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samedi, 28 mai 2011

Trains de vies

Crains qu'un jour, un train ne t'émeuve plus.

GUILLAUME APOLLINAIRE

train ter W.jpgC'est un vaste atelier où le soleil entre à plein tube éclairant sous toutes les coutures des sièges bleus, des bagages en tissus, des valises, des valises... Des étuis de toutes sortes et des livres dont les pages nous détournent du but, suivent un autre mouvement. Quelques branches fouettent la vitre, de l'autre côté, passent des archives architecturales d'un autre temps ; perdues entre les fougères les usines"Radielec", renaissent et l'on vit un instant dans des villas en ruine sous des vieux parasols qui pourrissent doucement près des hangars. Sur des tablettes il y a partout des petits ordinateurs intéressants et des gens qui voyagent encore dans le voyage. C'est comme les poupées russes, une mise en abyme, un film dans le film. Tout peut se lire, s'écrire, c'est l'histoire qui déroule des choses plus ou moins vraies, nous inspire la certitude que rien n'est à sa place. On voyage pour n'être personne, se détacher ou pour la mutation des sentiments, jusqu'à rejoindre là bas, quelqu'un qui nous attend sur un quai, dans une gare paumée, un être aimé, c'est rassurant, à la fin, on ne sait pas si on saurait le reconnaître parmi les autres comme lui, qui viennent pour chercher, chercher qui ? Arriverait-on indifférent ? Plus indécis, à force de goûter ce temps à tuer comme plus vrai que le temps à remplir. Arriverait-on plus enclin à aimer ? Entre les deux, c'est l'impatience, un jeu versatile, de hors lieu en hors lieu, des points de suspension, entre un point A et B  on devient autre chose, nous ne sommes plus des gens. Une effusion géographique trouble nos attachements, il en vient d'autres plus amènes, nous sommes cette vitesse qui ronge lentement l'affectif, dénoue l'ordre chronologique, nous sommes l'effacement et le temps subjectif est notre possession, comme le vide, l'oubli des origines quand l'origine partout pourrait être la notre.

Je me suis reconnue, en ce point minuscule posé sur un vallon, je me suis reconnue sur ce banc, je suis née sur un quai du côté d'Ambronay j'ai fait mes classes à St Lazare, je me suis mariée à la Brasserie du Train Bleu, je suis morte gare de la Part-Dieu, je ressucite entre St Florentin et Moisenay à la bifurcation, sur la branche Ouest de la LGV interconnexion Est, j'y puise les couleurs assez tendres de la voie C, je réinvente le déroulement du ruban magnétique qui m'attache à l'environnement, je suis un mensonge éphémère, je me vois arrivant à Kharbine, Je ne vais pas plus loin...

Tsitsika et Kharbine
Je ne vais pas plus loin
C'est la dernière station
Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux bureaux de la Croix-Rouge.

Un voyage à la fois achevé, et qui tourne des pages, Blaise m'attend. Il porte mes valises, c'est charmant. à un moment, faut toujours changer d'air mais les voyages ça coûte bonbon, Barnabooth m'envoie de l'argent, une place enviée avec lui, on ne voyage qu'en première, oncle Archibald Olson Barnabooth, destinations : Florence, Saint-Marin, Venise, Trieste, Moscou, Serghievo, Saint-Petersbourg, Copenhague, et puis Londres, malgré la volonté de se fixer quelque part une bonne fois pour toutes, se fixer est insuffisant, peu importe la destination de retour, il faut repartir absolument. Se fixer serait pire qu'être enterré vivant, j'admets, qu'il me semble impensable de passer en plaisirs sédentaires, sa seule et unique existence.

Le mouvement emmènage dans la musique anecdotique, mémorise les sons, on pourrait entrevoir toutes les conversations entre ce qui est possible et ce qui ne l'est plus, c'est une autre façon de correspondre avec son temps dans l'immédiat, je pose dans l'immédiat, toutes mes capacités futures. Sur les sièges 49 et 51 des gens parlent d'eux mêmes, ils prennent position sur la terre, des dizaines de nombrils tout comme un oeil géant guettent les destinations. C'est un vaste salon où le soleil entre à plein tube éclairant des peaux blanches, des peaux brunes, des yeux verts, sombres ou bleus. Des vies entièrement subjectives qui mutent entre les mains du conducteur de la loco, dans une situation sonore exceptionnelle, où la ferraille fait disparaître doucement les ossements, ce que nous sommes dans la lumière est malléable, nous flottons un instant. L'humanité abstraite nous tient, nous sommes l'amorce d'une bande magnétique obsolète, nous sommes les premiers habitants de l'Etude aux chemins de fer, les premiers objets d'un salon de musique qui lisent l'avenir derrière une vitre et veulent que le hasard s'emmêle, crée des noeuds dans les lignes avec la détermination de ne pas nous laisser ignorer ce qui pèse, nous sommes des tas de bidules en ut à l'heure précise qui pose le monde en équilibre entre les ponts, nous sommes un moment de renversement de la vapeur dans la machine en suspension sur un viaduc ancien comme neuf.

Cendrars et Larbaud endormis sous l'écrin de carton posé sur mes genoux, au coeur d'une page introuvable, aucun mot n'est venu fixer ce haut lieu formidable qui s'appelle "partout". Il y a des répondeurs qui tournent à vide dans les appartements. Une voix déraille, se défile : "Je ne suis pas là pour le moment ..." Nous touchons l'accès sans le mot de passe, nous allons immobiles, nous captons les remous à la base et le fantôme de Gutenberg, dans les coquilles ramassées de"La vie du rail", nous sommes la suite fantasmatique pour une voix et mille aiguillages, nous sommes les destinations qui s'épousent par hasard, fuient les ères et les aubes, confèrent aux lignes droites la souplesse des courbes, qui s'entrecroisent mais ne touchent jamais tout à fait la destination rêvée, nous fuguons avant terme, pour une correspondance puis une autre, et encore une autre ... Nous roulons sur l'enfance de l'art, avec des portefeuilles boursouflés de billets à oblitérer. Nous sommes la mer et la montagne sifflées par le même chef de gare, nous sommes le contrepoint qui fuit d'une voie à une autre, nous sommes dans les strates, nous vivons dans la forme la plus évoluée de l'écriture qui renouvelle sans cesse l'adage: "partir, c'est mourir un peu"...

 La mort est toujours l’horizon du voyage, que l’accumulation des étapes semble éloigner. Il pourrait cependant y avoir un accident...

 

Nota : Cette dernière phrase a été empruntée à Valéry Larbaud et son grand voyageur de "Barnabooth".

Photo : Intérieur train. Le rideau vert du TNE (Transnabirossinien-Express) qui est aussi un JTB (joli train bleu) photographié au plus près quelquepart ou nulle part, entre Lyon et Orléans.

 

Entre-deux © Frb 2011

jeudi, 26 mai 2011

Petite musique d'attente...

Quelle vie de chien !

HENRY MILLER, (cité par Brassaï in "Henry Miller, rocher heureux"), éditions Gallimard, 2001.

