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vendredi, 18 mai 2012

Deux petites valses

Matin de printemps
mon ombre aussi
déborde de vie

ISSA

tree mars.jpg

spring.jpg

 

J'emprunte à KOBAYASHI ISSA (grand maître de haïku), ce petit air de valse, l'ouverture du printemps glissera la ritournelle dans nos incertains jours...

ISSA, comme vous et moi, ne sût rien du cheminement de ses jours mais quand la poésie chanta sans lassitude que tout était néant, passage, silence, ISSA, d'un léger trait de plume ajouta "cependant"...

 


podcast

 

 

Photos : Là-bas. Le printemps a du retard, en cette mousson de Mai, entre deux jours de pluie et de brumes, j'ai pu saisir une accalmie avec juste le vent floutant un peu les arbres... Une petite carte postale, d'ici et de partout - en cliquant sur l'image - vous retrouverez d'autres balades de printemps, notamment aux jardins japonais et d'ailleurs...

Music : Chenard Walcker "Quand je tombe des nids" extr. de l'album "l'âne vétu de la peau de lion" (2002)

© Frb 2012

jeudi, 20 octobre 2011

Les feuilles dites mortes manqueront toujours aux appels (by HK/ RL)

Le montreur de singes
et le singe ensemble vivent
la lune d'automne

MATSUO BASHÔ

ciel oct.jpg

 

l’automne perd ses feuilles dites mortes      les laisse      glisser
dessus      dessous      ses vents      comme
des surfers californiens
mais      elles sans      combinaisons
aux couleurs criardes et sponsorisées
ni longues ou courtes  "boards"

les feuilles dites mortes
acrobates accomplies
se jouent des vents et des vagues
même un tsunami
ne les effrayerait pas
"adieu vents et vagues et veaux et vaches et cochons"

les feuilles dites mortes
l’automne      elles lui rient à son nez
poudré de rouge et d’ocre

moqueuses assez :
"arrête donc tes clowneries
 vieux cabot d’un seul rôle
 essaye un peu pour une fois
                                         de mourir
non en beauté
mais pour de bon
et foin de tes jeux et feux
et de tes artifices"


HK/RL

Samedi 15 Octobre 2011





Photo : Lueurs d'automne, (ou peut être maison du singe § du montreur de singe ?), sous la (presque) lune d'Octobre. Le sol se dérobera-t il à l'appel ? Feu de feuilles mortes. (Yves Montard is dead et Bashô rit sur la lune).

Remerciements... Au couple mythique et ami KEBO/LAHU, (photographié hors champ pendu aux branches de bambou), d'avoir aimablement offert "les feuilles dites mortes..." (offrande non-solennelle) à Certains jours. Poème et musique remixés par l'antique monkey (artificier à ses heures) du Parc de la Tête d'Or à Lyon, en ce bel automne 2011.

jeudi, 08 septembre 2011

Harpe céleste

Ecoutez bien leur devis,
Détoupez vos oreilles.
Et fa ri ro frere li joli
Ti ti pi ti, chouti toui.
Tu, que dis tu ?

CLEMENT JANEQUIN : extr. "Le chant des Oyseaulx"

Transcription de la partition destinée aux humains, à cliquer sur l'imagetous les oiseaux  B.jpg

- Shéma récapitulatif de la fonction du chant  :  ICI 

- Révision des classiques et autres questions  ci-dessous   :

http://www.freinet.org/creactif/blain/comenius/oiseaux.ht...

Louanges et doux oiseaux-copains by Catherine L. :  ICI

Nota :  Notre canari n'est pas sur le balcon, on l'aura pincé sur une corde de la harpe céleste, suivant une partition pas comme les autres. Selon Clément Janequin, "la doulce saison" se situe plutôt au printemps, mais l'hypothèse vient d'être contestée par le savant de certains jours, qui s'est basé sur notre cadran lunaire à nous, puis a conclu qu'il n'y avait plus de printemps. Ainsi "on ne renaît qu'à l'automne", c'est le sésame de la maison.

Photo : September nous détoupe les oreilles au chouti toui d'oiseau, pendant que la Biennale de Lyon ouvre ses portes, (ce que ne dit pas notre photo),  l'art contemporain sauvage déchiffre sa portée par de minuscules beautés éphémères (sitôt vues, sitôt envolées) et dans les mouvements de la harpe géante caressée par Lily Pinson sous l'aile (invisible) de l'oiseau prophète, (oui,  je sais, c'est un peu compliqué), ne pas confondre avec l'oiseau vogueur, qui ne va pas tarder à nous refaire son manège, souvenez vous...  Finalement plus ça change et plus c'est pareil, à quelques détails près...

Lyon passerelle amarrée © Frb 2011

dimanche, 17 juillet 2011

La plage

Nous nous hâtons, pour survivre, de confondre l'univers avec le tissu d'amitié dont nous sommes entourés, tant il est vrai que le plus difficile dans l'existence c'est de ne pas se laisser décourager par la solitude.

VLADIMIR JANKELEVITCH


pluie_0011_2.JPGJ'attendais sur la plage, le vent brouillait les personnages tout ce que nous avons cru voir ne pourrait exister ici. A nouveau, tu voyais la pluie inonder ton pays. La rue prit une couleur de cendres. Rien ne saurait prouver que c'était réellement la pluie de ton pays qui venait dans ma rue. La pluie retombait dans la pluie et la pluie balayait la pluie. Un fil enroulait le pays, la tristesse de Novembre se moquait de la plage, et nos joies ruisselantes furent lasses de se baigner dans l'eau de ces fontaines aux abords vert de gris.plieG_0014_2.JPG

Nous ne pouvions nous retenir de courir sous la pluie. Le chaud et le froid soufflaient l'ombre au milieu des reflets, je fondais pour eux mais je sens l'idiotie nous surprendre quand tu ouvres ton parapluie qu'il se tourne à l'envers sous le vent, tu le jettes à la rue, le reprends, puis pareil, tu fais tout pareil à nos vies. C'est l'idiot qui perd sa baleine paré d'un caban vert de gris c'est toute la nudité du ciel et c'est encore la pluie qui traîne, longtemps après la pluie, la longue pluie de Verhaeren, comme des fils sans fin  [...]


La pluie et ses fils identiques
Et ses ongles systématiques
...

Photo : Reflets sur le bitume du cours Vitton, à Lyon, réflection et fragments d'une plage où les reflets inversent le pays, photographiés un jour de pluie en ce mois de Juillet deuxmille etc...

© Frb 2011.

samedi, 12 mars 2011

Insubmersibles ?

Le premier grand cataclysme s'abattit sur la région d'Osaka à 5 heures 11, le 30 Avril. A 8 heures 03, la chaîne de montagnes Togakure explosa. Les regards du monde entier étaient fixés sur "la mort du dragon". Des dizaines d'avions appartenant à des télévisions de toutes les nationalités volaient au-dessus de l'archipel du Japon qui crachait du feu et des flammes.

 KOMATSU SAKYO : extr. "La submersion du Japon" (traduit par Masumi Shibata 1973) éditions Philippe Picquier, (coll. Picquier poche n° 128), janvier 2000.

Japan.JPGA propos du tremblement de terre du 11 Mars 2011 et du tsunami qui s'en suivit allant impitoyablement ravager les côtes de la région de Sendaï au Japon et meurtrir la population, je n'ai pu m'empêcher de songer au roman d'anticipation (très célèbre), datant de 1973, qui fît grand bruit à sa sortie et reçut même un prix. Le livre s'intitule (sans équivoque) "La submersion du Japon" il est signé Komatsu Sakyo. On ne sera guère surpris que le titre coïncide avec un drame récent, le Japon étant constamment menacé de séïsmes, l'histoire du pays si parsemée de catastrophes que même les enfants dès leur plus jeune âge sont éduqués à adopter certains comportements, face l'éventualité d'un désastre. Toute la culture japonaise est par ailleurs imprégnée de cette peur ancestrale de l'engloutissement. "La submersion du Japon" met en scène un Japon secoué par une recrudescence de tremblements de terre. Les températures deviennent anormales :

"Il avait fait si froid à la saison des pluies qu’on se serait cru en mars mais, aussitôt après, une chaleur intense apparut soudain et, ces jours derniers, on avait invariablement plus de 35°C. Des gens tombaient malades à Tokyo et à Osaka, et même certains succombaient. A cette chaleur extraordinaire s’ajoutait l’habituelle pénurie d’eau jamais résolue [...]"

