mercredi, 23 décembre 2009
Une légende neigèrement Inuit
"Quatre hommes poursuivaient un ours. Celui-ci finit par fuir en grimpant dans le ciel et les chasseurs décidèrent de le suivre. Au fur et à mesure qu'ils montaient de plus en plus haut, un des Inuits échappa une de ses mitaines et décida de retourner sur Terre pour la chercher. Les autres chasseurs continuèrent leur poursuite dans le ciel et on peut encore les voir aujourd'hui, l'un derrière l'autre, poursuivre l'ours. Cette histoire nous est parvenue grâce à l'Inuit qui est revenu sur Terre chercher sa mitaine."
Et cet Inuit qui est revenu chercher sa mitaine, je l'ai rencontré. Il était venu en traineau. (Tiré par des petits ours qui étaient descendus du ciel, je ne sais plus trop pour quelle raison). Et c'est lui, l'Inuit qui avait apporté la neige, mais pas assez de neige pour un si petit traineau. Pas assez de neige, hélas ! pour recouvrir l'immense ville... Alors comme il avait du temps "à tuer", l'Inuit, ("tuer le temps", une bravade à nous, puisque c'est justement le contraire)... Comme il avait du temps, disais-je, nous nous sommes promenés sur la Tabareau, des heures et des heures. Puis L'Inuit a fumé une cigarette, pas pour fumer (vous n'y pensez pas ! malheureux !) mais pour envoyer des signaux à son copain le Père-Noël (Du haut de la rue de Crimée. C'est très bien, la Crimée, pour envoyer des signaux de fumée aux copains qui sont loins, la vue est imprenable, et quand le vent est bon, les messages arrivent aussi vite que des sms). Enfin bref, le Père Noël comme il a un traineau-camionnette, et que justement il faisait sa tournée sur Lyon, on s'est dit qu'il pourrait ramener de la neige, en même temps que les cadeaux. L'Inuit a mis tout ça dans les signaux de fumée, puis on a attendu. Comme il faisait très froid, on a fait les cent pas pour se réchauffer, et puis les deux-cent pas. Toujours pas de Père Noël. L'Inuit a mis son traineau dans mon garage (J'ai pas de garage, mais ça fait rien, avec beaucoup d'imagination, le garage il finit toujours par se construire quelquepart, et si le traineau il s'imagine qu'il est dans un garage, il ne risque absolument rien). Donc on a mis le traineau au garage et on a installé les petits ours bien au chaud dans nos capuches. Et puis on est montés encore plus haut que la rue de Crimée, (C'est périlleux, mais que ne ferait-on pas pour distraire nos petits ours ?) parce que l'Inuit tenait beaucoup à leur montrer le gros caillou avant de s'en retourner chez lui, une fois qu'il aurait recontacté le Père Noël, bien sûr. Il fallait voir comment ils étaient contents les petits ours ! ils faisaient des bonds au moins de deux mètres dans nos capuches. Il faut dire que du milieu de la place, le gros caillou couvert de neige, c'est notre Kilimanjaro à nous. Et si on regarde encore plus loin que l'horizon, on peut voir le Parc de la Tête d'Or, avec des petits bonhommes équipés comme des hommes grenouilles qui font des tours de parc pendant des heures en courant. Il y en a même qui font dix fois le tour, avec un chronomètre énorme accroché au poignet, (comptez 10X 4km en courant combien ça fait de minutes !), et les petits ours quand je leur racontais cette petite histoire là, (c'est quand même nos coutumes !), ça les a trop fait rire. Et il y en a un qui agitait ses pattes, (de joie) et se penchait pour voir mieux les petits bonhommes courir en bas, il se penchait tellement, en agitant ses pattes, (de joie), qu'il a fait tomber sa mitaine. Enfin voilà. La roue tourne et c'est pas facile. On ne s'en sort pas. Il est grand temps que l'année se termine. Et le Père Noël qui n'arrive pas, (je me demande parfois si il existe) Enfin, j'ai quand même pris des photos de l'Inuit, du traineau, et de moi-même. Desfois qu'on me prenne pour une menteuse.
Avis très important : Si quelqu'un trouve une mitaine en laine noire au Parc de la tête d'Or, ou même sur le cours D'Herbouville (sait on jamais de quoi le vent est capable), pourrait il avoir la gentillesse de contacter Certains jours (au Babylone 35-35) ou par signaux de fumée (la maison n'accepte aucun sms, on a été roulés, maintenant on est méfiant). Très forte récompense (✶) à qui nous rendra la mitaine de notre petit ours.
(✶) un merveilleux voyage ICI en traîneau avec le petit ours !
Photo : Place Tabareau, la preuve. Le traineau, les cent pas. Vus (vécus) à Lyon. Pas loin du Kilimanjaro. Et pas loin, non plus de la Noëlle. A quelques jours (oh très peu) du Noël. Patience ! Décembre 2009. © Frb.
07:23 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Mémoire collective | Lien permanent
mardi, 01 décembre 2009
Monter Décembre
Les plus beaux jours de la fête des Lumière ce sont les huit jours qui précèdent la dé-fête finale. Ou Le grand huit (propagande officielle). Et pour celui ou celle qui a la chance (???) de vivre à Lyon, rien n'est plus extraordinaire que de s'y balader jour et nuit ces temps-ci, la tête dans les nuages ou presque, car on jurerait qu'une toute petite partie de la population, je veux dire,"les mécanos de la générale", vivent alors comme ces chats de légende et de contes enfantins, tout simplement perchés là haut. On en trouve dans les arbres, (brésars), accrochés sur les branches, d'autres plus exubérants, embrassent les poteaux, toute la ville semble alors comme un grand cri d'amour où mille fragilités se grisent en suspension. Chaque bosquet monte ses personnages aux plaisirs les plus hauts. Chaque branchage a son prétendant. Eros est sur tous les sommets. Même les blanches mains, jadis glacées de la sainte Vierge, caressent la nuque de ces messieurs qui se dépensent sans compter au souffle d'une "Chanson pour elle".
Que ton âme soit blanche ou noire,
Que fait ? Ta peau de jeune ivoire
Est rose et blanche et jaune un peu.
Elle sent bon, ta chair, perverse
Ou non, que fait ? puisqu'elle berce
La mienne de chair, nom de Dieu !
Ces êtres fols, on en trouve aussi sur les dames (pas des Saintes Vierges, my god !), l'électricité de France à leurs pieds, hommes fourrageant comme des castors à se demander si Décembre, n'est pas à Lyon par excellence, la saison d'une brusque poussée de fièvres mâles qu'une brume doucement retrouvée attiserait dans sa discrète gangue nourrie d'un petit lait frotté aux malins lumignons. La Dame de la forêt Morand, (exemple), qu'on savait de pierre (et de Paul) mais surtout liée à André Pieyre, n'est point farouche quant à laisser les coquins idolâtres chercher à fleur de sens sous un pli de jupon une faille en bris de plâtre qui révèlerait un coin de peau. Amours secrètes des petits génies de l'éclairage boudés par ceux de l'agriculture de l'industrie. Le génie pur et retrouvé, génie de la luminosité. Lyon tel une chaufferie d'amantes, encenserait ces butinages. Ainsi des vigueurs impensables, opèrent un curieux déplacement glissant peu à peu nos promenades aux sentiers d'une carte du tendre.
Quand les dames, les poteaux, les brésars, auront été amoureusement savourés, quand tous les mécanos de la générale, les goûteurs d'éclairages, et les employés doux du puissant GranydoL seront lassés des escalades, quand l'échéance, viendra sans bruit, replacer tout à l'ordinaire. Nous arriverons pile sur le soir du huit. L'heure qu'il est échappera peut-être, mais la procession s'imposera, qu'on le veuille ou non, dans toute sa tyrannie festive. Tout au plus une orgie molasse, après de très beaux précédents. On ne parlera jamais de "ça". La parenthèse qui enchanta, se refroidira comme le marbre, un caillou enfermé dans un coussin de Lyon et pas même un suçon (les suçons sont de Lyon) sur la face cachée du brésar. De ces somptueuses crapettes que vous ne vîtes point ou si peu, lecteurs chéris, (victimes, qui sait ?), je serai prête à parier, un voyage en ballon (avec Solko (?) sous les lampions de la Scala de Vaise) qu'on ne vous en jettera que les miettes. Peut être même un peu moins. Peu importe, que ce soit de l'amour ou du lard, il faudra bien suivre la fête...
Photo: La conquête de la Dame de pierre dans la forêt Morand par les mécanos de la générale du GranydoL, (qui sont de sacrés montagnards !). Lyon, place Lyautey. Première de Décembre 2009. J - 4 avant les premiers allumages. © Frb.
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lundi, 30 novembre 2009
Tous, un, chacun
Hier à l'heure la plus silencieuse le sol m'a manqué : le rêve commença. L'aiguille s'avançait, l'horloge de ma vie respirait, jamais je n'ai entendu un tel silence autour de moi : en sorte que mon cœur s'en effrayait [...]
FREDERIC NIETZSCHE : "Ainsi parlait Zarathoustra" (1). Editions Flammarion 1996.