Si la salle d'attente ne vous plait pas, en cliquant, vous serez orientés dans une autreSAL ATTENTE.JPG

Présentation

C'est juste une salle d'attente dans une petite ville de province. Les trois hommes qui s'y trouvent semblent se connaître un peu de vue, ce sont des vieux, à peine bourrus, la fidèle patientèle d'ici. Ils se regardent avec bonhomie, tournent sans les lire quelques pages de revues, un geste machinal, un choix restreint : "Le point", "Paris-Match", "Femme actuelle". J'atterris à cloche-pied, dans cette ambiance à la fois pudique et rassurante, j'entre sans bruit je suis accueillie par un "bonjour" très accueillant, trois bonnes têtes avec des sourires plutôt "gentils"... Déjà ça paraîtrait un peu anachronique en ville où les salles d'attente (celles que rarement j'ai fréquenté, me paraissaient glacées parfois presque menaçantes). Bien sûr, il y a ce silence lourd de sens, de non-sens, souvent gênant où le moindre bruit d'une page de revue qu'on tourne, le moindre craquement de soulier paraît s'amplifier à tel point qu'on n'oserait à peine bouger le petit doigt, mais ce sont les silences spécifiques ou "spéciaux" des salles d'attente en général, quand celles-ci ne sont pas envahies (une nouveauté qui se répand bien, hélas) par des fonds musicaux imposés, souvent odieux, la dernière salle d'attente que j'ai cotoyée, m'ayant offert contre mon gré, environ une heure des "plus grands hits d'Eddy Mitchell", (certes en sourdine, mais entre nous, c'est pas humain), tant qu'à faire je préfère un bon gros silence même s'il pèse un peu, beaucoup, voire lourdement. Ici, rien à faire, faut que ça cause, faut que ça vive. Faut toujours qu'on dise quelque chose. Un homme ouvre la conversation à propos de "l'accident du pont", une actualité qui détrône le scandale des notables trousseurs de dames, à Paris ou en Amérique, la seule actualité, dans ce petit pays, qui vaille la peine qu'on s'en soucie, c'est l'accident, dont la photo (une moto, une voiture ratatinées contre un poteau), un récit qui n'omet nul détail, ont fait la une, du petit journal local. Ici, chacun lit après le déjeûner, ou le dîner, "son" journal. C'est un rituel, c'est sacré. Après, on en parle, on en reparle, dans la rue et dans les commerces, au village, dans les chemins entre les champs de coquelicots... Ici, la parole s'ouvre, juste un peu et les langues se délient, mais pas trop. J'accroche sur mon col (je sais, c'est pas joli joli...) un petit micro cravate, j'enclenche le dictaphone. Le temps d'une brève causerie ; telle une trace légère, autant dire, presque rien...

Situation

- Je ne savais pas qu'il y avait une boulangerie aux Indres...

- Tout le temps !

- Ah ça oui ! y'en a passé trois quatre, mais y'en a toujours eu.

-  Ah ben oui !

-  C'est arrivé vers quel endroit ?

-  Vers le pont des Tarets, ça fait un genre de bosse, elle est partie sur la bosse.

- Le poteau il est là, tout seul au milieu du parking...

- Aller prendre le poteau en plein milieu, faut l'faire !

-  Ah ben mon vieux !

- Oh oui ! on est peu de chose...

- Et le père qu'a tué son gamin, 17 ans... Vous avez lu ? Ben bon sang !

- Elle était toute neuve la voiture, le motard l'a pas vue, le gamin il est mort pendant le transfert.

- Ces motos, ça fait peur...

- Mais non ! c'est la paraffine qu'y avait sur les pneus.

- Le gamin c'était le passager, il était devant, assis à côté, ça a toujours été la place du mort... Le père a freiné mais c'est l'auto qu'est partie dans l'autre sens.

- Ben vieux ! Pour la mère c'est terrible !

- Et pour le père ! Il a tué son gamin. Ils en avaient pas d'autre. Quand ils se trouvent tous les deux, ça doit pas être facile, le soir au souper, j'sais pas ce qu'il peut lui dire à elle, ben bon sang ! ça doit pas être facile d'en causer, faut que le couple soit solide après.

- Ouh ben ! C'est pas sûr qu'elle pardonne, si elle est rancunière, c'est fini, ça y fera tout craquer...

- Y'a pas que ça, y'a l'alcool, y'a la drogue...

- Non mais là, c'est un accident, y'a pas de drogue, pas d'alcool ! et pis de la drogue y'en a pas tant que ça.

- Non, pas tant ! pas dans nos petits pays. (silence long, lourd, gros soupirs, le vieux monsieur en face a l'air de réfléchir, profondément...)

- Alors c'est le destin. Ca peut pas être autre chose.

- Oui, c'est le destin, ça a été écrit comme ça. (silence long, très long)

- Hier on a enterré le docteur, vous avez lu ?

- Oui, y'avait du monde ! ça tenait pas tout dans l'église. Il était vieux.

- Dans le temps ils étaient deux, ça fait que l'autre est tout seul.

- C'est pas facile, hein ? On a beau dire ... La vie... !

- Oh non ! on a beau dire ! quand on peut rien y faire, on peut ben en causer jusqu'à demain...

-  C'est bien ce que je dis, c'est pas facile." 

 

 

Photo : Petite métonymie (de l'attente), ou portrait du patient invisible, ou encore un autoportrait ? D'autres verront un petit bout de salle d'attente, (et ils auront raison !) sans la musique, photographiée là bas, en douce... Je remercie, au passage, le Dr. VDB pour son accueil chaleureux et pour sa "bonne médecine". Un endroit on ne peut plus "sobre", mais finalement assez tranquille... Si l'on compare à certaines salles d'attente décorées hype et chic (avec fauteuils du genre "formes nouvelles") de certains cabinets où se pratique (de plus en plus, hélas) ce qu'on appelle de "l'abattage", (de patients comme du bétail, oui, c'est courant), je préfère un décor austère avec une médecine à visage humain, que le contraire, mais cela est très subjectif évidemment, et d'ailleurs il se peut que je m'égare dans un autre sujet vraiment problèmatique, peut être à suivre (?) Un certain jour (?) Qui sait (?) Mais comme je ne suis nullement pressée de fréquenter ce genre d'endroit, je ne promettrai pas ou le plus tard possible. Il vous faudra donc être patients, (si j'ose dire) ...

© Frb 2011.

dimanche, 22 mai 2011

Violon d'Ingres

Voici le printemps qui revient avec le charme des roses.
Regarde leurs joues fraîches, et la plante amère de la tristesse
sera déracinée de ton cœur.
 
HAFIZ, Poète perse.

Pour découvrir d'autres roses de la collection Tête d'Or, vous pouvez cliquer sur l'imageviolonF2744.JPG
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Photos : La grande roseraie du Parc de la Tête d'Or à Lyon, suite d'une balade parmi les roses avec prénoms, (appelation) celle-ci on la nomme "Violon d'Ingres®", elle est moins odorante, moins subtile que la "Golden Celebration®", elle est douceâtre, (moi je la trouve un peu écoeurante, comme une sorte de grosse sucrerie, on s'en lasse, (il en va des roses commes femmes), elle rappelle (un peu) les (affreuses) corbeilles de mariage, de baptême, les gateaux d'anniversaire, mais une rose très mièvre peut cacher une coquine, on l'aurait surprise en posture "embarrassante" dans une love party chez Harlequin, (une vraie rose à l'eau de rose). D'ordinaire ses couleurs sont d'un jaune clair nuancées de rose, la "Violon d'Ingres®" du parc est plutôt à dominante rose (pâlichon), timidement éclairée de jaune (à peine) saumoné. Photographiée sous une chape de plomb atmosphérique, au coucher du soleil, à l'heure où les roses déclinent hélas ! si vous vivez ou passez par Lyon, je ne saurais trop vous répéter (encore et encore) de visiter au plus vite cette roseraie somptueuse, l'un des lieux les plus envoûtant de Lyon, mais d'une grande fragilité, déjà le sol se couvre de pétales... Je n'aurais ni le temps ni l'ardeur de vous ramener une image de chaque exemplaire de ces fleurs, mais qui sait ? Peut-être un (certain) jour, je sortirai d'autres modèles du genre "Hotel california®", "Rose de Limoux®" (sublime), ou pourquoi pas la très voluptueuse :"Bernadette Chirac®", rampante grimpante et charnue, (c'est l'horticulteur qui me l'a dit), une délicate parmi toutes, comme je ne l'ai pas encore trouvée, (perdue que je suis au milieu des 30 000 rosiers), je vous en glisse, un tout petit échantillon ICI.