Les volcans se réveillent, des fissures apparaissent au coeur des bâtiments, les secousses vont de plus en violemment accentuer la destruction. Pour ce qui est du récit même, nous suivrons au fil de ces pages, une équipe de scientifiques (géophysiciens), qui découvrent que certains îlots peu peuplés (ou pas du tout) ont complètement disparus, et pour cause ! ils ont été submergés. Les scientifiques enquêtent, plongent dans les fonds marins, et reviennent avec la conclusion, que le Japon sera englouti à très court terme. Alors que les derniers chercheurs étudient les probabilités d'une telle catastrophe, le gouvernement tente de sauver ce qui peut l'être encore. Ce scénario, déjà à l'époque, s'appuyait sur de nombreuses études scientifiques, les personnages y sont peu décrits, on ne s'attachera pas à leur psychologie, nulle intrigue spéciale ne tiendra le lecteur en haleine, aucun voyeurisme ne s'épanchera dans ce roman assez froid qui décrit des tractations entre politiciens et scientifiques, des manoeuvres secrètes, les doutes, les incrédulités, les prévisions pour évacuer la population, préserver la mémoire d'un peuple, sauver le patrimoine, l'évocation de toutes les négociations pour obtenir des territoires en Australie etc... Si le récit semble un peu traîner en longueurs, il abordait déjà des questions fort intéressantes.

- Qu'adviendrait-il si demain, le Japon (ou un autre pays) disparaissait ?

- Que deviendraient les habitants ?

- Comment procéder à l'évacuation de cent vingt millions de japonais ?

- Où les accueillerait-on ?

- Comment préserver la mémoire d'une culture si un pays se trouvait brutalement rayé de la carte et son peuple dispersé à travers le monde ?

"En dehors de cet archipel et de sa nature, de ces montagnes, de ces rivières, de ces forêts, de ces herbes... Les Japonais n'existent pas. Ils sont unis à eux. Ils ne font qu'un seul corps avec tout cela. Si cette nature délicate et les îles sont détruites et disparaissent, les Japonais n'existent plus [...]"

Les questions sont multiples et on s'apercevra qu'il n'y a pas de réponses préconçues qui tiennent, mais ce qui marque plus encore le roman, c'est "l'esprit japonais", avec le spectre omniprésent de l'engloutissement, mais aussi l'absence de figure héroïque, de sauveur se distinguant des autres par son courage (genre cow boy à l'américaine), au profit d'une action collective anonyme, l'absence de happy end, une organisation implacable. Là encore, on n'évitera pas quelque analogie avec le séïsme de 2011, devant le spectacle d'un chaos permanent, les images cataclysmiques incessantes qui pétrifient d'horreur le monde entier, le peuple japonais reste d'une dignité, qui force l'admiration, pas de pillage, pas de panique... Mais la "Submersion du Japon" n'est qu'un livre d'anticipation, qui n'a rien de si visionnaire, il possède son double sens abordant le thème du naufrage mais aussi celui du déclin du Japon, il faut le reconsidérer dans son époque, l'ouvrage a été rédigé durant la guerre froide au moment où le Japon (3ème puissance mondiale) cherchait à s'affirmer vis à vis des autres puissances. La métaphore semble assez évidente.

Dans ce récit, on ne trouvera aucun mystère : le Japon va couler. Il n'y aura aucune alternative à ce constat, (cf. le titre anglais "Japan sinks", voir également le film adapté du roman :"Nihon Chinbotsu", réalisé par Shinji Higuchi, entre autres, le best seller ayant été adapté plusieurs fois, tant au cinéma qu'en manga). On ne pourra s'empêcher de relier dans un tout autre style, le film "The day after tomorrow" de Roland Emmerich où des images s'ajusteront encore d'une façon invraisemblable à celle d'une réalité qui dépasse aujourd'hui autant la science que la fiction. Le critique (occidental) glané dans un quelconque magazine, des années 80's,  évoquant le roman de Komatsu Sakyo avait-il réellement saisi ce qu'une simple phrase (somme toute "vendeuse" et très banale) pourrait contenir d'effroi quelques années plus tard, lorsqu'il écrivait à l'époque aux lecteurs amateurs de récits de science fiction à propos de la "submersion du Japon" (je cite) : "Un best-seller pour ce livre d'anticipation" qui pourrait devenir réalité"...

 

 

Photo : Nuages de Mars. Sommes nous insubmersibles ? Question.

© Frb 2011.

mercredi, 22 septembre 2010

L'oiseau qui cachait la forêt

 Rousignol du boys ioly
a qui la voix resonne
pour vo’ mettre hors dennuy
vostre gorge iargonne gazouille
frian frian tr tar tar tu
velici ticun tu tu
qui lara fereli fi fi
coqui oy ty trr
turri huit teo turri quibi
frian fi ti trr tycun
quio fouquet fi fi frr

 Extrait d'une chanson tirée du "Chant des oiseaux" de CLEMENT JANEQUIN

a l'éphemère.JPG


”Cela fait trois jours que je me suis installé là, au guet de tous vos faits et gestes, face à votre fenêtre, longtemps je me suis demandé si mes ailes parviendraient à m'amener jusqu'à vous, sous ce ciel bleu, qui pâlira de jour en jour et va, le soir, manger notre lumière de plus en plus tôt, avant que la nuit ne dévore la lune dans laquelle par un beau désordre croissant je me trouve quand je rêve de vous.


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Je suis revenu d'Afrique par un long vol de plus de cinquante jours, si je ne veux pas mourir de froid, cet hiver, il faudra bien que j'y retourne. Mon plumage noir ne suffit pas à me chauffer pour deux, ni à m'offrir une endurance suffisante aux pluies, aux neiges...  Ainsi devrai je choisir chaque automne, entre mourir de faim, de froid, que sais-je ? Ou redouter déjà, dans un pays lointain, de ne plus vous revoir à mon retour. Sachant vos coutumes humaines et urbaines si changeantes, la mode étant souvent chez vous de raser toutes les choses où l'on se plaît, je redouterai, à distance de retrouver mon fil arraché par les folles machines d'un dénommé John D., et je me troublerai d'avoir perdu l'observatoire sur lequel j'adorais vous parler sans rien dire, ou encore, manquerai-je cruellement de vocabulaire pour demander à un riverain de votre allée, si par hasard il connaît votre nouvelle adresse, à supposer que vous n'ayez pas changé de ville...


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En vérité, qui pourrait deviner à quel point tout cela m'est cruel ? Depuis trois jours, rue de la Tourette, j'effraie les diligences, comme si ma noirceur minuscule augurait toutes les catastrophes possibles, et cela sûrement à cause de ce cinéaste anglais qui eût tant de succès avec un film idiot destiné à nous nuire. Comme je le hais parfois ce gros bonhomme hideux. J'espère que vous ne croirez pas toutes les images qu'on vous montre ! à part les pigeons qui sont sales et stupides, nous autres les oiseaux, nous sommes peut être des créatures plus affables que vous, mine de rien.

Je me connais impatient de ce réel idiot, qui me prive de vous, "nous ne sommes pas du même monde" dites vous ? Pourtant quand je vous vois apparaître derrière votre rideau assez fin pour que je m'y projette, quand j'aperçois votre silhouette qui m'est tout, je sais qu'au delà de nos apparences, nous nous ressemblons bien tous deux, que vos rêves s'il vous poussait des ailes vous feraient peut être ange, tandis que je ne suis à vos yeux qu'une bête. Je sais que mon plumage par nos mondes rejoints, (quoique vous le contestiez), s'est enfoui tout à l'intérieur de votre âme où je respire cette noirceur du diable aussi profonde que mon habit, qui vous ferait frissonner si l'audace me prenait de me poser sur votre épaule. Je sais que vous grelottez dans le froid l'hiver, à l'attente du premier tramway tandis que sur ma branche, mes pattes tremblent aussi, quand le vent se met à souffler, vous voyez, je fais tout comme vous et chez vous c'est tout comme ici, l'hiver s'en vient envahir tout, même l'Afrique quand nos êtres se brisent à s'aimer en un point bien trop loin de l'autre. Je vous confierai davantage : si je chante si fort là bas, c'est pour que l'écho de chacune de mes vocalises revienne chaque jour attendrir votre humeur, ainsi je m'applique à battre le trille comme s'il était précédé d'une appogiature, celle qu'on trouve dans la "grande musique", et qui soutient merveilleusement l'écoute. Afin de mieux séduire votre esprit à l'affût , j'ai dû me décarcasser (si j'ose dire), à demander à monsieur Pierre BELON (mon ami garde-oiseaux au Parc de la Tête d'Or), de vous parler de ma nature et de glisser sous votre porte un manuscrit enluminé dont j'ai picoré chaque lettre pour y planter quelques graines d'euphorbes dites "diamond frost" celles ci au suc laiteux, vous reviendront en fleurs au mois d'Avril par mille blancheurs poudrées dont le parfum s'évaporera discrètement dans vos cheveux. Ainsi Pierre BELON me supplante, puisque je ne peux m'adresser directement à vous aussi bien que le fait votre vieux hibou  trop vieil époux (que j'abhorre) et dont je suis très jaloux à vos yeux, si charmant.


