je vous souhaite un Joyeux Noël !

- Vous de même !

- Je n'y manquerais pas !

L'homme est sorti, guilleret, il a su grâce aux arbres que même si partout c'était écrit qu'on approchait de toutes sortes de fêtes, elles semblaient encore loin. On était la saison du cul entre deux chaises. Il a tripoté au marché les guirlandes de Noël, avec des lutins en forme de sapins gigantesques qui clignotaient et devenaient multicolores quand on les raccordait à une clé.

 Il a su aussi que l'automne cette année serait juste attardé, il restait encore des feuilles vertes et des fleurs, il a croisé des gens en shorts, et d'autres emmitouflés, les couloirs de métro diffusaient "Vive le vent",  et des publicités pour des séjours au Val d'Isère. Le mois des soldes et des liquidations massives allait recommencer.

Il a mis la guirlande lumineuse autour de son cou, puis a choisi sa rame, mais il n'est pas monté, il a repris le chemin en sens inverse. Il a fait deux pas en arrière puis il a reculé.

Pourvu que ses pas ne le ramènent plus là bas, chez eux, Suzanne avait déjà trouvé des santons pour la crêche, il n'avait pas envie de traîner au bricoland tout l'après-midi pour choisir les cadeaux de la petite. Il est remonté par le boulevard Charles Géode au niveau de la mairie jusqu'au grand manège.

Il s'est acheté deux pommes d'amour à la vogue desfois qu'il croise une inconnue. Quelle femme sur la terre n'a pas rêvé un jour de se faire offrir une pomme d'amour par un gars un peu con qui croiserait son chemin, et repartirait sans rien dire ? Et s'il ne rencontrait pas la femme, il se garderait l'autre pomme pour manger après son  sandwitch .

Il a vu des gens portant des paquets étincellants étoilés de rubans, d'autres avec des sapins. "Les gens sont de plus en plus dingues", il s'est dit. Mais c'était de la faute à personne. Les gens, les gens, pour ce peu qu'on en  dit. ll a marché longtemps, sous les arbres une pluie de sanguines et de l'or plein les mains. Quand la nuit tombera, les rites de saisons seront tous accomplis. Il a songé à l'illustre Vyâsa qui convoquait les mondes. Demain, il rassemblera toutes les femmes pour les mettre à l'abri, sous un arbre. Puis ce sera l'été. D'une manière ou d'une autre.

Il a jeté sa pomme au fond de sa barotte,  ça a dû faire un bruit du genre "splotch" qu'il n'a pas entendu, il a remis sa casquette comme il faut, a repensé à sa femme, qui avait remarqué avec ses grosses oreilles rangées sous la casquette que ça faisait deux grosses bosses ridicules à se marrer. Deux grosses bosses et alors ? Qu'est ce que ça peut changer ? Il a pissé un coup dans l'allée sur les pétales des fleurs, qu'il avait admiré la veille. Puis remontant sa braguette d'un coup sec, pof ! voilà une affaire de réglée ! il a jeté sa ceinture au milieu de l'allée, où le vent incessant avait renversé des poubelles du caniveau à la chaussée, tout un tas de vestiges des tempêtes, le vent pouvait souffler sur les fleurs, sous le ciel, sur la mer, et alors ? Qu'est-ce que ça pouvait faire ? Il a mis ses deux mains carrées sur la manette, il les a agrippé solides, il a marché, il a continué, la casquette sur le nez, à marcher, marcher, encore marcher, ça a duré des semaines, à force de s'éloigner, il n'avait plus cet air de ramper ventre à terre pour les autres, il a revu l'image de Suzanne lovée dans son rire bête, il a songé au gars de la fable qui riait le dernier. Il ravalait sa peine, la changeait en fierté, il faudrait s'accrocher et il s'éloignerait plus loin que les Monts d'Or ensuite il marcherait, droit devant, sans plier, jusqu'à trouver son coin, à force tout s'arrangerait et le vent tournerait, avec la volonté, en gardant bien ses mains posées sur la manette, droit devant, en suivant son chemin, le vent le porterait. Il sentait son destin chalouper dans sa tête, il fallait du courage et il en avait plein, ramper c'était hier. Selon ses prévisions, après beaucoup d'années et beaucoup de kilomètres, il sentait qu'à la fin, tout finirait sûrement par aller comme sur des roulettes.