Photos : © Frb 2011

vendredi, 20 mai 2011

La vie sur terre (part I)

Je ne puis rien dire sur cette matière que tout le monde ne sache aussi bien que moi, pourvu qu'on y veuille penser. C'est pourquoi j'aurais grande envie de n'en rien dire. Mais parce que l'expérience m'apprend que les hommes s'oublient souvent si fort eux-mêmes, qu'ils ne font point de réflexion sur les raisons de ce qui se passe dans leur esprit, je crois que je dois dire ici certaines choses qui peuvent les aider à y réfléchir. J'espère même que ceux qui savent ces choses ne seront pas fâchés de les lire : car encore qu'on ne prenne point de plaisir à entendre parler simplement de ce que l'on sait, on prend toujours quelque plaisir d'entendre parler de ce que l'on sait et de ce que l'on sent tous ensemble.

NICOLAS MALEBRANCHE : trouvé en exergue du petit livre "La vie sur terre" de BAUDOUIN DE BODINAT, Réflexion sur le peu d'avenir que contient le temps où nous sommes", éditions de l'encyclopédie des nuisances, 1996.

Nouveau ! En cliquant sur les 3 images vous pouvez visiter nos appartements-témoins, profitez !vie sur terreF9006.JPG

Le champ est clos, la lumière se tamise. Le voisin du rez-de-chaussée est parti il y a quinze jours, je l'ai su car je ne voyais plus son chat gratter à ma porte. Lui, le voisin, je l'avais croisé, un peu, il avait l'air anxieux. En vérité, il allait mal. Il voulait m'inviter à boire un verre chez lui, j'ai dit "non, pas aujourd'hui, je n'ai pas le temps, mais quand tu veux, demain, plus tard", j'avais un rendez-vous qui me paraissait urgent. Il y eut des imprévus, je suis partie, je me suis intéressée à des gens si noyés de préoccupations, qu'ils n'avaient plus la place, ils racontaient toujours leurs préoccupations et il fallait toujours les écouter, les écouter, et tout ça se dévidait à perte, désarmant nos identités, sans résonance, sans même une bribe d'une empathie vaguement bétazoïde, ce vide se déployant à l'infini développait aussi le sentiment mortel d'une déperdition de chaleur humaine et cette idée de temps perdu entretenait une secrète colère qui bientôt ne serait plus contenue. Etait-ce donc "ça" que j'avais de si urgent à faire ? Le voisin, personne ne l'aura vu déménager, on ne sait pas s'il a trouvé mieux, s'il fût malade - a été expulsé - on sait qu'il n'avait plus d'argent, qu'il ne pouvait plus payer l'électricité et les lettres de rappels qu'il n'ouvrait plus, s'entassaient sous sa porte, plus de quoi poursuivre ses projets, il avait peur des huissiers, de la facture du dentiste et d'une espèce d'assistante sociale très insistante qui désirait absolument l'aider à se "reclasser", il était paniqué à l'idée d'être aidé par une assistante. Il me racontait ces choses graves avec légéreté, il n'aurait jamais supporté que je prenne ses problèmes au sérieux, au final il rebondissait, on en riait, on s'aimait bien, une complicité sans fadaises, pas la peine d'en faire tout un foin.

Je n'ai pas vraiment deviné qu'il avait atteint des limites. Le monde est ainsi fait, les gens meurent (c'est symbolique, c'est réel encore banal à dire) quasiment sur notre palier, nous ne l'apprenons qu'après. Ensuite nous affectons cet air (tellement trop) désolé, et déclarons (solennellement) "si j'avais su", si occupés que nous étions à ceci et cela, nous voici consternés (tant d'indifférence entre humains, n'est ce pas honteux, messieurs dames ?), pleins de bonne volonté, pressés d'aider, de consoler, nos discours sont si généreux, on donnerait volontiers sa chemise, on la donnerait sans hésiter, toujours après. Ruinés à l'insu de notre plein gré par la cruauté environnementale, comment aurions nous pu savoir ? Mais on n'en fera pas non plus tout un foin.

Il faut dire que mon voisin, ne boudait pas sa solitude pour lui, elle était sans fatalité, sa vie alternait entre des fêtes plutôt joyeuses et sa "bonne solitude", quand elle était trop rude, il n'en divulguait rien, sachant combien nous avions tous du mal à vivre, trop fiers pour exhiber nos plaintes, nous trouvions encore nos malheurs relatifs, par rapport à deux ou trois autres de notre connaissance, qui n'avaient pas d'endroit pour vivre. Ces derniers temps mon voisin ne faisait plus rien, d'ailleurs je ne le croisais plus, je le croyais en vacances. Hier des gens sont venus visiter, "ça fera un beau loft", ils ont dit, j'étais en train de relever ma boîte aux lettres, quelques factures, les prospectus de Quick Planet, Pizza vit', CroQ' MinuT', Go-Footing, les petits flyers du marabout Ali Sekou, le Top vacances et la publicité agressive de l'agence immobilière Simone Ballaud qui veut absolument acheter et vendre notre quartier. Simone Ballaud, experte des grands ensembles coordonnés : "Vos biens nous intéressent" qu'elle m'écrit. Chaque jour c'est la même chose elle veut mes biens, Simone Ballaud. Toujours elle me colle sa photo, un concentré de marketing, émergeant d'un corsage orné d'un collier de perles roses, prête à tout Simone Ballaud et même que ça se devine, à ce sourire qui sourit trop. Si je sympathisais avec elle, je suis sûre qu'elle me mangerait la laine sur le dos (ou le peu qu'il en reste). En gros elle a écrit : "Contactez moi", elle met sa signature sur la photo et tous les jours elle me l'envoie. Simone Ballaud, mauvaise copine de boîte.

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Eux, les nouveaux, je les entends parler, à l'employé, (Patrick Montier il s'appelle, le fils spirituel), il leur sourit, il a appris dans une école spéciale. Il a des dents blanches comme celles des animateurs des émissions du genre "Combien ça coûte ?". Il commence ses phrases comme les hommes politiques avant de parler il dit : "Ecoutez-moi !". Coaché par trente ans de télévision française, il se frotte les mains, devant ses clients et c'est machinalement, il leur répète deux ou trois fois "Ne tardez pas trop c'est un produit qui intéresse beaucoup de futurs propriétaires". Un produit ? Cet endroit jadis à la renverse, ce lieu qui résonne encore de toutes les musiques fusionnées quelque part entre Saïd Chraibi et Neil Young. Le futur loft est hors de prix et la rue très bruyante, ils n'ont pas vu sur la mezzanine repeinte vite fait, (blanc laqué impeccable), que les murs suintent d'humidité. Les visites ont lieu entre midi et deux, il est malin l'autre, avec ses dents blanches, entre midi et deux il n'y a pas de bruit dans le quartier. Le temps s'arrête. Les gens, ils mangent.