Lundi, dix neuf heures trente. Nous sommes chaque jour plus sûrs de nous. Dans un monde plein d'images, la notre est dépourvue. Une procession de silencieux sous les "Bose" invisibles. Dissolution en tissus mous des ailes d'ange. Une empreinte animale dans un mouchoir en soie, de l'achat sur les murs et des fleurs fraîches dans les bras de Monique Vandroux, (voir notre photo : troisième personne au fond à droite) à côté de monsieur (assis en face). Et tous ces gens, bacaroulés, le nez dans les pistils safrans d'un bouquet sidérant.
Première merveille du monde : venir à eux sans hésiter, venir à eux, c'est tout, et savoir leur parler. Toute l'innocence des cordes vocales, dans un "je vous en prie, s'il vous plaît". C'est une station longue, atonale. Un crépuscule minier. De la tourbe et beaucoup de sable dans ce chariot achalandé de chairs pures et véritables. Des lèvres pourpres. Des poitrines gonflées. Ici des paniers de salade, là un luminaire empaqueté. A terre quelques publicités en forme de cylindre. Quelques minutes d'un seul tenant, sans jamais respirer. Et l'odeur de la pluie répand, celle du vieux chimpanzé.
Chaque souci dans son enclave. Au signal assuré, à station Foch, le riche est là, Philibert de Saint B. (Cinquième personne à gauche), ensemble tweed, manteau de cuir blanc pour la star Vanessa Coco (styliste cool, assise au bord). Une place à part à son spectacle, Melle Branche (hors champ), qui n'aime pas bien les étrangers, entend chanter a capella "svalutation", par des arabes : "Ils mettent LEURS pieds sur NOS fauteuils, c'est NOUS qu'on paie, quelle déchéance !" et sans cesser de tricoter, jette un oeil sur monsieur Grenier (debout, au centre, en blouson beige) qui baille en moue de vieil enfant. "S'il avait voulu, seulement...". Rêves de jeunes filles. Fiel d'ingrate. Il n'y a que mailles... Des bras s'emparent. Un monsieur à son avantage frotte un genou ingénu contre la cuisse d'une dame d'un âge. La mode est à la bigarade.
Perdus au fond, Juliette et Gilles, (le nez contre la vitre hors champ) en tandem ipodés, découvrent "Diamonds are forever" dans une reprise d'Arctic Monkeys. A l'extase stéréophonique, Monsieur Broix, professeur de lettres, recopie sur un bloc rhodia (16), une note rapide de Jacques Vaché traversant le ciel de la guerre, avec une hâte catastrophique puis s'anéantit doucement, fondu au comité des sucres du réseau TCL, une voix d'hôtesse à cajoler, énumère chaque station juste avant l'ouverture des portes, (automatiques, on s'en doutait) : Hôtel de ville-Louis Pradel, Foch, Masséna puis Villeurbanne-Charpennes, correspondance pour Jean Macé, l'ancien terminus de la ligne B, une sortie en vue imprenable sur la rue Elie Rochette pas loin d'Athènes et des trois pierres. Ou, mettons, prenons le sens inverse : Charpennes-Villeurbanne, Masséna, Foch, Hôtel de Ville-Louis Pradel, correspondance Croix-Rousse, Hénon, Cuire. Là, on emprunterait l'escalier déroulant un traité de bave (sans même une trace d'éternité), mais à discrépances variées. Deux minutes de descente, à retomber dans un cul de sac, pour courir après une ficelle. A cet instant, je règle ma vie sur ton pas, camarade ! et je cours, (court, toujours !), une tortue à cet horizon qui se restreint et m'exacerbe. Madame Lantier avec sa canne (a refusé de figurer). Il m'importe de ne pas louper l'aérienne Croix-paquet, ("cruci-paquet" pour les intimes), station de charme, une forêt de courants d'airs et de chaises alignées. La radio collective abreuve ses passagers, un coup de jet dans les pavillons. Souchon, Voulzy, Cloclo, Maurane. Le plan d'urgence est abordé : ipodage immédiat. Jean-Luc Béraud, (arrière petit cousin de...) pose un oeil consterné sur le corps bleu de ma prothèse. Le tunnel se coltrane. Monsieur Broix, ferme son cartable. Jacques Vaché, pose une grenade sous un drôle de stylo. Monsieur Broix salue monsieur Guy. Et le jeu recommence. Dix neuf heures cinquante six.
Nous étions vingt, nous voici trente. Nous étions des milliers, nous voici vingt ou cent. Ils étaient trois garçons, nous étions deux amants. Vingt cent mille ânes. Et cent-vingt rois. Ils étaient des millions. Six mille huit cent quatre vingt huit milliards. Nous étions trois petits chats...
[...] Soudain j'entendis l'Autre qui me disait sans voix : "Tu le sais Zarathoustra." —
Et je criais d'effroi à ce murmure, et le sang refluait de mon visage, mais je me tus.
Alors l'Autre reprit sans voix : "Tu le sais, Zarathoustra, mais tu ne le dis pas !" —
Et je répondis enfin, avec un air de défi : "Oui, je le sais, mais je ne veux pas le dire !"
Alors l'Autre reprit sans voix : "Tu ne veux pas, Zarathoustra ? Est-ce vrai ? Ne te cache pas derrière cet air de défi !" —
Et moi de pleurer et de trembler comme un enfant et de dire : "Hélas ! je voudrais bien, mais comment le puis-je ? Fais-moi grâce de cela ! C'est au-dessus de mes forces !"
Alors l'Autre repris sans voix : "Qu'importe de toi, Zarathoustra ? Dis ta parole et brise-toi !"
F. NIETZSCHE. "Ainsi parlait Zarathoustra".(2)
Photo : Comme un lundi à l'assaut d'une rame. Métro Lyon, (je ne sais plus précisément où. Ici ou là, dans une rame c'est toujours un petit peu pareil, non ?). Novembre 2009. Dernière.© Frb.
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dimanche, 29 novembre 2009
Petit à petit, l'oisif ...
Johnson - L’oisiveté engendre l’ennui.
Boswell - Si fait, monsieur, parce que les autres sont occupés, de sorte que nous manquons de compagnie. Si au contraire nous étions tous oisifs, nous n’éprouverions nulle lassitude ; nous nous divertirions les uns les autres.
JAMES BOSWELL (1740-1795). Extr. "La vie de Samuel Johnson". Editions "L'âge d'homme", 2002.
En juillet 1877, Robert Louis STEVENSON publia un essai philosophique tout autant qu'une critique (dans la revue Cornhill Magazine) sur la société et sa relation au travail : "Une apologie des oisifs" disponible en français aux éditions Allia, en langue originale sous le titre : "An apologize for idlers". Dans l'esprit magnifique de R. L. STEVENSON, (et l'on notera au passage que nos politiques actuelles dites "de civilisation" n'ont pas encore atteint ce seuil extra de modernité, de bienveillance ; pour ne pas dire qu'elles s'en éloignent...), oisif ne signifie pas "ne rien faire", mais plus exactement (et dans le flou le plus espéré) : "faire des choses intéressantes" qui bien sûr, "échapperont aux dogmes de la classe dominante" il faut bien que l'auteur le mentionne un peu. STEVENSON s'en donne à coeur joie pour critiquer les "besogneux" et cette sacro-sainte valeur-travail, qui n'enlèvera pas pour autant aux humains leur insignifiance. Bien sûr, à présenter comme ça, par ce sujet louant l'être oisif, et qui caresse assez le sens du poil des paresseux, on pourrait vite verser dans la facilité voire dans la complaisance, mais l'imagination solaire (et pas seulement), de STEVENSON, son style digressif, profondément talentueux nous embarquent comme rien. Jamais docte, ni futile, STEVENSON connaît son sujet, évitant les écueils d'une séduction truquée, il se pose en passeur et plus encore, en éclaireur. Ses petits textes gagnent en saveur, quand on les lit, tête en l'air (c'est ainsi que lisent les oisifs), parfois, au bord d'un fleuve drainant tous les lumbagos de sa ville, juste en dessous du tintamarre et du dernier soupir dominical déjà voué aux astreintes de maître lundi. Ainsi ai-je dévoré le livre, sans y penser ! près de la cabane du pêcheur Honoré, fine comme l'aile de l'Anax imperator, tendre comme les pilotis de la maison d' Alceste, que vous finirez bien un jour par entrevoir dans quelque frayage buissonnier, à cette improbable croisée des mondes quand l'oisiveté devient un lit presque amoureux.
Sans réserve, j'adorerai toute ma vie STEVENSON qui me prit par la main un jour d'été afin que je puisse échapper à d'autres sortes de lectures, par exemple, celles de ces organismes qui déjà sur l'enveloppe raccolent votre culpabilité. Celles de ces structures qui vous demandent de leur rappeler ce que vous faites dans la vie, cocher des cases, fournir des preuves, remplir encore, et puis signer avec la date, exactement là, où c'est dit. Le tout "accompagné" par le nom de quelqu'un qui "suit votre dossier" (votre dossier numero tant est suivi par Madame Claude Vairolle) tandis que nous, avant que le papier ne soit posté, nous sommes déjà pris dans la peur des conséquences. Le dossier doit être renvoyé avant la date prévue, notée en gros (en rouge parfois) sinon, gare ! s'ensuivront de sourdes menaces aussi lourdes en malentendus etc... Rien que du très banal, mais du très banal de survie.