 




podcast


 

 

Musique : Chenard Walcker : "Les arbres-mon Dieu"

 

Photo :  Le modèle et son âne caché dans une barotte sont sortis de la bibliothèque, ils ont traversé un passage qui mène droit à la gare. Filature impeccable, ensuite, je les ai vu happés par une foule sous le  panneau des départs, je les ai suivis encore, par des rues, des avenues puis la foule est venue  et je les ai  perdus.

 

Lyon Vivier-Merle © Frb 2012

dimanche, 07 octobre 2012

Les errances du modèle (II)

Rien ne nous advient que revêtu de notre âme : nous n'y reconnaissons qu'à la longue ce que nous avons appelé...

Joë BOUSQUET cité par les "Esprits Nomades" dans une page à découvrir intégralement  ICI.

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Ce départ nécessite une lente préparation, un matin il se lèvera trop tard et laissera tout aller : le bol, le sucre, la petite cuillère. Les choses en cours subiront un obstacle.

Il laissera de travers, la toile cirée parfaite, avec ses fruits pêle-mêle répétés à l'identique: un raisin une pomme deux cerises au milieu des triangles, des carrés alternativement disposés en quinconce. Depuis le temps qu'il les compte, c'est une distraction coutumière au petit déjeûner, compter et recompter. Quand il aura tout compilé, il se dira que Suzanne, sa femme a des goûts de merde. Un raisin, un carré deux triangles deux cerises et la pomme entre deux, tous les jours identiques ça recommence sans bouger: un raisin un carré deux triangles deux cerises et la pomme entre deux, tellement identiques.

Ca fuit, ça se dérègle, ça altère son esprit. Il est la pomme cirée entre deux cerisiers, il est le raisin dont la colère se cache sous des figures géométriques. C'est décidé, maintenant, ce non, il peut lui obéir.

Non, il ne passera pas l'éponge pour nettoyer les miettes et ranger les mets qu'on rassemble chaque jour autour du compotier.

Non, il n'effacera pas le coulis échappé des tartines fondues de Plantafin ; et la pomme, entre deux, il ne va pas la regarder toujours comme le symbole des goûts de merde de Suzanne, elle rêvait d'une maison propre et nette comme on en voit à la télé, ça accentuait ses manies de cocooner pour l'embellie de ses fleurs de ses fruits. Il avait installé ses bases dehors, il allait et venait, une bêche à la main, sommé d'entretenir les fleurs, les fruits, le chien.

Suzanne, tous les samedis, va choisir des tissus à l'hyper du textile, depuis toujours elle porte un soin méticuleux à rajouter pour la maison, "quelques petites bricoles", comme elle dit. Il ressent la vague sensation d'une course incontrôlable, Suzanne doit éprouver un état de manque, à courir après des tapis de bains, des séries de coussins, des traversins... Rien ne lui semble assez doux pour eux. Est-ce de sa faute à lui, ce besoin impérieux qu'elle a de rajouter des objets afin de les mettre en valeur avec d'autres objets ? Ca lui donne l'impression, qu'il ne peut déjà plus trouver sa place, s'imposer parmi eux, il n'est plus maître en sa maison. Il observe Suzanne, décorer le salon il n'osera mettre un frein à cette obstination dont le perfectionnisme ne saurait endurer le moindre reproche.

Plus le temps passe, plus ça fleurit chez eux, ça fruite dans tous les coins, la couette est envahie de pommes, de noisettes, gonflant des housses assorties aux rideaux, giroflées, coquelicots, tout s'emboîte et leurs corps dans ces goûts n'apaisent plus leur faim...

