Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 10 janvier 2010

L'air du temps et les métamorphoses

"L'organisation terrestre est ainsi construite que l'Atmosphère est la souveraine de toutes choses et que le savant peut dire d'elle ce que le théologien disait de Dieu lui-même : en elle nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes. Condition suprême des existences terrestres, elle ne constitue pas seulement la force virtuelle de la Terre, mais elle en est encore la parure et le parfum. Comme une caresse éternelle enveloppant notre planète voyageuse dans une affection inaltérable, elle porte doucement la Terre dans les champs glacés du ciel, la réchauffant avec une sollicitude incessante, charmant son voyage solitaire par les doux sourires de la lumière et par les fantaisies des météores"

CAMILLE FLAMMARION (1842-1925) : "L'atmosphère : météorologie populaire". Edition Hachette 1888.

blanc.JPG

Il était difficile d'avoir quelques nouvelles, les phrases arrivaient dans le désordre sur cette moire dont les cristaux nous lacèraient le sang. Quelques uns se sentaient enfermés dans la neige. Les infos se colportaient par coupons aberrants : "Météo France a levé toute sa vigilance [...] (orange, qu'elle est la vigilance !) mais la neige ne s'arrêtera pas de tomber pour autant" (!). Un journaliste sorti des grandes écoles, annonçait pour Grenoble, vingt centimètres de neige un évènement (dixit) "sans précédent" (depuis 2005 !!!). Cette brouillasse d'information humaine fit le tour de la terre presque instantanément. On aurait dit que tout l'hiver, sa couleur et son blanc, venaient aux spectateurs gobés tout crus par les nouvelles, en cette "exceptionnelle saison sans précédent". Chacun encadra les pépites pour en rire jusqu'au printemps. Les vieux d'ici scrutant le ciel, racontaient que "les vrais ploucs finalement étaient ceux de la ville". Et l'on se régalait, empalant la carotte sur la bouille du bonhomme de neige. On se délectait aussi du vieux sens paysan tandis que le Bébert hilare sous sa casquette, rattrapait son basset par le haut des oreilles : "il se sauve tout le temps c'tu foutu tsin ! il l'en veut après La Youquette". Alerté par les aboiements, le maître de La Youkette, sortait de sa cour en remontant sa culotte de velours. Et du chemin, sa grosse gueule violette qui bougeait toujours en parlant de gauche à droite, de droite à gauche hélait le Bébert et regardait La Youkette slalomer entre les barrières puis retomber sur ses pattes avant : "Ah ben vindiou ! toutes ces bestioles, c'est bien plus agile que les gens !". Il récitait par coeur une liste d'accidents lus dans la Renaissance d'hier. Puis tout s'assombrissait en causant de "la Marivette" dont le fils aîné était mourant. Le visage soudain renfrogné du Bébert, énumérait les endroits de tous les accidents qu'il y avait eu depuis la venue des neiges, à la sortie de la route express, et au virage de l'étang de "La prâle", sur la route de La Caillette. Le maître de La Youquette enchaînait : "Tant qu'y aura pas eu un car scolaire et des enfants morts dans l'étang...". Le Bébert écoutait, contemplant ses grandes bottes caca d'oie en caoutchouc collé au blanc, tandis que le basset, (avec ses pattes qui remuaient l'air) me regardait d'un air émouvant. Le Bébert dit que cet après-midi il mettrait dans les arbres des boules de graisse pour les pinsons, que demain il y aurait du brouillard à pas sortir de la maison, que le Philippe Seguin était mort, que la Marthe était dans le coma. Qu'il y avait encore eu un malheur, un grand malheur chez les Cantat". Il attendit en soupirant, la sentence de son gros voisin qui ralluma son bout de Boyard avec une sixaine d'allumettes et lança après avoir longtemps eu l'air de soupeser les évènements : "Ah ben ma foi que voulez vous c'est ben comme on dit à Vendenesse :

"Brouillards en janvier, mortalité de toutes parts"

Et malgré l'antidate au domaine, les lendemains tous pareils, (c'était mis dans le journal comme ça) = "tous fidèles à eux même, des lendemains sans précédents", se suivirent et se ressemblèrent. Des hommes aimés, des excellents se firent la malle. Et les sanglots du rude hiver fûrent absorbés atmosphériquement, tandis que le maître de la Youkette tournait les pages d'un minuscule carnet qu'il avait toujours dans la poche où se trouvaient le nom des Saints, les commissions, et les dictons pour les récoltes.

"Un mois de janvier sans gelée
N'amène jamais une bonne année."

"Si la Saint-Antoine (1) a la barbe blanche,
Il y aura beaucoup de pommes de terre."

"Garde-toi Du printemps de Janvier."

Ces adages comme des marelles se parcouraient à cloche-pieds. "Tu lances le palet, tu le pousses avec le pied, 1, 2, 3 ... jusqu'à 8 et tu sors !". Si le palet se trouve sur un trait, il faut tout arrêter.

PAYS 1.JPG

Plus loin des employés de la municipalité marchaient un peu à travers champs avec des cabas à carreaux ils s'en allaient jusqu'au hameau dit de "L'enfer" apporter du ravitaillement. Le Bébert parla de la Mado qu'en bavait trop avec son homme, faut dire que le Jeannot il trainait le soir à la Caillette avec des gars qui l'embringuaient, à jouer et à boire des canons. C'était lui qu'arrosait les gars. La Mado ça faisait des années qu'elle tirait le diable par la queue et trimait comme une sacrifiée pour pas que la ferme périclite. Quand l'Jeannot il rentrait, raviné au Clapion on l'entendait brailler jusqu'aux cabanes des pépinières, y'en a même qui disaient qu'il tapait la Mado. "Elle est brave c'tu Mado, et le Jeannot  il la mène" répondait le maître de la Youkette "Ben moi, ma feûne si je lui en foutais sur la gueule, ça se passerait pas comme ça ! et pis  c'est pas au mari à faire des choses pareilles! une feûne moi je dit que ça se respecte Vindieu !". Le Bébert tripota le pompon de sa casquette. La neige recommençait à tomber, bien drue. Les deux hommes se regardèrent longtemps, un vrai face à face de western dans un silence très velouté ponctué de "ma foi". Ils passèrent encore en souvenir tous les mois de l'année dernière, la première douceur de Janvier "qu'on ne connaîtrait ma foi pas c't'année" et les mois rassemblés faisaient encore un almanach : Plus de 300 préceptes pour la vie ordinaire et des dictons pour chaque saison :

"Regarde comme sont menées
Depuis Noël douze journées
Car, en suivant ces douzes jours
Les douze mois feront leur cours."

Les deux hommes se saluèrent et promirent de se revoir comme ils l'avaient prévu, au banquet pour la St Vincent. Les chasseurs de la giboulette, introniseraient leur président dans la petite salle du comité des fêtes, les vieux feraient cuire le sanglier, les biches, les perdrix, les faisans. La Youkette; le basset grelottaient dans la neige. Il était temps de rentrer. Le maître de la Youkette se retourna et lança l'épilogue qui résonnait dans la grande terre : "salut Bébert, et pis ma foi ! revoyure à la St Vincent ! y z'y ont annoncé que normalement après le 20 ça sera le redoux !" Le Bébert agita sa casquette, cria tout au milieu du champ une de ces phrases de bonne patience qui réenchanta le hameau. Dans cette tonalité parfaite, de moelleuses météores nous effacaient lentement. Tous fondus dans le paysage, nous retrouvions le paradis, juste là où il avait été crée. Cette fine allégeance mollissait en nos corps, biffait le cours des volontés, nous errions comme des plantes lourdes dans ce pays perdu. Le basset, La Youkette courant devant, truffaient quelques flocons. Sur le bout de la langue, quelques bribes savantes, déroulaient des oracles. Une vieille boule de cristal roulait sur les saisons. Il en était jeté de toutes les décisions qu'il nous restait à prendre...

"Saint-Vincent (2) clair et beau,
Plus de vin que d'eau." .

(1) = 17 Janvier - (2) = 22 Janvier

Photo : Neige au hameau et sur le chemin de "La grande terre". Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.

vendredi, 25 décembre 2009

Certains jours vous souhaitent un merveilleux Noël...

Fait maison

C'est joli ! non ?

mercredi, 09 décembre 2009

Des fondus enchaînés

Non, non ! C'est la saison et la planète falote !
Que l'autan, que l'autan
Effiloche les savates que le Temps se tricote !
C'est la saison. Oh déchirements ! c'est la saison !

JULES LAFORGUE (1860-1887). Extr. "L'hiver qui vient" in "Derniers vers" (1886).

Interlude BIS.jpg

Quittant un homme qui marchait seul au milieu de son travail, j'allais au jardin du musée. Sous "l'Adam" de Rodin, une femme nourrissait une marmaille d'oiseaux antipathiques. Des touristes guettant l'heure du spectacle entraient par le grand escalier visiter les motifs discrètement géométrisés, sous des arcades. Dans ma poche la menace d'un impayé s'échappait par l'ouverture d'une doublure en train de se découdre. Sur ma peau j'avais déposé un gros pull imbibé des senteurs d'antimite au bois de cèdre, par dessus mon gros pull, une peau de daim qu'on aurait dit comme empaillée. Toute la ville malgré la douceur de ses 12 ° à peine, sentait l'hiver à en pleurer. Nul ne manquait d'allure.

La somme dûe était illisible, quelques gouttes de pluie sur un mauvais papier sirotaient tendrement ma dette, il n'en restait presque plus rien. Cet homme à qui je devais tant, (juste un petit peu d 'argent en fait, 42,37 euros), à présent me suivait chaque jour. Ou plutôt j'avais la certitude de le croiser partout. Une sourde impression, comme l'hiver suit l'automne pour le dépouiller lentement. Arracher les feuilles une à une jusqu'à des mondes parfaitement glabres. Ce n'était pas tant la somme dûe qui me plumait insidieusement mais l'effort acharné que mettrait cet individu pour la récupérer. Sa secrétaire avait bien souligné en rouge sous mon nom, tapé en gros caractère cet autre mot en majuscule  "RAPPEL". Ca commençait ainsi : "Chère Madame ; Nous vous rappelons que vous n'avez pas réglé le montant de nos honoraires, s'élévant à 42,37 euros, il s'agit sans doute d'un oubli... Dans ce cas veuillez patati patata". Veuillez, madame, l'extrême onction. Ou moins tragiquement, une injure. Ces gros et vilains caractères suivis d'aimables salutations vulgairement distinguées.

Dehors les premiers visiteurs de la fête (des lumières), ébauchaient des projets de cuite qui durerait au moins trois jours, la Valstar, (bière des stars), se boirait au goulot ensuite il y aurait de la joie à genoux dans des traboules. Les écrans géants feraient diversion, une charade qui s'éloignait un peu plus chaque année, pour devenir une opération. Proche de l'effondrement, visiblement désaccordée, je jetais des cailloux dans un ciel versé sur une flaque. Je visais au jardin, l'or des feuilles qui semblaient vivre enfin et nager dans les fonds, deux centimètres au moins où j'imaginais le flottement, l'embrassage des coraux mous qu'on appelle les sarcophytons dans le jargon des récifalistes. Cet univers en perpétuelle mutation forçait l'art de la fugue. J'ébauchais une idée, qu'on m'oublie, voilà tout. Lassée des vies de patachon, je livrais mon salut au royaume du sarcophyton.

"La star des coraux mous, le sarcophyton dit "sarco"fait partie de la grande famille des coraux cuirs [...] ce sont des coraux à croissance rapide, les "sarco" muent régulièrement et leur croissance en aquarium peut devenir spectaculaire si les conditions de maintenance sont optimums [ ...] Ce corail nécessite un éclairage relativement puissant pour bien croître [...] Ce corail peut être parfois utilisé en remplacement d'une anémone pour un couple de clown dans un bac communautaire [...]"