Pour avoir subi deux fois le même entretien dans une pièce sans fenêtre, couleur papier kraft, avec je ne sais quel employé diplômé dans les ressources sociales (c'est pas comme ça qu'on dit ?) asservi à vous "reclasser", (parfois on peut très mal tomber)... Pour avoir, par le commerce avec monsieur le subordonné, éprouvé quelques temps la certitude, qu'il fallait urgemment que je sois reclassée, ou que je meurs à petit feu voire sur le champ ; à moins, que j'accepte obligatoirement un autre entretien avec une subordordonnée supérieure et plus spécialisée dans les cas plus ou moins "sensibles" comme ils disent... N °456, deux heures de chaises en plastique orange un gros tas d'épaves dans mon genre tous diplômés des écoles d'art, des comédiens postulant pour figurer (en figurants) dans un futur "Louis la Brocante", des plasticiens portant à bout de bras, des books monumentaux remplis de photos d'installations en plexiglass qui n'intéresseront pas. Tous, présentables pour la carrière, au rendez vous de la dite chef des subordonnés. Pas de quoi pavoiser. N° 456 ? -" Oui, le 456 c'est moi ! bonjour madame !'. Rampant et lèchant le pied de mon sauveur : "bonjour madame la subordonnée supérieure etc etc...". Pour avoir foulé un instant le bureau d'une haute responsable de l'ANPE (lisez encore pour la poilade = de "l'ANPE des artistes", il y a des jours où on se demande qui a crée ces mondes...), qui regarda une demie-seconde mon piteux Curricoucou.V que j'avais tapé à la machine toute la nuit , recommencé cent fois ... Face à cette dame très importante qui, ne comprenant pas le genre de diplôme que j'avais obtenu, me dit (en secouant sa grosse tête de lionne, emmanchée d'un petit cou de serpent à tordre) : "Vous ne comptez tout de même pas trouver un travail avec ce genre de diplôme là ?". Que dire ? Répondre - Ben si !" serait d'une insolence... Donc écouter. Oui. "Chercher la solution ensemble", comme elle disait. "La solution, (ensemble ) c'est de vous envoyer au bureau de l'anpe normale pour un reclassement, voilà tout !". Que dire encore ? Répondre que j'en revenais tout juste, et que c'était même le subordonné, son inférieur de "la normale", qui m'avait envoyée ici ? C'aurait été d'une imprudence ! Ainsi, ai-je durant des jours (semaines ? mois ?) gaspillé ma jeunesse en cheminant, de l'anpe "normale" à l'anpe des "artistes", (c'était le temps où rien n'était regroupé, aujourd'hui ça a fusionné, l'idée est d'ailleurs formidable !!!) pour trouver (ah, j'ai oublié de le mentionner, pardonnez moi), pour trouver un travail. A la base c'était ça l'idée. Trouver un travail. Voilà.
Pour avoir vendu des espadrilles invendables dans une vague chausseria de la fosse aux ours (on en rit encore, moi pas vraiment), pour avoir classé des barboteuses par ordre alphabétique dans un magasin du genre Grobaby rue de la Barre, pour avoir emballé des éléphants imitation Ganesha en pseudo bois écolo-gaga (méfiez vous des imitations !) et des bougies idiotes aux vertus relaxantes à l'Hippopotashop du grand centre commercial la part-Dieu par la grâce du reclassement et de mes diplômes prestigieux... Pour tout cela, oui, sans réserve j'adorerai toute ma vie STEVENSON, qui, par ses beaux écrits me l'a en quelque sorte sauvée. La vie. Je veux dire la vraie. (Pardonnez la syntaxe), et par la grâce... (La vie, encore ! n'est pas si mal foutue, au final) de mon "supérieur hiérarchique" = oyez ce terme qui sonne diable ! comme une tautologie à en tartuffer les babouines et les babouins qui se disputent leurs Kinder bueno autour d'une machine à café ; mon patron, donc, (restons simples) du magasin de la fosse aux ours, qui n'était pas un mauvais patron (j'adore le patronat !), juste un monsieur âgé, genre vieux singe fatigué par sa propre grimace, qui avait pris la peine (tout de même!) de lire en entier mon "parcours", me convoqua dans son bureau un jour d'été pour m'annoncer : "Enfin je ne comprends pas, vous n'avez rien à faire ici", j'ai répondu "ben oui je sais bien ! et puis de fil en aiguille, comme j'étais plus ou moins virée, nous bavardâmes un brin, le monsieur, m'avoua qu'il s'ennuyait assez dans son métier qu'il avait plus ou moins choisi et qu'il se préparait un départ avant l'âge, pour se retirer à tout jamais, dans les Cevennes afin de passer ses jours à se promener et lire ses auteurs préférés, drôle de destin pour un roi de l'espadrille.... De là il me parla du "Voyage avec âne dans les Cevennes" puis de fil en aiguille d'un autre petit livre... C'est un comble, mais grâce à cet homme admirable, je découvris les pensées de STEVENSON et par delà cette très fugitive apologie du patronat, celle des oisifs.
Ainsi effeuillant au plus loin, une biographie de chausseria, les affres de petite quotidienneté, j'aimerais, vous présenter monsieur STEVENSON (faites entrer !). Au grand luxe des flemmes, sous un soleil d'automne baillant dans un ciel doux un peu lacté, de l'heure du coq à l'heure du chien, sur des rives aquarellisées, quand chaque fraction de secondes, entrent toutes en béatitude et peignent la girafe aux frais de l'empereur. Monsieur STEVENSON en personne traverse la grande allée, pour nous montrer les beaux sentiers, en déchirant nonchalamment quelques dossiers, et autres pages un peu tâchées...
"Une apologie des oisifs". Extrait :
"[...] Je n'ai pas le temps de m'étendre sur ce formidable lieu d'instruction qui fût l'école préférée de Dickens, comme de Balzac, et d'où sortent chaque année bien des maîtres obscures dans la science des aspects de la vie. L'élève qui fait l'école buissonnière [...] peut tomber sur un bouquet de lilas au bord de la rivière et fumer d'innombrables pipes en écoutant le murmure de l'eau sur les pierres. Il entend un oiseau chanter dans les halliers et là, il se laisse aller à des pensées généreuses et voit les choses sous un jour nouveau. Qu'est ce donc si ce n'est de l'instruction ? [...]"
Nota 1 : Toute ressemblance avec des situations réelles, ou des personnes existantes ou ayant existé serait fortuite et indépendante de ma volonté.
Photo 1 : Le pêcheur Honoré, au bord de son fleuve sacré, pêchant pour rien. Vu côté berges du Rhône, à l'heure du coq.
Photo 2 : Un autre petit coin de berge, et son brésar déplumé photographié par l'oisive même, juste après le départ d'Honoré, à l'heure du coq, s'acheminant cahin- caha, vers l'heure du chien. Lyon. Avant- Dernière de Novembre 2009. © Frb.
Nota 2 : Pour des raisons bêtement techniques, je suis désolée de ne pouvoir actuellement, visiter, les blogs amis autant que je le souhaiterais. Je vous remercie ô commentateurs ! de venir ajouter un grain extra, au jour le jour, à C.J. et j'ose espérer, être en mesure de reprendre à loisir, ces balades virtuelles, appréciées aux domaines kamarades.
10:38 Publié dans A tribute to, Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Mémoire collective | Lien permanent
lundi, 16 novembre 2009
La musica ideal (Part I)
21 secondes sur un grand radeau
00:40 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De la musique avant toute chose, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Mémoire collective | Lien permanent
mercredi, 11 novembre 2009
Approximations
les cloches sonnent sans raison et nous aussi
nous partons avec les départs arrivons avec les arrivées
partons avec les arrivées arrivons quand les autres partent
sans raison un peu secs un peu durs sévères
pain nourriture plus de pain qui accompagne
la chanson savoureuse sur la gamme de la langue
les couleurs déposent leur poids et pensent
et pensent ou crient et restent et se nourrissent
de fruits légers comme la fumée planent
qui pense à la chaleur que tisse la parole
autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous [...]
TRISTAN TZARA (1896-1963): Extr: "L'homme approximatif". Editions Gallimard 2007.
Les cloches sonnent sans raison. Nous ingérons mollement un peu de tout et son contraire. Tony troque son rêve d'enfant pour un nécessaire à prison. TZARA croise Tony, une seconde à peine. Les deux ont sans doute pleuré longtemps sur la route, une valise à la main. Le temps d'arracher à la camionnette sa béance pour quelques biftons. De broyer les rouages du monde, d'en extraire l'acier, de renverser la dette de la renvoyer muette, à son acte de contrition. Peu importe si l'histoire est fausse. La rumeur est lancée. Elle deviendra légende. L'anti banque frôlera l'anti-art. Les fulgurances sont éternelles, c'est à peu près tout ce qu'on en sait.