Eux, "les futurs", ils ont prévu de grands travaux, ils feront un salon à la place de l'atelier, ils ont pris des mesures contre un mur qui ne leur semble pas large, ils mesurent pour savoir si le canapé - leur canapé en cuir - pourrait aller à cet endroit. Ils ont visité la cabane, là où dormait un chat approximatif (celui que chaque été mon voisin prenait en vacances et qui s'appelait "Maurice") ils vont détruire la cabane "Maurice", ils ont dit. "On fera une terrasse", elle a rajouté "je pourrais mettre mes plantes" elle a souri à son mari à l'idée qu'il y avait même la place pour installer une table ronde avec un parasol, et pourquoi pas d'ajouter une pergola, un barbecue, même des fauteuils-relax ! un hamac entre les deux arbres, une cage avec des perroquets. Le mari a souri. Ensuite ils ont demandé à l'agent si l'immeuble était équipé de fibre optique. L'agent il a dit "oui, ça marche très bien internet ici, je m'en porte garant" il m'a regardée avec son sourire carnassier : "demandez à cette résidente. Ca marche bien ! hein ?" qu'il me disait, j'ai répondu (avec la voix d'Arletty) "j'sais pas, j'ai pas la fibre optique". La dame a dit "Et les boutiques ? Pour faire ses courses c'est pas trop compliqué ?" Elle me parlait à moi. J'ai dit (avec la voix de Jean Gabin): "oh vous savez les boutiques, c'est jamais compliqué", elle a rajouté "Non, non je voulais vous demander est ce qu' il y a des supermarchés dans le quartier ?" j'ai dit (avec la voix de Danielle Gilbert) : "oui, bien sûr ! vous avez un Super Casino à deux pas, un Franprix sur la place en face du Crédit agricole, un Champion au bout de la rue, le Carrefour à deux stations de métro, un Lidl en face du gymnasium, un Leader Price vers l'école de musique, un Super U de l'autre côté, le Monoprix à 50 mètres d'Intersport, un autre Franprix cours Vitton, un Schlecker  à Wilson et un Spar". L'agent me souriait pour peu il m'aurait presque donné une petite commission. J'eus honte de moi. Elle avait l'air déçue, sur sa faim, elle a dit : "Alors ... Y'a pas d'Intermarché ? Pas de Auchan ? Pas de Leclerc ?"... J'ai dit, (quasi sans voix) : "Non, pas à ma connaissance".

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Puis ce fût le silence. J'ai jeté la lettre et la photo de Simone Ballaud à la poubelle (la poubelle des papiers à recycler pour sauver la planète) sur laquelle l'agent avait posé sa pochette en cuir avec tous ses dossiers. "J'ai dit pardon, je vous prie de bien vouloir m'excuser, il faut que je jette une cochonnerie dans la poubelle", il a vu sa collègue disparaître sous son nez. Dans quelques années se serait lui, le successeur, "Votre bien nous interesse", "Patrick Montier pour vous servir". Le plus grand espoir de Simone Ballaud. Fer de lance, un homme très ambitieux, capable lui aussi de bouffer la laine sur tous les dos, y compris sur celui de Simone Ballaud (ce sera même la première sur qui... Enfin bref).

Le champ est clos, la lumière se tamise. Je vais aller lire à la terrasse d'une buvette en bord de Saône en attendant le 3 Mai (oui, je sais, c'est déjà demain), la réouverture du café le plus extra de Lyon, sous les arbres et pas loin des ponts, le Mondrian, endroit intemporel, crée par l'artiste cuisinier, notre ami Michel Piet (et ses acolytes), nous y mojiterons le mois de Juin, quand la clique de Paris, (et Bonnières) ramènera à vélo, le bon vent de l'Espagne. Et mon voisin peut-être qu'on le retrouvera cet été par hasard dans la ville de Madame de Sévigné près de Vitré où il voulait aller vivre, finir sa vie, (il disait), et pourquoi pas mourir ? Il voulait aussi vivre sur la banquise ou au 221 B de la Baker Street  à Londres, (une adresse qui n'existe pas), ça dépendait du temps, du vent. Hier, j'ai appris que mon voisin n'était pas mort, il a écrit de Londres. Il va soit disant bien et habite réellement au 221B de la Baker Street.

L'autre elle hésite. "Y'a pas d'Intermarché, ça c'est très embêtant". Son mari il lui dit "Ma chérie, y'a Carrefour c'est pareil". Elle soutient que "Non, c'est pas du tout pareil". Patrick Montier ronge son frein il sourit. Les affaires sont les affaires. Grosse commission. J'ouvre "La vie sur la terre" :

J'ai pensé en outre ceci, que l'indifférence minérale de ces formes abstraites qui nous entourent, leur sévère fonctionnalité, produisent un composé de sécheresse et de méchanceté qui nous signifie nettement quelque chose : la vie y est un désordre. L'impression que l'on ressent est la même que nous fait un appartement neuf et meublé par un futuriste : on se voit transformé en animal humain ; comme on est en réalité au regard de l'économie toute-puissante. Il y en a donc pour déclarer aimer cela, pour s'exalter d'être au nombre des animaux domestiques de ce maître-là. 

Sans doute n'avons-nous à connaître, le plus souvent, que les bâtisses mécanographiées dont la société de masse a recouvert le globe, les embouteillages, les plages salies par la mer, les nourritures décevantes une fois dépouillées de leur emballage, les soins approximatifs de la médecine bureaucratique. Mais peu importe.

Liens : Si vous avez loupé le début, ci-joint un résumé des épisodes précédents ("La vie sur terre" (Part II, et III) :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/06/22/co...

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/06/28/la...

Photo : Un quartier rénové, immeubles grands standing ils ont sûrement un nom genre résidence "Les Eurydice" ou "Asphodèles", bouchant la vue hier imprenable d'un appartement où il paraît qu'avant, on voyait de la fenêtre, des petits pavillons ouvriers, avec des choux dans les jardins mais je n'ai pas connu ce temps, j'ai toujours vu ce quartier piqué de grues. Jamais ne cessent ces constructions. Les bâtiments choisis ne manqueront pas de design, pour ceux qui aiment disons, la pureté des lignes... Photographiés à Villeurbanne au niveau du métro République.

Photos :© Frb 2011

mercredi, 18 mai 2011

Obscuritudes

Nous savons pourtant le prix de la douleur
les ailes de l’oubli et les forages infinis
à fleur de vie
les paroles qui n’arrivent à se saisir des faits
à peine pour s’en servir pour rire

TRISTAN TZARA, extr. "Sur le chemin des étoiles de mer" dédié à Frederico Garcia Lorca.

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"Vous êtes menacé de tomber victime d'une ruse infernale"

Achille traîne à son char le corps inanimé d'Hector. Pénélope est devenue à force, cet oiseau qui fait de la couture. L'agriculteur repose sous le talisman de la lune.

"Malédiction"

Une famille pleure. La carte est triste pour le fort comme pour le faible. Celui qui triomphait hier est aujourd'hui abattu. Celui qui est aujourd'hui à terre ne sait s'il se relèvera demain. L'artiste introduit de la matière brute dans l'oeuf philosophique. La transmutation n'a pas eu lieu. Une jeune fille refuse les avances d'un ouvrier métallurgiste. Elle se croit aimée d'un homme riche, elle compte sur ses promesses. Il l'oublie. Elle part en Amérique, elle le revoit, puis on la perd de vue. On se réjouit d'une maternité sous des roses bâtardes. L'artiste vendra ses propres faux pour payer la note d'électricité. Le Grand Oeuvre est remis à plus tard. Une épouse bafouée passe dans un trou de souris juste au milieu d'un disque noir.

"Possible tromperie."

Des énergies puissantes sont mobilisées en vue d'un travail constructif. Un cheval à bascule entre sous la porte de Scée, suivi de troupes. L'évènement s'annonce désastreux. Des hommes à cheval tentent de voler le Talisman de la lune. Heureuse fatalité.

