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dimanche, 01 janvier 2017

La vie sur terre (par Satyajit Ray)


"Deux", est un court-métrage datant de 1964, sans aucune langue parlée, écrit et réalisé par Satyajit Ray (সত্যজিত রায় en bengali,) qui en a composé la musique, c'est aussi une invitation à re-découvrir le travail d'un immense cinéaste, (voir ou revoir, "Le salon de musique").

Satyajit Ray fût aussi écrivain et compositeur bengali, fils de Sukumar Ray, illustre écrivain pour adultes et enfants, dramaturge et poète, auteur de nombreux poèmes dont "Le pouvoir de la musique", un sujet constamment déployé par son fils, comme ici dans cette fable racontée sans un mot (succions et cris d'enfant, mais à peine)... 

Plus l'auteur a exploré la matière sonore, plus il a su capter l'expression des visages et se laisser capter par leur beauté. Sa spécificité fût de savoir filmer ces visages attirés par un son sans jamais révéler la transformation que ce son va opérer en eux.

On sait que quelque chose a été vu et entendu, on croit percer à jour le mystère des mondes intérieurs de ces êtres qui ont capté les sons. Une percussion intime...

être au monde à travers ce qui est de lui en vous - par lequel le visage est soudain saisi - a écrit Charles Tesson pour la Cinémathèque, titrant très justement à propos de cette façon si singulière de filmer les êtres et les sons :

"Le son dévisagé".

Il n'est pas surprenant devant les expressions proches et lointaines de ces visages, cette "saisie" très rapide de la fragilité des expressions humaines, que le cinéaste ait beaucoup admiré le photographe Henri Cartier Bresson. Il y a chez Satyajit Ray, comme chez Cartier Bresson, une réalité soucieuse de ce qui est, une retranscription très sensible de la matière complexe des choses et des êtres, et surtout de ce qui ne se voit pas...

 

L'air. 

 

Puissiez-vous ne pas en manquer pour cette nouvelle année 2017, que je vous souhaite douce et belle.

 

Contre mauvais augure, une fable, riche en thèmes...

 

05:43 | Lien permanent

jeudi, 12 juillet 2012

Invisibles

An têt an pié mango-vê
Mêt Kolibri lévé bon-nê
Opipiri ija douboutt' :
Sin tchê d'matin
Soleye ka lévé bon-nê ozantiy.
Fuiii !!!... Pssiii!!! - Mêt Kolibri ka siflé

Extr. du "Mêt Colibri" - Conte Créole"-

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Invisibles

Le roi-grenouille, la fille aux mains coupées, le renard parrain, Till l'Espiègle, la nonne qui a vu le monde, l'os qui chante, la reine des oiseaux, le petit poucet, le chat perché, les trois châteaux du diable, la femme-squelette, le carreau de beurre, la bouillie dans le trou de glace,  l'homme sans tête, le grand gros navet, la chemise qui porte bonheur, la tortue avisée, la poupée qui mord, la danse dans les épines, le roi des poissons, la bible du démon, la licorne rose invisible, l'arbalète magique, le petit boeuf rouge, le chien du tsar, le bonhomme de pain d'épices, les trois oranges d'amour, les souliers usés à la danse, le crocodile qui ne mange pas les poules, l'enfant crapaud, l'indien qui gardait sa femme en cage, le chat qui s'en va tout seul, les 12 valets paresseux, les bottes de 7 lieues, les soupirants de la renarde, l'arbre sans fin, le Nakakoué, la soupe aux escargots, le harfang des neiges, la belette entrée dans un grenier, la princesse aux petits pois, l'ourson de verre, le coucou franc, le cochon à tête blanche, les trois petits kangourous, le vilain petit ver, Moumine Le Troll, l'homme au sable,  le nain jaune, le monastère des larmes, la malle volante, le rêve vendu, l'homme gris, la belle aux cheveux d'or, le jabberwocky, celui qui voulait vivre aux crochets des autres, le petit homme marron, le chêne parlant, le dromadaire mécontent, les fileuses d'or, les trois sourds, le petit âne, l'oiseau malin, la biche borgne, le chien Zoubar, les oies qui demandent du répit...

 

Invisibles

 

Le samouraï oublié, l'homme touffu, le prince aux 3 destins, le Marquis de Carabas, le phénix sculpté, le tyran écarlate, le maître voleur, le roi des échos, la fée clochette, Tim Tim bois sec, Poucette, la petite fée Carotte, le caméléon amoureux, le manticore, le dragon vengeur, le baiser maléfique, la dame à la licorne, l'âne si doux marchant le long des houx, monsieur-Chenille, la femme-cygne, le génie de la forêt, la mystérieuse chambrière, le nocher des enfers, la case des jours de pluie, le prince Torticoli, le Kraken, la fée aux gros yeux, les trois ours, le sabre enchanté de va-de-bon-coeur, le gnome qui regarde passer le train, La belle Florine, la petite poule rousse, le roi des singes, Blaise le poussin masqué, les oeufs de la cane Calandéric, le mendiant insupportable, La fleur des vies des Saints, le Baba Yaga, la Dakini, Persinette, Sylvain et Sylvette, Jeanot le cuisinier du roi, Dame cagouille, les lavandières de la nuit, la grotte aux lutins, le génie à tête de bouc, le prince tout bleui, Berthe la fille du roi de Hongrie, le sou du rossignol, le petit garçon qui plantait des clous, la vieille femme dont le fils adoptif était un ours, la soupe à la princesse, Dame Trude, peau de vachette, le vieux baron des ravots, la petite sirène, le chercheur de vérité, la lune prise pour un fromage, l'ankou, Ricdin Ricdon, le prince Titi, la bête à 7 têtes, la fontaine de Jouvence, le fantôme de l'avare, le moineau à la langue coupée, la princesse clair de lune, le roi Bec de grive, les moires, les nornes et les dises, les vérités inutiles, les souhaits ridicules, l'arbre qui voulait rester nu, la fée aux miettes, le pays des 36 000 volontés...

 

 Soeur Anne ma soeur Anne, ne vois tu rien... venir ???

 

A suivre, peut-être...

 

Photo : Le petit lièvre un peu visible, ou peut-être une apparition ? Photographié (sans trucages), montée de la Grande Côte à Lyon, un jour comme il y en a tant où l'on ne voyait rien venir hormis le petit lièvre dont on sût bien plus tard qu'il arrivait du pont du gard. (Avertissement : ceci est un conte pour les grandes personnes).

 

Liens :

intelligent : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfp_0556-7807_1977_num_40_1_2110_t1_0052_0000_2

instructif : http://expositions.bnf.fr/contes/arret/ingre/indespa.htm

Approximatif : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/07/09/cendrillon-10-ans-apres.html

 

© Frb 2012.

mercredi, 28 mars 2012

Qui sont les poètes ? (re)belote

L'influence du poète ressemble souvent à celle de Chantecler dont le chant fait lever le soleil, à condition d'être chanté juste avant l'aurore.

Albert GUERARD, in "Les primaires',1937, cité dans "Le dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugements § le livre des bizarres" de Guy BECHTEL et J.-C. CARRIERE aux éditions R.Laffont, 1991.

Pour découvrir ce que racontent les poètes, vous pouvez cliquer sur l'image.pink floyd.JPG  

Le poète (ancienne orthographe : "le poëte") est celui qui dit ou écrit de la poésie. C'est donc celui qui possède l'art de combiner les mots.

Exemple :

Ogan labessé son danbo
Séban déboidur édobuie
Essé glondue débroidérie
Gonsollié rian clarido [...]

Le fin connaisseur en poètes aura bien sûr reconnu une parodie d'un poème bien connu que voilà  :

L'hiver a laissé son manteau / De vent, de froidure et de pluie / Et s'est vêtu de broderie / De soleil riant, clair et beau.

- Le poète maîtrise également l'art de combiner les sonorités

Exemple :

Damned Canuck de damned Canuck de pea soup
sainte bénite de sainte bénite de batèche
sainte bénite de vie maganée de batèche
belle grégousse de vieille réguine de batèche

[...]

Cré bataclan des misères batèche
cré maudit raque de destine batèche
raque des amanchures des parlures et des sacrures
moi le raqué de partout batèche
nous les raqués de l'histoire batèche

(extr. GASTON MIRON in "l'Homme rapaillé", Montréal, L'Hexagone, 1994)

 - Quand les sonorités se font clairement entendre le poète peut se mettre en scène il dira alors qu'il fait de la "Poésie Sonore"

Exemple  (visionnage vivement recommandé, à nous autres, les indifférents)

  - le poète a aussi le don de combiner les rythmes , 

Il connaît l'ARYTHMIE.

