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mardi, 30 octobre 2012

Le premier mouvement de l'automne

je vais entre des galeries de sons,
je flue entre les présences résonnantes,
je vais au travers les transparences comme un aveugle,
un reflet m'efface, je nais dans un autre,
ô forêt de piliers enchantés,
sous les arcs de la lumière je pénètre
les couloirs d'un automne diaphane,

OCTAVIO PAZ : extr. "Pierre de soleil" 1957, traduit par Juliette Schweisgut,

lierre.jpglier gm.jpgpourpre.jpgblues.jpgred.jpgorange.jpgtrio b.jpgpapillon.jpg

 

Nota : Pour visiter un autre premier mouvement de l'automne vous pouvez passer par  ICI

photos : Feuilles de route, un jour d'Octobre dans la forêt.

 

Nabirosina © Frb 2012

mardi, 16 octobre 2012

Des jours et des jours à la vogue

Dernière grande fête foraine de l'année à Lyon, la vogue des marrons tire son nom des premiers marrons de l'année et du premier vin blanc qu'on y dégustait, à l'imparfait, rien n'est parfait, bien sûr. La vogue des marrons actuelle a démarré le 6 Octobre elle finira le 11 Novembre 2012.

vogue ballons.jpgQu'on l'apprécie ou non, parler de l'esprit bon enfant de la vogue paraît aujourd'hui déplacé (on ne sait où), même si l'enchantement des jolis manèges hante encore notre époque, c'est une image entre autres, de fête et de flonflons, rien qu'une image légendaire puisque pour la plupart d'entre nous, ces fêtes foraines familiales, bricolées sans manières, nous ne les avons pas connues. Nous savons simplement, malgré la joie délitée, et révolue, peut-être, que si la vogue des marrons, à Lyon, n'existait plus, elle manquerait. Mais je n'ose pas ici employer le mot "fête", la vogue est rituelle, c'est admis dans l'esprit des habitants de cette ville, elle marque un temps dans l'année, juste avant la saison des pluies, les foules du 8 décembre et les marchés de Noël, elle balade aujourd'hui plus d'ennui que de gaieté. On s'accorde à l'idée, on s'y traîne, on y flâne sans penser par exemple qu'au XIXe siècle Lyon totalisait plus de 207 jours de vogue, de Pâques à la Toussaint. Il n'en reste qu'une, c'est celle-ci, on la prend pour ce qu'elle est, entre la vogue et notre esprit il y a des nébuleuses... Nous fermons les yeux sur ce qui manque, ou bien encore heureux, nous nous rattachons aux mémoires idéales de ces mondes enfantins qui suçaient les guimauves une fois l'an,  nous nous contenterons des arômes d'un Chardonnay allégeant l'Homme (et son désir), tenterons d'en retenir le dernier tourbillon sans trouver le raccord entre ces vieilles gravures et les temps à venir qui nous invitent à décharger notre poids soucieux ou abêti, matière poreuse ou bons vivants, nous contemplerons en touristes ces rubans colorés où les  jeux vont sans nous. Nous ne savons pas comment cette grande usine à attractions valdinguera les corps, pourvu qu'elle ne valdingue pas les notres (pas le mien en tout cas), des furies techno-funk à la nostalgie du mashed potatoes via le rock à l'antique (Elvis, tuning, sodas, ice-cream), l'over-bass brutalise. Les engins crachent le feu, les flammes, au propre, au figuré, nul ne devrait s'en plaindre car l'intitulé ne ment jamais (desfois qu'on n'aurait pas su lire les enseignes kitsch and cheap)...

rock.jpg

Âmes vagues décomposées seules ou accompagnées, c'est à peu près pareil, voguant dans l'ennui patent de nos semaines contemporaines qu'il faut absolument secouer de loisirs à grands cris sur la place solidaire plombée par la dérive, l'esprit dans la paillette du pepsi pop, les  défilés se suivent et ne tarderont plus à  nous s'enchaîner, (8 décembre, morne plaine, ma flamme dans leur publicité) ; rameutent ici ou là  un bref éclat entre les bruits, tiraillant nos faiblesses: le caprice d'un enfant qui ne veut pas redescendre du manège, des parents sur des chaises et leurs gueules d'enterrement, des gars avec des franges qui tirent comme Charles Bronson sur des figurines en plastique pour gagner une peluche du bon temps de Pandi Panda,  ça reste divertissant de regarder tout ça afin de n'en tirer aucune réflexion particulière. Juste regarder. Et puis voilà.

vogue in the usa.jpgFlâner entre les hurlements d'humains harnachés par des courroies fixées sur des machines qui montent, tournicotent, gesticulent, brassant l'air, d'accord pour ces crampes d'estomac qu'on se fera à la place des passagers retournés à l'envers, d'accord pour l'empathie-express qui est notre, à ce moment là, superflue, tout-express, même la peur des antres gothiques et ces sorcières qui remuent des balais sur un toit brûlant, même la nuit quand je rentre chez moi, à chaque fois, je suis d'accord avec moi, pour avoir peur de ça. D'accord pour écouter les mécanismes stridulatoires des simulateurs inspirés des plans les plus sombres de L'exorciste qui propulsent mais quoi ? - D'accord pour être propulsée - juste une fois, mais sans rien essayer, parce que la joie d'une vogue c'est aussi de s'y noyer. La vogue n'est qu'une fois dans l'année, alors on peut bien vivre avec son temps une fois, en marchant, pourvu que le boulevard et ses rues parallèles, continuent à sentir la vanille, le nougat, les bonnes gaufres, les crêpes au Nutella... Peut-être vous livrerai-je un jour une traversée by night dans la vogue en sommeil mais je ne promets pas étant donné que c'est déjà un peu ça: une stimulation acharnée qui n'arrive pas à réveiller grand monde, ni grand chose, la nuit au fond de soi, en plein jour, l'émerveillement absent, ou caché sous un air de s'en foutre. Ca validera peut-être cette adhésion sympa à tout ce qui peut plonger l'esprit dans sa paresse, encanailler l'espace avec ses grappes festives d'humanité blasée, toquée de gigantisme, où les bulles énormes font pétiller le corps d'une ville enrobée dans le sucre et la glace à venir. Nous goûtons en deçà, le plaisir monotone de nous disperser puis voguer, ne serait-ce que pour se vouer tout entier à la recherche éperdue du premier cornet de marrons chauds. Chauds, chauds, chauds, les marrons ! où sont-ils ?...