"Vous souffrirez de l'effet d'une discorde qui n'est point de votre faute."

Un homme tue sa famille. On le croise dans le sud de la France avec une femme, mangeant des glaces à la vanille sur une plage. Le talisman de la lune peut vous sauver par le cercle de magie blanche dont l'effacement s'effectue grâce à un balai. Le Centaure ne veut pas mourir ; la flêche qui l'a blessé est à côté de lui, Pénélope reprisera son passé avec du fil de fer, il ne meurt pas, il est métamorphosé en lapin et peaufine des enluminures dans la nuit.

"Mollesses et ingratitudes dominent."

Avec de grandes connaissances, nous resterons sans avenir. Un homme à tête grise, un bracelet à la cheville se heurte à des entraves insurmontables. Un chasseur sans gibier. Un ami joue au frère. C'est un personnage de malheur, nul succès ne peut l'atteindre. Le jour vient. Le même journal est distribué à tout le monde. Cupidon décochera quelques flêches avec plus ou moins de force dès qu'il en recevra le signal. Une femme recouvre la ville du regard bleu de l'amour insensé, visage de la douleur, garder l'honneur est favorable. Le monstre typhonien armé d'un trident renverse une région dans un pays très loin. Une manivelle donne le branle. On parle du retour d'un nuage de cendres. Etc...

  

Photo : Un crépuscule sur "Le répit de l'Agriculteur", sculpture créee par l'artiste Jules Pandariès (1862-1933), photographiée un soir d'orage, entre le cours Emile Zola et l'Avenue Henri Barbusse, dans le quartier des Gratte Ciel à Villeurbanne.

 

Photo : © Frb 2011.

jeudi, 12 mai 2011

Pas si loin de Montmartre...

Ce que tu m’as dit de ta nuit, du ciel, de la lune, du paysage, du silence a dû ranimer en moi des réminiscences similaires... Et alors, j’ai pris feu dans ma solitude car écrire c’est se consumer... L’écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d’idées et qui fait flamber des associations d’images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l’alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c’est brûler vif, mais c’est aussi renaître de ses cendres.

BLAISE CENDRARS, extr. de "L'homme foudroyé", éditions Gallimard 1945.

Pour voir le poète de face, il suffit de lui tapoter un peu sur l'épaule ...

blaise.JPG

 

 

 

Chaque fois que la littérature me paraît un peu vide ou trop molle je retourne chez CENDRARS et ramasse les points de vie fondue dans la puissante liberté d'esprit du corps et du langage qui anime son écriture. L'écriture n'est pas vaine celle de Blaise encourage la vie. Son existence imprévisible était entièrement vouée au présent sans grand souci que les récits qu'il racontait à lui même ou à ses amis soient véridiques, il y avait en lui une autre quête de vérité bien plus intransigeante qui ne fût jamais servile et ne céda à aucune domestication artistique. CENDRARS représente encore aujourd'hui, la jeunesse absolue du monde, de l'Homme, la poésie mais pour atteindre la poésie, son message est limpide : il faudra abuser du monde. La "lettre océan" n'a pas été inventée pour faire de la poésie.

La lettre-océan n’est pas un nouveau genre poétique
C’est un message pratique à tarif régressif et bien meilleur marché qu’un radio
On s’en sert beaucoup à bord pour liquider des affaires que l’on n’a pas eu le temps de régler avant son
départ et pour donner des dernières instructions
C’est également un messager sentimental qui vient vous dire bonjour de ma part entre deux escales
aussi éloignées que Leixoës et Dakar alors que me sachant en mer pour six jours on ne s’attend
pas à recevoir de mes nouvelles
Je m’en servirai encore durant la traversée du sud-atlantique entre Dakar et Rio-de-Janeiro pour
porter des messages en arrière car on ne peut s’en servir que dans ce sens-là
La lettre-océan n’a pas été inventée pour faire de la poésie
Mais quand on voyage quand on commerce quand on est à bord quand on envoie de lettres-océan
On fait la poésie

CENDRARS dit une chose si évidente, qu'on pinaillerait encore par crainte que l'exaltation déboussole nos petits nids et secoue favorablement les esprits. Les métamorphoses désirables visant à nous extraire de nos plis ne sont pas sans danger, au final. Saurions nous les vivre entièrement ? Y faire entrer avec tout le vertige, un peu de paresse aussi, la plus grande liberté possible ? C'est pourtant la proposition de CENDRARS, qui un brin hâbleur, balayant les faiseurs de rimes, posera sa phrase sous nos yeux, c'est si bête...

Le seul fait d'exister est un véritable bonheur

Ma foi, oui. Mais ce bonheur ne vient pas par niaiserie, il n'exclût pas la violence. La poésie du Blaise est celle d'un conquérant, d'un gourmet, et gourmand ; de l'ogre tout en même temps. Maintenant que les continents ont tous été découverts puis explorés, il s'agira de tenter d'en pénétrer le plus grand nombre possible d'aspects. CENDRARS donjuanise l'espace, il traque, poursuit les lieux, hanté par toutes les capitales, par les ports, les routes, les sierras etc... Cela pour lui est comme de grandes conquêtes amoureuses qu'il envisage au rythme enjoué et nerveux de courses et de combats. Il n'accorde aucune concession à la grâce, peu d'attendrissement, ou léger, assez drôle. Pour être digne du monde qui n'a pas le temps de s'apesantir, CENDRARS est dur, il cale son pas sur la cadence des villes, des bruits, des trains etc... En 1924, il écrit, (il n'écrit pas, il le martelle) :

Nous ne voulons pas être tristes
C'est trop facile
C'est trop bête
C'est trop commode
Tout le monde est triste
Nous ne voulons pas être tristes

Bien sûr, CENDRARS n'a pas fait qu'endurer il a aussi laissé voir ses doutes, ses regrets, ses amours, que les conquêtes des espaces et toutes les aventures n'ont pas réussi à combler, alors il nous donne par un mouvement paradoxal les poèmes les plus drus les plus beaux et le plus poignant de son verbe, où la détresse humaine longtemps camouflée (parfois sous les bravades), paraît encore plus inéluctable jusqu'à l'aveu bouleversant comme dans ce final de "Pâques à New York", que j'ai plaisir à vous offrir, et j'offrirai dans ce même élan, (pourquoi pas ?), un supplément de Blaise à ce blog comme posant une cerise à l'eau de vie sur un petit Lu d'anniversaire (de trois ans d'âge et des poussières) tenu par le fil très fragile de nos correspondances et des lieux, tramant d'inutiles rêvasseries, des passages à la redonne, et puis toujours la ritournelle dans un coin minuscule de nos mondes réels et virtuels qui existent tous en même temps... Je dois à Blaise l'amour des mots, des rues, des villes et de la profusion. Je l'ai tellement cité certains jours, qu'il me tentait de rendre à CENDRARS ce qui n'appartient qu'à CENDRARS, et je le referai encore autant de fois qu'il me plaira. Il faut relire CENDRARS, mes amis, même foudroyé, Blaise is alive and well. Extrait choisi.

Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne …
Ma chambre est nue comme un tombeau …

Seigneur, je suis tout seul et j’ai la fièvre …
Mon lit est froid comme un cercueil …

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents …
Je suis trop seul. J’ai froid. Je vous appelle …

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux …
Non, cent mille femmes … Non, cent mille violoncelles …

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses …
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées …

Je ne pense plus à vous. Je ne pense plus à vous.