Exemple : Mes pieds. Merde. Quel système. Attendre l'arrêt. Ah !

Ne lâche pas son classique enfantin :  ÂNONNEMENT.

Un jjourrr surrr la pppl-a-tee-fforrmmm a-a-arri-ière dd'un a-au-autobusss...

Il sait pratiquer la RHINOLALIE OUVERTE c'est à dire que le voile de son palais (et ce n'est pas une métaphore, quoique...) est rabaissé quand il devrait être levé. Chapeau haut de forme, pour qui l'observe le poéte jauge la chose à la mesure de son esprit :

Exemple : "Guel chabeau ridigule !"

Il peut autant pratiquer la RHINOLALIE FERMEE

 Quelle heure est-il?
--- Bidi et debie.

- Le poète sait pour notre plaisir également évoquer des images:

Exemple :

Sur une branche morte
Repose un corbeau:
Soir d'automne!

BASHÔ : Haïku (traduction Karl Petit)

 - Le poète est aussi formidablement doué pour suggérer des sensations, des émotions.

A noter que notre exemple ici présente un cas particulier de poète en jupon (ou jupette), dans ce cas afin de bien marquer la différence entre le poète en pantalon bouffant ou en string moule-machins, ou pouêt pitre, en salopette, bien que souvent un poète qui se respecte honnira le port de la salopette, trop peu solennelle en cas de lecture publique, le poète peut-être en robe de bure grave christique, pour le poète ecclésiastique ou en robe de chambre pour amuser les pommes de terre, pourquoi pas en robe du soir nouveau le poète transgenre ? Hé oui, tout est permis au poète sinon c'est pas un "vrai" poète  enfin, pour désigner le poète en jupon on utilisera le terme très émouvant de poétasse poétesse.

Exemple :

Tu es, tout seul, tout mon mal et mon bien;
Avec toi tout, et sans toi je n'ai rien;
Et, n'ayant rien qui plaise à ma pensée,
De tout plaisir me trouve délaissée,
Et, pour plaisir, ennui saisir me vient,
Le regretter et pleurer me convient,
Et sur ce point entre en tel déconfort
Que mille fois je souhaite la mort.
Ainsi, ami, ton absence lointaine
Depuis deux mois me tient en cette peine,
Ne vivant pas, mais mourant d'un amour
Lequel m'occit dix mille fois le jour.
Reviens donc tôt, si tu as quelque envie
De me revoir encore un coup en vie.

Extr. LOUISE LABE  in "Élégie II" dans Anthologie poétique française, XVIe siècle 1, Paris, Garnier-Flammarion, 1965.

 - Il faut savoir que les poètes si nombreux soient ils, ont bien chacun leur genre.

Bien sûr, nous ne pourrons pas aborder tous ces genres en un seul billet mais nous y reviendrons, un certain joursans doute peut-être. (Je n'ai plus de connexion, le courrier est en rade, mes excuses aux lecteurs si je ne peux plus tenir mes promesses) donc pour patience abordons parmi ces genres classiques, le genre poème lyrique :

Exemple :

Je compose en esprit, sous les myrtes, Orphée
L'admirable!... Le feu, des cirques purs descend;
Il change le mont chauve en auguste trophée
D'où s'exhale d'un dieu l'acte retentissant.

Extr. PAUL VALERY in Album.

 - D'autres sont de style courtois (attention, digression !)
Qui dit courtois dit bien souvent que le poète cherche sa muse, ou son chat, (mais quand c'est son chat le poète sait alors redevenir comme vous et moi, un homme entre tous d'une prodigieuse simplicité et on le remerciera de rendre cela mémorable) mais un poète qui cherche son chat n'étant pas forcément un poète courtois il faudra préciser que celui qui cherche sa muse l'est toujours, qu'il la possède ou ne la trouve jamais au moins se différencie-t-il de l'homme ordinaire par ses super-pouvoirs imaginaire, tant et si bien qu'il finira par l'engendrer, sa muse, (c'est une image, bien sûr) à ce propos, prudence ! j'ouvre une innocente parenthèse pour ceux qui ne s'y connaissent pas plus en poètes que je m'y connais en moteur de voitures. warning ! le poète, peut à tout moment prendre ses aises et vous mentir en ayant l'air de dire la vérité, lisez plutôt:

J'aime Gala plus que ma mère, plus que mon père, plus que Picasso et même plus que l'argent

(S. DALI)

Dans ce cas, c'est peut-être vrai, ou faux, équivalent qu'importe, sachons que le poète a été mis au monde pour dire haut et fort et dénoncer avec éloquence toute les médiocrités humaines, rendons grâce au poète dont l'éloquence (ce qu'il faut retenir) a goût de rendre justice, dénoncera tous nos bas instincts, on le croira mais croire Dali "plus que l'argent", ça inspire certaines "méditations poétiques", pourquoi pas ? Et on serait bien bête de ne pas se laisser charmer par les mondes flottants de ce cher Phonce de Lam, (j'emprunte le sobriquet à au seul pouête grosnien connu ici, toujours ami, merci à lui !) car par les temps qui courent, une ombre de vieux chêne ça ne se refuse pas. (Un diable d'enchaînement) :

 

Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.

Cependant, s’élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs ;
Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante :
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m’attend.

 

Après ce trop court moment de grâce, pour en revenir à nos oiseaux je précise pour les moins de vingt ans qui liraient ce blog que "Gala" n'est pas ce magazine des princes et des princesse mais la brune dame que Salvador Dali (alias Avida Dollars) avait piqué à Paul Eluard, (alias Eugène Emile Paul Grindel) et là ce n'est pas un anagramme mais nous constatons contre toute attente, que le poète peut être un brin goujat comme les gens ordinaires, or, qu'il soit menteur ou goujat, contrairement aux gens ordinaires il faut savoir tout pardonner au poète car s'il mène parfois une vie de barreaux de chaise, (pas tous, il existe des poètes aux moeurs très convenables), ce sera toujours pour vous céder le testament, (non pas celui des barreaux de chaise), regardez !

 http://www.youtube.com/watch?v=-Vlkypk36qQ

A propos de la dame, Paul Eluard épousa Gala en 1917 comme chacun sait, mais le remariage de Gala avec Dali et de Eluard avec Nusch, ne dégrada pas la ferveur d'une belle correspondance entre Gala et Paul Eluard, qui dura au delà de leur séparation (en 1929 jusqu'en 1948) quatre ans avant la mort d'Eluard. Le témoignage de cette relation épistolaire se retrouve encore dans un livre étonnant qui s'intitule "Lettres à Gala".

Tout ça pour se retrouver (on ne sait pas trop comment) au Moyen-Âge et vous citer un exemple de poésie courtoise ce qui n'a strictement rien à voir avec les surréalistes mais les poètes forment une grande famille, ils n'ont qu'une terre de reconnaissance - par delà les frontières du temps qu'ils savent abolir (et hop ! voyez comme on danse !).

Ainsi, par l'exemple à venir nous n'hésiterons pas à enfourcher  chevaucher la machine à remonter le temps, (en poésie, l'impossible n'est plus un problème) pour vous proposer une poésie qui est un roman en fait, mais en vers, sacreblou ! ça ressemble à s'y méprendre à de la poésie courtoise)

Ele fu longue et gresle et droite.
De moi desarmer fu adroite;
Qu'ele le fist et bien et bel.
Puis m'afubla un cort mantel,
Ver d'escarlate peonace,
Et tuit nos guerpirent la place,
Que avuec moi ne avuec li
Ne remest nus, ce m'abeli;
Que plus n'i queroie veoir.
Et ele me mena seoir
El plus bel praelet del monde
Clos de bas mur a la reonde.
La la trovai si afeitiee,
Si bien parlant et anseigniee,
De tel sanblant et de tel estre,
Que mout m'i delitoit a estre,
245 Ne ja mes por nul estovoir
Ne m'an queïsse removoir.
Mes tant me fist la nuit de guerre
Li vavassors, qu'il me vint querre,
Quant de soper fu tans et ore.
N'i poi plus feire de demore,
Si fis lues son comandemant.
Del soper vos dirai briemant,
Qu'il fu del tot a ma devise,
Des que devant moi fu assise
La pucele qui s'i assist.