vogue ours.jpgAu hasard, la plus réaliste de cette expédition en quête de marrons, (chauds, chauds chauds), rend le pas tiède ou triste, mollement nous grillons nos cartouches à l'américaine sur de vraies carabines, tellement bien imitées  (des Kalashnikov, on dirait) sans la moindre biquette à caresser, ni un cheval de bois dont on fait les violons, pas de quoi pousser la chansonnette. Nous croiserons plus tard, le nez de Pinocchio qui s'allonge, s'allongera, grâce aux reflets multicolores d'une flaque d'eau.  Cela vaut les discours sur les fameux marrons, promis en cette vogue, seule vérité discordante, ô spleen de nos nuits sans marrons, moins folâtres que les nuits sans Oscar Wilde, (à ce point d'inanité, je vais me faire un peu de réclame) ;  le marchand de marrons (nous apprendrons le jour d'après, que c'est en fait, une marchande) serait-il du genre lève-tard ou couche-tôt ? Nous le cherchons nous le trouvons. Le stand est minuscule, il est  doux, il sent bon, c'est tout ce qu'on vous dira de cette première tentative sans pouvoir plucher le maroncho,  c'est un peu de ma faute, je ne sais pas jouer des coudes en société, ainsi je n'ai même pas eu le culot de bousculer quelques badauds, pour photographier le fameux stand aux marrons, parce qu'il y avait devant, les personnalités de la colline : Monsieur Marcel Rivière (et sa femme, la grande, dont je ne me rappelle plus le prénom) qui charmillonnaient discrètement avec un Alceste entièrement caché sous une toge recouverte d'écorces avec des feuilles rousses et ocres made in Tabareau collées sur son chapeau évasé par le haut en multiples branches ornées de nids de hulottes revenues de Couzon, je n'osais déranger, et ne fixais pas mon objectif afin d'obtenir un cadrage (presque) parfait sur les mains des personnalités qui tenaient leurs cornets de marrons comme on tient des cierges lors des grandes processions hivernales (par exemple, celle en l'honneur de la Sainte Vierge, nous en reparlerons peut-être...). Il faut dire qu'affecté par les privations, on glissera dans la romance de toutes petites choses pourtant vraies, à ce sujet fragile, j'ouvre une parenthèse puisque je ne peux décemment exposer ici Monsieur Alceste piquant à pleine branchées les marrons de Monsieur Rivière, (à lire prochainement "Les marrons de Monsieur Rivière" un inédit  issu des carnets de la mère Caquelon, poètesse Lyonnaise oubliée, grande copine de la Mère Pompon qui mit au point la recette des quenelles de marrons, plat mythique servant à décupler le courage des canuts lors de la révolte en 1831, - là, j'exagère, mais c'est un des nombreux effets secondaires produit par le manque de cornet aux marrons, quand on en goûte un seul, ensuite, ça dure, une vie parfois - quant au livre, je l'ai déniché récemment dans un vide-grenier de la Tabareau, on ne dira jamais assez - surtout en plein coeur de la vogue - qu'il s'en passe de chouettes sur la Tabareau où la rutilante boule lyonnaise n'a que faire des tournis des manèges; les parties de boule lyonnaise se déroulant dans un monde parallèle, en silence, les manches retroussées, les hommes ne pourraient en être déconcentrés ou seulement par une boule dégommant l'autre boule, pour aller se placer à deux millimètres du cochonnet, on entendra alors un gars qui l'ouvrira plus fort que ses copains, mais pas trop, pour dire "ouhla !  joli !", c'est ici, que le vogueur épuisé viendra se reposer sur un banc pas loin de "la Coquette", qui comme son nom l'indique est une coquette auberge, quand on passe devant ça sent bon  le thym et l'échalote, surtout l'été, mais  je ne peux rien en dire je n'ai  pas encore testé), là je referme la parenthèse, (vogue off). Laissant grésiller en paix les marrons, pour goûter les bonbecs, j'ai compté qu'avec trois picaillons, on peut obtenir 80 grammes d'un diamètre de huit centimètres de réglisse + une bille de gum au milieu, après une telle dépense je n'oserais pas entamer mon dernier billet de mille pour dilapider des restes (?) de jeunesse dans la bétaillère jurassique où la foule, clairsemée sur les feuilles abattues, attend de faire son baptême, happée par le plus fameux des glyptodons de Lyon, relouqué par qui vous savez.