Tout devenait limpide. Par la grâce du sarcophyton, j'eus l'impression de comprendre exactement ce que le monde attendait de moi.

Des oiseaux aquatiques glissaient sur le vieux bâtiment. Ils recouvraient à présent mon reflet qui déclinait ses formes à l'oblongue dans une frise s'achevant en queue de poisson qui mangeait les graviers sous la rouille des bordures en arceaux, délimitant l'espace entre les gens et la pelouse avec une autorité délirante. L'océan m'éprouvait, gagnait en certitude, attiré par le socle de la statue, on distinguait lacérés à la pointe d'un couteau, deux coeurs trop larges mal ajustés, plus deux prénoms tellement crayonnés, qu'aucun des deux ne demeurait lisible. La poésie commençait là, sur ces biffures exquises, un trait pour l'immortalité, l'amour fou accroché au socle d'une statue évoquant mille sentiments enroulés sur eux même en minuscules lambeaux. Des milliards de lambeaux de secondes chagrinées, apprêtant patiemment tout l'orgueil pour la suite. Une pavane en dénégation, mimerait encore l'offrande qui s'exposerait libérée de la morale, et des institutions, par la grâce de communicants absolument conquis par cette idée : la recherche de l'âme soeur, l'alter ego. Le retour du sentiment vrai, de l'authenticité. Oui, l'amour véritable. Là, sous ton nez, mon beau, "Couilles en or jamais ne songent à la destruction de nos âmes". Un poète riant dans la brume, assis sur son tas de rebellion  se moucherait dans mon petit papier façon cocotte, ou le poserait, là, juste sur les flots, un bras d'honneur à Harpagon. D'autres plus conquérants n'espèreraient qu'une catastrophe, un bout de fumier pour renaître. La révolte, devenue impuissante, toujours sous les lampions, s'acheverait par l'invention de la Vénus de Milo version indienne, avec six bras, des lingeries à motif Snoopy des pantoufles à tête d'animaux, c'est à peu près tout ce qui resterait de notre génération.

Je songeais au "proverbe futur" ouvrant "le socle de la statue" d'Auguste VILLIERS DE L'ISLE ADAM, (publié en 1882 sous le titre "La maison Gambade père et fils") :

"A quoi bon la hache ? Ne t'arme que
d'épingles, si tu n'as pour objectif qu'un ballon."

Je songeais à ce brouhaha que faisait l'amour fou au départ d'un train à très grande vitesse, à Paris gare de Lyon, un mouchoir maculé de larmes oublié sur la chaise de l'illustre brasserie du train bleu. Y aurait il aujourd'hui plus petit qu'une épingle, pour crever définitivement un ballon que l'esprit ne supporte pas de voir se dégonfler davantage ?

sARKPHYTON B.JPG

Je songeais à toutes ces ingénuités, aux bureaux de tabac, aux bancs publics, à tous ces doigts coupés par des machines de menuisier, jusqu'à ces visages d'apôtres martellés aux tympans des églises romanes. Tout ça  pour arriver à "ça" : croiser à chaque pas la trahison, la belle engeance qui au fil du temps se délave, le spectre indiscret des créances et toute une politique de civilisation, marquant insidieusement nos corps sans même le respect minimum. "Le nouveau commencement de rien", lu par des turbo-bécassines militant pour le thème astral et des cyber gédéons bio (mais qui fument quand même des pétards), boursouflés de musique concrète, d'art abstrait, de cinéma d'avant garde, aimant SARTRE, le poulet basquaise, l'ésotérisme et les choses simples par exemple se faire une petite raclette entre collègues en fin de semaine, vautrés sur des convertibles norvégiens. Ces beaux "épanouis" prêts à pourrir dans les bras de leurs prochains, déroulant une vie à tartiner des miettes, encartés et voraces, comme ces oiseaux hideux. Marchant à reculons à la recherche des pires audaces de leur jeunesse... "les arbres en fleur en plein hiver", (mais si ! vous savez bien !), et pour projet un programme poétique, surtout ludique du même tonneau. Sous la foi généreuse entre tous, il se trouve toujours un radin bardé de titres et d'honoraires, pris par l'angoisse, qu'on ne lui règle pas 42,37 euros dans les meilleurs délais. Un de celui qui à table après avoir bien bu et bien mangé, ose vous dire d'un air sympa: "Avec 1000 euros aujourd'hui t'as rien ".

Au milieu du jardin, cet homme épouvantable, accompagné d'une auxiliaire pourvue des papiers nécessaires, était assis, il m'attendait, au tournant comme on dit. Je me laissais glisser lentement, buvant la tasse dans cette flaque, je m'y noyais avec l'espoir de terrasser mon dû, puis pour bien achever l'histoire, me livrer aux coraux nés de mon imagination malade. Entre cette eau usée et mon petit personnage, le sarcophyton avançait. D'autres petits sarcophytons viendraient pour sauver l'équipage. C'était, (je pensais), le sacrifice qui donnerait beaucoup d'espoir à ceux qui survivraient. Peut être un jour sur un tee-shirt, un poster, ou un sac, peut être on me sarcophytonnerait. Cette idée là, valait la peine. Laisser en ce monde une trace... J'avais à présent immergé mon corps entier dans cette flaque, il n'y avait plus ni jardin, ni palais. Je m'en allais. En route pour une nouvelle vie.

Au loin, un vieux son dégueulasse, vociférait :"Vous me devez !". Ca sonnait comme une pointe de compas crissant sur un tableau d'ardoise. Le sarcophyton souriait. "Avais je vraiment idée de l'importance de cette flaque ?" Quand le sol me recouvrit, je me retrouvais dans un aquarium. Quelqu'un recousait ma doublure, un ouvrier cirait le bout de mes savates. Le sarcophyton caressait paternellement mes cheveux. "Vous avez fait le bon choix", il me disait. On me fît remarquer que ma peau de daim n'était pas tout à fait présentable. Dans les bas fonds un labyrinthe. Sous la pelure d'oignon, une autre pelure d'oignon. Je flottais gentiment sans plus penser à rien, tout ce confort bientôt serait mon necessaire, "j'y prendrais goût". On me présenta un comptable : "Ne vous inquiétez pas, les 42,37 euros, seront réglés aujourd'hui même". Bien monsieur, bien madame. J'étais sauvée. On m'apporta dans une vaisselle (en cristal de bohème) : Du caviar, du foie d'ortolan, puis un gigot de paon pistache sur son coulis moléculaire. Suivis d'un dessert somptueux. Un mystère fait maison...

Ce n'est que le soir en me couchant, que je sentis quelque chose peser. Plus affligeant encore que la crainte d'une dette. Ma vieille vie courait derrière, et m'observait en ricanant. Mon visage semblait fondre, comme s'il n'était plus, ou de loin, une tête trop grosse qui se vidait tout bas. Même ma voix m'angoissa, il en sortait des sons atones mais les mots ne se formaient pas. Je ne trouvais plus un mot, pas le moindre petit mot  pour dire quoi que ce soit. Je tentais une phrase  j'eus honte. J'agitais une clochette pour exiger du personnel qu'on m'apporte un miroir de suite. Apparence, ma belle apparence ! sur mes mains poussaient des poils blonds. Mais comment exprimer le désir de remonter à la surface, s'il n'y a plus de mots ? Et puis bon, après tout ! j'avais choisi. C'était comme ça.

sarcophyton BIS2.png

Sur ma table de chevet; on a mis les carnets de Pierre-Jean Franfari, les fameux trialogues (des entrepreneurs, des politiques, des financiers, en voyage au futuroscope) c'est très interessant. Je m'habitue à cette vie. je sais que les choses vont dans le bon sens. Hier je suis allée à la bijouterie, m'acheter des boucles d'oreilles et une broche représentant une tête de rat avec des cornes. Orselyne, une collègue de travail m'a prêté son tailleur fuschia, il est un peu trop grand pour moi, mais en reprenant la taille, avec des fronces, des épaulettes, j'arrêterai de ressembler à rien. On m'apprend aussi à marcher avec des livres sur la tête. Les essais de MONTAIGNE + les oeuvres complètes de DOSTOIEVSKI . Tout va bien, j'apprends vite et je m'en félicite. Je regrette qu'ici, il n'y ait pas de fenêtres. Ca manque un peu. La nuit surtout, j'aimais beaucoup, dans ma jeunesse, rester des heures à la fenêtre pour regarder la lune. Mais il faut savoir ce qu'on veut dans la vie. Je ne regrette rien. Hier j'ai lu 450 pages des carnets de Pierre-Jean Franfari, je les ai lus d'une traite, jusqu'au matin, dans mes draps bleus, avec mon groin.

Photo : Variations pour une flaque et des reflets. Photographiés au jardin du Musée des Beaux Arts, à Lyon autour du 08 Décembre 2009.© Frb.

mercredi, 11 novembre 2009

Approximations

les cloches sonnent sans raison et nous aussi
nous partons avec les départs arrivons avec les arrivées
partons avec les arrivées arrivons quand les autres partent
sans raison un peu secs un peu durs sévères
pain nourriture plus de pain qui accompagne
la chanson savoureuse sur la gamme de la langue
les couleurs déposent leur poids et pensent
et pensent ou crient et restent et se nourrissent
de fruits légers comme la fumée planent
qui pense à la chaleur que tisse la parole
autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous
[...]

TRISTAN TZARA  (1896-1963): Extr: "L'homme approximatif". Editions Gallimard 2007.

ho approximatif.JPG Les cloches sonnent sans raison. Nous ingérons mollement un peu de tout et son contraire. Tony troque son rêve d'enfant pour un nécessaire à prison. TZARA croise Tony, une seconde à peine. Les deux ont sans doute pleuré longtemps sur la route, une valise à la main. Le temps d'arracher à la camionnette sa béance pour quelques biftons. De broyer les rouages du monde, d'en extraire l'acier, de renverser la dette de la renvoyer muette, à son acte de contrition. Peu importe si l'histoire est fausse. La rumeur est lancée. Elle deviendra légende. L'anti banque frôlera l'anti-art. Les fulgurances sont éternelles, c'est à peu près tout ce qu'on en sait.

Ailleurs, Tristan trie les coupures, des papiers durs, des papiers doux. Il pose sur sa tête, un entonnoir volé au brigadier Hugo, chef des fanfares au cabaret. Des fantômes glissent à l'embouchure. On en fera des tire-bouchons, un entonnoir, plus strident qu'une trompette, plus sourd que la corne de chasse. Au fond des bois, l'auteur deviendra étranger, sciant la branche qui le porta. Soufflant à nous ensucrer les muqueuses dans un pipeau en chocolat.

Une fable poursuit le poète, cassée par des sonorités cruelles, pas d'antidote pour l'anti tête, qui raffole des portraits sépia. La caravane abonde, un convoi mis à nu visant le Dchilolo Mgabati Bailunda. Les chiens de bonne famille aboient. TZARA parle tout seul. Il fracture les coffres aux soirées folles où l'on trempe les amuse gueules dans les petits suisses, jusqu'à l'effritement de la harpe à Dada, tout s'ébauche sans peine à Zurich, là où la guerre (14-18), (c'est décidé), n'existe pas. Tout retourne au désert, sur des sables branligotants, des oasis mis à l'envers sont balayés par le courant. On jase encore des nuits entières dans le dos de monsieur bleu bleu, tout sautera dans la bétaillère avant qu'un nouvel ordre enchaîne. La poésie mangeant les cheveux de ses ancêtres avec les doigts. Sur la stèle écrasée de lettres, Dada glisse son piège à rats. Ainsi toute une bande de pouêts, embrasés, dans la joie, posera son cul à la fenêtre pour rien. Juste comme ça.