IVAIN (ou yvain) cité dans Auerbach 

 - Autre style du poète sorti d'une trempe vieille comme le monde : Le poète courageux qui n'hésitera pas à se lancer dans la poésie épique,  évoquant des événements historiques mêlés généralement à des légendes ou des héros sont magnifiés. Il s’agit en réalité d’accorder à un fait ou à un héros une grandeur, une dimension quasi surnaturelle. Sur ce coup du poème épique, entre nous, j'ai la flemme, mais je vous renverrai à ce qu'en dit Melle Chardon, poétesse au club-poésie de la Scala de Vaise, je cite :

Il ne faut pas confondre la poésie épique avec la poésie qui pique [...]

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/03/29/menage-de-printemps.html

[...] Ni avec le Merlin du picnik" :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/10/29/30...

Bon. C'est pas bien malin. J'en suis presque gênée pour cette pauvre Melle Chardon et moi-même. Enfin, pour terminer par delà soucis et controverses. Il y a tout de même une petite ombre au tableau, le destin du poète ne figurant dans aucun programme d'aucun candidat pour cette présidentielle, les arts en général paraissant de tous bords ignorés (sans jouer les martyrs), on est en droit de se demander avec quoi le poète il va pouvoir becqueter, surtout quand on voit le nombre de poètes obligés de vendre de la barbapapa à la vogue, bien qu'il n'y ait pas de sots métiers, il est grand temps d'anticiper : qu'est ce qu'on va faire de nos poètes ? Est ce qu'on les garde ? (Pour s'occuper des femmes en cas de guerre). Est ce qu'on les recycle ? (Pour animer des soirées dans des chateaux par exemple... ). Là, j'interroge nos politiques, "c'est une question de vie". (Sûr qu'ils vont prendre en compte !). Et je joins au lecteur adoré deux liens facultatifs. Rien que dans l'objectif.

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/10/30/po...

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2008/10/30/co...

La prochaine fois, je ne sais quand, je vous parlerai du poète dramatique, du poète spatialiste, du poète maudit, des oulipiens, des poètes lettristes, puis, si on a le temps de l'héritage des peintres... ?

Photo : Parortit sed topètes ua bani uo toiser ud trempins des opètes, sènec rera, gratiophophée nu sori à l'erheu ed l'épifitra, au Parc de la tête d'Or à Lyon.

© Frb 2012.

samedi, 28 mai 2011

Trains de vies

Crains qu'un jour, un train ne t'émeuve plus.

GUILLAUME APOLLINAIRE

train ter W.jpgC'est un vaste atelier où le soleil entre à plein tube éclairant sous toutes les coutures des sièges bleus, des bagages en tissus, des valises, des valises... Des étuis de toutes sortes et des livres dont les pages nous détournent du but, suivent un autre mouvement. Quelques branches fouettent la vitre, de l'autre côté, passent des archives architecturales d'un autre temps ; perdues entre les fougères les usines"Radielec", renaissent et l'on vit un instant dans des villas en ruine sous des vieux parasols qui pourrissent doucement près des hangars. Sur des tablettes il y a partout des petits ordinateurs intéressants et des gens qui voyagent encore dans le voyage. C'est comme les poupées russes, une mise en abyme, un film dans le film. Tout peut se lire, s'écrire, c'est l'histoire qui déroule des choses plus ou moins vraies, nous inspire la certitude que rien n'est à sa place. On voyage pour n'être personne, se détacher ou pour la mutation des sentiments, jusqu'à rejoindre là bas, quelqu'un qui nous attend sur un quai, dans une gare paumée, un être aimé, c'est rassurant, à la fin, on ne sait pas si on saurait le reconnaître parmi les autres comme lui, qui viennent pour chercher, chercher qui ? Arriverait-on indifférent ? Plus indécis, à force de goûter ce temps à tuer comme plus vrai que le temps à remplir. Arriverait-on plus enclin à aimer ? Entre les deux, c'est l'impatience, un jeu versatile, de hors lieu en hors lieu, des points de suspension, entre un point A et B  on devient autre chose, nous ne sommes plus des gens. Une effusion géographique trouble nos attachements, il en vient d'autres plus amènes, nous sommes cette vitesse qui ronge lentement l'affectif, dénoue l'ordre chronologique, nous sommes l'effacement et le temps subjectif est notre possession, comme le vide, l'oubli des origines quand l'origine partout pourrait être la notre.

Je me suis reconnue, en ce point minuscule posé sur un vallon, je me suis reconnue sur ce banc, je suis née sur un quai du côté d'Ambronay j'ai fait mes classes à St Lazare, je me suis mariée à la Brasserie du Train Bleu, je suis morte gare de la Part-Dieu, je ressucite entre St Florentin et Moisenay à la bifurcation, sur la branche Ouest de la LGV interconnexion Est, j'y puise les couleurs assez tendres de la voie C, je réinvente le déroulement du ruban magnétique qui m'attache à l'environnement, je suis un mensonge éphémère, je me vois arrivant à Kharbine, Je ne vais pas plus loin...

Tsitsika et Kharbine
Je ne vais pas plus loin
C'est la dernière station
Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

Un voyage à la fois achevé, et qui tourne des pages, Blaise m'attend. Il porte mes valises, c'est charmant. à un moment, faut toujours changer d'air mais les voyages ça coûte bonbon, Barnabooth m'envoie de l'argent, une place enviée avec lui, on ne voyage qu'en première, oncle Archibald Olson Barnabooth, destinations : Florence, Saint-Marin, Venise, Trieste, Moscou, Serghievo, Saint-Petersbourg, Copenhague, et puis Londres, malgré la volonté de se fixer quelque part une bonne fois pour toutes, se fixer est insuffisant, peu importe la destination de retour, il faut repartir absolument. Se fixer serait pire qu'être enterré vivant, j'admets, qu'il me semble impensable de passer en plaisirs sédentaires, sa seule et unique existence.

Le mouvement emmènage dans la musique anecdotique, mémorise les sons, on pourrait entrevoir toutes les conversations entre ce qui est possible et ce qui ne l'est plus, c'est une autre façon de correspondre avec son temps dans l'immédiat, je pose dans l'immédiat, toutes mes capacités futures. Sur les sièges 49 et 51 des gens parlent d'eux mêmes, ils prennent position sur la terre, des dizaines de nombrils tout comme un oeil géant guettent les destinations. C'est un vaste salon où le soleil entre à plein tube éclairant des peaux blanches, des peaux brunes, des yeux verts, sombres ou bleus. Des vies entièrement subjectives qui mutent entre les mains du conducteur de la loco, dans une situation sonore exceptionnelle, où la ferraille fait disparaître doucement les ossements, ce que nous sommes dans la lumière est malléable, nous flottons un instant. L'humanité abstraite nous tient, nous sommes l'amorce d'une bande magnétique obsolète, nous sommes les premiers habitants de l'Etude aux chemins de fer, les premiers objets d'un salon de musique qui lisent l'avenir derrière une vitre et veulent que le hasard s'emmêle, crée des noeuds dans les lignes avec la détermination de ne pas nous laisser ignorer ce qui pèse, nous sommes des tas de bidules en ut à l'heure précise qui pose le monde en équilibre entre les ponts, nous sommes un moment de renversement de la vapeur dans la machine en suspension sur un viaduc ancien comme neuf.

Cendrars et Larbaud endormis sous l'écrin de carton posé sur mes genoux, au coeur d'une page introuvable, aucun mot n'est venu fixer ce haut lieu formidable qui s'appelle "partout". Il y a des répondeurs qui tournent à vide dans les appartements. Une voix déraille, se défile : "Je ne suis pas là pour le moment ..." Nous touchons l'accès sans le mot de passe, nous allons immobiles, nous captons les remous à la base et le fantôme de Gutenberg, dans les coquilles ramassées de"La vie du rail", nous sommes la suite fantasmatique pour une voix et mille aiguillages, nous sommes les destinations qui s'épousent par hasard, fuient les ères et les aubes, confèrent aux lignes droites la souplesse des courbes, qui s'entrecroisent mais ne touchent jamais tout à fait la destination rêvée, nous fuguons avant terme, pour une correspondance puis une autre, et encore une autre ... Nous roulons sur l'enfance de l'art, avec des portefeuilles boursouflés de billets à oblitérer. Nous sommes la mer et la montagne sifflées par le même chef de gare, nous sommes le contrepoint qui fuit d'une voie à une autre, nous sommes dans les strates, nous vivons dans la forme la plus évoluée de l'écriture qui renouvelle sans cesse l'adage: "partir, c'est mourir un peu"...

 La mort est toujours l’horizon du voyage, que l’accumulation des étapes semble éloigner. Il pourrait cependant y avoir un accident...

 

Nota : Cette dernière phrase a été empruntée à Valéry Larbaud et son grand voyageur de "Barnabooth".