vogue tutti.jpg

Enfin, ce qui est bien agréable à la vogue c'est qu'on s'y trouve tous en vadrouille, un peu comme des stars démodées allant incognito, offrant aux sunlights jaunes et verts  nos mines cadavériques, nos lèvres jaunes et nos dents vertes (juste un sourire pour la photo), stars d'un jour flambant à la roulette le mou avant l'hiver, vivotant au sommet, sans se soucier de savoir s'il existe un autre lieu au monde, la colline valant à elle seule, un hémisphère. Une seule fois dans l'année quand la vogue est de retour les Croix-Roussiens vivant en autarcie au  village, se sentent pénétrés du lourd de ces camions beaux comme des barres de la Duchère branchées sur des prises électriques qui  serpentent de la place par les rues et sur les tapis (introuvables) de la place (des tapis), ils croisent aussi les monstres qu'on ne verra (pour de vrai) qu'à la fin du monde, venus culbuter nos grattons, crapahuter sur nos coussins (ces quiétudes ganachées fourrées d'un filet vert, couchés dans leurs boîtes de velours, à se damner). Quelle pagaille, en nos us et coutumes!  quand, soudain, dans les premières heures, du 5 au 6 Octobre, on regarde les gars de la vogue (de magnifiques garçons) déballer le matos afin de monter les engins, on croirait voir construire une ville, elle se fait en un jour ou peut-être une nuit, sous nos yeux se déroulent des kilomètres de câbles et des kilomètres de rallonges sur le bitume courant dans les rigoles, après on s'y balade comme si tout cela avait poussé uniquement par magie, on est dans la vogue-champignon et les jours qui suivront ça scintillera de partout. Je suppose que la vogue des marrons aurait plu à Andy Warhol, ces objets en série multipliés partout, auraient pu lui souffler de sacrés tableaux, l'Amérique qui se pose là, avec ses boîtes en kit, des bistanclaques qui se perdent au milieu d'une foule, cette année, pas trop dense à cause des restrictions. Ce n'était pas complètement étranger à l'oiseau vogueur, lequel, d'une année à l'autre s'était fait grignoter par un sanglier vogueur, voyez qu'il y a quelque changement, (le lecteur assidû, qui s'y connaît forcément en sanglier connaît aussi son paradoxe, toutefois je laisserai ouverte l'interprétation symbolique pour laisser voguer l'homme et son désir dans l'approximation). Bref, chacun sait que le mot sanglier vient du latin "singularis", (au sens isolé, solitaire "singulier") et que le sanglier est aussi ubiquiste, à vrai dire, je ne sais pas ce que signifie sociologiquement cette raréfaction de l'oiseau vogueur au profit plus imposant du sanglier ubiquiste mais je trouve, ma bonne dame, que c'est pas rassurant et peut-être aussi triste que nous autres les festifs désolants qui picorons nos beignets entre les barrières métalliques du boulevard et les autos méchantes, à se demander encore qui a décidé d'encastrer la vogue sur la place des tapis  où l'on entre enjambant des panneaux et des fils alors qu'une partie du boulevard semble plongée dans le gris, sans doute à cause des travaux, d'autre chose, peu importe, on pourrait être ailleurs, déjà à la périphérie, et ce n'est sans doute pas un hasard de trouver de plus en plus de pigeons moches, mal polis (ubiquistes) gouverner sur la tête de notre vénérable inventeur.

et vogue sur la tête au père jacquard  kb.jpegLe lendemain ce fût la même vogue ainsi les jours d'après telle l'année précédente, malgré une fine pluie, (ce retard coutumier de l'automne), après que le thermomètre eût marqué  26° à l'ombre, sous un ciel mitigé, comme on dit chez nous desfois "ça mouillassait", le gros rire (voguenard ?) du sanglion raillant l'inventeur des métiers m'attira sous un stand abrité, c'était une sorte de vestiaire à peluches (peluchons) encore des pantelantes arachnoïdes à cornes et multipattes difformes (soyeuses ? Je n'ai pas approché), je remarquais juste, que l'une des bestioles tristement pendue par les pieds portait entre les oreilles, un bonnet de lutin indécollable qui ressemblait à un cône de Lübeck, pourquoi, des cônes de Lübeck sur la tête de nos bêtes à la vogue ? Vous me direz! alors que des cornets de marrons seraient plus rigolos ? (Vous remarquerez que l'odeur des marrons grillés peut très vite taper sur le système surtout quand on les cherche), enfin voilà pour l'énoncé d'une vogue aux présumés marrons, nous repasserons, (enfonçons un clou dans ce marron), je subodore que si je n'ai point l'occasion de goûter au seul produit annoncé chaque année dans cette vogue, par cet  engouements précaire qui jalonne les recherches de certains jours, (comme leur façon là bas de fabriquer la barbapapa), ça tournera à l'obsession.

vogua.jpgEnfin, sortant de là, un peu sonnée, seule ou accompagnée, de toutes les façons harassée, je ne rejoindrai pas les copains comme prévu au RV du café du bout du monde où c'était encore convivial de pouvoir causer un brin tranquillement après avoir patassé (comme dit le lyonnais les pieds dans sa bassine de sel) puisqu'ils sont revenus déçus, les copains, de voir le bout du monde remplacé par un bar à bière,  un autre ! dont nous ne pensons à peine moins que rien, le houblon on s'en fiche, au départ on voulait un voyage en ballon de blanc (même de rouge, ô fillette !) avec des cornets de marrons (si je radote, mon lecteur, râle et  indigne toi mais là, minute papillon ! je promets de boucler la boucle et après on n'en reparlera plus jamais), un cornet de rien du tout, pour dire que ce n'était pas demander la lune. Oui, certes, mais il est comme ça le monde, dès qu'on veut quelque chose de simple, même si on on le demande gentiment, ce n'est jamais possible, ou alors ça devient compliqué parce que c'est rare etc... Et s'il faut demain voir en vrai griller des marrons, je serai prête à faire sonner le réveil (sacrilège) vers les 14H00 du matin. C'est vrai qu'à ces heures à la vogue y'a moins de monde. Un tout petit monde, discret , lent, pas  bégueule, du coup ça fait vogue oubliée et certains jours ça paraît bizarrement plus gai bien que beaucoup de stands soient vides, on admire le courage des forains, mine de rien, rude métier !