BLAISE CENDRARS, New York, avril 1912

Photo : En exclusivité, Blaise CENDRARS photographié par Frasby, eh oui !  et ce sera une autre preuve que CENDRARS est toujours en vie. Genèse d'une rencontre incroyable : Le hasard d'une balade à bicyclette aura fait apparaître sous mes yeux (éblouis !), môssieur Blaise CENDRARS en personne, photographié hier, le long des quais du Rhône à Lyon. Il regardait tristement les péniches amarrées, il m'a demandé : "Dis, Frasby, sommes nous loin de Montmartre ?". Je lui ai répondu "Oui, msieur Blaise ! bien trop loin, mais par la loi de la relativité, Montmartre est à côté et les roues de mon vélo sont des moulins à vent. Montez donc sur mon porte bagage, allez hop ! je vous emmène !". Ce qui fût dit fût fait et c'est avec plaisir que je fis ardemment grincer mon pédalier pour le poète. Le temps d'un aller retour, bringueballant, j'ai déposé Blaise à la terrasse du café Planchon; (très bon endroit, connu des "vrais" Montmartrois, et vivement recommandé par la maison, portant un autre doux nom à l'enseigne du "Rêve"; situé au 89 de la rue Caulaincourt (dans le XVIIIe à Paris), ultime endroit de la capitale où l'on trouve encore un bon gros téléphone à jetons (qui fonctionne !). Et me voici à nouveau sur la même berge, à Lyon, balayant du regard les péniches amarrées, à me demander si je n'ai pas rêvé. Pourtant non, la gouaille du Blaise (c'est pas pour me vanter mais nous avons bien rigolé), me manque déjà, autant que sa présence (un peu brute décoffrée mais au fond, tellement tendre)... Je me consolerai, en songeant à tous ceux qui n'ont pas eu la chance de rencontrer CENDRARS. Certains jours je me demande ce que j'ai fait au bon Dieu pour qu'il exauce avec autant de simplicité mes plus chers voeux. (Cela dit il y a baleine sous gravillon, elle se cache dans l'image, celui qui saura la trouver se verra remettre "la médaille de la sagacité" de certains jours avec un petit compliment de la crémière).

Photo : Frb © 2011.

mardi, 10 mai 2011

Cependant

Me retournant sur la plage
Même les traces de mes pas
ont disparu

ISSA,  "Et pourtant, et pourtant", (1), éditions Moundarren 1991.

night parc.JPGRien de quoi s'accrocher. Trop de volonté, si peu naturelle, en somme. Il faudra bien laisser couler ce qu'il reste de temps hors du monde. Entre le printemps et l'été, il y aura une cinquième saison, comme le nouvel an au Japon. Une saison des pluies, la mousson, des mélodies pour cordes en terrain gadouilleux, ce sera aussi un no man's land. On entrera en barbarie avec soi, juste avant le règne des fleurs. On cherchera son pays hors des corps familiers, un passage au milieu des autres entre les saules et les broutilles. On s'arrêtera là. On ira trouver les saisons, la sixième, la septième, celle du quatrième monde, retraverser ces temps où les hommes et les animaux parlaient le même langage jusqu'à en éblouir la nuit.

Des étoiles s'allument nous allument nous éteignent. Voici l'écho au chapitre de l'illusion ; un coucher sans soleil sur le lac, poumon liquide gris bleu; où hier, d'anciens marécages servaient d'exutoire au fleuve Rhône. Sous le lac, peut être enfouie, une tête de Christ en or. Plus loin, l'île des cygnes, un monument aux morts de la guerre de 14-18. Et là bas, le long des berges, on voit des bancs, des barques, des amants enlacés sous les arbres. L'importance des petits insectes aux ailes translucides nous feraient oublier les grands hommes qui oeuvrent en secret au contenu des bibliothèques de demain. On deviendra épisodique, épiphénomènal, épis, épi, fil blanc d'un verset de sutra (du lotus du diamant, ou de l'arbre), pour l'oubli, le renouvellement. On rejoindra son ermitage entre les sauges, sur un caillou. On sera dans la soustraction, délesté pour un bref instant de tout ce qui nous appartient, nous retient, nous posséde. Une illusion à tête humaine, la bouche en peau de banane, fera le zouave en équilibre entre l'eau et la barque.

Ce qui peine peut mourir encore. Rien de quoi s'accrocher de manière permanente, brièveté maximale, un au-delà flottant, à peine indifférent mené par sa balade, dans cette espèce de deshérence on regardera les oies sauvages et les canetons, s'écraser sur les flots. On goûtera, comme nous l'ont appris les peintres ou le marchand de cartes postales, on goûtera ce coucher de soleil sans soleil, après quoi de ce jour il ne restera rien.

"Une bulle dans un nuage de thé", un rêve de sons retournant le sol en tous sens, l'absence de temps qui passe de temps qui vient, l'absence des temps du souvenir, un cendrier rond peu profond frôlé par les volutes et les petits papiers qu'on déchire, numéros de téléphone, des notes d'une musique expirée, fêtes galantes, onctuosités, harmonie du soir au lac miniature, une plage immense près d'un gigantesque cendrier rempli à ras bord d'une eau pure... Par temps clair on y voit flotter deux belles grues griffées de lettres et de ratures, elles ont l'air bête, elles nous ressemblent. Déjà pliées, t'en souviens-tu ? Joies de l'origami.

 

Nota (1) : Kobayashi ISSA (1763-1828), nom de plume ISSA (signifiant "Tasse-de-thé") est un poète japonais de la fin de la période Edo, auteur d'environ 20 000 Haïkus, il en a aussi modernisé la forme et le propos, avec subtilité, il est (à mon sens) l'un des plus grands avec BASHÔ, BUSON l'un des plus fins. Vous pouvez visiter les liens ci-dessous, ses poèmes sont absolument à découvrir. 

 

http://www.arfuyen.fr/html/ficheauteur.asp?id_aut=1058

http://nekojita.free.fr/NIHON/ISSA.html

http://haikuguy.com/issa/

 

Photo : Le lac du Parc de la Tête d'Or à Lyon, aux alentours de vingt et une heure, (et son ours vert endormi), photographié, au mois de Mai, juste après la pluie.

 

Frb © 2011

dimanche, 08 mai 2011

Golden Celebration

Un peu de parfum demeure toujours sur la main qui te donne des roses.

(Vieil adage chinois).

ROS BOUTON.JPG

ros golden celebration.JPGROSE 2.JPGROSE night.JPGLa plus belle saison pour visiter la roseraie internationale du Parc de la Tête d'Or à Lyon, est sans doute le mois de Mai, (remember...), surtout quand le printemps avance un peu, comme c'est le cas cette année. La roseraie s'étend sur 40 000 m² et compte 30 000 rosiers répartis en 350 variétés. A dire comme ça, c'est peu, il faut voir, visiter, humer... Pour ceux qui ne le savent pas, cette roseraie a reçu en 2006, le prestigieux, "Award of Garden Excellence", décerné par la "World Federation of Rose Societies". (J'ose espérer que ces liens prolongeront encore un rêve de roseraies, autrepart). A noter qu'il existe deux autres roseraies au Parc : la roseraie du Jardin botanique qui retrace l'histoire de la rose, et une roseraie de concours qui sert de support au Concours International de Roses nouvelles. Toutes les roses cette année sont extraordinaires. J'aurai juste un petit regret, ne pas pouvoir vous livrer la "Golden Celebration", en odorama...Rose golden célébration.JPG

ROSE ONE.JPGrose massif.JPG

Nota 2 (fleur bleue) : Si vous désirez offrir des roses à quelque chère (ou cher) n'offrez pas des roses jaunes cela pourrait être interprété comme un signe d'infidélité (ailleurs elle signifie la joie et l'amitié) etc ... Pour vos penchants à l'eau de rose, vous trouverez (plus ou moins), le nécessaire ci-dessous:

 http://mapage.noos.fr/crosin000v/Ronsard/roses_fr_Ronsard...