Un feu rapide pulvérise ses proies. Un autre temps, inédit se précise par le verbe chauffé à blanc, les proies se noient, brûlant des vie de jeunes fauves aux bûchers tendrement. Quelques réjouissances éphémères sur un sourire fondu en sang, et recraché dans le Grand verre. TZARA  épuisera sa pudeur à dénuder des souveraines que le royaume n'intéresse pas. Au cabaret Voltaire, le pseudo, étripe sans cesse les formules incontrôlables le fatum, l' ironie du sort. Le prénom juif de Samuel, se fera wagnérien.

Dada compose de l'art plastures de la littératique. Partout, ailleurs des hommes tombent. On pleure. On creuse. On cautérise. Dada la boucle, Dada fait mine. Des alphabets pierreux s'érigent, les paysans comptent les corps. Des filles hurlent d'horreur, aux vues de leurs fiancés, des soldats valeureux revenus de très loin, avec des gueules cassées. Pendant ce temps, Tristan coule son or en fourbis dans toutes les fissures. Par ce bel évasement s'échapperont des oxymores :

"Ainsi fûmes-nous désignés à prendre comme objet de nos attaques les fondements même de la société, le langage en tant qu'agent de communication entre les individus et la logique qui en était le ciment."

L'être humain se désarticule. Au cabaret déboulent les monstres de Léonard. On fermera les portes du lieu 6 mois plus tard pour tapage nocturne et tapage moral. Mais peu importe ! un épandage planétaire aura eu lieu. Irréversiblement. A la queue des belles lettres, à leurs pleins et déliés, s'aggrippent à jamais au bout d'une ficelle, la sangsue et le staphylin guettant le verbe invertébré. Tout le décor du monde n'y pourra rien changer, ni biffer l'unité de mesure vouée aux cartons d'emballage. L'alexandrin se meurt sur des crocs de bouchers. Le parnasse survivra pour la pérennité mais de sa bouche exsangue ne sortiront que des voyelles déjà sciées sur l'établi du prophète ardennais qui avait entendu, bien avant que ne se gonflent tous ces coussins d'oiseaux, le murmure de monsieur Cri Cri en de lointaines incantations. Appliqués à toute chose, les déchets s'élaborent dans le photomontage. Kurt Schwitters à Postdam éructe l'Ursonate. Bientôt une autre guerre. Entre les deux trappes mondiales, la phonétique attaque le temps... Et enfin, "La main passe"...

"Marié aux larges masses d'insoumis, brassé dans l'universel attroupement des choses, livré aux dénicheurs de graves tourments, aux radicelles humaines figées dans le recueillement et la complicité des jaloux, tu te regardes accomplir les gestes quotidiens dans les limites serrées des souples branches. Au désir de papier buvard, tu t'opposes, tu t'agites sous le vent d'un sillage toujours en fleurs. Que je n'arrive pas à distinguer des choses les fantômes des parties qui ont aidé à leur épanchement hors de moi, cela est dû à la continuité de leur action médiatrice entre le monde et mon adolescence. Et, désormais soumis à un sentiment, morcelé et étranger, de gouffre, pouvais-je, sinon subir avec terreur leur désertique et ferrugineux appel? Tout l'espace terreux se cabrait sous les bancs de nuages. Je me suis entouré d'hivernages fragiles, de forces desséchantes. Que reste-t-il d'humain sur les glabres visages tannés par les lectures et les astreingeantes politesses des dossiers dont je me suis constitué un décor famélique? Coutumière faiblesse il sera dit un jour de révolte que les yeux qu'on a cherchés étaient vides de la joie des hommes. Et les hommes et la joie, j'ai toujours essayé de me mêler à eux, à défaut de la féroce fusion promise que l'on trouve cependant encore vivante au fond résiduel des contes, parmi les germes de froid et les portes parsemées d'enfances."

Tristan TZARA . La Main passe - 1935 -

Photo : De "l'anti-art", à "l'anti-banque", le courant passe. Les mains sont vides et les sacs toujours pleins.  Tandis que TZARA reste toujours introuvable,  C.J. retrouve la trace de Tony Musulin (de dos) déguisé en détective privé pourvu de faux diplômes du passeur doux vaguement notaire. Vu il y a quelques jours, avant la réddition. Et un peu plus de trois ans avant nos épousailles. Lyon, rue Gentil. Novembre 2009.© Frb

samedi, 17 octobre 2009

Parler au caillou

"C'est en discutant avec un caillou
qu'on a le plus de chance

de se rendre compte des limites de la conversation".

PIERRE-YVES MILLOT : in "La conversation"/ "Pour en finir avec le rien".

PIERRE.JPG

DISCUTER : Nature : v. a. Prononciation : di-sku-té

Etymologie : Lat. discutere, dissiper, secouer, et figurément, examiner, discuter, de dis.... préfixe, et cutere, frapper.

conjugaison du verbe discuter : ICI

CAILLOU : Nature : s. m. Prononciation : ka-llou, ll mouillées, et non ka-you Etymologie : Berry, chillou, chaillou, caille ; caillotte, chillotte, petit caillou ; Saintonge, chail ; picard, cailleu ; wallon, caie ; namurois, caiau rouchi, caliau ; provenç. calhau ; portug. calhão. Mot difficile. Diez, faisant ressortir l'analogie entre cailler et durcir, propose cailler, acceptable pour le sens ; mais, si caillou avait même origine que cailler, on trouverait parfois dans les anciens textes coaillou (voy. l'historique de cailler) ; ce qui n'arrive jamais. Grandgagnage le tire du flamand kai, kei, caillou. À cause du sens, on ne peut guère, jusqu'à présent du moins, admettre que calculus ; d'où, par suppression de l'u bref, calclus ; d'où chail ou chaille ; d'où, avec un suffixe ou, caillou ou chaillou. Ce suffixe ou et au dans le provençal fait difficulté ; car représentant la finale latine avus (clavus, clou), on ne voit pas comment il s'est joint à cail. Au reste les suffixes ont varié : il y a eu ot, otte, eul, iel, tous suffixes qui vont beaucoup mieux au primitif cail que le suffixe avus. Le celtique cal, dur, a été indiqué.

Conjugaison du verbe caillouter : ICI

(Sources : dico divers, Web).

Avant de courir (via liens) sur les textes épatants de P. Y. MILLOT,  on tirera des parallèles entre le verbe discuter et le caillou, par la voix de PLUTARQUE évoquant un instant la "vie de DEMOSTHENE", qui, (d'une autre manière), discutait avec des caillou(x) (plein la bouche), comme quoi, (c.f P. Dac) :"tout est dans tout et réciproquement". Extrait :

"Sa voix était faible, son élocution peu nette et son souffle court, ce qui obscurcissait le sens de ses paroles par le morcellement des phrases. [...] Il se fit, dit-on, aménager une salle d'études souterraine; [...] il y descendait tous les jours sans exception pour s'exercer à l'action oratoire et cultiver sa voix; souvent même il y restait deux ou trois mois de suite, se faisant raser un seul côté de la tête, afin d'être empêché de sortir, même s'il en avait grande envie, par le respect humain. [...]
Il parvint par ses efforts à se défaire de sa prononciation vicieuse et de son zézaiement et à articuler nettement en se mettant des cailloux dans la bouche tout en déclamant des tirades. Pour exercer sa voix, il parlait en courant et en gravissant des pentes, et prononçait d'un seul trait, sans reprendre haleine, des discours ou des vers. Enfin, il avait chez lui un grand miroir en face duquel il se plaçait pour s'exercer à la déclamation".

Je ne me résigne pas à suivre P. Y. MILLOT dont je vénère pourtant l'écriture. Cette idée de limite (surtout de la conversation) me sape le moral. Il faut bien accepter cependant, chemin faisant, et entrer en matière avec le caillou. De quoi discuterons nous ? De rien. Ou presque. Parfait. Happée par la douce érosion de l'élément, je résiste au silence de mon caillou. J'essaye d'amadouer, de lui faire quelques compliments. Rien à faire. Au moment où le désespoir viendrait, à force de patience, se joue un étrange déplacement. Je m'aperçois que très naturellement je partage plus de choses avec le caillou qu'avec certaines personnes. Nos points communs ne sont pas rien, le caillou ne regarde pas la télévision, le caillou ne va pas au cinéma, ni aux musées, ni au théâtre. Le caillou est tout seul, le caillou ne porte pas de costard (et je l'en remercie). Le caillou en dit long. Pour le reste il se fout à peu près de tout y compris que tout soit dans tout, même réciproquement. Mais ce qui m'attire et m'invite disons au surpassement (ça marche aussi avec les gens), c'est ce point justement où il n'y a plus rien de commun. Altérité, on dit. Sur son corps inspiré, se lisent des oxymores : impassible douceur. Une idée de la ruine de toutes les connaissances, de l'acquis, de l'inné et j'en oublie. Sa voix (?) en vient à me timbrer passablement. L'étrange étrangeté excelle. Le silence du caillou devient assourdissant. Il convoque les morts. Ses lisses rugosités, sa bienveillante indifférence me liquéfient. Il a gagné. Nous avons dépassé la limite de la discussion et pourtant le flux ne s'interrompt pas. Ce présumé silence était un leurre. Je disparais mangée par le chemin, portant à bout de force une question quasi godardienne. "Qu'est ce qu'il y a au delà de la conversation ? Et comment ça s'appelle ?"...

Quant à P.Y. MILLOT, quand on lui demande "Pourquoi écrivez vous ?" il répond, "Il faudrait adresser cette question à un psychanalyste". C'est ce que nous ferons ! décidément certains jours, même avec les meilleures intentions du monde, on n'y arrive pas. ("Même en mettant les bouchées doubles" me glisse Démosthène sur dans l'oreillette, ah c'est malin !).

En attendant je ne peux que vous conseiller de découvrir P. Y. MILLOT à travers ces truculents petits liens aimablement glanés par la maison. Je vous promets que c'est un chouette lot de consolation, (vous pouvez me remercier).

http://pymillot.chez.com/

http://clicnet.swarthmore.edu/litterature/moderne/millot/...

http://clicnet.swarthmore.edu/litterature/moderne/millot/...

Photo : Caillou du Nabirosina (énorme, superbe, teinté de quartz bleuté et rose), entouré de sa famille et de quelques amis. Vu sur le chemin du hameau dit "des Clefs", là bas. Octobre 2009. © Frb.

lundi, 05 octobre 2009

Flash in the night

22 secondes de tournis


mercredi, 16 septembre 2009

Quelques heures avant la nuit. (Part I)

"Je me suis demandé s'il nous arrivait encore d'éprouver des joies où la tristesse ne viendrait se jeter comme à la traverse ; qui ne se mélangeraient pas d'une impression de déclin, de ruine prochaine, de vanité. Tiens, se dit-on, cela existe encore ? Nos joies sont de cette sorte que nous procure un vieux quartier d'habitation rencontré au faubourg d'une ville étrangère et pauvre, que le progrès n'a pas eu le temps de refaire à son idée. Les gens semblent là chez eux sur le pas de la porte, de simples boutiques y proposent les objets d'industries que l'on croyait éteintes; des maisons hors d'âge et bienveillantes, qu'on dirait sans téléphone, des rues d'avant l'automobile, pleines de voix, les fenêtres ouvertes au labeur et qui réveillent des impressions de lointains, d'époques accumulées, de proche campagne; on buvait dans ce village un petit vin qui n'était pas désagréable pour le voyageur."