vogue.jpgEn guise de conclusion (j'ai dit en guise), c'est une bénédiction, pour nous autres gastronomes du plateau, que le citymarché (unanimement fréquenté en colline) ferme ses portes à 21H30,  c'est à dire après la vogue (mais un conseil, allez-y à 21H00 parce qu'après 21H15 les vigiles, qui n'aiment pas voir les gens lambiner se mettent à fouiner dans votre filoche, avec le vocabulaire de Rambo, (surtout un), c'est très laid, mais ce n'est pas à cause de la vogue (très influencée par Rambo également, pas pour les mêmes raisons), donc, le  citymarché, reste un endroit très pratix pour trouver de la vraie crème de marrons Clément Faugier, c'est pas en cornet (heureusement pour les manchons d'hermine de la bourgeoise), mais après ces promesses de vogue aux marrons rarissimes, ça pourra apaiser un peu notre besoin de consolation.

La conclusion, la vraie : à défaut de grives (aux marrons, vogue ! mon pijon) on mangera un merle à la crème de châtaignes. La suite de la vogue une prochaine fois peut-être (avec ou sans marrons, seul ou accompagné, si les petits ânes ne nous mangent pas). la dernière image à cliquer ICI vous donnera l'aperçu vite fait, du sort des animaux de la vogue, sous les yeux de l'enfant tirant pile dans la cible qui s'en retournera, en serrant dans ses bras un authentique Stormtrooper bien utile pour battre les Flogs, les Froschs et neutraliser l'homme vieillot qui cherche avec son groin (ubiquiste) des marrons sous les platanes du boulevards (vogue, vogue !), l'homme vieillot qui ne sait même plus le nom des arbres, ni le nom des fruits qui poussent sur les platanes, qui croit que les marrons tombent tout chauds des platanes et qui pleure et dit à tout le monde que tout fout le camp, et personne ne l'entend, pas une âme ne se lèverait pour lui tendre un cornet, un tout petit cornet de marrons chauds, un cornet de frites à la rigueur, et encore ! ah non, vraiment l'être humain n'est plus ce qu'il était, la fête est triste le monde est moche, on est tous triste on est tous moche. Alors qu'avec un cornet (même tout petit) de marrons chauds, même des châtaignes grillées... suffiraient, suffiront, comme l'écrit lademoiselle Pinturault (que je salue vigoureusement) dans son dernier recueil de poème intitulé "L'hiver des poètes", préfacé par Madeleine Lacroix, (je cite): "Desfois la beauté tient à pas grand chose". Vous pouvez ricaner mais si ça se trouve, elle a raison.

giga night.jpg

 

Lien : oldies but goldies, la vogue 2010, si ça vous dit.

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2010/10/10/le...

 Photos : Boulevard de la Croix-Rousse et un petit peu place des Tapis: quelques vues hasardeuses de la vogue (des marrons) parcourue à pieds, à vélo, saisies de jour et de nuit, + une pensée émue pour l'Auguste Jacquard et son infinie patience. En vrai il ne s'appelle pas Auguste, ni Albert mais je crois l'avoir déjà beaucoup répété, (la vie des blogs tourne comme un manège), pardon au lecteur adoré, puisque tout doit finir par des chansons c'est inécoutable hélas je ne peux y résister, et peut-être que ça fera plaisir à msieur Fernand. (hypothèse hasardeuse j'en conviens)...

 

Lyon Colline © Frb 2012

vendredi, 12 octobre 2012

Le modèle se rebiffe

Je m’asseois à une table du restaurant de la gare et demande une pomme coupée en tranches fines dans le haut-parleur du quai une voix récite
la dernière partie du Mahâbhârata
un voyageur solitaire me demande la permission de s’asseoir à ma table
je le regarde un temps et dit avec ennui
non.

Matéi VISNIEC : "Scènes à la gare de la ville", (fragment), traduit par Nicolas Cavalliès, extrait (probablement) de "La ville d'un seul habitant", Lansman éditeur, 2010.

Pour écouter la marche, il suffit de cliquer dans l'imagefrançois bayrou rentrant dans son pays.jpg

Il sentira le sable sous les quais jusqu'à la naissance des galets, cette blancheur introuvable, l'île aux poudres où tout va exactement à l'opposé d'une  vague qui lisserait son verbe sur la trame  de l'homme arrivé.

Il aimera sa maison et les siens, pas de reproches à leur faire, c'est de la faute à personne, s'il a envie de marcher, juste pour aller plus loin. Quelques pas en dehors. Au moins ça,  qui ça gêne ?

Il convoque son enfance, elle revient grâce à des attractions qui brillent dans les vitrines, sous des guirlandes. Elles ont si peu à voir avec l'enfance. Une mémoire écrasante anime des personnages en mousse grandeur nature qui traversent les rues il voit des  panneaux gigantesques représentant le père Noël riant dessous sa hotte, au printemps, le vieux passe par les combles  ça avait dû se détraquer avec les activités de l'âge mûr. L'enfance, il la goûtera toujours à travers les coffres en désordre : billes, poupées, cubes, légos, oursons, balle, trottinette, et le bonhomme de neige, retourne vers la mer, y chercher un peu de brume pour le sortir des murs. Tout au feu et là bas, découvrant l'embrasure, il laissera son corps décider.