C'est juré, à partir d'aujourd'hui, il n'utilisera pas la lingette au citron qui absorbe les taches de café sur le bord blanc du bol, un seul geste suffirait. Non, c'est non. Il ne respirera pas ce goût de Paic qui lui rappelle l'odeur âcre de la tarte-citron-maison du café-restaurant-snack "Croqu' vit'" où il mange tous les jours de midi quinze à midi quarante-cinq avec ses trois collègues, Barnier Chaumette et Thomasson, six mocassins, logeant des animaux sur des chaussettes, trois paires de jambes traînant des fruits sur leurs caleçons.

Il suffira de claquer la porte, d'enfiler des bottes de cow boy, un grand chapeau un fusil, tirer dans le tas, et allez boum ! ou plus simplement, dénicher des chaussures anglaises, des trotters en daim souple assez sobres. Il faut se tenir prêt, afin d'aborder l'étape nécessaire d'un ravissement qui consiste à ne pas se rendre.

Pas aujourd'hui. Et pas demain. Il faudra supprimer aussi l'obsession de survie, le loyer, les crédits, cette dépression qui n'en n'a jamais l'air, aucun signe extérieur de désordre. Une "dépression larvée", il a dit le docteur Mollon en prescrivant le Lexomil et des boîtes de Tardyferon. Le docteur Mollon, il secoue toujours sa tête piriforme quand il veut donner un conseil, il prend un air confidentiel anticipant au mieux toute forme de contestation. Il a dit en se râclant la gorge: - "vous devriez faire du jogging, monsieur Moinon, vous inscrire dans un club d'Aquagym, j'en connais un très bien sur l'avenue Blaise Cendrars juste en face du Bricomaton".

Assis au bord de la table d'examen, il songeait au poète et sa main retrouvée qui remuait le ciel, pour faire un bras d'honneur par delà les persiennes aux flots bleus du club d'Aquagym. Il faudrait bien un jour que quelqu'un le sorte de ce traquenard, ou qu'il s'y colle lui-même avec un tel cafard, il croiserait peut-être un cas de figure similaire dans un forum sur internet.

Pour l'heure il ne peut rien en dire, il longe les murs, jusqu'à la pharmacie, il creusera son trou dans la file, tirera un tiquet d'une machine pour obtenir un numéro. C'est comme à la boucherie dans les grandes pharmacies, il y a du nouveau : on prend un numéro, un pharmacien parfois se poste à côté de la machine pour réciter les numéros, le client sait alors exactement quand c'est son tour, le pharmacien ne dit plus "à qui le tour ?" Il crie juste très fort "364!" "365 !" et ainsi de suite. Il n'y a plus de chaos, 365 tours pas plus de trois minutes par client, à la sortie c'est toujours la même chose, après avoir attendu très longtemps, et payé poliment, il cherchera une poubelle, et hop ! hop ! hop ! il jetera le bromazépam dans les réceptacles à produits recyclables qui ont fini par prendre une place phénoménale dans la ville, ultime acte de bravoure après quoi la planète pourra bien endurer une ou deux explosions, son âme étirant l'étincelle, invitera les constellations à libérer les animaux qui vivent dans les chaussettes une vie pareille à la notre.

Pendant que le Docteur Mollon a essayé de lui expliquer pourquoi il fallait faire le test gratuit de dépistage du cancer du colon, en quoi cela était un acte responsable ;  lui, il sentait que l'irresponsabilité, dans son cas serait un acte d'amour inouï. Mais il ne toucherait pas un mot de la fable au Docteur Mollon quand celui-ci traquant les larves dessous la dépression, jugerait "bon" de lui prescrire un séjour d'un mois, à la maison de repos des Tanches. Lui, n'a pas osé dire qu'il  préférerait un séjour au bord d'un étang, dans une petite maison, entourée de roseaux. Il devenait peu à peu le héron.

- Moi des Tanches ? [...] moi Héron ? Mais pour qui me prend-on ?