Photo : Intérieur train. Le rideau vert du TNE (Transnabirossinien-Express) qui est aussi un JTB (joli train bleu) photographié au plus près quelquepart ou nulle part, entre Lyon et Orléans.

 

Entre-deux © Frb 2011

lundi, 17 janvier 2011

La grande route

Parfois le murmure se répand que nous sommes visités par des ombres transparentes.
Qui sait ? Qui sait ?
Comment retrouver leurs traces quand on a peine à se retrouver soi-même ?

HENRI MICHAUX, extr. "L'Espace aux ombres" in "Face aux verrous", éditions Gallimard, 1992.

pour connaître le début de cette histoire vous pouvez cliquer sur l'imagegrde road4091.JPG

Les jours passèrent longs et stupides, nous étions moins joyeux. Nous avions laissé les chansons, fabriqué des chapelets. Ils ne servaient qu'à passer le temps. Nous nous bercions de prières, nous les récitions à voix haute en marchant. Elles portaient aussi d'autres chants, nous avions cessé, à force de répétition, d'en ressentir tous les bienfaits. Au mieux, cela nous fatiguait. Une lueur blanche émanait d'un sommet. C'était là, notre terre promise. Il semblait que là haut, les châteaux se multipliaient. Nous fûmes un instant en Espagne ou mieux, en Amérique. Les habitants semblaient agglomérés en un point lumineux qui se trouvait sur la lune mais ce n'étaient que les formes exagérées de la lune qui chaque nuit hantaient nos rêves de présences et de sons. Nous entendions les voix des créatures nous parler dans l'oreille ; ce langage, nous l'avions connu peut-être autrefois, il nous rappelait encore une langue disparue, celle des  villes où nous avions vécu. Nous nous étions persuadés que ces voix étaient incarnées quelquepart en un lieu qu'il fallait découvrir avant que nos forces s'amenuisent. Un jour, on l'espérait, elles viendraient nous guider, elles pourraient même nous accueillir. Quelquepart il y aurait un point où nous pourrions cesser de marcher, enfin, vivre tranquilles !  nous avions fabriqué ces voix à force de croire que nos vies pouvaient être éclairantes pour d'autres vivant à l'opposé, sur d'autres rives. Nous avions tant de choses à nous apporter, entre étrangers, comme s'il était promis à ce faux semblant de hasard, l'avènement d'une forme charitable, attirée par la nouveauté qui pouvait entièrement combler un besoin de réenchantement mutuel, infini. Nous avions fabriqué ensemble, une légende à venir, envoûtés par une sorte de fièvre. Nous voulions des héros pour conjurer l'ennui. Croire en de nouveaux dieux, peut-être. Nous avions traqué jour et nuit, les manifestations des créatures. Nous cherchions dans le moindre craquement, les bruissements d'insectes, un contact serré avec les créatures, même une simple brindille nous faisait sursauter,  il s'ensuivait un grand émoi, tout dans la démesure. Nous avions même appris à lire, peu à peu  les variations émises par le vent, à tel point que nous aurions pu en écrire les rythmes sur une partition, cela aurait pu être joué dans nos anciennes villes par les plus grands orchestres symphoniques. Nous en rêvions. Nous étions restés à l'affût, jusqu'à cette obsession d'établir un dialogue avec les créatures. Il était impossible qu'une seule d'entre elles ne puisse pas nous comprendre et peupler rapidement le vide dans lequel nous vivions. C'était une intuition commune, une rêverie fraternelle, par laquelle, nous nous proposions de bouleverser nos existences. Les voix nous revenaient en songes, elles s'étaient indistinctement mêlées aux notres, plus ordinaires, ou presque aphones, nous avions hâte d'ajouter un choeur à nos chants, pour réanimer tous les souffles. Les voix en réalité demeuraient inaudibles, plus muettes que l'espace qui vibrait des sons pleins de ce vide intenable, et d'une solitude collective plus harcelante encore que si nous avions été seuls en réalité. Le jour où nous en fûmes conscients, notre vertige se transforma, en une sorte d'effroi, une chute qui porta le malheur et la confusion entre nous. Maintenant, quand la lune est visible, c'est pire. Dans ces nuits là, l'effroi revient à l'identique, et il n'en finit pas, jusqu'à la disparition de la lune au petit jour. Le ciel est vide. Cela nous fait apprécier les moments où nous ne sommes plus inquiets les uns des autres. Marcher devient notre principal soulagement, s'il n'y avait pas ce vide, par instant, il nous serait sans doute plaisant de contempler le paysage, tout en marchant même si jamais nous ne trouvons le lieu. Il faudrait oublier. Quitte à créer n'importe quoi, comme toutes ces statuettes en bois, des marionnettes, ou reculer, retrouver l'ignorance des débuts, quand chacun croyait que le pays que nous cherchions était tout près. Il suffisait de bien s'entendre, surtout d'être patients, d'imaginer que la grande route qui s'allongeait  déjà, à mesure que nous la déroulions, n'était qu'un pont reliant une rive à une autre. Les créatures lunaires, profondes, au lieu de nous secourir, nous avaient éloignés les uns des autres. Aujourd'hui il y a non seulement la route, mais une autre route entre nous, invisible qui nous happe et nous coupe en morceaux. Aussitôt que parait la lune, notre ancienne hallucination nous clive, nous restons des heures allongés dans l'herbe, les yeux ouverts, sans trouver le moindre charme aux étoiles. Nous reprisons de vieilles pensées, en accusant secrètement ceux qui étaient autrefois les notres, comme nous, ensorcellés dans l'ombre roulés par une lueur, nous les haïssons de nous avoir aidés à croire à des choses impossibles. Le reste du temps, nous sommes presque muets, figés par ce qu'il nous vient de haine, elle pousse en nous, nous sommes tous dans le même état, impuissants à la repousser. Nous ne partageons plus que des banalités. Un jour nous deviendrons complètement sourds. Il ne restera que cela, la hantise dévorera nos figures, la laideur entre nous perceptible, jour après jour, creusera nos traits, assèchera ce peu d'enfance qui nous choyait avec ses créatures splendides. Ces lueurs répudiées diffuseront l'incendie, sous la chair et nos corps gentiment en apprivoiseront les débris. Nos yeux s'abîmeront à force de ne cotoyer que cela, toute la sécheresse et nos figures devenues suspicieuses n'auront plus la moindre expression amicale. Il n'y aura plus d'emportement facile, à mener nos chevaux de bois au festin de la lune. Tout ce manque nous abolira, quand la panique devenue coutumière, nous donnera enfin l'impression de solidité, nous continuerons sur la grande route, nous marcherons en file indienne, tout comme avant. Pas tout à fait. Nous marcherons, c'est tout. Nous dormirons dans les forêts. Rien ne sera changé. Apparemment.

(A SUIVRE)

Photo: La grande route (des Charpennes) dans tous ses états, photographiée de la fusée d'occasion Appolo 11 aimablement prêtée (et pilotée) par trois vieux copains cosmonautes (merci les gars !), afin de nourrir les fantaisies démesurées de certains jours. Villeurbanne. © Frb 2010.

vendredi, 05 novembre 2010

Loin

fontaine5603.JPGElle regardait des tableaux d'une ville qui n'existait pas, les photos d'un tableau qui ne s'arrêtait pas, peuplé d'êtres inconnus qui semblaient étrangers ou étranges. Il y avait les autres, ceux de l'ordre et de la fête qui ne démentaient pas leurs amitiés vieilles d'avant les apprentissages douloureux de la musique, (des bruits de la vie simple jusqu'aux musiques des machines à courroie, et à cabestan). Il y avait la fée électricité, et les tams tams étourdissants, le rituel, l'architecture et le théatre d'ombres. Une source vitale du ciel, la pluie qui tombe dans les fleuves et les sons cristallins ou lourds, là où siègaient les divinités ouraniennes et les ancêtres rendus à l'origine, à son indifférence, mais elle ne trouva pas dans le tableau, l'empreinte des premiers jours du monde. Le fleuve se répandait le long des branches et des canaux d'irrigation nourrissant chaque vie dans l'espace pyramidal d'un temps vécu par cycles : incarnation, dissolution réincarnation, les cycles luttant pour la stabilité du monde la régénération contre un autre temps linéaire achevé, les cycles jouaient encore contre la mort, contre la ligne droite jusqu'à l'embrasement.