BAUDOUIN DE BODINAT in "La vie sur terre", Editions, "encyclopédie des nuisances" 1996-1999.

devore70.JPG

 

Avant-propos :

 

Tandis qu'il fût impossible cette nuit de retrouver les nuages, à la bonne adresse, (la fameuse erreur 404)... Le lecteur peut tenter de cliquer sur "Les nuages" rubrique blogosphère, colonne de gauche, desfois que ça viendrait de chez moi... Enfin, c'est là, en début de soirée sur "les nuages", exactement, d'ordinaire ou plutôt, d'extraordinaire, où j'aime aller prendre le large comme d'autres prennent le deltaplane, le vélo ou la jonque... (Nuage, dites-nous s'il vous plaît, ou si vous voulez... Est ce que ça vient de chez moi ?). S'il est encore permis d'être lue ici par un nuage, j'aimerais glisser une pensée vraiment amicale. "Le nuage" était venu là, poser des commentaires et en visitant son domaine, j'avais eu un coup de foudre, (ou un coup de nuage, mais un très beau), depuis je raffole de ce domaine, il y a vraiment de quoi ! univers fascinant entre mille, oeil acéré, intelligence de la photo, Amour des paysages, le monde des "nuages" est (était ? non ! il n'est pas encore venu, le temps des nécrologues), une pépite rare dans notre blogosphère (pléthorique). Autant le dire, à mes yeux, un domaine d'exception. Sauf qu'il y a un hic. Depuis la fin de cette dernière nuit, (qui ne suit pas tout à fait la date ci dessus, allez comprendre ! mais bon), la fameuse erreur 404, persiste. Et le domaine, depuis hier (le 28 /09 exactement), reste désespérement introuvable, c'est vraiment énervant...

Prélude à un billet par contraste beaucoup plus sombre, mais un avant propos en forme de supplique personnellement adressée à l'auteur(e) du, des "nuage(s)" pour que reviennent, peut être, ces fugues océaniques, et autres mondes à perspectives lumineuses. Et puis il y a ces titres au dessus des photos, si finement pensés, touche précise, ciselant les multiples sens du tableau. Les nuages savent aussi choisir malicieusement les mots ... J'ose croire que l'erreur 404 n'est qu'une erreur à rectifier, pas un massacre par immolation (ah ! la touche "supprimer ce blog" menant à l'erreur 404, est une autre bizarre tentation...) Mais il ne faut pas y toucher Nuage ! sinon, quelquechose manquera, quelquechose et quelqu'un. On croit que ce n'est rien, mais c'est un peu comme les étoiles... Voyez... Bon, Je ne ferai pas de sentimentalisme, nulle séquence émotion à trois balles. Je sais aussi (même si nul blog et son bloggueur n'est du point de vue de la vie sur terre vraiment indispensable), quelle béance et quelle peine se trouvent encore quand un bloggeur avec lequel se tisse des liens, au fil à fil, jour après jour, disparaît du jour au lendemain... Même si ce n'est pas lui qui disparaît mais sa publication, dans le contexte virtuel, c'est un peu comme s'il disparaissaît quand même, lui, avec sa publication. On ne s'habituera pas (enfin moi, pas vraiment), à cette page figée, par exemple, au 19 janvier 2009, dernière page, à ce jour, de l'univers de Léopold Revista (l'un des plus bienveillants, et des plus élégants de tous nos "citoyens du monde"). Ce jour là, Léopold, tirait sa référence, au 300em passage, en un billet qui reste en ligne encore à ce jour et qui bouleverse assez. (Tous les autres billets se lisent aussi très bien, surtout, n'hésitez pas). Quelques autres et moi même se souviennent d'une surprise assez "mauvaise" après le doute, une certitude, quand Marc expérimenta, (peu importe la raison, une raison, même déraisonnable, se respecte), la fatale manipulation, qui mène à la page erreur 404 et combien plus immense fût notre étonnement, doublé d'une joie non dissimulée, quand Marc réinventa pour nous, (et pour lui tout autant, je crois) ce magnifique domaine, qui en fascine plus d'un. Une liberté particulière accordée au lecteur, qui vient à ce monde aux questions ouvertes, fruité, spacieux et puis (...) solaire au titre doux d'"Epistolaire". "Une voix dans le choeur", voilà peut être bien exprimé cet indicible "je ne sais quoi", qui ouvre largement le sens. Je n'oublierai pas non plus, l'explosion annoncée par Fabien, et son blog étonnant, encore de l'ouvrage finement amené, avec des textes carrément surprenants, le tout drôlement stylé (s'il me lit, il va râler, tant mieux !). "Un peu moins que quelques bribes", Fabien avait annoncé à ses lecteurs, grosso modo "à telle date, j'explose le domaine". Et il l'a fait ! Fabien a depuis recrée je crois, un domaine, qu'une panne informatique m'a dérobé... (Tributaires que nous sommes, de la technique, malgré nos airs indépendants, Fabien, si tu m'entends et que tu as sous la main ce que je cherche... ;-)

 

Pour en revenir au ciel d'automne. Je sais aussi que "le nuage" aime follement De Sabato, y aurait t-il quelque injonction de l'Ernesto, derrière ce nuage envolé ? (Ernesto ! c'est pas bien malin !). Ayant appris (merci nuage) combien l'écrivain était pyromane, concernant ses propres oeuvres, j'espère que notre amie, dans je ne sais quel mouvement (peut-être angélique tout autant que ténébreux ?), n'aura pas livré ce blog merveilleux, au bûcher qui renvoie toujours son lecteur, désespérement, à la page "erreur 404". Rien que d'y songer, ça rend malade.  Dites nous que non, "Nuages "... Cette erreur, elle vient "bien de chez eux ?" comme on disait avant quand l'écran devenait noir dans la télévision. Sauf que là, chez "les nuages", c'est beaucoup mieux que ce qu'on peut voir dans une télévision ! Alors oui ? "Ca vient de chez eux ?" Juste, un babil, nuage... Que ces lumières du pays qui donne aux saisons des noms à danser sous la pluie et que ces pluies qui caressent doucement, chez vous, les toits de chaume, ne tombent pas définitivement sur cette page arrachée. Si d'aventure, cela ne venait pas de chez eux, la lectrice que je suis, enragerait,( ô désespoir !). Et ceci ne serait pas mon dernier mot...

 

1- Tandis qu'ici ...

 

NUAGES345.JPG

Tandis qu'une fête bat son plein dans Villeurbanne de jour en jour liftée menue, transformée peu à peu en ville-poubelle architecturale, vastes chantiers, à en coincer son château de Merlin entre deux barres dont l'une est pleine de sparadraps jaunes banane troués par des hublots en guise de fenêtres, (je vous montrerai cela un de ces quatres). Une lourde matière pour BAUDOUIN de BODINAT et sa prose essentielle toujours et encore : "la vie sur terre".


"A quoi penser? Les vitres des immeubles en face s'incendient maintenant au soleil couchant. Bruits familiers du soir, cuisines allumées sous le ciel encore clair, tintements de tables mises ; la chanson plaintive d'une radio quelque part derrière les murs et l'odeur des jardins silencieux sans personne dans la pénombre qui monte; l'écho soudain de ma propre voix me disant. Ne la laisse pas monter sur l'appui de la fenêtre !"


Tours de poisse et dégoulinade aux univers nourris de miettes, dopées à toutes les panacées, Lexomyl, trichlorétylène, Kro de base... Pizza vit', rapid cheese, sandwiche pain de mie à la merguez. Le cours Emile Zola, s'engonce dans ses mille paradoxes, du vrai Zola caché dans son arrière boutique, guettant le camion d'un déménageur (breton ?) sur sa montre à gousset, jusqu'aux salons de coiffures high tech, opticiens 1000, 2000, par vingtaine confinés, ici, ailleurs, des fourmis aux doigts de fée découpent au mètre des rubans et au kilomètre, le textile... Plus près, à la fenêtre de la maison de Cadet Rousselle : (Cadet Rousselle a trois maisons, (bis), Qui n’ont ni poutres, ni chevrons, (bis) C’est pour loger les hirondelles...)". La crasse banlieue avale la ville, dévorant un peu plus encore cette vieille idée de rêve social,  à en faire tourner, retourner mille fois Lazare G. dans sa tombe. Plus loin, là où c'est encore assez beau à regarder, "le répit de l'agriculteur" médite ces fadaises sous un ciel en forme d'abîme. A moins que ce ne soit que le dépit...

 

(A suivre ...)

 

Photo 1 : Des oiseaux préparant peut être un futur voyage d'hiver, à la fin de l'après-midi, vus  au dessus des sculptures modernes ornant l'esplanade près de l'Opéra dans la chaleur moite d'un été qui ne finit pas et sous un ciel atone et bizarrement bas. Lyon. Septembre 2009.

 

Photo 2 : Le temps se couvre... Trop de nuages (pas celui que nous recherchons), et nul oiseau en ces hauteurs. Le ciel épais de Villeurbanne, un no man's land, entre Charpennes et République vu en Septembre 2009. © Frb.

Quelques heures avant la nuit. (Part II)

"En réalité, je n’ai aucun sens des choses qui brillent. C’est la raison pour laquelle je n’ai même pas de plumes noires et brillantes. Je suis gris comme cendre. Un choucas qui rêve de disparaître entre les pierres".

FRANZ KAFKA, Gustav Janouch, extr. "Conversations avec Kafka"

Si vous avez loupé le début, cliquez gentiment sur l'image

TULLE***.JPG`2 - Dans la peau de Lara Fabian...

Tandis que la bière coule à flot sur le nouveau square barricadé d'algécos caca d'oie tagués d'insignifiantes laves sur lesquelles tombe le crachat de quelque adulescent ivrogne tirant à bout de force une princesse péroxydée aux sourcils bruns comme ceux de Sharon, chaussée de sandales plateformes à brides serties de faux diamants, comme jadis, ses idoles, les demoiselles du château de Dammarie lès Lys...

Tandis que glisse sous mes pas, ce magma d'enragés, un caïd bodybuildé fait la loi dans le quartier. Quatre ou cinq tamarins le suivent. Le caïd sème la terreur, par le prognathisme de sa grande gueule carrée, et sa façon de glavioter, avec juste ce qu'il faut de haine, vrillage d'une malédiction d'âne bâté, réduite à ses plus sommaires expressions : bruits et crachats. Quand il se sent trop seul sur terre, le caïd appelle ses potes et les potes rappliquent, fidèles comme des caniches et tous vêtus à l'identique, un peu comme Pascal Obispo. La clope au bec, serrée entre les dents, (à la manière du "patron"), ils arrachent à coups d'Adidas (le poète grec), les branches des rares plantes qui tentent (par le bas des portails) d'évader leur corolle. Plus haut, lacérant des grillages, dont certains en forme de coeur, une fille bourrée, lit à haute voix, les noms d'anciennes boîtes aux lettres jouxtant les murs toujours à vendre, depuis des lustres : usine à tulles, jersey, dentelles, imprimeries aux vitres brisées, qui seront bientôt loftées, ou transformées en centre de remise en forme, cabinet de coaching, boutique de téléphonie mobile avec une façade surmontée d'enseignes criardes ou fluos. La fille vitupére à sa guise haussant le ton par l'essayage de tous les timbres possibles, contre tout et n'importe quoi, contre "que dalle, pour foutre la merde"... Une envie de provocation. Un sabbat de semaine chômée. Les vocalises plaintives, mi-aguicheuses mi-dégueulade, annoncent déjà la nuit qui vient...