La petite idée jouerait encore sous conditions. Il restait un tas de choses à régler. Dernier caprice en date. Suzanne voulait un chat. Un chat sur un coussin, juste pour l'affection. Il n'avait rien contre les chats, mais cette fois c'était non. La petite idée consistait à marcher vers ce non, tranquillement, sans se fâcher, sans causer aucun mal, rien qu'un non radical ouvrant le phénomène au plus grand horizon, un non, qui aurait l'apparence d'un vrai non, et qui serait, au contraire, une approbation totale au monde, sans rien en conquérir, en demandant pardon à tous les animaux.

Ca flottait comme un rêve entre le sentiment de bonté qui aurait dû faire de lui l'être le plus adoré au monde et la sensation personnelle de devenir un  vrai salaud  s'apprêtant à commettre  un acte inavouable, où l'exil balançant son pôle magnétique entre des corps étrangers infiniment plus désirables que celui de Suzanne, inaugurerait bientôt un état de transformation si brutal que ceux qui l'avaient tant aimé ne pourrait jamais pardonner.

Ce serait comme un jet de pierre, un frisson entre la peur de perdre pied et le souffle qui la délivre. Le modèle dériverait vers cette dimension où basculent tous les phénomènes, il ne laisserait que le souvenir d'une pointure taillée dans le cuir, un détail qui perdrait peu à peu son prestige, Le sol changé en petits pas grandioses, le modèle roulerait sa mécanique comme n'importe quelle machine se met à broyer les graviers les larguer derrière elle, jusqu'à ce que la route les disperse sans plus de différence. Il y aurait une étincelle juste avant l'embrasure et l'imminence de l'arrivée ne serait plus un problème pour lui.

 

A suivre ...

 

 Nota : Notre modèle devenant de plus en plus interchangeable, vous pouvez explorer ses multiples facettes en cliquant dans l'image.

 

Etat des lieux : Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coincidence, toutefois cet inventaire (ou démarque) d'objets domestiques, m'a été inspiré par une scène de rue  fascinante d'un déménagement en forme de montagne d'objets familiers représentant des années de vie, de deux personnes dont je n'ai vu que la silhouette de loin. Un aperçu de quelques minutes d'une densité presque aussi effrayante que ces objets qui nous possèdent peut-être chez nous, à l'identique, si par hasard un certain jour, il nous venait l'idée saugrenue de les entasser dans une rue...

 

Photo : Ascension du modèle croissant incognito dans la ville, une procession saisie au corps à corps, sur le grand escalier mécanique de la station Charpennes, menant à la place Charles Hernu anciennement Place de la Bascule à Villeurbanne.

 

Sortie métro  © Frb 2012

vendredi, 14 septembre 2012

La naissance du modèle (II)

Je lui disais "regarde comme on peut bien marcher sur deux jambes. N'est ce pas merveilleux ?"
Un équilibre parfait. Je déplaçais le poids de mon corps d'un pied sur l'autre, faisant brusquement demi-tour sans perdre l'équilibre. C'est quand même quelque chose d'extraordinaire.

GIACOMETTI parlant à son modèle, extr. du livre de Anne MORTAL "Le chemin de personne - Yves Bonnefoy Julien Gracq ", éditions l'Harmattan, 2000.

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Il marchera dix heures par jour pour parcourir une moyenne quotidienne de 35 km entre sa cabane et son île, il rêvera de partir en sandales sur les chemins de Compostelle.

Il marchera sur un manège par des tapis roulants à travers des clôtures incassables, il n'aura pour ami qu'un tricycle à bagages, une trousse de premiers soins, une tente, peut-être un sac, il achètera tout à la boutique du "campeur" de la rue des écoles.

 

Lien  : http://youtu.be/F72jPxRCR7c

Nota : Augurant le thème de la marche et des forces motrices dont aucune n'est à suivre, strictement, (quoique)... parmi des propositions multiples et les vagues à venir, vous trouverez un fragment des dérives du modèle en cliquant dans l'image.