Là bas, c'est une place où l'on passe sans s'inscrire, l'homme y perd et en perdant il gagne. Il devient le marcheur, trouvera sans chercher un parcours provisoire où le muscle délivre, s'allie avec l'espace puis réduit son malheur, il ne sait trop lequel, il s'était inventé. L'avantage d'inventions, c'est qu'on peut s'en défaire. Des tas de malheurs c'est cru et probablement fait d'une seule pièce, dont il ne connaît pas le but, ou  bien c'était hier, au cours élémentaire :

quatre fois deux passe encore. Six fois cinq, c'est limite, mais sept fois huit ? Il cherche. Il ne se souvient plus.

Il revoit monsieur Bouchard, appuyant sur sa craie. Elle crissait sous l'effort, ça aiguisait aussi, le nerf de la musique

Il ne fait guère de doute que le "moteur" du cri déchirant de la craie, c'est la très forte non linéarite du frottement de celle-ci sur le tableau, un peu comme pour la collophane sur l'archet des violons.

Il tentait de fuir le regard (du maître) mais à chaque fois, c'était encore sur lui que ça tombait :

- Sept fois huit ? Moinon ! Répondez ! au lieu de dissiper vos petits camarades! Sept fois huit ?

- Sept fois huit ? Bin ... euh ...

- Vous êtes complèment hors sujet ! qu'est ce qu'on va faire de vous ? Mon pauvre ami !

Complètement hors sujet. Ca devient un handicap. Ce babillement entre les phrases. Sept fois huit fenêtres sur ce mur, sept fois huit wagons sur deux rails...

- Combien ça fait ?  Moinon ! c'est pas bien difficile ! on dirait que vous tenez à devenir la risée de vos petits camarades ?  Procédons autrement !

Sachant qu'un petit ourson voyage 7X moins vite qu'un grand héron lequel quitte Paris à 6 heures volant à 36 km/h. alors que le pinson, qui est à Montluçon quittera son nid à 17 heures à une vitesse moyenne de 59 km/h ;  à quelle heure et à quelle distance de Paris vont se rencontrer le pinson, le héron et le petit ourson ?

- Bin ... heu....

Pourtant ça te regarde, toi aussi, ce goût qu'on donne à la jeunesse de ne pas se promener toujours avec des oreilles d'ânes.

Lui il s'est assis sur sa bête, il est resté droit dans ses bottes il a dit:

- "allez ! hue la bête ! on s'en va ! en route ! le soleil brille, la route est belle !

Il a cru voir Martin qui partait au désert, peser de son poids sur le monde :

 

De la peau du Lion l'Ane s'étant vêtu
Etait craint partout à la ronde,
Et bien qu'animal sans vertu,
Il faisait trembler tout le monde.
Un petit bout d'oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l'erreur.
Martin fit alors son office.
Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice
S'étonnaient de voir que Martin
Chassât les Lions au moulin.
Force gens font du bruit en France,
Par qui cet Apologue est rendu familier.
Un équipage cavalier
Fait les trois quarts de leur vaillance.

 

Ils ont tellement ri aux éclats que le vieux maître a puni tout le monde.

Peut-être est-ce à cause du poids de ces petites tracasseries continuelles qu'on en vient superscivement à accepter des choses qu'on ne désirerait pas pour soi-même ?

- subrepticement, Moinon ! ça suffira  et toutes vos facéties  ne  méritent  pas notre peine.  Celle que des gens se donnent à vous instruire,  pour votre  bien quand même, procédons autrement, huit fois sept ! on y restera jusqu'à demain!  personnellement j'ai tout mon temps !

- Bin ... mais c'est que c'est pas pareil...

- Comment c'est pas pareil ? Pensez aux hérons aux pinsons !

- Et l'ourson ?

- Laissez l'ourson hors de tout ça ! Sept fois huit ? Huit fois sept ?

-  Bin euh... personnellement, je vois pas...

- Moinon ! vous le faites exprès ?

- L'ourson c'est parce qu'il n'a pas d'ailes ?

- On se passe de vos questions, Moinon ! essayez au moins six fois sept ?

- quarante deux !

- Bien !!!

- Sept fois Sept ?

- Quarante-neuf !

- Très bien ! félicitations !

Peut-être faut-il faire croire qu'on sait la vérité ? Chaque jour une nouvelle pour remplacer l'ancienne, comme ces panneaux publicitaires qui grandissent avec ceux qu'ils promènent. Ces manières de se voir imposer partout les palissades des nuages à ras terre et ces chaises occupées par des hommes assis, jambes croisés, ils décident avec gravité la vie pareille aux mêmes - spécialistes présidant au récit de la vie, présidents des journées de la tarte à la crème, ils étaient tous superbes avec leur peau de lion, ils ont pris des fusils et ils ont couru après le héron, le pinson, et ils ont réveillé l'ourson. C'était ça qui clochait. C'était à cause de ces tracassins d'illusion, qu'il faudrait tôt ou tard se faire la malle en vitesse. Et l'autre il racontait qu'il faudrait un sacré rocher pour voir venir de loin des ennemis imaginaires.