Il y avait le monde noble, les grands gamelans avec les gongs et les tambours, des ensembles sacrés de métallophones sur lesquels des hommes lentement initiés exécutaient des contrepoints abscons et les gongs isolés qui enseignaient aux oreilles innocentes la virtuosité jusqu'à l'avènement du contrepoint enchevêtré aux carillons et aux claviers, tout cela au détriment des cordes et des vents. La musique du pays qui ne s'arrêtait jamais devenait inquiétante. L'homme qui s'était laissé possédé avait donné le signal d'un monde qui commençait, recommençait toujours, et pour d'autres, c'était une ronde juste après le silence, la venue de mélodies presque enfantines, c'était l'ostinato de la danse guerrière, raide et coulée, en regardant cette danse on croyait presque entendre les cliquetis d'un squelette pris de contorsions, cette musique n'allait pas sans d'autres danses jouées pour les mauvais esprits invités à dévorer le sacrifice caché sous terre. Ainsi chassait-on les forces surnaturelles après les avoir adorées.

Il y avait les danses pour séduire, des hommes étaient choisis puis déguisés en femmes et les claviers sortaient du grand tableau pour rejoindre les casseroles d'une batterie de cuisine. Elle s'amusait durant des heures à taper fort sur des gamelles, à la fin, elle tournait en rond attendant des nouvelles de l'autre qui était parti loin pour fuir et désormais, (il le lui avait dit), il ne reviendrait plus. Il y avait les divergences qui s'adoucissaient sur des gongs à mamelon, un petit corps dans l'orchestre échappait aux gourous jaloux à la recherche du pur amour. L'amour d'un maître pour son disciple, l'amour du disciple pour son maître, et les rôles s'inversaient jusqu'à l'apprentissage de l'habileté. Il y aurait au delà des imitations, cette mémoire des hymnes comme celle d'une nuit possédée, des corps en mutation, certains perdus, d'autres posés apprenant à coups de cymbalettes à passer d'ouest en est par les forces de la musique, le chamanisme, ou le théâtre de marionnettes.

Elle refermait alors le livre du pays qui n'existait pas, écoutait dans la rue, les frottements métalliques d'un camion qui, par un ronflement continu, fermait la nuit. Tous ces sons des antiques sanghyang et les chants exorcistes des petits hommes qui vidaient les poubelles, ne s'intégraient plus, le jour venu, à aucun monde. Sous la brume bleue, des onomatopées complexes ouvraient la ligne du jour qui revenait avec ses vivants et ses morts, ses survivants et ses fantômes... Plus tard elle croisa le facteur sur un cheval en rotin, qui n'apporta aucune lettre, pas de nouvelles de là bas, depuis mille jours déjà. Le facteur repasserait dans mille jours. "Cela ferait beaucoup de temps à attendre, tout de même !". Elle alla à la banque supplia une sorcière responsable à collerette de lui accorder une avance. - "Avance ? Avance ?". La sorcière ignorait le mot. Le stagiaire vint jouer pour réponse un refrain à la mode issu des mélodies d'appeaux. Des crécelles vivantes lui entraient sous la peau ; la peau, la peau c'est la seule chose qui paraissait vivante dans cette ville qui bougeait tout en mollissant. Mille jours ! elle visualisa l'attente en semis de petits cailloux elle glissait avec eux doucement sous la trémille de la rue des émeraudes qui porte si mal son nom, elle se souvint des dieux d'anciennes danses palatines, puis elle souffla dans une corne de brume en forme de banane, qui pointait l'heure exacte de son arrivée au bureau, elle était là juste à l'heure pile, comme chaque jour trouva à la même place monsieur Jouvenot, elle lui serra la main comme elle le faisait depuis mille jours, et s'efforça de sourire du mieux qu'elle le pouvait aux caméras hypersensibles.

 

Le gamelan de Bali est en écoute ci-dessous :

http://www.deezer.com/listen-3928494

 

Source : "Musiques de Bali à Java". Editions Cité de la musique/ Actes Sud 1995 ; une analyse de la musique de gamelan de référence, écrite magistralement, par Catherine Basset (ethnomusicologue spécialiste des musiques de Bali). Ouvrage vivement recommandé par la maison.

Remerciements à Jacques B. qui m'a fait découvrir ce très beau livre et m'a appris qu'entre le point de départ et le point d'arrivée, il est un autre point encore plus appréciable : le point qui ne s'arrête jamais.

Photo : Le gong des lyonnais (oui, bon.), nommé fontaine d'Ipousteguy, cible idéale (pas Ipoustéguy, la fontaine !), sur laquelle est inscrite ce vers connu de Louise Labé (1524-1566) : "permet m’amour penser quelque folie". Photographié à Lyon, début Novembre tout près du Bordel Opéra, sur une place où l'on glisse. © Frb 2010.

lundi, 02 août 2010

Monts et merveilles

Nous promettons selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes.

LA ROCHEFOUCAULT, Max. 38

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A la fin du XIIIe siècle, les "monts" symbolisaient une grande quantité de choses, au Moyen-Âge, on disait, "promettre les monts et les vaux" (c'est-à-dire les vallées), à ne surtout pas confondre avec les "démons", même si les légendes du Moyen-Âge évoquent souvent "les démons et merveilles". Dès le XVe siècle on utilisait l'expression "conter maux et merveilles" pour raconter des histoires fabuleuses". L'expression s'est ensuite transformée au XVIe siècle en "promettre monts et merveilles". Il s'agit donc de promettre des choses précieuses en grande quantité, choses mirifiques et dans un sens plus figuré : promettre plus qu'on ne peut tenir. Au cours du temps, on a dit aussi "promettre la lune", "chiens et oiseaux", "plus de beurre que de pain"... Mais revenons à cette expression "monts et merveilles" dont l'origine n'est pas anecdotique ; aucun conquérant n'a jamais promis à ses troupes de merveilleux royaumes au-delà des monts, comme le fit le général carthaginois Hannibal, qui fit espérer à ses soldats, du haut des Alpes, la possession de Rome. Un peu plus tard, François Rabelais utilisera "conter monts et merveilles", tandis qu'au XVIIIe siècle, on parlera de "monts d'or" pour évoquer soit des avantages très importants soit des richesses considérables. Dans la suite des temps, par un goût pour la répétition, typique de l'ancien français, l'image a été oubliée et les merveilles ont pris la place des vaux, renforçant ainsi le sens du mot mont, au lieu de le compléter comme précédemment. L'ancien français adorait ces couples de mots, de sonorités voisines et de sens proches. Curieusement, beaucoup nous sont parvenus: bel et bien, sain et sauf, sans foi ni loi, sans feu ni lieu, tout feu tout flamme... On retrouve chez J.J. Rousseau des "merveilles" plus fidèles à la panse rabelaisienne (ça c'est moi qui rajoute). Les "merveilles" sont des rubans de pâte cuits dans le beurre : "La collation fut composée d'échaudés, de merveilles", (cf La nouvelle Héloïse). Ainsi pourrions nous glisser doucement et pour appâter le gourmand lui promettre bien finement "Veaux et merveilles"... Mais cela est une autre histoire cachée entre les terres du Nabirosina et les monts de Genève et je n'en risquerais pas la publication sans m'en aller goûter moi même les merveilles décrites par Rousseau. Quant aux veaux je vous les promets, selon la formule consacrée du poète Auguste Vermeault : "Promettre veaux émerveille". Enfin bon...

Photo : Promenade au bord de l'étang des clefs, (merveille !) et, plus loin, St cyr (mont !) culminant à 771 mètres d'altitude, ce qui nous donne le plus haut sommet de la Bourgogne du sud, où par temps clair, on peut voir les cimes des neiges du blanc (mont) et des Alpes, le Forez, l'Autunois, le Morvan, le Beaujolais et le Mâconnais (Monts), et l'entrée de la cave en croisée d'ogive (Monts et Merveilles !) du poète, (poite ? pouêt ?) Hozan Kebo. Nabirosina. Août 2010.© Frb

mercredi, 05 mai 2010

Crions

Qui pousse un cri meurt ! Qui se tait meurt aussi !

EISENSTEIN : "Alexander Nevsky" (1937-1938)

crier.JPGPour en entendre (un peu), vous pouvez cliquer sur la rue Crillon.


Cris /kʁi/

Cri, Crie, Cries
cri, crie, cries, cris
cri, cris
crie, crient, cries → voir crier


A lire : http://www.vadeker.net/beyond/infinity/trou/trou_enfer.html

Plus sérieusement : http://www.archipress.org/index.php?Itemid=38&id=53&a...