 

Photo : La naissance du modèle sur les chemins de la vie, (pas encore buissonniers), pas encore Homme qui marche, filliforme et précaire, dépouillé de ses accessoires, tel que l'avait imaginé Giacometti, occupé à le faire, le défaire en multiples versions jamais achevées selon l'artiste, foulant l'équilibre de l'homme et de son vide. Le modèle 2012 aura coûté moins cher, (détail mesquin, le cartable coûte un bras, car aujourd'hui hélas, on ne peut plus naître sans rien), le modèle 2012 trace humblement son rêve en habits de gala, il chemine pas à pas, patience ! laissons-le naître... Photographié loin des écoles entre deux rives, sur la Presqu'île exactement.

 

Lyon. © Frb 2012.

jeudi, 06 septembre 2012

Toujours plus

C’est en tant que cinéaste que s’élabore mon travail critique, et non pas en tant que critique de cinéma. En tant que critique, je suis essentiellement un laudateur. La critique peut fonctionner avec des mots, mais le mot est toujours plus discutable que l’image. L’image, elle, tord un peu la réalité mais peut frapper visuellement. Un distributeur automatique de baguettes de pain, c’est plus visuel à l’image qu’à l’écrit, n’est-ce pas ? Et bien, voilà, c’est ce que je filme !

LUC MOULLET, extr. de propos recueillis par Katia Bayer et Mathieu Lericq que vous pouvez retrouver en intégralité sur le site "Format Court", ICI.

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"Toujours plus", essai de présentation :

"Aujourd’hui, les supermarchés se construisent sur l’emplacement des cinémas ou des églises. Évolution normale, puisque le consumérisme était la religion du vingtième siècle"

Cet extrait datant du milieu des années 90, présentait succintement le  film "Toujours Plus" de Luc Moullet, montrant cette évolution dite "normale" (ou "normative") de notre société, ainsi qu'une  certaine entreprise de séparation généralisée, pour ne pas dire de sape (définitive ?) du vivant, de l'humain en particulier.

Le XXIem siècle (après Luc Moullet), persiste à affermir cette "nouvelle religion" alors que l'humain y semble plus réduit que jamais, ciblé et noyé de contradictions assiégé par un tas de nouveaux besoins, que des stratégies ultra-séductrices savent lui suggérer, bardé d'outils merveilleux, de sollicitations ininterrompues, il paraît malgré tout rendu au constat désolant de ne pouvoir lutter contre son sentiment de frustration, de clivages et d'inanité, à mesure que l'espace vital et le temps s'emplissent de denrées et  d'objets multicolores initialement prévus pour le bonheur de tous.

Le faix existentiel n'ayant pas été allégé, il devient délicat de montrer le sujet à distance ironique, sans que cela soit immédiatement estampillé via toutes sortes de connotations souvent consternantes, on pourra encore admirer avec quelle malice enfantine Luc Moullet aura eu le don d'échapper...

Le film "Toujours plus" (1993), précédant "Toujours moins" (2010), autre film qui évoquait en 13mn environ, l'évolution et l'accroissement des disposititifs fondés sur l'informatique, automates, bornes et autres)... appréhende avec un regard et une intuition époustouflante son temps aussi bien que les temps où nous nous trouvons, puisqu'en nos courses  sans grande alternative, nous sommes d'ores et déjà passés de plus à moins, obligés à réduire nos précieuses perspectives d'avenir, les médias ne cessant de le marteller, avec toutes sortes d'information inclus quelques messages paradoxaux, du genre "méthodes de vie" gaiement "sponsorisées", pour combattre le consumérisme, tandis que la voix humaine singulière se trouve peu à peu submergée, certes, tout ça on le sait...