- Que vont ils décider à présent ? Ce qui leur semble bien fait ? Et si moi je foutais le camp ? Est-ce que le monde s'en apercevrait ? . Enfin, le petit monde, celui qui nous fait nous défait, et de nouveau, rien d'autre ...Il a demandé au docteur Mollon qui tournait en rond dans la pièce, les mains derrière le dos en soupirant. Il faudrait essayer d'expliquer au patient qu'il serait parano. A présent, le docteur il observe derrière ses grandes lunettes, calmement les mains à plat sur le bureau  il y a d'abord un silence qui semble en savoir long. Puis le Docteur répond:

- Bien sûr, je comprends tout à fait votre question, monsieur Moinon, mais il  y a des méandres... il faudrait essayer de vous adapter un petit peu, vous montrer à vous même un  peu plus d'organisation, c'est important surtout important pour les autres...

- Important ?  Croyez vous ?

Le Docteur a souri, il s'est gratté la tête, le patient n'était pas complètement perdu, le docteur a songé  : "il faudrait je le récupère, oh puis non ! pas la peine" il  a creusé  un  trou,  il a dit :

-  je vous rajouterais du Broilapène 3000  ou si vous préférez du Gramabol 500 ou 610, à base de cryptocoryne ça permet de bien dormir. Au moins ça...

Pour la première fois l'homme, il a fait comme toi , il a fait ce que nous ferons tous un jour. Il s'est levé, il a pris sa casquette, il a dit "Non merci !".

Le docteur a tiré sur le bras de l'homme, il a dit :

hola ! mais il ne faut pas se sauver si vite ! Vous me devez 56 !

- Et pourquoi, 56 ?

-  Monsieur Moinon, vous êtes venu sept fois cette semaine comme vous êtes remboursé, que votre sécu coûte cher, aux autres  gens, pensez-y,  moi je ne prends que 8 par consultation, si vous faites le calcul sept fois huit 56, recomptez, mais je crois que c'est à bon compte...

L'homme a souri. 7X8, il était guéri.

- 56, oui,  c'est vrai,  le compte y est !

Il a sorti des pommes et des figues a demandé au Docteur Mollon

- ça ne vous fait rien que je vous règle à ma façon ?

- Pas du tout au contraire ! depuis que l'argent n'a plus de valeur j'aime autant ! a répondu le Docteur puis il a avancé sa grande tête piriforme parlant plus près de l'homme qui farfouillait dans sa barotte :

- Si vous aviez quelques châtaignes ou des noix, pour mon épouse, elle adore ça.

- Pas de problème ! voilà voilà ! Au revoir Docteur !

- Au revoir Monsieur Moinon, si on ne se revoit pas je vous souhaite un Joyeux Noël !

- Vous de même !

- Je n'y manquerais pas !

L'homme est sorti, guilleret, il a su grâce aux arbres que même si partout c'était écrit qu'on approchait de toutes sortes de fêtes, elles semblaient encore loin. On était la saison du cul entre deux chaises. Il a tripoté au marché les guirlandes de Noël, avec des lutins en forme de sapins gigantesques qui clignotaient et devenaient multicolores quand on les raccordait à une clé.

 Il a su aussi que l'automne cette année serait juste attardé, il restait encore des feuilles vertes et des fleurs, il a croisé des gens en shorts, et d'autres emmitouflés, les couloirs de métro diffusaient "Vive le vent",  et des publicités pour des séjours au Val d'Isère. Le mois des soldes et des liquidations massives allait recommencer.

Il a mis la guirlande lumineuse autour de son cou, puis a choisi sa rame, mais il n'est pas monté, il a repris le chemin en sens inverse. Il a fait deux pas en arrière puis il a reculé.

Pourvu que ses pas ne le ramènent plus là bas, chez eux, Suzanne avait déjà trouvé des santons pour la crêche, il n'avait pas envie de traîner au bricoland tout l'après-midi pour choisir les cadeaux de la petite. Il est remonté par le boulevard Charles Géode au niveau de la mairie jusqu'au grand manège.

Il s'est acheté deux pommes d'amour à la vogue desfois qu'il croise une inconnue. Quelle femme sur la terre n'a pas rêvé un jour de se faire offrir une pomme d'amour par un gars un peu con qui croiserait son chemin, et repartirait sans rien dire ? Et s'il ne rencontrait pas la femme, il se garderait l'autre pomme pour manger après son  sandwitch .

Il a vu des gens portant des paquets étincellants étoilés de rubans, d'autres avec des sapins. "Les gens sont de plus en plus dingues", il s'est dit. Mais c'était de la faute à personne. Les gens, les gens, pour ce peu qu'on en  dit. ll a marché longtemps, sous les arbres une pluie de sanguines et de l'or plein les mains. Quand la nuit tombera, les rites de saisons seront tous accomplis. Il a songé à l'illustre Vyâsa qui convoquait les mondes. Demain, il rassemblera toutes les femmes pour les mettre à l'abri, sous un arbre. Puis ce sera l'été. D'une manière ou d'une autre.