Ailleurs, Tristan trie les coupures, des papiers durs, des papiers doux. Il pose sur sa tête, un entonnoir volé au brigadier Hugo, chef des fanfares au cabaret. Des fantômes glissent à l'embouchure. On en fera des tire-bouchons, un entonnoir, plus strident qu'une trompette, plus sourd que la corne de chasse. Au fond des bois, l'auteur deviendra étranger, sciant la branche qui le porta. Soufflant à nous ensucrer les muqueuses dans un pipeau en chocolat.
Une fable poursuit le poète, cassée par des sonorités cruelles, pas d'antidote pour l'anti tête, qui raffole des portraits sépia. La caravane abonde, un convoi mis à nu visant le Dchilolo Mgabati Bailunda. Les chiens de bonne famille aboient. TZARA parle tout seul. Il fracture les coffres aux soirées folles où l'on trempe les amuse gueules dans les petits suisses, jusqu'à l'effritement de la harpe à Dada, tout s'ébauche sans peine à Zurich, là où la guerre (14-18), (c'est décidé), n'existe pas. Tout retourne au désert, sur des sables branligotants, des oasis mis à l'envers sont balayés par le courant. On jase encore des nuits entières dans le dos de monsieur bleu bleu, tout sautera dans la bétaillère avant qu'un nouvel ordre enchaîne. La poésie mangeant les cheveux de ses ancêtres avec les doigts. Sur la stèle écrasée de lettres, Dada glisse son piège à rats. Ainsi toute une bande de pouêts, embrasés, dans la joie, posera son cul à la fenêtre pour rien. Juste comme ça.
Un feu rapide pulvérise ses proies. Un autre temps, inédit se précise par le verbe chauffé à blanc, les proies se noient, brûlant des vie de jeunes fauves aux bûchers tendrement. Quelques réjouissances éphémères sur un sourire fondu en sang, et recraché dans le Grand verre. TZARA épuisera sa pudeur à dénuder des souveraines que le royaume n'intéresse pas. Au cabaret Voltaire, le pseudo, étripe sans cesse les formules incontrôlables le fatum, l' ironie du sort. Le prénom juif de Samuel, se fera wagnérien.
Dada compose de l'art plastures de la littératique. Partout, ailleurs des hommes tombent. On pleure. On creuse. On cautérise. Dada la boucle, Dada fait mine. Des alphabets pierreux s'érigent, les paysans comptent les corps. Des filles hurlent d'horreur, aux vues de leurs fiancés, des soldats valeureux revenus de très loin, avec des gueules cassées. Pendant ce temps, Tristan coule son or en fourbis dans toutes les fissures. Par ce bel évasement s'échapperont des oxymores :
"Ainsi fûmes-nous désignés à prendre comme objet de nos attaques les fondements même de la société, le langage en tant qu'agent de communication entre les individus et la logique qui en était le ciment."
L'être humain se désarticule. Au cabaret déboulent les monstres de Léonard. On fermera les portes du lieu 6 mois plus tard pour tapage nocturne et tapage moral. Mais peu importe ! un épandage planétaire aura eu lieu. Irréversiblement. A la queue des belles lettres, à leurs pleins et déliés, s'aggrippent à jamais au bout d'une ficelle, la sangsue et le staphylin guettant le verbe invertébré. Tout le décor du monde n'y pourra rien changer, ni biffer l'unité de mesure vouée aux cartons d'emballage. L'alexandrin se meurt sur des crocs de bouchers. Le parnasse survivra pour la pérennité mais de sa bouche exsangue ne sortiront que des voyelles déjà sciées sur l'établi du prophète ardennais qui avait entendu, bien avant que ne se gonflent tous ces coussins d'oiseaux, le murmure de monsieur Cri Cri en de lointaines incantations. Appliqués à toute chose, les déchets s'élaborent dans le photomontage. Kurt Schwitters à Postdam éructe l'Ursonate. Bientôt une autre guerre. Entre les deux trappes mondiales, la phonétique attaque le temps... Et enfin, "La main passe"...
"Marié aux larges masses d'insoumis, brassé dans l'universel attroupement des choses, livré aux dénicheurs de graves tourments, aux radicelles humaines figées dans le recueillement et la complicité des jaloux, tu te regardes accomplir les gestes quotidiens dans les limites serrées des souples branches. Au désir de papier buvard, tu t'opposes, tu t'agites sous le vent d'un sillage toujours en fleurs. Que je n'arrive pas à distinguer des choses les fantômes des parties qui ont aidé à leur épanchement hors de moi, cela est dû à la continuité de leur action médiatrice entre le monde et mon adolescence. Et, désormais soumis à un sentiment, morcelé et étranger, de gouffre, pouvais-je, sinon subir avec terreur leur désertique et ferrugineux appel? Tout l'espace terreux se cabrait sous les bancs de nuages. Je me suis entouré d'hivernages fragiles, de forces desséchantes. Que reste-t-il d'humain sur les glabres visages tannés par les lectures et les astreingeantes politesses des dossiers dont je me suis constitué un décor famélique? Coutumière faiblesse il sera dit un jour de révolte que les yeux qu'on a cherchés étaient vides de la joie des hommes. Et les hommes et la joie, j'ai toujours essayé de me mêler à eux, à défaut de la féroce fusion promise que l'on trouve cependant encore vivante au fond résiduel des contes, parmi les germes de froid et les portes parsemées d'enfances."
Tristan TZARA . La Main passe - 1935 -
Photo : De "l'anti-art", à "l'anti-banque", le courant passe. Les mains sont vides et les sacs toujours pleins. Tandis que TZARA reste toujours introuvable, C.J. retrouve la trace de Tony Musulin (de dos) déguisé en détective privé pourvu de faux diplômes du passeur doux vaguement notaire. Vu il y a quelques jours, avant la réddition. Et un peu plus de trois ans avant nos épousailles. Lyon, rue Gentil. Novembre 2009.© Frb
22:40 Publié dans A tribute to, Arts visuels, De visu, Le monde en marche, Le vieux Monde, Mémoire collective | Lien permanent
mardi, 10 novembre 2009
Passer à côté de l'amour
A une petite seconde près....
04:35 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Le nouveau Monde, Mémoire collective | Lien permanent
mercredi, 14 octobre 2009
La vogue indifférente
04:39 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Le nouveau Monde, Mémoire collective | Lien permanent
dimanche, 11 octobre 2009
Souviens toi, barbe à papa...
Il pleuvait sur Lyon ce jour là.
Encore un tour à la vogue sous un ciel moins clément mais dans les senteurs folles des sucres parfumés, près du nuage rose, improbable cocon, sur une autre ancienne route de la soie, celle ci comestible, un pastel odorant remué par une dame aux belles mains ouvragées ; ( on apprécie autant la "petite cuisine" que "barbe à papa mobile"). Ces brassées franches osent l'excès des petites folies de l'enfance, travaillent la réminiscence au corps même des passants plus âgés, et de ces petits vieux, superbes, insolents de santé qui vont à l'onctuosité, comme jadis à la kermesse. Un souvenir de demoiselles en robes Vichy, paletots à cols froufroutés, celles à qui l'on offrait des chouchous et cette friandise fameuse sur la place promise, une générosité qui souvent se troquait en baisers...
Pour ma part, je trouve la barbe à papa, plus jolie à regarder qu'à manger, un peu comme la meringue, écoeurante et fade au palais (mais tous les goûts étant dans la nature), je laisse le lecteur ("barbe à papaphage"), envier l'aubaine des cruci-roux qui chaque jour, partant et revenant de leur travail peuvent se coller la bouche (et les doigts, et la tête...) dans l'opulence trompeuse de ce fil à fil adoré. Pour le plaisir des mots, rappelons au lecteur, reluqueur de friandises, quelques autres péchés mignons du même genre : Berlingots, calissons, fraises tagada, carambars, niniches de Quiberon, bêtises de cambrai, nougats, rigolette, pommes d'amour... Bien de quoi se consoler par ces temps quelque peu acides.
Lien gourmand pour les incorrigibles :http://www.euro-info-tourisme.com/France/barbeapapa.html
Photo : Rien n'est plus beau que "les mains de la dame dans la barbe à papa" encore plus fascinantes que "les mains d'une femme dans la farine" glorifiées par Claude Nougaro. Vu, Boulevard de la Croix-Rousse en plein coeur de la vogue (aux marrons), entre Jutard et Chanteclerc. Lyon Octobre 2009. © Frb.
23:00 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Impromptus, Le monde en marche, Mémoire collective | Lien permanent
jeudi, 01 octobre 2009
Prélude à l'après midi d'une fauve
Madame Octobre sillonne la ville portant le mois à l'apogée de ses couleurs : coiffe orangée, veste ceinturée ocre, chaussures châtaigne parcourant le sol de lune qui longe la place Liautey, territoire ordinairement (ou extraordinairement) réservé à la Dame de pierre, qui boude, (un brin Junon, statue jalouse ? ) et redoute peut-être, que cette nouvelle beauté (Madame Octobre, dans ses habits de fête) ne lui ravisse la vedette. Hautaine Dame de Pierre, au vilain caractère, plus blanche que le poète qui vint à sa rencontre et termina sa vie enseveli dans sa forêt... Tandis que le mois roule ses ombres et ses rousses, plus loin mais de l'autre côté, un écureuil, animal splendide, déguste sa noisette au sommet d'un grand hêtre.