Elle paraît jeune. Hautement chaussée, née pour la scène, ses chaussures comme une paire d'estrades remuent les bris, shootent la limaille, en jeu de french cancan, les éclats de métal font une pluie d'argent sur sa blondeur platine. Sûre de sa rebellion, dans ce périmètre précis autour de la boîte Algéco, sur ces talons qui brisent l'échine, replient les genoux en dedans, et prêtent à la démarche un pur genre "croupe d'autruche", la femelle s'éclate. Elle résiste. La bibine au goulot. Elle chante Lara Fabian à tue-tête J'y crois encore on est vivant tant qu'on est fort". Consternation. Princesse née manutentionnaire du côté de Garce les Echarmeaux. Une vie précocement active, à vendre à mi temps des glins glins au kiosque à bijou de l'Hyper-Rion de nulle part, autre mi temps à déballer des cartons de kikis au bazar d'ici, un déstocké à cosmétiques, à l'angle de la rue Verlaine près de l'auto-école. Une vie future promise au RSA, de nombreux stages en entreprise. Des amours de boîte de nuit. Un soir, un coup de baise avec un caïd et de près ou de loin, ce fiancé absent, violent, jaloux. Mais qui surveille... Tout cela dissimulé par l'avantageux emballage. Au fil du temps cette beauté en vient à convulser. Vocifère aux entrailles d'un monde penché sur une coiffeuse, celle qu'elle pourra un jour s'acheter à force de travail : en placage de palissandre surmontée d'une psyché à col d'oiseau, un rêve étrange de petite fille au destin porté par Sissi, ne regarder la vie qu'à travers un miroir, devenir reine dans un palais. Quand elle sût que c'était impossible, elle choisît de "devenir star, comme Beyonce." ou comme Lara, passer à la télé.

Hurlement des douleurs ouvrant le coffre de la hyène à en briser menu le verre doublé des minuscules baies de l'immonde barre des "lauréades", un logement et d'autre noms encore pour ces nouveaux logis à nymphes jardinées parfois conçues pour les vieillards. A quelques rues de là, calfeutrée derrière des grilles blanches, ornées de plantes grimpantes, l'ancienne villa d'un couple de retraités : très prochainement "Les Hespérides"... Mais les vieux, ils ne veulent pas partir, ici c'est leur quartier. Et c'est ici qu'ils voudraient finir. Même si tout a changé, même s'ils n'osent plus sortir. Et revoilà le caïd déchiré secouant la grille. "Debout les morts !". Les vieilles personnes en tremblent. Un couvre-feu tacite s'est établi après 20H00. Toute les nuits, la musique sort de ces voitures, portes grandes ouvertes, au matin, le jardin est rempli d'immondices, canettes vides, sacs de chips éventrés, la poubelle renversée, et sur la porte du garage, deux mots en lettres marronnasses déclinent en plusieurs exemplaires un puissant manifeste : "j'encule".

Tandis que la bien aimée, dans la peau de Lara Fabian, le buste corseté en pose d'échassière n'en finit de chanter : "j'y crois encore, on est vivant tant qu'on est fort". Star d'un soir à Charpennnes, l'alcool humidifiant à moitié son petit haut. Longues guibolles titubant, valse gauche des franges fatiguées brodant une jupe mini en lycra rose tendre. Elle est Lara Fabian. Star de toute son âme, ce soir, elle vise la gloire. Et jusqu'à épuisement, en tournant sur elle-même, elle ose être Lara Fabian : "j'y crois encore", les mots viennent et s'éraillent. La volonté, c'est ça. Elle croit très fort. Elle y arrivera. Parce depuis longtemps elle sait qu'elle ne pourra pas rester dans ce trou là. Déjà adolescente une petite voix chuchotait tout au fond d'elle: "reste toi-même, et tente ta chance". Il y avait encore une chose à entreprendre, une seule, mais la plus importante. Devenir vraie.

A l'autre bout de la rue, les vocalises tapent sur les nerfs. Le caïd intervient "Ferme ta gueule ! connasse !". Le couple de retraités monte le volume de la télé. "Ils ne vont pas nous empêcher de regarder "Questions pour un champion" quand même !"...Les hostilités sont ouvertes. La rue est intenable.

"Fermer ma gueule ! plutôt crever !" harangue la princesse. Sur un coup de goulot, elle se lance, conseillée par la petite voix, elle tentera sa chance : "Vas te faire enculer connard, je t'emmerde ! t'entends ?". Tout se poursuit en râles, course folle, chocs d'objets ramassés par terre, cailloux, canettes, bout de ferrailles. la princesse se prend dans la gueule, quasi la moitié d'une poubelle. L'arcade sourcillière saigne. Les potes tambourinent sur la poubelle "Waouhhhhhh euarghhhhhhhhhhhhhh, l'autre il est trop ! putain, t'as vu ? waouheuahhh moooortêêêl !" ils tapent des pieds, shootent les canettes, "Allez cul sec, faut fêter ça !" une grosse bande de gorets, l'un d'eux débraguetté pisse sur la porte vitrée du salon de coiffure. Extase. La fille court en pleurant jusqu'à la bagnole (une R18 turbo customisée Lamborghini), le moteur est toujours en marche, "Skyrock" joue à fond les gamelles. Elle tire de la boîte à gant un rouleau de papier toilette se plonge le visage dedans, entre les mains des lambeaux de papier rouge sang. Des feuilles mortes roulent dans le caniveau.

Mademoiselle Francine Barbonnier, Quatre vingt ans de vie ici née rue Descartes, chuchote à demi cachée derrière son rideau de cuisine: "Mais c'est dont pas Dieu possible de voir ça !"...

Photo: Du côté de l'avenue Salengro (?), un ancien atelier de tulles etc... Mémoire anachronique dans un quartier défait, refait vite fait bien (?) fait. Vu à Villeurbanne en Septembre 2009 . © Frb.

mercredi, 09 septembre 2009

Lucien du plateau

Comme un mercredi

croix rousssien.JPG

Le "typique" Croix-Roussien du mercredi semble toujours en vacances.  Mais je n'aime pas le mot "typique", ni le mot "atypique" d'ailleurs, (nous reviendrons sur le sujet peut être un jour)... Le Croix-Roussien "né "ou de forte adoption, connaît chaque comptoir comme sa poche, chaque banc du boulevard, ayant usé jadis ses fonds de culotte, en se laissant descendre comme j'te pousse, sur les rampes d'escaliers de la cultissime Pouteau. Allant toujours à pieds, parfois à bicyclette, et abonné au 6 pour le principe. Plus tard, toujours en bras de chemise, jeune homme un petit peu raboulaud, bourru juste ce qu'il faut, rigolard (comme sa boule), un brin coquin, pudique assez, (comme tout lyonnais qui se respecte dit-on), on le retrouve, avec les copains, bras croisés au milieu de la Jacquard et refaisant le monde. Toujours prêt à retarder la fermeture du Jutard ou de la Soierie avec la politique, "Les politiques, tous des guignols !", des séries d'histoires savoureuses (avec ou sans calembours), ou des souvenirs du temps des marrons de la vogue, tandis que la femme du Gaby lui rechanterait "emmène moi danser ce soir", encore mieux que la vraie, un sacré coffre pour une si petite bonne femme. Le Croix-Roussien à l'ancienne, est villageois, bouliste (ça !), il attend la saison de la vogue même s'il trouve que les gaufres ont pas le même goût qu'avant, même s'il déplore. Oui il déplore des tas de choses. Mais à quoi bon ? Il finira sa phrase par : "qu'est ce t'en dis ?", "que veux tu !". Le Croix-Roussien du mercredi il est déboussolé depuis que la boulangerie de la rue d'Austerlitz a changé de propriétaire, il y a bien des années, mais Lucien ne s'habitue pas. Il aimait tellement la serveuse, la fille aînée du boulanger. Sa petite folie... (Mais rassurez vous, les amis, je ne vous referai pas le coup de la Pomponnette ni de la femme du boulanger version "quenelles" à la sauce mère Brazier, non, pas encore.)...  Donc, la serveuse elle lui disait en sortant comme toujours les deux pains d'un kilo, et de quoi mettre sur la balance au moins deux cent grammes de chouquettes au sucre : "Alors,msieur Lucien ! ça sera comme d'habitude ?" Il souriait exprès parce qu'elle lui rendait toujours le sourire en même temps que la monnaie. Et quand elle lui souriait à lui, Lucien rajeunissait de vingt ans, et après, sur le chemin du retour, il se sentait comme Jean Gabin (evidemment, dans "Quai des brumes"). Desfois, il se faisait beau exprès, pour le plaisir de plaire, la chemise bleue azur, assortie à ses yeux, il ajoutait alors, une petite touche de senbon, celui pour les grandes occasions, le sien, "brut de Fabergé" et mouillait bien son peigne pour faire un effet gominé comme Jean Gabin encore mais dans "Le cave se rebiffe", ça lui faisait des effets de stries et un cran formidable dans les cheveux, il aimait bien. Alors il marchait tout doucement, savourant au printemps les glycines abondantes glissant aux portes des jardins ou l'automne, accueillant, débonnaire, la rousse voltigeuse posée comme un gros papillon sur sa chemise bleue. Et il allait s'en jeter un, à l'angle, Denfert-Rochereau-Gorjus, pour se donner du courage, il croisait les copains en train de taper les cartes chacun avec sa fillette de Saint Jo. Les copains lui disaient "Dis dont Lucien t'es drôlement beau, tu vas à la noce ?" ou d'autres plus familiers, lui balançaient, hilares, une grande claque sur l'épaule avec leurs grosses mains larges comme des palettes, "Mais regardez moi ça, le Lucien qui s'est mis sur son 31, alors Lucien ? C'est le grand jour ?", Lucien riait à pleine dents et ajoutait mi-heureux mi-penaud :"taisez vous dont, bande de couillons". Un jour, par la faute au "Rasteau-prestige", il avait parlé de la serveuse, à tous les bougres du bistro. Oh trois fois rien. Deux petites coquineries, juste une fanfaronnade, mais correcte, pas de quoi faire des ragots. Il s'était vanté de faire tomber la monnaie exprès à la boulangerie d'Austerlitz, et d'avoir mal au dos exprès, juste pour voir la vendeuse venir de son côté et se baisser exprès. Là il avait encore dindonné, avec une voix grave, roulant ses yeux comme le pompon d'un "manège à lui" bleu, du privilège d'avoir pu contempler les cuisses de la fille de la boulangerie d'Austerlitz, "les plus belles de toute la région". Il avait détaillé un peu le bout de culotte une fraction de seconde aperçue, "une culotte toute en dentelle, ah cré vindieu, les gars !"... Alors, les jours suivants à la boulangerie d'Austerlitz, il y avait eu un drôle de défilé. Les gonsses de la bande du bistro, un à un ou par deux, étaient tous allés chercher le pain là bas, en plus très croustillant, le pain, et la serveuse bien davantage, tous un par un ou deux par deux, avaient fait tomber leur monnaie, à qui mieux mieux, l'un feignant une luxure de la hanche l'autre tirant la patte comme un grand blessé de guerre et la serveuse, jolie comme un coeur, serviable, à souhait, vingt ans à peine très charitable, fit alors quelque gymnastique en toute ingénuité, pour ramasser les pièces de ces messieurs, tandis que les gognands filous, fiers comme la Baraban, se rinçaient l'oeil abondamment. Mais quand la chose tourna en habitude, Lucien mit de l'ordre dans tout ça. Et comment ! La serveuse, on n'y toucherait pas ! Le poing avait pété bien fort au milieu de la table. La voix avait tonné. Et quand Lucien tonnait cela faisait bien plus d'autorité que les sermons réprobateurs du père Panier à Saint Bruno. Lucien savait comment se faire craindre. Il était droit. Il aimait l'ordre. Et c'est pour ça. Parce que très droit, qu'ici on respectait Lucien.