Photos : Golden Celebration ® c'est donc le nom de la rose, de toutes ces roses ici, c'est le nom d'un rosier anglais, d'une rose hybride créee par David Austin  en 1992 :

http://www.davidaustinroses.com/french/Advanced.asp?PageI...

Les parents de l'hybride sont Charles Austin ® et Abraham Darby ®, de lignée 'Aloha', normalement le jaune est plus vif, plus doré, voire parfois cuivré. Le parfum de cette rose particulièrement délicate, (impossible à traduire avec des mots), est d'une douceur fruitée, il rappellerait un peu un mélange de thé réhaussé de notes de fraise (d'où mon choix car j'avais de quoi hésiter), j'ai choisi paradoxalement "mes" roses d'après senteurs et aussi pour l'extérieur diaphane des pétales, (pure merveille !), dont on savourera pleinement le rendu au soleil (il n'y était pas ce jour là, hélas !). Les roses ont été saisies fraîchement après l'ondée, à l'heure du coucher du soleil, au Parc de la Tête d'Or à Lyon.

© Frb 2011

mercredi, 04 mai 2011

Jardins secrets (une histoire presque fleur bleue)

Toutes les couleurs s'accordent dans l'obscurité.

FRANCIS BACON

Si les roses vous fatiguent, cliquez sur les 2 images on vous donnera des tulipes à la placerose yellow.JPG

Elle a les couleurs de la fleur au printemps. Les yeux bleus comme le ciel, noir dedans. Elle court à lui dans sa tête, se prépare devant un miroir entouré de roses pompon, dans une chambre remplie de poupées de chiffons et d'oursons en pâte d'amande.

L'homme, il s'est réveillé ventre à terre, sur la pelouse, sous le peuplier du jardin. Il a eu, (est ce un mauvais rêve ?), une vision de sa femme couchée dans le jardin la gorge ensanglantée. Il se demande quel est ce fou qui l'a jetée ici. Ce n'est bien sûr, qu'un mauvais rêve. Ici, la réalité est tout autre.

Des gens se pressent au portail, à présent. On voit naître une fine coulée rouge dans l'allée entre les bulbes parfumés de jacinthes et sous les premiers bourgeons d'un drôle d'arbre, on dirait des châtons qui pleurent. Une pluie de pollens, en fin d'après midi adoucit ce monde ordonné par des allées fraîchement ratissées. Il lui reste ce souvenir, celui d'une longue attente, celle du départ du jardinier qui ne cessait de ratisser les allées et ses nerfs n'en pouvaient plus de voir ce rateau dessiner des traits si parfaits sur la terre. Etait-il dans son rêve, ce son crissant, ces parallèles qui brisaient sa ligne de vie ? Roses comme les fleurs du printemps, au creux de sa main chevauchant la ligne de coeur d'une main étrangère de l'autre côté des collines, à l'est.

Etait-ce un souvenir ? Ou dans un cri, ce rêve qui l'aura renversé ventre à terre ? Quand il avait chassé le jardinier en le poussant violemment dans les roses à coups de pieds et qu'il s'était battu avec lui pour que le bruit des traits s'arrête. Ou bien, est-ce encore le visage bouleversé du jardinier qui l'avait sorti de son cri ? Il revoyait sa femme qui avançait sur lui, contournant soigneusement l'arbre à soie, elle marchait sur la santoline verte. Sa femme avec sa robe couleur lavande, ses cheveux fins comme des antennes, on aurait dit un papillon. Elle avait demandé d'où venaient les bruits. Il avait esquivé. Il avait peur des papillons, peur des questions, peur de la floraison de l'arbre à soie formant des plumets rouges feu dans son rêve. Il avait juré qu'il n'était pas là. Le jardinier a donné une autre version.

A présent, l'éclat des fleurs n'en finit pas de l'aveugler et le soleil précise les contours d'une colline, il est à l'ouest. Il voit la fenêtre de la maison où la jeune fille l'invitait de récréation en récréation, à soulever des mantilles, et la texture infime rebrassée des dentelles, morcellait ses jours, abrégeait ses nuits. Des milliers de semis fantômatiques maculaient de géantes hybrides les allées et les lignes du jardin étaient sans cesse à reconstruire, des chenilles multicolores couraient sur les euphorbes, le jardinier qui était phyllomancien parlait d'un malheur à venir. La nuit l'homme allait au jardin en cachette. La jeune fille, plus loin, plus libre, envoyait des signaux de fumée, et des mots qui se lisaient avec une torche. Ils sont allés à l'aventure. Il pensait que cela serait le caprice d'une nuit, une fantaisie de quelques jours, juste pour l'agrément.

Il se souvient. C'est vrai, il y en avait eu des dizaines, de rendez vous pour elle, hier, et chaque soir juste avant le coucher du soleil. Aujourd'hui un corps s'était affaissé repliant les pétales, une tête avait heurté la pierre, écrasé des milliers de roses, Une percée de couleur primaire sur fond mauve. Le jardinier préféra ne pas évoquer certaines choses.

Plus tard, L'homme ira se laver et ces choses partiront d'elles mêmes, au savon, dans l'eau chaude. Il mettra un costume de coton blanc léger, il ajoutera deux belles roses pompon à sa boutonnière. Une pour lui, une pour elle. Une heure, une petite heure seulement, arrachée à la ritournelle, pendant que sa femme se promène avec une vieille cousine tuberculeuse, vivace pareille aux cyclamens qui répandaient une odeur écoeurante sous la tête de sa femme entre les tombes jardinées, il ne sait plus à quelle heure ni dans quel cimetière. Il est sûr que c'était avant.

Le jardinier est là qui l'observe avec ses yeux d'indien piquants, toujours un peu mouillés, cette bouche qui murmure et ses gestes discrets, rituels, telle une atmosphère de douceur linéaire aux jardins de Shalimar et c'est tout le Pakistan qui semble maintenant s'accrocher au portail. L'homme demande à son jardinier : "dis moi, que veulent-ils, tous ces gens ?". Si nombreux, ils se pressent, des hommes et des femmes en colère et des plus grands, des soldats de plomb dans des combinaisons empêchent la foule de pénétrer au delà d'une certaine limite. Une coulée rouge, un flux dément de grenadine sur lequel sont penchés des tas d'inconnus qu'on tient à distance. Des gyrophares luttent contre la lumière...

Le jardinier ne répond plus. L'homme au milieu des fleurs se pose encore en maître du domaine, entre un ruisseau qui flambe et des collines allumées par une torche dont chaque soir au coucher du soleil une lueur semble absorber le halo sphérique de toutes les voies lactées de tous les univers qui peuvent s'imaginer quand on sort des jardins privatifs du périmètre solaire. Chassera-t-il encore l'étranger qui voit tout, sait tout et ne dit rien ? Son silence est pareil aux traits de son visage ratissé dans l'immobilité, droiture et loyauté des allées bordées d'ifs, de gestes répétés chaque jour à l'identique, rappelant le sommeil, pourvu qu'il vienne, revienne.