Nous publierons peut-être ici un jour, le film "toujours moins", puisqu'à ce moins nous avons déjà cédé notre part, n'ayant pu éviter la logique de cet ordre prompt à nous intégrer dans une forme ou une autre de catégorie, le modèle du genre devenu intenable incontournable ; c'est dans "l'ordre", pour une fois, que je vous présenterai les balises du chemin et ses envolées conçues par le regard génial de Luc MOULLET ; parcours où tout abonde, avant que le plat de résistance ou d'épuisement des résistances (?) nous fasse entrer à l'insu de notre plein gré dans un monde pas si loin de la schizophrénie. Cette contradiction devenue "notre" lot, surprend ses créatures en flagrant délit d'impuissance mais au nom des vertus d'un (re)tour à la normale qui n'est jamais partie, quels efforts ne ferait-on pas ? 

Voilà pourquoi, déjouant cette question lamentable afin de favoriser un message utile et agréable que m'enseigna ironiquement feu mon père cinéphile et cycliste né à la même époque que Luc Moullet, (je délivre le message : "Le cinéma, y'a que ça de vrai") je glisserai aujourd'hui "Toujours plus", en tête de ma gondole. Un billet doublement dédié, (profitez ! c'est la semaine de la dédicace).

Nota : Si le côté foutraque, doux dingue, et la poétique hilarante de Luc MOULLET sont d'un style qui régale, n'oublions pas que le cinéaste est aussi l'un des plus grands (très modeste d'ailleurs) théoricien français du cinéma vivant et qu'il est fin connaisseur en matière de cinéma hollywoodien bien que ses films soient à l'opposé esthétiquement. 

Enfin, pour terminer, après la publication sur ce blog des films "Barres" (1984), "Prestige de la Mort" surtout, récemment de "L'homme des Roubines", l'oeuvre de Luc Moullet a suscité une vive curiosité auprès de nos lecteurs, dont certains m'ont demandé d'y revenir et je les remercie, étant inconditionnelle de l'oeuvre de Moullet, je ne me ferai donc pas prier pour vous présenter "Toujours plus" réalisé en 1993/94, tourné en 16mm et en short. A noter que les conditions de travail intenables des caissières et employés des grandes surfaces y étaient déjà finement saisies au vif, bien avant l'ouverture des débats de société sur le monde du travail, le harcélement et autres intolérables, le film laissant à voir, et entendre subtilement l'espace où nous sommes embarqués... 

Sur ce coup exceptionnellement, je tenterai une démo de force de vente en ciblant sans vergogne le lecteur adoré, que je sais par ailleurs fort sollicité, et je l'encouragerai vigoureusement à visionner ce petit film hénaurme, peaufiné jusqu'au moindre détail. Je serai prête à parier un caddy de DVD que vous ne le regretterez pas. Les insatisfaits ne seront pas remboursés.

 

 

Bonus : http://www.dailymotion.com/video/xgw9r5_regard-082-luc-mo...

Remerciements : à mon ami Jacques, artiste du son et de l'image, doux dingue et  lui-même réalisateur, pour bon nombre d'artistes hauts en couleurs qui m'a amplement initiée à l'univers de Luc Moullet par de savants détours (en)cyclopédiques et montagnards, en espérant qu'il nous délivre "son" prochain film (en short, évidemment).

Photo : Ceci n'est pas un autoportrait mais ça pourrait être "notre" autoportrait (?) /(que celui qui n'a jamais éprouvé son corps dans un hyper pour s'absenter rêveur, entre deux marques de yaourts me jette la première pierre )/ Photographié à l'Hyperion de ma zup au rayon laitages, ("on se lève tous pour..."), on pourrait appeler ça si on en était sûr, de la poésie du quotidien. Un exercice plus périlleux qu'il n'y paraît (louez-moi ! :) puisqu'il est strictement défendu de prendre des photos dans les supermarchés et que le vigile sur ce coup là, a dû très gentiment fermer les yeux, sur le contenu de mon baluchon ce qui est rare, d'habitude ils ouvrent les sacs, parfois vident les cabas et les appareils photo non sans violence, (sachez qu'ils n'en n'ont aucun droit), ceci fera peut-être le sujet d'un autre billet dans notre série "nature et découverte", ou certains jours à l'abordage d'un monde de brutes"...