Photo : La fameuse plaque muette de la rue Crillon de Lyon (Crillon à Lyon), située dans le 6em arrondissement, quartier chic et feutré, seulement en apparence... Mai 2010. © Frb

lundi, 12 avril 2010

Un rien s'ébruite

"Tout dormait comme si l'univers entier était une vaste erreur"

FERNANDO PESSOA : "Le livre de l'intranquillité". Editions Christian Bourgois 1999.

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Les objets m'échappent des mains. Toute parole me semble insolite. Le mot n'a rien à dire, rien d'essentiel. Il accumule l'inécoutable, l'inentendu ou l'inaudible. Doucement, je reprends la musique. Un fil mène aux lèvres serviles, au "Souvenir de chair", à "L'archéoptéryx". Tous, titrant le moment de quelques pièces acousmatiques de mon bon maître.

"L'archéoptéryx signifie "aile ancienne" en grec. De la taille d'un pigeon, cet oiseau était malhabile au vol. Ses doigts dotés de gros ongles lui permettaient de s'agripper aux arbres et aux rochers. Il est probable que l'animal passait beaucoup de temps dans les arbres s'aidant de ses griffes, de ses pattes puissantes pour grimper jusqu'au sommet. Il pouvait alors planer de branche en branche. Il semble aussi que l'archéoptéryx n'était pas capable de se percher de manière stable et qu'il avait besoin de courir pour atterrir. Il avait un bec et des dents pointues, utiles pour attraper ses proies. D'abord vu comme un oiseau, (théropode maniraptorien), qui se serait débrouillé pour "bricoler" tout un système lui permettant de voler, on dit (et nul n'en sera plus instruit), qu'on ne sait pas vraiment ce qu'il fût. On le considère plus souvent aujourd'hui comme un dinosaure et on dit que ses plumes, héritées d'autres dinosaures, mais d'un tout autre usage, ont été recyclées pour le vol à la suite de tentatives répétées ou d'un évènement inconnu (!)".

La bête fascine, je la vois s'agripper gauchement d'arbre en arbre. Je viens à la forêt comme d'autres loin de la plage, draguent les requins blancs. Un souvenir de chair près des arbres. Je touche l'écorce tiède d'un conifère comme si elle contenait déjà des milliers d'aiguilles fossilisées. Sur la plus grosse branche du cerisier en fleurs, l'archéoptéryx me surveille. A côté et partout, des milliers d'années remuent l'air, dans ce silence que j'imagine comme à la perfection, (à force de vivre en ville sourde et bavarde comme tant d'autres). Ce monde criblé de sons, je dois le reprendre à zéro. Il est dédale brûlant et "retour en arrière pour aller de l'avant", me dis-je. Sur la plus grosse branche du cerisier en fleurs, l'archéoptéryx lit dans mes pensées. Je suis un perroquet. Je repète bêtement ce que j'ai lu la veille. "Pour aller de l'avant ?". Je le vois ricaner... Quel avant ?

Photo : L'archéoptéryx du Nabirosina, tout simplement. Avril 2010. © Frb.

lundi, 01 février 2010

Jouer / Déjouer

"Je pense qu'on change à cause de ce que l'on fait. Si vous faites quelquechose par vous mêmes, vous verrez les choses à travers le fait de votre activité. Arrangez vous pour que ce que vous faites ouvre à ce qui est."

JOHN CAGE : extr. "Entretien à Yale journal" in "John Cage par J.Y Bosseur. Editions Minerve 1993.

(Si vous préférez le silence aux sons, vous pouvez cliquer sur l'image).

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On a beaucoup entendu dire à propos de JOHN CAGE que même si ses idées ne manquaient pas d'à propos, sa musique, elle ne présentait que peu d'interêt et de consistance (cette même critique  fût également émise quelques années plus tôt à propos de Erik SATIE). A travers un tel jugement on peut reconsidérer l'éternel malentendu provoqué par une sommaire opposition entre l'art et la vie, la théorie et la pratique, la créativité et la réceptivité. JOHN CAGE paraphrasant L. WITTGENSTEIN disait :

" La signification c'est l'usage".

On sait que CAGE n'a jamais bâti de théories abstraites préalablement à ses oeuvres : "Je n'imagine jamais rien avant de l'avoir expérimenté" (1969). Tout est là. Ainsi, lorsque JOHN CAGE rendît visite à un potier traditionnel et le questionna sur sa pratique, ce dernier lui déclara : "Ce n'est pas l'objet en lui même qui m'intéresse, mais le fait de le fabriquer". La méthode du potier fît toute l'affaire de CAGE. Tout au long de sa vie il se comportera en homme pragmatique qui se plaît à garder les pieds sur terre malgré la dimension topique de son oeuvre. La découverte du piano préparé, l'épreuve du silence, le recours aux méthodes de hasard et à l'indétermination, sont liés à une circonstance concrète et non issus d'un procédé analytique. Une immense place est également accordée à l'écoute et à l'observation. C'est peut être ce sentiment du vécu qui donne une forme d'évidence à sa musique, même si cette évidence, n'est là, en fait, que pour susciter des interrogations multipliables à l'infini.

"La perception ne constitue-t-elle pas une forme d'action ?"

Cette disponibilité vis à vis des sons et des circonstances les plus variées, on la retrouve dans la manière que CAGE a de vivre les situations et les rencontres, dans ce qu'elles ont de moins prévisibles, de déroutant, dans sa façon de déjouer les obstacles. Un exemple entres autres, (ils sont nombreux) :  en 1984, JOHN CAGE, imagine pour la Radio de Cologne, une rencontre de circonstance (une de plus) : HMCIEX où se mélangent les musiques populaires de 151 pays qui reconnaissent le comité olympique. Dans le titre on trouve à la fois, les lettres M, C, et E, du "Here comes everybody"= Ici vient tout le monde", cher à JOYCE, alternant avec les lettres: M, I, X, qui contribuent à identifier plusieurs productions électroacoustiques:

"Tout ce que nous faisons se fait sur invitation. Cette invitation émane de soi-même, soit de quelqu'un d'autre."

Selon JOHN CAGE, composer pour autrui, devrait consister à donner aux autres, ce qu'ils souhaitent et non pas ce qu'on souhaite leur donner en tant que compositeur :

"Chaque son est un son merveilleux [...] et prendre conscience de l'interêt de chaque son, refuser de sélectionner, de classer, c'est pour moi le signe d'un pas (peut-être minime et même insignifiant au regard des gens sérieux et autorisés), mais je suis joueur !"

Ainsi JOHN CAGE franchit une étape nouvelle dans le sens de l'ouverture, de la non-hiérarchie, et du non-empiétement :

"[...] Où plus rien ne sera dicté, où chacun sera libre de décider de sa conduite et de vivre les plaisirs qu'il souhaite".

Nota: Ce billet a été largement inspiré par la lecture de l'ouvrage "John CAGE par Jean-Yves Bosseur" cité plus haut (et très bon pour le poil de notre lecteur mélomane).

Photo : l'une des multiples possibilités d'agencement des graviers, peut-être un peu sonores, (par la grâce d'une semelle bien préparée), vus sur un quai d'une gare de campagne. Nabirosina. Janvier 2010. © Frb.

samedi, 14 novembre 2009

La musica ideal (Part II)

"En même temps que nous aspirons à explorer et à apprendre, nous exigeons que tout reste mystérieux, inexplorable, que la terre et la mer soient tout à fait sauvages, inconnues, insondées par nous, parce qu'insondables. Nous n'avons jamais assez de la nature."

H.D. THOREAU. Extr. "Walden ou la vie dans les bois" traduit de l'américain par G. Landré Augier. Editions Aubier 1981.

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Après avoir passé 18 mois à étudier les mystiques orientales (la philosophie indienne avec GITA SARABHAI en partant des références d'Ananda K. COOMARASWAMY, "la transformation de la nature en art" et s'être interessé à la philosophie chrétienne médiévale notamment aux traités du penseur allemand hérétique et mystique du XIV em s. Maître ECKHART) ; John CAGE lit avec intérêt les écrits de C.G. JUNG qui soulignent la tension entre les parts conscientes et inconscientes de la personnalité. John CAGE entrevoit par la musique le moyen de ressouder ce qui a été divisé, de dépasser un état de dualité qui peut nuire à un authentique équilibre mental.