Au fond Lucien, il regrettait. Il aurait bien aimé être comme Jean Gabin (mais dans "Touchez pas grisbi". "ah ça oui !")... Comme Jean Gabin quand il enlace la secrétaire. C'était comme ça qu'il voulait faire avec la petite serveuse de la boulangerie d'Austerlitz. Mais Lucien avait des principes. La probité toujours. Le dimanche, il jouait aux boules avec le père de la gamine. Il s'était dit : "ma foi ! ça serait quand même dommage de trahir un copain, de salir la Croix-Rousse pour une tocade sous un napperon de dentelle". Il continua à courir au pain et sans rien faire, ni laisser paraître son béguin, il goûta gentiment à ses deux minutes de bonheur, un salut quotidien. Desfois le moral ça tient à rien, à presque rien. Puisque Lucien, même en costume, n'était pas Jean Gabin. Il avait pour lui ses yeux bleus à glisser doucement dans les yeux gris, à reflets mauves de sa serveuse. Deux superbes minutes par jour, ce "presque rien" tenant le fil des autres jours...

Le temps passa. Un jour, le boulanger de la rue d'Austerlitz, mit une affichette en vitrine : "changement de propriétaire". Et pour Lucien, ce fût l'apocalypse. Un autre boulanger s'installa, avec une autre serveuse. Le pain était moins croustillant, la serveuse quoique pas vilaine, n'éveillait pas le quart de l'ardeur que Lucien ressentait pour l'ancienne. Mais vint une toute autre blessure : chaque jour, au lieu du doux de la précédente serveuse "Alors msieur Lucien ? ça sera comme d'habitude ?" la nouvelle lui demandait sèchement : "Et le petit monsieur qu'est ce qu'il veut ?". "Petit monsieur !" jour après jour, de quoi détruire un homme. Et cette façon de s'adresser aux gens à la troisième personne du singulier ! "non mais vraiment !". Alors il répétait mollement : "deux pains d'1 kilo, et deux cent grammes de chouquettes"... Le fait de répéter mollement, jour après jour, lui fît sentir le poids du temps, tous ces kilos de pains mangés, que de chouquettes en une vie ! toutes ces années déroulées, sans souci, en croustillant. Et la nouvelle serveuse revenait au pas de charge, cassant encore la rêverie du vieil homme qui n'en pouvait plus de souffrir pareillement. "C'est pour manger tout de suite ou il veut un petit sac ?". Lucien toisait la nouvelle serveuse, blanc comme un mort : "Manger tout de suite deux pains d'un kilo ! Lucien, il veut pas qu'on l'emmerde, un point c'est tout". Lucien rongeait son frein, poussait son coup de gueule dans sa tête puis muet, il prenait la porte, la mâchoire rentrée presque dans les épaules, homme lapidé, réduit déjà par l'ordinaire ritournelle, chantée sans coeur, sans la moindre considération ni pour le pain, ni pour les gens. Lucien sortait digne pourtant, déchiré en dedans et chaque jour lâchant un austère :"à demain mademoiselle", rêvait d'une vengeance prochaine. La réponse du berger à la bergère serait terrible. Un jour viendrait. "Qui sème le vent, récolte la tempête, ils verraient bien"...

A partir de la date du changement de propriétaire, Lucien porta sur son dos, tout le poids de la colline. Mais sa peine s'étendait bien au delà. Aujourd'hui Lucien n'allait pas. Il n'allait pas parce que plus rien n'allait dans ce foutu quartier. Comme si des bouts manquaient, et qu'à la place, toutes ces nouveautés, agrémentaient d'une béance, le désert qui avançait. La révolte s'esquissait mentalement ou sur des coins de nappe. Il n'aimait pas les nouveaux réverbères de l'esplanade du caillou. Cette esplanade, ces réverbères  "c'est du n'importe quoi !". Il n'aimait pas la nouvelle boulangerie, une autre encore, qui venait d'être rénovée pas très loin du métro. Pourtant irréprochable. avec des serveuses très aimables, mais on entrait et on se gelait dans l'air conditionné, déjà, une façade de laboratoire d'analyse médicale, c'est triste, mais une boulangerie chirurgicale, qu'en penser ? Lucien disait "Bientôt ils s'habilleront tous en cosmonautes pour nous servir du pain". Il n'aimait pas non plus  les nouvelles chaises du café de la soierie, de ces chaises qu'on voit dans les catalogues norvégiens, avec des couleurs de cafards, cette mode de repeindre les murs, le mobilier en marron chocolat."Vert pistache et marron chocolat après "saumon" manquait plus que ça ! Elle est triste la jeunesse !". Il n'aimait pas les guirlandes de Noël toute l'année, à la terrasse du Chantecler. Comme si la vie entière était une veillée de noël "on nous prend pour des... On n'est pas des...". Il n'aimait pas ces landaus à deux, voire trois places ralentissant le pas sur le marché, une recrudescence de jumeaux, de triplés, "Il doit y avoir des trucs dans l'air, des OGM, des hormones, ché pas quoi !" et Lucien marmonnait sa guerre contre la vie de maintenant tout en marchant. Marcher c'était son vaccin contre la rage. Un remède pour ne pas imploser. Il coléra encore dans sa tête, à propos des barottes à deux, quatre, même six roues ! les nouvelles, en plastique transparent ou style sport, toute cette laideur pratique remplaçant l'émouvant panier en osier, des charmés de conille, l'épatante filoche souvent effilochée. Et puis il alla à son bistro de l'angle Denfert Rochereau-Gorjus, il ne le trouva plus. C'était devenu un restau très joli, excellent, oui, sûrement, avec un chouette nom bien de Paris, "les enfants du Paradis" ça s'appellait. Mais, là non plus, une fois encore, ce n'était pas un coin pour lui. Là, ne se trouvaient plus ni son enfance, ni ce qu'il cherchait du paradis. Au menu, pourtant papillants ces "délices de noix de St Jacques saupoudrés au curry sur le nid de fraîche coriandre ". Cette fois, c'était fini. C'est pas là qu'il serait le roi, du graton, du tango, des fanfaronnades. Ici pourtant, il y a peu, il avait battu le Roger au 421, siroté le kir à la framboise, dansé avec la grosse Simone sur un air de Léo Marjane. Il resta  longtemps devant l'enseigne, son ancienne deuxième maison dont il oubliait déjà l'ancien nom. "Les enfants du paradis rue Denfert... Fallait oser quand même", pensa Lucien. "Y'a encore des jeunes qui ont de l'humour sur cette terre"... Puis il visa, un autre paradis sur terre, cette chose à lui, les lampions de la "Gargagnole", Ozanam, plus haut que les cieux, mais peut être, avant, il irait goûter le Mâcon blanc, à "La crêche", ou une autre petite folie : un flan phénoménal, une meringue géante à la boulangerie pas bégueule sur le boulevard, près de l'antiquaire. Gargagnole pour la bonne bouche. Il rêva très longtemps, à sa petite boulangère perdue, dont l'image s'effaçait à mesure que ses lèvres radotaient des prénoms de copains, de vieilles maîtresses, de rues, numéros du loto, tiercé gagnant, tout dans le désordre. Les souvenirs allaient, venaient de la dentellière chouquettée d'Austerlitz, au damassé soyeux à trabouler tout en flottant. Et cela  s'esquivait doucement au passage des 4X4, entre les bruits furieux de klaxon d'un commercial embrigadé dans une auto (la fameuse citroën CX break), et des fulgurantes mobylettes de Pizza vit' (24H/24/ 7J/7). Il pensa aux cochers, aux diligences, à la statue de l'auguste Jacquard, aux jambes de la Guiguite réinventant tout en même temps les folies bergères du Grand Lyon et les grandes heures du tango de la Scala de Vaise. La Guiguite saôule à rouler par terre, fêtant toute la nuit, la pluie sur Tabareau, juste à cet emplacement précis où il y a maintenant la vespasienne et deux monumentales poubelles sphériques, qu'on a scellé ici pour sauver la planète. Il pensa à la femme du Gaby quand elle chantait Georgette Lemaire, "le coeur désaccordé" au café du marché. Aux bugnes toutes molles qu'on vendrait ce printemps dans des barquettes à Monoprix. Il passa rue Villeneuve, où un groupe sympatoche de jeunôts à casquettes rejouaient Caussimon façon rock à l'accordéon. Il regarda le pli parfait de son pantalon, ce tergal amidon tombant sur la basket, des pieds très étrangers aux siens, qui pourtant le trimballaient partout. "C'est des trotters" avait dit la marchande de la "halle de la chaussure", "des trotters à 35 euros !", il n'avait pas osé dire non. Et tandis qu'un solo de guitare wha wha, débridait Caussimon, il regretta le croustillant de ses chouquettes qu'il mangeait à moitié sur l'étoffe, à moitié sur un bout de banc, son Austerlitz perdu. Il regretta ses mocassins cirés qui croustillaient naguère sur les pavés, sur la terre de la grande place, chaude et sablée comme un gâteau. Il s'aperçût que même sa nostalgie manquait vraiment d'allure. Le coeur n'y était plus. Il comprit en marchant tout ce qui n'allait plus. Au son que faisait sa chaussure, trop discrète, écrasée, par le bruit des voitures. Désolant brouhaha coexistant mine de rien avec tout un feutrage généralisé, un calfeutrage, on dirait presque. Il comprit que le drame était peut être là : plus rien ne croustillait. Ou plus personne. "ça devait venir de ça, sûrement"...

Il tenta de marcher plus fort, d'appuyer mieux son pas, pour que le trottoir fasse corps avec le son de ses souliers. Il marcha sur les bords, dans la terre, partout où il pouvait. Il marcha désespérément, jusqu'au soir. Il voulait entendre la terre qu'il foulait, se sentir là, présent, en vie, lui, le Lucien, Le Lucien du plateau, en particulier. Mais quelquechose l'en empêchait, un puissant calibrage brouillait l'émission de son pas, absorbant tout autant le mouvement que le sens des prochaines balades. Une matière du dernier cri dans la semelle.

Nota : Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. (A l'exception de quelques unes peut-être...)

Photo : Lucien (du plateau), marche et cogitations. Boulevard de la Croix-Rousse côté Mairie entre caillou et Tabareau. Pris en filature à vélo, un mercredi de septembre 2009 à Lyon. © Frb

mardi, 08 septembre 2009

Princesse

"Un prince était vexé de ne s'être employé jamais qu'à la perfection des générosités vulgaires. Il prévoyait d'étonnantes révolutions de l'amour et soupçonnait ses femmes de pouvoir mieux que cette complaisance agrémentée de ciel et de luxe. Il voulait voir la vérité, l'heure du désir et de la satisfaction essentiels. Que ce fût ou non une aberration de piété. Il voulût. Il possédait au moins un assez large pouvoir humain... Toutes les femmes qui l'avaient connu furent assassinées. Quel saccage du jardin de la beauté ! Sous le sabre elles bénirent. Il n'en commanda point de nouvelles. Les femmes réapparurent."

ARTHUR RIMBAUD "Conte" in "Illuminations". "Poésies". Librairie générale française 1984

la femme.JPGIncognito, une princesse, tente la traversée des grands rectangles blancs. l'étoffe flotte légère, parfois s'immobilise. A suivre on dirait presque un dessin à l'encre de chine. La princesse trottine sur ses sandales à brides tout au dessus des immondices et des dalles pourtant parées du revêtement gris tourterelle. Une princesse parmi d'autres, allant presque pieds nus, livrer sa peau blanche, (une rareté en cette fin d'été) aux crasses ordinaires et autres remuements d'espaces : odeurs d'essence, particules fines...

Une fois les rectangles traversés, elle ira s'asseoir sur un banc pas loin de la forêt Morand, et tout près des éclaboussures d'un lion inoffensif, ignorée des lointains génies de l'industrie ou de l'agriculture, elle ouvrira un livre : "Under Milk Wood" et silencieusement rêvera de partir.