Il a jeté sa pomme au fond de sa barotte,  ça a dû faire un bruit du genre "splotch" qu'il n'a pas entendu, il a remis sa casquette comme il faut, a repensé à sa femme, qui avait remarqué avec ses grosses oreilles rangées sous la casquette que ça faisait deux grosses bosses ridicules à se marrer. Deux grosses bosses et alors ? Qu'est ce que ça peut changer ? Il a pissé un coup dans l'allée sur les pétales des fleurs, qu'il avait admiré la veille. Puis remontant sa braguette d'un coup sec, pof ! voilà une affaire de réglée ! il a jeté sa ceinture au milieu de l'allée, où le vent incessant avait renversé des poubelles du caniveau à la chaussée, tout un tas de vestiges des tempêtes, le vent pouvait souffler sur les fleurs, sous le ciel, sur la mer, et alors ? Qu'est-ce que ça pouvait faire ? Il a mis ses deux mains carrées sur la manette, il les a agrippé solides, il a marché, il a continué, la casquette sur le nez, à marcher, marcher, encore marcher, ça a duré des semaines, à force de s'éloigner, il n'avait plus cet air de ramper ventre à terre pour les autres, il a revu l'image de Suzanne lovée dans son rire bête, il a songé au gars de la fable qui riait le dernier. Il ravalait sa peine, la changeait en fierté, il faudrait s'accrocher et il s'éloignerait plus loin que les Monts d'Or ensuite il marcherait, droit devant, sans plier, jusqu'à trouver son coin, à force tout s'arrangerait et le vent tournerait, avec la volonté, en gardant bien ses mains posées sur la manette, droit devant, en suivant son chemin, le vent le porterait. Il sentait son destin chalouper dans sa tête, il fallait du courage et il en avait plein, ramper c'était hier. Selon ses prévisions, après beaucoup d'années et beaucoup de kilomètres, il sentait qu'à la fin, tout finirait sûrement par aller comme sur des roulettes.

 




podcast


 

 

Musique : Chenard Walcker : "Les arbres-mon Dieu"

 

Photo :  Le modèle et son âne caché dans une barotte sont sortis de la bibliothèque, ils ont traversé un passage qui mène droit à la gare. Filature impeccable, ensuite, je les ai vu happés par une foule sous le  panneau des départs, je les ai suivis encore, par des rues, des avenues puis la foule est venue  et je les ai  perdus.

 

Lyon Vivier-Merle © Frb 2012

dimanche, 07 octobre 2012

Les errances du modèle (II)

Rien ne nous advient que revêtu de notre âme : nous n'y reconnaissons qu'à la longue ce que nous avons appelé...

Joë BOUSQUET cité par les "Esprits Nomades" dans une page à découvrir intégralement  ICI.

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Ce départ nécessite une lente préparation, un matin il se lèvera trop tard et laissera tout aller : le bol, le sucre, la petite cuillère. Les choses en cours subiront un obstacle.

Il laissera de travers, la toile cirée parfaite, avec ses fruits pêle-mêle répétés à l'identique: un raisin une pomme deux cerises au milieu des triangles, des carrés alternativement disposés en quinconce. Depuis le temps qu'il les compte, c'est une distraction coutumière au petit déjeûner, compter et recompter. Quand il aura tout compilé, il se dira que Suzanne, sa femme a des goûts de merde. Un raisin, un carré deux triangles deux cerises et la pomme entre deux, tous les jours identiques ça recommence sans bouger: un raisin un carré deux triangles deux cerises et la pomme entre deux, tellement identiques.

Ca fuit, ça se dérègle, ça altère son esprit. Il est la pomme cirée entre deux cerisiers, il est le raisin dont la colère se cache sous des figures géométriques. C'est décidé, maintenant, ce non, il peut lui obéir.

Non, il ne passera pas l'éponge pour nettoyer les miettes et ranger les mets qu'on rassemble chaque jour autour du compotier.

Non, il n'effacera pas le coulis échappé des tartines fondues de Plantafin ; et la pomme, entre deux, il ne va pas la regarder toujours comme le symbole des goûts de merde de Suzanne, elle rêvait d'une maison propre et nette comme on en voit à la télé, ça accentuait ses manies de cocooner pour l'embellie de ses fleurs de ses fruits. Il avait installé ses bases dehors, il allait et venait, une bêche à la main, sommé d'entretenir les fleurs, les fruits, le chien.

Suzanne, tous les samedis, va choisir des tissus à l'hyper du textile, depuis toujours elle porte un soin méticuleux à rajouter pour la maison, "quelques petites bricoles", comme elle dit. Il ressent la vague sensation d'une course incontrôlable, Suzanne doit éprouver un état de manque, à courir après des tapis de bains, des séries de coussins, des traversins... Rien ne lui semble assez doux pour eux. Est-ce de sa faute à lui, ce besoin impérieux qu'elle a de rajouter des objets afin de les mettre en valeur avec d'autres objets ? Ca lui donne l'impression, qu'il ne peut déjà plus trouver sa place, s'imposer parmi eux, il n'est plus maître en sa maison. Il observe Suzanne, décorer le salon il n'osera mettre un frein à cette obstination dont le perfectionnisme ne saurait endurer le moindre reproche.

Plus le temps passe, plus ça fleurit chez eux, ça fruite dans tous les coins, la couette est envahie de pommes, de noisettes, gonflant des housses assorties aux rideaux, giroflées, coquelicots, tout s'emboîte et leurs corps dans ces goûts n'apaisent plus leur faim...

C'est juré, à partir d'aujourd'hui, il n'utilisera pas la lingette au citron qui absorbe les taches de café sur le bord blanc du bol, un seul geste suffirait. Non, c'est non. Il ne respirera pas ce goût de Paic qui lui rappelle l'odeur âcre de la tarte-citron-maison du café-restaurant-snack "Croqu' vit'" où il mange tous les jours de midi quinze à midi quarante-cinq avec ses trois collègues, Barnier Chaumette et Thomasson, six mocassins, logeant des animaux sur des chaussettes, trois paires de jambes traînant des fruits sur leurs caleçons.

Il suffira de claquer la porte, d'enfiler des bottes de cow boy, un grand chapeau un fusil, tirer dans le tas, et allez boum ! ou plus simplement, dénicher des chaussures anglaises, des trotters en daim souple assez sobres. Il faut se tenir prêt, afin d'aborder l'étape nécessaire d'un ravissement qui consiste à ne pas se rendre.