"La fonction de la musique comme toute autre occupation salutaire n'est-elle pas d'aider à remettre ensemble ces parties séparées ? " (John CAGE -1948-)

En fréquentant la poésie de l'orient, CAGE s'interroge sur l'attitude du compositeur occidental vis à vis de l'acte de création. Il se déclare franchement embarrassé lorsqu'il constate qu'il a consacré la plus grande partie de sa vie musicale à la recherche de nouveaux matériaux. Cette quête du nouveau lui apparaît symptômatique de l'espèce de fuite en avant de notre culture qui consiste à se projeter sans cesse vers des horizons inconnus. De vouloir exploiter sans cesse de nouveaux territoires. Peut être est ce (pense CAGE), parce que notre culture ne possède pas la foi dans ce qu'il nomme "Le centre paisible de l'esprit". Cette question, le compositeur la méditera et l'abordera musicalement dans les "Sonatas et interludes" (méditations sur les émotions permanentes de l'Inde, qui tendent précisément vers la tranquillité).

Ces émotions sont rangées en premier groupe de 4 associé au blanc : l'héroïsme, l'érotisme, la joie et l'émerveillement. Le deuxième groupe de 4 lié au noir comprend : la crainte, la colère, le dégoût et la douleur. La neuvième émotion n'est associée à aucune couleur. il s'agit justement de la tranquillité, laquelle possède cette qualité de transparence, de non-obstruction qui émerge de la conception "Cagienne" du silence.

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Et l'on se prend à rêver de voir surgir entre les flots quelques pianos à touches grises...

Sources : John CAGE par J. Y. Bosseur (suivi d'entretiens avec D. Caux et J.Y. Bosseur). Editions Minerve 1993.

Photo : Variation pour un fleuve tranquille. Vue sur la troisième berge du troisième fleuve. Quelquepart entre Rhône et Saône, là où l'eau est aussi transparente que son promeneur... Lyon. Novembre 2009. © Frb

mercredi, 04 novembre 2009

Du style vocal de l'homme

"Danger dans la voix : avec une voix forte dans la gorge on est presque incapable de penser des choses subtiles."

F. W. NIETZSCHE in "Le Gai Savoir" (1887). Editions Flammarion 1997.

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Tous les sons d'animaux se retrouvent chez l'homme, et tous ont pénétré de manières différentes les communications humaines. L'Homme peut aussi grogner, hurler, geindre gémir, gronder, rugir, crier etc ... Il serait inconsidéré de dire que le langage est né exclusivement d'une mimique onomatopéïque d'un paysage sonore, mais que la langue ait évolué et évolue avec l'environnement, cela ne fait aucun doute. Les poètes et les musiciens en ont gardé le souvenir vivant "même si l'homme moderne d'aujourd'hui, ne fait que marmonner" dit R. MURRAY SHAFER. Le linguiste Otto JESPERSEN écrit à propos de "l'aplanissement du style vocal de l'homme", je cite :

"Maintenant du fait du progrès de la civilisation, la passion ou tout au moins l'expression de la passion est modérée et nous devons en conclure que le langage non-civilisé et primitif était plus passionnément agité que le notre et qu'il se rapprochait davantage de la musique et du chant "

Il est tout à fait possible que le langage se soit développé à partir de quelque chose qui n'avait d'autre but que celui d'exercer les muscles de la bouche et de la gorge, de s'amuser et d'amuser les autres en produisant des sons plaisants ou peut être en expérimentant de soi des sons étranges...

Quand à l'aplanissement du style vocal chez l'homme, je me demande s'il ne faudrait pas plutôt parler "d'appauvrissement". Ou comment un être humain vivant en milieu urbain (dans nos sociétés occidentales), constamment sollicité, (voire saturé) par toutes sortes de signaux sonores incessants, peut-il encore s'entendre ? Ecouter pleinement son interlocuteur et harmoniser son mouvement avec le chant du monde ?

Pour ne pas en rester sur une question trop floue, une perception trop approximative, je vous invite à découvrir quelque lecture suggérée par les recherches de Philippe LE GOFF, (compositeur, acousmaticien, enseignant  en langue inuit) qui étudie depuis longtemps, les pratiques vocales inuits et a apporté un éclairage passionnant sur la notion d'oralité. En Inuktitut (langue inuit), la "voix" se dit "nipi", un terme générique qui désigne "le son". Un écrivain contemporain prestigieux TAMUSI QUMAQ (mort en 1993, auteur d'un dictionnaire Inuktitut de 30 000 mots), souligne que la voix n'est pas un trait spécifique à l'humanité mais qu'elle est partagée avec les animaux. Il y a aussi chez ce peuple une rhétorique du corps qui donne au silence toute sa signification parcourant tous les rapports sociaux et que l'observateur étranger peine à comprendre. On attendra d'un innumarik (d'un adulte accompli) qu'il contrôle ses émotions et sa parole : parler fort et s'emporter est considéré comme un comportement puéril et dangereux pour un adulte. Mais cette retenue ne signifie pas que cette culture est austère. Le rire, l'éclat de voix, la dérision ont aussi toute leur place. Le corps chez les Inuits, est pleinement une dimension du langage habité par la voix et le silence. L'espace arctique étant dépourvu d'arbres (brésars), il n'offre pratiquement aucun abri naturel, il faut donc inventer, construire, fabriquer. Le corps devient alors à la fois un outil et un refuge.

A visiter le site de Philippe Le Goff : http://phgough.free.fr/

 

Inuit : "Assalalaa
podcast

 

Photo : Le chat qui s'en va tout seul, écoute aux portes des humains... Vu sur la Colline près de la rue de Crimée. Lyon Croix-Rousse. Novembre 2009. © Frb

samedi, 31 octobre 2009

Le chant des champs

A travers ce que tu entends, laisse-toi aller à la dérive sur un radeau instable, livré aux glissements d'espace et de temps, au pluriel des présences, à la multiplicité des points d'écoute.

RENE FARABET : "Bref éloge du coup de tonnerre et du bruit d'ailes" (Phonurgia)

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Les bergers comme l'imagine LUCRECE, ont pu apprendre à chanter et à siffler en écoutant le vent. A moins que ce fût par les oiseaux. VIRGILE dit que PAN a montré au berger, "comment ajuster des roseaux à la cire pour converser avec la nature". Les bergers se jouaient mutuellement de la flûte et chantaient pour que passent les heures de solitude. La forme en dialogue des "Idylles" de THEOCRITE et des "Bucoliques" de VIRGILE, le montre, la musique délicate de leurs chants constitue peut-être le premier, le plus durable des archétypes sonores crées par l'homme. Des siècles de pipeau ont engendré un son de référence qui aujourd'hui encore, alors que disparaissent tant d'images et de formes littéraires traditionnelles évoquent toujours la sérénité des pâturages. Les bois en solo sont les instruments de la pastorale, par excellence, à tel point qu'un compositeur aussi porté sur l'emphase que BERLIOZ réduit son orchestre à un corps anglais et à un hautbois pour emmener l'auditeur doucement en duo vers la campagne.

A écouter : H. BERLIOZ "Scène aux champs" : ICI

Dans le paysage calme de la campagne, les notes claires et caressantes du pipeau des bergers se paraient de pouvoirs miraculeux. La nature écoutait puis répondait en sympathie :

"Silène les chante, l'écho des vallées les renvoie jusqu'aux astres, jusqu'au moment de rassembler les moutons au bercail et de rendre l'appel au signal de Vesper apparu dans l'Olympe marri" (Extr. VIRGILE  (bucoliques VI), traduction E. de St Denis. editions : Les belles lettres 1970)

THEOCRITE fût le premier à faire converser la nature avec la flûte des bergers et depuis les poètes pastoraux l'imitent :

"Tu essaies un air silvestre sur un mince pipeau [...] Nonchalant, sous l'ombrage tu apprends aux bois à redire le nom de la belle Amaryllis". Extr. VIRGILE  (Bucoliques I)

Pour retrouver ce pouvoir miraculeux de la musique, il faudra attendre les Romantiques et le XIXèm siècle. La rencontre entre la ville et les prés est joliment rendue par ces quelques lignes de Thomas HARDY qui ne manqueront pas de faire rêver les habitants de nos grandes villes dans leur boites fermées à clefs, bardés de digicodes, portes blindées, alarmes...

"Le berger sur la colline située à l'est pouvait lancer par dessus les cheminées de la ville des nouvelles de l'agnelage au berger de la colline ouest et cela sans grande gêne pour sa voix, si proches étaient les pâturages pentus des jardins urbains. Et la nuit, au coeur même de la ville, il était possible d'entendre, dans leur enclos natal au bas des prairies, le doux meuglement des génisses de la ferme et leur souffle profond et chaud". Extr. Thomas HARDY in "Fellow Townsmen", Wessex tales. Londres 1920.

Source : R.MURAY SCHAFFER : "Le paysage sonore", extr. "Les sons de la pâture"; Editions Lattès 1979.