Tous ces traits, sur la terre, disparus, qui les a emportés ? Tout est rouge, ça revient. Les camions rouges, les ambulances et ces fourmis qui glissent lentement sur ses mains, éveillant par accoups un système nerveux central empalé sur des gouffres de friandises. Des colliers, des barrettes dorées, et des oursons éparpillés autour un lit, des mantilles qui flottaient dans un ciel étoilé. Et puis, hier, sans prévenir, la nuit entra dans la lumière.

rose yelloF0808.JPGLe ciel est rouge de la colère des foules. Rouge de l'impatience de la vérité qu'il faudra un jour dire. Rouge d'une colline embrasée à l'est, par une fenêtre à la lueur d'une torche, à la tombée du jour, pour la joie de céder aux excès sous tous les empires. Rouge du regret des fleurs exhalant l'odeur affolante de la mort, durant un court moment d'absence où toutes les valeurs se renversent. Il voit un corps dont le visage a été recouvert d'un linge et ce n'est pas l'épouse qui dort à ses côtés. Une coulée d'encre, ce petit lait à peine, déroulant l'épilogue, se cheville aux feuilles en rosette du chlorophytum dans ce hors lieu de l'homme et de la femme où quelquepart un rêve éveillé les promène entre présence, absence, rêve et réalité. Ils en viennent à se pencher dangereusement au bord d'une fenêtre. La maison est cernée d'ambulances, d'enseignes bleues, reflets violets de la douleur des antichambres. La maison est cernée de lueurs, de fleurs et de jouets. Comment traduire ce qu'en disent les sirènes lancinantes ?

Il faudrait prendre une douche de toute urgence. Des ombres traversent l'homme, et partout ces grignotements dans sa tête, qu'il ne peut plus comprendre. Des doigts le montrent. Une main le prend. Des bouches grandes ouvertes le huent et le dénoncent. Des bras le traînent. Il pose sa tête dans ses mains et sa tête devient rouge. Les ongles de l'homme avaient griffé longtemps. Le jardinier a dû le confirmer devant tout le monde. Il fallait bien qu'il prouve son innocence. Partout ça ronge dans la terre, au dedans, dans les esprits ça remonte, à la surface on voit clairement les mains de l'homme et son visage qui semble ignorer tout, il ouvre des yeux d'enfant, traqué par des sifflets et couvert d'une étrange honte, celle qu'on lui fait, qu'il ne peut pas comprendre. Il voit la foule allumer l'incendie dans ses fleurs. Ce n'est plus le rêve. Quelque chose dans sa tête devient très encombrant. Et cette gamine, à l'est, qui l'espionne par un trou de serrure, le balade depuis des mois, ne cesse de lui ravir son existence, cela s'appelle du harcèlement. Il faudrait que quelqu'un la gronde.

Tout à l'heure, il se rendra, au coucher du soleil dans cette maison qu'il connaît aussi bien que la sienne. Il changera son plan et retrouvera sa vie d'avant, le foyer, les mains lestes de sa femme coupant les fleurs pour les coller à l'infini sur la tapisserie de leur chambre, cet ancien nid d'amour où se trouvent encore au chevet de deux meubles à tiroirs les mêmes livres tristes, deux réveils et des boîtes de Tercian. Il sera calme, même apaisant. Il ne portera pas de costume, pas de roses pompons à la boutonnière. Il aura un grand manteau noir il dira simplement: "C'est fini. On arrête". Il ne faudrait pas tout bousiller pour presque rien : sa maison son mariage et sa femme. Où est-elle ? Trois hommes en habits blancs descendent d'une fourgonnette.

Sur la colline à l'est, rien ne bouge. C'est l'heure clémente. Bientôt il y aura le coucher de soleil. Une jeune fille caresse ses cheveux, les roule en chignon fait de tresses et de boucles qu'elle libère, elle attache une barrette dorée, ajoute un collier de perles autour de son cou blanc, si transparent qu'on voit presque le coeur battre à travers les veines. La peau ne dit rien des milliers de fleurs bleues qui ont poussé sur elle, se sont mises écrire le premier des romans à l'eau de roses pompon pour petites filles méchantes, (femme de personne ou de nulle autre) ; elle ne sait rien des trames, des traits et des stries de leur monde, un phare de fleurs, des clôtures électriques dans le velours où des rondes un beau jour ont arrêté leurs sentiments, ceux ci ayant depuis si longtemps cessé d'être, ils peuvent renaître, intermittents, dans les entailles faites au contrat oui mais voilà. Elle attend. C'est l'unique attrait de ses jours, elle attend l'être aimé. Elle veut tout. Sa ferveur est profonde quand l'homme en costume blanc traverse les champs jusqu'aux collines pour apporter les roses et toutes les bonnes nouvelles.

Hier c'était une promesse, un pur instant d'égarement quand ne pouvant saisir ce corps il n'offrait que son ombre et dans une fraction de seconde seulement, il avait juré sur sa tête, peut être dans la lune ? Ou sur la terre, demain, qu'il serait un homme libre. Il ferait ça pour elle, l'impensable jusqu'à l'impossible. Ensuite, il serait avec elle toujours. Sa femme, un papillon, liquidée, au bout d'une épingle, ça ne l'effrayait même plus d'y songer, un long cou avec des antennes et puis ses ongles qui s'enfonçaient lentement dans la chair (à mains nues ou avec des gants de jardin, si possible). Ce serait un acte d'amour pur.

Il est presque neuf heures du soir, la jeune fille affine ses mantilles, glisse dans sa bouche amusante un petit ourson en pâte d'amande étirable à loisir. Elle regarde du côté de la maison de l'homme et tout en mâchonnant ce sucre qui l'aura fait grandir, elle voit un feu d'artifice tantôt rouge tantôt bleu et des lumières là bas, qui scintillent, des signaux lumineux, jamais elle n'en n'a vu autant. Dans ce grand halo blanc elle voit autant de preuves d'amour, comme dans ses rêves de petite fille, ouvrant le bal somptueux des princesses virevoltant dans des robes cousues d'or, une couronne de roses pompons sur sa tête assourdie des violons d'une valse un peu folle qui couvre le bruit lancinant des sirènes, les petites voitures, les fourgonnettes miniatures d'où sortent des petits bonhommes en panoplies de pompiers, de docteurs qui font avancer sur son coeur, les joies du carnaval et la bonté des fleurs dans un pays sorti d'une boîte de friandises en pâte d'amande pas plus grande qu'une boîte à chaussures.

Photos : Ces roses ne sont pas des roses pompons ni des roses bonbons mais des roses fraichement nées dans la grande roseraie du Parc de la Tête d'Or à Lyon (+ de 30 000 roses seulement) qui ne sortent pas d'une boîte de friandises... Quoique pour certaines, on dirait. Grande et petite roseraies à visiter, très vite, si vous passez ou vivez dans cette ville c'est une des plus belles choses à contempler en ce moment. Pur vertige de parfums et couleurs, qui ne se raconte pas, il faut voir, toucher, de près et même que ça se respire ...

© Frb 2011.

dimanche, 01 mai 2011

Envoi (de fleurs, evidemment)

Je vends tout. Accepte mon offre,
Lecteur. Peut-être quelque émoi,

Pleurs ou rire, à ces vieilles choses
Te prendra. Tu paieras, et moi
J’achèterai de fraîches roses.

CHARLES CROS, extr. préface à "Le coffret de Santal, (1879), éditions Poésie Gallimard 2007.

 Pour le dire vraiment avec des fleurs, mets ta souris dans les pétales.envoi (de fleurs evidemment),fleurs,printemps,sentiments,massifs,jardin,jacques rebotier,a tribute to,dites le avec des fleurs,charles cros,poésie,lyon presqu'île

Lien pas forcément utile mais assez agréable :

JACQUES REBOTIER

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http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/03/26/mi...

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/09/09/le...

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2011/04/20/le...

Photos : Un "bouquet" champêtre des villes, variations de couleurs sur pétunias vues aux premiers jours du printemps, en traversant le très beau (et cultissime) marché du quai St Antoine situé le long des quais de Saône à Lyon côté Presqu'île.

© Frb 2011.