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Ainsi comme le veut la saison dans quelques jours je m'en irai. Savez vous, mon amie, que ces trop longs voyages font un tri effrayant entre nous ? Les plus faibles n'en reviennent jamais, je n'aurai certes pas à vos yeux la puissance du grand cormoran dont le "vol" en "V" est si spectaculaire, dont les battements d'ailes alternent avec ces vols planés que je n'ai jamais su faire, même si j'ai essayé, en vain. Non, je ne sais pas si j'aurais l'ardeur encore cette année de ne pas tomber d'épuisement au milieu de la mer. Saurez vous seulement qu'en mourrant, sur la dernière vague je poserai un baiser ? Même s'il est vain de vous soucier, je prononcerai en ces lieux, votre prénom qui dans la langue oiseau signifie "beauté éclatante".


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Et quand je reviendrai l'année prochaine, si je reviens, je glisserai dans mon bec délicat, quelques brins de ces fleurs tropicales. Je porterai moi même sur votre balcon ce paisible ornement, nommé "cassia mimosoides", une plante rare, un trésor odorant, que je déposerai à vos pieds, en gage de ma fidélité. Et cela sera pour vous tel n'importe quelles graminées ordinaires, je suppose que vous n'y verrez qu'une de ces nombreuses saletés amenées par le vent d'automne, comme la "rousse" chantée par Verlaine. Il se peut que vous chassiez vous même, cette plante à coup de balai, ignorant que des mois entiers j'ai dû traverser des déserts au risque de ma vie pour vous la dénicher. Mais cela est sans importance, tout conte fait...

Dois je pour terminer, vous prier de ne pas accorder trop de gravité aux défauts de mon caractère ? A mes plaintes que votre indifférence aura accentuées au fil de la saison et lisez sans attendre le manuscrit de monsieur Pierre qui doit à présent se trouver sous votre porte : 

(1) "Qui voudra avoir plaisir indicible aille l’esté s’asseoir sur la rive de quelque douve, où il y ait  d’infinis petits Halcyons vocals que nous nommons en françoys Rousseroles. Il n’est homme, s’il n’est du tout lourdaud qui infailliblement, s’il y prend bien garde, n’en soit rendu triste ou joyeux... D’une mesme haleine il (l’oiseau) maintient sa voix, tantost si haute qu’il n’est dessus d’instrument d’ivoyre qui y puisse monter, tantost si basse qu’il n’est dessous d’un pot cassé qui puisse descendre si bas. Entre autres, il semble quasi prononcer : toro, tret, fuis, huy, tret ; et en réitérant tel chant en diverses manières passer les nuictées sans cesser... Les païsans accoutumez de l’ouïr ont tellement retenu son chant qu’ils en ont fait des chansons si impudiques à la prononciation, qu’il ne seroit licite de les escrire... "

 

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Acceptez également avant que mes camarades de route ne viennent troubler notre précieuse intimité, (d'autant plus précieuse qu'il me semble que ce voyage sera peut-être le dernier), de vous laisser quelques uns de nos chants, c'est la dernière petite chose que je peux vous offrir, mais peut être qu'en les écoutant tous ensemble, en même temps, y trouverez vous, par un jeu d'accords mélodieux voire d'alternances à votre guise, le souffle entier d'une forêt...

Adieu, donc, espérez que je reste en vie, autant que je l'espère pour vous ; de tout coeur, à jamais.

Votre Oiseau.”

(Extrait du Journal de l'oiseau chap V, p. 68, editions "Duplon-D'Anlèle" 2010.)

Ref : (1)  Pierre BELON, Histoire de la nature des Oyseaux, Paris : Gilles Corrozet éditeur, 1555, p. 221.

Photo : Petit oiseau mélancolique sous le grand panneau des départs, ou au guet. Observatoire de la rue de la Tourette à Lyon. Septembre. © Frb 2010.

jeudi, 09 septembre 2010

Moving

Rien n'est plus troublant que les mouvements incessants de ce qui semble immobile.

GILLES DELEUZE : Pourparlers. Editions de Minuit 1990

lignes.JPGLa vitesse embellit les mouvements du ciel. Le 93903, nous éloigne des terres, de cet effort tendu vers la suppression des contraires, un homme se rêve nonchalemment couché au milieu d'une voie, fixe l'effet de style d'une suite d'ours blancs, découverte ce jour même dans un strato cumulus perlucidus d'une épaisseur de 600 mètres. Les ours prennent à l'homme sa bouche pour y souffler un vent d'autan, sur des vitres pareilles à cette digue de l'Afsluitdijk. Les vitres s'auréolent, scindent l'homme dans sa buée et ce souffle l'exile, fragmente le déroulement des vies. Chaque lieu trouve une tête penchée là où les heures s'arrêtent. Les rails touchent les cieux et les reflets métallisés des portes à soufflets enrobent dans leurs plis tout ce qui pense en nous, tout ce qui n'est pas nous et qui pourtant nous "cause", pertes ou peines s'ouvrant, se refermant tel un bandonéon accordé par les Dieux. La source des sons demeure invisible, tant que celle des rouages nous capte, puis synchronise notre mémoire aux mécanismes, par le chaos des sols chargés de toutes les vibrations possibles de gris. L'homme seul se plaint de ce mélange qui le déplace avec ses secrets symphoniques. Le mélange déplace tous les hommes dans la même direction, si bien calculée qu'aucun d'entre eux ne pourra jamais modifier la trajectoire, ni fuir entre les lignes annonçant la fusion, la réconcilation inouïe des contraires. 6 892 066 633 funambules portant des chaussures à leurs pieds accomplissent l'itinéraire. 153 889 (et des poussières), glissent chaque jour, qu'on ne pourra ni relever ni retenir.

Photo : Carte des mouvements célestes photographiée, à la sortie d'une gare un peu vide (quel est son nom déjà ? Part-Dieu, pardi !). Lyon, Septembre 2010.© Frb

dimanche, 22 août 2010

Intermezzo

Subitement, un matin, j'en ai marre. Je me demande quoi, somme toute ? Un peu d'amitié ce n'est pas le diable ! je suis je crois impressionné par les déserts gris que nous traversons et par le mauvais temps qui arrive.

JEAN GIONO : "Les grands chemins"; Gallimard (1951)

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Je suis à la place du promeneur, presque gaie comme mille autres. A cet endroit du bon côté de la terre. D'ordinaire, je vis en ville sur des ponts, avec les patineurs. Peu à peu, j'ai appris à me fondre parmi les citadins. Le nombre m'indiffère. Quand je désire me fausser compagnie, je reviens au pays. La brume descend sur les demeures. Chaque jour qui décline perd des secondes de soleil. Bientôt viendront les heures d'hiver et les crépuscules orangés. Je reçois des cartes postales de dolmens, de menhirs, des Albères et du Vallespir. Des amis sont partis à pieds, chercher sur des vitraux l'empreinte de l'ancien paradis. Ils marcheront jusqu'à l'automne. J'ai reçu des nouvelles des vergers d'Amérique, du hongrois de Bretagne (?), de la fiknun' Golsone, de notre vieil Alphonse qui se morfond vers Saint Point, et de mon ami Paul, au cimetière marin. D'autres amis encore passeront par ici, à l'improviste, peut être, avant de rejoindre Paris. Pendant que les uns reviennent d'autres s'en vont. Quand les uns se retrouvent d'autres nous abandonnent. Par la maudite Golsone, ici on a trop de grenouilles, à part ça, les personnes, elles sont plutôt gentilles. C'est bête comme chou cette idée de gentilles personnes, quand on y pense. En ville, on y pense cinq minutes, on boit un verre, deux verres, etc..  Ca va, ça vient, on s'oublie, après tout. Contre la maudite Golsone, le gris berce nos routes, une table abondante, entourée de quelques uns, est bien plus chou que bête, on y revient encore. Ensuite il faut rentrer. Marcher longtemps tout seul. Diable ! on se dit "toute cette amitié manquera bien". Ici on s'empale sur le son des cloches. Dieu prend toute chose. Dieu régule les peines, Dieu est amour, Dieu est une autre haine. Le bulletin paroissial a publié trois pages sur le départ du père Panier, ils ont fait un pot au village, il y avait des grenouilles partout qui parlaient de l'humilité. Ce sont les mêmes qui chaque après midi, tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre, s'occupent à faire courir des bruits sur les uns et les autres. J'ai croisé Madame Jeanne Mouton revenant de sa prière. Si j'oublie de lui dire bonjour, je serai brûlée demain à l'aube. Je salue Madame Jeanne Mouton. - "Bonjour, Madame, vous allez bien ?" - "Très bien !, Et vous ?" - "Ca va ! au revoir Madame !"