On imagine assez les habitants de la colline (les "cruci-roux" chers à chr Bohren et à Solko) lançant par dessus les toits de la Pouteau des nouvelles de la Biquette qui rumine au Caillou, ce chant léger et beau dévalerait la Colbert puis par St Sébastien rejoindrait la vallée, de l'Opéra à Chenavard et jusqu'à la Grenette, tout le monde attraperait la colline au ragot, puis traversant la Saône, le Rhone, et La Fayette, les nouvelles ayant enfin toutes fait le tour, elles remonteraient, par un vieux caquelon pétillant chez Tante Paulette sa belle odeur de  volaille cuite dans du Pouilly Fuissé (et non dans du fouillis puisé comme j'allais l'écrire bêtement), tout ça mettrait les hommes en joie, ils chanteraient alors avec des dames une paillarde de Vaise, comme de bien entendu, en patois de Couzon le tout flotterait jusqu'aux alpages de St Bruno, en passant sous le pli d'une soutane à carreaux. Doucement s'échapperait le secret des grattons, un cervelas truffé, quelques pieds de mouton et l'odeur d'un groin d'âne sur ses petits lardons enverrait des baisers de Soulary à la Tordette soufflé par les naseaux de la Biquette jusqu'au sommet des Echarmeaux.

Remerciements à Dorothy Fuldheim de nous avoir signalé des liens intéressants à propos de Thomas Hardy, permettant ainsi une appréciable mise à jour.

Photo : Véchas Crésas (rachiollases) posant aux pâturages à l'entrée de Montmelard, presque au pied du majestueux Mont St Cyr (771 m. d'altitude), l'un des plus haut sommet de la Bourgogne du Sud d'où l'on peut contempler par temps clair les cîmes neigeuses du Mont blanc et des Alpes, les Monts du Forez, de l'Autunois, du Beaujolais et du Mâconnais.

Nabirosina 2009 © Frb.

vendredi, 30 octobre 2009

Haute fidélité

"Il fût tiré de sa méditation par un grincement venant de la remise. C'était la girouette qui tournait sur le toit. Et ce changement de vent annonçait une pluie diluvienne".

THOMAS HARDY : "Far from the madding crowd". Editions : Oxford university press, 2002.

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La campagne est généralement plus hi-fi que la ville. (Il y a deux termes, hi-fi et lo-fi). Dans l'environnement hi-fi, le signal bruit est satisfaisant. Le paysage sonore hi-fi est celui dans lequel, chaque son est clairement perçu en raison du faible niveau sonore ambiant. Dans un paysage sonore hi-fi les sons se chevauchent moins fréquemment. On a chez Alain FOURNIER dans "le Grand Meaulnes" plusieurs exemples, d'images qui donnent précisément une idée de l'acoustique de la campagne française à son époque : "Le bruit d'un seau sur la margelle du puits et le claquement d'un fouet au loin". Le calme d'un paysage sonore hi-fi, permet donc d'entendre plus loin, de même qu'un paysage rural offre généralement des panaromas plus vastes. La ville a réduit les possibilités d'audition et de vision opérant ainsi l'une des modifications les plus importantes de l'histoire de la perception. Dans un paysage sonore lo-fi, les signaux acoustiques individuels, se perdent dans une surabondance de sons. Il n'est plus réellement possible d'entendre un son clair. La perspective, dans une cité moderne, s'évanouit à un carrefour. La distance est abolie, seule reste la présence car il y a des interférences sur tous les circuits. Les sons ordinaires devront être de plus en plus amplifiés. Dans un paysage sonore hi-fi, le moindre changement peut transmettre une information vitale ou intéressante, l'oreille humaine est en alerte comme celle des animaux. Dans la nuit silencieuse, la vieille dame paralysée d'un récit de TOURGUENIEV entend les taupes creuser sous la terre. "C'est bon signe, n'y pensons plus" se dit-elle, mais ces bruits lui rappellent aussi le poète, GOETHE, l'oreille collée au sol :

"[...] Que mon coeur sent de près l'existence de ce petit monde qui fourmille parmi les herbes, de cette multitude innombrable de vermisseaux et de moucherons, dans toutes formes, que je sens la présence du tout puissant qui nous a crées à son image [...]" (Extr. GOETHE, "Les souffrances du jeune Werther).

De près comme de loin, l'oreille répond avec une sensibilité de sismographe. Du temps où les hommes vivaient très souvent isolés ou se regroupaient par petites communautés, les sons ne se gênaient pas les uns les autres. Chacun restait au sein d'un halo de silence, et le berger, le bûcheron, le paysan, savaient lire dans le paysage, le moindre changement.

Vous aussi, (grâce à certains jours), vous pouvez comme en pleine campagne écouter la chouette hulotte chanter depuis un grand arbre (tout en surveillant le passage du moindre petit mulot. Pas vous, voyons ! la chouette ! quoique...). Pure Hi-fi par ICI.

Ou découvrir le chevreuil (capreolus capreolus), monologuer dans la forêt sous les grands feuillus : ICI encore.

Et enfin (un exemple parmi d'autres), découvrir qu'il n'y a pas une différence si énorme entre les très urbains Résidents et autres animaux des champs, des bois et de la ferme, dont notre sanglier : ICI enfin.

Sources tirées de : R. MURRAY SCHAFER: Le paysage sonore". Editions Lattès 1970. (A suivre...)

Autre lien puisé à la bonne source de R.MURRAY SCHAFER : http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/10/17/2f...

Photo: Au bout d'un chemin, une vieille maison, (côté grange ou remise). Vue au hameau dit "les clefs", longeant un étang du même nom (traversé entre les bruissements par de microscopiques insectes). Nabirosina. Octobre 2009. © Frb.

vendredi, 09 octobre 2009

Agrophylax

"Quel bruit fait l'arbre qui tombe dans un bois où il n'y a personne pour l'entendre ?"

IMGP0309.JPGAvant l'explication par la science de la naissance du monde, l'homme vivait sur une terre enchantée. Dans un "Traité sur les rivières et les montagnes" datant du IIIem siècle et attribué à PLUTARQUE, nous apprenons ceci d'une pierre de Lydie qui ressemble à l'argent et que l'on appelle "agrophylax" : "il est assez difficile de la reconnaître car elle est intimement mêlée à la poudre d'or que l'on trouve dans le sable des rivières, elle possède des propriétés très étranges. Les riches lydiens la placent à l'entrée de leur coffre, afin qu'elle protège leur réserve d'or, car chaque fois qu'un voleur s'approche, la pierre émet un son qui ressemble à celui d'une trompette et le larron se croyant découvert, s'enfuit, et précipité au fond d'un gouffre périt de mort violente"(1).

Björn ERIKSSON :"Ballad Ollo Dallab"
podcast

 

(1) Extrait : "Traité des rivières et des montagnes" cité par F. D. Adam in "The birth and development of the geological sciences" N.Y. 1938.

Source : R. Murray Schafer : "Le paysage sonore". Editions J.C Lattès 1979. A voir encore ICI.

Photo : L'absence de vie ne s'accompagnant pas forcément de l'absence de sons (nous y reviendrons), juste ici la "Pierre de Charpennes" en lamentations, quelques jours après l'enterrement du brésar. Et sous l'asphalte, suivant un long soupir, l'enfer se dép(r)ave dans le caviar. Vu et entendu à Villeurbanne en Octobre 2009. © Frb.

lundi, 17 août 2009

Comme un lundi (au soleil)

Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.

PAUL VERLAINE : "L'Art poétique" 1874 in "La bonne chanson, Jadis et naguère, Parallèlement". Edition Gallimard poésie, 1979

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Tournant en dérision les effusions, d'un LAMARTINE et d'un MUSSET, (entre autres), VERLAINE fourgua doucement à son siècle quelques vers impairs et autant de petits cailloux ouvrant une brèche irréversible, sur le monde des belles lettres, des grandes émotions et des rimes parfaites. C'est un chant que le son absorbe, un monde nouveau qui par le rythme vient, balaie l'univers d'un revers de la main, pour y étreindre chaque son. Ce qu'on n'apprend jamais à la petite école, (par la voix de crécelle de mademoiselle Pugeolles) : c'est que VERLAINE avait de grandes oreilles.

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.

Dani GUGLIELMI and DENA : "Out of nowhere"

podcast

Photo : D'autres Amours s'en sont allés, et des oreilles de lapins verts ont succombé au velours des sons Verlainiens. A moins que ce ne soient que les embrassements d'ailes tendres de quelques anges polissons surpris en flagrant délit d'art poétique ? Vu à Châtenay sous Dun sur le chemin du presbytère. Aôut 2009. © Frb