Plus tard vers midi trente, Madame Octobre a traversé le pont Morand et j'ai suivi son pas jusqu'à la rue de Sèze, où devant la vitrine d'une pâtisserie-confiserie, Madame Octobre a regardé des flans au caramel, et les meringue roses floconneuses comme neige... Elle est rentrée dans la boutique, a un peu hésité et puis elle est ressortie. Devinez ce qu'elle a pris ? Un flan au caramel pardi ! moelleux comme les feuillages qui caressaient la lune, un flan au caramel assorti à l'habit. Ensuite, Madame Octobre s'est engouffrée dans une allée, je l'ai perdue de vue. Mais depuis que je sais, j'ai planté mon tipie rue de Sèze, et très assidûment je guette la sortie, (s'il est possible de rêver), de cette merveille d'homme : Monsieur Octobre... (Dont la légende raconte qu'il est repérable à sa puissante chevelure poil de carotte et à ses yeux noisette... )
"Ah ! Que le temps vienne !" ...
Photo : Allégorie d'Octobre, ou la femme faite saison (et réciproquement), vue au sortir du Pont Morand, et filée discrètement le long de la place Liautey, jusqu'à la rue de Sèze. Belle augure du premier jour d'Octobre. Le Gnomon de la Bacchante ne marquant toujours pas la date exacte, on attend. J'ose espérer, (toutefois) que ce petit retard sur les jours saura paresseusement rajeunir son lecteur (et sa lectrice) et les harmoniser au premier jour d'un temps qui s'éternisera sans doute encore un peu, à volonté. Lyon, rive gauche. Premier jour d'Octobre 2009. © Frb
22:20 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Le monde en marche, Le nouveau Monde, Mémoire collective | Lien permanent
samedi, 12 septembre 2009
La meilleure façon de marcher
"Marcher dans la foule signifie ne jamais aller plus vite que les autres, ne jamais traîner la jambe, ne jamais rien faire qui risque de déranger l'allure du flot humain."
PAUL AUSTER : "Moon Palace"."Le livre de poche", 1995.
Pour l'habitant des villes la meilleure façon de marcher est encore de mettre un pied devant l'autre, et de recommencer, Confondu dans le flux, il se laissera glisser, rongera son frein, s'empêchera de penser, même si parfois sur quelque ralenti de maudites carcasses empêtrées, lui viendrait presque une envie de tuer. Qu'on accorde ce droit aux marcheurs quotidiens des villes ordinaires, et il ne faudrait pas attendre trop pour voir venir le temps des assassins. Mais il a existé aussi des marcheurs très bizarres, qui, par un mouvement de parade culottée ou autre puissant contresens, donnant, presque sans le faire exprès, un coup de pied dans la fourmillière, accélereraient un brin, le dé-consentement général, et par là même, perturbant l'assurance (générale également), déplieraient tous nos membres, exploseraient le sens de la marche, de la vitesse aussi, puis dissémineraient les osselets jusque dans les étoiles. Ainsi, on aurait on déjà oublié, ces nombreux dissidents du pied et les givrés de l'arpentage ? De merveilleux fous marchant, en réalité. L'espagnol Zlilio DIAZ, un baladeur à sphère, nostalgique, enfantin, marcha en poussant pendant 18 jours, un cerceau, qui l'aida à couvrir 965 km. Il y eût aussi les marcheurs sur les mains (un grand classique !), les marcheurs à cloche-pieds, et surtout les marcheurs à reculons, (très bon pour la santé). Le texan Plennie L. WINGO en 1931, partit à reculons pour aller du Texas à ... Istanbul, (océan non compris, évidemment !). Il eût un disciple en 1980, qui entreprît de réunir New-York-Los Angelès, à pied, en marche arrière, et s'aida de lunettes à rétroviseur afin de réussir l'exploit. Mais il existe encore d'autres marcheurs plus farfelus. En Novembre 1889, trois autrichiens arrivèrent à pied à paris. Ils avaient franchi la distance Vienne-Paris, en poussant une brouette dans laquelle, chacun à tour de rôle avait le droit de s'asseoir. La durée du voyage durant exactement 30 jours. Le 17 Avril 1891, un habitant de Luynes, se mit au défi, de se rendre de Tours à Paris sur ses béquilles en moins de 8 jours. Peu fervent de ce genre d'appareils, c'était un vélocipédiste convaincu, qui s'était lors d'une chute, fracturé la jambe droite, et ne tenant plus en place, cherchait à occuper du mieux possible ses loisirs forcés (Que nos lecteurs à béquilles en prennent de la graine !). En décembre 1891, un marchand des quatre saisons d'Aubervilliers (L. WEX), entreprit de faire le trajet Paris-Liège (et retour), en 9 jours, tout en tirant la voiture servant à son commerce, laquelle pesait la bagatelle de 200kg. Le Pari fût là encore, réussi. Enfin toujours pour cette année épatante, de l'an 1891, qui vit (sait-on pourquoi ?), tant de déplacements extraordinaires, un habitant de Nîmes, se rendît à Paris dans une voiture tirée par un chien danois. Le 17 mars il avait été doublé par un Marseillais, qui relia sa ville natale, à Paris, dans une voiture tirée par quatre gazelles, rapportées d'Afrique. Voilà de quoi fourbir des idées à notre lecteur si un jour il s'ennuie (à mourir) en marchant. Personnellement, je préconiserai volontiers le retour de la charrette à bras, dans nos villes, ou de l'élégante chaise à porteurs, tirées par un quelques echnidés à bec droit, ou par un tranquille Helix Pomatia... Une idée entre mille pour sauver de manière amusante, si ce n'est la planète, un petit peu de son grain extra.
Pour les sceptiques, les chatouilleux du pied, il nous reste Rosalie Dubois déterrant un chant de guerre plus que jamais d'utilité publique. Un hymne véritable, qui s'appelle "Marche ou crève", même si l'époque a délogé ses derniers footeurs de pavés et autres agités à brouettes il ne s'agit plus tout à fait de rouler gentiment son cerceau près de la marcheuse, qui chante pour se donner du coeur. A ouïr, je vous préviens c'est un peu, délicat. Ce qui inspirera peut être à nos plus téméraires ou aux rares touchés par le signe sacré de grand maître Nagra, d'essayer de bien faire marcher ses oreilles. Ou de marcher avec les oreilles, en voilà une idée, pourquoi pas ?
Si la foule vous fatigue, il n'est pas encore interdit de dériver avec G. Debord : ICI
Source : Guy Bechtel et J.C. Carrière : "Le livre des Bizarres" Editions R.Laffont 1991.
Photo : L'immobile à valise, perdu au coeur du flux. Surpris en arrêt, près de l'opéra, comme un personnage de l'oncle Jacques, submergé par le sens de la vitesse. Sorte de monsieur Personne, déguisé en monsieur Tout-le-monde, (comme quoi l'habit ne fait pas toujours le moine), le seul que je vis ce jour là, courageux, impassible, unique au monde, piqué de longues minutes, planté là au milieu de tous, et il fallait oser : SANS RIEN FAIRE. Hommage à ce héros, dernier homme parmi les Hommes,. Une occasion rêvée, de filaturer la valise, belle comme un sou neuf et qui posa pour moi, rutilante, ( à l'insu de son papa ;-) A se demander si ce n'était pas cette valise qui mettait l'homme dans cet état. J'aimerais croire que non. Lyon, quartier Terreaux-Opéra, vu le 12 Septembre 2009. © Frb.