Au bout de deux heures de marche, on oublie ces gens là, et on s'oublie soi même. On devient le coin de terre, la ronce à contourner. En oubliant, on se retrouve, au milieu des vaches sous des sons de cloches inoffensives qui descendent jusqu'aux hameaux où là bas des hommes passent leur journée à pêcher dans l'étang. On traverse une autre grande terre, je croise un paysan, juste un hochement de tête, suffira à  l'approbation du temps, du vent et des saisons. Je coupe à travers champs. La lumière me déplace déjà vers l'autre monde. J'arrive à ce point du pays où plus aucun obstacle ne complique l'esprit. La nuit tombe trop tôt, je n'ai pas vu l'heure. Nous changeons de pays. Le silence est de profundis. Nul ne règne en aucun pays, tout est las, mais ma joie demeure.

Photo : A travers champs, ciel et terre. Esquisse d'un crépuscule à Châtenay Sous Dun, deux heures après la pluie. Nabirosina. Août 2010.© Frb

mercredi, 26 mai 2010

Le poème Tang

Ecoutez là-bas sous les rayons de la lune, écoutez le singe accroupi qui pleure tout seul sur les tombeaux ;
Et maintenant remplissez ma tasse, il est temps de la vider d’un seul trait.
LI-TAÏ-PE : "La chanson du chagrin"

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Les Tang (ou Thang) montèrent sur le trône de l'an 618 de notre ère, ils s'éteignirent l'an 909. Pendant ces 289 ans, vingt empereurs se succédèrent et presque tous furent dignes de régner. La poésie des Tang se divise en quatre périodes distinctes : le début, la prospérité, le milieu et la fin. Ce phénomène, qui reflète fidèlement la naissance, la grandeur, puis le déclin de l'empire, coïncide également avec les transformations du style poétique. La Chine était à cette époque, à l'apogée de sa puissance et de son expansion. Le christianisme avait fait des progrès en ce pays. Les doctrines de CONFUCIUS et de LAO -TSEU qui officiaient depuis longtemps, n’étaient plus seules à se partager la multitude. Pendant cette période de prosélytisme, la Chine ne pouvait rester en dehors du mouvement général des esprits, le bouddhisme déjà puissant inspirait également les poètes tel SONG-TCHI-OUEN :

[…] Je suis entré profondément dans les principes de la raison sublime,
Et j’ai brisé le lien des préoccupations terrestres.

Si certaines pièces des recueils poétiques des Tang portent l'empreinte du mouvement religieux qui s'accomplissait alors en Asie. La plupart n'en donnent aucune idée, la Chine n'était pas plus bouddhiste qu'elle n'était mahométane ou chrétienne. Le scepticisme, la fusion et la confusion qui y régnaient, se lit aussi dans les poèmes Tang où souvent on remarque une absence quasi générale de croyance, y compris chez les auteurs de renom. Le plus souvent cette absence de croyance ressort dans les poèmes sous forme de souffrance ou de découragement. L'illustre THOU-FOU compare l'avenir à une mer sans horizon. Il épanche sa tristesse devant un vieux palais en ruine :

Je me sens ému d’une tristesse profonde ; je m’assieds sur l’herbe épaisse ;
Je commence un chant où ma douleur s’épanche ; les larmes me gagnent et coulent abondamment.
Hélas ! dans ce chemin de la vie, que chacun parcourt à son tour,
Qui donc pourrait marcher longtemps ?

Il est fréquent que le poète s'égaie comme pour chasser des idées obsédantes, la mort, l'incertitude de l'avenir, sont des thèmes récurrents ; tel cet extrait d'un poème de  LI-TAÏ-PE :

Pour moi, je m’enivre tout le jour,
Et le soir venu, je m’endors au pied des premières colonnes.

On le ressent encore plus clairement dans cet extrait, l'oeuvre se pare d'un titre sans équivoque : "La chanson du chagrin"

Combien pourra durer pour nous la possession de l’or et du jade ?
Cent ans au plus... Voilà le terme de la plus longue espérance.
Vivre et mourir une fois, voilà ce dont tout homme est assuré.

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L'absence de toute conviction religieuse laisse un grand vague à l'âme du poète Tang, et la religion des lettrés s'inscrira finalement dans une morale très floue. C'est plus naturellement le sentiment de l'immortalité de l'âme, l'idée qu'elle pourrait exister indépendamment de l'enveloppe corporelle qui se reproduit alors sous mille formes dans les vers les plus incrédules comme s'il fallait inventer une protestation à toute cette perplexité. Tantôt l'esprit d'un homme endormi se met à voyager seul à travers l'espace, franchissant les distances au diapason de la pensée, et passant les murs d'un cachot, d'un gynécée, afin de consoler un prisonnier, de revoir quelque amante. Tantôt c'est l'âme d'un proche défunt qui est évoquée, celle d'un soldat tué qui se lamente, ou celle d'une épouse rongée par la jalousie, qui par un mouvement violent se dégage des entraves de la chair, pour voler sur les traces d'un époux en voyage et le suivre à son insu. On retrouve aussi dans tous ces poèmes des traces de légendes, de récits populaires, les aspirations vers une autre vie, et toujours le besoin d'espérer ou de croire. D'autres poèmes donnent au soldat le beau rôle. Par exemple dans les oeuvres de LI-TAÏ-PE, on découvre un poème intitulé "Le brave", une rare composition chinoise où l'homme d'épée est exalté aux dépens de l'érudit. Le soldat aura encore un rôle central dans ce poème intitulé "A cheval ! à cheval et en chasse" :

L’homme des frontières,
En toute sa vie n’ouvre pas même un livre ;
Mais il sait courir à la chasse ; il est adroit, fort et hardi.

Quand il galope il n’a plus d’ombre. Quel air superbe et dédaigneux !

THOU-FOU lui même écrira "Le recruteur", l'histoire d'un village dépeuplé par un recruteur, "Le départ des soldats et des chars de la guerre" nous conduit sur les pas d'une colonne en marche :

Partout les ronces et les épines ont envahi le sol désolé,
Et la guerre sévit toujours, et le carnage est inépuisable,
Sans qu’il soit fait plus de cas de la vie des hommes que de celles des poules et des chiens.

Les Tang savent aussi retracer la vie intime des chinois de l'époque. Tel ce poème de MONG-KAO-JEN titré, "Visite à un ami dans sa maison de campagne" :

Un ancien ami m’offre une poule et du riz.
Il m’invite à venir le voir dans sa maison des champs.

D'autres sont de véritables petits tableaux décrivant par exemple deux amis qui se donnent rendez-vous à l'automne pour regarder les fleurs. Pour d'autres, les scènes sont plus animées elles ne s'imprègnent plus de la contemplation de la nature, mais se mêlent à un banquet où le vin coule à flot. Et partout on retrouve les fleurs, indispensables à la poésie Tang.

Combien de fois nous sera-t-il donné encore de nous enivrer, comme aujourd’hui, au milieu des fleurs ?
Ce vin coûterait son pesant d’or qu’il n’en faudrait pas regretter le prix.

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Il y a aussi ces réunions dans la maison d'un ami, les dîners en plein air, les parties de montagne, la promenade solitaire qui porte à un plus haut degré, cette langueur indéfinissable particulière au peuple de Chine.

La lune surgit du milieu des pins, amenant la fraîcheur avec elle ;
Le vent qui souffle et les ruisseaux qui coulent remplissent mon oreille de sons purs.`

Et puis bien sûr, d'autres thèmes ceux-ci incontournables jalonnent la poésie Tang. L'attachement au pays natal, et les douleurs que peuvent causer une absence. Le chinois n'est pas voyageur, quand il part c'est toujours le coeur lourd et quand il se retrouve en pays étranger, rien ne le distrait du souvenir de sa terre natale :

Ne pensons qu’à l’accord harmonieux de nos luths, tandis que nous sommes réunis dans cette charmante demeure,
Je ne veux songer aux routes qui m’attendent qu’à l’heure où il faudra nous séparer [...]
Mais ces doux instants passés ensemble, hélas ! quand pourrons-nous les retrouver ?

L'exil pour le chinois, très attaché à son foyer a de cruelles amertume et l'on pense à l'immense THOU-FOU qui mourût disgrâcié comme OVIDE et qui jusqu'à son dernier jour ne cessa d'exprimer son chagrin :

Devant mes yeux passent toujours de nouveaux peuples et de nouvelles familles ;
Mais, hélas ! mon pauvre village ne se montre pas !
Tandis que le grand Kiang pousse vers l’Orient des flots rapides que rien n’arrête,
Les jours de l’exilé s’allongent et semblent ne plus s’écouler...

Source : Les notes de ce billet ont été inspirées par le travail de présentation et les traductions des poésies Tang du Marquis D'Hervey-Saint-Denys (1862)

Photos : Les brésars du Nabirosina sous le pinceau un peu chinois du Van Ki Tang, photographiés à l'orée de la très mystérieuse forêt de Bliges. Avril 2010. © Frb.

mercredi, 21 avril 2010

Ici ou là

"Nous sommes nos propres démons, nous nous expulsons de notre paradis"

GOETHE. Extr. "Les souffrances du jeune Werther". Editions Gallimard Folio classique 2003.