"Départ dans l'affection et les bruits neufs"

Photo : Du presque noir et blanc. Marche légère d'une passante aux lignes claires ignorant sa beauté. Eloge de la pâleur et de l'ingénuité quand toutes reviennent bronzées et très sûres de leurs charmes. Nous appelerons cette lyonnaise (?) "la princesse aux blancs-pieds". Juste un peu de candeur. La douceur désuète dans un monde d'arrivistes et de "revenus". Passage clouté pas très loin de l'opéra, juste avant le pont Morand. Lyon. Rentrée 2009. © Frb.

lundi, 10 août 2009

Travailler

"Je préfère risquer en osant, que regretter de ne pas avoir su saisir l’occasion qui se présentait."

NICOLAS SARKOZY. Citation.

Voilà le travail !

pierre24.jpg

Aujourd'hui je me suis dit :

"tiens un tas de pierres ! et si je construisais une église ?"

La tâche s'avérant compliquée, je savais qu'on ne construirait pas d'église digne de ce nom, avec deux mains et une devise Shadok. Pour que la réalisation soit belle, il fallait changer de citation.

A suivre...

Photo : Les grosses pierres de Vareilles. Nabirosina. Aôut 2009. ©Frb

samedi, 08 août 2009

On rentre à la maison

Si ce genre de maison ne vous convient pas, cliquez sur l'image.

la prison.JPG

Sauf que cette maison là, ce n'est pas une maison, c'est une prison. La prison du château de Drée très exactement, posée comme une maison de poupée non loin d'immenses allées, aux arbres parfaitement taillés, presque en face du château de Drée, surnommé "Le petit Versailles". Le Roi et la Reine (du Nabirosina, bien sûr !), m'avaient invitée l'autre jour à goûter, en leurs appartements, ce breuvage tout nouveau (venu de la nouvelle Papouasie Nabirosinaise), qu'on appelle le thé. Mais comme j'étais très en retard, le Roi, pour qui l'exactitude... etc.. etc... (je vous épargne ses sermons), très en colère, n'a point voulu me recevoir. Ainsi, je dus me contenter de parler avec les gens de maison dont l'oiselier qui avait la clef d'une colombière, (n'ayant jamais servie aux oiseaux, nous en reparlerons peut être) et le geôlier détenant les clefs d'une prison qu'il me fît visiter. (Visiter une prison Nabirosinaise en plein mois d'Aout, est, je peux, sans rire (assez ri !) vous l'assurer, beaucoup moins sinistre que de passer ses journées dans un camping à Palavas. Quoique... La suite nous prouvera que non). Mais revenons au geôlier. Il me conta que jadis, ce charmant bâtiment symbolisait un pouvoir seigneurial : le droit de justice, ce droit représenta jusqu'à la révolution une des bases les plus fermes de la puissance des seigneurs.

Sur la terre de Drée se trouvait une petite cour de justice, où l'on exerçait la basse justice pour les menus délits (vols de poules, braconnage, ivrognerie etc...) et des conflits variés (querelles de voisinage pour un droit de passage sur un chemin etc..). C'est aussi ce petit tribunal qui effectuait les inventaires après décès, les partages lors des successions.
Et bien sûr dans cette adorable prison (beaucoup plus rustique à l'intérieur que cette photo semble le suggérer) on jetait les brigands, les fraudeurs, ceux qui téléchargeaient illégalement les poules sur leur dos, on les condamnait à croupir dans une pièce minuscule, et une obscurité quasi totale, la prison étant située de l'autre côté des plus belles splendeurs du domaine.

Pour situer un peu, cet ensemble du château de Drée dans l'histoire de France. Il faut savoir que le projet de construction du château de Drée commença en 1620. Les travaux furent achevés au cours du XVIIIem siècle. Une Comtesse en hérita, l'habita le décora. Puis le château fût racheté en 1748, par Etienne Comte de Drée, élévé en 1767 au rang de Marquis (par copinage, il prêtait ses carosses à Louis XV, quand celui ci désirait se retirer pour "habiter la fonction" et qui, par conséquent devint son grand ami en échange de quelques services). Pour le reste, on vous distillera les détails plus tard, parler de la vie de château à des gens qui ont une prison sous le nez, ça ne se fait pas.

Le geôlier, un garçon délicat, m'accompagna donc pour me faire visiter ce que j'appelais "la petite maison de poupée", d'un geste aussi courtois qu'une révérence, il me murmura joliment : "honneur aux dames !", flattée, j'entrais en dindonnant dans la bâtisse, aussi insouciante qu'une enfant qui danse au bord d'un puits, (ça m'apprendra à jouer les jeunes, car ce qui suit est bien affreux). Une fois bien au centre de la pièce (un trou froid, humide, exigu) traversé d'araignées (Les pires ! des "Segestria Florentina", offertes en 1770 par un Prince Florentin au Marquis pour distraire ses prisonniers), j'entendis une porte claquer, puis le bruit d'une douzaine de clefs tournées autant de fois. Le geolier me cria par le trou de la grosse serrure "Ca t'apprendra !". Je compris, que le roi, très offensé, me punissait pour ne pas avoir respecté l'heure du thé.

Voilà. Je ne sais plus depuis combien de temps je suis là... En espèrant que le Marquis de Montrouan puisse prochainement intercèder en ma faveur, j'essayerai malgré tout de poursuivre ce pauvre blog ; (heureusement que j'ai une marraine qui est fée et qui écrit à ma place les chroniques de certains jours !). Si le Roi refuse de me libérer avant Noël, je crois que... Non rien. En attendant, j'attends.

Lien très utile :http://www.chateau-de-dree.com/

P8120054.JPG

Photos : La prison du Château de Drée. Vue extérieure + intérieurs. Curbigny. Août 2009. © Frb

vendredi, 31 juillet 2009

Battre la campagne (7)

on ne connaît jamais le fond des choses
et l'on ne s'y résigne pas
on croit à la métempsycose
ou bien l'on n'y croit pas

RAYMOND QUENEAU. Extr. "Un rhume qui n'en finit pas" in "Battre la campagne". Editions Gallimard 1968.

battre la campagne31bvO1.png

Plus on s'approche, et plus la chose s'éloigne,"épuiser le modèle, recommencer sans fin", comme si derrière chaque réalité s'en trouvait une nouvelle. Devenir incessant jusqu'à la destruction et puis recommencer quand la matière renaît. Un jour viendra le terme. Un problème qu'il faudra résoudre. Choisir une matière plus ductile plus spirituelle. S'enfoncer dans le sol, réduire l'outil à cette main, qui tord et qui détord jusqu'à ce que l'élément cède. Sous ce pied qui franchit, et sous ce pied qui broie, réduire à l'infini. Engager l'aventure dans toute cette lumière. Affronter les nuances où l'ombre s'abolit. Et dans un même pas, découvrir, juste au pli d'un brin d'herbe, la fuite volontaire. Une bête qui va, dans le rouage minuscule de sa ville émiettée, articuler un monde sans connaître la solitude. Marcher, s'agenouiller, glisser entre la ronce, être griffé, mordu. Puis cueillir le fruit, en savourer le jus, en mesurer l'effet, teindre ses doigts en bleu. Arracher le genêt. Fusiller du regard la majesté d'un hêtre. s'enchevêtrer toujours, s'étonner que la mousse nous fasse disparaître. Et s'accrocher encore aux formes crucifiées d'une racine, la réduire en poussière. Fendre l'amande. Piquer le houx. Casser quelques noisettes. Aimer le chant du coq. S'extasier d'une abeille. Courir les près. Fendre les flots. Battre la campagne...

Nota : Ceux qui détestent la campagne, pourront toujours "battre le pavé", il y en a de très beaux chez Daily Life.

Photo : Vu aux racines de la forêt, une sorte de Christ plus ou moins revisité par Alberto GIACOMETTI, (ou son esprit réincarné). Et tant de choses encore... Vauzelles, dernier jour de Juillet 2009.© Frb.

dimanche, 26 juillet 2009

Un monde en ruines

a detruire.png

Part I

Hier je marchais seule, dans cette rue ancienne, comme on va en pélerinage pour retrouver un temps, celui d'un grand parcours du monde avec mon grand ami M. (le monde = deux rues seulement !) sur des patins à roulettes géants. Explorateurs de cette planète de deux mille habitants à peine, nous montions avec de grands airs de cosmonautes, les escaliers de la salle des fêtes, pour aller chercher ceux de notre bande (des superstars), premiers tambours, ou de trompette à la fanfare. Puis nous partions en reportages avec des magnétos en plastique (De marque Remco 50) interviewer la boulangère, (à propos de ses "miches", bien evidemment !) ...

Mais ce n'est point le sujet du souvenir qui m'intéresse, le présent est encore assez bien achalandé d'une toute petite marge de lendemains que je ne désire pas dilapider trop précocement s'il est permis... C'est juste comme ça, rassurant, quelquefois de revenir sur ses pas, de vérifier que rien n'est changé, car si rien n'est changé on peut alors s'imaginer qu'on ne vieillira jamais. Enfin, pas comme ceux qu'on revoit 20 ans après, qui nous tapent dans le dos par surprise, tellement heureux de nous retrouver et qui sautent de joie en nous disant : "tu te souviens de moi ?", Laurent Pinsson ! on était ensemble au collège "tu te souviens de melle Pugeolles ? "Melle Pugeolles ! si je m'en souviens !" je réponds. Et voilà que ce gros bonhomme, un parvenu jovial, (dont je m'imagine qu'il parait 20 ans de plus que moi, car je suis une dindonne toute pétrie d'illusions), ce gros bonhomme, disais je, me raconte en riant, "la fois on avait mis de la superglue sur la chaise à Sandrine Chevreau." Il enchaîne les anecdotes comme d'autres enchaînent les histoire belges à la fin des repas de famille. Et il me tape dans le dos (moi qui ai horreur de ça) en finissant toutes ses phrases par un pénible "Tu te souviens ?". Je ne réponds pas. Je hoche la tête avec mon sourire bête qui veut dire oui. Sauf que Laurent Pinsson, Sandrine Chevreau, je ne les connais pas ! ils sont passés aux oubliettes! Je cherche en vain. La mémoire fait défaut... Je pense tout de suite à un début d'Alzheimer, il paraît que les premiers signes, c'est ça. Je ris quand même pour ne pas faire de la peine à ce pauvre Laurent Pinsson...  Et le supplice de la conversation n'en finit plus, je me vois me renier moi-même, mes valeurs ! ah ! ah ! quelle cruauté ! je tente de ne pas trahir l'étrangeté qui me tire les traits au dessus d'un sourire qui n'a jamais été le mien. Etrange étrangeté... Une petite mécanique se met en marche, il parle, et je souris. Comment faire autrement ? Laurent Pinsson me demande ce que je deviens : "Ben euh... rien ! Et toi ?". Et le voilà parti dans un récit épouvantable : "Je suis marié, j'ai quatre enfants, je suis entrepreneur à Suzy les Charolles, je fabrique des maisons, je construis des résidences, j'ai repris la boîte de mon père et patati et patata..." que répondre à cela ? sinon un à peine audible et gentil : "c'est bien !" et je reste là, pétrie de politesses, n'osant fuir ce bonhomme qui me prend maintenant par le cou et m'embrasse. "ça m'a trop fait plaisir de te revoir". Je m'entends roucouler bêtement : "Ben..euh... moi aussi, je suis bien contente !". Une voix (celle du surmoi féroce, sans doute) se superpose, "Mais tais toi donc, espèce d'idiote !", j'écoute le surmoi : "bon, Laurent, c'est pas l'tout, mais j'ai des courses à faire !!!". J'ânonne sur un dernier coup de rame : "alors salut ! bien le bonjour à ta femme ! (et autres conneries du genre), on se téléphone, on bouffe ensemble, ok promis, ciao bye bye !!!". Rideau.

verrrou023.JPG

Part II

Voilà. C'est aussi ça, retourner sur ses pas. C'est déprimant. Une regression, parfois. Pour peu que je finisse à la cantine dans une chanson de Vincent DELERME, moi qui rêvais d'être une branche d'acacia au jardin de Jean Louis MURAT, c'est gagné ! je ne suis pas fière de moi.