Zup © Frb 2012

jeudi, 16 août 2012

Vitrailler (I)

Oh n'est-ce pas mon Christ, mieux valait l'esclavage,
Les terreurs et la lèpre et la mort sans linceul,
Et sous un ciel de plomb l'éternel Moyen-Age,
Avec la certitude au moins qu'on n'est pas seul !

Jules LAFORGUE, extr. "Certes ce siècle est grand !" in "Poésies complètes", (références incomplètes).

vitrail &.jpgLe temps allé, nos corps se trouvèrent suspendus, il fallait bien choisir entre le haut ou le bas. Nous sommes demeurés dans cette position indécise, un peu voûtés comme les  plafonds en voûte d'arêtes du petit édifice.

L'assemblée est debout, ramassée dans son cercle, elle sommeille.

Quand viendra l'heure de rentrer, il sera difficile de rejoindre les bruits. Entre la solitude et cette clameur là bas, il y a l'ombre d'un homme qui vient chercher la somme déposée dans les troncs, c'est la recette des cartes postales à cinquante centimes pièce. Il marche sur la pointe des pieds, il a fait le signe de croix, c'est une sorte de vicaire. Et toi tu vis de ça, du regard porté sur l'original au milieu des imitations, de l'envie allant au plus simple esquivant les complications de la vie ordinaire, elle aussi, a fini par te coller une lucarne dans l'oeil et tu t'enfuis là haut saisir les éclats de couleurs. La volonté de tout saisir a fait de toi un courant d'homme qui court et court sans cesse après quelque chose de nouveau, même si cette nouveauté reproduit avec précision un savoir millénaire, cela ne rencontrait pas ton rêve. Tu te promènes en touriste comme tout le monde. Un vitrail te sidère. Ta voix veut s'y loger.

A cette heure, tu devrais être avec les autres, sur la plage et tu ris de toi même, toi, le fauve à genoux, l'incrédule amusé qui s'en revient lustrer son corps sur cette pierre. Tu es tombé ici et tu tais ce hasard. Un voeu de Moyen-Âge traverse ton histoire. Tu t'es dit un instant qu'il serait temps peut-être, d'abandonner le reste, si tu le peux encore.

L'assemblée s'est tournée vers toi, elle met un doigt sur ta bouche, comme une seule émission elle te prie. La voix baisse c'est à peine, se taire, tu ne sais pas.

Tu croyais aux rictus de ces diables surgis des chapiteaux, et encore tu t'exclames, pour ce peu de silence...

Pourrais-tu leur reprendre ?

C'est le même rictus qu'autrefois. Ils t'intriguent ces vieux, avec le même dos rond qui passe en communion, quand ils baissaient les yeux à cause du jugement.

Ils t'effrayaient parfois, au delà de leur âge, il y avait autre chose. Tu n'as pas tout compris. Voulaient-ils te prévenir quand toi aussi un jour, tu marcherais voûté et monterais là haut ?

C'était inadmissible de semer la terreur dans l'esprit des enfants de faire d'eux des petits vieux avant l'heure. A présent l'assemblée ne te juge pas, elle rêve, entrée dans ses prières qui vont avec les pleurs et tout ceux que l'on pleure déjà nous pétrifient.

Tu aimes cette clarté du choeur et des travées contre l'obscurité du bas côté où le visage repeint de la Vierge-Marie semble attendre que l'on répare aussi l'enfant blotti contre les plis d'un voile cœruleum. La statue a été soigneusement inclinée derrière une pancarte qui demande une faveur : "prière de ne pas toucher / restauration en cours". 

Par l'allée principale les figurations de l'enfer ne te semblent pas plus sérieuses que ta tête quand elle sort de la nuit, ébouriffée, broyant dans une image une foule illuminée qui disait les messes basses et troublait ton sommeil. C'est comme au cinéma, ça tourne, ça se répète, ça rejoue d'autres scènes: les sentences arbitaires, l'improbable veau d'or... Un sacré beau désordre : il grouillait de bonhommes qui criaient au miracle, de gouailleuses parigottes s'entichaient d'un sauveur et Robert Le Vigan prenait son rôle à coeur,  dans la chair mortifiée d'un Jésus aberrant guidant un peuple élu qui ne peut s'y retrouver. Cette mémoire revient noire de monde...