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Déréel (définition) :" Pensée déréelle, pensée détournée du réel et des nécessités logiques'.

Je me retire de la réalité. Je marche seule dans la foule, toute personne me paraît immobile, séparée du monde où je vis. Je traverse mon propre quartier comme si je ne l'avais jamais connu. Je vois filer mon ombre sur une vitrine telle l'ombre de quelqu'un d'autre. Je vois mes chaussures avancer sur les passages cloutés mais je ne traverse pas cette rue. Je vis sur une terre inconnue sans savoir si je vis ni où est située cette terre.

"Je chois continûment hors de moi-même, sans vertige, sans brouillard dans la précision comme si j'étais drogué. Cette magnifique nature étalée là devant moi, m'apparaît aussi glacée qu'une miniature passée au vernis" (1)

Je croise une vieille connaissance qui me parle de ses soucis. Je vis hors de ma propre écoute. Je dévisage la vieille connaissance, elle m'est complètement dérisoire. Qu'ai- je à faire avec cette personne ? Je vois ses bras qui se balancent, mais je ne sais pas si ce sont ses bras. Je crois entendre la fin de ses phrases, mais je ne sais plus où vont ces phrases, où est la fin, ni où est le début. La vieille connaissance me tutoie, je lui dis des phrases convenues, Je les dis mais ne m'entends plus. Parler à cette personne me tue.

" Je suis de trop mais double deuil, ce dont je suis exclu ne me fait pas envie"(2)

Je subis la réalité, (suprême offense), le monde m'est présenté comme un monde avec lequel je dois entretenir des rapports polis, il me faudrait trouver sympathique, celui ou celle qui me demande très gentiment de mes nouvelles. Des nouvelles de qui ? Et pourquoi ? Je ne me le demande même pas. Il me faudrait trouver drôles quelques plaisanteries de ces mêmes qui me croyant triste chercheraient à me sortir d'une tristesse qu'ils prétendent négative, à me rendre plus gaie, disent ils. De quelle humeur celui ci ou celle là voudraient ils me sortir au point que puisse me distraire ? Ni eux ni moi bien que je reste liée au monde par un fil qui ne m'est d'aucune importance, n'ont à mes yeux le sens qu'ils accordent à tout cela. Un instant peut être pourrais-je m'en exacerber mais je n'ai plus aucun langage.

"Je feuillette l'album d'un peintre que j'aime, je ne puis le faire qu'avec détachement. J'approuve cette peinture mais les images sont glacées et cela m'ennuie" (3)

Nota : Les phrases (numérotées) sont extraites de l'ouvrage de Roland BARTHES "Fragments d'un discours amoureux" dont le chapitre "Déréalité" a largerment inspiré ce billet.

Photo : Ici ou là. Juste où je ne suis pas. Nabirosina. Avril 2010. © Frb.

jeudi, 26 novembre 2009

Koyaanisqatsi

"On ne peut pas créer une société juste avec des moyens injustes. On ne peut pas créer une société libre avec des moyens d'esclaves. C'est pour moi le centre de ma pensée."

JACQUES ELLUL, cité par Patrick Troude-Chastenet in "Jacques ELLUL penseur sans frontières". Editions l'esprit du temps" 2005.

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Jacques ELLUL (1912-1994) occupe une place singulière dans la critique de la modernité. Auteur d'une soixantaine d'ouvrages, il s'est appliqué au cours de sa carrière à poursuivre un seul but : affirmer et défendre la liberté de l’homme face aux périls qui la menacent. Franchement hostile à ses contemporains (les leaders de droite) et à leurs idées, il s'est appliqué également à critiquer ceux de son camp, (la gauche), au risque de constants malentendus. Dans ses textes de 1935, soit quatorze ans avant les premières conférences d'HEIDEGGER sur le sujet, ELLUL considère déjà que c'est la technique et non le politique qui se trouve désormais "au cœur des choses". ELLUL a toujours refusé cette filiation intellectuelle avec Martin HEIDEGGER dont il connaissait dès 1934, l'engagement nazi. Résolument hostile aux "soldats politiques" fabriqués par le nazisme et le stalinisme, sans pour autant se reconnaître dans l'individualisme libéral à l'américaine, le jeune ELLUL a lui aussi cherché une troisième voie. J. ELLUL a traversé un monde terrible, impossible de comprendre son rapport au politique en faisant l'impasse sur ce contexte historique traumatisant : deux guerres mondiales, les horreurs de la guerre d'Ethiopie, la guerre civile en Espagne, la Shoah, la guerre totale combinant des techniques de destruction toujours plus sophistiquées avec le tréfonds de la barbarie humaine. Et partout le triomphe de l'état-Moloch.

La proposition émise par le sociologue Lewis MUMFORD (1895-1990) et Georges STEINER (sur un mode plus romanesque), selon laquelle "HITLER a bien gagné la guerre", fût déjà été suggérée par J. ELLUL en 1945, elle n'eût rien d'une affirmation de circonstances puisque J.ELLUL la réitéra tout au long de son oeuvre. Le modèle nazi, selon lui s'est répandu dans le monde entier, qu'est ce à dire ? Sinon que pour vaincre le régime hitlérien, les démocraties se sont moralement condamnées à vouloir vaincre le mal par le mal, autrement dit en s'engageant sans réserve dans le culte de la puissance technicienne. Ici se trouve le noyau de sa pensée : la technique, lisez, la recherche du moyen le plus radicalement efficace dans tous les domaines, constitue la clef de nos modernités. En substance, l'homme moderne est devenu l'instrument de ses instruments (comme dirait BERNANOS). En croyant se servir de la technique, l'homme moderne en est devenu le serviteur. Le moyen s'est transformé en fin, la nécessité s'est érigée en vertu. Pour J. ELLUL nous ne vivons pas dans une société post-industrielle mais dans une société technicienne. Si J. ELLUL se livre régulièrement à une analyse critique non pas de la technique en soi, mais de l'idéologie techniciste, on peut trouver dans son oeuvre quelques éléments pouvant conforter sa réputation de technophobe, il s'agit alors d'une technique personnifiée, hypostasiée, assimilée à une puissance voire à un monstre. Mais J. ELLUL parmi les techniques intégra le sujet de la propagande dont on pourrait retrouver aujourd'hui certains traits sous le nom de communication. En tant que sociologue, il la décrivait comme absolument nécessaire à l'intégration de l'homme dans la société technicienne, en que chrétien, il la considèrait comme un obstacle au règne de "la Parole". La Propagande, en effet, introduit la politique dans le monde des images et tend à transformer le jeu démocratique en exercice d'illusionnisme. La distinction classique entre l'information (la vérité) et la propagande (le mensonge) pour être rassurante n'en n'est pas moins très fragile. L'information est même la condition de la propagande, puisque l'opinion publique n'est qu'un artefact et qu'elle est fabriquée par l'information avant de servir de support à la propagande, cela, ELLUL l'écrivit dès 1952. En 1962, il publiera un ouvrage fondateur "Propagandes", où il met en exergue ce phénomène pas si connu et souvent mal interprété afin de briser les lieux communs qui associeraient systématiquement la propagande aux régimes totalitaires ou autoritaires. Il met en avant la nécessité pour n'importe quel régime de faire de la propagande. Ce livre écrit en pleine période de guerre froide voit s'affronter deux systèmes idéologiques qui ont recourt à la propagande. Déjà, ELLUL dénonce cette idée de propagande à visage unique, pour lui, la propagande est multiple et ne se résume pas à l'usage politique. Aujourd'hui on décrypte mieux les mécanismes de cette publicité, pire même, qu'elle soit aussi une propagande, on le sait presque désespérément ! (ce qui, au final, n'est pas si différent que lorsqu'on l'ignorait...). Mais à l'époque, il y avait quelque chose de très novateur à analyser plus profondément ce sujet. En cela, ELLUL fût très en avance sur son temps, et tout particulièrement dans l'étude de la relation étroite qui existait entre le propagandiste et le propagandé.

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Jean Luc PORQUET pense discerner les vrais héritiers de Jacques ELLUL dans la revue et la maison d'édition "L"encyclopédie des nuisances" qui développe une critique radicale et libertaire de la société technicienne. On y relève quand même quelques points de divergences avec la pensée Ellulienne, au sujet de la pédagogie de la peur (entre autres). Les Elluliens sont par ailleurs nombreux et variés mais il semble que l'on puisse les classer au moins en deux catégories : ceux qui se sont inscrits dans le sillage de l'oeuvre sociologique, et ceux qui se sont attachés à l'homme de foi ; mais ce qui caractérise l'oeuvre plus généralement d'ELLUL est le rapport qu'il entretient avec ses lecteurs, qu'il ne ménagera jamais. Tout lecteur fasciné par son oeuvre a pu parfois s'en trouver provoqué, irrité, notamment par de nombreuses contradictions. Pour exemple, ELLUL s'avèrait un grand pourfendeur de l'état dans ses cours et dans de multiples livres, mais c'était son statut d'enseignant qui lui permettait de vivre et d'écrire. Le penseur assumait ce paradoxe avec talent :

"Nous voulons être payés par la société pour contester cette société. Fonctionnaires de la représentation de la liberté"

De même, le couple "anarchiste et chrétien" pouvait faire désordre aux yeux de ses lecteurs, tout comme le binôme (!) "anarchiste-fonctionnaire"... Encore plus fort, ELLUL, étant un travailleur acharné ne ménageait pas ses efforts pour se faire l'avocat d'une éthique de la paresse ! Au delà de ses contradictions c'est la logique même de l'écriture d'ELLUL qui séduisit ses lecteurs assidus franchissant avec lui deux ou trois seuils de radicalité ils ressentaient sans doute, une certaine jouissance à lire ce qui n'avait jamais été écrit jusqu'alors.