Retourner sur ses pas. Je préfererais que cela ne soit qu'une sensation géographique. Le passé nous suit à la trace, il prend la forme d'un platane, d'une maison, s'ils viennent à disparaître, quelque chose se referme. Plus rien ne tient.

Pendant ce temps là, les anciens du pensionnat radoteraient autour d'une raclette, après s'être retrouvés via internet... Je le comprends pour les autres, mais moi, ça me fout le cafard. La nostalgie on nous la fourgue, comme on fourgue des barres de lexo en nous faisant croire que c'est du chocolat. Pendant qu'on remue nos vieux moments on ne voit pas le temps qui vient... Pourtant la nostalgie c'était très beau avant. Nostalghia...

Mais revenons à cette maison. Cossue, blanche, importante, elle appartenait au notable, sans doute un pharmacien. Une maison comme il y en a chez BALZAC, ou dans les films de CHABROL, avec sa fleur austère gardant mille secrets et suitant de sa bourgeoisie austère, de ses livres austères : Gilbert CESBRON, "Trois sucettes à la menthe" de ses images de catéchèse, et d'autres choses moins catholiques. La fleur du mal... Pourtant cette maison, je l'aimais bien. Mais nous, l'entité impartiale enfantine, n’aimions pas les enfants qui vivaient dedans. Des fayots à l'école, avec des raies de côté. Vêtus de blanc le dimanche, jouant dans le jardin, où était installé juste pour eux, un luxueux portique pourvu d’une balançoire à cordes bleues, la grille était toujours fermée. Car les parents craignaient que les enfants ne se fassent renverser par une voiture, ou ne soient abordés par ces types qui donnaient des bonbons. Et nous, du haut (du très haut) de nos patins à roulettes, sur notre bout de trottoir, (un délicieux jardin aussi), nous regardions derrière la grille, le petit garçon donner des ailes à la petite fille et la maman assise sur une chaise de jardin, qui surveillait d’un oeil brave sa couvée, deux poussins ! tout en brodant une tête de biche devant une table ronde sur laquelle une bonne avait posé des verres de citronnade et des assiettes remplies de barquettes trois châtons. C’était d’une douceur de vivre, tout ça. Trop de douceur en vérité. L'entité enfantine impartiale, monstre à deux têtes que nous étions n'aimait que le chahut. Là, nous tirions la chevillette, s'ensuivait un fracassant "dreling dreling" et le fin monde de cette fleur austère s'en trouvait brutalement renversé. Notre joie satisfaite, nous courions nous cacher, observant madame mère bredouille devant le grand portail doré et deux petits enfants terrifiés qui la suivaient de près et tremblaient à l'idée que leur maison fût hantée...

Epilogue :

Je suis repassée ce jour, rue de la gare. rien n’a changé tout est presque pareil. J’en suis très soulagée même si tout aurait besoin d’être un peu ravalé. Ravalé. Drôle de mot... Seul un vilain détail m'a sans doute échappé hier. Là, sur l’autre trottoir, je le vois me happer, ce panneau, en façade avec dessus, dessinée, une affreuse construction genre lego en 3D, précédée de lettres géantes, un énoncé comme un faire part : Permis de démolir : ici bientôt, construction de la résidence "les Iris": 35 logements, sur 4 étages", avec parking, travaux dirigés par l’entreprise Pinsson § fils. Siège social : Suzy les Charolles..."

Avant de repartir, j'ai regardé longtemps cette grosse maison grise. Pour la première fois de ma vie, j'aimais follement la bourgeoisie. Le cossu, toute cette importance, ces volets blancs devenus gris, il aurait suffi de retaper. Retaper, drôle de mot aussi ! les pierres tenaient, auraient pu traverser les âges... Sous les plantes proliférantes qui couraient sur les escaliers, j'entendais comme des cris d'enfants, le grincement de la balançoire, et la voix d'une vieille maman qui courait hurlant deux prénoms. Je ne peux dire si c'était le diable mais je sus que le type aux bonbons était passé, et qu'il s'en était pris à la maison. S'en suivit quelque drame. Le bruit courût que la maison était hantée. Et, pour une bouchée de pain la maison fût rachetée.

En pensant aux misères que nous faisions à ces chers notables, au baiser de Judas, de l'étranger Pinsson, je me suis demandée s'il était permis d'éprouver à la fois, et des remords et des regrets...

Nota : Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence, sauf pour mon grand ami M que je salue au passage, (oui, M. je te promets, tu l'auras un jour, l'adresse de ce blog !) et plus ou moins, Melle Pugeolles qui m'a plus ou moins tout appris...

Photo: Soleil couchant sur la maison bourgeoise. Vue dans une petite ville du Nabirosina. A des années lumière de la forêt. L'été prochain je vous montrerai la résidence "Les Iris" construite par l'entreprise Pinsson § fils, constructeurs de bâtiments modernes, barbares de père en fils. Juillet 2009. © Frb.

samedi, 04 juillet 2009

Des attraits

"Mademoiselle Ferrand (1) sentit la nécessité de considérer séparément nos sens, de distinguer avec précision les idées que nous devons à chacun d'eux, et d'observer avec quels progrès ils s'instruisent, et comment ils se prêtent des secours mutuels".

ETIENNE BONNOT DE CONDILLAC. (1714-1780) Extr de "Allégorie de la statue" in "Traité des sensations" (1754).

exgr m.jpg

Il fait à Lyon, presque 35°, (malgré ce jour antidaté, il fait presque toujours + de 35° à Lyon, l'été). Les jeunes filles (et les vieilles aussi ! ah ça !) vont se rafraîchir au jardin, doucement elles longent les arcades, où les statues en petites tenues (voire sans tenue du tout) tentent toujours (avec l'énergie du désespoir de la statue) d'attirer le regard des passants, des passantes surtout et à défaut d'amour, d'affection, elles espèrent, (comme si une statue espérait), être vues et que peut être ailleurs, on parle d'elles. (Là, je me fais l'impression de ces gens qui sans vergogne mettent des manteaux à leurs teckels et font parler leur chat à la première personne du singulier, mais les statues c'est pire que les animaux, quand ça vous regarde c'est froid et pourtant ça vous regarde), foin de poncifs. C'est pourquoi il a très bien fait CONDILLAC d'imaginer une statue qui serait admettons, organisée à l'intérieur tout comme nous et même mieux qui sait ? ... C'est donc ainsi, amollie, par le souffle suave, (Hozan, ne lisez pas ! :) de mon contemporain, recherchant son point d'eau, son bol d'air, dans cette chaleur crasse, ainsi qu'en promenade avec Mademoiselle Ferrand (1) (Une grande amie d'Etienne), nous cherchions, nous aussi notre coin: des balancelles, une pergola, ou simplement l'ombre au jardin du palais St Pierre, en quête d'un brin de fraîcheur pour manger nos bichons au citron de chez la mère Machin qui en fait des bien bons par la rue Ferrandière. Tandis que Melle Ferrand me parlait de la vie, de la mort, de la paix, de la guerre, tandis je rêvais de frimas, de brouillards et d'abominable homme des neiges, au moment où lassée par tous les boniments de Melle Ferrand (elle est gentille mais quelle pipelette!) ; excédée et levant les yeux vers le ciel ; je croisais, (comme pour me faire ma fête), le regard lubrique et le geste cru d'une statue aussi fanfaronne que muette... "Oh my god!" hurla melle Ferrand outragée qui se sauva en courant, laissant choir son bichon dans l'herbe. "A t-on déjà vu chose pareille ?" murmurai je, toute tourneboulée par l'outrecuidance du goujat qui me dévisageai hardiment sans pourtant battre des paupières.

Mais peut-être s'agit il de tout autre chose ? Car ici la chaleur rongeant notre surmoi (si féroce, d'ordinaire), il ne reste plus que les affres (de la chair ! quelle horreur !), et les élans de l'âme ne parviennent plus à se hisser au dessus de la ceinture. Mais, est-ce inconvenant ? Ne dit-on pas que les statues ont aussi leur métamorphose ?... D'ailleurs me vient une toute autre question, comment dit-on "statue" au masculin ?

Sur ce, amis lecteurs, je vous laisse avec la question. J'avais prévu de vous raconter l'histoire de "dindonne et dindon", mais l'esprit vaque ailleurs (vacailleur ?) en ces lourdes chaleurs je retourne à l'Adam de Rodin qui attend de pied ferme son couple (déjà !) mythique (Monsieur Solko au bras de Mademoiselle Camay, pour la bonne cause évidemment, n'allez pas croire...) armés de gants de toilette, de serviettes parfumées pour faire mousser la pomme de l'Adam de Rodin, sous "la savonnette de juillet".

Photo : Une statue pas comme les autres. Une statue un petit peu "marseillaise" dirait-on. Photographiée en mangeant mon bichon, Sous les arbres au jardin du musée St Pierre. Pour connaître la suite, (le futur) il suffit de caresser l'image.

 

Lyon © Frb 2009

samedi, 20 juin 2009

Antimatière

Le poteau noir *

Nous sommes depuis plusieurs jours déjà dans la région
du poteau
Je sais bien que l’on écrit depuis toujours le pot au noir
Mais ici à bord on dit le poteau
.

poteau noir.JPG

Le poteau est un poteau noir au milieu de l’océan où
tous les bateaux s’arrêtent histoire de mettre
une lettre à la poste
Le poteau est un poteau noir enduit de goudron où l’on
attachait autrefois les matelots punis de corde ou de
schlague
Le poteau est un poteau noir contre lequel vient se frotter
le chat à neuf queues.

Assurément quand l’orage est sur vous on est comme dans
un pot de noir
Mais quand l’orage se forme on voit une barre noire
dans le ciel et cette barre noircît s’avance, menace et
dame le matelot le matelot qui n’a pas la conscience
tranquille pense au pot au noir
D’ailleurs même si j’ai tort j’écrirai le poteau noir et
non le pot au noir car j’aime le parler populaire et
rien ne me prouve que ce terme n’est pas en train de muer ...

poteau23.JPG

Tous les hommes du Formose donnent raison à CENDRARS qui dans "sa feuille de route" partie du rapide de 19H40, explore "le coeur du Monde" en 1924.

Bien sûr c'était avant la catastrophe. Et puis c'était avant qu'on zappe un peu la catastrophe à cause de Michaël JACKSON, "le roi de la pop", dont nous ne sommes pas censés connaître la mort puisque ce billet datant du 20 Juin 2009 ne nous permet pas de communiquer des faits qui ne sont pas encore arrivés. Mais ce que notre Blaise ne nous dit pas (et que nous sommes bien obligés de constater), c'est que si l'on fixe longtemps le pot au noir, on peut lire l'avenir sans grande marge d'erreur. Vous n'avez qu'à tester. Encore faut il y croire très fort. Mais je ne pense pas qu'au regard d'une telle évidence, nos lecteurs aient l'outrecuidance d'en douter...

* "Le poteau noir" par  BLAISE CENDRARS in "Feuilles de routes", (le Formose), extrait de "Au coeur du monde" (poésies complètes 1924-1929). Editions Denoël 1947.

Photo: Le poteau noir (et ses  métamorphoses) dans la boîte noire. A la périphérie de quelquechose très difficile à situer sur la mappemonde. Juin 2009. ©