Pas aujourd'hui. Et pas demain. Il faudra supprimer aussi l'obsession de survie, le loyer, les crédits, cette dépression qui n'en n'a jamais l'air, aucun signe extérieur de désordre. Une "dépression larvée", il a dit le docteur Mollon en prescrivant le Lexomil et des boîtes de Tardyferon. Le docteur Mollon, il secoue toujours sa tête piriforme quand il veut donner un conseil, il prend un air confidentiel anticipant au mieux toute forme de contestation. Il a dit en se râclant la gorge: - "vous devriez faire du jogging, monsieur Moinon, vous inscrire dans un club d'Aquagym, j'en connais un très bien sur l'avenue Blaise Cendrars juste en face du Bricomaton".

Assis au bord de la table d'examen, il songeait au poète et sa main retrouvée qui remuait le ciel, pour faire un bras d'honneur par delà les persiennes aux flots bleus du club d'Aquagym. Il faudrait bien un jour que quelqu'un le sorte de ce traquenard, ou qu'il s'y colle lui-même avec un tel cafard, il croiserait peut-être un cas de figure similaire dans un forum sur internet.

Pour l'heure il ne peut rien en dire, il longe les murs, jusqu'à la pharmacie, il creusera son trou dans la file, tirera un tiquet d'une machine pour obtenir un numéro. C'est comme à la boucherie dans les grandes pharmacies, il y a du nouveau : on prend un numéro, un pharmacien parfois se poste à côté de la machine pour réciter les numéros, le client sait alors exactement quand c'est son tour, le pharmacien ne dit plus "à qui le tour ?" Il crie juste très fort "364!" "365 !" et ainsi de suite. Il n'y a plus de chaos, 365 tours pas plus de trois minutes par client, à la sortie c'est toujours la même chose, après avoir attendu très longtemps, et payé poliment, il cherchera une poubelle, et hop ! hop ! hop ! il jetera le bromazépam dans les réceptacles à produits recyclables qui ont fini par prendre une place phénoménale dans la ville, ultime acte de bravoure après quoi la planète pourra bien endurer une ou deux explosions, son âme étirant l'étincelle, invitera les constellations à libérer les animaux qui vivent dans les chaussettes une vie pareille à la notre.

Pendant que le Docteur Mollon a essayé de lui expliquer pourquoi il fallait faire le test gratuit de dépistage du cancer du colon, en quoi cela était un acte responsable ;  lui, il sentait que l'irresponsabilité, dans son cas serait un acte d'amour inouï. Mais il ne toucherait pas un mot de la fable au Docteur Mollon quand celui-ci traquant les larves dessous la dépression, jugerait "bon" de lui prescrire un séjour d'un mois, à la maison de repos des Tanches. Lui, n'a pas osé dire qu'il  préférerait un séjour au bord d'un étang, dans une petite maison, entourée de roseaux. Il devenait peu à peu le héron.

- Moi des Tanches ? [...] moi Héron ? Mais pour qui me prend-on ?

La petite idée jouerait encore sous conditions. Il restait un tas de choses à régler. Dernier caprice en date. Suzanne voulait un chat. Un chat sur un coussin, juste pour l'affection. Il n'avait rien contre les chats, mais cette fois c'était non. La petite idée consistait à marcher vers ce non, tranquillement, sans se fâcher, sans causer aucun mal, rien qu'un non radical ouvrant le phénomène au plus grand horizon, un non, qui aurait l'apparence d'un vrai non, et qui serait, au contraire, une approbation totale au monde, sans rien en conquérir, en demandant pardon à tous les animaux.

Ca flottait comme un rêve entre le sentiment de bonté qui aurait dû faire de lui l'être le plus adoré au monde et la sensation personnelle de devenir un  vrai salaud  s'apprêtant à commettre  un acte inavouable, où l'exil balançant son pôle magnétique entre des corps étrangers infiniment plus désirables que celui de Suzanne, inaugurerait bientôt un état de transformation si brutal que ceux qui l'avaient tant aimé ne pourrait jamais pardonner.

Ce serait comme un jet de pierre, un frisson entre la peur de perdre pied et le souffle qui la délivre. Le modèle dériverait vers cette dimension où basculent tous les phénomènes, il ne laisserait que le souvenir d'une pointure taillée dans le cuir, un détail qui perdrait peu à peu son prestige, Le sol changé en petits pas grandioses, le modèle roulerait sa mécanique comme n'importe quelle machine se met à broyer les graviers les larguer derrière elle, jusqu'à ce que la route les disperse sans plus de différence. Il y aurait une étincelle juste avant l'embrasure et l'imminence de l'arrivée ne serait plus un problème pour lui.

 

A suivre ...

 

 Nota : Notre modèle devenant de plus en plus interchangeable, vous pouvez explorer ses multiples facettes en cliquant dans l'image.

 

Etat des lieux : Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coincidence, toutefois cet inventaire (ou démarque) d'objets domestiques, m'a été inspiré par une scène de rue  fascinante d'un déménagement en forme de montagne d'objets familiers représentant des années de vie, de deux personnes dont je n'ai vu que la silhouette de loin. Un aperçu de quelques minutes d'une densité presque aussi effrayante que ces objets qui nous possèdent peut-être chez nous, à l'identique, si par hasard un certain jour, il nous venait l'idée saugrenue de les entasser dans une rue...

 

Photo : Ascension du modèle croissant incognito dans la ville, une procession saisie au corps à corps, sur le grand escalier mécanique de la station Charpennes, menant à la place Charles Hernu anciennement Place de la Bascule à Villeurbanne.

 

Sortie métro  © Frb 2012