Je laisserai à G. BERNANOS un espace ouvert en guise d'épilogue + une petite phrase sans concession, qui pourrait nous ramener (si l'on cherche bien) quelque part sur les pas de J.ELLUL :

"Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter à attendre l'avenir comme on attend le train."

Enfin, et tel un contrepoids à ces lourds constats et perspectives, je vous propose (pour aérer) quelques vers de VIRGILE, issus d'un monde où nagent tranquilles dans des ruisseaux bleus et limpides des milliers de truites sauvages. Ces vers évoquent un monde intouché, bucolique, incompatible avec toute forme de technique, à cette infime exception près qu'ils nous parviennent ici, maintenant, chez vous, par la grâce (perfide) de la technique. (Que faudra il penser alors ? ) ...

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Allez, troupeau jadis heureux, chèvres mes chèvres
Vous ne me verrez plus, couché dans l’ombre verte,
Au loin, à quelque roche épineuse accrochées.
Vous ne m’entendrez plus, vous brouterez sans moi
Les cytises en fleurs et les saules amers.

Nota : Le titre de ce billet cite un film de Godfrey REGGIO ("Koyaanisqatsi") qui rend hommage à J. ELLUL dans son générique de fin, comme l'un des cinq inspirateurs du film (voir bande annonce ci dessous, accompagnée d'une bande-son magistrale signée Phil GLASS

http://www.youtube.com/watch?v=PirH8PADDgQ

Voir, écouter J. ELLUL, (une vidéo Hi tech et science). Avertissement : pour accéder aux propos passionnants de J. ELLUL, il va falloir probablement (?) que vous vous tapiez une petite pub niaise et ravie (propaganda !) qui réduira presque à néant toutes nos bonnes entreprises...

http://www.dailymotion.com/video/k4Q0swEwEoLQbzuUCb

Pour la beauté du titre, de l'écho, et du blog, découvrir un supra bienveillant envers ELLUL au domaine plus qu'ami ci-dessous :

http://solko.hautetfort.com/archive/2009/11/28/desesperem...

Relire la propagande du komitbüro de C.J. citant ELLUL à son porche d'entrée :

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/09/19/sa...

Photo 1 : La tour "Oxygène", Lyon part-Dieu .

Photo 2 : Le tour (de mâchoire ?) sans oxygène. Terrain vague, (plus pour longtemps), vu du côté de l'avenue Salengro à Villeurbanne.

Photo 3 : L'oxygène tout court. Lyon, colline par l'esplanade ex.canute, ex-condate, (merci Solko !). Novembre 2009. © Frb.

vendredi, 23 octobre 2009

Le détraquage

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Quatre heures. Le voyage dura quatre heures. Pour un trajet de 90 km. Dans la chenille bleue amidonnée, un panneau devenu fou déroulait le projet d'un itinéraire à rebours. Nous étions censés venir d'Orléans, et à destination de Lyon. Je venais de quitter Lyon pour un train à destination d'Orléans. Le panneau m'assurait que non. Une certitude tournait en boucle. Et j'en doutais. Deux mois.

Cela faisait deux mois que j'attendais de partir. Deux mois que je voyais courir les arbres au dessus de l'enseigne "Le canut sans cervelle", et que je trébuchais sur la caillasse de ces rues en travaux, esquivant les nouveautés, les créateurs, ces vernissages... (non pas que je sois contre, loin s'en faut ! mais là, c'était trop). La rentrée dans tous ses états. Le pire étant encore dans nos villes ce qu'on appelle : "animations". Lasse des têtes et des rubans, épuisée par ces fugues molles toutes identiques, (la mienne aussi), j'attendais le moment où je pourrais durant des heures, parler avec mon âne en croisées de chemins. Combien ?

Il y avait un nombre incalculable de wagons dans cette chenille. Combien exactement ? Je ne saurais dire, de ma vie je n'ai vu un train aussi long. J'étais seule dans le wagon. Le contrôleur, je ne sais pourquoi, me dit qu'il y avait une autre fille à l'autre bout de la chenille. Je songeais que bientôt les forains replieraient la vieille vogue. Il m'a parlé juste pour me dire ça. Deux.

Nous étions deux dans ce grand train. Ca ressemblait à l'énoncé d'un cauchemar mathématique."Deux et deux seulement". C'était un TER avec des sièges comme au salon de coiffure, en velours imitation velours, (c'est très nouveau), et des tablettes couleur perce-neige, rabattues, (rebattues ?) sur le dos du fauteuil d'en face, un long couloir gris, et plus haut des diodes électroluminescentes oranges déroulaient le nom de toutes les gares qui marqueraient l'arrêt entre Orléans et Lyon. Sur le côté, des bribes de civilisation, ponts de ferraille, tags incompréhensibles, établissements portant à bout de charpente, la "domotique", les bureaux de marketing, puis un retour brusque aux néons augurait entre des grillages, la rébellion des végétaux qui claquaient sur la vitre maculée de caques d'oiseaux. On entrait victorieux en gare de Lozanne, (20km au nord ouest de Lyon du nom de "Hosanna" jour de correspondances et de Rameaux). Un quart d'heure environ.

Le train roula presque normalement pendant un quart d'heure environ. Le moteur vibrait fort, ce barouf de graves nous prenait dans l'étau. J'avais ouvert un livre de Benjamin FONDANE, qui parlait de Baudelaire, d'une préface signée par Théophile Gautier. Un livre écrit tout en hongrois. Tandis que la loco attaquait les oreilles, le cerveau puis les yeux, et que les diodes oranges superposaient aux caractères des éditions Paris-Méditerranée, des figures cosmiques, univers fractals et les liasses de billets d'un Voltaire psychédélique virevoltaient simultanément sur mon crépusculaire reflet. Nul ne peut ignorer que FONDANE n'est pas un poète hongrois mais roumain, la traductrice s'était trompée ? J'eus un instant besoin de maudire Odile Serre, que j'aimais bien pourtant grâce à la poésie moldave. La mécanique flambait, acheminant la vie du rail qui bringueballait de gauche à droite son acousmatique laminée. Tout cela allait crescendo mais le train avançait. On avait ajouté à cette symphonie (non pas pour un homme seul, mais pour deux femmes dans un train), l'éclatante ligne de rouages percussifs, une diffusion en continu, un métronome broyé qui battait sous la peau mais le train avançait encore. Et je me réjouissais du temps qu'il me restait pour lire. Trois.

Tandis que je contestais violemment Odile Serre pour cette traduction hongroise inacceptable de FUNDOIANU (FONDANE), une confusion qui représentait à mon sens, une faute professionnelle très grave, doublée d'un irrespect envers les lecteurs et lectrices ; le train arriva à Lamure sur Azergues au bout d'une demi-heure comme prévu. Lamure sur Azergues, (anciennement, "La mure". Héraldique : "gueules au mur ruiné (la mure) d'argent, maçonné de sable, soutenu d'or et ouvert du champ, au chef aussi d'or chargé d'un lion issant aussi de sable, armé et lampassé aussi de gueules, surchargé d'un lambel de cinq pendants du même"). Lamure sur Azergues, deux minutes d'arrêt. La ville (petite) ouvrit ses quais à la chenille. Impromptu mécanique métamorphosé qui sait ? en papillon de nuit conçu par Vaucanson un soir d'ivresse. La bête s'émancipait. Nous nous désincarnions. Personne ne descendit, ni ne monta. Le contrôleur vint me le redire. D'un air tout à fait désolé. Il répéta trois fois "Vous êtes deux dans ce train" : Cette fille qui ne me voyait pas et moi qui n'avais pas la preuve de l'existence de cette fille, à peine de la mienne sinon dans le regard du contrôleur, lui même, intermittent, "effacé", comme on dit souvent. Nous étions trois, à peine. Dans un monde où tout compte à partir de mille. Une heure.