20:54 Publié dans Art contemporain sauvage, Balades, De visu, Le monde en marche, Le nouveau Monde, Mémoire collective, Transports | Lien permanent
mercredi, 09 septembre 2009
Lucien du plateau
Comme un mercredi
Le "typique" Croix-Roussien du mercredi semble toujours en vacances. Mais je n'aime pas le mot "typique", ni le mot "atypique" d'ailleurs, (nous reviendrons sur le sujet peut être un jour)... Le Croix-Roussien "né "ou de forte adoption, connaît chaque comptoir comme sa poche, chaque banc du boulevard, ayant usé jadis ses fonds de culotte, en se laissant descendre comme j'te pousse, sur les rampes d'escaliers de la cultissime Pouteau. Allant toujours à pieds, parfois à bicyclette, et abonné au 6 pour le principe. Plus tard, toujours en bras de chemise, jeune homme un petit peu raboulaud, bourru juste ce qu'il faut, rigolard (comme sa boule), un brin coquin, pudique assez, (comme tout lyonnais qui se respecte dit-on), on le retrouve, avec les copains, bras croisés au milieu de la Jacquard et refaisant le monde. Toujours prêt à retarder la fermeture du Jutard ou de la Soierie avec la politique, "Les politiques, tous des guignols !", des séries d'histoires savoureuses (avec ou sans calembours), ou des souvenirs du temps des marrons de la vogue, tandis que la femme du Gaby lui rechanterait "emmène moi danser ce soir", encore mieux que la vraie, un sacré coffre pour une si petite bonne femme. Le Croix-Roussien à l'ancienne, est villageois, bouliste (ça !), il attend la saison de la vogue même s'il trouve que les gaufres ont pas le même goût qu'avant, même s'il déplore. Oui il déplore des tas de choses. Mais à quoi bon ? Il finira sa phrase par : "qu'est ce t'en dis ?", "que veux tu !". Le Croix-Roussien du mercredi il est déboussolé depuis que la boulangerie de la rue d'Austerlitz a changé de propriétaire, il y a bien des années, mais Lucien ne s'habitue pas. Il aimait tellement la serveuse, la fille aînée du boulanger. Sa petite folie... (Mais rassurez vous, les amis, je ne vous referai pas le coup de la Pomponnette ni de la femme du boulanger version "quenelles" à la sauce mère Brazier, non, pas encore.)... Donc, la serveuse elle lui disait en sortant comme toujours les deux pains d'un kilo, et de quoi mettre sur la balance au moins deux cent grammes de chouquettes au sucre : "Alors,msieur Lucien ! ça sera comme d'habitude ?" Il souriait exprès parce qu'elle lui rendait toujours le sourire en même temps que la monnaie. Et quand elle lui souriait à lui, Lucien rajeunissait de vingt ans, et après, sur le chemin du retour, il se sentait comme Jean Gabin (evidemment, dans "Quai des brumes"). Desfois, il se faisait beau exprès, pour le plaisir de plaire, la chemise bleue azur, assortie à ses yeux, il ajoutait alors, une petite touche de senbon, celui pour les grandes occasions, le sien, "brut de Fabergé" et mouillait bien son peigne pour faire un effet gominé comme Jean Gabin encore mais dans "Le cave se rebiffe", ça lui faisait des effets de stries et un cran formidable dans les cheveux, il aimait bien. Alors il marchait tout doucement, savourant au printemps les glycines abondantes glissant aux portes des jardins ou l'automne, accueillant, débonnaire, la rousse voltigeuse posée comme un gros papillon sur sa chemise bleue. Et il allait s'en jeter un, à l'angle, Denfert-Rochereau-Gorjus, pour se donner du courage, il croisait les copains en train de taper les cartes chacun avec sa fillette de Saint Jo. Les copains lui disaient "Dis dont Lucien t'es drôlement beau, tu vas à la noce ?" ou d'autres plus familiers, lui balançaient, hilares, une grande claque sur l'épaule avec leurs grosses mains larges comme des palettes, "Mais regardez moi ça, le Lucien qui s'est mis sur son 31, alors Lucien ? C'est le grand jour ?", Lucien riait à pleine dents et ajoutait mi-heureux mi-penaud :"taisez vous dont, bande de couillons". Un jour, par la faute au "Rasteau-prestige", il avait parlé de la serveuse, à tous les bougres du bistro. Oh trois fois rien. Deux petites coquineries, juste une fanfaronnade, mais correcte, pas de quoi faire des ragots. Il s'était vanté de faire tomber la monnaie exprès à la boulangerie d'Austerlitz, et d'avoir mal au dos exprès, juste pour voir la vendeuse venir de son côté et se baisser exprès. Là il avait encore dindonné, avec une voix grave, roulant ses yeux comme le pompon d'un "manège à lui" bleu, du privilège d'avoir pu contempler les cuisses de la fille de la boulangerie d'Austerlitz, "les plus belles de toute la région". Il avait détaillé un peu le bout de culotte une fraction de seconde aperçue, "une culotte toute en dentelle, ah cré vindieu, les gars !"... Alors, les jours suivants à la boulangerie d'Austerlitz, il y avait eu un drôle de défilé. Les gonsses de la bande du bistro, un à un ou par deux, étaient tous allés chercher le pain là bas, en plus très croustillant, le pain, et la serveuse bien davantage, tous un par un ou deux par deux, avaient fait tomber leur monnaie, à qui mieux mieux, l'un feignant une luxure de la hanche l'autre tirant la patte comme un grand blessé de guerre et la serveuse, jolie comme un coeur, serviable, à souhait, vingt ans à peine très charitable, fit alors quelque gymnastique en toute ingénuité, pour ramasser les pièces de ces messieurs, tandis que les gognands filous, fiers comme la Baraban, se rinçaient l'oeil abondamment. Mais quand la chose tourna en habitude, Lucien mit de l'ordre dans tout ça. Et comment ! La serveuse, on n'y toucherait pas ! Le poing avait pété bien fort au milieu de la table. La voix avait tonné. Et quand Lucien tonnait cela faisait bien plus d'autorité que les sermons réprobateurs du père Panier à Saint Bruno. Lucien savait comment se faire craindre. Il était droit. Il aimait l'ordre. Et c'est pour ça. Parce que très droit, qu'ici on respectait Lucien.
Au fond Lucien, il regrettait. Il aurait bien aimé être comme Jean Gabin (mais dans "Touchez pas grisbi". "ah ça oui !")... Comme Jean Gabin quand il enlace la secrétaire. C'était comme ça qu'il voulait faire avec la petite serveuse de la boulangerie d'Austerlitz. Mais Lucien avait des principes. La probité toujours. Le dimanche, il jouait aux boules avec le père de la gamine. Il s'était dit : "ma foi ! ça serait quand même dommage de trahir un copain, de salir la Croix-Rousse pour une tocade sous un napperon de dentelle". Il continua à courir au pain et sans rien faire, ni laisser paraître son béguin, il goûta gentiment à ses deux minutes de bonheur, un salut quotidien. Desfois le moral ça tient à rien, à presque rien. Puisque Lucien, même en costume, n'était pas Jean Gabin. Il avait pour lui ses yeux bleus à glisser doucement dans les yeux gris, à reflets mauves de sa serveuse. Deux superbes minutes par jour, ce "presque rien" tenant le fil des autres jours...
Le temps passa. Un jour, le boulanger de la rue d'Austerlitz, mit une affichette en vitrine : "changement de propriétaire". Et pour Lucien, ce fût l'apocalypse. Un autre boulanger s'installa, avec une autre serveuse. Le pain était moins croustillant, la serveuse quoique pas vilaine, n'éveillait pas le quart de l'ardeur que Lucien ressentait pour l'ancienne. Mais vint une toute autre blessure : chaque jour, au lieu du doux de la précédente serveuse "Alors msieur Lucien ? ça sera comme d'habitude ?" la nouvelle lui demandait sèchement : "Et le petit monsieur qu'est ce qu'il veut ?". "Petit monsieur !" jour après jour, de quoi détruire un homme. Et cette façon de s'adresser aux gens à la troisième personne du singulier ! "non mais vraiment !". Alors il répétait mollement : "deux pains d'1 kilo, et deux cent grammes de chouquettes"... Le fait de répéter mollement, jour après jour, lui fît sentir le poids du temps, tous ces kilos de pains mangés, que de chouquettes en une vie ! toutes ces années déroulées, sans souci, en croustillant. Et la nouvelle serveuse revenait au pas de charge, cassant encore la rêverie du vieil homme qui n'en pouvait plus de souffrir pareillement. "C'est pour manger tout de suite ou il veut un petit sac ?". Lucien toisait la nouvelle serveuse, blanc comme un mort : "Manger tout de suite deux pains d'un kilo ! Lucien, il veut pas qu'on l'emmerde, un point c'est tout". Lucien rongeait son frein, poussait son coup de gueule dans sa tête puis muet, il prenait la porte, la mâchoire rentrée presque dans les épaules, homme lapidé, réduit déjà par l'ordinaire ritournelle, chantée sans coeur, sans la moindre considération ni pour le pain, ni pour les gens. Lucien sortait digne pourtant, déchiré en dedans et chaque jour lâchant un austère :"à demain mademoiselle", rêvait d'une vengeance prochaine. La réponse du berger à la bergère serait terrible. Un jour viendrait. "Qui sème le vent, récolte la tempête, ils verraient bien"...