Ils montent le long de la colline,
Chacun le front couvert d'épines...
Par centaines...

Toi, tu étais enfant, ces vieux jetaient au ciel les cailloux qu'ils trouvaient en chemin, ça leur faisait des têtes de perpétuels orphelins. Ils revenaient parfois ramper sous forme de bêtes, elles peuplaient les armoires dans la maison austère d'une cousine Charliendine ou d'une tatan chartraine. Les têtes de fouines glissaient sur des manteaux immenses qui ne sortaient que le dimanche. On te prenait la main. On t'emmenait à la messe. Tu trottais derrière eux. Tu aimais ces vitraux qui rappelaient les cubes ou les étoiles de mer avec ton imagination tantôt géométrique tantôt bercée de sphères. Déjà tu ne savais plus  comment faire pour choisir entre le haut, le bas. Le mieux eût été de demeurer toujours ainsi, pendu dans l'air...

Tu ris parce que ces vieux sont devenus d'hier. Ils ne te font plus peur à présent. Ils prient, ils pensent à eux. Ils se consolent entre eux. Ils ont peur des cailloux qui rouleront dans ta bouche, quand tu les chasseras. Ils savaient bien pourtant qu'au temps venu personne ne peut passer son tour. Ils croient que l'heure est proche, ça les hante, ces comètes, les pôles à la dérive, la barbarie, les guerres. C'est écrit dans le livre et même dans les vitraux, des genres d'apocalypse...

Tu contemples ces simples qui mettent des croix partout : aux chemins des calvaires, aux murs des crucifix...  tu ris un peu de tout, avec ta science qui pèse, ton jugement qui claque mais ne flambe pas les mitres. Viserais tu le haut avec tes rimes en raout ? Tu te crois tellement libre de savoir lier ton verbe à ces sortes de vrilles que tu finis aussi par mettre des croix partout : dans des cases, sur des plans sur les gens, sur le blanc, parfois sur tes amours, et ta bouche énumère comme ils faisaient hier, tout un tas de hantises. Tes images nous délivrent. Tes fidèles adoreront un jour ta face de chèvre. Nous te regardons rire sans savoir quoi penser, quoi tirer de nous mêmes. Pour apprécier pleinement la lumière du dehors entrée par les vitraux, peut-être faudrait-il nous crever les yeux puis en fabriquer de nouveaux qui ne soient pas tentés de nous refléter dans tes images.

Au milieu de l'allée, tu as ouvert un sac, tu as sorti des miniatures d'outils afin de mobiliser l'objectif sur ce noyau de vieux, tu les prends, tu les cadres, les traques et les mitrailles comme si tu désirais que l'image te révèle le verrou de leur Dieu. Le ciel t'appartiendrait. Tu nous libérerais avec cet air badin qui voit dans un vitrail, un produit idéal. Capturant l'éternel, tu pressens la tendance, le charme vaste et mystique de nos prochaines vacances. Cet air ne mange pas de pain, il multiplie les êtres postés en file indienne entre les cars multicolores et les modillons minuscules qui veillent sur le jardin de l'ancien presbytère. La place est pleine de monde espérant l'ouverture du choeur par un portail, une excursion bancale sur un rai de lumière. Comme il pèse à présent ce chant des vieux qui tardent dont le silence se perd encore dans la question.

What are you doing after the apocalypse ?

 

 

 

 

Photo : Récemment restauré par l'artiste Rachid ben Lahoucine, ce vitrail magnifique a été photographié en la petite église de Bois St Marie (voir billet suivant ou précédent ICI). Le rendu des couleurs du vitrail n'a pas été modifié par quelque procédé photographique, seuls les murs déjà très sombres de l'église ont été un peu assombris. Pour mieux voir vous pouvez cliquer sur l'image.

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