Nous passâmes du chant Russolien au silence de la montagne. Un râle spasmodique, juste. Et plus rien. Grâce à l'arrêt de ces moteurs, je parvins enfin à relire la préface de Monique Jutrin. "poétique du gouffre". Une mémoire pour Benjamin FONDANE, mes initiales inversées, je loue ce précurseur et poète au destin tragique qu'on ne m'apprit jamais à l'école, hélas ! nous y reviendrons, hors détraquage... "enadnof srev Unaiodnuf eD". Le hongrois d'Odile Serre prenait un élan charmillon. Le rétablissement d'un espace sonore plus adéquat à mon audiophilie maniaque, me rendait les points de concentration, de probité, nécessaires à la compréhension d'un livre en promenade, ce projet de nouveau possible, je reconstituai méthodiquement le bon sens du rectangle qui glissait sous mes doigts. Je me mis à aimer follement Odile Serre, pour sa traduction admirable du roumain au français de l'oeuvre de Benjamin FONDANE ("Images et livres de France") quand je m'aperçus que depuis une heure, raptée mentalement par le jeu arythmique du train, j'avais lu le livre à l'envers. Deux minutes.

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J'avais donc repris le beau livre, rephasé à l'endroit son deuxième chapitre. J'attaquais doucement quelques notes d'introduction sur HUYSMANS, le catholique, où FONDANE évoquait le Christ peint par Matthias GRÜNEWALD du petit musée de Cassel. Au prélude de "Là bas", les diodes implacables lancinaient le désert, annonçaient implacables aussi, l'arrivée imminente au terminus de Lyon Perrache. Nous étions arrêtés en sens contraire à la campagne. Ma montre retardait de trois jours. Vingt minutes.

Le contrôleur signala que la machine était en panne, un des moteurs avait lâché. La nuit tombait sur la montagne. Il venait un courant glacé. On avait appelé d'urgence un technicien qui arriverait dans vingt minutes pour essayer de faire redémarrer ce train. Pour l'instant on préférait évaluer le temps en valeur indéterminée. Nulle part.

Nous étions au milieu de nulle part. Là bas entre les rails, un petit bonhomme courait. Le chef de gare, le contrôleur, deux voyageuses.  Bientôt nous serions cinq. Nous grandirions. Le contrôleur allait venait. Son talkie walkie émettait un consolant grésil. Le contrôleur parlait en hurlant, à chaque fois le grésil répondait : "Ok d'accord ! d'accord ok !". Je m'entendis bêtement demander au controleur :"Pardon, m'sieur, mais qu'est ce qui se passe ? Où va-t-on maintenant ?". Il énonça clairement les faits. L'homme était très aimable, les choses bien expliquées. Mais elles semblaient se balancer comme la feuille de TINGUELY au bout d'un porte-clefs à quelques mètre de là, pendues à la ceinture du chef de gare... J'écoutais la réponse. Toute l'attention qu'on me portait, le contrôleur faisait tout ce qui était en son pouvoir. J'en fus émue aux larmes :

"On est en panne, on ne peut pas réparer, soit on essaye de repartir avec un moteur détraqué au risque de se retrouver coincé dans un tunnel, soit on reste là, et on attend. Qu'est ce que vous préférez ?"

Nota : Prochainement, un certain jour (?) ou jamais (?) la suite du voyage et puis un autre jour encore (?) plus certain (?) je reparlerai du poète, Benjamin FONDANE (traduit admirablement du roumain par Odile Serre et vivement conseillé par la maison)

Photo 1 :  La nuit, ou presque. Quelques brésars d'automne qui bordent la vallée d'Azergues.

Photo 2 : Un extrait de forêt de pins dans la montagne, vus quelquepart entre le Bois d'Oingt et Poule les Echarmeaux. Je ne sais pas où exactement. Octobre 2009. © Frb.

mardi, 20 octobre 2009

Encres perdues

Je descendis de cheval ; je lui offris le vin de l’adieu,
Et je lui demandai quel était le but de son voyage.
Il me répondit : Je n’ai pas réussi dans les affaires du monde ;
Je m’en retourne aux monts Nan-chan pour y chercher le repos.
Vous n’aurez plus désormais à m’interroger sur de nouveaux voyages,
Car la nature est immuable, et les nuages blancs sont éternels

WANG WEI :  "En se séparant d'un voyageur"

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WANG WEI (vers 701-761 ?) fût un illustre poète chinois de la dynastie T'ANG. Peintre, calligraphe, musicien, "paysagiste", il fût considéré comme le maîtres le plus doué de la poésie lyrique. Il intégra le paysage dans la peinture chinoise du paysage, comme un sujet à part entière. On sait qu'il occupa plusieurs postes de prestige, d'autres moins, il appartenait aux "officiels" et fût incarcéré lors d'une rebellion dans la capitale, obligé de travailler pour les rebels puis accusé de collaboration lors de la reconquête de la capitale, il sauva sa tête par la grâce d'un poème loyaliste écrit en prison.

On lui attribue plusieurs innovations techniques, notamment un style qui utilisait l'encre monochromatique dont l'effet dépendait uniquement d'un emploi expressif et rigoureux de lavis d'encre noire ou grise projetée. Il est considéré comme l'un des plus grands peintres de la Chine, mais comble du paradoxe, on ne possède aucune peinture de ce grand maître. elles ont toutes disparu au fil des siècles. Sa peinture n'est donc connue qu'à travers quelques gravures sur pierre réalisées à partir de son célèbre rouleau Wang-chuan et des copies de ses peintures par les artistes qui lui succédèrent (telles que "Eclaircie après une chute de neige", collection Ogawa, Kyoto). On pense que la famille impériale mandchoue conserva un original intitulé "Paysage sous la neige". Les informations sur son œuvre nous viennent principalement de sources littéraires. On raconte que ceux qui ont jadis eu la chance d'apercevoir la peinture de WANG WEI se sont exclamés : "On ne peut aller plus loin, plus haut : l’art du paysage dit ici son dernier mot.". Quant à la poésie chinoise, s'il faut nommer trois grands poètes, les trois plus grands, on nommera souvent : LI-PO, DU FU (Thou fou) et WANG WEI... Ce dernier adepte du tch'an (bouddhisme) cherche à approcher un état de communion presque amoureux avec la nature, le regard du poète se mêle au vide de la montagne", à la barque du pêcheur, au bleu des saisons, comme s'il les avait lui même inventés : "Je vais jusqu’au lieu où la source s’épuise, et contemple la naissance des nuages. Voici le semeur de forêts : Nos plaisanteries n’ont pas souci du temps."

Le poète et peintre SU TUNG PO écrira assez musicalement, à propos des oeuvres de WANG WEI :

Savourant un poème de Wang Wei, dans son poème
une peinture
savourant une peinture de Wang Wei, dans sa peinture
un poème

Dans la poésie de WANG WEI, il n'est jamais question d'effusion personnelle, celle ci est d'autant moins présente que les verbes en chinois ne se conjuguent pas et que les articles sont absents. L'être humain pourrait se fondre presque dans la totalité du monde, et le lecteur occidental se confronter à des traductions qui n'ont pas toujours le ton juste ni l'esprit du mouvement de WANG WEI. On pourra cependant apprécier les oeuvres de Wang WEI dans les ouvrages suivants :

Wang WEI, Les Saisons bleues : l'œuvre de Wang Wei poète et peintre, éd. et trad. Patrick Carré, Paris, Phébus, 1989 / " Libretto ", 2004.

Wang WEI, Paysages : Miroirs du cœur, trad. Wei-penn Chang et Lucien Drivod, Paris, Gallimard, " Connaissance de l'Orient. Série chinoise ", 1990.

Wang WEI, Le Plein du vide, trad. Hervé Collet, Cheng Wing-fun, callig. Cheng Wing-fun, Millemont, Moundarren, 1985.

A noter qu'un jour, un recueil de poésies chinoises fût offert à GUSTAV MALHER qui, pour composer "Le chant de la terre" ("Das lied von der Erde") sélectionna sept pièces dont une de WANG WEI. Le sujet du chant de la terre peut se croiser ci dessous.

http://certainsjours.hautetfort.com/archive/2009/03/15/ca...

Le compositeur a un peu "arrangé" le poème de WANG WEI , mais comme sa composition musicale, est un chef d'oeuvre magistral, on fermera les yeux sur cette petite occidentalisation.

Photo : retour des encres plus ou moins chinoises juste au dessus de la voie du caillou. Vu au hameau des Clefs. Nabirosina. Octobre 2009.© Frb.

samedi, 20 juin 2009

Antimatière

Le poteau noir *

Nous sommes depuis plusieurs jours déjà dans la région
du poteau
Je sais bien que l’on écrit depuis toujours le pot au noir
Mais ici à bord on dit le poteau
.

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Le poteau est un poteau noir au milieu de l’océan où
tous les bateaux s’arrêtent histoire de mettre
une lettre à la poste
Le poteau est un poteau noir enduit de goudron où l’on
attachait autrefois les matelots punis de corde ou de
schlague
Le poteau est un poteau noir contre lequel vient se frotter
le chat à neuf queues.