A partir de la date du changement de propriétaire, Lucien porta sur son dos, tout le poids de la colline. Mais sa peine s'étendait bien au delà. Aujourd'hui Lucien n'allait pas. Il n'allait pas parce que plus rien n'allait dans ce foutu quartier. Comme si des bouts manquaient, et qu'à la place, toutes ces nouveautés, agrémentaient d'une béance, le désert qui avançait. La révolte s'esquissait mentalement ou sur des coins de nappe. Il n'aimait pas les nouveaux réverbères de l'esplanade du caillou. Cette esplanade, ces réverbères "c'est du n'importe quoi !". Il n'aimait pas la nouvelle boulangerie, une autre encore, qui venait d'être rénovée pas très loin du métro. Pourtant irréprochable. avec des serveuses très aimables, mais on entrait et on se gelait dans l'air conditionné, déjà, une façade de laboratoire d'analyse médicale, c'est triste, mais une boulangerie chirurgicale, qu'en penser ? Lucien disait "Bientôt ils s'habilleront tous en cosmonautes pour nous servir du pain". Il n'aimait pas non plus les nouvelles chaises du café de la soierie, de ces chaises qu'on voit dans les catalogues norvégiens, avec des couleurs de cafards, cette mode de repeindre les murs, le mobilier en marron chocolat."Vert pistache et marron chocolat après "saumon" manquait plus que ça ! Elle est triste la jeunesse !". Il n'aimait pas les guirlandes de Noël toute l'année, à la terrasse du Chantecler. Comme si la vie entière était une veillée de noël "on nous prend pour des... On n'est pas des...". Il n'aimait pas ces landaus à deux, voire trois places ralentissant le pas sur le marché, une recrudescence de jumeaux, de triplés, "Il doit y avoir des trucs dans l'air, des OGM, des hormones, ché pas quoi !" et Lucien marmonnait sa guerre contre la vie de maintenant tout en marchant. Marcher c'était son vaccin contre la rage. Un remède pour ne pas imploser. Il coléra encore dans sa tête, à propos des barottes à deux, quatre, même six roues ! les nouvelles, en plastique transparent ou style sport, toute cette laideur pratique remplaçant l'émouvant panier en osier, des charmés de conille, l'épatante filoche souvent effilochée. Et puis il alla à son bistro de l'angle Denfert Rochereau-Gorjus, il ne le trouva plus. C'était devenu un restau très joli, excellent, oui, sûrement, avec un chouette nom bien de Paris, "les enfants du Paradis" ça s'appellait. Mais, là non plus, une fois encore, ce n'était pas un coin pour lui. Là, ne se trouvaient plus ni son enfance, ni ce qu'il cherchait du paradis. Au menu, pourtant papillants ces "délices de noix de St Jacques saupoudrés au curry sur le nid de fraîche coriandre ". Cette fois, c'était fini. C'est pas là qu'il serait le roi, du graton, du tango, des fanfaronnades. Ici pourtant, il y a peu, il avait battu le Roger au 421, siroté le kir à la framboise, dansé avec la grosse Simone sur un air de Léo Marjane. Il resta longtemps devant l'enseigne, son ancienne deuxième maison dont il oubliait déjà l'ancien nom. "Les enfants du paradis rue Denfert... Fallait oser quand même", pensa Lucien. "Y'a encore des jeunes qui ont de l'humour sur cette terre"... Puis il visa, un autre paradis sur terre, cette chose à lui, les lampions de la "Gargagnole", Ozanam, plus haut que les cieux, mais peut être, avant, il irait goûter le Mâcon blanc, à "La crêche", ou une autre petite folie : un flan phénoménal, une meringue géante à la boulangerie pas bégueule sur le boulevard, près de l'antiquaire. Gargagnole pour la bonne bouche. Il rêva très longtemps, à sa petite boulangère perdue, dont l'image s'effaçait à mesure que ses lèvres radotaient des prénoms de copains, de vieilles maîtresses, de rues, numéros du loto, tiercé gagnant, tout dans le désordre. Les souvenirs allaient, venaient de la dentellière chouquettée d'Austerlitz, au damassé soyeux à trabouler tout en flottant. Et cela s'esquivait doucement au passage des 4X4, entre les bruits furieux de klaxon d'un commercial embrigadé dans une auto (la fameuse citroën CX break), et des fulgurantes mobylettes de Pizza vit' (24H/24/ 7J/7). Il pensa aux cochers, aux diligences, à la statue de l'auguste Jacquard, aux jambes de la Guiguite réinventant tout en même temps les folies bergères du Grand Lyon et les grandes heures du tango de la Scala de Vaise. La Guiguite saôule à rouler par terre, fêtant toute la nuit, la pluie sur Tabareau, juste à cet emplacement précis où il y a maintenant la vespasienne et deux monumentales poubelles sphériques, qu'on a scellé ici pour sauver la planète. Il pensa à la femme du Gaby quand elle chantait Georgette Lemaire, "le coeur désaccordé" au café du marché. Aux bugnes toutes molles qu'on vendrait ce printemps dans des barquettes à Monoprix. Il passa rue Villeneuve, où un groupe sympatoche de jeunôts à casquettes rejouaient Caussimon façon rock à l'accordéon. Il regarda le pli parfait de son pantalon, ce tergal amidon tombant sur la basket, des pieds très étrangers aux siens, qui pourtant le trimballaient partout. "C'est des trotters" avait dit la marchande de la "halle de la chaussure", "des trotters à 35 euros !", il n'avait pas osé dire non. Et tandis qu'un solo de guitare wha wha, débridait Caussimon, il regretta le croustillant de ses chouquettes qu'il mangeait à moitié sur l'étoffe, à moitié sur un bout de banc, son Austerlitz perdu. Il regretta ses mocassins cirés qui croustillaient naguère sur les pavés, sur la terre de la grande place, chaude et sablée comme un gâteau. Il s'aperçût que même sa nostalgie manquait vraiment d'allure. Le coeur n'y était plus. Il comprit en marchant tout ce qui n'allait plus. Au son que faisait sa chaussure, trop discrète, écrasée, par le bruit des voitures. Désolant brouhaha coexistant mine de rien avec tout un feutrage généralisé, un calfeutrage, on dirait presque. Il comprit que le drame était peut être là : plus rien ne croustillait. Ou plus personne. "ça devait venir de ça, sûrement"...
Il tenta de marcher plus fort, d'appuyer mieux son pas, pour que le trottoir fasse corps avec le son de ses souliers. Il marcha sur les bords, dans la terre, partout où il pouvait. Il marcha désespérément, jusqu'au soir. Il voulait entendre la terre qu'il foulait, se sentir là, présent, en vie, lui, le Lucien, Le Lucien du plateau, en particulier. Mais quelquechose l'en empêchait, un puissant calibrage brouillait l'émission de son pas, absorbant tout autant le mouvement que le sens des prochaines balades. Une matière du dernier cri dans la semelle.
Nota : Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. (A l'exception de quelques unes peut-être...)
Photo : Lucien (du plateau), marche et cogitations. Boulevard de la Croix-Rousse côté Mairie entre caillou et Tabareau. Pris en filature à vélo, un mercredi de septembre 2009 à Lyon. © Frb
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mardi, 08 septembre 2009
Princesse
"Un prince était vexé de ne s'être employé jamais qu'à la perfection des générosités vulgaires. Il prévoyait d'étonnantes révolutions de l'amour et soupçonnait ses femmes de pouvoir mieux que cette complaisance agrémentée de ciel et de luxe. Il voulait voir la vérité, l'heure du désir et de la satisfaction essentiels. Que ce fût ou non une aberration de piété. Il voulût. Il possédait au moins un assez large pouvoir humain... Toutes les femmes qui l'avaient connu furent assassinées. Quel saccage du jardin de la beauté ! Sous le sabre elles bénirent. Il n'en commanda point de nouvelles. Les femmes réapparurent."
ARTHUR RIMBAUD "Conte" in "Illuminations". "Poésies". Librairie générale française 1984
Incognito, une princesse, tente la traversée des grands rectangles blancs. l'étoffe flotte légère, parfois s'immobilise. A suivre on dirait presque un dessin à l'encre de chine. La princesse trottine sur ses sandales à brides tout au dessus des immondices et des dalles pourtant parées du revêtement gris tourterelle. Une princesse parmi d'autres, allant presque pieds nus, livrer sa peau blanche, (une rareté en cette fin d'été) aux crasses ordinaires et autres remuements d'espaces : odeurs d'essence, particules fines...
Une fois les rectangles traversés, elle ira s'asseoir sur un banc pas loin de la forêt Morand, et tout près des éclaboussures d'un lion inoffensif, ignorée des lointains génies de l'industrie ou de l'agriculture, elle ouvrira un livre : "Under Milk Wood" et silencieusement rêvera de partir.
"Départ dans l'affection et les bruits neufs"
Photo : Du presque noir et blanc. Marche légère d'une passante aux lignes claires ignorant sa beauté. Eloge de la pâleur et de l'ingénuité quand toutes reviennent bronzées et très sûres de leurs charmes. Nous appelerons cette lyonnaise (?) "la princesse aux blancs-pieds". Juste un peu de candeur. La douceur désuète dans un monde d'arrivistes et de "revenus". Passage clouté pas très loin de l'opéra, juste avant le pont Morand. Lyon. Rentrée 2009. © Frb.
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mercredi, 22 juillet 2009
Tulipia Grachinéae
"Les larmes également sont utiles : avec des larmes tu amolliras le diamant. Tâche que ta bien-aimée, voit si tu peux, tes joues humides. Si les larmes te font défaut (car elles ne viennent pas toujours à commandement), mouille-toi les yeux avec ta main ..."
OVIDE extr. "L'Art d'Aimer", Livre Premier. Editions "Les belles lettres" 1960.
Comme un mercredi (plus ou moins galant...)