Assurément quand l’orage est sur vous on est comme dans
un pot de noir
Mais quand l’orage se forme on voit une barre noire
dans le ciel et cette barre noircît s’avance, menace et
dame le matelot le matelot qui n’a pas la conscience
tranquille pense au pot au noir
D’ailleurs même si j’ai tort j’écrirai le poteau noir et
non le pot au noir car j’aime le parler populaire et
rien ne me prouve que ce terme n’est pas en train de muer ...

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Tous les hommes du Formose donnent raison à CENDRARS qui dans "sa feuille de route" partie du rapide de 19H40, explore "le coeur du Monde" en 1924.

Bien sûr c'était avant la catastrophe. Et puis c'était avant qu'on zappe un peu la catastrophe à cause de Michaël JACKSON, "le roi de la pop", dont nous ne sommes pas censés connaître la mort puisque ce billet datant du 20 Juin 2009 ne nous permet pas de communiquer des faits qui ne sont pas encore arrivés. Mais ce que notre Blaise ne nous dit pas (et que nous sommes bien obligés de constater), c'est que si l'on fixe longtemps le pot au noir, on peut lire l'avenir sans grande marge d'erreur. Vous n'avez qu'à tester. Encore faut il y croire très fort. Mais je ne pense pas qu'au regard d'une telle évidence, nos lecteurs aient l'outrecuidance d'en douter...

* "Le poteau noir" par  BLAISE CENDRARS in "Feuilles de routes", (le Formose), extrait de "Au coeur du monde" (poésies complètes 1924-1929). Editions Denoël 1947.

Photo: Le poteau noir (et ses  métamorphoses) dans la boîte noire. A la périphérie de quelquechose très difficile à situer sur la mappemonde. Juin 2009. ©

dimanche, 24 mai 2009

Entre l'abîme et les cieux...

Comme un dimanche.

"Des Dieux ? ...  -  Par hasard j'ai pu naître,
Peut-être en est-il par hasard...
Ceux-là, s'ils veulent me connaître,
Me trouveront bien quelquepart ..."

TRISTAN CORBIERE. Extr. "Raccrocs. In "Les Amours jaunes". Editions Gallimard 1973.

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"L'abîme et les cieux plein de noirceur" de HUGO ont croisé ce dimanche, les "raccrocs" de Tristan CORBIERE, sous les pas foulant presque en silence le gravier pastel du cimetière d'un village Moyen-Ageux.

Parmi les cinq poètes auxquels Paul VERLAINE a consacré quelques études (1884) sous le titre "Poètes Maudits", Tristan CORBIERE figure en tête. Peut-être s'agissait il de mettre les noms seulement par ordre alphabétique, mais cet ordre tombait juste. CORBIERE resta longtemps en France, le "Maudit" par excellence au sens où l'entendait VERLAINE c'est à dire le plus méconnu, (ou mal connu) et le plus secret. On avait prêté à VERLAINE, quelques jours seulement, ce livre rarissime : "Les Amours jaunes" (avec l'édition de LE GOFFIC, grand celtisant et lettré scrupuleux). Cette édition (introuvable aujourd'hui) montrait aussi une photo de CORBIERE en dandy. La vie si brève de CORBIERE apparaît comme une obstinée dérobade, non pas involontaire, mais désirée, maintenue avec une curieuse énergie. L'état maladif du poète lui interdisait toute activité utilitaire. CORBIERE mena toute sa vie le conflit avec le fait de n'être que ce qu'il était, un duel glissant presque dans la passion. Sa pensée se désarme et soumet à une sorte de vertige l'orgueil et l'humilité, les menant à l'extrême (cf. le dernier groupe de poèmes personnels "Paria") :

"Ma pensée est un souffle aride :
C'est l'air. L'air est à moi partout
Et ma parole est l'echo vide
Qui ne dit rien- et c'est tout."

Il semble que ces vers aient été écrits après que la surdité eût coupé CORBIERE de toute communication normale avec ses semblables. Il entre désormais dans le domaine où La paradoxale "Rapsodie du sourd" nous le montre comme précipité par une trahison de la vie.

Tout cela serait assez glorieux, si CORBIERE n'était pas touché par une grâce ironique qui désarme à son tour les "grands mots". Une pirouette bouffonne accompagne l'évocation des gouffres et la tourmente cosmique où toute existence humaine particulière finit toujours par se perdre.

"Je voudrais être point épousseté des masses,
un point mort balayé dans la nuit des espaces,
... et je ne le suis point !"

Le point résiste à la l'évaporation des sens. Sur ce, la plume de Victor HUGO passe, "Seul débris qui resta des deux ailes de l'Archange englouti"...

et caressant à peine le point endolori. Referme le couvercle sans s'en apercevoir.

Source: Extr de la préface par Henri THOMAS , à l'édition 1973 des "Amours jaunes" de TRISTAN CORBIERE.

Photo : De l'autre côté du mur, l'étrange sensation d'être suivie...  Une Croix (avec vue) semble narguer le bord des routes, tandis que nous longeons le cimetière hébergeant les anciens boscomariens du village médiéval de Bois Ste Marie. (Les boscomariens est l'appelation générique des habitants de la commune de Bois Ste marie). Un lieu dont je vous reparlerai sans doute un (certain) jour, si je parviens à capturer, sous les voûtes de l'église romane, l'image cruelle, troublante, d'un de ses chapiteaux nommé "Le châtiment du bavard", hummmmm... A suivre. Un signe donc, en zone intermédiaire, vu dans le Brionnais fin Avril 2009 © Frb

lundi, 02 mars 2009

Voyageur

vue du pont morand.JPGLe Rhône prend sa source au Saint Gothard dans les Alpes Suisses, sa source est constituée par les eaux de fonte du glacier du Rhône qui comble le sommet de la vallée de Conches, sous les cols de la Furka et du Grimsel. Puissant torrent de montagne, il coule d'abord, dans une direction est-ouest, tout au long de la Vallée du Rhône, à Martigny, sa vallée se rétrécit fortement et il remonte vers le nord avant de se jeter dans le lac Léman, il en ressort à Genève où il reçoit l'Arve, puis pénètre en France. Le tracé de son cours est sinueux jusqu'aux environs de Lyon, où il reçoit la Saône, son plus long affluent : étreinte...

De A à Z; le Rhône traverse successivement les villes suisses de Gletsch, première localité traversée, Brigue-Glis, Sierre, Sion, Martigny, Saint-Maurice, puis sur rive droite du Léman, Montreux, La Tour-de-Peilz, Vevey, Pully, Lausanne, Morges, Gland, Nyon, Versoix et, sur rive gauche du Léman, les villes françaises de Thonon-les-Bains et Évian-les-Bains.
Après Genève, il arrose Bellegarde-sur-Valserine, Culoz, Belley, Montalieu-Vercieu, Sault-Brénaz, Saint-Sorlin-en-Bugey, Lagnieu, Saint-Vulbas, Jonage, Meyzieu, Vaulx-en-Velin, Villeurbanne, Caluire-et-Cuire, Lyon, La Mulatière, Oullins, Pierre-Bénite, Saint-Fons, Irigny, Feyzin, Vernaison, Givors, Vienne, Condrieu, Saint-Alban-du-Rhône, Le Péage-de-Roussillon, Tournon, Tain l'Hermitage, Valence, Le Pouzin, Cruas, Montélimar, Viviers, Pierrelatte, Pont-Saint-Esprit, Orange, Avignon, Villeneuve-lès-Avignon, Beaucaire, Tarascon, Arles, Port-Saint-Louis-du-Rhône et se jette dans la mer au niveau des Saintes-Maries-de-la-Mer.

Et voilà ! Terminus. tout le monde descend.

"La pensée remonte les fleuves". Et les génies n'ont plus de prise, à la vue de ces tourbillons, qui jour après jour hantent l'âme des citoyens, traverseurs de ponts. Tous ou presque feignent d'ignorer qu'ils sont là, suspendus, par la grâce de la construction entre deux éléments qu'aucune intelligence humaine si progidieuse soit-elle, ne pourra jamais tout à fait consommer. C'est un vertige si l'on s'arrête, si l'on se penche, comme debout au bord d'une fenêtre. Une aventure très singulière, de se retrouver seul sur ce pont là, précisément; au petit jour, ou dans la nuit. Le débit de ce fleuve fait peur. "Sous le pont Morand d'eau" (merci Solko), coule le Rhône, dont les flots que j'imaginais à portée de regard, sont déjà, au moment où je parle à Vernaison, ou St Alban..."Sous le pont Morand d'eau" coule le Rhône... Et nos Amours finissent tous aux Saintes- Maries-de-la-Mer...

Photo: Reflets du ciel gris et fleuve Rhône : vus du Pont Morand (le bien nommé) entre presqu'île et rive gauche, un matin du deuxième jour de mars 2009 à Lyon.© Frb.