Nous retrouvons ce cher OVIDE, couché dans l'herbe humide du Nabirosina. Lissant sa plume au lieu dit des "Métamorphoses", poème où toujours se joue "l'Art d'Aimer" l'existence en entier et tous ses dérivés, douze mille vers dans une quinzaine de livres. Du chaos qui créa le monde jusqu'à l'avènement de CESAR, OVIDE par ses "Métamorphoses" relate de nombreuses fables, légendes de la mythologie dans lesquelles les personnages finissent transformés en objet, en plante, ou en animal. Exilé en l'an, 8, sous l'ordre de l'Empereur AUGUSTE, le poète laissera cette oeuvre inachevée, parce que l'empereur avait, semble-t-il, détesté l'oeuvre érotique du poète, titrée "L'Art d''Aimer", supprimant de toutes les bibliothèques, l'ouvrage jugé "immoral". Ainsi par châtiment, le décret, condamna OVIDE à ne plus jamais revoir son pays. Il mourût loin de Rome, à Tomes en Roumanie, après avoir longuement souffert de cet exil:
"Je suis un barbare, parce qu'"ils" ne comprennent pas."
Il est vrai que Publius OVIDIUS Naso, est issu d'une famille de chevaliers, et les dames de la société romaine n'en connurent point de plus servant. Le connurent elles vraiment ? Lui qui, fût chassé en son temps, mais, qui, malgré cette mise au ban, influença par delà les siècles d'incontournables "peintres" de la nature humaine: CHRETIEN DE TROYES, SHAKESPEARE, MOLIERE... (pour ne citer que les plus célèbres).
Après avoir chanté "les Amours" des héros, OVIDE chanta les siennes. Jadis à Rome, ses exploits amoureux, faisaient grand bruit, et les belles sur son passage sollicitaient les grâces du poète, se disputant la renommée que donnaient son amour et ses vers. Mais il y eût une dame parmi toutes qu'OVIDE célébra, une certaine "Corinne", la maîtresse qu'il adora le plus (dit-on). Tel est le nom que plusieurs manuscrits ont donné pour titre des "Amours".
J'entends d'ici le choeur des femmes (choeur des jalouses) : "Mais qui est donc cette Corinne ?" dont beaucoup de femmes du temps d'OVIDE, usurpèrent le prénom pour se faire valoir comme muses et héroïnes des chants ... De son côté OVIDE ne rêvait pas seulement d'Amour car à l'eau fraîche qui n'a qu'un temps, il préférait sans doute la gloire :
"Je cours après une renommée éternelle et je veux que mon nom soit connu de tout l'univers".
Il faut bien reconnaître qu'OVIDE, du point de vue de la renommée éternelle, fit plus fort que CLOCLO, James DEAN et Luis MARIANO réunis. Sa pensée se glisse encore aujourd'hui entre quelques draps... De bouche à oreille si j'ose dire. Et l'on aimerait qu'elle nous survive jusqu'à la fin des temps.
Mais je devine à cet endroit de l'oreiller (à plumes), que le lecteur sera déçu par ce billet, et sa curiosité se piquera de n'avoir point obtenu la révélation et les détails (croustillants) à l'unique question qui l'emporte dans les alcôves, sur toute l'oeuvre d'OVIDE:
"Qui était donc cette Corinne ?"
J'aurais aimé vous raconter... Mais voilà, mon poète, qui vient avec son bouquet de violettes, et veut m'emmener à sa cabane, pour me montrer (dit il ! tous les mêmes !), les estampes japonaises du Nabirosina. Il est vrai qu'au Japon en des temps très anciens, l'estampe était obtenue par frottements. Mais je m'égare...
Sur ce trove dindonne mi pavane, mi gaillarde, (aroumeuse d'igames et d'opisée) agitera sa collerette en prétendant que "l'estampe n'attend pas". (A d'autres !).
Pour ce qui est de la Corinne vous le saurez bientôt, un certain jour sans doute (afin de vous faire patienter, je vous dirai que c'est une bonne copine, peut-être ma meilleure amie)... Je profite qu'elle est en vacances, pour lui damner le pion. Avec la bénédiction du poète :
"Chacun ne songe qu'à son propre plaisir; et celui que l'on goûte aux dépens du bonheur d'autrui n'en a que plus d'attraits. Ô honte ! ce n'est pas son ennemi qu'un amant doit craindre. Pour être à l'abri du danger, fuis ceux même qui te paraissent le plus dévoués. Méfie-toi d'un parent, d'un frère, d'un tendre ami : ce sont eux qui doivent t'inspirer les craintes les plus fondées."
Photo: "Les souffrances de la jeune Tulipe" (Tulipia grachinéae) aux authentiques larmes sur pétales irisés. Comment ??? Une tulipe au mois Juillet ??? Mais oui bien sûr ! où est le problème ? ;-))
Vue aux Jardins secrets du Nabirosina. Juillet 2009. © Frb.
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jeudi, 02 juillet 2009
Les petites amoureuses
L’italienne aime par tempérament, l’espagnole par plaisir.
L’allemande par sensualisme, la russe par corruption.
L’orientale par habitude, l’autrichienne par virtuosité.
La polonaise par essence, la flamande par devoir.
L’anglaise par hygiène, la créole par instinct.
L’américaine par calcul, la provinciale française par curiosité.
Et enfin la lyonnaise par sentiment.
Extr. "LE CARILLON LYONNAIS", 6 oct 1907.
DEVENDRA BANHART : "Happy happy oh"
Photo : Belle lyonnaise sentimentale écrivant une lettre à son amant au pied d'une statue, pas très loin de "L'Adam de RODIN" mais à l'abri du regard de ces lyonnaises dénudées qui bordent les arcades. Vue dans le jardin du Palais St Pierre (ou Musée des Beaux Arts) à Lyon. Photographiée en juillet 2009. © Frb
05:57 Publié dans Balades, De visu, Le monde en marche, Mémoire collective, Pépites | Lien permanent
mercredi, 01 juillet 2009
Juillet
Elle a, ta chair, le charme sombre
Des maturités estivales,
Elle en l’ambre, elle en a l’ombre ...
PAUL VERLAINE, extr. "Eté" in "Parallèlement", "Chansons pour elle" et "Autres poèmes érotiques". Editions Gallimard 2002.
Le soleil trottait devant moi sur des talons légers, une femme mûre, d'un autre siècle, se rendait au musée. Elle tenait sous son bras un minuscule châle confectionné tout au crochet et son sac de jeune fille, faisait un bruit de petite quincaillerie, de verroterie ancienne. L'été harmonisait sa dame, d'une lumière éblouissante. Ca sentait bon la Guerlinade, le rendez-vous discret. La dame s'arrêta à deux pas de l'entrée du musée. Elle sortit sa poudre précieuse, une houpette, et doucement se para, tout en surveillant qu'il n'y ait pas de personnes trop curieuses pour surprendre ce moment d'intimité qui relèguait la rue à quelquechose d'infiniment superficiel. Des notes d'iris, de tubéreuse glissaient dans mes volutes et pendant que la dame sortait de son trousseau, un petit vaporisateur, moi je jouais, la bouche en coeur avec ma cigarette à faire des ronds parfaits qui flotteraient dans le ciel pour retomber dans la poussière. La dame rangea son attirail, ne gardant que l'ombre à paupières qu'elle appliqua presque à tâtons, en touches irrégulières. Puis elle se parfuma, je connaissais par coeur ces notes de fond : Vanille, Iris et Cuir. La plénitude et le plaisir des premières vies amoureuses, la peau douce que l'on respire quand l'amant, le premier, s'immisce, passionnement, captive l'imprudence, et que l'univers entier fond comme une friandise sous sept ciels, au tout premier été du monde. Après cette première fois, il faudrait tout de suite en mourir, pour ne plus craindre la récidive... Cet Amour, cet inachevé, je le respire encore, l'éclatante émeraude, votre pâleur, ce sourire qui s'illuminait sur les mélodies de Fauré. Mille de vos poèmes qu'on lisait à voix haute et qu'on envoyait valdinguer dans la chambre embrasée de senteurs. "Vanille, Iris et Cuir", le parfum s'appelle "L'attrape-Coeur" ...
A ce moment du récit, j'ai vu arriver un monsieur brun, aux tempes grisonnantes, d'âge mur et très bien mis. Il souriait tout seul, en marchant et tenait des roses rouges à la main, dans mon esprit (aujourd'hui corrompu ;-) je me suis dit que c'était peut-être un de ces rendez-vous charmants du genre "rendez-vous minitel", du romanesque post-moderne de premiers rendez-vous, par la grâce de toutes ces sortes de machineries actuelles, un point précis dans une ville, deux signes particuliers, assez particuliers, (parfois cocasses), pour bien se reconnaître. Elle aurait dit qu'elle porterait une longue jupe couleur soleil, qu'il ne pourrait la louper,(ah ça !). Il lui aurait répondu, sans doute, qu'il viendrait là, avec des fleurs... Ensuite ils iraient s'asseoir sur un banc au jardin du Palais St pierre et cela s'appellerait toujours "L'attrape-Coeur".
Gabriel FAURE: "Chanson d'Amour" opus 27 n°1
Photo: Filature étoffée pas très loin du Palais St Pierre dit "Musée des Beaux Arts". Une dame en jupe-soleil. Vue à Lyon. Juillet 2009.© Frb.
03:37 Publié dans A tribute to, De visu, Le monde en marche, Mémoire collective | Lien permanent